COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CANDIDATURE A` UN ORGANISME

EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de l'établissement national des invalides de la marine.

La commission des affaires sociales a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Marcel Lesbros pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

3

PRIVILÈGES ET IMMUNITÉS

DE LA CROIX-ROUGE

Adoption d'une proposition de loi

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 203, 2002-2003), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France. [Rapport n° 249 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'offrir aujourd'hui l'occasion de souligner l'intérêt que le Président de la République et le Gouvernement attachent au Comité international de la Croix-Rouge - le CICR - et la qualité des relations que la France entretient avec le Comité et sa délégation à Paris.

Le Comité est en effet un interlocuteur privilégié et incontournable des Etats, ainsi que le souligne fort justement l'exposé des motifs de la proposition de loi présentée par M. le député Philip.

En créant ce Comité international en 1863, Henry Dunant dénonçait le « fléau terrible » de la guerre et appelait à une solidarité internationale pour porter secours aux victimes. La vocation universelle attribuée au Comité dès sa création constitue une de ses particularités. Le fait qu'il soit demeuré une association de droit suisse, en raison d'un attachement commun au principe de neutralité, en est une autre.

En 1949, les quatre conventions de Genève ont consacré le rôle unique du CICR en lui confiant la responsabilité de travailler à l'application du droit international humanitaire, de protéger et d'assister toutes les victimes des conflits. Le CICR veille en particulier à la protection des populations civiles, qui sont les plus touchées par les conflits contemporains.

S'appuyant sur l'immense réseau des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, il fournit également une assistance matérielle aux personnes que ces violences rendent particulièrement vulnérables. Il est souvent la seule organisation présente dans les régions les plus difficiles. Il en a payé récemment le prix en perdant deux délégués, en Afghanistan et en Irak.

Le CICR est une référence pour les autres organisations humanitaires, qui se sont largement inspirées des principes qui guident son action, notamment ceux d'humanité, d'impartialité et d'indépendance.

C'est en reconnaissance de l'importance des missions du CICR et de sa position unique que les Nations unies lui ont accordé, en 1990, le statut d'observateur permanent auprès de l'Assemblée générale.

Le principe de neutralité et le respect de la confidentialité permettent au CICR d'être un interlocuteur pour les différentes parties à un conflit et de nouer entre elles un dialogue en qualité d'intermédiaire neutre. Cette « diplomatie humanitaire », qui s'appuie sur une connaissance approfondie des situations et des réalités du terrain, est un outil précieux dans la recherche de solutions de paix. Aussi le CICR a-t-il été, à plusieurs reprises, associé à des pourparlers. Je citerai les négociations conduites à Marcoussis pour rétablir la paix en Côte d'Ivoire, auxquelles a assisté un représentant du Comité international.

Pour toutes ces raisons, le CICR mérite un soutien fort, politique, mais aussi matériel. Le Gouvernement a consenti un effort financier particulier en 2002 afin d'intégrer le groupe des principaux donateurs. Il a versé au Comité international une contribution exceptionnelle de 3 millions d'euros pour ses activités en Irak.

Les autorités françaises entretiennent également un dialogue permanent avec la délégation du CICR en France sur de nombreux sujets d'intérêt commun. Le Gouvernement, qui apprécie la qualité du travail du CICR et la finesse de ses analyses, souhaite bien entendu le poursuivre.

La France est par ailleurs très sensible au rôle joué par la délégation dans la diffusion du droit international humanitaire et des principes fondamentaux de l'action humanitaire. Cette activité, qui a pris notamment la forme de deux séminaires en 1999 et 2001, permet aux organisations non gouvernementales françaises d'approfondir leur réflexion et d'affermir leur action.

Alors que les droits de l'homme et le droit international humanitaire sont parfois remis en cause, le Gouvernement juge essentielle l'action du CICR pour la défense des principes fondamentaux.

C'est pourquoi il se félicite de la décision qui a été prise par le CICR d'établir une délégation à Paris et se déclare favorable à l'adoption de toute mesure susceptible de faciliter sa tâche.

Les Français ont toujours été très sensibles aux crises humanitaires. Le Gouvernement estime donc particulièrement bienvenu qu'en leur nom une proposition de loi ait été déposée afin de faire bénéficier la délégation à Paris du Comité international de la Croix-Rouge et son personnel de privilèges et immunités identiques à ceux qui sont accordés à l'Organisation des Nations unies et à son personnel par la Convention de 1946. Il va de soi qu'il s'agit d'une mesure tout à fait spécifique, qui n'a pas vocation à régir d'autres situations.

En conclusion, permettez-moi de souligner que le caractère très favorable du traitement fiscal envisagé témoigne de l'intérêt que notre pays porte au Comité international de la Croix-Rouge. Ce texte qui, je le rappelle, s'appliquera exclusivement à la délégation du CICR à Paris et à ses membres recueille le plein soutien du Gouvernement. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Robert Del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons à examiner a pour objectif d'accorder des privilèges et immunités à la délégation du Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, en France.

A l'origine, la proposition de loi de M. Christian Philip se composait de deux articles : l'article 1er traitant des privilèges et immunités et l'article 2 visant à gager la proposition de loi sur les droits des tabacs et alcools, comme il est usuel de le faire pour ne pas tomber sous le coup de l'article 40 de la Constitution.

Or, lors de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale, l'article 2 a été supprimé par le vote d'un amendement présenté par le Gouvernement, qui souhaitait lever le gage.

Le débat sur la proposition de loi est donc recentré sur le fond, c'est-à-dire l'opportunité d'accorder des immunités et privilèges à la délégation du CICR, installée à Paris depuis le 1er avril 1999.

Pour éclairer ce débat, je commencerai par évoquer l'action et le statut du CICR, avant d'aborder l'opportunité de lui accorder un statut particulier. Puis, je présenterai le contenu des privilèges et immunités qui seraient reconnus à sa délégation à Paris si le Sénat adopte cette proposition de loi.

Je vais tout d'abord resituer le CICR dans l'histoire et au sein du mouvement de la Croix-Rouge, pour ensuite présenter son rôle dans les conflits et dans le développement du droit international humanitaire.

Comme vous le savez, le mouvement de la Croix-Rouge émerge dans la seconde moitié du xixe siècle, sous l'impulsion de Henry Dunant, particulièrement choqué par la vision du champ de bataille de Solferino le 25 juin 1859. En 1863 est fondé le Comité international de secours aux blessés, qui deviendra, en 1875, le Comité international de la Croix-Rouge. Dès 1864, son rôle international est reconnu dans le cadre de la Convention internationale pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne.

Depuis lors, le mouvement de la Croix-Rouge s'est considérablement développé. Il est composé de trois entités différentes.

Le CICR, organe fondateur et directeur du mouvement, actif au niveau international, est responsable de la direction et de la coordination de l'action de la Croix-Rouge dans les conflits armés.

Les sociétés nationales, qui sont près de 180, agissent selon les principes du mouvement dans chaque pays.

Enfin, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge, créée en 1919, a pour objectif de coordonner et d'appuyer les sociétés nationales dans le soutien qu'elles apportent aux victimes de catastrophes naturelles et technologiques, ou dans les cas d'urgence sanitaire.

Le CICR, mes chers collègues, joue donc bien, au sein du mouvement de la Croix-Rouge, un rôle spécifique qui n'est pas assimilable aux autres institutions.

Présent aujourd'hui dans près de quatre-vingt pays, le CICR emploie 12 000 personnes, dont 800 à Genève, et son budget, financé à 90 % par les Etats, s'élève à environ 650 millions d'euros.

Il a pour mission de fournir protection et assistance aux victimes civiles et militaires des conflits armés en agissant de manière strictement neutre et impartiale.

Il a notamment pour tâche de visiter les prisonniers de guerre et les détenus civils, de rechercher les personnes portées disparues, d'organiser l'échange de messages entre membres séparés d'une même famille, de fournir des secours aux civils privés des services essentiels - eau, nourriture, santé, par exemple - enfin, de diffuser le droit humanitaire et de contribuer à son respect en attirant l'attention sur ses violations.

Le CICR a joué, et joue encore aujourd'hui, un rôle essentiel dans l'élaboration du droit humanitaire. Il a contribué de manière très importante à l'élaboration des conventions régissant le droit de la guerre. Nous avons déjà mentionné la convention de 1864, mais il faut surtout faire référence aux quatre conventions conclues à Genève en 1949 et à leurs deux protocoles additionnels de 1977.

En effet, dans ces dernières conventions, ratifiées par la quasi-totalité des Etats, le CICR est explicitement mentionné.

On lui reconnaît notamment la capacité de se substituer aux « puissances protectrices » dans ses missions humanitaires et un droit d'initiative pour assurer l'application du droit humanitaire dans les conflits armés internes.

Cette mission, le CICR la remplit sans relâche, au plus près des victimes et du danger. Je rappelle qu'un délégué du CICR est mort récemment en exerçant ses fonctions au cours de la guerre en Irak. Je tiens à lui rendre hommage aujourd'hui.

L'action du CICR est très importante. Faut-il pour autant lui accorder un statut spécifique à travers des privilèges et des immunités ? Telle est la question qui nous est posée.

En effet, en droit international, seuls les Etats et les organisations internationales intergouvernementales peuvent bénéficier de privilèges et d'immunités diplomatiques. Les Etats refusent d'ailleurs de conclure des accords de siège avec des ONG, cette faculté étant strictement réservée aux organisations intergouvernementales.

Or, si le CICR n'est pas une organisation intergouvernementale, il n'est pas non plus une ONG comme les autres.

Juridiquement, le CICR est une association de droit suisse, cette base juridique apparaissant comme une protection juridique et politique visant à assurer sa neutralité. Ce statut lui permet notamment d'avoir une direction mononationale, constituée uniquement de Suisses, et de rester sous la protection de la neutralité de son pays d'origine.

Association de droit suisse, le CICR s'est toutefois vu reconnaître un statut sui generis par l'ensemble de la communauté internationale. Son rôle est reconnu dans les conventions de 1949 et dans les protocoles de 1977. Il bénéficie du statut d'observateur aux Nations unies depuis 1990.

