COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CONTRIBUTION DU SÉNAT AU DÉBAT

SUR L'AVENIR DE L'ÉCOLE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la contribution du Sénat au débat sur l'avenir de l'école.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, je me réjouis de cette initiative du Gouvernement qui permet au Parlement d'apporter sa pierre à ce grand débat national. Après celle de l'Assemblée nationale, l'intervention du Sénat va ainsi, j'en suis convaincu, mettre un point d'orgue au débat ouvert sur l'initiative du Président de la République.

A cet égard, je me félicite que la Commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par M. Claude Thélot, puisse tenir ses réunions dans nos murs sous le regard de Public Sénat, à l'instar de la commission Stasi sur le principe de laïcité dans la République.

Pour ce débat exceptionnel qui s'engage aujourd'hui dans notre hémicycle, la conférence des présidents a prévu des modalités d'organisation particulières, destinées à rendre la discussion plus vivante, plus dynamique, plus interactive.

A l'issue de la déclaration du Gouvernement, le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, interviendra ès qualités pendant quinze minutes ; puis, dix-sept de nos collègues pourront prendre la parole au nom de leur groupe ou de la réunion administrative des sénateurs non inscrits, pour sept minutes maximum chacun.

Le Gouvernement répondra immédiatement à chaque orateur, en cinq minutes maximum.

Je forme le voeu que chaque intervenant puisse enrichir ce grand débat par son point de vue. L'enjeu est d'importance, car l'école de la République doit avoir pour ambition d'accueillir et de former la jeunesse dans toute sa diversité.

La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'aimerais simplement, pour ouvrir ce débat dont je me réjouis, vous présenter quelques observations sur la façon dont s'est déroulé jusqu'à présent le grand débat national sur l'avenir de l'école, voulu par M. le Président de la République et M. le Premier ministre. Ces derniers avaient notamment fixé deux objectifs prioritaires à ce grand débat qui vient de s'achever sur le terrain : d'une part, tenter de parvenir autant que possible à un diagnostic partagé sur les points forts et, éventuellement, sur les difficultés que peut rencontrer aujourd'hui notre système éducatif ; d'autre part, au-delà des développements consacrés à telle ou telle question particulière, indiquer les priorités qui doivent, aux yeux des participants à ce débat, être retenues dans le futur projet de loi d'orientation qui sera rédigé à l'automne prochain, et examiné ensuite par la représentation nationale.

Ce débat s'est donc achevé vendredi dernier sur le terrain, c'est-à-dire dans les établissements et dans les arrondissements. La façon dont il s'est déroulé mérite quelques observations, qui nourriront peut-être la réflexion que nous aurons ensemble tout à l'heure.

Tout d'abord, personne n'a nié, et je m'en réjouis, la qualité à mon avis très remarquable des documents de base fournis aux Français pour participer à ce débat : je pense non seulement au document diagnostic élaboré par le Haut Conseil de l'évaluation, mais également aux vingt-deux questions et aux fiches les accompagnant rédigées par la Commission nationale du débat public présidée, avec le talent que nous lui reconnaissons tous, par Claude Thélot.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Luc Ferry, ministre. Les documents de base étaient en soi déjà fort intéressants, et je suis heureux de constater que, quelles que soient les critiques tout à fait légitimes qu'on ait pu leur adresser, chacun en a reconnu et salué la très grande qualité, dont je tiens à remercier les personnes qui ont contribué à leur rédaction.

Par ailleurs, à ma connaissance, personne - et c'est un fait relativement rare dans ce cas de figure - n'a contesté ni le pluralisme ni l'indépendance de la Commission nationale du débat public présidée par Claude Thélot, et je m'en réjouis. Je tiens à remercier les parlementaires, notamment les sénateurs ici présents, qui ont participé et participent encore aux travaux de cette commission.

En outre, le taux de participation à ce débat a dépassé toutes les espérances raisonnables que nous pouvions former puisque plus d'un million de personnes ont participé à des réunions dans les arrondissements et les établissements, environ 300 000 internautes se rendant sur le site de la Commission nationale. Un examen plus attentif des chiffres permet de constater que, parmi ce million de participants, figurent 45 % de professeurs, soit 450 000 personnes - cela correspond à une participation très massive, alors qu'on avait dit qu'ils bouderaient le débat -, 35 % de parents d'élèves, soit 350 000 personnes, 10 % d'élèves, c'est-à-dire tout de même 100 000 jeunes, et 10 % de représentants d'autres professions, dont de très nombreux élus et chefs d'entreprise. Je les remercie chaleureusement tous pour leur participation aux discussions sur l'avenir de l'école.

Enfin, les quatre sujets retenus prioritairement par les participants au débat sur le terrain, c'est-à-dire dans les arrondissements et les établissements, sont extrêmement intéressants à analyser du point de vue des motifs de leur choix.

Ces quatre sujets, qui ont occupé à peu près 45 % des débats sur le terrain, sont les suivants : premièrement, comment motiver efficacement les élèves ? Deuxièmement, la violence dans les établissements, ou autour des établissements, et la question de l'autorité ; troisièmement, la lutte contre l'échec scolaire ; enfin, quatrièmement, la question de la diversification des parcours, c'est-à-dire la question du collège unique et de sa nécessaire réorganisation.

Ces sujets sont des sujets lourds et graves. Ils traduisent la volonté des participants à ce grand débat de voir les missions de l'école, les objectifs fondamentaux de notre système scolaire recentrés sur l'essentiel, après quelques années au cours desquelles on aurait pu s'égarer vers l'accessoire.

Le fait qu'il s'agisse de sujets lourds et graves devra être pris en compte dans la rédaction de la future loi d'orientation.

Permettez-moi de présenter encore trois brèves remarques avant de conclure.

Première remarque, pourquoi fallait-il organiser un grand débat national ? Certains sceptiques se sont interrogés à cet égard, non sans quelque ironie : cela signifie-t-il que le Gouvernement, n'ayant pas d'idées, en cherche sur le terrain, ou alors, s'il a des idées, qu'il n'a pas le courage de les appliquer ? Evidemment, cette interprétation malveillante n'est pas la bonne.

Ce débat était nécessaire au moins pour trois raisons.

Tout d'abord, même si nous disposons dans l'éducation nationale de très nombreux rapports, souvent excellents - rapports de l'inspection générale, rapports d'experts -, il existe néanmoins un gouffre - ceux qui ont participé à la Commission nationale le savent très bien, et ceux qui ont organisé ou animé des débats sur le terrain ont pu le constater -, entre l'opinion des experts du système éducatif et l'opinion de nos concitoyens, sur le terrain. Il fallait réduire au minimum ce gouffre et donc, grâce aux documents de base et à ce débat, élever le niveau de compétence, le niveau de conscience de nos concitoyens sur ces questions touchant à l'école. On croit parfois, qu'il s'agit de questions faciles, puisque tout le monde a fréquenté l'école et a des souvenirs à cet égard ; mais en vérité, et vous le savez bien, dès lors que l'on entre dans les détails, ces questions deviennent extrêmement difficiles et rapidement techniques. De ce point de vue-là, le débat a en grande partie atteint ses objectifs.

Par ailleurs, il était important d'entendre autrement que par le biais d'un sondage d'opinion les priorités que retenaient les Français pour l'école et qu'ils souhaitaient voir inscrites dans une loi d'orientation. Alors qu'un sondage d'opinion reflète une opinion à un moment x, les priorités retenues par les participants à ce débat ont souvent été indiquées après des heures et des heures de discussion. C'est donc évidemment beaucoup plus précieux pour nous que les résultats d'un simple sondage d'opinion.

Enfin, il était à mon avis important, notamment dans le contexte actuel, d'associer autant que possible nos concitoyens à la préparation de la future loi d'orientation et, évidemment, aux décisions qu'elle contiendra.

J'en viens à ma deuxième remarque, qui concerne la loi d'orientation elle-même.

On me pose souvent la question du « terrain d'atterrissage », si je puis dire : où allons-nous ? A quoi va servir ce grand débat ? Dans quelle direction nous emmène-t-il ?

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour répondre à cette question. Je ne veux pas même imaginer maintenant ce que sera la loi d'orientation, parce qu'il faut à mon avis tenir compte de ce qui a été dit au cours des 19 000 ou 20 000 débats, et j'attends par conséquent la synthèse de ces derniers qui sera remise par Claude Thélot en mars prochain, ainsi que la suite des auditions et des travaux de la Commission nationale et les recommandations que cette dernière fera à Xavier Darcos et à moi-même en fin de parcours, soit en septembre 2004.

Il est donc beaucoup trop tôt, je le répète, pour dire à quoi ressemblera la future loi d'orientation. Si, d'ailleurs, nous organisons un débat, c'est pour en tenir compte et non pour rédiger en sous-main un projet de loi avant que les conclusions du débat ne soient rendues !

Cela étant dit, qui est non pas une précaution rhétorique mais la réalité, nous pouvons d'ores et déjà considérer que la loi d'orientation devra peut-être - c'est en tout cas une hypothèse que je formule dès maintenant - prendre en compte deux éléments.

Tout d'abord, me semble-t-il, ceux qui ont participé à ce débat ont manifestement choisi des questions fondamentales et souhaitent très certainement que l'on recentre les missions de l'école sur des aspects essentiels, disons, pour parler le jargon de la maison, sur les « fondamentaux ».

Par ailleurs, nous devrons engager une réflexion - le débat d'aujourd'hui contribuera certainement à éclairer cette problématique - sur le fait qu'un certain nombre de sujets étaient absents de la loi d'orientation de 1989. Ainsi, par exemple, aussi surprenant que cela puisse paraître - mais ce n'est pas une critique de cette loi, c'était simplement l'état de la société en 1989 -, la question de la violence scolaire n'existait pas dans le débat public, en 1989, et la loi d'orientation de 1989 n'en parlait donc pas.

En outre, un certain nombre d'autres problématiques mériteront également, me semble-t-il, d'être déplacées, d'être reformulées dans des termes nouveaux. Par exemple, le fameux objectif de 80 % d'une génération au niveau du bac était assorti d'un délai dans la loi d'orientation de 1989 elle-même - ce n'est pas non plus une critique de cette loi, c'est un simple constat -, délai qui n'a pas été tenu. Peut-être faut-il, aujourd'hui, formuler autrement cette problématique tout à fait légitime en des termes différents.

Enfin, j'évoquerai un troisième exemple, celui de la scolarité obligatoire, dont on a beaucoup débattu et dont on débat encore, puisque certaines organisations syndicales proposent de la prolonger jusqu'à dix-huit ans.

C'est une hypothèse qui mérite discussion, et je ne l'écarte pas a priori. Je dis simplement qu'il serait peut-être intéressant, là aussi, de reformuler au fond la même problématique, mais très différemment, en imaginant par exemple - mais ce n'est qu'un exemple - l'hypothèse d'un crédit de formation tout au long de la vie, crédit qui pourrait être alloué à ceux qui ont eu la malchance de quitter le système scolaire trop tôt sans avoir une formation suffisante pour s'insérer dans la cité.

Voilà quelques exemples de déplacements de frontières, de reformulations de problématiques, dont, je crois, la loi d'orientation pourrait utilement tenir compte ou, en tout cas, qui devraient être étudiés au moment de la rédaction de cette loi d'orientation.

On a parfois dit que le débat sur le terrain était un exercice de démocratie directe, formule un peu imagée, excessive certainement, mais qui disait bien ce qu'elle voulait dire et avait sa légitimité.

Pour conclure, je veux vous dire de manière très claire que, même s'il y a eu une petite part de démocratie directe dans l'organisation de ce débat, et c'est une bonne chose, il reviendra évidemment à la démocratie représentative de se prononcer, en dernière analyse, sur la future loi d'orientation sur l'école. C'est à vous, la représentation nationale, qu'il appartiendra de discuter ce texte, puis, le cas échéant, de le voter.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis tout particulièrement que le Sénat puisse se saisir dès maintenant de ce grand débat auquel Xavier Darcos et moi-même participons aujourd'hui dans l'attitude qui convient, celle de l'écoute et de l'humilité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après Luc Ferry, je tiens à vous dire à mon tour combien je me réjouis de voir le Sénat prendre part au grand débat national sur l'avenir de l'école.

