COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ? ...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR

D'UNE QUESTION ORALE

M. le président. J'informe le Sénat que la question n° 321 de M. Jean-Pierre Godefroy est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 28 octobre 2003, à la demande de son auteur.

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RÈGLEMENT DÉFINITIF DU BUDGET DE 2002

Adoption d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi de règlement du budget de 2002
Art. 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 5, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 2002. [Rapport n° 35 (2003-2004).]

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd'hui le projet de loi de règlement définitif du budget pour 2002, quatre semaines avant l'examen au Sénat du projet de loi de finances pour 2004.

Nous respectons donc pleinement la loi organique relative aux lois de finances, qui prévoit un enchaînement rationnel des exercices budgétaires. Ce « chaînage vertueux », selon l'expression utilisée par M. le rapporteur général dans son rapport écrit, commence au printemps avec le débat d'orientation budgétaire et continue avec l'examen de la loi de règlement de l'année écoulée, qui doit avoir lieu avant celui du projet de loi de finances.

L'objectif est, évidemment, de tirer les enseignements de la dernière gestion achevée avant de statuer sur le budget de l'année à venir.

La gestion 2002, il est vrai, est parfaitement connue de la commission des finances, puisque je suis venu devant elle le 4 février pour en présenter les résultats.

Pour autant, il est utile d'y revenir aujourd'hui pour vous exposer les enseignements que le Gouvernement a tirés de 2002, que ce soit pour l'exécution 2003 ou pour la construction du projet de loi de finances pour 2004. C'est d'ailleurs cette méthode qu'utilise M. le rapporteur général, lui aussi, dans son excellent rapport écrit.

Le constat est celui d'une année difficile en raison du ralentissement conjoncturel, qui a engendré une profonde détérioration de la situation de nos finances publiques en 2002.

Rappelons-nous que l'année 2001 avait d'ores et déjà marqué une inflexion de tendance. Le déficit budgétaire avait cessé de s'améliorer, le déficit des administrations publiques était passé de 1,3 % du PIB à 1,4 %. Philippe Marini et moi-même avions, à cette tribune, fait le même constat : 2001 contenait en germe les dérives de 2002.

La dégradation s'est amplifiée en 2002, avec un déficit budgétaire creusé de 17 milliards d'euros par rapport à 2001 et de 19 milliards d'euros par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2002. Les déficits publics, pour leur part, ont atteint 3,1 % du PIB et ont plus que doublé par rapport à 2001.

Pourquoi une telle dégradation ? Les causes, parfaitement connues, sont au nombre de deux.

La première cause tient à des recettes fiscales inférieures de 4,6 milliards d'euros à celles qui ont été encaissées en 2001 et de 10 milliards d'euros à celles qui ont été prévues en loi de finances initiale pour 2002. Un quart seulement de cet écart à la loi de finances initiale est imputable à la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu, opérée dans le collectif d'été 2002.

L'essentiel est ailleurs. Il réside, d'abord, dans la forte diminution de l'impôt sur les sociétés et, ensuite, dans la très faible progression de la TVA et de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, la TIPP, qui sont, vous le savez, des impôts sensibles à la conjoncture économique.

Une seconde cause de dégradation réside dans le dérapage constaté sur les dépenses, qui s'élève à 7,1 milliards d'euros entre l'exécution et la loi de finances initiale pour 2002.

Ce dérapage a quatre origines : la sous-budgétisation de la loi de finances initiale, la décision du Gouvernement d'apurer les dettes de l'Etat, notamment vis-à-vis de la sécurité sociale, des consommations de crédits reportés des exercices précédents et, enfin, pour une petite partie, des décisions discrétionnaires du Gouvernement auquel j'appartiens, notamment sur la sécurité et sur la défense. Le montant de ces décisions peut être évalué à environ 600 millions d'euros.

La responsabilité du présent Gouvernement dans les déficits de 2002 est donc, comptablement, d'environ 3 milliards d'euros, à comparer à l'aggravation totale de 19 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2002. Cette somme de 3 milliards d'euros a permis, en retour, de commencer à améliorer les moyens consacrés à la sécurité des Français et d'amorcer un programme de baisse d'impôt destiné à remettre à l'honneur, dans notre pays, l'encouragement au travail et à l'effort.

Tel était, d'emblée, le cap du Gouvernement. Nous l'avons intégralement maintenu en 2003 et pour 2004. Au total, nous aurons baissé de 10 % l'impôt sur le revenu. Nous consacrerons à nos priorités 4 milliards d'euros supplémentaires en 2004 par rapport à 2002, au profit essentiellement de la sécurité des Français.

En revanche, le Gouvernement ne se résigne pas à la fatalité d'un déficit qui s'aggrave. Voilà qui me conduit à évoquer, au-delà des chiffres, les enseignements de la gestion de 2002.

Le premier de ces enseignements a trait à la nécessité, pour l'avenir, d'améliorer notre déficit structurel. Nous avons démontré, lors de la présentation du budget pour 2004, combien la situation s'était dégradée entre 1999 et 2002, conduisant inéluctablement à la plongée des déficits nominaux lors du retournement conjoncturel.

Rappelons que, lors de ces années 1999-2002, plus de 20 milliards d'euros de dépenses nouvelles pérennes ont été créées. Il s'agit des 35 heures, financées par le budget de l'Etat, de la couverture maladie universelle, de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie, de l'aide médicale d'Etat, des 48 000 créations d'emplois budgétaires supplémentaires et, enfin, des 250 000 emplois-jeunes.

Ces dépenses nouvelles ; c'est chaque année l'équivalent de plus de quatre fois ce que notre pays peut consacrer à sa justice ; c'est plus de deux fois ce qu'il peut consacrer à sa sécurité, sa police et sa gendarmerie confondues. C'est aussi, lorsque nous examinons les comptes de l'année 2002, près de la moitié des déficits publics.

Ces dépenses nouvelles, le précédent gouvernement les a créées, mais il a oublié de les financer. Ainsi, l'allocation personnalisée d'autonomie, qui coûte 3,7 milliards d'euros était sous-financée à concurrence de 1,2 milliard d'euros. Je sais combien le Sénat est sensible à cette situation qui est à l'origine de l'essentiel de la hausse des impôts locaux départementaux constatée ces derniers mois.

Confronté à ces dépenses pérennes, le Gouvernement ne baisse pas les bras : il entreprend de redresser la situation.

C'est ainsi que nous aurons, en 2003 et en 2004, commencé de réduire les effectifs de l'Etat de près de 6 000 emplois au total, en ne remplaçant pas automatiquement les départs à la retraite. A terme, nous retrouverons ainsi des marges de manoeuvre budgétaires, sans altérer la qualité du service offert aux Français.

C'est ainsi que nous mettons un terme au dispositif des emplois-jeunes, ce qui nous permet de diminuer de 1,2 milliard d'euros chaque année les dépenses de l'Etat. Nous avons fait, en effet, le choix d'une politique de l'emploi résolument tournée vers l'encouragement à l'emploi marchand, avec les allégements de charges et la progression du SMIC, la création du revenu minimum d'activité, l'augmentation de la prime pour l'emploi et le nouveau contrat jeune en entreprise.

Outre la résorption progressive de nos déficits structurels, nous avons résolument décidé, en 2003, de maîtriser nos dépenses en exécution. Il n'était évidemment pas possible de respecter l'autorisation parlementaire initiale en 2002. Le Gouvernement avait d'ailleurs choisi d'emblée de vous soumettre un collectif budgétaire majorant de 5 milliards d'euros les dépenses de l'Etat pour faire face aux sous-budgétisations de la loi de finances initiale et apurer les dettes de l'Etat.

La loi de finances de 2003, en revanche, sera exécutée conformément à l'autorisation parlementaire. Nous avons à cet effet constitué une réserve de précaution de 4 milliards d'euros et mis en réserve 7 milliards d'euros de crédits reportés des gestions précédentes. Sur ces sommes, 2,8 milliards d'euros ont d'ores et déjà été annulés. Nous poursuivrons cette action en collectif de fin d'année, afin de ramener les crédits de report à un niveau raisonnable. Je ne peux, à cet égard, que souscrire à l'expression utilisée par votre rapporteur général : le niveau atteint par les reports de crédits à la fin de la précédente législature faisait peser une véritable épée de Damoclès sur la bonne exécution du budget de l'Etat en dépenses. Nous mettons progressivement un terme à cette situation.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Nous atteindrons nos objectifs de maîtrise de la dépense, pourvu que tous soient convaincus qu'il y va de l'intérêt supérieur de l'Etat. Je sais pouvoir compter sur la commission des finances pour le rappeler autant de fois qu'il sera nécessaire. Je compte sur vous, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, ainsi que sur vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Enfin, je voudrais, pour terminer mon propos, aller au-delà de l'exécution budgétaire proprement dite.