Soixante-seize Etats, dont la Suisse, lui ont reconnu des privilèges et des immunités, soit à travers un accord de siège, soit à travers un accord unilatéral, comme en 1988 aux Etats-Unis. Son budget est couvert à 90 % par les contributions volontaires des Etats.

Enfin, ses délégués se sont vu accorder une exemption de témoignage devant la Cour pénale internationale afin de préserver la neutralité et la confidentialité des démarches du CICR, qui seraient fortement compromises en cas de témoignage devant une cour. Le CICR veut rester maître de rendre publiques ou non les violations du droit international qu'il découvre, sa mission étant de secourir les victimes et non de dénoncer ou d'enquêter.

On comprend mieux pourquoi il serait normal que la France, qui entretient des liens étroits avec le CICR et qui fait partie, depuis cette année, du groupe des donateurs les plus importants, accorde à la délégation du CICR à Paris les mêmes droits que ceux dont il jouit dans les autres grands pays étrangers. Pour ce faire, la présente proposition de loi paraît être la solution ad hoc, cette procédure ayant déjà été utilisée pour accorder, en 1989, des privilèges et immunités au siège à Paris de l'Association internationale des parlementaires de langue française, l'AIPLF, devenue depuis l'Assemblée parlementaire de la francophonie, dont certains d'entre nous sont membres.

Quelles sont donc, mes chers collègues, les immunités et privilèges que la proposition de loi prévoit d'accorder à la délégation du CICR à Paris ?

Notre collègue député Christian Philip a proposé, en plein accord avec le Quai d'Orsay, de définir les privilèges et immunités accordés au CICR en se référant à la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies du 13 février 1946.

Se référer à ce texte permet d'éviter de redéfinir des dispositions spécifiques et a, en outre, une signification politique.

Il s'agit bien de reconnaître le rôle du CICR sur la scène internationale, mais cette référence a un inconvénient : la convention de 1946 n'ayant pas été rédigée à propos du CICR, elle comporte des dispositions qui ne trouveront pas à s'appliquer, comme l'article IV relatif aux représentants des Etats membres de l'ONU.

Concrètement, la délégation se voit reconnaître la personnalité juridique lui permettant d'assurer son fonctionnement matériel. Le texte lui assure l'inviolabilité de ses locaux, de ses archives et de sa correspondance. La délégation bénéficie de surcroît des privilèges douaniers et fiscaux reconnus aux délégations tels que l'exemption de la TVA.

En outre, le personnel de la délégation bénéficiera d'immunités, notamment de juridiction, lui évitant par exemple de devoir témoigner devant un tribunal. Seuls les ressortissants étrangers bénéficieront de privilèges fiscaux.

En conclusion, monsieur le président, mes chers collègues, je crois que nous pouvons émettre un avis favorable sur la présente proposition de loi. Elle correspond au souhait de notre pays de développer ses relations avec le CICR et de favoriser son action. La formule juridique retenue permet, en outre, d'éviter la constitution d'un précédent et de répondre aux souhaits de la France et du CICR, la référence au cadre connu de la convention de 1946 apparaissant finalement comme la meilleure solution.

C'est pourquoi, sous le bénéfice de ces observations, je vous demande d'approuver la présente proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. André Rouvière.

M. André Rouvière. Monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur, vous l'avez dit d'une manière très claire, ce texte a pour objet d'accorder des privilèges et immunités à la délégation du Comité international de la Croix-Rouge à Paris, ainsi qu'à ses personnels.

Nous savons que la délégation de la Croix-Rouge à Paris est de création récente. Elle a remplacé en 1999 le bureau qui existait depuis 1996. Cette transformation visait à développer les actions du Comité depuis Paris. La proposition de loi que le Sénat est appelé à adopter aujourd'hui vient à point nommé pour permettre à la délégation de réaliser ce louable objectif.

Ce passage législatif était nécessaire dans la mesure où le Gouvernement se trouve dans l'impossibilité d'accorder à cette délégation la conclusion d'un accord de siège, le CICR étant non pas une organisation intergouvernementale mais une association de droit suisse.

Nous en sommes conscients : il s'agit d'une situation singulière, qui demande un traitement particulier.

Je ne reviendrai pas sur la place, le rôle et les missions de la Croix-Rouge sur la scène internationale. L'excellent rapport de notre collègue Robert Del Picchia montre bien le rôle majeur de cette organisation internationale dans le monde actuel.

Je souhaite simplement apporter le soutien du groupe socialiste à cette proposition de loi et exprimer ainsi une certaine idée de l'évolution des relations internationales.

En effet, en reconnaissant la place de la Croix-Rouge auprès des victimes des guerres qui secouent le monde, dans la résolution pacifique des conflits, dans l'aide humanitaire et les secours d'urgence, dans la protection des populations civiles, nous reconnaissons d'un même mouvement la place éminente que le droit international doit occuper.

Les actions du CICR s'inscrivent dans la plus chaude des actualités.

Pour préparer ce débat, j'ai eu la curiosité de consulter le site internet du CICR. J'y ai trouvé un dossier concernant sa « réponse humanitaire » en Irak avec, entre autres, la description d'une action particulière d'aide aux familles pour localiser leurs proches disparus depuis le début du conflit et la mise sur pied d'une unité spéciale à Genève destinée à centraliser l'information relative aux prisonniers de guerre et aux personnes disparues.

J'ai aussi trouvé des informations précises sur l'action du CICR auprès des personnes détenues par les Etats-Unis dans leur base de Guantanamo et sur la fin de la première étape d'une distribution de graines et de nourriture à large échelle dans les régions frappées par la sécheresse, en Ethiopie.

Le travail du CICR est d'une très grande importance au moment où nous voyons des Etats qui se délitent, des populations éloignées de tout secours humanitaire, des guerres qui se prolongent dans l'indifférence générale, où nous constatons l'apparition de conflits d'un type nouveau et, hélas ! l'essor du terrorisme de masse.

Par ailleurs, reconnaître aujourd'hui la légitimité et la force de l'action des organisations internationales participe d'un mouvement, que nous soutenons, tendant à redonner une place essentielle au droit international et à la concertation au sein de la communauté internationale face au développement de certaines actions unilatérales.

En votant ce texte, qui accorde à la délégation du CICR des privilèges et immunités identiques à ceux dont jouissent les Nations unies, nous lui donnons la possibilité de bien effectuer son travail et nous manifestons notre attachement à ce type d'organisation internationale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez souligné qu'il s'agissait d'un cas exceptionnel, mais je ne peux m'empêcher de penser que d'autres organisations humanitaires seront tentées de chercher à obtenir les mêmes avantages. Les parlementaires vont certainement être sollicités pour déposer une proposition de loi visant à élargir le champ d'application de ces mesures. Qu'en pensez-vous ? Ne serait-il pas sage de définir des critères afin que les demandes ne soient pas trop nombreuses et les interventions trop pressantes ?

Sous le bénéfice de cette réflexion que je me permets de vous soumettre, le groupe socialiste votera ce texte avec enthousiasme.

M. le président. La parole est à M. Louis Moinard.

M. Louis Moinard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la guerre en Irak vient de s'achever et nul ne peut exactement dire à quoi ressemblera l'ordre international de demain ni quels rôles l'Europe et la France seront amenées à jouer en son sein.

La question n'est plus de savoir si notre pays a eu raison ou non de porter l'étendard du camp de la paix. L'heure n'est plus à la polémique, aux affrontements stériles. Le temps des bombardements, de la terreur, des tueries d'innocents est bien révolu en Irak. La guerre est finie, vive la paix ! Il s'agit aujourd'hui de reconstruire.

Reconstruire signifie, pour l'Irak, secourir ses populations et, pour la France, se repositionner sur la scène internationale.

Dans un pays en ruines, avant que soit posée la première pierre des nouveaux bâtiments, que soit donné le premier coup de truelle pour édifier de nouvelles infrastructures, il est impératif de porter secours à un peuple qui se trouve dans le dénuement le plus total, menacé par la famine, le choléra et autres épidémies.

Du point de vue français et européen, reconstruire signifie également retrouver une place au sein d'une communauté internationale chamboulée, même si, en regard des angoisses du peuple irakien, ces considérations paraissent bien dérisoires.

Membre de la délégation de notre commission des affaires étrangères qui s'est rendue récemment dans la corne de l'Afrique, j'ai pu constater, avec mes collègues, la précarité de peuples en proie à l'insécurité et à la famine.

C'est à la conjonction de ces deux préoccupations d'après-guerre que se situe la proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du CICR en France.

Ce texte peut paraître anecdotique. Pourtant, jugé à l'aune des menaces nouvelles et bien réelles d'attentats et de guerres qui pèsent désormais sur la communauté internationale, il revêt toute son importance.

La Croix-Rouge, créée par Henry Dunant après qu'il eut été atterré par la vision qu'offrait le champ de bataille de Solférino en 1859, est devenue la mère de toutes les ONG à vocation humanitaire. Cette organisation ne connaît qu'un seul camp : celui de la paix.

Or la France s'est, elle aussi, faite récemment le héraut de la paix. C'est pour être cohérent avec ses options internationales que notre pays doit aujourd'hui consentir - hélas ! il est vrai, un peu tardivement - à conférer à la délégation française du CICR les privilèges et immunités qui lui sont habituellement reconnus.

Ces privilèges et immunités sont quasi identiques à ceux dont la Croix-Rouge bénéficie dans soixante-seize pays de la planète, parmi lesquels les Etats-Unis, la Belgique et la Russie. Ils sont donc significatifs, mais classiques, et faciliteront l'accomplissement de son rôle opérationnel.

Il est nécessaire de donner à l'organisation les moyens matériels mais aussi juridiques de faire de notre pays une plate-forme à partir de laquelle le CICR pourra déployer ses actions.

Parce que l'action internationale de la France ne peut pas se résumer à son action diplomatique, il est impératif d'aider la Croix-Rouge à conserver le rôle unique qu'elle joue sur la scène internationale, comme observateur permanent auprès des Nations unies, comme promoteur et gardien du droit humanitaire ou comme assistant et protecteur des populations touchées par les conflits armés ou par la violence.

