Art. 2
Dossier législatif : projet de loi renforçant la lutte contre la violence routière
Art. additionnel après l'art. 2 bis

Article 2 bis

M. le président. « Art. 2 bis. - I. - Les articles 223-11 et 223-12 du code pénal sont ainsi rétablis :

« Art. 223-11. - L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée causée, dans les conditions et selon les distinctions prévues par l'article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 EUR d'amende.

« Si les faits résultent de la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, la peine est de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende.

« Art. 223-12. - Lorsque la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de sécurité ou de prudence prévu par le premier alinéa de l'article 223-11 est commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 EUR d'amende.

« Les peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 EUR d'amende lorsque :

« 1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;

« 2° Le conducteur se trouvait en état d'ivresse manifeste ou était sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang ou dans l'air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l'existence d'un état alcoolique ;

« 3° Il résulte d'une analyse sanguine que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou le conducteur a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s'il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;

« 4° Le conducteur n'était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;

« 5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ;

« 6° Le conducteur, sachant qu'il vient de causer ou d'occasionner un accident, ne s'est pas arrêté ou a tenté d'échapper à la responsabilité pénale ou civile qu'il peut encourir.

« Les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 EUR d'amende lorsque l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée a été commise avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° et suivants du présent article. »

« II. - A l'article 223-10 du même code, les mots : "cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende" sont remplacés par les mots : "sept ans d'emprisonnement et de 100 000 EUR d'amende". »

Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par M. Lanier, au nom de la commission.

L'amendement n° 35 est présenté par Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 72 est présenté par MM. Mahéas, Badinter et Lagauche, Mme Printz, M. Todeschini, Mme M. André, MM. Courrière, Debarge, Dreyfus-Schmidt, Frécon, Frimat, C. Gautier, Peyronnet, Sueur, Sutour et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

« Supprimer cet article. »

Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 32 est présenté par M. Fauchon.

L'amendement n° 108 est présenté par M. Béteille.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

« Au premier alinéa du texte proposé par le I de cet article pour l'article 223-11 du code pénal, supprimer les mots : "sans le consentement de l'intéressée". »

L'amendement n° 31 rectifié, présenté par M. About, est ainsi libellé :

« Après le I de cet article, insérer un paragraphe additionnel ainsi rédigé :

« ... - Après l'article 223-12 du même code, il est inséré un article 223-12-1 ainsi rédigé :

« Art. 223-12-1. - Les dispositions des articles 223-11 et 223-12 ne sont applicables qu'aux grossesses déclarées au sens des dispositions du code de la sécurité sociale ou, à défaut d'une telle déclaration, qu'à l'issue de la période mentionnée à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique. »

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.

M. Lucien Lanier, rapporteur. En l'occurrence, nous abordons un sujet qui a vraiment occupé la moitié du temps que la commission a consacré à ce texte. C'est dire si elle l'a étudié de manière approfondie et avec un soin jaloux pour déterminer l'attitude qu'elle devait avoir à l'égard de cette disposition.

Le présent article, qui a été inséré dans le projet de loi par l'Assemblée nationale sur l'initiative du député M. Jean-Paul Garraud, tend à rétablir les articles 223-11 et 223-12 du code pénal pour créer un délit d'interruption involontaire de grossesse. Le Gouvernement n'avait proposé aucune disposition sur ce point. Il a demandé simplement une modification de l'amendement Garraud. Finalement, il a laissé adopter une disposition : celle que nous avons examinée avec soin en commission. Notre commission l'a examiné à deux reprises : il y a deux semaines et ce matin.

Cet article 2 bis vise à créer un délit d'interruption involontaire de grossesse et une incrimination spécifique punie de peines aggravées lorsque cet acte est commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule, autrement dit, si l'interruption involontaire de grossesse est commise par le conducteur d'un véhicule à la suite d'un choc, physique ou psychologique. Après mûre réflexion, la commission propose de supprimer cet article.

Il existe en effet un vide juridique, mais le problème a une portée considérable, et il ne peut être résolu par un simple amendement dans un projet de loi relatif à la sécurité routière.

M. Jacques Mahéas. Tout à fait !

M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission a considéré qu'un tel sujet nécessite un débat et un texte spécifiques. Il ne lui a pas semblé souhaitable de trancher une telle question au détour d'un projet de loi concernant la sécurité routière. En effet, on peut s'interroger également - la commission n'a pas manqué de le faire - sur le statut même du foetus, remis en cause dans un simple projet de loi relatif à la sécurité routière.

M. Nicolas About. Je ne le crois pas.

M. Lucien Lanier, rapporteur. Le sujet mérite de faire l'objet d'une discussion propre, ou - pourquoi pas ? - d'être examiné à l'occasion d'un débat sur la bioéthique, qui doit avoir lieu.

Enfin, la commission s'est demandé si cet article ne remettait pas en cause les principes mêmes du code pénal selon lesquels les infractions non intentionnelles demeurent une exception. On m'objectera que, dans ce cas, c'est tout l'ensemble du projet de loi qui n'a plus d'objet, car tout est exception, bien sûr, puisque les infractions ne sont pas intentionnelles, sauf si le conducteur du véhicule est fou ou irresponsable. En effet, il ne va pas percuter un mur ou un véhicule qui vient en face s'il n'est pas sous l'influence d'une drogue ou pris de boisson, etc.

Par conséquent, les infractions non intentionnelles n'ont qu'une valeur de principe. Cependant, un sujet aussi important que le statut du foetus, vu par le code pénal et vu différemment par le code civil, mérite que l'on pose le problème de l'intention.

Selon la commission, il paraît difficile d'adopter, dans le cadre de ce projet de loi sur la violence routière, une disposition dont on ne peut encore mesurer toutes les conséquences. Elle a donc choisi de proposer, pas du tout à la légère, après de nombreuses discussions, après bien des hésitations, voire des revirements pour certains, la suppression de cet article pour les raisons que je viens d'indiquer.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo, pour présenter l'amendement n° 35.

Mme Nicole Borvo. J'ai déjà dit, lors de la discussion générale, que je regrettais que la commission des lois ait débattu deux fois d'un sujet qui a été traité une première fois avec beaucoup de sérieux et à propos duquel la commission, à l'unanimité moins une voix, s'est prononcée pour la suppression du texte proposé. En tout cas, j'espère maintenant, mes chers collègues, que vous allez entendre mes arguments et que l'avis de la commission sera suivi.