Tout d'abord, je rappelle que le compte général de l'administration des finances contient, cette année, trois documents évaluant les engagements financiers de l'Etat au titre des pensions des fonctionnaires des garanties accordées par l'Etat et des engagements en matière d'épargne-logement. Nous progressons en matière de transparence, monsieur le président de la commission.

Les engagements au titre des pensions à servir ultérieurement aux fonctionnaires en activité s'élèvent à 700 milliards d'euros. Ce chiffre dépend du taux d'actualisation retenu et n'est pas, en lui-même, inquiétant. Il le serait devenu si le Gouvernement n'avait pas assuré, avec vous, et grâce à votre appui, la soutenabilité de nos systèmes de retraite et n'avait pas manifesté une ferme volonté de maîtriser l'évolution des effectifs afin d'éviter le développement incontrôlé du « hors bilan » de l'Etat.

S'agissant, par ailleurs, des garanties, j'indique que le Gouvernement a l'intention de vous soumettre, en collectif de fin d'année, un article autorisant de manière expresse les garanties données par l'Etat, conformément à la loi organique.

Enfin, le compte général de l'administration des finances évalue, en 2002, à 10 milliards d'euros les engagements pris en matière d'épargne-logement.

Le Gouvernement se félicite que ces engagements puissent se réduire à l'avenir puisque, grâce à la commission des finances du Sénat, et plus précisément à M. Yves Fréville, son rapporteur pour les charges communes, et à son président M. Jean Arthuis, la prime versée par l'Etat est désormais réservée à ceux qui contractent un emprunt pour acquérir un logement.

Le projet de loi de règlement vous propose de prendre acte des résultats de l'exécution budgétaire 2002. Il vous propose également d'autoriser le transport au découvert du Trésor du résultat d'opérations non budgétaires traditionnelles, notamment des pertes sur emprunts de 1,4 milliard d'euros et des annulations de dettes portant sur 585 millions d'euros.

Je demande au Sénat d'approuver ce projet de loi qui traduit les résultats d'une année difficile pour nos finances publiques, mais au cours de laquelle le Gouvernement, avec le soutien de sa majorité, a amorcé une politique nouvelle visant à un nouveau départ pour un assainissement en profondeur et durable de nos finances publiques, un nouveau départ pour le succès de la France et des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Lachenaud, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur général.

M. Jean-Philippe Lachenaud, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est en effet au nom de M. Marini, rapporteur général, que je vais présenter le rapport sur le projet de loi de règlement.

Le projet de loi de règlement est rétrospectif. Très souvent, il est jugé ennuyeux et sans intérêt. Ce n'est pas le cas cette année, puisqu'il est particulièrement significatif et porteur d'enseignements.

Dans une interview récente, monsieur le ministre, vous avez comparé la politique budgétaire au solfège et à la musique. Ici, la partition n'est pas bonne et la musique n'est pas excellente. Chacun va pouvoir en juger au vu des dépenses, des recettes et des déficits figurant dans cette loi de règlement.

Ce projet de loi de règlement est particulièrement significatif parce que c'est, d'une part, un quitus comptable donné à l'exécution du budget de l'Etat et, d'autre part, un premier élément d'appréciation de la gestion publique.

A cet égard, mers chers collègues, je signale que cela ira de mieux en mieux puisque, avec la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, les prochaines lois de règlement seront accompagnées de rapports annuels de performance des différents ministères, qui permettront de mieux apprécier la qualité de la gestion publique.

L'objet de l'exercice est donc de comparer les prévisions et les réalisations constatées en exécution.

De ce point de vue, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, l'année 2002 est tout à fait atypique puisqu'il y a eu alternance, changement de gouvernement en cours d'année et que la loi de finances initiale a été modifiée par deux lois de finances rectificative.

Cette loi de finances nécessite un examen approfondi qui est particulièrement intéressant. Cette analyse est une véritable leçon de chose budgétaire, comme l'a écrit M. Marini dans son rapport écrit.

Dans une première phase, le Gouvernement, qui n'a pas tiré profit des années de croissance pour placer les finances publiques en situation de faire face à une période de ralentissement de l'activité, a préparé, à la veille d'échéances électorales importantes, un budget que la commission des finances dans son rapport a appelé « la grande illusion ».

Dans une deuxième phase, il a appartenu à son successeur, c'est-à-dire au gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, à Alain Lambert en particulier, de tirer toutes les conséquences de la situation qui lui était laissée, tout en dégageant quelques marges de manoeuvre pour tenir les engagements sur la base desquels la majorité qui le soutient l'avait élu.

Aujourd'hui, nous examinons en quelque sorte les comptes de l'alternance. Je vais m'efforcer de les présenter de manière synthétique, équitable et équilibrée.

Il convient tout d'abord de rappeler le contexte économique exceptionnellement difficile de l'année 2002.

La croissance du PIB a été deux fois plus faible que la prévision initiale du Gouvernement : 1,2 % contre 2,5 %. Ce taux de 2,5 % était exagéré voire irréaliste. Les prévisionnistes tablaient en effet sur une augmentation de 1,8 % !

Le profil de l'année budgétaire 2002 se caractérise par trois faits significatifs et importants.

Premièrement, le déficit s'établit à 49,3 milliards d'euros, soit près de 20 milliards d'euros de plus de déficit que celui qui était prévu dans la loi de finances initiale. C'est l'écart le plus important depuis 1993, c'est le déficit le plus important que notre pays ait jamais enregistré depuis cette date.

Par rapport aux prévisions, les dépenses sont supérieures d'environ 7 milliards d'euros, et les recettes inférieures d'environ 10 milliards d'euros.

Au cours de la discussion en commission des finances, certains de nos collègues ont fait valoir que cette baisse de recettes serait due à la baisse d'impôt sur le revevu. Cela est inexact. Cette baisse est due, pour partie, à la conjoncture et, pour partie, à la manière illusoire dont ont été évaluées les recettes.

Quand on calcule les recettes - vous tous qui gérez des budgets locaux le savez, mes chers collègues, - il convient de procéder avec prudence. Il faut retenir un taux de croissance crédible et, surtout, ne pas surestimer l'élasticité des recettes par rapport à l'activité économique tant en terme de TVA qu'en terme d'impôt.

Ce dérapage des recettes est objectivement indiscutable. Il avait d'ailleurs été bien mesuré par l'audit Bonnet-Nasse.

Dès son entrée en fonctions le Gouvernement a défini des orientations permettant de redresser la situation. Sa volonté de dire la vérité sur l'état des finances publiques et de maîtriser l'évolution des dépenses est évidente.

Ce souci s'est traduit par des mesures de régulation budgétaire courageuses, difficiles. Dès l'été, des consignes ont été données aux différents ministres, en particulier au ministre des finances, pour limiter le dérapage des dépenses.

Permettez-moi de revenir un instant sur la notion d'élasticité des recettes, car il s'agit d'un point extrêmement important, que M. Marini analyse dans son rapport de manière approfondie. Je dirai simplement qu'il faudrait multiplier les études sur les mécanismes d'élasticité des recettes fiscales par rapport aux grandes tendances économiques, par rapport à la progression de la consommation, des investissements et à l'évolution des résultats des entreprises.

Lors de l'élaboration d'un projet de budget, il serait bon de réunir les experts en projection fiscale pour qu'un consensus s'établisse sur une prévision prudente, la plus proche possible des évolutions réelles de la fiscalité.

Vous avez noté, monsieur le ministre, que la phase de maîtrise des dépenses qui s'est déroulée dans la deuxième moitié de l'année 2002 s'est produite dans des conditions beaucoup plus favorables que les années précédentes.

D'une part, vous n'avez pas cédé à la facilité en coupant les crédits militaires d'équipement et, d'autre part, le montant des crédits reportés a été réduit d'une année sur l'autre. Or c'est la première fois depuis 1997. Cet effort est à noter ; il doit être poursuivi.

J'en viens au déficit.

En passant à 49,3 milliards d'euros, soit une augmentation de 50 % par rapport à l'année précedente, il a, bien évidemment, entraîné une augmentation de la dette de l'Etat. Celle-ci, qui représente plus de 80 % de la dette de l'ensemble des administrations publiques, s'élevait, en 2002, à 789 milliards d'euros. Elle a plus que doublé entre 1993 et 2002.

Ainsi, se sont succédé, au cours de l'année 2002, une phase de dérapage incontrôlé et une phase d'effort de maîtrise de la situation des finances publiques. Evidemment, cela donne un nouvel éclairage au débat qui est actuellement engagé sur le pacte de stabilité européen !