La France a refusé de participer à l'intervention militaire en Irak. Elle peut à présent trouver sa place dans la reconstruction, par l'intermédiaire de la Croix-Rouge, qu'elle accompagne de tout son soutien et qui se mobilise fortement au travers de l'envoi d'une mission d'évaluation dont le rôle est le recensement des besoins au sud de Bagdad.

Hélas ! le tandem France - Croix-Rouge ne verra pas, dans l'avenir, son champ opératoire se limiter au cas irakien. Pays des droits de l'homme et porte-parole du camp de la paix, la France doit tout faire pour donner à des ONG telles que le CICR les moyens de venir en aide aux victimes de la guerre et des tyrannies d'aujourd'hui, et de faire face aux menaces nouvelles qui pèsent sur le monde depuis la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre.

Vous en conviendrez avec moi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un dessein et des actions si nobles valent bien quelques privilèges !

Le groupe de l'Union centriste votera donc la proposition de loi qui nous est soumise.

Il me reste à féliciter notre rapporteur, M. Robert Del Picchia, ainsi que la commission des affaires étrangères pour leur excellent travail. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. Renaud Muselier, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier des positions que vous avez clairement exprimées et qui vont largement dans le sens de la diplomatie française. Celle-ci, conformément à l'histoire et à la culture de notre pays, défend l'idée d'un monde multipolaire, où l'action humanitaire trouve toute sa légitimité.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, de même que les orateurs qui sont intervenus ensuite, le présent texte est à la fois important, cohérent et nécessaire.

Cependant, le propos de M. Rouvière appelle de ma part une précision. Le CICR n'est pas une organisation non gouvernementale comme les autres. Il jouit d'ailleurs, auprès des Nations unies, d'un statut tout à fait particulier d'observateur permanent, qui lui confère des droits et des devoirs spécifiques. Cela signifie, dans l'esprit du Gouvernement, que la mesure proposée ne peut s'appliquer qu'au CICR.

Je tiens, enfin, à me féliciter du consensus que cette proposition de loi suscite entre tous les groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France
Art. 2

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. - Le Comité international de la Croix-Rouge et son personnel bénéficient en France de privilèges et immunités identiques à ceux accordés à l'Organisation des Nations unies et à son personnel par la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies du 13 février 1946.

« Toutefois, les traitements et émoluments versés par le Comité international de la Croix-Rouge aux membres français de son personnel sont soumis à l'impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun. »

Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Art. 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 2

M. le président. L'article 2 a été supprimé par l'Assemblée nationale.

Vote sur l'ensemble

Art. 2
Dossier législatif : proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Hélène Luc, pour explication de vote.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux simplement apporter le soutien du groupe communiste républicain et citoyen à la présente proposition de loi.

Nous connaissons tous la Croix-Rouge, qui, dans la plus stricte neutralité, intervient auprès de toutes les parties engagées dans les conflits et dont l'action, au-delà de son aspect humanitaire, s'inscrit dans le combat pour la défense des droits de l'homme et pour la paix. C'est ainsi qu'elle se préoccupe, par exemple, des droits des prisonniers de Guantanamo.

Le 8 mai, le CICR a tenu à faire état des difficultés qu'il avait rencontrées pour acheminer l'aide indispensable au cours de l'intervention anglo-américaine en Irak.

Au sein de la commission des affaires étrangères, j'ai proposé au ministre des affaires étrangères que la France envoie des spécialistes de l'électricité et de l'approvisionnement en eau. Il n'est évidemment pas facile de faire accepter une telle proposition par les Etats-Unis, mais j'espère que nous y parviendrons.

Je tiens à saluer le dévouement de ces bénévoles que nous connaissons tous dans nos départements, dans nos communes. Je veux tout spécialement rendre hommage au membre de la Croix-Rouge qui a trouvé la mort pendant la guerre d'Irak : cet homme a fait son devoir jusqu'au bout.

M. le président. Je mets aux voix de l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux privilèges et immunités de la délégation du Comité international de la Croix-Rouge en France
 

4

PERSONNELS DE DCN ET GIAT INDUSTRIES

Adoption d'une proposition de loi

 
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 284, 2002-2003), adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries. Rapport (n° 295, [2002-2003]).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et de GIAT Industries a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 7 mai dernier.

Vous l'avez constaté, ce texte est court ; c'est, je le crois, plutôt une qualité. Il s'agit simplement de lever un certain nombre de blocages juridiques, administratifs ou financiers qui gênent le règlement de la situation de certains personnels de DCN et de GIAT Industries.

M. Serge Vinçon, que je tiens à remercier, a fait dans son excellent rapport une présentation très exhaustive des données du problème. Vous me permettez donc d'en rappeler seulement les traits principaux.

L'article 1er du présent texte entre dans le cadre de la transformation de DCN en société nationale au capital entièrement détenu par l'Etat. Cette transformation deviendra effective le 1er juin prochain, comme je vous l'avais dit à l'occasion du débat budgétaire.

Je tiens à réaffirmer ici qu'il s'agit d'une bonne réforme. En effet, en s'appuyant sur la haute technicité des personnels, elle va donner à l'entreprise une dimension européenne en lui permettant de conclure un certain nombre d'alliances et en la situant au niveau pertinent pour les industries de défense, c'est-à-dire le niveau d'un continent.

Dans le cadre de la réforme qui va être mise en place, il est essentiel d'attacher une importance particulière à l'adhésion des personnels. Encore une fois, c'est parce que nous nous sommes appuyés sur la qualité de ces personnels que nous pouvons avoir confiance dans l'avenir. Il convient donc de reconnaître cette qualité, en faisant en sorte que la motivation du personnel garantisse le succès de l'entreprise.

Les difficultés que nous rencontrons aujourd'hui tiennent à des rigidités que la proposition de loi a pour objet de lever. En effet, la direction de DCN - et l'Etat, bien entendu - tiennent tout particulièrement à ce que les différentes catégories de personnel, y compris les ouvriers mis à la disposition de la nouvelle société, aient accès à toutes les instances représentatives ainsi qu'aux informations sur la situation actuelle et sur les perspectives économiques de l'entreprise. Il s'agit à la fois d'une condition essentielle pour assurer la motivation du personnel et pour développer une véritable culture de l'entreprise intéressant tous ceux qui y participent.

L'article 2 de la proposition de loi a un objet différent, mais il se situe exactement dans la même perspective. Le projet de renouveau de GIAT Industries doit permettre de transformer profondément l'entreprise en trois ans, pour la rendre viable dans la durée. Je rappelle en effet - même si ce n'est pas le fond du débat d'aujourd'hui - que cette entreprise a connu de nombreux plans sociaux qui n'ont pas abouti. Dans la plupart des cas, on a surestimé les projets, en se fondant notamment sur des contrats hypothétiques qui n'ont pas été réalisés, et on a donc sous-estimé les nécessités d'ajustement.

M. Louis Moinard. Le char Leclerc, par exemple !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Si l'on avait fait preuve d'un peu plus de courage lors du plan précédent, nous n'en serions vraisemblablement pas aujourd'hui là où nous en sommes, dans la situation que j'ai trouvée à mon arrivée au ministère.

Nous avons donc décidé, cette fois-ci, de donner des perspectives sur le long terme aux salariés qui vont rester dans GIAT Industries. L'Etat prendra toute sa part pour assurer ces perspectives, notamment avec un contrat d'entreprise reposant sur la loi de programmation militaire - que vous avez votée -, ce qui garantira l'activité de l'entreprise sur de nombreuses années. Cela n'empêchera pas, d'ailleurs, que la nouvelle entreprise ait également la possibilité de se redévelopper sur des contrats à venir - mais ils ne sont pas prévus au départ, pour éviter toute illusion - et sur des possibilités d'adossement lui donnant une dimension européenne.

Sur la base des objectifs qu'il a fixés, l'Etat a décidé d'accompagner par des décisions fortes le projet de mutation qui sera mis en oeuvre. Le projet GIAT 2006 se veut en effet exemplaire, dans son volet social, par la priorité donnée au reclassement des salariés dont l'emploi serait supprimé. Tous les salariés bénéficieront ainsi de moyens de reclassement exceptionnels, se situant dans les meilleures pratiques.

L'Etat a, pour sa part, décidé d'assumer tout particulièrement ses engagements vis-à-vis des ouvriers sous décret en leur proposant des postes dans les différentes fonctions publiques ou au ministère de la défense.

En ce qui concerne ce dernier, cela ne pose pas trop de difficultés, mais il convient, dans les autres cas, de lever un certain nombre de blocages administratifs, statutaires ou financiers susceptibles de limiter les reclassements dans les fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière.

L'article 2 de la proposition de loi a donc pour objet de permettre aux ouvriers sous décret de GIAT Industries d'être recrutés en qualité d'agents non titulaires avec un contrat à durée indéterminée. Les ouvriers concernés conserveront à titre personnel le bénéfice des prestations de leur régime de retraite et ils bénéficieront d'une indemnité de départ substantiellement renforcée, pour compenser les conséquences des ajustements rendus nécessaires. Un certain nombre de détails supplémentaires feront, comme c'est normal, l'objet de négociations au sein de l'entreprise.

Tel est l'objet des deux articles qui vous sont soumis. Il s'agit, dans les deux cas, de lever un certain nombre de rigidités de façon à répondre aux intérêts de certaines catégories de salariés, qu'ils appartiennent à GIAT Industries ou à DCN.

Après la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de votre Haute Assemblée, que je tiens à remercier tout particulièrement de son excellent travail, c'est avec un avis très favorable que le Gouvernement vous propose d'adopter ce texte. En le votant dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, vous montrerez à la fois votre volonté d'assurer la représentation la plus large possible des personnels dans les instances de DCN et de concourir au reclassement des personnels de GIAT dans les meilleures conditions. Ce sera aussi un signe de nature à rassurer les personnels qui, aujourd'hui encore, sont dans l'incertitude. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées va vous proposer dans quelques instants d'adopter sans modification les deux articles de cette proposition de loi, votée voilà deux semaines par l'Assemblée nationale.

Ces deux articles nous ont en effet paru très utiles - et même indispensables - pour accompagner l'évolution de nos deux grandes entreprises de défense, héritées des anciens services industriels de l'Etat : DCN et GIAT Industries.