Je veux rendre hommage au président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, qui a eu l'initiative de cette organisation du débat, propre au Sénat, afin de le rendre plus vivant, plus réactif et de mieux l'inscrire dans l'esprit du grand débat national. Il est en effet bien regrettable, je le pensais déjà lorsque je siégeais parmi vous, qu'un sujet aussi important que l'avenir de notre pays par son système éducatif soit cantonné chaque année à une petite discussion intervenant à l'occasion de la réflexion budgétaire, quelle que soit la qualité des échanges que les sénatrices et les sénateurs peuvent avoir à ce moment-là.

Réjouissons-nous donc que, aujourd'hui, les interventions puissent être vivantes. Elles préludent d'ailleurs à d'autres débats de fond, puisque dans quelques semaines, après l'Assemblée nationale, la Haute Assemblée sera conduite à réfléchir sur un projet de loi d'orientation qui permettra de faire aboutir les contributions de tous nos concitoyens.

Je souligne à cet égard l'ampleur qu'a connue la participation à ce grand débat national, avec la tenue de quelque 30 000 réunions publiques résultant du dédoublement de 15 000 débats publics, plus de 1 million de participants ayant manifesté une opinion, sans compter 300 000 internautes qui se sont connectés sur le site du grand débat et ont exprimé un avis.

J'ajoute que, contrairement à ce qu'annonçaient quelques esprits chagrins et à ce que souhaitaient peut-être certaines organisations professionnelles, les enseignants ont contribué de façon massive au débat, puisque 45 % des participants, soit 450 000 personnes, étaient des enseignants. Autrement dit, un enseignant sur deux y a participé. Il faut donc saluer leur implication réelle et s'en réjouir, d'autant qu'elle ne s'est pas manifestée au détriment des autres acteurs de l'école que sont en particulier les parents d'élèves.

J'observe aussi que, parmi les questions qui avaient été proposées par la commission présidée par Claude Thélot, les discussions ont bien ciblé celles qui sont à nos yeux essentielles : comment motiver les élèves, les faire travailler, lutter contre l'échec scolaire, réduire la violence et l'incivilité ? Que faire des élèves en grande difficulté ? Comment s'adapter à la diversité ? Telles sont bien les questions qui sont au coeur du système éducatif. Elles n'ont pas un caractère formel, artificiel, et ne s'intéressent pas seulement aux structures ou aux superstructures. Il est heureux qu'elles aient été privilégiées.

Je note par ailleurs que les médias nationaux et locaux, en particulier la presse quotidienne régionale ou départementale, ont accordé une place importante à ces débats avec plus de mille deux cents articles de presse. Ils leur ont donné un écho dans tout le pays. Ils ont bien compris la volonté du Gouvernement de faire en sorte que le grand débat soit une démultiplication, au plus près des territoires, d'une réflexion collective.

Ainsi, l'image qui ressort du grand débat de ces dernières semaines est positive. D'une manière générale, les contributions et les synthèses témoigneront d'un travail considérable et d'une véritable démocratie participative permettant à la nation de se ressaisir d'un sujet qui la concerne au premier chef, celui de son école, c'est-à-dire de son avenir.

Après Luc Ferry, je souhaite donner à mon tour quelques pistes qui me paraissent pouvoir être retenues dans notre réflexion. Ce faisant, je m'inscris dans le droit-fil des propos tenus par le Président de la République lui-même lors de son allocution du 20 novembre 2003 au cours de laquelle il a émis le voeu que le pays se rassemble autour de ce qu'il désire pour sa jeunesse et renouvelle le pacte qui le lie à son école. Il a ajouté : « Le débat national est une chance pour notre pays. »

En effet, je vois, pour ma part, au moins trois raisons de saisir cette chance. La première c'est qu'est offerte à tous une occasion sans précédent de s'entendre sur l'essentiel dans le domaine scolaire. Nous savons bien tous, dans cette enceinte comme ailleurs, combien la passion française pour l'école est capable de susciter des querelles, des divisions, des crises et des manifestations. Toutefois, la passion même que la France a pour son école est l'atout principal à partir duquel nous devons fonder notre réflexion et capter les aspects les plus positifs.

Certes, je ne suis pas naïf au point de penser que soudain un consensus général surgira sur la question scolaire.

Mme Hélène Luc. Certes, non !

M. Xavier Darcos, ministre délégué Mais je suis convaincu que, sur bien des sujets, des convergences sont possibles : sur la priorité à donner aux fondamentaux par exemple, sur l'accueil des élèves handicapés, ou encore sur la lutte contre la violence et les incivilités. D'ailleurs, pour qui sait regarder l'éducation nationale sur la longue durée - et c'est, pour elle, le seul point de vue qui convient, vous me l'accorderez -, le plus frappant, c'est le cheminement continu, parfois invisible, d'idées qui, conflictuelles au début, finissent par faire consensus : qu'on pense, par exemple, à l'émergence de la notion d'établissement comme lieu d'une politique éducative, d'un projet éducatif qui est apparue lentement au cours des années quatre-vingt pour s'imposer finalement au début des années quatre-vingt-dix.

La deuxième raison de prendre ce débat au sérieux, c'est qu'il prépare une nouvelle loi d'orientation pour l'école : c'est un débat pour construire, pour agir. Nous estimons nécessaire que la nation fixe à son école un nouvel horizon pour les quinze ans à venir.

La loi de 1989 a quinze ans. Il n'est pas question de la remettre en cause, ni de la critiquer : elle a simplement vieilli. Les réalités ont changé, comme vient de le rappeler Luc Ferry à propos de la violence scolaire, par exemple, ce phénomène quasiment inconnu en 1989 et qui est devenu aujourd'hui un sujet préoccupant.

Par ailleurs, la dimension européenne et internationale de l'éducation, dans un monde de plus en plus ouvert et concurrentiel, doit être résolument intégrée dans nos réflexions et nos perspectives.

De même, il nous faut adapter nos objectifs de qualification aux besoins de la société à l'horizon 2010-2015.

On pourrait multiplier les exemples, mais vous aurez compris qu'il ne s'agit pas pour nous de jeter à bas, pour je ne sais quelles raisons de principe, une loi que nous n'avons pas élaborée nous-mêmes, ni d'accoler notre nom à une énième réforme de l'éducation nationale. Non, le monde change à vive allure et rien ne serait pire pour l'avenir de la France que de refuser d'adapter son système scolaire à ces changements. Un très long cycle de l'histoire de notre éducation s'achève. Il nous faut, ensemble, ouvrir une page nouvelle.

Enfin, troisième raison : il me semble que ce débat doit être l'occasion pour les Français de se rassembler autour de leurs enseignants.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Xavier Darcos, ministre délégué. Nous le savons, la crise de l'autorité retentit de manière particulièrement aiguë au sein de l'institution scolaire : crise de l'autorité des maîtres trop souvent remise en cause aujourd'hui, crise de l'autorité des savoir eux-mêmes, contestation de la culture scolaire, mais aussi des règles de vie collective. Le métier de professeur devient de plus en plus difficile alors qu'il n'en est pas de plus essentiel !

Je souhaite que ce grand débat national permette à tous les Français, et à leurs élus, de se rassembler autour de leurs enseignants, de redonner toute sa dignité à leur fonction, de les replacer au coeur de la nation, en leur disant notre estime et en leur apportant notre soutien !

Rien n'est plus indispensable pour une nation que de rendre sa dignité à la fonction enseignante. Il n'y a pas d'éducation possible de la jeunesse sans un soutien, sans une reconnaissance forte de ceux à qui la nation en a confié la charge et la responsabilité. Je souhaite, pour ma part, que la future loi d'orientation soit explicite sur cette question et que, s'appuyant sur un nécessaire rappel des valeurs qui fondent l'école de la République, elle redonne à nos maîtres l'assurance et l'espoir dont ils ont besoin.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne veux pas achever mon propos sans rappeler que la commission présidée par Claude Thélot comptait parmi ses membres Olivier Guichard, ancien ministre de l'éducation nationale. Au moment où s'ouvre ce débat, je tiens à rappeler son souvenir. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.)

Enfin, je vous prie d'excuser mon absence pour une partie de la discussion, une autre mission cet après-midi m'obligeant à quitter le Sénat. Que personne ne croit que, pour une fois dans ma vie, la chose scolaire cesserait de m'intéresser. Il y a parfois des obligations impérieuses ! Mais, comme vous le savez, Luc Ferry répondra à toutes vos interrogations. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans le cadre de la déclaration du Gouvernement sur l'avenir de l'école, la séance qui nous réunit aujourd'hui est destinée à permettre au Sénat d'apporter la contribution de ses membres au débat national.

L'objectif est que chacun puisse, quelle que soit sa sensibilité politique, faire part de ses réflexions sur l'avenir de notre système éducatif. Trois sénateurs de la commission des affaires culturelles, Mmes Annie David et Monique Papon, M. Jean-Claude Carle, sont membres de la commission présidée par M. Claude Thélot et ont, à ce titre, participé à ses travaux et à de nombreuses auditions. Particulièrement impliqués dans ce débat, ils nous diront les préoccupations des acteurs du système éducatif. Par ailleurs, la plupart d'entre nous ont assisté aux réunions organisées dans leurs départements respectifs et se feront l'écho de ces débats publics.

La forme adoptée par la conférence des présidents, et qui a été rappelée par le président Poncelet, est celle d'un débat plus dynamique et plus interactif. Il est souhaitable que chaque intervenant puisse exprimer son sentiment, son témoignage et ses interrogations.

Nos interventions sont donc destinées, messieurs les ministres, à verser au débat un certain nombre de convictions et de propositions, afin de le nourrir. Vos réponses aux orateurs nous éclaireront, sans préjuger naturellement des conclusions ultimes, car il appartiendra à la commission Thélot de faire la synthèse de tout ce qui aura été exprimé, y compris au Parlement, ainsi que vous l'avez rappelé.

Le Président de la République a souhaité que les Français se réapproprient leur école et s'accordent sur un nouveau « pacte scolaire » adapté à notre temps. Quoi de plus légitime qu'un large débat démocratique pour un sujet qui, plus que tout autre, a trait à notre destin collectif, celui de nos enfants et celui de la nation ?

Plus d'un million de Français ont déjà participé au forum en ligne et aux 15 000 débats publics qui se sont tenus sur l'ensemble du territoire. Cette mobilisation prouve l'attachement, quasi viscéral, qui lie la société à son école, par-delà les tensions et les dissensions qui les traversent l'une comme l'autre.

Mais l'école a besoin d'un nouvel élan, celui du xxie siècle. Il lui faut, avant tout, rassembler de nouveau, autour d'un projet fort et cohérent, conçu collectivement et accepté par la nation tout entière. Le débat sur l'avenir de notre système éducatif nous renvoie à notre ambition pour l'avenir de notre jeunesse et de notre pays. Que souhaitons-nous transmettre aux générations futures, pour les quinze à vingt années à venir ? Quel type de message peut-on délivrer au travers de l'école ?

Au-delà du débat, structuré autour des questions proposées par la commission Thélot, une finalité directe et pratique doit se dégager.

Les réflexions s'articulent autour de trois axes principaux : quelles sont les missions de l'école ? Comment faire réussir les élèves ? Comment améliorer le fonctionnement du système éducatif ?

A l'issue de ce « débat pour agir », le Gouvernement s'est engagé à présenter devant le Parlement une nouvelle loi d'orientation. Elle traduira la confiance retrouvée de la nation en son école et elle doit déboucher sur une mobilisation collective de tous les acteurs de la communauté éducative - élèves, enseignants, parents -, mais également de la société française.

Je limiterai mon propos à la tentative d'identifier les défis prioritaires qui ressortent, à mi-parcours, des échanges et réflexions engagés, comme des champs d'actions incontournables.