Monsieur le ministre, nous avons lu avec beaucoup d'attention l'interview que vous avez donnée il y a quelques jours à un journal du soir, dans lequel vous exposiez le problème de la référence aux critères de Maastricht et au pacte de stabilité et de croissance. En effet, pour la première fois, en 2002, le besoin de financement des administrations publiques a dépassé 3 % du PIB et la part de la dette a recommencé à augmenter. La France n'a pas tenu ses engagements européens. C'est tout à fait regrettable.

Au demeurant, si ces indicateurs de gestion très sensibles que sont la dette et le pourcentage du déficit montrent une profonde dégradation de la situation budgétaire, ils nous conduisent aussi à réfléchir. Certains de nos partenaires européens ont d'ores et déjà tracé quelques pistes de réflexion, et notre collègue M. Joël Bourdin a, dans un rapport récent, fait au nom de la délégation pour la planification, envisagé lui aussi quelques orientations pour ajuster, adapter le pacte de stabilité.

Certes, monsieur le ministre, quand nous évoquons cette question devant vous, vous nous répondez que le moment n'est pas opportun pour la France d'inciter à une réflexion sur les normes du pacte de stabilité. A cela j'objecte qu'il faudra bien, à un moment, réfléchir à une adaptation possible pour mieux intégrer les évolutions cycliques, pour mieux tenir compte de l'objectif de croissance qui figure dans le pacte de stabilité. Il s'agit d'éviter que des Etats, allant à l'encontre de l'évolution du cycle économique, ne soient incités à réduire une partie de leurs dépenses et ne poussent ainsi leur pays sur la pente d'une dépression plus forte.

Toutefois, il est bien certain que le pacte de stabilité doit être maintenu. Il constitue un bon outil d'encadrement, il assure une bonne soutenabilité à long terme de la politique budgétaire. En les pénalisant, il freine les dérives excessives. Nous devons préserver cet aspect positif grâce à une interprétation et une application intelligentes.

En abordant ma conclusion, je vais m'écarter quelque peu de l'examen de l'exercice 2002.

Je tiens à noter tout d'abord que, selon le « chaînage vertueux » voulu par les auteurs de la loi organique relative aux lois de finances, nous avons la chance d'examiner le projet de loi de règlement quelques semaines avant le projet de loi de finances. Nous vous en remercions, monsieur le ministre, car c'est à votre action que nous le devons.

De cet examen, nous tirons deux leçons principales.

La première concerne la sincérité des prévisions. Monsieur le ministre, combien de fois n'avez-vous pas affirmé devant nous l'importance de la sincérité : le ministre doit être sincère, les documents qu'il établit et qu'il produit doivent être sincères avez-vous souvent rappelé.

Nous approuvons entièrement cette démarche, et un effort complémentaire s'impose pour améliorer la sincérité des prévisions, notamment des prévisions fiscales en matière de loi de finances.

La prévision de la croissance doit être réaliste. Apparemment, il en est ainsi dans le projet de budget pour 2004, puisqu'il reprend les prévisions établies de façon consensuelle par les prévisionnistes.

Ensuite, il faut éviter de surévaluer les recettes en prenant une norme d'élasticité bien inférieure à celle qui avait été retenue dans le budget de 2002.

Permettez-moi d'évoquer, maintenant, le débat qui existe entre le déficit conjoncturel et le déficit structurel.

J'avouerai - je pense qu'un certain nombre de mes collègues ont le même sentiment - que je n'y comprends rien. Quelle est la part de déficit structurel et la part de déficit conjoncturel ? L'Europe, elle, doit en avoir une vision tout à fait précise, puisqu'elle introduit une norme extrêmement sévère pour l'année 2004 en ce qui concerne le déficit structurel !

Pour que nous y voyions un peu plus clair, nous souhaiterions que des travaux approfondis soient menés, que des statistiques, des analyses et des critères soient établis de manière pluraliste, consensuelle, et qu'un débat s'instaure entre le Gouvernement et le Parlement, notamment le Sénat.

Ce qui est certain, c'est que la politique budgétaire menée en 2002 et auparavant fut le contraire de celle qu'il eût fallu conduire. Elle fut en effet marquée par une aggravation très sensible du déficit structurel et par une accumulation de dépenses nouvelles pérénnes. Cette dégradation structurelle fondamentale du budget et des comptes de l'Etat pèse évidemment très lourd sur l'avenir de nos finances publiques.

Il faut rompre avec cette fuite en avant. Pour être en mesure ultérieurement, le moment venu, d'engranger les fruits de la croissance, pour aborder les prochaines périodes de « basses eaux » en meilleure posture, pour consolider le choix de la baisse des prélèvements obligatoires, pour asseoir sur des bases solides la volonté de réduire l'endettement de l'Etat, il faut s'engager dans une politique durable de consolidation budgétaire, notamment de réduction du déficit structurel.

Monsieur le ministre, vous avez dit à plusieurs reprises : la programmation des réformes sur les années 2004, 2005 et 2006 doit déboucher sur une réforme en profondeur du fonctionnement de l'Etat. Nouvelle étape de la décentralisation, mise en place effective de la loi organique relative aux lois de finances : tout cela va permettre d'adapter les structures, de bien mesurer l'efficacité de la gestion publique par rapport aux objectifs affichés.

Toutefois, tous ces chantiers ne seront menés à bien, dans l'intérêt de la France, que si une volonté politique forte s'exprime. Vous pouvez être assuré de la vigilance du Parlement à cet égard.

Mes chers collègues, au bénéfice de ces considérations, la commission des finances vous propose d'adopter ce projet de loi de règlement définitif du budget de 2002. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi organique relative aux lois de finances a consolidé l'idée selon laquelle l'examen d'une loi de règlement est non pas simplement un exercice de lecture comptable débouchant sur un quitus mais bien une opportunité qui nous invite à prendre du recul et à développer une réflexion dont nous aurions tort de nous dispenser à la veille du débat sur un nouveau projet de loi de finances. L'interannualité de la réflexion est même d'autant plus nécessaire que la loi de finances est contrainte par le principe de l'annualité budgétaire.

Le budget de l'année 2002 fut un peu particulier, non seulement à cause de l'avènement complet de l'euro, mais aussi parce que, préparé et lancé par une majorité, il vit son exécution conclue par une autre.

Pour ne pas y revenir, je dirai d'emblée que, ce texte d'apurement des comptes ne comportant aucune disposition comptable qui poserait un problème, mon groupe le votera. Je centrerai donc mon propos sur les enseignements à tirer de l'exercice budgétaire 2002 en le mettant en perspective dans la séquence des dernières années.

Je formulerai d'abord quelques observations.

La première concerne les prévisions de croissance. Revenue à 3,6 % en 1998, la croissance atteignit même 4,2 % en 2000 pour retomber à 2,1 % en 2001, déjà. Le gouvernement de l'époque, pour présenter un budget plus « agréable », tablait alors sur l'hypothèse que ce fléchissement de 2001 n'aurait pas de suite. Dans un contexte d'assez grande incertitude, il calait son projet de loi de finances pour 2002 sur une reprise à 2,5 %.

Dès octobre 2001 pourtant, les conjoncturistes misaient plutôt sur une poursuite du ralentissement entrevu en 2001 en prévoyant un taux de 1,8 %. Ce fut 1,4 %.

L'exercice de prévision de la croissance est certes difficile et doit être abordé avec une grande humilité et cela s'applique pour tout le monde. Par ailleurs, il est vrai que, notamment en période délicate, afficher une évaluation un peu trop pessimiste peut peser sur les événements et aggraver la situation : un gouvernement responsable doit éviter cela. Toutefois, rechercher et dire la vérité autant qu'il est possible reste une ardente obligation et une responsabilité première de tout gouvernement, même en période préélectorale, peut-être même surtout en période préélectorale.

J'en viens à ma deuxième observation.

C'est avec le troisième trimestre de 2002, précisément au lendemain du changement de majorité, que la croissance, mise à mal en 2001, s'est effondrée, après deux premiers trimestres un peu hésitants, qui restaient au rythme moyen de 2001. Personne n'osera dire qu'il y a relation de cause à effet entre l'alternance et cette situation, ou alors ce serait prêter à notre majorité une réactivité et une efficacité que, je crois, elle ne revendique pas. A l'évidence, nous nous sommes retrouvés dans cette situation du fait d'un contexte extérieur largement prégnant, dans lequel nos choix nationaux antérieurs et une évidente insuffisance d'Europe nous ont à nouveau laissés assez démunis.