Il n'y a pas lieu, à l'occasion de l'examen de ce texte, de revenir sur les enjeux industriels, sociaux et stratégiques de cette évolution. Notre commission a manifesté à de multiples reprises sa préoccupation pour l'avenir de ces deux entreprises, et en dernier lieu lors du vote de la loi de programmation militaire.

La transformation de DCN en société commerciale, le 1er juin prochain, marque incontestablement une étape majeure, même si bien des années se sont écoulées entre le diagnostic établissant très clairement l'inadaptation du statut administratif et l'entrée en vigueur d'une véritable réforme. Confortée par les perspectives de plan de charge ouvertes par la loi de programmation et libérée de nombreuses contraintes qui entravaient sa gestion, DCN devrait désormais progresser vers l'équilibre de ses comptes. L'Etat s'est, pour sa part, fortement engagé, par la contribution financière qu'il apportera à DCN et par l'accompagnement social de la réforme.

C'est dans ce cadre que s'inscrit l'article 1er de la proposition de loi : il s'agit d'apporter aux personnels mis à disposition, qui ne seront pas juridiquement des salariés de DCN, la garantie du plein exercice des droits électoraux pour la désignation des instances représentatives du personnel. Notre commission approuve, bien entendu, cette disposition nécessaire à la cohérence de la réforme de DCN.

L'article 2 concerne, quant à lui, GIAT Industries et répond à l'engagement pris par le Gouvernement, au début du mois d'avril, de présenter au Parlement une disposition législative permettant de faciliter le reclassement dans la fonction publique d'Etat, dans les collectivités locales ou les établissements hospitaliers des ouvriers sous statut de cette entreprise.

Dans la situation difficile que connaît GIAT Industries depuis de nombreuses années, et face à une diminution inéluctable du carnet de commandes, les orientations arrêtées par le Gouvernement visent à sauver l'entreprise et à préserver une capacité française de haut niveau dans l'armement terrestre, tout en se fondant sur des perspectives crédibles et réalistes sur le plan industriel, vous venez de le rappeler, madame le ministre.

Devant la commission des affaires étrangères, vous avez souligné à juste titre la nécessité de ne pas entretenir de perspectives illusoires auprès des hommes et des femmes de GIAT Industries, tous très attachés à leur métier mais profondément déstabilisés par cinq plans sociaux successifs qui n'ont pas donné les résultats escomptés.

Alors que la mise au point définitive du plan de restructuration interviendra au début de l'automne, après que les organisations syndicales auront pu formuler des propositions alternatives, nous savons déjà que l'Etat est déterminé à s'engager très fortement sur le volet social de ce plan. Le président du groupe et vous-même, madame le ministre, avez donné de nombreuses précisions sur ce point devant la commission le 30 avril dernier.

L'article 2 de la proposition de loi permettra d'éliminer certains obstacles statutaires et réglementaires limitant les possibilités concrètes de reclassement des ouvriers sous statut dans les administrations, les collectivités locales ou les établissements publics. Il permettra donc d'élargir le champ des propositions faites aux ouvriers concernés par des suppressions ultérieures d'emplois, dans le cadre d'un examen attentif de la situation de chacun d'eux.

Cet article présente, par conséquent, une utilité incontestable et la commission a exprimé ce matin un avis favorable à son adoption.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose donc d'adopter sans modification les deux articles de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, avant de commencer mon propos, permettez-moi, puisque c'est la première fois que nous parlons de DCN depuis le 8 mai 2002, de rendre hommage aux victimes de l'attentat de Karachi, en l'honneur desquelles une plaque commémorative a été scellée sur le mur d'enceinte de DCN Cherbourg le 8 mai 2003.

Concernant la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui, il s'agit de garantir les conditions les meilleures pour le changement de statut. Je vous ai déjà interrogée à plusieurs reprises à ce sujet, madame le ministre, en particulier à l'occasion des débats sur la loi de programmation militaire pour la période 2003-2008, et je vous avais déjà posé la question de la représentation des personnels à statut dans les instances représentatives de la nouvelle société.

Je suis un peu étonné qu'il faille en passer par une proposition de loi pour régler cette question ! Aucun accord unanime n'a pu être trouvé au sein de l'entreprise. Cela augure mal du dialogue social en son sein !

Cela dit, l'article 1er, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, ne nous pose à cet égard aucun problème. Il met sur un strict pied d'égalité l'ensemble des différentes catégories de personnels pour la représentation au conseil d'administration ou de surveillance ainsi que pour les élections aux instances représentatives du personnel. Cela nous semble parfaitement normal. Il eût été tout à fait inconvenant que les personnels souhaitant garder leur statut de travailleur de l'Etat ne puissent pas participer aux élections dans les instances représentatives !

Mais permettez-moi, très brièvement, d'élargir le débat.

Je pense que DCN, société nationale, ne pourra prétendre à un avenir prometteur que si, restant ancrée dans le secteur public, elle est correctement capitalisée et assurée d'un plan de charge et d'effectifs importants.

Le scénario du changement de statut est, semble-t-il, désormais bouclé, vous venez de le dire, madame le ministre. Le 1er juin prochain, DCN deviendra une société privée à capitaux 100 % publics. J'insiste sur le « 100 % publics », puisque, ici même, certains sénateurs de la majorité ont avancé l'idée de limiter la part de capital public.

Le coût de cette privatisation devrait s'élever à 1,2 milliard d'euros : 540 millions d'euros au titre de la capitalisation et 644 millions d'euros pour la modernisation de l'outil industriel et l'apurement des dettes. Ces sommes sont-elles officialisées ? Pouvez-vous, madame le ministre, les confirmer devant la Haute Assemblée ?

Je rappelle que, lors du vote de la loi de programmation militaire pour 2003-2008, je ne m'étais pas opposé à un texte qui comportait des choix en faveur de la marine nationale permettant d'espérer un plan de charge suffisant pour DCN et, surtout, qui correspondait à un objectif stratégique déterminant.

Mais qu'en est-il aujourd'hui du contrat d'entreprise ? Certes, DCN Cherbourg construit le quatrième sous-marin nucléaire lanceur d'engins nouvelle génération ; deux sous-marins nucléaires d'attaque type Barracuda semblent prévus à l'horizon 2008 - nous n'avons pas réellement de confirmation -, ainsi que des sous-marins classiques types Agosta et Scorpène dans le cadre de plusieurs contrats à l'exportation. Si des marchés analogues à ceux qui sont en cours de négociation, avec l'Inde notamment, sont utiles pour l'entreprise en termes financiers, ils ont un effet beaucoup plus restreint en ce qui concerne le volume d'emploi et l'activité industriel de l'établissement, même si l'on doit se féliciter de la part « études » que cela génère.

A cet instant, je voudrais attirer votre attention - et je ne doute pas que vous y attachiez de l'importance - sur la nécessaire sécurité des personnels appelés à intervenir dans deux pays aux relations diplomatiques extrêmement tendues : le Pakistan et l'Inde.

Pas ailleurs, j'espère, madame le ministre, que ce contrat d'entreprise sera consolidé et que l'Etat ne se désengagera pas.

J'ajoute que nous n'avons toujours pas de réponse au sujet du volume attribué à DCN à l'horizon 2008 concernant les frégates multi-missions avec l'Italie, et que nous sommes toujours dans l'expectative concernant le deuxième porte-avions.

Un tel plan de charge devait permettre le maintien des effectifs actuels. Or, le 12 mars dernier, la direction de DCN a confirmé la suppression de plus de 1 000 emplois en trois ans, de sorte qu'en 2005 les effectifs seront ramenés à 12 300 environ. C'est d'ores et déjà inquiétant.

Ma collègue Josette Durrieu interviendra tout à l'heure sur l'amendement que le Gouvernement a introduit à l'Assemblée nationale s'agissant des personnels de GIAT Industries.

En l'absence de politique européenne de défense et si elle veut être un acteur mondial utile, la France doit disposer des outils nécessaires pour défendre ses intérêts vitaux, son modèle de civilisation, sa vision de la paix, de la sécurité et du progrès. Faute de disposer de vrais moyens de défense autonomes, la vassalisation est à craindre.

Comment ne pas s'étonner alors de ces restructuratioins et suppressions d'emplois ? Si nous voulons que notre politique de défense soit plus active, il faut s'en donner les moyens ! Sinon, il ne peut s'agir que de pseudo-déterminisme. Il me semble donc qu'il y aurait une contradiction entre une volonté politique d'affirmation d'indépendance face aux Etats-Unis et une politique intérieure et économique qui consisterait à ne pas soutenir nos entreprises d'armement.

Si l'on continue de démanteler notre industrie militaire, quel sera notre poids au sein du Conseil de sécurité des Nations unies ? Quelle sera notre possibilité de créer, au sein de l'Europe élargie, une véritable industrie d'armement où nos établissements auraient toute leur place ? Et l'on sait - il n'est pas utile d'y revenir aujourd'hui - que la concurrence est rude !

Par ailleurs, vous me permettrez d'aborder très rapidement un point que je juge essentiel mais que l'on n'évoque pas très souvent : il me semble discutable que les dépenses publiques en matière de défense entrent dans les critères de convergence. Il est plus facile pour les pays qui n'ont pas de dépenses militaires d'élargir leur champ d'action dans d'autres domaines ! Cette situation les pousse vers la recherche d'une protection par les Etats-Unis, au détriment d'une force européenne à construire.

Ce sera encore plus vrai avec l'élargissement, l'ensemble des futurs pays européens ne souhaitant certainement pas obérer leurs finances publiques par une politique de défense dont ils ne perçoivent pas l'utilité. A défaut, une politique de solidarité vis-à-vis de l'effort de défense devrait être instituée, exigeant la participation à un niveau significatif de tous les Etats membres. Des actions sont à mener en ce sens à l'échelon européen.

Je ne peux donc que me réjouir de l'orientation souhaitée, à cet égard, par Paris, Rome, Bruxelles et Berlin lors de la réunion, lundi dernier, des ministres de la défense et des chefs de la diplomatie des Quinze.