Avec cet article, on nous propose d'introduire un « délit d'interruption involontaire de grossesse » permettant, aux dires de ses défenseurs, de combler un manque de notre législation qui ferait que ne serait pas prise en compte la souffrance de celles et ceux qui perdent leur enfant à naître lors de la commission d'un délit et singulièrement à l'occasion d'un accident de la route.

J'ai été particulièrement choquée de constater que ceux qui s'opposaient à l'institution de ce délit étaient taxés d'indifférence à l'égard de ces drames humains,...

M. Nicolas About. Mais non !

Mme Nicole Borvo. ... et je m'inquiète beaucoup de l'instrumentalisation de cette disposition à des fins en réalité très éloignées des considérations affichées.

Dans ce contexte, il apparaît indispensable de bien resituer le problème : il s'agit non pas de nier cette souffrance des parents mais de se demander à quel titre la justice et le droit doivent la prendre en compte.

Ainsi, il est faux de dire que la perte de l'enfant à naître à l'occasion d'un délit n'est pas prise en compte par notre droit : l'article 223-10 du code pénal prévoit déjà que « l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

Par ailleurs, la perte d'un embryon à l'occasion d'un accident de la route ou de tout autre délit, si elle n'entraîne pas pour le responsable de sanction pénale, constitue un préjudice effectif qui trouve sa traduction immédiate par l'octroi de dommages et intérêts.

En outre, la définition de cette nouvelle infraction est en contradiction avec la Constitution en ce qu'elle fait l'impasse sur la nécessité d'un élément intentionnel pour caractériser l'infraction, puisque l'état de grossesse n'est pas connu. Le fait qu'il existe désormais des délits non intentionnels n'y change rien, comme l'a rappelé notre collègue Pierre Fauchon, qui a, semble-t-il, changé d'avis.

On constatera d'ailleurs que l'article 2 bis aboutit à mettre au même niveau le conducteur qui, sans avoir connaissance de la grossesse de la personne, par son comportement, entraîne l'interruption involontaire de la grossesse et celui qui, en tout conscience, va porter des coups à une femme enceinte entraînant pour celle-ci une incapacité de travail de moins de huit jours, la commission de ce délit étant punissable de trois ans d'emprisonnement, peine portée à cinq en cas d'interruption temporaire de travail.

Enfin, une telle disposition met directement en question le statut juridique de l'enfant à naître.

M. Nicolas About. C'est absolument faux !

Mme Nicole Borvo. La Cour de cassation, dans son arrêt du 29 juin 2002, a en effet estimé que ce statut relevait de textes particuliers sur l'embryon ou le foetus et non pas des dispositions générales du code pénal. C'est le contre-pied de cette jurisprudence qu'il nous est proposé de prendre aujourd'hui par l'insertion, dans le code pénal, d'une disposition d'ordre très général permettant de sanctionner pénalement toute faute d'imprudence, de maladresse ou d'inattention qui causerait la mort du foetus, au-delà du délit spécifique en matière routière.

C'est toute notre conception juridique du foetus qui serait ainsi remise en cause si une telle disposition était adoptée. Elle pourrait conduire à une véritable remise en question du droit à l'avortement.

Sans mépriser nullement la souffrance de ceux ou de celles qui perdent un enfant attendu par le fait d'autrui, je veux expliquer aux femmes concernées en quoi un tel dispositif pourrait être très dangereux.

Les courriers que nous avons reçus à ce sujet sont éloquents : il s'agit, nous dit-on, de « faire sanctionner par la loi le fait de causer involontairement la mort de l'enfant à naître en tant qu'il est un homicide involontaire, une atteinte à la vie d'autrui au sens de l'article 221-6 du code pénal ». Mais, dès lors que la mort d'un foetus sera considérée comme un homicide, l'avortement sera logiquement un crime !

Les associations ne s'y sont pas trompées. Elles ont fait connaître leur opposition à l'introduction de cette disposition dans le code pénal. Je pense que les parlementaires doivent prendre une position ferme et ne pas se laisser entraîner par une interprétation abusive de ce que l'on désigne sous l'expression de « souffrance des parents ».

Si la présente disposition devait figurer dans la loi, nous en appellerions à l'ensemble des responsables pour saisir le Conseil constitutionnel de la question.

M. Nicolas About. Très intéressant !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour présenter l'amendement n° 72.

M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, je vous indique d'emblée que le groupe socialiste demandera un scrutin public sur cet amendement.

M. le président. J'en prends acte.

M. Jacques Mahéas. L'article 2 bis vise la situation des personnes qui perdent leur enfant lors d'un accident de la circulation. Il s'intéresse directement à la situation de la mère doublement victime. Mais, sous la louable intention d'assurer une prise en charge psychologique qui ne relève pas du domaine de la loi, cet article met indirectement en cause le statut de l'enfant à naître, question fondamentale qui ne doit pas être posée dans le cadre de ce projet de loi relatif à la sécurité routière.

En effet, l'article 2 bis crée d'emblée une incrimination générale sur la mise en cause par imprudence de la vie de l'enfant à naître. Or l'assemblée plénière de la Cour de cassation, instance la plus solennelle, a estimé que la mort d'un foetus ne constituait pas un homicide involontaire puisque le foetus n'est pas une personne.

Elle a considéré que cette question ne peut relever de la loi pénale et elle renvoie aux textes particuliers sur l'embryon ou sur le foetus.

Certes, le nouveau code pénal qui a été présenté par M. Robert Badinter en 1986 et qui a été adopté à l'unanimité par le Parlement en juillet 1992 réprime, dans son article 223-10, des faits volontaires destinés à interrompre une grossesse parce que, dans ce cas, l'élément intentionnel peut être relevé.

Aucun article ne prévoit les infractions involontaires parce qu'il est impossible de connaître l'état de la victime et que l'article 121-3 du code pénal prévoit bien qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Enfin, le texte proposé pour l'article 223-11 du code pénal pose le problème de la responsabilité pénale des actes médicaux.

Il permettra, en cas de faute médicale, d'engager des poursuites pénales alors que, jusqu'à présent, seule la reponsabilité civile pouvait être mise en cause.

Nous sommes sur un sujet qui n'a plus rien à voir avec la sécurité routière.