Pour achever la démonstration selon laquelle l'alternance n'était pas en cause, je rappellerai également que c'est en 2001 que l'investissement s'est effondré. Les premières mesures de l'été 2002 ne peuvent donc être mises en cause non plus sur ce point.

Les choix des années précédentes, en revanche, ont pesé dans cette dégradation.

J'en viens donc à ma dernière observation d'ordre général chiffrée qui concerne le déficit.

En exécution, et c'est ce qui compte, le déficit a décru régulièrement de 1995 à 2000. Cet assainissement était d'autant plus méritoire de 1995 à 1997, monsieur le président de la commission des finances, que la croissance n'était pas là.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances ! C'est vrai !

M. Denis Badré. Le choix fut fait d'une rigueur sans laquelle l'euro n'aurait pas été mis en place dans onze de nos pays.

Ces onze pays ont fait, de conserve, de grands efforts pour se qualifier pour l'euro. Je reprends ce terme de « qualifier » intentionnellement ; je pense qu'il était bon pédagogiquement et qu'il était bon économiquement, en tout cas il était exigeant pour tous.

Le choix de la qualification fut donc fait à l'époque par onze pays dans une grande confiance mutuelle. Et c'est dans ce contexte de grande confiance mutuelle qu'a été arrêté le pacte de stabilité. La dynamique vertueuse était ainsi créée.

A partir de 1998, la tendance à l'assainissement ainsi engagée allait être plus facile à maintenir avec le retour de la croissance. Il aurait fallu alors aller beaucoup plus vite puisque cela devenait possible, comme le fit l'Espagne, par exemple. Au lieu de cela, le Gouvernement de l'époque choisit de consommer de manière un peu plus facile les fruits de la croissance.

J'ai dit tout à l'heure que le déficit avait décru jusqu'en 2000. En effet, cette année qui fut celle de la croissance maximum fut aussi l'année d'un véritable virage dans la mauvaise direction.

Et ce virage fut bien la conséquence de choix nationaux et non du contexte international.

La loi de finances initiale pour 2001 prévoyait encore une petite réduction du déficit. Et pourtant, au cours de cette année, le déficit est reparti à la hausse, avant d'exploser en 2002. Ainsi, le déficit n'a pas dérapé en 2002 mais dès 2001.

Pour 2002, la loi de règlement arrête le montant du déficit à près de 50 milliards d'euros, pour 32 milliards d'euros prévus. Sur ce dérapage de 18 milliards d'euros, 3 milliards seulement - 3 milliards tout de même ! -, sont directement imputables à un choix du Gouvernement qui a décidé d'enrayer la perte de croissance en baissant substantiellement l'impôt sur le revenu.

Certes, cette baisse d'impôt se voulait spectaculaire, mais 3 milliards d'euros, cela faisait beaucoup pour le creusement du déficit !

En d'autres temps, un tel coût nous aurait terrorisés. Au niveau de démesure où nous sommes parvenus, nous le cataloguons simplement dans la catégorie des paris à risque.

Si j'insiste sur ce point, c'est pour souligner que la situation ne doit pas être considérée comme banale. Elle ne relève plus ni d'analyses ni de gestion ordinaires. Ne nous habituons surtout pas à ces gros chiffres, qu'en d'autres temps nous n'aurions même pas osé prononcer ni même peut-être imaginer !

De tout cela, je déduis que, s'il ne faut pas éluder la question de savoir qui est responsable de quoi au cours des dernières années, le temps est venu de sortir d'un débat souvent caricatural et assez vain qui oppose, d'une part, les options d'une droite, laquelle arriverait au pouvoir lorsque la croissance s'en va qui trouverait une situation structurellement déséquilibrée et serait donc obligée d'imposer des choix forcément impopulaires, et, d'autre part, les options d'une gauche qui distribuerait de manière évidemment plus populaire les fruits de la croissance.

En réalité, aujourd'hui, la droite et la gauche, la majorité comme l'opposition, doivent regarder les choses en face, comme le font les Allemands, et voir quels défis notre pays et l'ensemble des pays de notre « vieille Europe » doivent relever dans un monde ouvert et difficile.

Je me limiterai ici à vous livrer des conclusions générales, que j'aimerais voir partagées le plus largement possible.

Notre dette a doublé en dix ans et serait bien pire si les frais financiers n'avaient pas été contenus. Cela est d'autant moins acceptable que, si nous nous sommes aussi lourdement endettés, ce ne fut pas pour préparer l'avenir au prix de bons investissements,...

M. Jean Chérioux. Oh non !

M. Denis Badré. ... mais plus simplement pour vivre, quand ce ne fut pas pour payer les intérêts des dettes antérieures. Le poids de ce surendettement écrasera nos enfants, auxquels nous transmettons déjà le lourd dossier des retraites. Que l'on ne vienne donc pas nous parler de développement durable !

Quant à la croissance, on attend qu'elle reparte aux Etats-Unis. Tout le monde trouve cela normal ! Personne ne s'offusque qu'il en soit ainsi. La France et l'Europe n'auraient donc plus la moindre capacité à peser sur le monde ? Nous devrions tout attendre des autres ? Baissons-nous les bras parce que nous n'avons plus de ressources ou parce que n'avons plus de volonté ?

Dans un fameux rapport sénatorial sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises - je ne peux pas ne pas le mentionner - la France était invitée à réagir pour ne pas subir. Cette invitation est plus que jamais d'actualité. Le gouvernement précédent n'y a pas répondu. Faites-le aujourd'hui, monsieur le ministre, et puisque tout n'est pas possible dans l'immédiat - tout le monde en convient - envoyez au moins très vite des signes visibles montrant que vous avez compris et que vous voulez que la France retrouve son attractivité. Que ceux qui voulaient la quitter y renoncent, que ceux qui hésitaient à rentrer le fassent ! Et entraînez dans ce changement de cap nos partenaires de l'Union européenne. C'est indispensable si nous voulons être efficaces. Mais nous ne le serons pas seuls ; nous le serons avec nos partenaires européens. C'est indispensable si nous voulons cesser d'être tributaires des Etats-Unis, et uniquement d'eux, y compris pour le redémarrage de la croissance.

N'oublions jamais que nous disposons d'atouts solides et nombreux ! Avons-nous le droit de renoncer à les utiliser, voire de les abandonner à nos concurrents ? Nos compétences sont variées et nos formations réputées. Nos capacités scientifiques, artistiques et intellectuelles sont immenses. Et nous préférons travailler moins ! Nous continuons de « charger » le travail et ses fruits, au point de pousser à l'exil ceux qui, précisément, seraient en situation de porter l'amélioration de notre compétitivité ! Nous continuons de taxer revenus, produits et patrimoines au point de conduire ceux qui disposent de capitaux à les mettre à la diposition de nos compétiteurs !

Plus généralement, le monde de l'économie est-il si facile qu'il nous faille faire peser sur nos créateurs et sur nos développeurs d'entreprises le poids d'un Etat suradministré et leur imposer des parcours du combattant propres à décourager les plus aguerris d'entre eux ? Nous devrions au contraire tout faire pour comprendre les mouvements actuels de délocalisation, qui s'accélèrent. Nous devrions tout faire pour mettre la France et l'Europe en situation de gagner de nouveau.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous faut plus de France dans plus d'Europe. Pour cela, deux priorités s'imposent. Tout d'abord la réforme de l'Etat n'a jamais été aussi urgente. Avec les retraites, la voie est ouverte. Il faut continuer. Il faut ensuite restaurer un climat de confiance mutuelle entre les Etats membres de l'Union européenne, en considérant que, si l'élargissement nous conduit à nous doter enfin d'une constitution, il est encore plus indispensable - il est vital - pour l'Union européenne et pour chacun de ses membres, d'oeuvrer dans le sens d'une véritable gouvernance économique européenne.

Une telle gouvernance rendrait inutile tout pace de stabilité puisqu'elle permettrait un pilotage en continu de l'économie, qui impliquerait et engagerait solidairement tous les Etats de l'Union européenne en calant la politique sur la conjoncture du moment.

La question d'une nécessaire gouvernance européenne ne peut être éludée. Il n'est plus possible de répondre qu'on étudiera la question lorsque les débats engagés auront été menés à bien.

Monsieur le ministre, il faut au moins que le Conseil européen ou qu'un conseil Ecofin exprime vite une volonté politique très ferme sur ce sujet. Il y va de l'avenir de l'Europe et de la France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Le projet de loi portant règlement définitif du budget de l'année 2002 devrait vous éclairer, monsieur le ministre, sur ce qu'il conviendrait de ne pas reproduire pour 2004.

Pourtant, c'est bien dans la même voie que, après le budget pour 2003, dont l'exécution s'annonce catastrophique, vous vous proposez de poursuivre avec le projet de loi de finances pour 2004.