Une telle orientation pourrait également être envisagée pour la recherche et la santé. On doit s'interroger sur la dépense publique et sur les objectifs à long terme ! Le débat est ouvert, mais je tenais à l'aborder brièvement aujourd'hui.

En conclusion, le groupe socialiste votera la proposition de loi initiale de M. Jean-Pierre Giran, relative à la représentation du personnel de DCN. Mais je laisse à ma collègue Josette Durrieu le soin de présenter la position de notre groupe sur GIAT Industries. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc.

Mme Hélène Luc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'aimerais tout d'abord à mon tour rendre hommage aux employés de DCN décédés lors d'un attentat terroriste à Karachi, voilà un an, et renouveler toute ma solidarité à leurs familles, en espérant que les conditions de cet attentat seront très vite élucidées.

La Haute Assemblée discute aujourd'hui d'une proposition de loi dont l'article 2 est inattendu. Initialement consacrée à la représentativité des salariés de DCN dans les instances représentatives de l'entreprise et des personnels, cette dernière s'est transformée en proposition de loi portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries.

Alors même que les mesures prises en faveur de DCN nous paraissaient satisfaisantes au vu de la situation actuelle de certains salariés, nous désapprouvons totalement celles qui concernent GIAT Industries et les conditions dans lequelles elles ont été déposées.

La discussion que nous entamons aujourd'hui induit un autre débat, qui porte sur l'industrie de la défense nationale.

Lors du vote de la loi de finances rectificative de 2001, le groupe communiste républicain et citoyen avait fait part de ses réserves sur le changement de statut de DCN. Intervenant au nom du groupe, j'avais exprimé notre inquiétude à propos d'une disposition prise dans la précipitation, sans que le processus nécessaire à la concertation ne se soit entièrement déroulé. Je plaidais alors pour que soit inscrit à l'ordre du jour de nos travaux un projet de loi spécifique garant de tous les droits des salariés et des missions de l'entreprise.

Le vote d'un article unique montre aujourd'hui ses limites.

La proposition de loi initialement déposée, l'actuel article 1er, permet de pallier les carences en matière de représentation de certains personnels de DCN.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont d'accord avec cette disposition qui résulte d'un consensus et qui constitue une avancée en matière de représentativité de salariés. En effet, les ouvriers d'Etat et les fonctionnaires civils et militaires auront désormais la possibilité de siéger dans les instances représentatives du personnel et au conseil d'administration ou de surveillance.

Ces considérations induisent cependant un autre débat puisque le passage, pour DCN, du statut d'entreprise nationale à celui de société de droit privé sera effectif à compter du 1er juin prochain.

Alors que le changement de statut avait pour objet d'assurer la pérennité à la fois de l'entreprise et des emplois, la direction confirmait, au mois de mars dernier, la suppression de plus de mille emplois sur une période de trois ans, les effectifs étant ainsi ramenés à 12 300 en 2005 ! Il s'agirait d'une véritable érosion de l'emploi dans ce secteur puisque, au total, plus de 4 000 emplois seraient touchés en six ans à peine. Qu'il s'agisse du plan social ou du non-renouvellement des salariés qui partent, le constat reste le même.

A ce jour, seuls les ouvriers d'Etat pourront maintenir leur statut jusqu'à la retraite. Les 2 500 fonctionnaires auront la possibilité de demander leur détachement ou leur mise en disponibilité pour conclure un nouveau contrat de travail.

En ce qui concerne les agents sous contrat, je regrette que cette proposition de loi n'envisage leur existence que de manière transitoire. Ce sont ainsi 800 agents contractuels mis à disposition qui devront choisir entre un contrat de droit privé type CDI s'ils désirent rester dans l'entreprise et une affectation dans un service de l'Etat. Ces employés, à l'instar de ceux qui partent en retraite, ne seront pas tous remplacés. Au final, 1 300 à 1 400 salariés sous contrat de droit privé - statut plus précaire - remplaceront 2 000 à 2 600 salariés.

Des interrogations apparaissent aussi pour les salariés mis à disposition de DCN. Ainsi, de quelles garanties disposeront les fonctionnaires pour réintégrer un ministère, notamment dans une période où votre gouvernement, madame la ministre, annonce un gel de l'emploi public et une réduction des dépenses publiques ?

En ce qui concerne GIAT Industries, je veux dire que je suis choquée, comme les salariés, de la manière dont s'est déroulé le dépôt de l'amendement visant cette entreprise. En effet, le dépôt de ce cavalier gouvernemental a eu lieu le jour même où les représentants des salariés et la direction se rencontraient pour finaliser l'accord d'entreprise qui a été signé le 12 mai dernier.

Après l'accord de méthode, j'apprécie que le délai pour le comité central d'entreprise ait été prolongé de deux mois, jusqu'en septembre prochain, allongement en faveur duquel j'ai ardemment plaidé, en particulier auprès de vous, madame la ministre, à plusieurs reprises, ainsi que de M. Vigneron, président-directeur général de GIAT Industries, lors de son audition par la commission des affaires étrangères.

Alors que l'on pouvait y voir une avancée et une lueur d'espoir pour le devenir de GIAT Industries, dans le même temps se produisait un véritable recul, ressenti comme un déni des négociations par les salariés.

Devant les protestations de mes amis députés du groupe communiste et républicain, vous avez affirmé, madame la ministre, que cet amendement avait été déposé à la demande de certains syndicats. Je veux redire ici qu'aucune demande n'a été faite dans ce sens lors des réunions officielles. Dès lors, je voudrais croire, madame la ministre, que la demande a été évoquée lors de réunions informelles. Mais elle n'a dans ce cas, aucune valeur officielle.

Ce n'est pas en allant à l'encontre des discussions en cours par le biais de l'article 2 que la situation au demeurant très difficile de GIAT Industries pourra être réglée.

Vous affirmez, madame la ministre, que cette disposition permettra de donner des garanties aux ouvriers sous décret.

Les salariés de GIAT Industries craignent, pour leur part, que cet amendement ne présage un blanc-seing législatif donné à la direction, lui permettant de supprimer les emplois des personnels à statut - ouvriers sous décret et fonctionnaires - sous couvert de leur reclassement dans la fonction publique, pour s'assurer, à terme, la présence exclusive de personnels placés sous contrats de droit privé. Les craintes des salariés sont d'autant plus vives que le reclassement risque de se révéler fort difficile, alors même que le Gouvernement annonce la réduction des effectifs de la fonction publique en ne remplaçant qu'un retraité sur deux.

L'intégration des ouvriers sous décret dans la fonction publique se fera sous la forme d'un contrat de droit privé, ce qui occasionnera, pour eux, la perte d'avantages importants.

Voilà quelques années encore, GIAT Industries était un véritable fleuron de l'industrie française en matière d'armement terrestre. Aujourd'hui, affaiblie par de nombreux plans de restructuration, des gestions hasardeuses - sous tous les gouvernements, semble-t-il -, des contrats mal négociés, cette entreprise est en train de dépérir, menacée une nouvelle fois de licenciements et de fermetures de sites partielles ou totales.

Madame la ministre, vous voudriez, avec l'article 2 de la présente proposition de loi, envisager le reclassement des personnels, alors même qu'il est nécessaire de décider de l'avenir de GIAT Industries. L'élaboration de propositions, les négociations, le travail conjoint entre représentants des salariés et enquêteurs sont en cours avec l'objectif de pérenniser les emplois.

Les syndicats travaillent également activement pour proposer des alternatives, à la fois civiles et militaires, afin de sauver leur entreprise du désastre. Un accent plus poussé devrait être mis sur la recherche. En un mot, GIAT Industries possède des ressources matérielles et humaines, des femmes et des hommes motivés, attachés à leur entreprise et prêts à se battre pour sauvegarder leur bassin d'emploi. Le Gouvernement doit les écouter et les aider.

Pour notre part, en cohérence avec nos propositions de développement de GIAT Industries et avant de connaître les positions des syndicats et des personnels, nous ne pouvons accepter que des reclassements soient envisagés.

Que ce soit pour DCN ou pour GIAT, les enjeux sont les mêmes, ceux de l'industrie française de l'armement. Je le redis, l'armement ne peut pas être considéré comme une marchandise lambda ballottée au gré du marché et des nécessités capitalistiques.

Ces deux entreprises sont des acteurs majeurs d'un service public. Nous craignons qu'elles ne soient démantelées à l'appel des chantres de l'économie libérale. Et pourtant, toutes deux possèdent un savoir-faire incomparable et des personnels hautement qualifiés qui ne demandent qu'à appliquer leurs compétences au service de la France.

La crainte de voir des fusions et des participations croisées faisant de notre industrie de l'armement un véritable marchand d'armes sans aucun contrôle autre que celui de l'argent et de la bourse n'est pas si éloignée.

Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous demandons un débat national au cours duquel l'Etat doit prendre la pleine mesure de ses responsabilités en la matière.

Que dire du paradoxe de l'industrie de défense française aujourd'hui, qui veut que les fonds publics soient de plus en plus utilisés pour financer des projets via des entreprises privées, leur permettant ainsi de devenir de plus en plus concurrentielles et compétitives ? Cette situation jette dans l'impasse la plus totale nos entreprises nationales.

La sous-traitance devient monnaie courante, sous-traitance qui s'opère aussi bien en France qu'à l'étranger. Je prendrai pour exemple la construction du deuxième porte-avions dont la maîtrise d'ouvrage doit incomber - je le souhaite ardemment - à DCN. Des rumeurs circulent - mais ce ne sont que des rumeurs - selon lesquelles la maîtrise d'ouvrage de la coque confiée à DCN serait sous-traitée en Espagne, voire en Pologne, pays qui donne ses crédits de recherche aux Etats-Unis et qui a acheté récemment des F16 américains plutôt que des Mirage français ! Ce serait un comble ! Mais j'espère, madame la ministre, que vous allez démentir ces rumeurs.

La conjoncture internationale nous montre aujourd'hui plus que jamais à quel point la défense et son industrie doivent être circonscrites et étroitement encadrées sur le plan national et, sous certains aspects, en étroite coordination avec l'Europe. Cela nous conforte dans l'idée que l'industrie de défense doit obligatoirement être intégrée dans un pôle public de l'armement au sein duquel GIAT Industries et DCN ont toute leur place. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Madame la ministre, avec le groupe socialiste, j'ai déposé un amendement de suppression de l'article 2. Avec beaucoup de respect mais tout aussi fermement, j'ai envie de vous dire que je conteste le procédé, voire la méthode utilisée par le Gouvernement dans cette affaire.

