SEANCE DU 26 JUILLET 2002


M. le président. « Art. 14. - Le premier alinéa du I de l'article 4 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
« I. - Dans la deuxième phrase, les mots : "des indices graves et concordants" sont remplacés par les mots : "des indices graves ou concordants", les mots : "un délit puni d'au moins sept ans d'emprisonnement" sont remplacés par les mots : "un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement" et les mots : "qui ne saurait excéder dix heures" sont remplacés par les mots : "qui ne saurait excéder douze heures".
« II. - Dans la troisième phrase, les mots : "pour une durée qui ne saurait non plus excéder dix heures" sont remplacés par les mots : "pour une durée qui ne saurait non plus excéder douze heures". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Tous deux sont présentés par M. Estier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachée.
L'amendement n° 161 est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 14. »
L'amendement n° 162 est ainsi libellé :
« Dans le deuxième alinéa (1) de l'article 14, supprimer le membre de phrase suivant : « les mots : "des indices graves et concordants" sont remplacés par les mots : "des indices graves ou concordants". »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour présenter ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il s'agit des dispositions relatives à la retenue des mineurs de dix ans à treize ans.
En ce qui concerne la durée, je viens d'en parler. Je remercie M. le garde des sceaux de m'avoir répondu. Qu'il me permette de lui dire que je ne suis pas convaincu car, si les faits se produisent non entre dix-huit et vingt heures, mais entre seize et dix-huit heures, on sera à nouveau conduit à libérer l'enfant au milieu de la nuit. Effectivement, il existe un danger dans ce cas. Il faudrait peut-être réduire la durée de la retenue. Si vous la portiez à trois heures, il n'y aurait pas de risque de libérer le mineur au milieu de la nuit.
Dans le paragraphe I de l'article 14, les mots : « des indices graves et concordants » sont remplacés par les mots : « des indices graves ou concordants ». C'est tout de même un comble pour des mesures aussi graves ! Bien entendu, les mots : « un délit puni d'au moins sept ans d'emprisonnement » sont remplacés par les mots : « un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement ».
Vous abaissez donc le seuil permettant de prendre des mesures répressives. C'est la règle générale ! On va d'ailleurs en parler beaucoup à l'occasion de l'examen des textes de procédure pénale qui seront abordés après le chapitre relatif aux mineurs. Votre règle consistant à punir beaucoup plus de monde, vous avez effectivement grand besoin de construire des prisons ! Mais le bon sens commanderait d'attendre d'avoir construit ces prisons pour y enfermer les gens plus facilement, car vous risquez de provoquer une explosion dans les prisons, comme celles que nous avons déjà connues !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission est attachée au texte, car elle le trouve bon. Par conséquent, tout ce qui tend à l'« émasculer » (Exclamations) ou à supprimer un certain nombre de ses dispositions ne retient pas notre approbation.
Nous sommes donc défavorables à ces amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous retirez donc tous vos amendements, monsieur le rapporteur ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je ne crois pas. J'ai la faiblesse de penser que les nôtres tendent à améliorer le texte !
M. Michel Charasse. C'est important ! Il faut savoir si on émascule ou si l'on n'émascule pas ! L'émasculation est un délit, voire un crime ! (Rires.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 161.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je rappelle que les dispositions que l'on modifie ont été prises en 1994, alors que M. Méhaignerie était garde des sceaux. Elles avaient été longuement débattues, et l'on avait affirmé de façon extrêmement ferme qu'il ne pouvait s'agir - puisque nous parlons de mineurs de moins de treize ans - que de mesures tout à fait exceptionnelles.
On parle de retenue, mais où, par qui, dans quelles circonstances et comment s'effectue cette retenue ? A dix ou onze ans, on est bel et bien un enfant. Comment peut-on, pour des raisons que l'on a évoquées et qui sont des raisons techniques, prévoir un délai de douze heures renouvelable - deux fois douze heures - pour des enfants ? Je suis stupéfait que l'on invoque les « nécessités de l'enquête » pour justifier une telle mesure. Mais on oublie qu'il s'agit d'enfants, des garçons - des filles -, moins heureusement, mais enfin cela commence aussi - âgés de onze ou douze ans !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cela peut être bien autre chose !
M. Robert Badinter. Ce n'est pas pour l'opinion publique, c'est une question humaine ! Il s'agit d'enfants âgés de dix, onze, douze ans, retenus une fois. Tant d'heures ne suffisent pas, on double la durée ! Mais que sommes-sous en train de devenir ?