Faisons tout d'abord de ce débat l'occasion de retrouver un nouveau consensus sur l'essentiel, à savoir les valeurs et les savoirs les plus fondamentaux autour desquels nous souhaitons nous rassembler, ceux qu'il apparaît utile de transmettre à notre jeunesse.

L'école doit transmettre les valeurs essentielles de la République. Ces valeurs partagées sont les notions de respect mutuel, de tolérance, de solidarité, d'égalité à l'école et de promotion par le mérite, qui constituent le socle de notre cohésion nationale.

Les débats sur l'application du principe de laïcité dans les établissements d'enseignement publics, qui se poursuivront au Sénat, d'abord devant la commission des affaires culturelles, puis en séance publique ces prochaines semaines, confirment la place spécifique de l'école comme référence de notre identité républicaine.

Ces débats doivent conserver la sérénité nécessaire et s'affranchir des péripéties factuelles à propos desquelles nous apprécierions, messieurs les ministres, même si cela n'est pas le sujet du présent débat, quelques précisions de votre part.

Premier lieu de l'apprentissage du « vivre ensemble », l'espace scolaire repose sur l'acceptation et le respect de règles communes. Nous savons aujourd'hui qu'il s'agit d'un équilibre fragile, sans cesse à refonder. L'école, qui doit être celle de la fraternité, n'est pas épargnée par les phénomènes de violence, d'incivilités et d'intolérances, qui débouchent sur des expressions communautaristes, racistes et antisémites. Convenons qu'il s'agit d'un phénomène nouveau, comme vous l'avez rappelé, qui ne pouvait pas être pris en compte dans la loi d'orientation précédente. Le Gouvernement actuel a le courage d'aborder ces problèmes de front, dans le respect et la médiation, mais aussi avec fermeté.

Par ailleurs, l'école doit jouer un rôle fondamental dans la réhabilitation de l'effort et du travail. Rappelons que la moitié des débats publics ont relevé les préoccupations des enseignants face au manque de motivation des élèves. De ce fait, les enseignants se sentent souvent isolés et déconsidérés dans l'exercice de leur mission éducative. Rendons à leur mission ses lettres de noblesse, comme vient de le rappeler Xavier Darcos, en réaffirmant notre attachement aux valeurs de travail et de respect qui sont celles de l'école. En lui adossant une légitimité sociale forte, le métier d'enseignant retrouvera dignité et, surtout, confiance.

Cela implique une redéfinition du métier d'enseignant et une réforme profonde de leur formation, sujets qui seront abordés dans la suite de ce débat par d'autres de nos collègues.

Quels savoirs l'école doit-elle transmettre ?

A demander tout à l'école, on a perdu de vue l'essentiel, « ce qu'il n'est pas permis d'ignorer », pour reprendre la formule de Jules Ferry. Un élève qui sort de l'école primaire doit impérativement maîtriser le triptyque simple : lire, écrire et compter. Cette affirmation ne va pas encore de soi aujourd'hui : 15 % à 20 % des élèves éprouvent de grandes difficultés face à la lecture à l'entrée en sixième. C'est encore le cas de plus de 10 % des jeunes de dix-sept ans, il y a un combat à mener contre l'illettrisme. Sans maîtriser cette base solide, le processus d'acquisition des connaissances est durablement entravé.

Il n'est pas irréaliste d'assigner à l'école primaire une obligation de résultat en matière d'acquisition des savoirs fondamentaux. Mais force est de constater le désarroi des enfants, totalement instrumentalisés par les techniques modernes les plus sophistiquées - télévision, outils informatiques, jeux électroniques - qu'ils maîtrisent spontanément, et le véritable choc psychologique qu'implique pour eux l'arrivée à l'école. Ils se trouvent déstabilisés dans un milieu qu'ils considèrent rapidement comme obsolète et étranger.

Un accueil convenable suppose de repérer, dès le premier stade des apprentissages, les enfants les plus fragiles et de leur offrir un encadrement approprié : on ne saurait laisser s'installer l'incompréhension, puis l'échec, synonymes d'exclusion. Fixons des paliers, des étapes à franchir, selon des rythmes et des modalités adaptés à la diversité des élèves, pour éviter que ne se cumulent des lacunes, bien souvent irréversibles, qui perturbent le bon fonctionnement des classes et, de ce fait, l'avenir de chaque enfant.

Il est nécessaire de prendre en compte la diversité des élèves pour garantir l'égal accès au savoir à des élèves par nature inégaux.

Faisons enfin preuve de lucidité en reconnaissant et en traitant comme telle la grande hétérogénéité des élèves, qui n'est pas seulement sociale. En instituant le collège unique, on a prétendu assimiler égalité et uniformité, quitte à tirer vers le bas l'ensemble du système. Cela n'a fait que renforcer les inégalités, nourrir les rancoeurs et les désillusions, bien souvent sources d'un rejet radical et violent de l'institution scolaire. Plus personne ne le conteste raisonnablement aujourd'hui : le collège unique a laissé à la dérive des jeunes qui n'avaient ni le goût ni les aptitudes pour suivre le cursus et le rythme général.

M. Jean-Claude Carle. C'est vrai !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Sans remettre en cause la noble ambition de transmettre à tous un même socle de connaissances et de compétences qui soit notre culture commune, il est temps de reconnaître que les facettes de la réussite ne peuvent qu'être multiples.

Notre ambition se résume à une formule simple, plus réaliste que l'incantation de 80 % de bacheliers pour une classe d'âge : le système scolaire doit former 100 % de qualifiés. Cet objectif nous fixe une obligation d'agir à l'égard de ce seuil incompressible de 60 000 jeunes, environ 8 % d'une génération, qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification, sans guère de chance d'insertion sur le marché du travail. C'est un véritable gâchis humain dont le coût financier direct est considérable.

La première urgence, sur laquelle il semble facile de s'accorder, est de substituer au collège unique le collège pour tous qui offre à chacun des parcours de réussite personnalisés, adaptés à ses aptitudes, à ses capacités et même, pourquoi pas, à ses projets.

La réussite de cette mutation repose sur un changement profond des méthodes et des mentalités. Point faible de notre système scolaire, la procédure d'orientation a un rôle fondamental à jouer. Il appartient à l'ensemble de la communauté éducative, et en premier lieu aux professeurs, de prendre en main ce processus et de s'y impliquer davantage. L'accès pour les élèves et pour leurs familles à une information sur les différents parcours possibles et sur leurs débouchés est un facteur essentiel. C'est un moment privilégié pour établir un lien et un échange au sein de la communauté éducative, les familles éprouvant parfois le sentiment d'être mises à l'écart et d'être finalement privées d'une décision qui leur est imposée. L'explication, au contraire, engendre l'acceptation.

Finissons-en avec les orientations couperet, vécues comme un échec personnel et familial. Elles ont contribué à ternir l'image de la filière professionnelle, alors que celle-ci offre à ses diplômés des perspectives d'insertion économique aussi prometteuses, voire meilleures, que certaines filières générales. Notre pays a besoin de qualifications et de talents divers. Reconnaître la diversité des parcours d'excellence, c'est déjà contribuer à valoriser des filières et des métiers méconnus ou sur lesquels pèsent des préjugés infondés : cela passe, par exemple, par la réhabilitation de l'apprentissage et de l'artisanat.

L'orientation se prépare également le plus en amont possible. N'attendons pas la fin de la scolarité obligatoire à seize ans pour proposer aux jeunes en difficulté d'autres solutions. Comme s'y est engagé le ministre de l'éducation nationale l'an dernier en développant l'alternance pour les collégiens des classes de quatrième et de troisième, c'est dès l'âge de quatorze ans qu'il faut pouvoir offrir aux jeunes une approche plus concrète des métiers et des formations professionnelles, leur aménager une transition souple et réversible vers le monde de l'entreprise. C'est parfois par un détour, une prise de distance par rapport au cursus traditionnel que l'on peut redonner à des jeunes le goût d'apprendre.

L'échec scolaire n'est pas une fatalité. La formation tout au long de la vie peut être la nouvelle frontière de l'intégration. En recherchant une meilleure articulation entre la formation initiale et la formation continue, nous pourrons offrir à chacun une nouvelle chance d'insertion.

Introduisons plus de souplesse dans le fonctionnement du système éducatif, soyons pragmatiques, efficaces, et non pas dogmatiques et pressés. Pour ce faire, ménageons à notre système éducatif une plus grande souplesse, des capacités d'évolution et d'adaptation. Les acteurs de l'éducation nationale ont souvent su prouver leurs talents pour expérimenter des méthodes originales.

Faisons davantage confiance aux communautés éducatives et aux établissements pour se développer, et ce en étroite coopération avec les collectivités territoriales et l'environnement économique.

Donnons une application plus concrète au principe d'autonomie des établissements d'enseignement, afin qu'ils s'adaptent à leurs publics hétérogènes. La cohésion de l'équipe éducative autour d'un véritable projet propre à l'établissement est l'un des principaux critères de réussite. Ce peut être une façon de répondre aux inégalités criantes entre les établissements et de rendre plus concrète la notion de communauté éducative.

La question essentielle qui se pose est non plus seulement celle des moyens, mais celle des objectifs et des façons les plus propices d'y parvenir.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Tant de moyens investis méritent une meilleure utilisation. Leur constante augmentation n'est pas la panacée. Les mentalités sont aussi essentielles pour accompagner et soutenir les changements.

La politique de saupoudrage des moyens et des réformes, sans répondre à une réelle vision d'ensemble ni à une évaluation des résultats, a conduit à une impasse. Les zones d'éducation prioritaires devaient être un instrument de l'égalité des chances. Le bilan est loin d'être à la hauteur des espérances : les taux de réussite à l'évaluation à l'entrée en sixième sont inférieurs de dix points à la moyenne, et ces établissements restent les plus touchés par les incivilités et les phénomènes de violence.

L'éducation nationale doit s'appuyer, plus qu'elle ne le fait actuellement, sur l'évaluation, et en tirer toutes les conséquences, en vue de valoriser et de diffuser les pratiques les plus efficaces. Un meilleur ciblage des priorités et des besoins permet une répartition plus ajustée des moyens, par redéploiement et non pas seulement par injection supplémentaire. Il est temps de rompre avec la fuite en avant que nous avons connue auparavant.

Il faut répondre au défi de l'ouverture sur le monde, Xavier Darcos a évoqué ce point tout à l'heure.

Enfin, puisque l'école incarne notre avenir, ayons pour elle une ambition forte, à la hauteur des enjeux qui animent notre société. L'école a le devoir de préparer les générations futures à s'adapter aux évolutions d'un monde en mutation. Le savoir et les qualifications sont plus que jamais des armes indispensables pour tirer profit des opportunités qu'offre un environnement concurrentiel. L'école doit s'adapter aux défis de son temps : développer l'enseignement des sciences, par exemple, pour enrayer la désaffection des jeunes à l'égard des études scientifiques, qui sont des voies d'excellence. Les travaux récents de la commission des affaires culturelles ont mis en avant l'importance de ces enjeux nouveaux.

Lors de son allocution du 14 juillet dernier, le Président de la République a souligné la nécessité d'améliorer, chez nos jeunes concitoyens, la connaissance des langues étrangères. C'est ce qu'a rappelé avec force notre collègue Jacques Legendre dans un récent rapport d'information dont les propositions vous seront utiles, messieurs les ministres, en vue de renforcer et de diversifier l'apprentissage des langues vivantes par les plus jeunes.

Enfin, de la capacité de notre système éducatif à répondre au défi de l'ouverture sur le monde et de l'intégration en Europe dépendront la compétitivité et l'influence de notre pays dans les années à venir. La mise en place de la réforme LMD - licence-mastère-doctorat - contribuera à faire évoluer en ce sens notre université.

L'évolution de la perception de chaque individu, dès l'enfance, du monde qui l'entoure, l'évolution de la société en mutation exponentielle imposent à l'école de prendre en compte ces exigences nouvelles. Elle s'adaptera à ces ambitions élevées avec d'autant plus d'aisance qu'elle sera parvenue à garantir à tous l'accès à l'essentiel, les valeurs du « vivre ensemble » et les savoirs fondamentaux.