Monsieur le président de la commission des finances a vu juste en exprimant devant la commission ses craintes que l'exécution budgétaire de 2003 ne présente les mêmes « mauvaises surprises » que celle de 2002.

M. Jean Chérioux. Tout à fait !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous auriez par ailleurs mauvais jeu, de façon politicienne, de porter au compte de la majorité précédente, qui est certes l'auteur de la loi de finances initiale pour 2002, le résultat de son exécution.

D'une part, vous avez gouverné sept mois sur douze en 2002...

M. Jean Chérioux. Cela n'a rien à voir ! Ce n'est pas une question d'arithmétique !

Mme Marie-Claude Beaudeau. ... et modifié, par deux lois de finances rectificatives, la loi de finances initiale. D'autre part, vos choix ont consisté dans une large mesure à reprendre à votre compte, pour les aggraver considérablement, des dispositions déjà contenues dans la loi de finances initiale, à commencer par la baisse des barèmes de l'impôt sur le revenu.

Vous êtes désormais mal placés, chers collègues de la majorité, pour dénoncer le manque de sincérité dans la présentation des documents budgétaires de 2002 !

Que dire alors, maintenant que se fait progressivement jour la réalité de l'exécution du budget pour 2003, de la loi de finances que votre Gouvernement, monsieur le ministre, activement soutenu par la majorité sénatoriale, nous a présentée à l'automne dernier ?

Nous devions connaître en 2003 une croissance de 2,5 % en volume du PIB, et nous sommes aujourd'hui dans une situation telle que l'on ne sait même pas si croissance il y aura !

Devons-nous, dès lors, douter de la véracité du taux de croissance prévu et inscrit dans le projet de budget pour 2004, certes plus modeste, puisqu'il est compris entre 1,5 % et 1,7 %, mais dont le caractère d'affichage est manifeste et qui ne sert qu'à maintenir le déficit public dans des proportions acceptables par les censeurs bruxellois ?

De même, mes chers collègues, concernant le déficit, à votre place, je ne gloserai pas sur le caractère « doublement historique du déficit acté pour 2002 », comme dit M. le rapporteur général.

En effet, un déficit constaté en 2002 de 49,3 milliards d'euros et plus de 52 milliards d'euros pour le découvert reporté sur le compte du Trésor, cela ne demeurera pas longtemps le record en valeur absolue depuis 1993 ! Vos performances en 2003, dont vous serez seuls responsables, ne tarderont pas à ravir la première place au déficit constaté en 2002. La situation à la fin du mois d'août 2003, malgré la généralisation des procédures d'annulation de crédits, présente ainsi un solde budgétaire négatif de près de 64 milliards d'euros, niveau jamais atteint, même aux pires moments de la législature 1993-1997, pour autant qu'il m'en souvienne.

Ce projet de loi de règlement présente cependant une particularité : le déficit qu'il nous appelle à constater est encore plus important que celui qui figure dans votre collectif de fin d'année 2002, ce qui soulève encore plus d'interrogations sur le sens à donner à la conduite réelle des affaires du pays.

Les mêmes recettes donnent les mêmes résultats, aux aléas conjoncturels près. Année après année, les choix effectués unilatéralement en faveur du patronat et du capital compromettent, par-delà la conjoncture, les conditions d'un retour à une croissance saine et créatrice d'emplois.

Le déficit public, qui ne cesse de se creuser depuis 2002, est ainsi particulièrement pervers, l'Etat se privant petit à petit de tout moyen d'intervention sur la vie économique et sociale de la nation et alimentant les réseaux financiers les plus spéculatifs au lieu de répondre aux besoins collectifs.

Le paradoxe est là : le déficit public n'a jamais été aussi élevé et pourtant la réponse apportée aux besoins sociaux se dégrade de plus en plus.

Pour 2002, la baisse de l'impôt sur le revenu, mesure emblématique du projet de budget pour 2004, avait déjà pesé très lourd, nous le constatons de nouveau, sur les comptes de la nation.

En plus des 2 milliards d'euros de baisse d'impôt votés initialement, baisse à laquelle nous nous étions opposés, vous avez choisi, suivant en cela expressément l'Elysée, de diminuer encore, à l'occasion du collectif de juillet 2002, uniformément les barèmes de 5 %, soit une diminution des impôts de 2,5 milliards d'euros.

Le projet de loi portant règlement définitif du budget de 2002 apporte la démonstration de l'inefficacité économique et du caractère nuisible de cette mesure injuste, qui favorise avant tout les ménages aisés. Cette mesure, qui a couté près de 5 milliards d'euros, a entraîné des déficits supplémentaires et des coupes sévères dans les dépenses publiques et sociales, sans avoir d'effet réel sur la consommation et sur la croissance.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie concède même aujourd'hui - il l'a fait devant la commission en septembre dernier en réponse à l'une de mes questions, et vous étiez d'ailleurs présent, monsieur le ministre - que cette mesure, qu'il veut amplifier encore en 2004, avantage ceux qui épargnent le plus et ont une moindre propension à consommer.

Les 5 milliards distribués aux ménages qui en avaient le moins besoin en 2002 ont ainsi directement alimenté la finance, le marché de l'immobilier, certainement aussi - et c'est un comble - le marché de la dette publique que le budget de 2002 a contribué à développer.

En 2004, vous voulez recommencer, ce qui, de façon encore plus évidente, indique quelles classes sociales vous entendez avantager.

En privilégiant ceux dont les revenus du travail représentent la plus faible part du revenu total, vous êtes loin, monsieur le ministre, de la « réhabilitation du travail », qui est devenue le nouveau slogan du Gouvernement, alors que le taux de chômage officiel est sur le point de dépasser, selon M. le ministre des affaires sociales, les 10 % de la population active.

Les choix de défiscalisation massive au bénéfice des ménages les plus aisés et des entreprises n'ont pas eu le moindre effet sur la relance de l'activité et n'ont pas non plus ralenti, loin s'en faut, le mouvement de développement des plans sociaux ou de licenciements plus ou moins déguisés.

S'agissant des recettes, ce sont en grande partie les choix opérés dans les deux collectifs défendus par ce gouvernement qui ont amplifié plus sûrement encore le trou d'air constaté.

Ces mêmes choix ont également profondément imprégné la loi de finances initiale pour 2003 et conduiront sans doute à constater les mêmes résultats, mais dans des proportions qui risquent, ainsi que je viens de le dire, d'être encore plus importantes.

Monsieur le ministre, vous prétendez également que le résultat budgétaire de 2002 porte en lui les stigmates d'une « exubérance budgétaire », conçue et mise en oeuvre par le gouvernement en place sous la précédente législature, stigmates qu'aurait à peine pu effacer la gestion courageuse et rigoureuse de la législature entamée après les élections du printemps 2002.

Voilà qui n'est guère crédible et qui est même, dirai-je, teinté de mauvaise foi.

Tout le monde sait bien que les années d'alternance sont propices à certains « dérapages » ponctuels. Pour 2002, même M. le rapporteur général considère que les écarts de dépenses par rapport à la loi de finances initiale pour 2002 incombent aux deux gouvernements : 5 milliards d'euros avant les élections, 2,5 milliards d'euros après.

La onzième législature aura été marquée, malgré une situation conjoncturelle très favorable, par une austérité très nette en matière de dépenses, austérité que vous accentuez encore dans un contexte bien plus défavorable.

Comme exemple de dérapage des dépenses, vous citez en premier lieu les 35 heures, sur lesquelles vous voulez revenir à tout prix. Mais ce que vous appelez « le coût des 35 heures » n'est dû qu'à la politique de déduction de cotisations sociales, au nom des 35 heures, pour 15 milliards d'euros par an, et que, bien loin de remettre en cause, vous n'avez eu de cesse d'amplifier. En 2004, vous voulez même les imputer directement au budget du ministère du travail et des affaires sociales !

Je relève, monsieur le ministre, une contradiction : les 35 heures n'auraient, selon vous, pas créé d'emplois, mais les baisses de cotisations sociales patronales, elles, en créeraient.

Vous relevez un autre dérapage pour 2002, qui n'est évidemment pas comparable : l'aide médicale d'Etat, l'AME. A ce propos, la position du Gouvernement est proprement scandaleuse, honteuse même. C'est toute la tradition française de soins gratuits aux plus indigents sur laquelle vous voulez revenir en 2004. Au mépris de la promesse de Mme Versini, vous prévoyez bien d'appliquer la disposition adoptée lors du collectif budgétaire de la fin de l'année 2003.

Vous parlez d'une augmentation considérable de l'AME en 2002. Je vous invite à réfléchir, monsieur le ministre : est-il normal que des malades atteints de maladies telles que le sida, qui devraient être pris en charge à 100 %, soient redevables de cette aide ?