A l'Assemblée nationale, c'est par un cavalier législatif sur un texte concernant DCN - et non pas GIAT Industries - que vous avez introduit ce qui est devenu aujourd'hui l'article 2, dont nous demandons la suppression.

La méthode n'est pas bonne, le motif non plus.

Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait lever des blocages administratifs. C'est vrai, à certains moments, mais je ne crois pas que l'heure soit venue. En tout cas, c'est prématuré.

Vous semblez inverser l'ordre des facteurs dans la démarche qui a été définie et qui a été acceptée par votre gouvernement.

Y a-t-il urgence ? Non ! En revanche, il y a, à coup sûr, précipitation. L'accord de méthode, on vient de le rappeler, a été signé le 12 mai. Il repousse à septembre l'examen du plan Vigneron, ce qui nous laisse quelques mois.

Ce plan Vigneron entraîne, tout de même, la suppression de 4 000 emplois. Par conséquent, 4 000 familles seront durement touchées. Cela nous autorise à prendre le temps de la réflexion avant d'agir.

Le CCE se prononcera le 29 septembre sur le volet industriel et le 16 octobre sur le volet social. Ce délai est essentiel.

Pendant ce temps, des expertises seront conduites, des solutions de remplacement et des scénarios différents seront sans doute - je l'espère - formulés et, peut-être, sera-t-il demandé de retirer le plan Vigneron.

Je conteste également la légalité de votre démarche, madame la ministre.

L'accord de méthode suspend la procédure. Certes, il ne la suspend que provisoirement, mais il la suspend néanmoins. Or, vous, par des mesures législatives anticipées, vous voulez déjà gérer le reclassement. Je crois que vous n'en avez pas le droit.

Cherchez-vous à passer en force ? Je viens d'entendre les mots « déni des négociations ». Cherchez-vous à peser sur les discussions ? Voulez-vous diviser les salariés ?

L'objet du texte, c'est le statut des ouvriers sous décret. Mais, ai-je envie de dire : et les autres ? Qu'en sera-t-il des fonctionnaires, des agents sous contrat, des ouvriers d'Etat ? Y aura-t-il des discriminations ?

Nous avons besoin, nous aussi, de clarifications. Le plus grand flou règne. On ne sait pas grand-chose sur les « avantages » qui seraient consentis pas plus que sur les salaires.

J'ai envie de vous demander, madame la ministre, pourquoi le dispositif dérogatoire prévoit des mesures de reclassement au sein des collectivités territoriales ou de la fonction publique hospitalière, puisque, comme vous l'avez dit, à juste titre d'ailleurs, tout à l'heure, nous n'en sommes pas encore là. Pourtant, dans les Hautes-Pyrénées, deux anciens employés de GIAT Industries travaillent maintenant au conseil général.

Alors, faux espoirs ou illusions, comme l'a dit M. Vinçon ? Nous n'avons pas le droit d'agir ainsi et vous non plus, madame la ministre, car la situation est assez difficile et dramatique pour que nous procédions autrement.

Avec le groupe socialiste et le groupe communiste républicain et citoyen, je demande donc la suppression de l'article 2. J'ai envie de vous dire, madame la ministre : chaque chose en son temps.

Si je devais hiérarchiser les priorités, comme vous, je dirai : sauvons GIAT Industries et préservons les emplois. J'adhère d'ailleurs à certaines de vos réflexions, notamment lorsque vous avez parlé des responsabilités de chacun qui nous ont conduits à la situation présente. Toutefois, le plan Vigneron ne nous donne pas du tout l'impression de viser à sauver l'entreprise. Au contraire, il tend à supprimer 4 000 emplois.

J'évoquerai maintenant les solutions de remplacement, car il est temps de les examiner. Nous avons le sentiment qu'il y en aura, et je voudrais à cet égard que vous répondiez, madame le ministre, à toutes les questions que je me pose parce que je suis vraiment dans un état de frustration. Or, nous sommes des élus de la République.

Quelles perspectives la France a-t-elle en termes de défense nationale si GIAT Industries ne compte plus que 2 000 à 2 500 personnes ?

Vous parlez en permanence, madame la ministre, d'alliances. Lesquelles ?

Certes, vous l'avez indiqué, certaines n'ont pas été conclues auparavant au niveau de l'Europe - c'est un fait que j'admets - mais quelles alliances introuvables devrait-on conclure demain ? Dites-nous-en un peu plus si vous voulez que nous adhérions à vos propos et aux propositions que vous allez formuler parce que, dans l'immédiat, nous n'avons pas de réponses aux questions que nous nous posons.

Par ailleurs, vous avez indiqué que le plan de restructuration, dit plan Vigneron, qui commencera sûrement par un plan social, sera exemplaire en termes de reclassement. Je n'en doute pas, mais j'attends de voir.

Or c'est probablement le domaine dans lequel vous ferez les plus grands efforts. Soit dit en passant, comptez sur d'autres que sur nous, les collectivités territoriales, car nous savons ce que nous avons déjà donné : dans les Hautes-Pyrénées, nous avons perdu 10 000 emplois en dix ans, et nous les avons reconstitués. Cela signifie que nous avons usé toute notre énergie, toute notre substance. Nous savons qu'aujourd'hui tout emploi perdu, même au GIAT, l'est définitivement. On pourra toujours mettre de l'argent à notre disposition, vous savez très bien qu'il n'y aura pas de projet pour autant.

C'est pourquoi nous voulons connaître le contenu exact du plan industriel. Ne serait-ce que pour l'armement, un savoir-faire s'est constitué sur tous les sites, mais notamment à Tarbes, et je crains qu'il ne soit sur le point d'être perdu.

Il vous faudra donc nous convaincre, madame la ministre, que vous avez réellement l'intention de nous aider à préserver notre aménagement du territoire. Nous avons de sérieuses raisons de douter que vous le ferez, car nous avons le souvenir de ce que d'autres avant vous ont réalisé, ou n'ont pas réalisé. Ces promesses sont, si je puis dire, une « tarte à la crème » sous laquelle il n'y a pas grand-chose. Or il est évident que nous avons besoin non seulement d'argent, mais surtout de projets.

Madame la ministre, des textes existent, que vous devez respecter. L'accord de méthode s'impose dans sa lettre et dans son esprit : rien ne vous obligeait à engager ce processus administratif de façon aussi précipitée pour régler certains problèmes par anticipation. Mais surtout, nous devons, vous comme nous, respecter les salariés. En ce moment la douleur, au-delà de la colère, est profonde, et vous le savez. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Robert Bret applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer solennellement la mémoire de nos compatriotes décédés voilà un an dans un attentat odieux commis à Karachi. Qu'il leur soit ici publiquement et officiellement rendu hommage, au moment où nous évoquons leur entreprise, DCN.

Vous comprendrez aisément que, lors de l'examen de la proposition de loi portant diverses dispositions relatives à certains personnels de DCN et GIAT Industries, l'intervention du parlementaire que je suis, élu du département de la Loire, se devait d'être exclusivement consacrée à l'amendement du Gouvernement, adopté par l'Assemblée nationale, qui constitue aujourd'hui l'article 2 du texte et qui porte sur le devenir de GIAT Industries.

L'annonce faite le 7 avril 2003 au comité de groupe du projet de restructuration de GIAT Industries, dans le cadre de la procédure d'information et de consultation des instances représentatives du personnel, a fait l'effet d'un coup de tonnerre et n'a pas manqué de traumatiser, une fois encore, les employés et les élus locaux des départements concernés. Il s'agit, chacun le sait, de la sixième tentative de sauvetage de GIAT Industries.

Le département de la Loire, que je représente ici, a donc, si vous me passez l'expression, « encaissé » cette annonce de plein fouet, puisqu'il est concerné à travers deux sites : Roanne et Saint-Chamond.

Le précédent plan stratégique, économique et social, qui portait sur les années 1999 à 2002, aurait dû assurer les conditions du retour à l'équilibre de GIAT Industries. Ce ne fut malheureusement pas le cas.

Des responsabilités doivent être dégagées, et je les chercherai d'abord du côté de feu la majorité plurielle (Applaudissements sur les travées de l'UMP.),...

M. Alain Dufaut. Bravo !

M. Bernard Fournier. ... qui, pendant les cinq années où elle a été aux affaires, a refusé de prendre les décisions qui s'imposaient.

Je l'entends aujourd'hui vilipender l'action du Gouvernement, et je me sens enclin, sinon autorisé, à l'inviter à un peu plus de pudeur et de retenue, car quelques comptes rendus de débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale pendant la législature précédente pourraient bien la faire pâlir ! Mais il s'agit là d'un autre débat...

Force est de se rendre aux évidences : d'une part, le carnet de commandes n'a cessé de diminuer à cause de l'arrêt, programmé pour 2005, de la production du char Leclerc, qui représentait les deux tiers de l'activité ; d'autre part, des pertes structurelles polluent les résultats du groupe depuis 1990, avec 4 milliards d'euros de pertes cumulées compensées par 3,4 milliards d'euros de recapitalisation. Voilà ce qui a conduit à la gabegie qui frappe GIAT.

Le résultat est là : le groupe est à la croisée des chemins, et le sénateur qui vous parle est tiraillé entre le point de vue purement comptable qui prend en considération les obligations d'une entreprise tenue de rendre des comptes à la nation et la perspective de l'élu local ligérien qui déplore le gâchis social et humain qui frappe son département.

Toutes les bonnes volontés doivent dorénavant agir dans le même sens : il est ainsi heureux que, à la suite de l'accord du 11 mai, direction et syndicats soient convenus d'un délai supplémentaire afin que le comité central d'entreprise mandate deux cabinets d'experts dont la mission sera d'envisager toutes les solutions possibles. La procédure destinée à mettre en place la restructuration devrait être lisible au mois d'octobre (Mme la ministre opine) ; d'ici là, l'Etat doit apporter toutes les garanties aux personnels, quel que soit leur statut. C'est en partie, me semble-t-il, le sens de notre débat.