La loi de 1989 n'était pas une mauvaise loi, mais, incontestablement, elle a fait son temps. C'est en construisant un véritable projet d'avenir que la société retrouvera confiance en son école, mais aussi en elle-même. Le débat démocratique est une chance de retrouver ce consensus qui a imposé, au fil des décennies, l'école de la République comme le ciment de la nation.

Il vous appartient donc, messieurs les ministres, de prendre en compte, et en charge, les conclusions issues de la synthèse de l'ensemble des débats, des réunions publiques et des réflexions récoltées tant sur le terrain que sur Internet et au Parlement, afin de nous proposer à l'automne le texte novateur qui fondera l'école de demain et qui conciliera valeurs sociétales et savoirs, dans une approche solidaire, volontariste et porteuse d'avenir.

Nous attendons ce texte, messieurs les ministres, avec intérêt, patience, impatience et enthousiasme. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Je tiens à remercier M. Valade pour son exposé en tous points admirables. Puisqu'il m'invite à apporter des précisions concernant le projet de loi sur la laïcité, j'aborderai l'angoissante question de savoir si ce texte conduira ou non à l'interdiction du port de la barbe, qui préoccupe aujourd'hui certains observateurs. (Sourires.)

Le projet de loi, dans sa formulation actuelle, vise à interdire les signes et les tenues qui manifesteraient ostensiblement l'appartenance religieuse.

Hier, lors de mon audition devant la commission des lois à l'Assemblée nationale, M. Vaxès m'a demandé ce qui se passerait au cas où, la créativité humaine étant infinie en la matière, certains auraient le mauvais esprit de vouloir contourner le projet de loi en inventant d'autres signes que ceux qui sont explicitement interdits par l'exposé des motifs du texte, à savoir les grandes croix, les kippas et le foulard islamique, quel que soit le nom qu'on leur donne, pour reprendre la formulation du Président de la République.

La question me semble légitime, en particulier pour un juriste, même si elle peut prêter à sourire. J'ai donc répondu à M. Vaxès, quant à son interrogation sur « l'éventuelle pilosité » de certains qui pourrait se transformer en signe religieux, que cela tomberait sous le coup de la loi, dès lors que ce serait transformé en signe religieux et que le code de ce signe serait apparent. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo. Il va falloir trouver le code !

M. Luc Ferry, ministre. Evidemment, cette précision ne visait pas à interdire la barbe, ce qui serait d'une grande absurdité. Je voulais simplement et plus sérieusement indiquer que la loi ne pourra être appliquée sans un minimum de bon sens. Il est évident que, la créativité humaine en matière d'invention de signes - l'arbitraire du signe - étant illimitée, il sera toujours possible d'imaginer contourner la loi en inventant des signes ostensibles d'appartenance religieuse autres que ceux qui y sont explicitement visés.

Je rappellerai plus fondamentalement que la visée principale de cette loi est de faire en sorte que, dans nos établissements, les classes ne se structurent pas en communautés d'appartenance religieuse. Lorsqu'un professeur entre dans sa classe, il n'est pas normal qu'il puisse distinguer immédiatement le clan des catholiques, celui des juifs et celui des musulmans (Très bien ! sur plusieurs travées de l'UMP), surtout dans le contexte actuel de montée des communautarismes et d'affrontements parfois violents qu'elle génère dans nos établissements.

Tel était le sens de mon propos d'hier. En effet, si certains avaient la mauvaise idée de tenter de contourner non seulement la lettre mais l'esprit de cette loi en inventant de nouveaux signes ostensibles d'appartenance religieuse, ou politique d'ailleurs, ceux-ci seraient alors susceptibles de tomber sous le coup de la loi. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Ivan Renar. Gainsbourg au conseil de discipline !

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je suis un élu du Val-de-Marne, et mon département appartient à une académie qui multiplie les handicaps scolaires, obtient des résultats aux examens nettement plus faibles que le reste de la France et symbolise même, pour certains, les difficultés de l'école en banlieue. Les causes proviennent autant de notre système scolaire que de l'environnement social extérieur.

Là peut-être plus qu'ailleurs, la question de la gestion de l'hétérogénéité des élèves et de la lutte contre l'échec scolaire est très prégnante. Comment faire pour que nos élèves issus de familles défavorisées ou non francophones - et ce n'est pas marginal puisque nous accueillons 3 600 primo-arrivants par an - bénéficient des mêmes chances que ceux des milieux plus favorisés, qui maîtrisent déjà le savoir-être, le capital social et culturel reconnus par l'école ou, plus simplement, notre langue ?

Comment repérer précocement les élèves en difficulté et les prendre en charge de manière efficiente ? Car à l'école, il est question d'apprentissages disciplinaires, mais aussi de maîtrise des codes et du fonctionnement implicite du système. Or cette maîtrise des codes est considérée comme une évidence partagée, alors que c'est une norme qui ne va pas de soi pour tout le monde et qui peut être source d'échec pour certains enfants, pour qui elle constitue une culture propre à l'école, éloignée de leur milieu familial, social, culturel. Un certain nombre d'implicites peuvent ne pas être intériorisés, par exemple la façon dont il faut travailler ou ce que l'on attend d'eux.

Les pratiques enseignantes ont alors un impact considérable : elles peuvent soit réduire les écarts, soit les amplifier. Les pratiques utilisées, les stratégies pédagogiques ne produisent pas toutes les mêmes effets : il est nécessaire d'aider les enseignants à développer, selon les situations, celles qui sont les plus efficaces. Si les missions de l'école sont si complexes, c'est bien parce qu'elle doit prendre en compte la singularité des élèves tout en conservant des objectifs communs à tous.

C'est pourquoi la question de la formation des enseignants à une meilleure adaptation pédagogique ou l'utilisation pratique des résultats de la recherche en éducation est importante. Le développement d'un accompagnement individualisé des élèves tout au long de la scolarité obligatoire est une solution pour lutter contre l'échec scolaire. Seuls 36 % des enfants ont recours à leurs parents pour relire un devoir réalisé à la maison. Là réside une des grandes injustices sociales de l'école, à laquelle nous pouvons remédier par des temps de travail dirigé, d'aide individualisée en dehors des horaires disciplinaires. Pour cela, il faut réaménager les temps de service des enseignants, ce qui peut difficilement être réalisé avec des moyens humains et financiers constants.

Il ne s'agit pas de supprimer l'hétérogénéité, celle-ci doit au contraire tirer tout le monde vers le haut, élever le niveau moyen sans freiner l'excellence. La mise en oeuvre de ces dispositifs d'aide individualisée et une meilleure continuité pédagogique entre l'école et le collège, puis entre le collège et le lycée, devraient être de nature à réduire les redoublements et les réorientations.

Concernant la lecture, les évaluations réalisées en CE 2 et en sixième montrent que la principale difficulté des enfants concerne la compréhension du texte. Or celle-ci relève plus des connaissances accumulées dans la mémoire que de la technique de lecture elle-même. La compréhension, si elle est l'objectif principal de la lecture, ne lui est pas spécifique. La compréhension est un savoir préalable : elle est développée ou doit l'être avant l'apprentissage de la lecture.

Pour ce faire, le rôle de la maternelle est considérable, encore plus pour l'enfant qui n'a pas accès, dans son milieu familial et culturel, à l'exploration précoce d'un univers de l'écrit adapté à son âge, valorisé par l'école et qu'elle seule peut alors rendre accessible. Je reste persuadé que, dans ces cas-là en particulier, la préscolarisation peut être un atout considérable, un outil de prévention de l'échec scolaire, notamment par l'acquisition précoce de la culture scolaire. C'est pourquoi, je regrette la polémique initiée par le Gouvernement à ce sujet, et plus encore le recul de la scolarisation des enfants de deux ans en ZEP : elle concernait 35,7 % des enfants en 2003, contre seulement 32 % en 2000.

De même, je ne pense pas que le redoublement soit une solution efficace contre l'échec scolaire, non pas parce que je suis idéologiquement contre le redoublement, mais parce que des études françaises et internationales ont montré son inefficacité. Aussi, comme de nombreux enseignants, je n'ai pas compris, monsieur le ministre, vos propos sur le redoublement très précoce.

Si le redoublement massif, particulièrement en CP, a été abandonné, c'est bien parce qu'il a montré son incapacité à résoudre les difficultés scolaires. Ainsi, la proportion d'élèves en retard en CM 2 est passée de 25,4 % en 1990 à 19,5 % en 2000. Plus globalement, je ne crois pas que c'est en regardant vers le passé qu'on trouvera les réponses aux nouveaux défis que doit relever notre système scolaire.

Pour ma part, je ne suis pas un nostalgique de l'école de la IIIe République, ou d'un pseudo-âge d'or désormais révolu. Car ce serait oublier que cette école-là était élitiste et n'avait même pas à se poser la question de l'hétérogénéité des élèves. D'un point de vue quantitatif aussi bien que qualitatif, malgré les idées reçues particulièrement tenaces, notre école fait mieux aujourd'hui que par le passé, et ce même si la démocratisation a des ratés.

A tous ceux qui crient haro sur la loi d'orientation de 1989, il est bon de rappeler les raisons pour lesquelles on en est arrivé à cette loi.

Six ans après la loi Haby, le collège unique n'avait toujours pas été mis en place : près d'un collégien sur trois quittait le système après la cinquième. S'agissant du collège unique, soyons honnêtes : dans les faits, il n'y a guère que depuis la fin des années quatre-vingt-dix qu'il existe réellement. La population adulte d'alors était très peu qualifiée : 70 % d'entre elle avait au mieux un certificat d'aptitude professionnelle, un CAP, et seulement 16 % un baccalauréat ou plus.

Les études prospectives montraient alors que de très fortes tensions concernant les besoins en main-d'oeuvre très qualifiée apparaîtraient si l'on ne parvenait pas à atteindre l'objectif de 80 % d'une tranche d'âge au niveau du baccalauréat général, technologique ou professionnel dès 2000. C'est pourquoi, à partir des années quatre-vingt, les différents ministres ont entrepris, selon des méthodes différentes, d'atteindre cet objectif, qui s'est traduit, sur le plan législatif, par la loi d'orientation de 1989.

Abandonner cet objectif de mener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat serait une hérésie, surtout quand, selon le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, notre économie aura besoin, d'ici à 2010, de faire passer le taux de bacheliers par génération de 62 % à 70 %, et celui des diplômés de l'enseignement supérieur de 38 % à 45 %. D'ailleurs, je regrette que l'enseignement supérieur soit le grand absent du débat sur l'école, d'autant qu'il est le parent pauvre de votre politique d'éducation.

Remettre en cause le collège unique n'est pas non plus la bonne voie : la notion de culture commune est totalement contradictoire avec la sélection précoce. L'égalité des chances ne consiste assurément pas à évacuer le plus faible. D'ailleurs, l'enquête PISA, Program for International Student Assessment, a montré que tous les pays qui arrivent en tête de classement ont repoussé la sélection le plus tard possible, ont des professeurs qui enseignent plusieurs matières au collège et ont massivement développé les pratiques artistiques, contrairement à ce qui se pratique en ce moment. Pour nous, la mixité sociale est la valeur fondatrice de l'école républicaine. Nous croyons toujours à l'« éducabilité » possible pour tous et refusons de désespérer de quiconque. Mais, pour cela, il faut s'en donner réellement les moyens, et les moyens les plus appropriés.

En tout cas, pour nous, socialistes, même si nous n'en refusons pas d'emblée des adaptations ou une actualisation, les valeurs et objectifs affirmés par la loi d'orientation de 1989 restent plus que jamais valides pour aller vers une école toujours plus égalitaire. Car ce n'est pas le texte qui est sacré, ce sont les fondamentaux qu'il porte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Monsieur Lagauche, vous avez mis l'accent, avec beaucoup de justesse, sur un certain nombre de difficultés de notre système actuel. L'hétérogénéité des classes est en effet la première difficulté que les professeurs de collèges, en particulier, mettent en avant lorsqu'on les interroge sur les principaux problèmes qu'ils rencontrent dans leur vie professionnelle.