En fait, je le répète, le cas est déjà prévu dans l'article 223-10 du code pénal, qui dispose : « L'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressée est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Alors, dans la nuit du 19 au 20 mars 2003, à l'Assemblée nationale, malgré l'opposition du groupe socialiste, a-t-on voulu, par le biais du projet de loi contre la violence routière, en sanctionnant la mort d'un foetus considérée comme homicide involontaire, donner insidieusement au foetus le statut juridique de personne ? Je ne le pense pas.

Dès lors, il nous faut les uns et les autres faire en sorte que soit supprimé cet article, qui n'a pas sa place dans ce projet de loi relatif à la sécurité routière.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour présenter l'amendement n° 32.

M. Pierre Fauchon. Mes chers collègues, j'ai déposé un amendement visant à modifier l'article, ce qui signifie évidemment que j'étais partisan de son maintien. Toutefois, j'expliquerai tout à l'heure pourquoi j'ai changé d'avis.

Pour l'instant, je dirai simplement que cet article ne mérite pas le débat qu'il a suscité, débat nourri par des interprétations abusives. Il tend simplement à combler une lacune de notre droit, qui est absurde.

Cette lacune a été relevée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, notamment dans son rapport de la fin de l'année 1999.

Selon l'arrêt qui est commenté dans ce rapport, « le fait de provoquer involontairement une interruption de grossesse ne constitue pas un délit d'homicide involontaire prévu et réprimé par l'article 221-6 du code pénal. La loi pénale, qui est d'interprétation stricte, n'a pas étendu à l'enfant à naître la protection due à la personne d'autrui contre les atteintes involontaires à la vie. »

Or, dans le cas visé, les fautes, les négligences et l'inattention du médecin étaient caractérisées puisque, confondant une patiente venue consulter pour un examen de grossesse avec une autre patiente, en l'absence de tout examen clinique, le médecin avait fait subir à cette patiente un traitement qui avait provoqué l'interruption de sa grossesse. Il s'agissait donc d'une faute très lourde.

Le commentaire concluait ainsi : « L'arrêt portant cassation sans renvoi, qui censure en termes lapidaires cette décision, sans se prononcer sur le moment de l'apparition de la personne humaine pendant le cours de la progressive différenciation du produit de la conception, met en évidence l'absence dans notre droit d'une protection pénale spécifique de l'être humain contre les atteintes involontaires à la vie avant la naissance. »

Il y a donc une lacune.

Le texte adopté par l'Assemblée nationale tend à combler cette lacune, bien entendu pour les délits involontaires.

En fait, aujourd'hui, si l'on est responsable d'un accident qui entraîne une incapacité de faible durée, si par exemple, on casse le doigt d'une femme, entraînant une incapacité permanente de quinze jours, on commet un délit, alors que si on provoque chez elle un avortement, il n'y a pas délit. Voilà la situation !

Imaginez ce que cela peut donner dans une salle d'audience !

Dans notre droit actuel, un tel agissement ne peut être pris en compte que si c'est un homicide ; or il ne peut pas être qualifié d'homicide, nous sommes tous d'accord sur ce point.

Il n'y a pas homicide, il n'y a pas non plus atteinte à un membre de cette femme ; on ne peut donc parler de délit. Et pourtant, que je sache, l'embryon est dans la femme, c'est elle qui est atteinte. On pourrait même soutenir qu'elle est atteinte personnellement d'une blessure. Je le répète : s'il y a un bras cassé, c'est un délit, et si c'est l'embryon qui est atteint, ce n'est pas un délit. Reconnaissez que cette situation est tout à fait absurde, tout à fait inique.

Madame Borvo il n'est pas du tout question de s'apitoyer sur le sort des victimes.

Mme Nicole Borvo. Mais, monsieur Fauchon, vous avez défendu la thèse inverse de celle que vous défendez actuellement !

M. Pierre Fauchon. Je vous ai écoutée attentivement. Vous seriez aimable de me rendre la politesse.

Certes, il peut y avoir une action civile. Mais le problème n'est pas là. Il s'agit de maintenir la cohérence de notre justice pénale. On ne peut pas à la fois, lorsqu'une personne casse le bras d'une autre, dire que c'est un délit et infliger une amende ainsi qu'une peine de prison avec sursis et, lorsqu'un avortement a été provoqué, dire : là ce n'est pas un délit.

Lors d'une audience correctionnelle, il est très difficile pour un procureur de soutenir, à dix minutes d'intervalle, deux thèses aussi contradictoires. Il est dès lors très difficile pour les juges du fond de ne pas condamner. Ils invoquent parfois la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. En tout cas, ils trouvent une raison de condamner pour ne pas se trouver dans une situation absurde.

Lorsque l'affaire remonte à la Cour de cassation, qui est chargée d'appliquer notre droit d'une manière rigoureuse - a fortiori lorsqu'il s'agit du droit pénal -, la Cour dit qu'il n'y a pas d'homicide, qu'aucun délit n'est prévu dans le code pénal, et, sans délit prévu, il n'y a pas de condamnation pénale.

La démarche de notre collègue Garraud - elle a d'ailleurs été approuvée par le Gouvernement - consistait à dire qu'il n'y avait pas homicide lorsqu'on portait atteinte à la vie d'un embryon mais qu'il fallait constituer un délit original n'ayant rien à voir avec le statut du foetus et concernant seulement le statut de la femme enceinte. Dès lors, si une personne provoquait, par imprudence, négligence ou faute caractérisée, l'interruption involontaire de grossesse d'une femme enceinte, il s'agirait d'un délit comme si on lui casse le bras ou la jambe. Cette solution relève du bon sens, et il n'y a pas lieu d'émettre à son égard des raisonnements philosophiques extravagants sur le statut du foetus, qui n'est pas du tout en cause.

Nous créerions ainsi un délit nouveau très particulier : l'interruption de grossesse imposée à une femme de l'extérieur par une imprudence. (Mme Nicole Borvo s'exclame.) Voilà pourquoi ce texte m'a paru très utile.

Cela dit, la rédaction de l'Assemblée nationale m'a semblé assez bonne. Elle comporte néanmoins une phrase qui n'est pas très heureuse. M. Béteille ayant déposé le même amendement que moi, pour ne pas abuser de mon temps de parole, je lui laisse le soin d'expliquer les raisons pour lesquelles je propose de modifier légèrement la rédaction de cet article. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour présenter l'amendement n° 108.