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Et eux ?
M. Jean Chérioux. Mais, avec les rave-parties et les tournantes, qu'est-ce qu'on peut faire ?
M. Robert Badinter. Mais enfin, c'est nous le législateur ! Vous le savez bien.
Je demande à cet instant combien de fois on a, depuis 1994, utilisé cette retenue multipliée par deux. Je suis sûr, ou presque, que cela n'a jamais été fait.
M. Jean Chérioux. C'est un tort !
M. Robert Badinter. Alors, pourquoi doubler le délai ? Pourquoi baisser les seuils ?
Toujours plus ! Croyez-moi, les lendemains seront bien amers... (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Paulette Brisepierre. Et les parents ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je souhaite répondre, parce que, monsieur Badinter, vous n'êtes pas le seul à savoir ce que sont les enfants, y compris les enfants qui souffrent. (M. Robert Badinter approuve.) On est d'accord.
Pour que les choses soient claires, la mesure qui vous est proposée ne consiste qu'à ajouter deux heures au délai, car le renouvellement est préexistant.
J'ai précisé tout à l'heure le motif, en réponse à M. Dreyfus-Schmidt, à savoir qu'un certain nombre d'enfants étant retenus en fin de la journée, il n'est pas toujours possible de faire ce qu'il y a à faire avant la nuit, d'où la nécessité d'ajouter deux heures.
Pour répondre à votre question sur le doublement, monsieur Badinter, il a été utilisé 53 fois en 2001.
M. Robert Badinter. Pour des mineurs de quel âge, monsieur le garde des sceaux ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Pour des mineurs âgés de dix à treize ans.
M. Robert Badinter. Le changement est important !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais redire à M. le garde des sceaux pourquoi ses explications sur les contraintes de l'horaire ne sont pas recevables aux termes mêmes de l'article dont nous parlons et que vous ne proposez pas de modifier sur ce point.
A la fin du long paragraphe I de l'article 4 de l'ordonnance, il est dit, s'agissant de la retenue, qu'« elle doit être strictement limitée au temps nécessaire à la déposition du mineur et à sa présentation devant le magistrat compétent ou à sa remise à l'une des personnes visées au II du présent article. »
Par conséquent, dès lors que la retenue doit être limitée strictement au temps de la déposition, d'une part, à la présentation ou à la remise aux parents, d'autre part, si les faits se produisent à trois heures du matin et qu'à cinq heures la déposition est recueillie, il n'y a vraiment plus de raison de garder le mineur et vous serez obligé de le remettre aux parents à trois heures. Les contraintes d'horaire que vous évoquez n'entrent donc pas dans le cadre de cet article.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. A condition de trouver les gens !
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. Je n'entrerai pas dans ce débat aussi précisément que l'a fait mon collègue et ami Michel Dreyfus-Schmidt. Mais l'intervention du garde des sceaux me conduit à réagir.
En réalité, il nous est dit qu'aujourd'hui dix heures c'est trop court, parce qu'une heure ou deux sont perdues quand on arrête les mineurs à vingt heures, et qu'il vaut donc mieux disposer de deux heures de plus.
Monsieur le garde des sceaux, il faut faire attention, car si votre seule justification est celle-là, cela signifie qu'au fond ce délai de deux heures supplémentaires est destiné à compenser les deux heures pendant lesquelles le mineur est retenu inutilement. Vous risquez alors une interprétation du Conseil constitutionnel : à partir du moment où le mineur est retenu, la police comme le juge doivent instrumenter sans attendre le délai de deux heures, c'est-à-dire ne pas le priver de sa liberté pour rien. Dans ce cas, la décision interprétative du Conseil constitutionnel rendrait les deux heures supplémentaires inutiles. Finalement, je ne comprends plus rien à cette histoire des deux heures !
M. Christian Cointat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
M. Christian Cointat. Je voterai contre ces deux amendements, car nous, nous n'oublions pas que ce sont des enfants et qu'il faut faire quelque chose. Mais, vous, vous oubliez qu'ils sont dangereux, qu'ils font des victimes, qu'ils empoisonnent la société, et, fait plus grave, que si on les laisse faire ils se détruiront eux-mêmes. Nous voulons redonner un sens à leur vie. (Mme Nicole Borvo s'exclame.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Condamnez-les aux travaux forcés !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 161.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 162.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 14.

(L'article 14 est adopté.)

Section 3

Dispositions relatives au placement des mineurs
dans des centres éducatifs fermés,
sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire

Article 15