Vous avez évoqué la question de l'illettrisme. Vous savez qu'il n'y a pas de divergences entre nous à cet égard.

Sur la préscolarisation à deux ans, ce n'est pas le Gouvernement qui a lancé la polémique ; il s'en passerait volontiers ! En revanche, s'agissant de la préscolarisation des enfants de moins de trois ans dans les ZEP, je tiens à vous rassurer de manière tout à fait claire : toutes les familles qui souhaitent que leurs enfants soient scolarisés avant trois ans dans les ZEP en ont le droit et peuvent le faire. Il n'y a aucune difficulté sur ce point. L'objectif est évidemment maintenu et rien n'est remis en cause.

En ce qui concerne le redoublement précoce, vous disiez, monsieur le sénateur, ne pas comprendre l'apparition de ce thème dans la discussion publique, de mon fait, je le reconnais bien volontiers. Je n'ai pas de réponse à apporter à cette question, mais celle-ci est légitime. Elle est d'ailleurs soulevée par plus de 80 % des enseignants.

Un certain nombre d'anciens ministres de l'éducation nationale ont jugé anormal que des élèves entrent en classe de sixième sans savoir lire ni écrire convenablement. Deux d'entre eux ont demandé que l'examen d'entrée en sixième soit rétabli.

Mme Nicole Borvo. Ah !

M. Luc Ferry, ministre. Ce n'est pas forcément une bonne idée, non pas en soi, mais parce que si l'on veut faire un barrage au niveau de l'entrée en sixième, c'est évidemment beaucoup trop tard. On doit s'assurer avant - probablement à la fin du CE 1 - que les acquis fondamentaux sont bien présents.

C'est l'un des objectifs des dédoublements des cours préparatoires et, bientôt, je pense, des CE 1, que nous mettrons très massivement en place cette année, et que nous poursuivrons l'année prochaine. Quant à la loi d'orientation de 1989, vous l'avez entendu tout à l'heure, je n'en fais pas une critique systématique, loin de là. Il conviendra d'en dresser un bilan avant de rédiger la prochaine loi d'orientation. C'est d'ailleurs précisément à cet exercice que le Haut Conseil de l'évaluation de l'école a déjà commencé à se livrer.

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite que nous abordions aujourd'hui, devant la Haute Assemblée, un thème qui me tient beaucoup à coeur, puisqu'il touche directement à la jeunesse et à la formation. Ce débat est sans doute une expérience unique en France, qui a donné l'occasion à tous les Français, quelles que soient leurs fonctions, d'échanger leurs sentiments sur l'école, sujet qui touche toute la population, son avenir, et qui s'inscrit dans une perspective de long terme.

Il faut souligner l'importance de la participation des Français au débat, en particulier celle du corps professoral, et peut-être regretter la plus faible mobilisation des parents d'élèves et surtout des élèves. Sans doute aurait-il fallu, monsieur le ministre, une consultation particulière, faite pour eux, dans laquelle ils auraient pu s'exprimer dans leur langage. La mobilisation, importante malgré tout, est le signe que l'école préoccupe nos concitoyens. Le malaise profond dans lequel elle se trouve nécessitait qu'on lui accorde un débat de cette taille.

En effet, les paradoxes sont nombreux et constituent autant de sujets récurrents auxquels aucun gouvernement n'a su répondre jusqu'alors. Le débat a fait ressurgir un certain nombre de lieux communs, tels les besoins d'augmentation des effectifs d'enseignants et des moyens dans les écoles, dans un contexte de diminution du nombre des élèves, d'augmentation de l'échec scolaire et d'aggravation de l'illettrisme. Les moyens sont-ils le vrai problème ? Si la participation au débat avait été plus équilibrée, les résultats auraient sans doute été différents.

Comment sortir de ces analyses, comment trouver les chemins d'une évolution positive, celle d'une amélioration progressive et non d'un enfermement idéologique autour de certains poncifs ?

C'est bien une réflexion de fond qu'il était nécessaire d'engager sur l'école, afin d'en redéfinir les objectifs et de s'interroger sur le rôle et la place de chacun des acteurs du système : les enseignants, les parents, les élèves et les employeurs. Il est aussi urgent de recentrer l'école sur son rôle premier : la transmission du savoir et la découverte de la citoyenneté. Car l'école, c'est aussi le lieu de l'apprentissage des règles de notre République, du savoir vivre dans notre société. En somme, notre école doit retrouver sa fonction d'intégration.

La modernisation de notre système et de nos programmes est urgente, compte tenu de l'irruption à l'école de l'incivilité, de la violence et des problèmes inhérents à notre société d'aujourd'hui. Il faut redonner aux parents leur rôle dans l'éducation. C'est à eux de transmettre le respect des autres, l'acceptation de l'autorité, le sens de l'effort et le goût de la réussite.

L'école porte en elle le reflet du malaise social que notre pays connaît aujourd'hui. C'est à l'école, hélas ! que commence l'exclusion, parce que notre système scolaire classique ne possède pas d'alternatives suffisantes en cas d'échec. De trop nombreux élèves quittent le système à seize ans, sans même maîtriser les fondamentaux du savoir, car ils ont perdu leur temps à l'école : trop longtemps au fond de la classe, ils s'ennuient, trimestre après trimestre. Leurs handicaps sont nombreux et ils se sont développés tout au long de leur scolarité, sans qu'on leur propose quoi que ce soit pour les surmonter. Il faudrait les aider à découvrir leurs talents et leurs possibilités de réussir dans la vie.

La France diplômée, l'enseignement diplômant n'est pas la panacée. Il faut renforcer la voie de l'acquisition de savoir-faire, de qualifications et de véritables métiers dont nous avons besoin. Toutefois, cela nécessite, bien entendu, de mettre en oeuvre une formation tout au long de la vie, permettant l'adaptation aux nouvelles technologies, dont le rythme de remplacement ne fera que s'accélérer, nécessitant l'acquisition continuelle de nouvelles compétences.

Pour conclure, on voit poindre à la lecture du débat une grande inquiétude : la disparition progressive de l'attrait des jeunes diplômés pour la fonction d'enseignant. Il faudra, monsieur le ministre, trouver la méthode pour inverser la tendance.

Il est grand temps de modifier le mode de fonctionnement des établissements scolaires. Il faut y faire du management, laisser venir le « remue-méninges », permettre aux enseignants de s'exprimer et d'être des créateurs de pédagogie, plutôt que des « applicateurs » de circulaires ministérielles.

J'aurais pu résumer mon propos en quelques formules : le débat était le bienvenu, c'est une réussite ; des évolutions, vite, très vite ; une vision nouvelle, c'est indispensable ; la confiance redonnée aux enseignants, oui, oui, oui ; des parents responsabilisés, mais comment ?

Il me reste à souhaiter que la commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par Claude Thélot, parviendra à traiter la masse des contributions qu'elle a suscitées, et que la synthèse qui en sortira sera effectivement constructive en permettant au Gouvernement - à vous-même, monsieur le ministre -, d'élaborer un texte riche d'évolutions, porteur d'avenir et « reconstructeur » de cette grande fonction qu'est l'éducation, dont l'école est le maillon le plus important. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, je voudrais, tout d'abord, vous remercier d'avoir souligné combien ce débat était utile, voire nécessaire. Je voudrais également vous remercier des idées que vous avez émises et apporter une précision en ce qui concerne l'augmentation des moyens.

Demander plus de moyens pour l'éducation nationale est une idée sympathique et je ne peux qu'y souscrire. Ce qui est peut-être plus pervers, c'est que l'on identifie immédiatement l'augmentation des moyens à la seule augmentation des postes. Je voudrais donc dire à ceux qui demandent toujours des créations de postes, sans tenir compte des évolutions démographiques, que pratiquement 96 % du budget de l'éducation nationale sont, d'emblée, « dévorés » par le traitement des personnels.

Par conséquent, continuer à créer des emplois alors que la démographie scolaire diminue est totalement contreproductif, car un certain nombre de projets pédagogiques ne peuvent plus être financés faute de crédits. Un bon budget est donc non pas un budget qui, systématiquement, prévoit davantage de postes, mais un budget qui permet de financer les projets pédagogiques.

Je voudrais également m'associer aux propos que vous avez tenus, monsieur le sénateur, sur la nécessité pour notre système scolaire de découvrir tous les talents. Je pense, en particulier, à la nécessaire diversification des parcours au collège. Malgré certaines tentatives, en particulier les itinéraires de découverte, nous sommes encore très loin du compte : notre collège ne reconnaît toujours pas suffisamment les différentes possibilités de parcours susceptibles de faire émerger tous les talents.

Mon souci est de revaloriser la voie professionnelle. Nous en avons parlé avec les membres de la commission du débat national sur l'avenir de l'école, notamment avec son président Claude Thélot. D'autres propositions que celles que j'ai déjà formulées peuvent sans doute être mises en oeuvre.

Cependant, je voudrais quand même rappeler que l'une des stratégies que j'ai adoptées depuis un an et demi consiste à faire en sorte que les métiers soient découverts plus tôt, soit en amont du collège, et qu'ils ne soient pas choisis par défaut, c'est-à-dire en cas d'échec dans la voie générale. Mais il importe également de montrer que les lycées professionnels peuvent constituer une voie d'excellence permettant d'aller jusqu'au niveau bac + 3, voire bac + 4.

Ces deux aspects du problème, en amont et en aval du lycée, sont importants pour parvenir à une valorisation de la voie professionnelle et à la prise en charge, grâce aux différents parcours possibles, de la diversité des talents dont font preuve nos enfants.

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.

M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues. Je ne reviendrai pas sur l'intérêt de ce débat. J'indiquerai simplement que, depuis longtemps, je suis de ceux qui considèrent qu'il est nécessaire que la nation s'intéresse à son école. Certes, individuellement, les Français s'en préoccupent, mais il était nécessaire de mobiliser la nation.

J'ai apprécié l'effort de mobilisation auquel nous avons assisté et la réussite de l'opération. Je crois que l'on n'oubliera pas ce qui s'est passé.

Il était important que l'on débatte de l'avenir de l'école ailleurs que dans certaines enceintes ou dans certains cénacles.

Monsieur le ministre, j'ai choisi de traiter un thème qui n'est pas l'un des quatre thèmes prioritaires que vous avez énumérés, mais qui les concerne tous : il s'agit de la formation des enseignants. Je tiens tout d'abord à rappeler quelques chiffres.

L'éducation nationale dispose - vous l'avez souligné vous-même, monsieur le ministre - de quelque huit cent mille enseignants. Au cours des dix prochaines années, 40 % d'entre eux partiront à la retraite. Il faudra les remplacer, ce qui représente plus de trente mille enseignants par an à recruter.

Je rejoins les propos qui ont été tenus tout à l'heure par mon collègue Philippe Nogrix : il faut effectivement que les jeunes diplômés s'intéressent à la carrière d'enseignant et soient attirés par elle. C'est fondamental !

Il faut aussi que les recrutements de ces enseignants soient réguliers, qu'ils fassent l'objet d'un effort continu, car l'enjeu ne supporte pas de relâchement. Les ministres successifs - vous-même, bien sûr, monsieur le ministre, ainsi que vos successeurs - devront y veiller avec beaucoup d'attention.

L'objectif est difficile à tenir, car le flux de sortie des diplômés à bac + 3 s'établit à quelque cent cinquante mille par an, sur lesquels il faut prélever plus du cinquième. Mais c'est absolument indispensable pour notre système éducatif.

C'est un objectif difficile à tenir, certes, mais je pense que c'est aussi une chance. Dans les dix ans qui viennent, nous aurons la possibilité de renouveler en profondeur le corps enseignant, donc de mieux adapter les enseignants aux missions qui sont les leurs, et de les former réellement à l'école d'aujourd'hui.