M. Laurent Béteille. Cet amendement, identique à celui qu'a présenté Pierre Fauchon, me semble marqué au coin du bon sens.

Pour ma part, je ne comprends pas l'acharnement que l'on peut mettre à vouloir absolument supprimer cet article 2 bis, qui, à mon sens, a été ajouté avec beaucoup de bonheur par l'Assemblée nationale.

Il y a, dans notre droit pénal, un certain parallélisme entre les incriminations pour les infractions volontaires et les incriminations pour les infractions involontaires, lesquelles sont naturellement sanctionnées moins lourdement.

Ainsi, à l'homicide volontaire va correspondre l'homicide involontaire aux coups et blessures volontaires vont correspondre les coups et blessures involontaires. Or, une exception tout à fait incompréhensible existe : à l'interruption volontaire de grossesse en dehors du consentement de la mère, qui est sévèrement sanctionnée, ne correspond pas d'incrimination pour interruption involontaire de grossesse par faute, maladresse, imprudence ou autre. Il s'agit bien là d'une lacune qui, comme l'a dit Pierre Fauchon avec à-propos, a été mentionnée dans un rapport de la Cour de cassation.

Comment s'explique cette exception alors qu'est en cause un préjudice grave, beaucoup plus important que ne l'est une simple blessure ? Je pense que tout le monde est conscient que le fait de perdre un enfant qui est attendu constitue un préjudice grave. Or l'acte qui en est la cause n'est pas sanctionné.

Plusieurs arguments ont été avancés ; il a notamment été question du statut du foetus. Mais il ne s'agit pas du tout de cela ! Je comprends qu'on ne souhaite pas, au travers d'un débat sur la sécurité routière, traiter du statut du foetus, mais, dans le cas présent, il s'agit uniquement de l'interruption de grossesse.

La femme doit être maître de sa grossesse, j'en suis tout à fait d'accord. Qu'on lui donne la possibilité de l'interrompre dans les premières semaines est une bonne chose.

Mais peut-être a-t-elle aussi le droit de mener à terme cette grossesse ! N'est-ce pas la moindre des choses que, si elle désire cet enfant, on ne vienne pas contrecarrer son projet d'une manière brutale ?

En fait, il ne s'agit ni du droit des femmes ni du statut du foetus, il s'agit de réparer un oubli et de faire en sorte qu'un chauffard qui, par maladresse, imprudence, cause un trouble grave en assume les conséquences.

On me rétorque que le délit n'est pas intentionnel. Mais c'est la même chose pour celui qui tue quelqu'un parce qu'il conduisait en regardant ailleurs. Celui qui renverse une vieille dame sur un passage clouté, il ne le fait pas exprès !

Par ailleurs, la gravité des conséquences va avoir une incidence sur la nature de l'infraction. Si la vieille dame qui a été renversée est tuée, il s'agira d'un homicide involontaire. Si c'est un jeune, sportif, souple, et qu'il n'est que blessé, il s'agira de blessures involontaires.

Autrement dit, la nature du préjudice détermine la gravité de l'infraction : ce n'est pas nouveau et c'est tout à fait admis.

Il n'y a pas intention dès lors que l'on a causé un accident en conduisant de manière inattentive, parce qu'on regardait le paysage au lieu de regarder la route, et cela vaut qu'il s'agisse de blessures involontaires, d'un homicide involontaire ou d'une interruption involontaire de grossesse.

En tout état de cause, il s'agit d'une faute très grave qu'il est nécessaire de sanctionner.

Imaginons le cas d'un automobiliste qui renverse deux piétons. L'un est blessé : il pourra se constituer partie civile et demander réparation lors de l'audience pénale. L'autre, une femme enceinte, perd son enfant mais n'a pas elle-même des blessures telles qu'on puisse parler de blessures involontaires : elle ne pourra donc pas se constituer partie civile ; il lui faudra demander réparation de son préjudice devant une autre juridiction. Selon moi, c'est tout à fait anormal.

Faisons confiance aux tribunaux. Ils sont capables d'apprécier la gravité de la faute qui est à l'origine du dommage. Au moins, on aura comblé un vide juridique et permis à quelqu'un qui a souffert d'un préjudice grave d'en demander réparation dans des conditions normales. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour défendre l'amendement n° 31 rectifié.

M. Nicolas About. La commission des lois, nous a dit M. le rapporteur, a longuement débattu sur ces amendements.

La commission des lois a commencé par se fourvoyer puisqu'elle est partie dans une direction qui n'était pas la bonne en se posant la question de savoir si le texte qui nous était soumis soulevait la question du statut du foetus. Or il ne s'agissait absolument pas du foetus. La commission s'en est rendu compte et une nouvelle réflexion s'est engagée. S'est ainsi constituée une majorité un peu hétéroclite, une majorité de circonstance, grâce à l'appoint des voix communistes et socialistes. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Robert Bret. Pas du tout ! Nous étions tout de même avec le doyen Gélard, avec M. Ulrich ! C'est vous qui êtes hétéroclites !

M. Nicolas About. Je répète qu'une majorité de circonstance s'est constituée autour de l'idée que, finalement, la question du statut du foetus était soulevée et qu'il convenait, par conséquent, de supprimer l'article 2 bis.

Or, selon moi, il s'agit d'une disposition particulièrement utile, car elle permet de combler un vide dans notre législation.

La jurisprudence nous offre de nombreux exemples de fautes très graves, commises dans un cadre médical ou par des automobilistes imprudents, qui entraînent l'interruption de la grossesse d'une femme. Hélas ! quelle que soit la gravité de la faute, aucune poursuite n'est possible à l'encontre de ceux qui commettent ces fautes. Sans répéter ce qu'a très bien dit mon ami Pierre Fauchon, je veux simplement rappeler que, lorsque la Cour de cassation a refusé d'assimiler la mort d'un foetus à un homicide involontaire, elle l'a fait à juste titre dès lors que notre droit positif n'assimile pas le foetus à une personne, et je n'entends pas revenir sur ce point ce soir, car ce n'est pas l'objet du présent débat.

Pour autant, pouvons-nous rester dans une situation d'impunité totale pour les auteurs de dommages extrêmement graves ? J'ai consulté la jurisprudence de la Cour de cassation. Certains arrêts sont extrêmement éclairants.