Pour 2004, vous voulez poursuivre la même politique, monsieur le ministre, assuré du soutien indéfectible de la majorité sénatoriale, toujours prompte à s'inquiéter du sort des pauvres contribuables redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF, et à ne voir, par exemple, les demandeurs d'asile persécutés dans le monde entier que comme une « source d'encombrement de notre contentieux administratif ».

En effet, avec le projet de loi de finances pour 2004, péniblement voté par l'Assemblée nationale, vous persévérez : baisse de l'impôt sur le revenu, ou de l'ISF, allégement des impôts dus par les entreprises et, en contrepartie, hausse des taxes sur l'alcool et le tabac, ou encore sur le gazole, frappant au portefeuille les ménages les plus modestes, et imposant l'austérité, voire des sacrifices accrus en matière de dépenses publiques et sociales.

Je donnerai un seul exemple : 8 % de moins pour le budget du logement, 300 millions d'euros en moins pour les aides personnelles au logement.

Nous faisons également face à une étape nouvelle essentielle par rapport à 2002 : l'accélération de la réforme de la structure des dépenses publiques, en raison notamment de la décentralisation.

Tant pis, en effet, si les chômeurs en fin de droits - quel concept détestable au demeurant ! - sont renvoyés sur le RMI-RMA, tant pis si les étudiants ne trouvent pas à se loger, tant pis si les créateurs doivent végéter sans commandes publiques, ni soutien à la décentralisation culturelle, tant pis si la faiblesse des crédits met à mal la recherche, donc l'innovation, et par conséquent la place de la France dans le monde.

Vous vous appliquez maintenant à modifier la structure de la dépense publique avec le projet de loi relatif aux responsabilités locales que le Sénat examinera à partir de demain et qui permettra de réduire encore davantage l'ampleur de l'action publique. En fait, vous cherchez également à réduire le déficit budgétaire au fur et à mesure que sont transférées les compétences et les charges.

La loi de finances pour 2003 était pleinement porteuse de vos orientations profondes. Sa gestion les a largement prolongées, à grand renfort d'actes réglementaires pour annuler, transférer ou répartir les crédits. Le projet de loi de finances pour 2004 permettra d'en mesurer plus nettement encore les conséquences désastreuses.

Le moins d'impôts que l'on nous propose signifie en réalité moins de service public, moins de dépenses publiques, moins de réponses aux besoins sociaux. Telle est la politique que vous mettez en oeuvre depuis un an et demi avec, je le reconnais, monsieur le ministre, constance et obstination.

Nous voterons contre ce projet de loi, première et éclatante illustration des choix injustes et iniques de ce gouvernement, choix qui menacent durablement les comptes publics en laissant l'ardoise au générations futures. (Applaudissement sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Angels.

M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant règlement définitif du budget de 2002, que nous examinons ce soir, arrête les comptes d'un exercice budgétaire un peu particulier, puisqu'il a été voté et exécuté par deux majorités différentes.

Pourtant, peut-on encore parler aujoud'hui, s'agissant de ce budget 2002, de responsabilité partagée ? Permettez-moi d'en douter, monsieur le ministre, dans la mesure où vous avez exécuté ce budget sept mois sur douze, en le modifiant même à deux reprises, en juillet puis en décembre.

Pourtant, inlassablement, on entend encore et toujours la même chanson, qui pourrait avoir pour titre : « Héritage » ! Renouvelez donc votre répertoire !

Vous tentez une fois de plus de ne pas assumer vos résultats. Et cela est navrant : non point tant parce que vous vous défaussez sur vos prédécesseurs, mais parce que, en procédant ainsi, vous n'assumez pas votre propre politique.

A vous entendre, vous seriez des élèves vertueux qui auraient effacé l'ardoise du cancre Jospin !

M. Auguste Cazalet. C'est vrai !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce n'est pas mal !

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je n'aurais pas osé le dire ainsi !

M. Bernard Angels. Mais il suffit, pour tordre le cou à cette chimère, de regarder les chiffres, ceux de 2002, mais aussi ceux de 2003. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'y revenir dans quelques semaines.

Votre accusation, en effet, ne résiste pas à l'examen des chiffres.

Prenons l'exemple du déficit : comme le souligne notre rapporteur général, avant le retournement conjoncturel, soit en 2001, le déficit public français était plus faible que celui de la zone euro.

Depuis l'arrivée de la droite aux responsabilités en 2002, le déficit public dépasse la barre des 3 % du PIB. Notre pays s'est attiré le mécontentement de la Commission européenne et des autres pays européens qui, eux, font des efforts pour respecter leurs engagements. La crédibilité de la France s'en voit profondément atteinte et son influence en Europe affaiblie par les inconséquences et le mépris du Gouvernement.

Effet direct, pour la première fois dans l'histoire financière de la France, la dette a dépassé la barre des 60 % du PIB en 2002, enfreignant ainsi un autre critère du pacte de stabilité et de croissance. Et le cap symbolique des 1 000 milliards d'euros est désormais franchi.

Pourtant, au lieu de corriger sa politique, comme le bon sens d'un « père de famille » le commanderait, le Gouvernement s'entête dans des mesures économiquement désastreuses, avec pour résultat une explosion du déficit public à 4 % du PIB en 2003, voire 4,2 % selon la Commission européenne. Initialement fixé à 2,6 % du PIB en décembre 2002, le déficit public a dérapé pour atteindre 3,4 % en juin et maintenant entre 4 % et 4,2 % du PIB.

A cette vitesse, la France sera au bord de la faillite avant la fin du quinquennat du maître d'oeuvre de cette politique. Et l'addition sera inéluctablement payée demain par les Français.

Deux ans après le retour de la droite aux responsabilités, la France possède déjà le déficit public le plus élevé de toute l'Europe et une croissance inférieure à celle de la zone euro. L'échec économique et financier de la droite est patent.

Pour appuyer mes propos, permettez-moi, monsieur le ministre, de citer les commentaires suivants de la Cour des comptes : « En 2002, la situation s'aggrave nettement : le déficit du budget de l'Etat atteint 49,3 milliards d'euros. Ce niveau de déficit présente la caractéristique d'être le plus fort depuis huit ans. Il est à nouveau après 2001 supérieur aux objectifs visés lors du dépôt du projet de loi de finances initiale. Il est très en dessous - 4,7 milliards d'euros - de l'hypothèse la plus défavorable de l'audit des finances publiques effectué après les élections, le 24 juin 2002. Il est même, à l'inverse de ce qui était observé depuis 1997, supérieur aux objectifs réajustés lors du collectif de décembre. »

Lorsqu'on connaît le langage diplomatique de la Cour des comptes, ce commentaire constitue une condamnation sans appel de la politique du Gouvernement.

En 1997, l'audit sur les finances publiques, réalisé alors à la demande du gouvernement Jospin, avait révélé un déficit de 3,7 % du PIB. En 2002, le gouvernement Raffarin a, lui aussi, commandé un audit. La comparaison s'arrête là, puisque l'audit de juin 2002 a estimé le déficit public à 2,6 %, soit un niveau de 30 % inférieur à celui de 1997. Les finances laissées par la gauche en 2002 étaient donc clairement en meilleur état que celles qu'avait laissées la droite en 1997.

De la même façon, la baisse des impôts, dont se prévaut le Gouvernement, n'est qu'un mirage, un tour de passe-passe consistant à faire payer demain ce qui aurait dû l'être aujourd'hui. J'en veux pour preuve la baisse de l'impôt sur le revenu qui représente 3,5 milliards d'euros fin 2003, à comparer à la hausse de 14 milliards d'euros du déficit de l'Etat depuis l'audit réalisé en juin 2002.

Mes chers collègues, le tableau est à la fois triste et simple : les résultats financiers de la France sont les plus mauvais d'Europe en 2003, ce qui n'était jamais arrivé de 1998 à 2002, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Les chiffres sont clairs : contrairement à cette période, nous faisons moins bien que tous nos partenaires européens.

En outre, la dégradation des comptes publics ne soutient pas la croissance, signe de l'inefficacité de votre politique. En 2003, la croissance devrait progresser de seulement 0,2 % selon l'INSEE, contre 0,4 % en moyenne pour l'ensemble des pays de la zone euro. De 1997 à 2001, la croissance française avait été supérieure à celle de nos partenaires européens, grâce à une politique dynamique de soutien à la consommation. Ce que l'on appelait alors l'exception française a été cassé par la politique de la droite.

La question que se poserait naïvement un observateur non averti pourrait être alors : comment a-t-on pu en arriver là en aussi peu de temps ?