Je ferai une première remarque à ce sujet.

La IIIe République - c'est banal de le dire, mais il convient de le rappeler - avait réussi à donner à ses futurs enseignants la fierté de leur métier et le sens profond de leur mission. (M. Pierre Martin applaudit.) Ceux-ci avaient compris la valeur émancipatrice de l'école et ils étaient chargés de la promouvoir et de la mettre en oeuvre. Ils avaient compris qu'ils avaient, en quelque sorte, à établir dans les classes la jeune République de l'époque.

Je crois que nous aurons gagné quand nos enseignants auront une claire conscience des missions qui sont les leurs, ou, plutôt, de la mission qui est la leur, qui ne se résume pas uniquement à enseigner une discipline : ils doivent, aujourd'hui encore, assumer une mission émancipatrice, faire en sorte d'arracher les élèves à tous les déterminismes - à celui du milieu et, éventuellement, à celui de la religion -, à tout ce qui les enferme et à tout ce qui les limite.

Vous disiez tout à l'heure, monsieur le ministre, qu'il était insupportable d'avoir dans une classe des groupes de croyants, qu'il s'agisse de chrétiens, de juifs ou de musulmans. La première mission de l'enseignant est bien d'arracher l'enfant puis le jeune aux déterminismes qui tendent à le conditionner.

Il n'y a plus de consommateur dont on flatte les penchants. Il n'y a plus d'appartenant à une communauté, qui se limite à cette communauté et hésite à s'ouvrir aux autres. Il n'y a qu'un élève dans une école de la République.

Si on arrivait à faire passer aux enseignants le sens profond de leur mission, on rendrait à leur métier ce qui est sa noblesse.

Monsieur le ministre, permettez-moi d'en venir à quelques considérations peut-être un peu plus techniques.

Je crois que cette mission exige une continuité tout au long du parcours : dans le primaire, au collège, au lycée. Mais il me semble que c'est surtout dans le primaire et au collège que cette exigence prend toute sa force et doit se réaliser. J'en suis donc conduit à me demander s'il est normal de former de la même manière les enseignants qui auront à assurer leurs fonctions dans les premières classes de l'enseignement secondaire et ceux qui auront à le faire dans les dernières classes des lycées.

Ne faut-il pas envisager de former une « catégorie » - je n'aime pas le mot, mais je n'en trouve pas de meilleur - d'enseignants qui aient d'abord à l'esprit cette mission-là ?

Certes, nous avons un peu de mal à imaginer une telle solution parce que nous portons en nous les modèles du passé, et, d'emblée, nous avons tendance à l'associer à la création d'un corps d'enseignants sous-formés, moins bien rémunérés, avec de moindres possibilités de promotion. Il ne faut évidemment pas qu'il en soit ainsi !

On a commencé à donner aux professeurs des écoles la même dignité qu'aux professeurs du secondaire, même s'il reste encore un peu de chemin à parcourir. Pourquoi, monsieur le ministre, n'arriverait-on pas à constituer un corps d'enseignants de collège capable d'assumer ces tâches redoutables que vous avez énoncées dans votre propos initial et qui aurait non seulement la même dignité que le corps des professeurs chargés d'enseigner une discipline, mais aussi la dignité particulière qui s'attacherait à la difficulté de leur mission ?

Monsieur le ministre, cela m'amène à la question de la part respective, dans la formation des enseignants, de la préparation aux métiers et de la formation dans la discipline.

Le moins que l'on puisse dire est que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. On le sait bien, pour les professeurs du secondaire, la première année en IUFM est essentiellement consacrée à la préparation du concours et se déroule donc dans les universités. La deuxième année est évidemment plus professionnalisée.

Il est essentiel, me semble-t-il, de trouver un autre équilibre. L'idéal serait une entrée progressive dans l'enseignement, cursus qui ne réduirait pas la formation professionnelle à une sorte d'ajout subsidiaire à la formation disciplinaire.

Hier, à l'Assemblée nationale et aujourd'hui encore ici, M. le ministre délégué à l'enseignement scolaire a souligné la nécessité de rassembler la nation autour des enseignants. C'est en effet un objectif qu'il nous faut absolument atteindre, et je souhaite que la loi d'orientation nous fournisse l'occasion de le faire. La loi d'orientation ne sera pas une bonne loi si elle ne traite pas convenablement de la formation des enseignants de France ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, je retrouve dans vos propos l'excellent spécialiste du système éducatif que vous êtes. Ce que vous avez dit sur le recrutement et sur la formation de professeurs est en effet crucial tant il est vrai qu'il ne suffit pas de mettre des postes au concours pour remplacer les départs à la retraite : encore faut-il aussi s'assurer que les viviers de recrutement sont suffisamment riches pour préserver la qualité de l'enseignement.

C'est évidemment un sujet très préoccupant. Il renvoie d'ailleurs à un problème qui, pour être technique, n'en est pas moins, lui aussi, crucial : comme l'indique le diagnostic préalable établi par le Haut Conseil d'évaluation, nous aurons très certainement besoin dans les années qui viennent de plus de diplômés de haut niveau - licence et même mastère -, notamment dans les filières générales, en particulier dans les filières scientifiques.

A cet égard, l'effondrement du choix de la filière L au baccalauréat est une très mauvaise nouvelle. Il faudra que nous contrecarrions cette tendance assez désastreuse pour l'avenir au regard des enjeux que vous avez évoqués et auxquels nous sommes, bien évidemment, sensibles.

Vous avez fait l'éloge des enseignants de la IIIe République, ce qui me donne le plaisir d'évoquer un livre peu lu aujourd'hui, Les Déracinés, qui met justement en scène deux conceptions de l'éducation,...

M. le président. Très bonne lecture !

M. Luc Ferry, ministre. ... d'un côté celle que Barrès défend, à savoir l'éducation vue comme un enracinement dans la communauté d'appartenance - la Lorraine pour les élèves qu'il met en scène - et, de l'autre côté, la vision républicaine de l'enseignement, dans laquelle il n'y a pas de véritable éducation de l'enfant sans une certaine forme de déracinement, ou d'« arrachement », comme vous le disiez si bien, aux communautés d'appartenance, aux communautés d'origine.

Ces deux belles conceptions de l'éducation sont encore très largement d'actualité et nous pourrions utilement relire Les Déracinés à la lumière des très justes observations sur la IIIe République que vous venez de faire, monsieur Gouteyron. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école est l'affaire de chacun d'entre nous. Elle est un droit à la connaissance, un droit pour les apprentissages, un droit pour apprendre à vivre ensemble, un droit essentiel pour chacun de nos jeunes puisqu'il leur permet d'acquérir, de la maternelle à la fin de leur parcours scolaire, les savoirs et les connaissances nécessaires pour construire leur avenir.

En ce sens, le système scolaire de l'éducation nationale a fait de spectaculaires progrès depuis vingt ans. Mais ses moyens, ses méthodes et ses programmes arrivent au bout de ce qu'ils peuvent, malgré la mise en place des ZEP et malgré l'investissement professionnel remarquable de la plupart des enseignants et des personnels de l'éducation nationale.

Aujourd'hui, l'école aggrave la ségrégation sociale : le nombre de jeunes quittant le système éducatif sans qualification augmente ; le nombre d'étudiants stagne et tend même à régresser.

Parce que le parti communiste a été de toutes les luttes pour l'école publique et qu'il demande depuis fort longtemps un grand débat sur l'école, ses parlementaires ont accepté de participer à la commission Thélot pour l'organisation de ce débat de société, que nous voyons non pas comme une finalité en soi mais bien dans la perspective d'une transformation profonde du système éducatif, répondant aux attentes de la communauté éducative, de nos jeunes, de leurs parents, confrontés à une société en pleine évolution.

Or, la rapidité dont il a fallu faire preuve laisse les discussions inachevées. Nous avons certes disposé de trois mois pour débattre, mais nos débats ont été concentrés sur une semaine par département. L'ambition affichée ne se retrouve pas dans cette organisation des débats.

Vous annoncez plus d'un million de participants, monsieur le ministre, mais il manque véritablement trois publics : les jeunes eux-mêmes, les directeurs d'établissements et surtout les parents d'élèves, notamment ceux des quartiers difficiles.

Débattre sur l'école nécessite aussi d'avoir une vision globale allant de la maternelle à l'enseignement supérieur. Or, la place accordée à l'école maternelle est insignifiante et l'enseignement supérieur est exclu du débat.

Quant aux thèmes abordés, beaucoup rejoignent vos préoccupations. Vos déclarations intempestives, monsieur le ministre.

M. Eric Doligé. M. le ministre est toujours calme !

Mme Annie David. ... ont sans doute franchi le cercle de la commission des affaires culturelles, rendant difficile la neutralité, tandis que d'autres thèmes, tels que la gratuité ou la scolarisation des enfants de moins de trois ans, sont ignorés, dévoyant ainsi la discussion.

L'école de la réussite pour tous est avant tout un enjeu social, mais on ne peut faire un état des lieux de l'école sans faire celui de la société. Or, voilà encore un sujet que vous avez exclu du débat.

Il ne peut y avoir une démocratisation scolaire efficace sans une politique sociale conquérante et ambitieuse : le droit au logement, actuellement en crise et dont le Gouvernement s'est délesté, le droit à la santé, remis en cause par le texte relatif à la politique de santé publique, le droit au travail, malmené aujourd'hui, avec pour preuve la multiplication des plans de licenciement, le droit pour l'école d'avoir les moyens de ses ambitions.

Or, les annonces, alors même que le débat n'est pas encore clos, de suppressions de postes, tant d'enseignants que de personnels de différents services pour la rentrée 2004, n'augurent pas du bon respect de ce dernier droit.

L'école n'est pas isolée du tissu social et laisser croire que l'échec scolaire ne pourrait être réglé que par l'école elle-même est hypocrite, voire dangereux.

En accueillant les élèves, elle enregistre les dégâts humains causés par le chômage et la précarité comme des dégâts psychiques liés à la fragilité croissante des jeunes face à l'avenir. La désespérance sociale pèse lourdement sur l'espérance que l'on place dans l'école !

C'est sur le triptyque de l'école laïque gratuite et obligatoire que s'est fondée l'école de Jules Ferry, mais ce sont bien les luttes citoyennes qui ont permis d'instaurer et de conserver un service public d'éducation nationale et autorisé l'accession à l'enseignement secondaire de la quasi-totalité des jeunes.

L'école est laïque : je réaffirme mon attachement à la laïcité, vecteur de la cohésion d'une société riche en diversité, mais nous aurons l'occasion d'en débattre puisque le Gouvernement a décidé de légiférer...

L'école est gratuite : si elle l'a été, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les familles sont, quelquefois fortement, mises à contribution, et des initiatives de compensation ont d'ailleurs été inventées par l'Etat et, surtout, par les collectivités territoriales. Mais la gratuité totale de l'école en termes de droit public n'existe pas.

L'éducation est un droit essentiel, l'école n'est pas une marchandise. Langevin et Wallon remarquaient à ce sujet voilà plus de cinquante ans : « Le niveau de développement d'un pays se mesure aux moyens qu'il consacre à l'éducation. » Parce que l'école tisse le lien social et doit assurer l'égalité des chances, nous devons nous inscrire dans une démarche de gratuité effective.

La scolarité est obligatoire : elle l'est aujourd'hui jusqu'à seize ans ; ne faut-il pas la rendre obligatoire jusqu'à dix-huit ans pour répondre au besoin qui s'annonce d'une élévation du niveau de qualification ? Vous avez dit vous-même, monsieur le ministre, que la discussion devrait s'engager sur cette réforme, qui répond aussi au droit pour tous les élèves de poursuivre, à l'issue du collège, des études de second cycle et à la nécessité d'élever, pour tous, le niveau de culture et de qualification indispensable à l'épanouissement de chacun et de la société.

Cette mesure doit s'accompagner d'une réflexion sur les contenus de la culture commune et sur les voies diversifiées pour accéder à cette dernière. En effet, malgré l'accès d'un plus grand nombre d'enfants issus de milieux modestes à l'enseignement secondaire, le collège unique n'a pas permis d'effacer les disparités sociales et encore 160 000 jeunes sortent du cursus scolaire sans qualification.