Mes chers collègues, soyons bien conscients que la réorganisation de l'entreprise qui est envisagée aujourd'hui représente d'abord une saignée d'une ampleur telle qu'elle ne peut que susciter l'inquiétude et la colère, non seulement chez les salariés, mais aussi chez les élus. Elle est aussi, il faut bien le dire, la dernière chance donnée à cette entreprise.

Je citerai quelques chiffres, car, s'ils sont triviaux, ils sont nécessaires pour prendre la juste mesure du cataclysme social à venir : 3 750 emplois vont être supprimés dans les trois prochaines années, touchant les deux tiers des effectifs ; deux sites de production vont purement et simplement fermer leurs portes : Saint-Chamond et Cusset ; d'autres implantations, Roanne, Tarbes et Tulle, vont être victimes, pour parler avec pudeur, de l'« allégement » drastique de leurs effectifs. Pour être plus concret encore, 900 emplois seront supprimés à Roanne et 700 à Saint-Chamond.

La facture payée par le département de la Loire est à mon sens la conséquence d'une imprévision coupable de la direction du groupe, et il faut avoir le courage de le dire. Les élus et les représentants du personnel, mais aussi la population, tous sont écoeurés, le mot n'est pas trop fort.

Je demeure persuadé que, si les précédentes équipes avaient fait d'autres choix, GIAT Industries ne connaîtrait sans doute pas le marasme qu'il traverse.

Le ministre Alain Richard aurait dû sommer la direction de revoir ses choix ; il ne l'a pas fait. Il est vrai, mes chers collègues, que l'attentisme électoral de la précédente majorité n'inclinait pas aux décisions courageuses : le dossier des retraites dont nous débattrons bientôt me paraît en être la cuisante illustration !

Il est l'heure non plus de hurler avec les loups, mais bien de prendre ses responsabilités, et j'ai noté que, à maintes reprises, le Gouvernement a manifesté son souhait d'assumer la part qui lui incombe à l'égard des personnels. Il faut s'en féliciter.

Je considère néanmoins, comme beaucoup, que la vision prospective a manqué, et, au-delà de la seule question de la viabilité de l'entreprise, la représentation nationale devra s'interroger sur la volonté passée des directions de GIAT Industries de participer au maintien d'une industrie puissante de l'armement. Un hiatus apparaît entre les objectifs jadis affichés et les moyens qui leur ont été consacrés.

Le maintien de ce secteur industriel est, aux yeux de la majorité, la garantie de l'indépendance de notre pays. Cette indépendance n'est ni négociable ni soluble dans la mondialisation. Elle l'est d'autant moins que la France a enfin retrouvé la voix qui lui revient sur une scène internationale crispée, remodelée, et qui risque de conduire à un monde unipolaire.

Jean-Pierre Raffarin et vous-même, madame le ministre, marquez de ce fait une rupture lisible avec l'équipe de Lionel Jospin : vous assumez pleinement le choix d'une industrie nationale de l'armement rationalisée et recentrée sur les besoins d'une armée de métier voulue par M. le Président de la République, Jacques Chirac.

J'ai bien conscience, madame le ministre, que le Gouvernement a été acculé à des choix douloureux. Je le déplore ! Je veux bien comprendre que c'est parce que notre pays est soucieux de son indépendance stratégique que le Premier ministre et vous-même avez autorisé GIAT à remodeler son organisation. Je lis d'ailleurs les crédits affectés par la loi de programmation militaire, que j'ai votée, comme un gage de cette ligne politique. En approuvant ces crédits, nous avons validé le principe du maintien d'une industrie d'armement, même si, je le confesse, le volet concernant GIAT ne répond pas aux attentes des élus de la Loire.

Des interrogations se sont exprimées ici même sur les mesures à venir concernant les salariés qui ne bénéficient pas du statut d'agent public ou d'ouvrier d'Etat. Il faudra les lever. Peut-être nous en direz-vous plus tout à l'heure, madame le ministre.

Des inconnues subsistent sur les retombées indirectes en termes d'aménagement du territoire et d'emplois induits. Le devenir des sites est une autre question qui nous préoccupe : il s'agit d'un patrimoine industriel important qui risque de dégénérer en véritables friches urbaines. Là aussi, la vigilance s'impose à chacun.

Revenons à la question des personnels : à situation exceptionnelle, moyens exceptionnels ! Je me félicite que la procédure utilisée par le Gouvernement en première lecture à l'Assemblée nationale traduise son implication et donne un signe éloquent au personnel de l'entreprise. Gardons toutefois à l'esprit que la voie législative, rendue nécessaire par l'existence de certains statuts spécifiques, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Il reviendra à la négociation entre tous les acteurs concernés d'assurer l'essentiel des mesures sociales de reclassement et d'accompagnement.

J'en viens au fond du texte soumis à l'examen de la Haute Assemblée, toujours en me limitant au volet « GIAT ».

Il concerne les ouvriers sous décret, soit la moitié des effectifs. L'article 2 dessine le schéma de l'intégration de ces personnels dans la fonction publique. Quelques difficultés juridiques demeurent qu'il convient de lever, car les trois fonctions publiques ont naturellement vocation à assurer à ces personnels la voie normale de leur reclassement. Le dispositif exceptionnel que nous examinons constitue donc une diversification des solutions offertes aux salariés.

Dans un contexte aussi douloureux, il était nécessaire que les ouvriers concernés gardent les droits et avantages qu'ils ont acquis à la force de leurs compétences et de leur expérience : il en va ainsi de la durée indéterminée de leur contrat et des dispositions relatives à leur régime de retraite. Ce sera chose faite avec l'adoption du dispositif envisagé par le Gouvernement.

Enfin, il est utile de souligner que la démarche gouvernementale recueille un large assentiment. Il sera toutefois nécessaire, à l'avenir, d'apporter de solides garanties aux personnels qui ne sont pas visés par l'amendement gouvernemental, même si l'implication de Mme le ministre de la défense dans la mise en oeuvre du nouveau plan social, je le dis très sincèrement, est de nature à rassurer les organisations syndicales et les élus locaux. Ainsi, 40 % des effectifs bénéficieront d'une démarche individualisée intégrant la compensation financière et leur assurant un reclassement professionnel.

Pour le futur, il sera rigoureusement indispensable que le Parlement contrôle plus efficacement l'action de la direction de GIAT Industries et que le ministre de la défense informe la représentation nationale du suivi social prévu dans le plan de restructuration.

La proposition de loi qui nous est soumise répond donc à une demande des personnels. Saluons l'esprit de responsabilité du Gouvernement ! Elle tend à lever les obstacles administratifs aux reclassements et ne peut donc qu'être consensuelle.

Ne pas la voter, ce serait refuser d'aider les salariés. Que ceux qui s'y opposeront assument leur choix devant les ouvriers ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Louis Moinard.

M. Louis Moinard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui nous conduit à réfléchir sur les restructurations qui sont en cours dans l'industrie française d'armement.

En effet, si le texte initial de la proposition de loi, présentée à l'Assemblée nationale par M. Jean-Pierre Giran, ne concernait que la construction navale militaire au travers de la question de la représentation des personnels au sein de diverses instances de DCN, un amendement déposé par le Gouvernement nous amène à considérer également les efforts de restructuration de GIAT Industries, c'est-à-dire de l'armement terrestre.

Aussi, je voudrais poser trois principes qui doivent guider l'indispensable restructuration de ces secteurs.

Premier principe : il faut assurer la pérennité et la compétitivité de notre industrie d'armement.

Les restructurations actuelles ne sont pas les premières tentatives pour redresser un secteur qui connaît des difficultés depuis plusieurs années. Mais force est de constater que les efforts déjà consentis n'ont pas suffi : sans restructuration, il y a malheureusement fort à parier que notre industrie d'armement serait amenée à péricliter, voire, à terme, à disparaître. Or, tant pour des questions de défense nationale que pour des raisons liées à notre participation à la construction d'une réelle défense européenne, nous ne pourrions accepter de voir disparaître ce savoir-faire.

Deuxième principe : il faut assurer la transformation de ces industries en tenant compte des attentes légitimes de leurs personnels.

Les personnels concernés par le texte que nous discutons aujourd'hui ont déjà consenti de nombreux efforts. Il ne serait pas acceptable que les restructurations envisagées se fassent en l'absence de solutions recevables pour chacune des catégories de personnel. Or, qu'il s'agisse des modes de représentation de certains personnels de DCN ou des possibilités de reclassement de certains personnels de GIAT Industries, je constate que des réponses précises sont apportées.

Troisième principe : ces restructurations doivent comporter un important volet d'accompagnement des collectivités locales concernées.

Les restructurations des industries de défense ont un effet considérable sur les territoires qui les accueillent. Bien souvent, elles sont synonymes de pertes d'emplois importantes pour des collectivités dont, par ailleurs, l'économie subit déjà des reconversions. Il faut souligner la nécessité que ces restructurations soient accompagnées d'une aide spécifique aux collectivités concernées.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les trois principes que, au nom du groupe de l'Union centriste, je souhaitais rappeler dans la discussion générale de cette proposition de loi. Je suis d'ailleurs convaincu qu'ils guident l'action du Gouvernement.

Les restructurations de l'industrie d'armement française sont indispensables ; il faut les mener en fonction des impératifs de la défense nationale, tout en acceptant les efforts à fournir en faveur des personnels et des collectivités.

Je tiens, pour conclure, à remercier le président de la commission et le rapporteur.

Avec le groupe de l'Union centriste, je voterai la proposition de loi telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Je souhaite remercier chacun des orateurs de la modération et du sérieux dont ils ont fait preuve en présentant leurs arguments, même si, bien entendu, je ne les partage pas tous.

Sans revenir sur le fond du débat relatif aux restructurations, car ce n'est pas le lieu, j'essaierai de répondre à un certain nombre de questions qui ont été posées.

M. Godefroy m'a interrogée sur le coût de la transformation de DCN et sur divers éléments qui font partie du contrat d'entreprise.