J'évoquerai le cas d'une femme dont la grossesse était à terme depuis le 10 novembre 1991 et qui est entrée en clinique le 17 novembre en vue de son accouchement. Placée sous surveillance vers vingt heures trente, elle signale une anomalie du rythme cardiaque perceptible sur le récepteur. La sage-femme refuse d'appeler le médecin, considérant qu'il n'y a rien là d'alarmant. Le lendemain matin, de nouveau, elle appelle l'attention sur l'anomalie du rythme cardiaque et demande que le médecin soit appelé pour déclencher promptement l'accouchement. On n'en fait rien. Une heure après, le coeur s'arrête et une césarienne est pratiquée : l'enfant est mort-né.

M. Jacques Mahéas. Où est l'accident de la route ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Où est la violence routière ?

M. Nicolas About. J'ai écouté les uns et les autres avec attention et je souhaite pouvoir aller au bout de mon argumentation. Il me semble que, dans ce genre de débat, la première marque de respect consiste à s'écouter mutuellement ! La première des violences, c'est de refuser à l'autre de s'exprimer !

M. Jacques Mahéas. La première des violences, c'est de nous faire prendre des vessies pour des lanternes !

M. Nicolas About. Je demande donc simplement qu'on me permette de continuer.

M. le président. Continuez sereinement, cher collègue !

M. Nicolas About. Je vous remercie, monsieur le président.

M. Robert Bret. Vous aussi, vous avez apostrophé Mme Borvo tout à l'heure !

M. Nicolas About. Non, j'ai dit simplement que je n'étais pas d'accord !

La cour d'appel a déclaré la sage-femme coupable d'homicide involontaire et le médecin responsable des conséquences civiles de ce délit. Mais la Cour de cassation, appliquant strictement nos textes législatifs, a cassé l'arrêt et n'a pas renvoyé l'affaire devant une autre cour d'appel, observant que les faits n'étaient susceptibles d'aucune qualification pénale.

Je ne fais que mentionner le cas évoqué tout à l'heure par Pierre Fauchon : celui du médecin qui, au lieu d'enlever un stérilet, a rompu la poche des eaux et provoqué la mort de l'enfant.

Mme Nicole Borvo. Qu'est-ce que cela a à voir ?

M. Nicolas About. En tant que médecin, je considère que ce n'est pas un accident que de se tromper de malade.

L'article 2 bis prévoit donc la création d'une incrimination d'interruption involontaire de grossesse qui serait punie de peines aggravées lorsque l'infraction est commise à l'occasion de la conduite automobile. Cela revient à accorder une protection tout à fait justifiée à la femme enceinte.

Provoquer l'interruption de grossesse d'une femme, c'est lui infliger une blessure, c'est porter atteinte gravement à son intégrité physique de femme enceinte. Effectivement, une femme enceinte, c'est une femme qui a des liens physiques plus qu'étroits avec un être en devenir. La femme enceinte a donc droit au respect de son intégrité physique.

Cette blessure doit pouvoir être sanctionnée lorsqu'elle résulte d'une faute pénale.

Naturellement, la nouvelle incrimination ne pourra s'appliquer que si les conditions prévues par la loi à laquelle notre collègue Pierre Fauchon a donné son nom sont remplies. Il faut un lien de causalité directe entre la faute et le dommage. Il faut aussi que la faute soit caractérisée et que celui qui l'a commise ait exposé autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer.

Je ne suis pas juriste, c'est vrai, mais il me semble, à la lumière des quelques années que j'ai passées à la commission des lois, que ce dispositif est tout à fait conforme aux principes du nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994, monsieur le rapporteur.

Je crois cependant que le dispositif proposé mérite d'être précisé.

L'article 2 bis vise, je l'ai dit, à la protection de l'intégrité de la femme enceinte en tant que telle. Souvenons-nous que l'expression « femme enceinte » signifie bien que la femme constitue une enceinte de l'être en devenir qu'elle porte. Cependant, petit à petit, notre droit a évolué de telle façon que cette enceinte de protection a été mise autour de la femme enceinte elle-même, ainsi qu'en témoignent diverses dispositions de notre droit du travail ou du droit de la sécurité sociale.

Par conséquent, peu à peu, s'est constituée une spécificité des droits de la femme enceinte, et on a jugé utile de la protéger.

Je propose donc, par mon amendement n° 31 rectifié, que la nouvelle incrimination ne s'appplique qu'à compter de la déclaration de grossesse que toute femme est tenue d'effectuer aux termes du code de la sécurité sociale, déclaration par laquelle la femme signifie qu'elle entend mener sa grossesse à son terme. Elle doit donc être protégée à cette fin, y compris par des dispositions pénales, applicables dès lors que des fautes graves sont commises à son encontre.

Mon amendement prévoit que, à défaut de déclaration, l'incrimination s'applique à compter de la fin de la période durant laquelle la femme peut choisir de mettre fin à sa grossesse, parce que c'est cela aussi le respect d'un des droits de la femme enceinte. (Mme Nicole Borvo s'esclaffe.)

Ne riez pas, madame Borvo ! Rire sur un tel sujet, c'est pitoyable !

Mme Nicole Borvo. C'est incroyable !

M. Nicolas About. Il est, en effet, des situations où la déclaration de grossesse n'aura pas été faite, par exemple lorsque des femmes ne sont pas résidentes en France ou qu'elles ont été simplement négligentes.

Cet amendement souligne bien le fait que la victime de la nouvelle infraction est non pas le foetus mais la femme enceinte.

Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles je vous demande d'adopter l'amendement n° 31 rectifié et donc, avant tout, de rejeter les amendements de suppression de l'article 2 bis, dont on voit bien par qui ils sont défendus.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Lucien Lanier, rapporteur. Je relève d'abord que les amendements n°s 35 et 72 sont identiques à l'amendement de la commission.

Les amendements identiques n°s 32 et 108 sont complètement contraires à la position de la commission, qui a été arrêtée, je le répète, après mûre réflexion.

Il y a là deux points de vue qui s'opposent, étayés d'ailleurs par des arguments aussi nobles les uns que les autres. Il existe, certes, un vide juridique qu'il conviendrait de combler. Mais notre débat même montre qu'il s'agit d'un sujet extrêmement vaste et qu'on ne saurait le traiter à l'occasion d'un texte relatif à la sécurité routière. Il mérite d'être étudié d'une manière spécifique et approfondie, car il convient de l'aborder sous tous ses angles. Tel est le point de vue de la commission.