Cependant, c'est grâce à ce socle commun de connaissances que chaque individu, en s'appropriant le patrimoine commun, se lie à la communauté nationale. Une orientation précoce ne ferait qu'aggraver des inégalités contre lesquelles l'école doit lutter.

Si le collège unique n'a pas su remplir sa mission, c'est souvent en raison d'un manque de moyens, mais aussi parce que la diversité des élèves aurait dû impliquer une diversité des réponses. Au sein du collège, nous devons prendre en charge spécifiquement les élèves en grande difficulté, sans oublier pour autant les bons élèves ou les élèves surdoués, et nous devons aussi assurer l'accueil des enfants handicapés.

De même, il faut repenser le contenu des enseignements. La résorption de l'échec scolaire doit passer par une harmonisation des contenus et par des pratiques pédagogiques diversifiées. Le collège de la réussite pour tous reste donc à construire.

Par ailleurs, l'enseignement secondaire général est peu diversifié et apporte peu à la démocratisation. Peut-être conviendrait-il de créer de nouvelles filières générales, plus attractives.

Le contenu des enseignements de la filière professionnelle n'est pas exempt de critiques : ainsi, à l'ère de la mondialisation, on n'y enseigne qu'une langue étrangère.

Toutefois, il ne suffit pas de s'attaquer à l'échec scolaire à partir du collège ; il faut le prévenir dès la maternelle. La scolarisation des moins de trois ans régresse aujourd'hui, alors que des études montrent qu'elle permet de réduire l'échec scolaire pour les enfants issus de classes défavorisées. Ce droit d'être scolarisé dans une école maternelle de qualité doit permettre une meilleure réussite de tous les élèves. Le Haut Conseil d'évaluation de l'école souligne, lui aussi, le rôle incontestable du développement de la scolarisation en maternelle dans l'amélioration des résultats de l'ensemble du système scolaire.

L'école primaire et le collège : lieux d'acquisition d'une culture commune et de la réussite pour tous, tels sont les clés pour accéder et pour réussir au lycée. L'idée que la connaissance ne peut être accessible qu'à certains est pour moi inacceptable !

Aujourd'hui au moins autant qu'hier, pour de très nombreux élèves, l'école est le seul lieu d'acquisition des savoirs. Elle doit le rester, car ce sont ces acquisitions qui permettent de construire les bases d'une formation solide et durable, laquelle conditionne à la fois les possibilités futures de formation et l'égalité de chacun dans la participation à la vie démocratique. Il ne peut y avoir de transformation efficace sans une véritable démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Madame David, je salue tout d'abord votre participation à la Commission du débat national présidée par Claude Thélot. C'est un excellent signe du pluralisme et de l'ouverture de celle-ci. Je me réjouis donc que des parlementaires du groupe auquel vous appartenez aient accepté de participer à ses travaux.

Vous avez repris les trois grands thèmes qui ont fondé notre école, à savoir une école laïque, gratuite et obligatoire. Il serait intéressant de savoir comment nous les réinterprétons aujourd'hui et comment nous améliorons la mise en oeuvre de chacun des programmes que ces thèmes nous tracent implicitement.

De la laïcité, je vous ai déjà dit tout à l'heure quelques mots, qui n'étaient d'ailleurs pas aussi intempestifs que vous le prétendez puisque répondre à des parlementaires dans le cadre d'une commission n'a rien d'intempestif !

Je vous ai également déjà parlé de la scolarité obligatoire. Prolonger l'obligation jusqu'à dix-huit ans est en effet une hypothèse, mais il me semble qu'envisager la scolarité en termes de formation tout au long de la vie pourrait être intéressant, y compris du point de vue qui est le vôtre. C'est en tout cas aussi une hypothèse de réflexion.

En ce qui concerne la gratuité, un élément doit être pris en compte dans la réflexion. La loi de décentralisation, que vous n'avez malheureusement pas votée, va en effet permettre la création d'un conseil territorial de l'éducation nationale dans lequel seront pour la première fois représentés les présidents de conseil régional et de conseil général ainsi que les maires, sous la présidence du ministre de l'éducation nationale - le fait qu'un tel conseil n'existe pas encore est d'ailleurs une aberration -, ce qui permettra d'aborder très concrètement les problèmes d'égalité entre les territoires et de gratuité que vous évoquiez tout à l'heure.

Les questions comme celle de la gratuité des livres au lycée pourront être beaucoup plus vite et beaucoup mieux réglées s'il existe un lieu où le ministre de l'éducation nationale - quel qu'il soit - puisse les aborder avec les représentants des régions et des départements.

On le sait, la richesse de nos écoles communales varie de un à presque dix sur notre territoire, situation qui soulève le type même de questions que l'on pourra poser de manière utile et efficace au sein de ce conseil. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que l'école se trouve actuellement au coeur de nombreux tourments, je n'ai jamais été persuadé, comme d'ailleurs un grand nombre de nos concitoyens, que cette crise institutionnelle pouvait être résolue uniquement par la spirale de la voie budgétaire, celle de l'augmentation des effectifs ou des moyens.

Avec près de 55 milliards d'euros, le budget de l'enseignement scolaire, en augmentation de près de 3 %, a dépassé en France le produit de l'impôt sur le revenu.

Pour s'en tenir aux seules comparaisons internationales, particulièrement éclairantes, si la France dépensait autant que la moyenne des pays de l'OCDE, elle réaliserait même une économie de 8,5 milliards d'euros, soit un demi-point de PIB. Si elle s'alignait sur l'Espagne, le Royaume-Uni ou l'Allemagne, l'économie serait respectivement de 12,5 milliards, 8 milliards et 4 milliards d'euros.

Il est donc clair que le ministère de l'éducation nationale ne manque pas de moyens et dispose parfaitement des ressources humaines et budgétaires pour remplir efficacement ses missions.

Toutefois, s'il existe bel et bien une crise de l'école, au sein même du débat plus général sur la laïcité, elle me semble plutôt relever de dysfonctionnements structurels, qui n'appellent pas forcément des dépenses supplémentaires - bien au contraire - et nécessiter avant tout un courage politique de recentrage volontaire sur les priorités.

Monsieur le ministre, « l'école pour tous au service de la réussite de chacun » est un idéal républicain auquel j'adhère profondément. L'enseignement scolaire de qualité doit rester une prise de conscience politique constante et s'affirmer comme une priorité nationale permanente, ce qui est le cas.

Monsieur le président, mes chers collègues, dans le cadre solennel de la contribution de notre Haute Assemblée au grand débat national sur l'avenir de l'école, je tiens à rendre ici hommage à ce pilier fondamental de la République que sont notre école publique et notre enseignement privé.

M. René-Pierre Signé. Vous n'oubliez pas l'école privée !

M. le président. Monsieur Signé, vous n'êtes pas autorisé à intervenir !

M. René-Pierre Signé. Je ne faisais que souligner le propos de l'orateur.

M. Philippe Darniche. Toutefois, depuis des années maintenant, un constat s'impose à tous : pourquoi l'école de la République ne semble-t-elle plus assurer ses missions essentielles ?

L'école est investie à mes yeux - dans ses structures et ses pratiques - de deux missions essentielles : celle d'apprendre, d'une part, et celle de former des citoyens, d'autre part.

La crise de l'école est bien plus grave qu'un simple mal de tête. Elle ne commande rien de moins que la cohésion sociale de la société et la dynamique de long terme de notre économie. Parce que l'école est malade, l'ensemble de la société souffre. Toute faille ne doit donc pas être considérée comme une fatalité mais doit être dépistée le plus tôt possible, dès la petite enfance.

Tout d'abord, un constat alarmant s'impose à tous. Dans sa volonté d'ouvrir l'enfance sur le monde, au travers de nombreuses activités de découvertes utiles, l'école s'est rapidement dispersée et a négligé les « fondamentaux » du primaire que sont l'apprentissage de l'écriture, de la lecture et du calcul. En effet, nombre d'élèves de maternelle cumulent des retards d'acquisition importants en lecture qui les exposent à l'illettrisme et aux difficultés d'insertion professionnelle et sociale. En amont, moins de 60 % des élèves entrant en sixième maîtrisent les outils de la langue pour lire, écrire et produire un texte de manière autonome. En aval, 12 % des jeunes convoqués à la Journée d'appel et de préparation à la défense, la JAPD - dont deux fois plus de garçons que de filles - éprouvent des difficultés pour accomplir des lectures nécessaires à leur vie quotidienne.

Par ailleurs, il est nécessaire de créer les conditions propices à de meilleures relations entre parents et enseignants. La nécessaire revalorisation de l'autorité parentale et le développement des relations associatives entre les parents et l'école s'avèrent indispensables. C'est la raison pour laquelle, dans sa responsabilité d'orientation au sein des filières pédagogiques, l'éducation nationale se doit de revoir sa copie en associant parents et enfants à la réflexion et en informant convenablement les familles sur les débouchés existants au regard des capacités de l'enfant.

Enfin, assurer la transmission des valeurs républicaines et réhabiliter durablement la fonction enseignante sont les deux défis à relever en ce début de siècle. Car si la fonction d'enseignant est essentielle à la société, celle d'étudiant est primordiale pour la citoyenneté.

Monsieur le ministre, quels contours devront impérativement être dessinés pour votre future loi d'orientation sur l'éducation au mois de septembre prochain ?

Tout d'abord, il faut répondre en urgence aux besoins pédagogiques en recentrant l'école, comme je l'ai dit, sur les apprentissages fondamentaux. L'action éducative doit par ailleurs être clairement définie par la mise à la disposition des enseignants d'un corps de règles, ainsi que des moyens efficaces pour les faire respecter.

Ensuite, nous devons revoir la précédente loi d'orientation de 1989 en reformulant l'objectif dévastateur de Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale, de faire parvenir 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat. C'était une grossière erreur, car les structures intellectuelles des jeunes étudiants ne sont ni constantes, ni identiques à travers le temps.

Il en est de même du collège unique, qui, sous couvert de l'objectif d'égalité, a tiré vers le bas le niveau d'acquisition des connaissances. Il s'agit non pas de faire de l'élitisme, mais d'inverser la dynamique en tirant l'ensemble des élèves vers le haut. Cessons d'appliquer les idéologies égalitaristes, qui n'ont conduit qu'à la facilité et à la démotivation.

C'est la raison pour laquelle la « démocratisation » de l'enseignement a entraîné l'accentuation du sentiment d'échec personnel, car décréter que 80 % d'une classe d'âge doit atteindre le niveau du baccalauréat, c'était en exclure automatiquement 20 %.

Ainsi a-t-on gravement mis entre parenthèses les formations professionnalisantes au profit de l'enseignement général. En ne traitant pas à la source ce problème d'orientation sous forme de numerus clausus, nombre de filières universitaires dans les disciplines à faible employabilité ont inévitablement fait déboucher plusieurs générations d'étudiants sur de véritables impasses, et ce sans véritable espoir de retour.

A ce titre, monsieur le ministre, il n'est pas inutile de rappeler ici qu'au niveau universitaire la sélection par l'échec est flagrante. Le taux de redoublement en DEUG est considérable puisque seul un quart des élèves réussissent à obtenir ce diplôme dans les deux ans a priori requis ; un étudiant sur deux inscrits en DEUG n'obtiendra jamais son diplôme ; un tiers abandonnera même dès la première année.

Enfin, nous devons prendre en compte un sujet de société lourd et grave aux yeux de familles inquiètes à juste titre ou d'enseignants trop souvent malmenés physiquement, voire agressés sauvagement.

Je veux bien sûr parler de l'insécurité au sein des établissements et des moyens à imposer pour mieux prévenir et sanctionner la violence en milieu scolaire. Cela passe, comme d'autres l'ont dit avant moi, par la « réappropriation de la classe par les élèves, par leur responsabilisation grâce au carnet de comportements, et par des règlements intérieurs efficaces qu'il faut appliquer humainement et didactiquement mais sans jamais faillir. Les enfants réfléchissent la violence latente qui les entoure. Je pense aux médias, aux violences familiales et aux violences de rue.