Tout d'abord, le Gouvernement traîne à l'évidence le fardeau des promesses électorales démagogiques du Président de la République, au premier rang desquelles la baisse de 30 % de l'impôt sur le revenu. Sa mise en oeuvre s'est révélée financièrement ruineuse, économiquement inefficace et socialement injuste, ainsi que nous l'avions annoncé.

La baisse de 5 %, votée en juillet 2002, s'est traduite par une perte de recettes fiscales de 2,55 milliards d'euros. De ce fait, les recettes de l'impôt sur le revenu reculent de 7 % en 2002, alors que, selon la Cour des comptes, elles auraient dû progresser.

Cette même Cour des comptes révèle que, en 2002, 1 % des foyers ont bénéficié de 31,2 % de la baisse d'impôt sur le revenu et 10,2 % des foyers de 69,2 %. Elle souligne aussi que 53,2 % des foyers n'ont pas fait d'économie d'impôt, car ils sont trop modestes pour être imposables.

Concrètement, seuls les 10 % de Français les plus riches ont profité réellement du cadeau fiscal de Jacques Chirac !

A l'inverse, la TVA et la TIPP, qui touchent le plus grand nombre, ont augmenté respectivement de 2,22 % et de 2,36 %. En 2002, le Gouvernement a ainsi supprimé la TIPP flottante, renforçant par là même un impôt loin d'être redistributif, non sans s'attirer, à cette occasion, la censure du Conseil d'Etat.

Combinée au ralentissement de l'activité économique en 2002, la baisse de l'impôt sur le revenu a produit, pour la première fois depuis dix ans, un recul des recettes fiscales nettes à hauteur de 2 %.

La réduction de l'impôt sur le revenu s'est également révélée sans effet sur la croissance. Profitant à une minorité de privilégiés, ceux dont la propension à consommer est la plus faible, elle a été épargnée et non consommée. C'est un contresens économique absolu !

Néanmoins, en 2003, le Gouvernement amplifiera encore cette mesure désastreuse. L'aveuglement rend votre attitude « irresponsable ». Le mot n'est pas de moi ; il est de François Bayrou, l'un des leaders de votre majorité ou l'un des anciens leaders de votre ancienne majorité, mes chers collègues de droite.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. De la majorité !

M. Bernard Angels. L'autre paradoxe de l'année 2002, c'est que la rigueur avec laquelle vous avez étouffé les énergies au lieu de les libérer, cette rigueur donc, comme en témoignent les multiples annulations de crédits, notamment dans les budgets sociaux, se dissimule derrière une envolée des dépenses.

Le fait est que les dépenses n'ont pas été maîtrisées en 2002. La Cour des comptes souligne même qu'elles ont augmenté de 4,25 %, contre 2,4 %, en moyenne, de 1998 à 2001.

L'emballement des dépenses s'explique en partie par la volonté du Gouvernement de noircir l'héritage socialiste, mais aussi par le début d'une croissance déraisonnable des dépenses de défense, 800 millions d'euros ayant été ouverts par la loi de finances rectificative d'août.

Recettes en baisse, dépenses en explosion, au final, le solde du budget de l'Etat se dégrade fortement sur fond de rigueur sociale. On comprend mieux, au vu de tous ces résultats, que le gouvernement Raffarin ait perdu la confiance des Français.

La baisse du nombre de contrats emploi-solidarité et de contrats emploi consolidé, l'arrêt des emplois jeunes, bref, l'abandon de toute politique de l'emploi pousse le chômage vers des sommets. Il frappera probablement plus de 10 % de la population active à la fin de l'année.

Le constat de l'Observatoire français des conjonctures économiques est dramatique, car, selon lui - je cite encore une fois - « au total la politique de l'emploi devrait détruire 60 000 postes en 2004 ». Ce n'est pas la « valeur travail » que vous souhaitez réhabiliter, c'est bien la « valeur du travail » en le rendant de plus en plus rare !

Le résultat est sans appel : contrairement à vos belles promesses, le pouvoir d'achat des Français stagne en 2003, alors qu'il avait nettement progressé de 1998 à 2001.

J'aurais aimé, monsieur le ministre, avoir à commenter des résultats plus brillants pour l'économie française. Malheureusement, vous ne m'en avez pas donné l'occasion. Je le regrette, surtout pour les Français qui paient le prix de vos erreurs !

Vous comprendrez donc aisément que le groupe socialiste votera contre le projet de loi de règlement du budget 2002.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Alain Lambert, ministre délégué. Je répondrai d'abord à M. Jean-Philippe Lachenaud, qui a remplacé avec beaucoup de facilité M. le rapporteur général. Il a retenu ma comparaison audacieuse entre la politique et la musique, plus précisément entre le budget et le solfège. Si la partition sur laquelle nous travaillons ce soir n'est pas parfaite, il a néanmoins, je tiens à le lui dire, parfaitement réussi ses gammes ! (Sourires.)

Je le remercie aussi d'avoir ramené à sa juste place l'impact de la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu. J'aurai l'occasion de le redire à M. Angels tout à l'heure, je ne la cache pas, je la revendique même. Comme je l'avais d'ailleurs indiqué au cours de la discussion générale, elle représente un quart des pertes de recettes, soit un septième de l'aggravation totale du déficit par rapport à la loi de finances initiale. Mais elle constitue, en retour, le respect d'un engagement à l'endroit des Français, engagement qui, vous le savez - nous y reviendrons lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2004 -, tend à encourager le travail et à dynamiser notre économie.

M. Jean-Philippe Lachenaud a suggéré d'approfondir la question de l'élasticité des recettes par rapport au produit intérieur brut. Il s'agit, effectivement, d'un sujet extraordinairement complexe. En passant du côté de l'exécutif, j'ai découvert comment elles se calculaient.

Pour l'instant, il s'agit en réalité surtout d'un constat ex post. La méthode de prévision de recettes est analytique, impôt par impôt ; ensuite, la comparaison entre évolution des recettes et évolution du produit intérieur brut donne la valeur de l'élasticité, qui est une sorte d'indicateur de prudence - en effet, le résultat est de 0,6 % pour 2004 -, mais, en fait, cela n'a jamais été, jusqu'alors, une méthode de prévision ex ante.

Je voudrais marquer mon accord sur l'interprétation du pacte de stabilité faite par M. Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances. C'est un sujet qui doit être abordé de manière responsable, et il ne faut pas en faire un sujet tabou. C'est, en quelque sorte, l'invitation qu'il a lancée, et M. Denis Badré, de son côté, a prolongé son propos : c'est, en effet, sur l'ensemble du cycle économique que le pacte doit trouver la plénitude de sa crédibilité.

Je tiens à rappeler - parce que, les uns et les autres, nous l'avons un peu oublié - que ces principes ont été adoptés en juin 1997 et que le premier programme pluriannuel a été déposé en 1998 pour les années 2000 à 2002, c'est-à-dire pour la période de croissance la plus faste des vingt-cinq dernières années. Fondé, à l'époque, sur une croissance moyenne de 3 %, il prévoyait que le déficit serait ramené à 0,8 % en 2002. Présenté sur des bases à l'évidence trop optimistes, il n'a jamais, en fait, été évalué ex post, et ce que l'on a appelé « la surveillance des pairs » n'a jamais joué. Je n'ai d'ailleurs pas trouvé trace de la moindre mise en garde de la Commission européenne.

L'application des plans de retour à l'équilibre, prévue « au plus tard pour 2004 » lors du sommet de Barcelone de mars 2002 - date très récente -, a été différée. On voit bien que, sur ce sujet, on a manifestement été encore trop optimiste. Dès lors que la phase haute du cycle n'était pas consacrée à reconstituer des marges de manoeuvre pour faire face au ralentissement ultérieur de la croissance, il devenait évident qu'en phase basse il serait impossible d'assurer le retour vers l'équilibre budgétaire en peu d'années. Il faut que nous le répétions les uns et les autres, c'est sur la totalité et à partir de la phase haute du cycle économique qu'il faut appliquer le principe de « l'objectif de retour à moyen terme d'une position proche de l'équilibre ou excédentaire ». C'est d'ailleurs ce qui est précisé dans le pacte.

Faire fonctionner les mécanismes d'alerte, voire les mécanismes de sanction, au moment du ralentissement de la croissance devient, selon moi, contre-productif et pourrait même précipiter les économies dans la récession.

Enfin, M. Jean-Philippe Lachenaud a indiqué à quel point la notion de déficit structurel était encore insuffisamment définie. C'est un concept moins clair que celui de déficit nominal. Le premier, le déficit structurel, est économique alors que le second, le déficit nominal, est juridique. Ce dernier est beaucoup plus facile à appréhender et à vérifier. Nous avons tenté, dans le rapport économique et financier du projet de loi de finances pour 2004, de clarifier ces différentes notions et d'en montrer les limites, mais nous pourrions utilement y revenir à l'occasion de la discussion générale de ce projet.