M. Nicolas About. C'est une astuce !

M. Lucien Lanier, rapporteur. L'amendement n° 31 rectifié est également contraire à la position de la commission et celle-ci ne peut, par conséquent, émettre un avis favorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Je dirai d'abord qu'il n'y a, en l'occurrence, dans l'expression de mon point de vue, aucun amour-propre d'auteur puisque, comme vous le savez, cet article 2 bis ne figurait pas dans le projet du Gouvernement. Un député a en effet proposé l'introduction de cet article, qui m'est apparu juridiquement tout à fait acceptable, et je vais m'en expliquer. Cela étant, le Sénat prendra ses responsabilités.

Sur le fond, je regrette infiniment que, à propos d'un article tout à fait circonscrit, qui n'évoque en rien le statut du foetus, qui ne soulève aucunement des questions de bioéthique, on en revienne à un débat sur l'IVG. Il y a là, à mon sens, une erreur, et je pense que ce rapprochement est juridiquement infondée.

Je rappellerai d'abord que la Cour de cassation, dans son rapport annuel de 1999, a mis en évidence, comme l'a souligné M. Fauchon, l'absence, dans notre droit, d'une protection pénale spécifique de l'être humain contre les atteintes involontaires à la vie avant la naissance. Ce constat a été fait à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Ce ne sont ni le député Jean-Paul Garraud ni le garde des sceaux qui le disent, mais bien la Cour de cassation qui le constate.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voir le commentaire de Mme Rassat !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Par ailleurs, le texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale et dont l'objet est de combler cette lacune s'inspire directement de l'actuel article 223-10 du code pénal. Cet article résulte de la réforme du code pénal adoptée à l'unanimité par le Parlement en 1992 ; il figurait déjà dans le projet présenté par M. Badinter en 1986, projet qui tendait à réprimer de façon spécifique l'interruption de grossesse commise intentionnellement sans l'accord de la femme enceinte, ce qui prouve bien que cet article ne met pas en cause le statut du foetus.

M. Nicolas About. Bien sûr !

M. Dominique Perben, garde des sceaux. Car il faut tout de même que l'on sache de quoi on parle aujourd'hui ! Si M. Badinter ne mettait pas en cause le statut du foetus, M. Garraud ne le fait pas non plus !

J'ajoute que l'inscription de ce dispositif dans notre code pénal est tout à fait conforme aux récentes évolutions de ce dernier et, en particulier, à l'esprit de la loi Fauchon de juillet 2000.

Enfin, il ne me paraît pas possible d'affirmer que cette disposition ne serait pas conforme à la Constitution au motif que l'auteur de l'infraction ne connaissait pas l'état de la victime, à moins de remettre en cause toute une série d'articles de notre code pénal !

Je suis donc, logiquement, défavorable aux amendements n°s 2, 35 et 72 tendant à la suppression de l'article 2 bis.

S'agissant des amendements identiques n°s 32 et 108, je considère qu'ils améliorent le texte du projet de loi.

Sur l'amendement n° 31 rectifié, je m'en remettrai à la sagesse du Sénat.

Telle est la position du Gouvernement sur cette affaire que je crois strictement juridique et qui pourrait, selon moi, ne pas être passionnelle.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, de suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le débat qui nous occupe aujourd'hui est très difficile.

Voilà un texte du Gouvernement amendé par l'Assemblée nationale. Au sujet du comportement de nos concitoyens sur la route, un problème est soulevé que certains d'entre nous considèrent comme un problème de société.

Du point de vue juridique, M. le garde des sceaux a raison : la question est celle de la femme enceinte dont la grossesse est interrompue et des dégâts psychiques ou psychosomatiques qui peuvent en résulter.

Ecoutant tout à l'heure mon collègue M. About s'exprimer sur ce même thème, j'ai noté qu'il n'avait pu s'empêcher de faire appel à d'autres notions. En vérité, nous sommes sur une frontière : s'agit-il du foetus, de son existence, de son statut ?

Je n'oublie pas que nous avons eu ce même débat sur la responsabilité à propos de l'arrêt Perruche. Nous retrouvons un problème de droit, un problème de société, un problème de religion, pour certains, un problème qui concerne l'individu, la vie et la mort. C'est un vrai problème dans notre société judéo-chrétienne.

Je me permets de rappeler que Pierre Fauchon, voilà trois semaines, en commission, avait fait une construction juridique impeccable, approuvée par le doyen Gélard et par moi-même, d'ailleurs. Il s'est ressaisi, aujourd'hui, en reconnaissant qu'il existait effectivement un vide juridique. Peu à peu, nous nous sommes aperçus que se posait un autre problème, qui dépassait le problème initial. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai voté avec lui et que j'ai été battu au sein de la commission.

Souhaitant une concertation avant les explications de vote, je demande, monsieur le président, une suspension de séance d'environ un quart d'heure.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante, est reprise à vingt-trois heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. le président de la commission.

M. René Garrec, président de la commission. A l'issue de cette suspension de séance, monsieur le président, mes chers collègues, je confirme que nous sommes bien ici confrontés à un véritable problème de société, à un problème que nous ne pouvons pas traiter au détour de l'examen d'un texte dont l'objet est tout autre. Bref, nous sommes en présence d'un cavalier, pour l'appeler par son nom.

C'est si vrai que mon ami et collègue Nicolas About, qui s'est exprimé avec sa compétence habituelle, nous a emmenés en des territoires qui se situaient au-delà du champ du présent texte.

Oui, nous sommes ici face à un problème de fond, et je crois que, ce soir, nous n'avons pas à le traiter.

Une solution s'offre cependant à nous : que M. Fauchon, avec quelques-uns de ses collègues, dépose une proposition de loi pour traiter spécifiquement cette question. Je le soutiendrai alors et je cosignerai son texte. Mais ne chargeons pas le présent projet de loi, qui a sa propre cohérence, avec une telle disposition.

J'ajoute que, juridiquement, nos collègues de l'Assemblée nationale n'ont pas fait d'erreur, mais nous ne pouvons accepter que leur dispositif figure dans ce texte. Une bonne proposition de loi règlera le problème, elle sera la solution à notre débat de ce soir, qui nous aura au moins permis de progresser.

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote sur les amendements identiques n°s 2, 35 et 72.