Je rappelle que, s'agissant de la capitalisation de DCN, la participation de l'Etat s'élève non pas à 540 millions d'euros de fonds propres, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, mais à 560 millions d'euros.

En ce qui concerne l'apurement du passif, 691 millions d'euros sont couverts par des reprises de provisions, par des apports d'actifs et par des apports de trésorerie. Le coût total de l'opération s'élève donc à 1 250 millions d'euros.

Par ailleurs, pour ce qui est du contenu du contrat d'entreprise, j'ai eu l'occasion d'indiquer, à plusieurs reprises, que des engagements ont été pris, y compris au moment de la loi transformant DCN en entreprise nationale. Bien entendu, ces engagements seront tenus au fur et à mesure, car il est un certain nombre de points sur lesquels je ne peux pas vous répondre aujourd'hui. Par exemple, s'agissant des frégates multi-mission, dont nous discutons actuellement avec l'Italie, il m'est impossible de vous dire quelle sera leur part.

De la même façon, en ce qui concerne le porte-avions, toutes les supputations et rumeurs que l'on peut entendre sont dénuées de tout fondement. En effet, à l'heure actuelle, nous ne connaissons ni le modèle de porte-avions que nous allons retenir ni avec qui nous traiterons. Il faut être donc extrêmement vigilant s'agissant des rumeurs.

Avant d'aborder un point qui a été évoqué par plusieurs d'entre vous, à savoir la politique européenne de défense et la politique industrielle de défense, je souhaite répondre à l'une de vos questions concernant plus spécifiquement DCN et qui prend évidemment une dimension toute particulière aujourd'hui : il s'agit de la sécurité des personnels. Je suis peut-être plus sensible que quiconque à ce problème, mais il est évident que notre préoccupation première, lorsque nous signons un contrat, c'est d'abord la sécurité des personnels qui sont appelés à travailler à l'étranger. Nous avons revu, pays par pays, l'ensemble des données, et, par conséquent, les adaptations qui doivent être apportées. Car aucune mesure générale ne peut être envisagée ; cela dépend du contexte !

Vous m'avez également interrogé sur nos industries d'armement, en l'absence, dites-vous, d'une politique européenne de défense.

La France a besoin - et elle en a la capacité - d'avoir des industries d'armement nationales compétitives. C'est d'ailleurs tout le sens du changement de statut de DCN ; c'est également le sens de ce que nous voulons faire à GIAT Industries. Mais pour avoir des industries compétitives, encore faut-il tenir compte des réalités. Cela a été mentionné excellemment à plusieurs reprises, notamment par M. Fournier : des industries dont le carnet de commandes est vide ou dont les coûts sont sans commune mesure avec ceux du marché ne tiennent pas très longtemps. Il est vrai que l'Etat français passe des commandes - de ce point de vue, il joue son rôle -, mais si aucune exportation n'est possible, ces industries ne seront pas viables, pour des raisons non seulement économiques, mais également stratégiques.

La France fonctionne de plus en plus en interopérabilité avec d'autres pays, qu'ils soient européens ou non. Or, dès lors que des produits ne sont utilisés que par nous, cela pose de sérieux problèmes au niveau de l'interopérabilité.

C'est la raison pour laquelle il nous faut appliquer un principe de réalisme : les entreprises doivent fonctionner selon la réalité du marché, c'est-à-dire correspondre à des marchés effectifs. C'est ce qui explique la différence entre ce que nous faisons pour GIAT Industries aujourd'hui et ce qui a été fait dans le passé, où il n'a pas été tenu compte de cette réalité : on a agi comme si les chars Leclerc allaient continuer à être largement produits après 2005, alors que l'on savait déjà que ce ne serait pas le cas.

De la même façon, il faut tenir compte du prix de revient, car il n'est pas possible qu'il soit deux ou trois fois supérieur à celui du marché. C'est essentiel, car nous sommes en train de construire une Europe de la défense et une industrie européenne de l'armement.

Pour ce qui est de l'Europe de la défense - je n'y reviendrai pas, nous avons déjà eu l'occasion d'en parler - je vous avais dit que nous irions en Macédoine, et nous y sommes. Même si c'est une petite opération, pour la première fois, l'Union européenne a pris la relève de l'OTAN. Je pense qu'il en sera de même l'année prochaine en Bosnie.

Avant-hier encore, j'étais à Bruxelles, avec mes collègues ministres de la défense des différents pays de l'Europe et nous avons avancé dans ces différents domaines. Aujourd'hui, nous sommes passés des groupes d'étude sur nos lacunes capacitaires aux groupes de projets dans un certain nombre de domaines. Par ailleurs, nous avons décidé d'élargir les premiers groupes qui avaient été fondés à Athènes voilà quelques mois

Cela signifie que l'Europe de la défense progresse, d'autant qu'elle intègre également la dimension de l'industrie de l'armement à l'échelon européen. Le principe de la création d'une agence de définition et de fabrication des armements a été acquis. Nous l'avons d'abord acté avec nos collègues britanniques au Touquet, puis elle a fait l'objet d'une large approbation, sinon d'une unanimité, lors de notre réunion de lundi dernier. Il est prévu que cette création fasse partie des conclusions de la convention. Donc, là aussi, on avance !

Mme Durrieu m'a interrogée sur les prespectives d'alliances européennes de la France, y compris en ce qui concerne GIAT Industries. Un certain nombre d'entreprises, qu'elles soient françaises, allemandes ou britanniques, ont fait savoir qu'elles étaient intéressées par les savoir-faire de ces entreprises, mais qu'elles n'envisageaient pas de passer une quelconque alliance avec une entreprise qui se trouverait dans une situation financière désastreuse.

Par conséquent, un certain nombre de contacts ont été établis. Des gens sont effectivement intéressés, mais par une entreprise dont ils puissent être sûrs de la fiabilité à long terme. Tel est l'objectif que nous nous sommes fixé.

Voilà ce que je voulais vous dire, d'une façon générale, sur la politique européenne de défense, sur l'industrie européenne de l'armement et sur les perspectives de la France.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de la transformation de DCN, tout le monde s'accorde sur le fait que, au moment où nous parvenons au bouclage de cette opération, toutes les garanties doivent être apportées au personnel, qui sera totalement associé à l'opération.

Pour ce qui est de GIAT Industries, je veux répondre à la préoccupation d'un certain nombre d'entre vous, notamment M. Moinard, M. Fournier et Mme Durrieu s'agissant de la participation de l'Etat, particulièrement en matière d'aménagement du territoire. Il est vrai que l'Etat interviendra dans GIAT Industries à la fois en tant qu'actionnaire et en tant que client. Un contrat d'entreprise sera conclu. La loi de programmation militaire que vous avez votée constituera un élément important de pérennisation.

Par ailleurs, l'Etat jouera son rôle en matière d'aménagement du territoire - nous en avons déjà discuté - en aidant les collectivités territoriales. En tant qu'ancien maire j'y suis particulièrement sensible, car je sais ce que représente la fermeture totale ou partielle d'une entreprise.

Nous avons donc l'intention de soutenir au maximum la création d'activités au travers de nouvelles entreprises. Je pense que, d'ici à quelques jours, pour les uns, d'ici à quelques semaines, voire un peu plus, pour les autres - cela dépendra des situations - mais, en tout cas, d'ici à la fin du plan qui s'étalera sur trois ans, nous aiderons effectivement certaines activités qui seront situées concrètement sur un certain nombre de sites. En outre, l'Etat jouera pleinement son rôle en matière d'aide à l'attractivité des sites.

L'Etat a également l'intention de jouer son rôle à l'égard des différentes catégories de personnel. Je ne crois pas que l'on puisse parler à leur égard, madame Durrieu, de discrimination. Ce n'est pas parce que l'on s'intéresse aux uns en essayant de trouver une solution adaptée à leur statut que l'on se désintéresse des autres. Si les autres ont un statut différent, ce ne sont ni les mêmes règles qui s'appliquent ni les mêmes problèmes qui se posent.

En ce qui concerne les salariés sous convention collective, je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons choisi d'offrir des solutions individualisées et une prise en charge personnelle, à chacun de ceux qui le souhaitent. Toutefois, pour les ouvriers sous décret, qui relèvent plus particulièrement de l'Etat, nous essayons de trouver des solutions, notamment en vue de favoriser leur reclassement.

Alors, je ne peux pas laisser dire que l'amendement du Gouvernement aurait été déposé dans l'urgence. Je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que je vous ai parlé de la nécessité de procéder à un aménagement législatif lorsque je suis venue devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat en précisant que je vous saisirai d'un texte.

M. Jean-Guy Branger. C'est exact !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Cela remonte à plusieurs mois. Nous avons évoqué pour la première fois ce dossier à l'occasion de la discusion de la loi de programmation militaire, puis au moment de l'examen du budget.

A l'époque, je ne pouvais pas vous dire quel serait le contenu de ce texte, Mais, à partir du moment où vous était présenté un autre texte, j'y ai ajouté celui-ci. D'ailleurs, je vous avais alors indiqué que je ne savais pas quelle forme il prendrait : un projet de loi ou autre.

Il n'y a donc là ni urgence ni précipitation. Un seul intérêt est pris en compte : celui des salariés. En effet, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis sensible à la détresse des personnels qui sont aujourd'hui concernés par ce projet. Ils ont des compétences reconnues, et ils le savent. Or, depuis dix ans, c'est le sixième plan qui les touche. Même si celui-ci se présente sous une forme totalement différente des précédents, puisqu'il donne de véritables assurances - je peux les garantir, puisqu'elles figurent dans la loi - les personnels ont besoin d'être confortés. Mon souci est de les rassurer psychologiquement en leur montrant que le Gouvernement, conscient de leur inquiétude, fait un geste à leur égard et que des solutions seront apportées à leurs problèmes. Libre à vous de leur dire que vous vous désintéressez de leur angoisse et de leurs problèmes ! Mais il me paraît plus responsable d'essayer d'apporter à un certain nombre d'entre eux la garantie que leurs problèmes seront pris en compte et de leur dire que la possibilité qui leur est aujourd'hui offerte l'est dans leur seul intérêt.

Tel est le sens du présent texte. Je remercie ceux qui apporteront leur soutien à cette proposition de loi, ainsi amendée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.