M. Denis Badré a rappelé fort opportunément que l'assainissement s'est arrêté en 2000. La dégradation a commencé dès 2001. Comment, à cette occasion, ne pas rappeler la malheureuse affaire de la cagnotte et de sa dilapidation immédiate par l'engagement de dépenses nouvelles et pérennes qu'il faut continuer à financer aujourd'hui alors que ces recettes non pérennes ont disparu et se sont transformées en moins-values fiscales ?

A l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, le Gouvernement vous proposera de faire l'inverse, comme il est indiqué dans le programme pluriannuel, à savoir que les bonnes surprises éventuelles en exécution devront être affectées à la réduction du déficit.

M. Denis Badré a implicitement - je formule sa remarque à ma manière, mais je ne pense pas déformer sa pensée - lancé une sorte d'appel au consensus national de toutes les forces politiques à l'exemple de ce que fait l'Allemagne. Le Gouvernement est tout à fait d'accord avec lui et souhaite un tel consensus. J'ai d'ailleurs clairement indiqué que le consensus auquel nous sommes parvenus pour l'adoption de la loi organique relative aux lois de finances pourrait très utilement, s'il était renouvelé, permettre de moderniser la France et d'entreprendre des réformes structurelles qui sont devenues urgentes et qui ne pourront aboutir qu'avec un large accord des forces politiques pour obtenir l'adhésion de l'ensemble de la population française. En tout cas, le Gouvernement souhaite recueillir un large soutien à sa politique de réformes structurelles.

Mme Marie-Claude Beaudeau m'a encouragé à tirer les enseignements de 2002. Je lui promets que je le ferai, notamment en ce qui concerne la dérive dangereuse des dépenses, et j'espère obtenir son soutien dans cette entreprise de maîtrise des dépenses en 2003. Contrairement à ce qu'elle a dit - je le lui fais remarquer amicalement -, en 2003 - c'est la différence radicale entre 2002 et 2003 - la dépense ne dépassera pas ce qui a été autorisé par le Parlement, comme je m'y suis engagé devant vous. Cela n'a pas été le cas jusqu'à maintenant.

Mme Marie-Claude Beaudeau a qualifié l'aide médicale d'Etat de scandaleuse. Ce terme pourrait tout à fait qualifier une dépense budgétée de 50 millions d'euros qui représente six fois plus en exécution. Il faut tout de même être conscient de cette réalité !

Je répondrai à M. Bernard Angels, à qui je porte une grande estime personnelle, que j'assume totalement la politique du Gouvernement. Sur les 19 milliards d'euros de déficit, j'ai reconnu qu'un montant de 3 milliards était imputable à la politique voulue et mise en oeuvre par le présent Gouvernement. Mais je maintiens que les 16 autres milliards d'euros sont dus à la gestion du précédent gouvernement. Lorsqu'un gouvernment engage des dépenses pérennes - c'est le cas de celles qui ont été engagées entre 1999 et 2001 - elles ne sont pas suspendues par un changement de gouvernement. Elles doivent donc bien être assumées !

Par ailleurs, Bernard Angels a beaucoup cité la Cour des comptes, en me demandant si j'approuvais ce qu'elle disait. A mon tour, je lui demanderai s'il partage ses recommandations. Selon la Cour des comptes, il est avéré depuis longtemps que le rythme de progression des grandes masses de dépenses publiques françaises est très élevé. La rigidité des dépenses de rémunération et d'intervention sociale et le poids de la dette rendent plus difficiles le redressement des finances publiques.

Par conséquent, le Gouvernement traite ces questions et il souhaite avoir le soutien du groupe socialiste pour pouvoir mener à bien cette politique de redressement.

M. Jean-Pierre Masseret. Ce n'est pas pour cela que l'on va voter votre budget ! Vous avez augmenté la dette !

M. Jean Chérioux. C'est vous qui l'avez fait !

M. Alain Lambert, ministre délégué. En conclusion, et cela ne vous surprendra pas, le défi qu'il nous faut relever ensemble est celui de la maîtrise de la dépense, que le rapporteur général appelle « action structurelle sur la dépense ». Pour y parvenir, les principaux enjeux à moyen terme sont relatifs aux dépenses de personnels, aux dépenses de santé - je parle du plus difficile - aux conséquences de notre endettement et aux menaces budgétaires que constitue le vieillissement de notre population.

Mais ces affirmations, sans cesse répétées entre nous, nous appellent nécessairement à inscrire la maîtrise des dépenses dans la durée. Cette approche est probablement la meilleure garantie de la pérennité non seulement des services publics, auxquels nombre de vos collègues ont rappellé leur attachement, mais aussi des mécanismes de redistribution, auxquels chacun ici, sans exception, tient beaucoup.

Je ne doute pas que le Sénat sera aux côtés du Gouvernement pour relever ce défi, grâce au courage qu'il a toujours su offrir comme gage du bon fonctionnement de notre démocratie entre les Français d'aujourd'hui, mais aussi entre les Français des générations futures. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Au moment où s'achève la discussion sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 2002, je voudrais d'abord saluer Jean-Philippe Lachenaud, qui a pris le relais du rapporteur général avec beaucoup de brio.

Bernard Angels connaît l'estime que je lui porte, et je le sais attaché à l'objectivité. Je voudrais donc dissiper un malentendu. Il a évoqué les circonstances de l'alternance. Depuis dix ans, nous en avons connu trois. Je voudrais le rendre attentif au fait que la croissance n'a pas attendu 2002 pour fléchir : elle a atteint 4,2 % du PIB en 2000, et elle a fléchi en 2001, puis en 2002. Et je peux faire avec vous l'hypothèse que le gouvernement de l'époque ne pouvait pas à ce point se bercer d'illusions.

Quelles en ont été les conséquences sur l'exécution budgétaire ? Vous vous souvenez de la présentation de Philippe Marini devant la commission des finances : il a fait apparaître l'évolution du déficit en 1993 et 2002. Or 1993 et 2002 sont deux années d'alternance : une majorité socialiste passe la main. En 1993, le déficit prévu était de 25 milliards d'euros. Or il s'est élevé à 48 milliards d'euros. En 2002, la prévision était de 30 milliards d'euros, pour un déficit réel d'environ 50 milliards d'euros. Monsieur Angels, vous avez stigmatisé l'année 1997. Permettez-moi de vous dire que 1997 s'inscrit dans une phase d'amélioration très sensible du déficit public.

Je tenais à vous rappeler ces données, car elles sont avérées. Certes, on peut toujours penser qu'en 1993 comme en 2002 le gouvernement qui s'est installé au lendemain des élections législatives a pu aggraver le déficit de 2 milliards ou de 3 milliards d'euros, mais pas plus.

Je vous invite donc, mon cher collègue, à prendre en compte ces données pour dissiper le malentendu que j'avais perçu en vous écoutant, comme toujours, très attentivement.

Nous avons évoqué, monsieur le ministre, le pacte de stabilité et de croissance. Il est vrai que, lorsqu'il a été conçu et adopté, les gouvernements avaient une obsession : il fallait contenir l'inflation. Mais l'on n'avait pas imaginé des hypothèses qui « tangenteraient » non pas la déflation, mais simplement la récession.

Il faut sans doute imaginer des mécanismes de rebond coordonnés. C'est ce que nous attendons d'un gouvernement économique à l'échelon européen, lequel permettrait de mieux coordonner les politiques budgétaires et la politique monétaire.

Je me permettrai maintenant d'insister sur les 3 % de déficit public. Il me semble que, dans le débat, on finit par penser que, la norme, c'est un déficit de 3 %. Or, la norme, c'est l'équilibre des finances publiques. Le taux de 3 % représente la dérive maximale.

Depuis quelques années, y compris pendant les années fastes - celles qui ont été marquées par des taux de croissance elévés : 1999, 2000 -, on n'a pas fait beaucoup d'efforts pour s'éloigner des 3 % de déficit public. Et lorsque, malheureusement, le frimas est revenu, sous la pression de la chute des recettes fiscales et en dépit des efforts louables du Gouvernement pour maîtriser la dépense, la barre des 3 % a été franchie. Les uns et les autres devons avoir à l'esprit l'exigence de tendre vers l'équilibre, le seuil de 3 % étant vraiment le point à ne pas dépasser.

Ayant dit cela, je salue le rapporteur général et celui qui l'a suppléé cet après-midi, et j'invite le Sénat à approuver ce projet de loi de règlement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

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