M. Pierre Fauchon. Je crois nécessaire d'expliquer à nos collègues que, si j'ai changé de position, c'est que, lors de la première délibération de la commission, il m'avait semblé - à tort, c'est possible - qu'il s'agissait uniquement de faire de l'interruption involontaire de grossesse une circonstance aggravante, d'une manière générale, des délits de blessures ou d'homicides par imprudence. Or, en réalité, il s'agit de tout autre chose, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. C'est parce que je n'avais pas bien compris, lors de la première délibération, que j'avais pris cette position. Je n'ai donc pas changé d'avis, mais le problème m'est apparu différemment.

Cela étant dit, j'admets que nous sommes en présence d'un cavalier un peu trop exorbitant par rapport au strict domaine de la circulation routière. Puisque nous avons décidé que cette question ferait l'objet d'un texte distinct, nous allons donc, comme l'a suggéré le président de la commission des lois, rédiger une proposition de loi que nous demanderons au Sénat d'inscrire à son ordre du jour de manière qu'elle soit votée en toute autonomie, en toute clarté, à l'occasion d'un débat portant uniquement sur la création de ces délits nouveaux.

Telles sont les raisons pour lesquelles, personnellement, je m'abstiendrai.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le problème n'est pas si simple !

Vous avez pris une décision et nous ne pouvons que vous en féliciter. Si c'était vous qui aviez proposé cet article 2 bis, il vous suffirait de le retirer ! Cependant, il figure dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale. Vous ne pouvez donc pas le retirer, et il faut donc que nous nous prononcions sur cet article. C'est pourquoi nous tenons à expliquer notre vote.

Cet article 2 bis contient, en vérité, deux dispositions tout à fait différentes.

Le texte proposé pour l'article 223-11 du code pénal est, en effet, un cavalier pur. Il pose un problème qui est discuté, et discutable. Sur ce point, la position de notre collègue Nicolas About, qui consistait à faire une différence suivant l'ancienneté de l'embryon, me paraissait plus rationnelle.

Quel est, en fait, le problème ? Vous avez cité deux arrêts de la Cour de cassation.

M. Nicolas About. Il y en a d'autres !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais tous deux s'appliquent à autre chose qu'à la violence routière ! Ils s'expliquent par le fait que les cours d'appel ne sont pas du tout convaincues et que nous pouvons parfaitement connaître un jour un revirement de jurisprudence.

Par ailleurs, on peut se demander s'il faut tout pénaliser. Il y a certes un préjudice, les actes visés ici peuvent ouvrir droit à une réparation au civil.

Vous avez cependant considéré à juste titre, pendant la suspension de séance, que cela posait des problèmes extrêmement graves qui n'ont rien à voir avec le texte sur la violence routière.

Vous vous apprêtez donc à supprimer cet article.

Vous aurez alors à réfléchir - je le dis très amicalement à M. Fauchon - pour savoir si finalement sa première idée n'était pas la bonne et si vous ne devriez pas renoncer au dépôt de cette proposition de loi. Il peut y avoir d'ici là un revirement de jurisprudence ! En outre, vous ne semblez pas favorable au « tout pénal » ; après tout, la justice civile a du bon !

Le deuxième article visé par cet article 2 bis, l'article 223-12 du code pénal, concerne bien la violence routière. Mais, comme nous l'a dit M. Hyest ce matin, ce serait le seul cas, dans le code de la route, où l'on tiendrait compte de l'état d'une victime alors que l'auteur de l'infraction ne le connaît pas !

M. Nicolas About. Et les coups et blessures ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais il y a un autre argument. Contrairement à ce que vous nous avez dit, monsieur About, la mère n'est pas obligée d'aller devant le tribunal civil pour obtenir réparation. Elle peut se porter partie civile devant le tribunal correctionnel,...

M. Nicolas About. Ce n'est pas un problème de réparation !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... lequel a toutefois le droit de décider la relaxe, encore qu'il soit bien rare que dans un accident de la circulation il n'y ait pas d'autres conséquences telles que arrêt de travail, contusions, etc.

Au demeurant, même si, par impossible, c'était le cas, le tribunal correctionnel a parfaitement le droit, depuis une réforme réalisée par M. Badinter, en 1983 je crois, de statuer au civil. Cela ne retarde donc en rien la procédure et, en tout état de cause, la mère aura réparation de son préjudice,...

M. Nicolas About. Pas toujours !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... ce qui est - n'est-il pas vrai ? - l'essentiel.

N'ayez donc pas de regret, il est bon que cet article qui nous venait cavalièrement de l'Assemblée nationale ne soit pas retenu.

M. le président. La parole est à M. André Lardeux, pour explication de vote.

M. André Lardeux. Chers collègues, je ne vais pas reprendre tout le débat juridique, très intéressant, auquel nous venons d'assister, mais simplement expliquer le sens de mon vote.

Je me rallie à la proposition faite par le président Garrec : rédigeons et déposons une proposition de loi pour traiter ce sujet particulier. Permettez-moi cependant de faire valoir une clause de conscience : supprimer l'article 2 bis ne signifie pas remettre en cause son contenu. En effet, je croyais que cette loi était une loi de protection de la vie.

Si, juridiquement, l'article 2 bis est un cavalier, philosophiquement, il ne l'est peut être pas tant que cela, puisqu'il s'agit de protéger la vie.

Il est certain qu'une femme subit un préjudice si elle perd l'espérance d'un enfant attendu depuis plusieurs mois, parfois depuis plusieurs années parce que la grossesse ne survient pas forcément toujours quand on le décide.

Selon certains - je ne partage pas leur opinion, mais je la respecte -, l'embryon n'est pas une personne. Personnellement, je pense le contraire, et je demande à mon tour que l'on respecte mon opinion sur le sujet.

Je ne voterai donc pas la suppression de cet article, mais, s'il est supprimé, je signerai la proposition de loi qui a été évoquée par M. Garrec.

M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud, pour explication de vote.

M. Philippe Arnaud. Dans la discussion générale, j'ai exprimé mes plus expresses réserves à propos de la création d'un délit d'interruption involontaire de grossesse à l'occasion de l'examen de ce texte sur la répression de la violence routière. « Prudence, prudence ! », ai-je alors dit.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention les différents intervenants et j'ai été extrêmement attentif à l'argumentation très forte des uns et des autres.

Pour ce qui me concerne, je me rallierai à la proposition de suppression de cet article, sans méconnaître la réalité de ce problème. En effet, ce n'est pas à l'occasion de l'examen de ce texte - qui, par ailleurs, fait l'objet d'un très large consensus, car nous sommes tous d'accord pour lutter contre la violence routière - que nous pourrons régler cette question.

A mon avis - mais je ne suis pas juriste -, il existe de nombreuses autres situations qui pourraient mettre en cause des personnes physiques, des mères. Par exemple, si une femme enceinte chute sur un trottoir mal entretenu et que cette chute provoque une interruption involontaire de grossesse, que se passe-t-il ?

M. Nicolas About. Rien !

M. Philippe Arnaud. Je suis donc très heureux de la proposition de la commission des lois : traitons ce problème de façon globale et en dehors de ce projet de loi. Il s'agit en effet d'un sujet beaucoup plus complexe que la seule violence routière.

Je voterai donc la suppression de l'article 2 bis, et je participerai à l'élaboration de la prochaine proposition de loi ainsi qu'aux discussions qui suivront.

M. le président. La parole est à M. Paul Girod, pour explication de vote.

M. Paul Girod. Nous savons tous que nous sommes en train de vivre un moment important, parce qu'il s'agit d'un problème grave, d'un problème de fond.

J'aurais été tenté de retenir le raisonnement du cavalier - et ne voyez là aucun mauvais jeu de mots s'agissant d'un texte sur la sécurité routière ! -, mais je me rallierai finalement aux amendements de suppression. Toutefois, je tiens à dire que je suis en opposition totale avec les propos de M. Dreyfus-Schmidt. Autant je comprends son argument relatif à l'insertion un peu incongrue d'une disposition aussi grave dans le cadre d'une loi sur la sécurité routière, autant je désapprouve totalement l'argumentation qu'il a développée ensuite sur le fond du problème : à mes yeux, un véritable problème de société sous-tend ce texte.

La raison pour laquelle je vais, en définitive, me rallier aux amendements de suppression, c'est que, comme l'a dit il y a un instant le président de la commission des lois, une proposition de loi que, pour ma part, je m'honnorerai de signer avec lui, sera déposée, et j'ai l'espoir que, dans le cadre des niches parlementaires, cette proposition viendra très vite en discussion, pour que nous puissions débattre au fond d'une solution qui permette de combler un vrai vide juridique.

On ne peut pas à la fois évoquer le droit du foetus et celui de la femme enceinte. De deux choses l'une : ou bien ce sont deux personnes distinctes, et quelles que soient les circonstances de l'interruption involontaire de grossesse, celui qui en est la cause se trouve être l'auteur d'un délit éventuel contre une personne existante ; ou ce ne sont pas deux personnes distinctes, et il n'y a aucune raison que la femme soit privée de toute capacité de reconnaissance du dommage qui lui a été causé - et autrement que sur le plan civil - au motif que ce n'est pas une partie constituante de son propre corps.

Par conséquent, la solution vers laquelle nous nous dirigeons, c'est-à-dire la suppression de l'article 2 bis dans le projet de loi mais sa reprise le plus rapidement possible dans un texte autonome, me paraît la plus sage.

M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.

M. Nicolas About. Le président Garrec a d'autant plus raison que, ce matin, il penchait encore pour le maintien de la disposition votée par l'Assemblée nationale.

Il a raison parce que, comme de nombreux collègues, comme M. le ministre, il considère que le problème n'est pas seulement juridique.

Il a surtout raison lorsqu'il demande si, par le biais d'un texte consacré à la sécurité routière, on peut traiter un sujet aussi important que celui du statut de la femme enceinte, de son intégrité, de sa protection. Et je ne parle volontairement pas, comme certains l'ont fait, du statut du foetus.

Chacun a sa propre idée de ce problème. Pour ma part, je m'en tiens aux dispositions de la loi et j'estime que la femme enceinte est une entité en elle-même. J'en veux pour preuve - je l'ai rappelé - les nombreuses dispositions législatives qui protègent la femme enceinte.

Nous avons la chance - le président Garrec et moi-même en avons parlé - qu'il existe un texte sur la bioéthique dont le Sénat discutera en deuxième lecture. Un tel débat trouverait mieux sa place dans le cadre d'un texte relatif à la bioéthique ou d'une proposition de loi séparée.

Et je mettrai au défi quiconque de le soumettre au Conseil constitutionnel et d'obtenir gain de cause ! Cette menace avait déjà été formulée à propos de l'arrêt Perruche. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) Si M. Dreyfus-Schmidt soumettait le texte au Conseil constitutionnel pour obtenir la suppression de cette disposition, je serais sans crainte. En effet, comme M. le président Garrec et M. le ministre, je pense que ce dispositif ne présente aucune difficulté sur le plan juridique.

Voilà pourquoi, en tout état de cause, j'approuve la proposition qui nous est faite par le président de la commission des lois et je me prépare à une nouvelle discussion dans un autre cadre.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est à propos de l'arrêt Perruche que vous aviez une majorité hétéroclite !

M. Nicolas About. Vous n'avez pas saisi le Conseil constitutionnel ! Pourtant, vous l'aviez promis !

M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, pour explication de vote.

M. Paul Blanc. Puisque j'accepte la proposition de mon collègue M. Lardeux, je voterai contre les amendements de suppression.

J'agirai ainsi parce que je n'oublie pas que je suis médecin. Pour moi, un traumatisme routier qui entraîne un éclatement de la rate nécessitant une splénectomie est aussi important que le décollement du placenta qui provoquera une interruption de grossesse. Il s'agit d'une atteinte à l'intégrité de la femme enceinte. Je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas prise en compte.

C'est la raison pour laquelle, en conscience, je voterai contre les amendements n°s 2, 35 et 72.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux, pour explication de vote.

Mme Sylvie Desmarescaux. Avant d'être sénateur, je suis mère de famille et je considère que, pour une femme enceinte, il est beaucoup plus grave de perdre un enfant, même à quelques semaines de grossesse, que d'avoir un bras cassé ou qu'être blessée physiquement. Or, dans ce dernier cas, l'automobiliste serait puni alors que, dans le premier cas, il ne le serait pas.

Je voterai donc contre la suppression de l'article 2 bis.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 2, 35 et 72.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

1502942921472857 En conséquence, l'article 2 bis est supprimé et les amendements n°s 32, 108 et 31 rectifié n'ont plus d'objet.