Mes chers collègues, c'est en cernant les acquis et en réduisant efficacement les carences scolaires que les savoirs se transforment sereinement en outils de réussite.

Comment donc motiver les élèves, comment lutter contre la violence et contre l'échec scolaire et comment diversifier les parcours ? Autant de questions précieuses et de réponses à inventer, autant d'efforts à développer pour favoriser l'intégration scolaire des élèves handicapés et la prise en compte des élèves « à problèmes », sans oublier, bien sûr, la lutte contre l'absentéisme.

En conclusion, je pense que l'avenir de l'école passe par deux leviers essentiels.

Le premier, d'aspect sociologique, est la capacité des élèves à acquérir, dès leur plus jeune âge, une autonomie auprès des autres et avec les autres, à accepter les différences de leurs petits camarades de classe pour mieux apprendre à vivre ensemble.

Le second, d'ordre plus pédagogique, n'est autre que la « formation tout au long de la vie ». Car, ne nous leurrons pas, dans un environnement économique totalement ouvert et toujours plus concurrentiel, les parents savent que leurs enfants, s'ils ont quitté précocement le système scolaire ou n'ont pas été orientés assez tôt sur des filières professionnelles performantes telles que l'apprentissage, devront impérativement prévoir une formation continue pour actualiser leurs connaissances.

C'est le prix à payer dès le plus jeune âge pour s'épanouir personnellement et, plus tard, mettre durablement toutes les chances de son côté pour rester dans la course à la performance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Paul Blanc. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Cher monsieur Darniche, vous vous êtes interrogé sur les contours de la future loi d'orientation, en soulignant que celle-ci devrait de toute façon recentrer les missions de l'école sur les fondamentaux, notamment la lutte contre l'illettrisme, que vous avez, à juste titre, longuement évoquée.

Vous avez également insisté sur l'importance de délivrer à nos enseignants un corps de règles applicables et claires dans un certain nombre de secteurs.

Je voudrais simplement, en liant les deux thèmes, vous dire que nous travaillons dans cette optique, qui est proche de la vôtre, notamment en matière de lutte contre l'illettrisme, avec, par exemple, le développement des dédoublements de cours préparatoire, dans lesquels on peut enseigner la lecture et l'écriture par groupe de dix ou douze.

Nous avons publié, voilà quelques jours, un livret pédagogique contenant un certain nombre de recommandations pédagogiques sur les méthodes de lecture, qui aidera les enseignants qui pratiquent le dédoublement de classe - Mme Papon interviendra tout à l'heure sur ce thème important, qui lui tient à coeur - et qui donne aussi un certain nombre de règles claires en matière, par exemple, d'association du diagnostic et de la remédiation.

L'avantage de l'enseignement par petits groupes en matière de fondamentaux, qu'il s'agisse de la lecture ou d'autres apprentissages de base, c'est qu'il permet, au moment où l'on diagnostique une difficulté chez l'élève, de mettre aussitôt en place la remédiation.

Vous avez évoqué un autre thème, celui de l'échec au niveau du DEUG. Nous travaillons très activement sur cette question, qui est liée en grande partie à des défauts d'orientation.

Permettez-moi de vous citer un exemple chiffré : il faut savoir que près de 80 % des bacheliers technologiques inscrits à un DEUG général échouent. Or 50 % d'entre eux avaient au préalable demandé une affectation dans une filière technologique, la plupart du temps dans des sections de techniciens supérieurs, STS, qui leur a été refusée.

C'est sur ce type de problèmes que nous voulons agir afin de tenir compte des préoccupations que vous avez très justement soulignées.

M. le président. La parole est à M. Pierre Lafitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir organisé le grand débat national sur l'avenir de l'école, avec tant de succés.

M. René-Pierre Signé. Il n'a pas été suivi !

M. Pierre Laffitte. Je remercie également Jacques Valade d'avoir organisé cette contribution du Sénat.

Il s'agit en effet d'un débat politique majeur et, comme toujours, lorsque le problème revêt une telle importance, je constate, au sein de notre assemblée, une certaine convergence, en dépit de nos différences politiques. C'est satisfaisant pour la démocratie et pour notre Haute Assemblée.

Je commencerai par les maternelles, qui, pour être à la limite de ce débat sur l'école, n'en sont pas moins à la base de la socialisation. Elles sont en France une réussite incontestée. Pourquoi sont-elles si souvent exemplaires ? Peut-être parce que la liberté des personnels et des programmes y est plus grande.

Les orateurs qui m'ont précédé ont évoqué de façon remarquable la plupart des points essentiels du débat. Je bornerai donc mon propos à quelques remarques sur la motivation des élèves.

La motivation, à mon sens, passe par l'ouverture, l'innovation et la diversification.

L'ouverture du système de l'éducation nationale est réelle. Il faut la renforcer en facilitant beaucoup plus largement l'accès de personnalités extérieures. A cet égard, je citerai l'exemple des sénateurs qui, grâce à une initiative de notre président Christian Poncelet, se rendent chaque année dans des écoles primaires, des collèges, où ils sont reçus avec beaucoup d'intérêt par les enfants, qui ne connaissent pas la vie politique, pas plus qu'ils ne connaissent les fonctions législatives des sénateurs ou celles qu'ils remplissent au jour le jour auprès des populations, des maires et des collectivités. Les enfants, comme les professeurs, manifestent un réel intérêt pour ces rencontres, comme en témoignent leurs multiples questions.

C'est un exemple, mais l'on pourrait en citer beaucoup d'autres.

Il conviendrait selon moi, de faciliter cette ouverture, à laquelle les enseignants de base sont très favorables, alors que les circulaires en limitent encore trop souvent les conditions et que les inspecteurs généraux ne l'encouragent pas toujours.

Les visites à l'extérieur ont des effets extraordinaires. Lorsque l'on fait visiter des laboratoires de recherche à des classes, les enseignants constatent ensuite un accroissement considérable de la motivation de leurs élèves.

Autre exemple : le conseil général de mon département a organisé une visite à Auschwitz pour des élèves de quartiers difficiles. Ils en sont revenus très impressionnés et, me semble-t-il, opposés à jamais, quelle que soit leur confession, aux extrémismes. Ces deux exemples sont très différents, mais leur aspect positif est fondamental.

Enfin, s'agissant des stages de longue durée et des formes d'alternance, si leur pratique est moins répandue en France que dans d'autres pays, la société civile est désormais toute disposée à prêter son concours.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'innovation, des opérations comme « La main à la pâte », lancée par l'Académie des sciences et très largement reprise, notamment avec votre appui, doivent être développées. Je pense, en particulier aux innovations liées à l'usage des médias. Il faudrait utiliser plus largement France 5, d'ailleurs créée sur l'initiative du Sénat, et qui vient de signer un accord avec le CNDP, le Centre national de documentation pédagogique.

Il est nécessaire de promouvoir bien d'autres actions d'éducation en s'appuyant sur l'Internet à haut débit, sur les nouvelles technologies, et sur l'enseignement à distance, en utilisant des services tels que ceux du CNED, le Centre national d'enseignement à distance, des universités et de l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes. Les potentialités d'innovation sont considérables.

Enfin, il convient de diversifier les actions, ce que permettent l'innovation et l'ouverture, pour répondre également aux nouveaux besoins sociaux et économiques. Il faut promouvoir la culture scientifique, ce qui est aussi une forme de diversification. C'est d'ailleurs une priorité nationale et votre ministère, à cet égard, occupe une position tout à fait centrale.

Est-il vraiment nécessaire d'enseigner l'anglais à tous à l'école primaire ? Ne vaudrait-il pas mieux enseigner d'autres langues, en particulier l'allemand, l'italien ou l'espagnol, langues des pays avec lesquels s'effectue l'essentiel de notre commerce extérieur et avec lesquels nous entretenons d'importantes relations, touristiques notamment ! S'il est clair que, pour acheter, la pratique de l'anglais est indispensable, mieux vaut, lorsqu'on prétend vendre ses produits, parler la langue des pays acheteurs. Or, actuellement, la domination de l'anglais à l'école est absolue. Il s'agit non pas d'interdire l'apprentissage de l'anglais mais simplement d'éviter que l'on arrive à la situation que notre collègue M. Legendre a parfaitement décrite dans un rapport récent.

L'enseignement à distance permet de faciliter, dans le milieu secondaire, l'apprentissage d'autres langues et - pourquoi pas ? - « de mettre en vedette » celui de la langue la plus parlée au monde, le chinois, qui constitue un exercice de gymnastique mentale passionnant - je l'ai moi-même expérimenté - et qui peut se revéler extrêmement facile pour des enfants.

Enfin, ces préoccupations me conduisent à souligner la nécessité de développer les motivations des élèves non seulement en éveillant leurs facultés mais aussi en les incitant à découvrir les nouveaux métiers.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques remarques que je voulais formuler. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Je souhaiterais sinon répondre à M. Laffitte, du moins lui faire partager mes réflexions sur les questions qu'il a évoquées, notamment sur celle de la motivation des élèves, qui est en effet très importante puisqu'elle a été la première à être retenue par les participants au grand débat national.

Vous avez, monsieur le sénateur, mis particulièrement l'accent sur la question des motivations pouvant favoriser les vocations scientifique et l'intérêt pour la science, sujet que vous connaissez admirablement et qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur.

Cette crise des vocations scientifiques que nous connaissons en France depuis pratiquement une dizaine d'années, et qui se traduit par une baisse d'environ 25 % des inscriptions dans les premiers cycles universitaires des filières scientifiques, est évidemment très préoccupante.

Je crois qu'il y a trois raisons à cette situation. On évoque toujours les raisons budgétaires, et cette analyse comporte une part de vérité : depuis environ vingt ans, les gouvernements qui se sont succédé, toutes tendances politiques confondues, ont sous-doté l'enseignement et la recherche par rapport à l'enseignement scolaire. Cette tendance doit maintenant être activement corrigée, et c'est la raison pour laquelle, dans le budget pour 2004, nous avons décidé de transférer 100 millions d'euros de crédits de l'enseignement scolaire vers l'enseignement supérieur, pour montrer, à tout le moins, la direction à suivre.

La deuxième raison, plus profonde, tient à l'image de la science, que nombre de nos contemporains associent bien plus à la notion de risque qu'à la notion de progrès : nous ne nous trouvons plus aujourd'hui dans la même situation que les philosophes des Lumières aux xviiie siècle ! La science a fortement pâti de cette image négative, renforcée notamment par les débats qui ont entouré la question des organismes génétiquement modifiés, les OGM.

La troisième raison, enfin, est liée au fait que l'apprentissage des sciences demande des qualités qui sont devenues rares, celles du travail et de l'effort, alors que, depuis une trentaine d'années, la pédagogie privilégie plutôt l'expression de soi. Or, lorsque l'on apprend, par exemple, la liste des protéines, en biologie, ce n'est pas tellement l'expression de soi qui est la qualité à valoriser, c'est bien une certaine humilité face à un savoir que l'on reçoit de l'extérieur et pour l'appropriation duquel il est nécessaire de fournir un travail.

Il nous faut donc proposer des remèdes efficaces prenant en compte ces trois raisons du déclin des vocations scientifiques qui frappe aujourd'hui non seulement notre pays, mais également tous les pays occidentaux.

Vous avez évoqué l'un de ces remèdes, monsieur le sénateur, qui semble extrêmement efficace, que nous mettons en place dès cette année et que nous étendrons l'année prochaine. Il s'agit tout simplement de faire en sorte que les classes, notamment à partir du lycée - et même, si possible, avant - aillent visiter des laboratoires pour voir concrètement à quoi ressemble la recherche scientifique. De tels contacts contribuent fortement à susciter des vocations et, surtout, à dissiper l'image fallacieuse de la place de la science dans la cité que les jeunes se font trop souvent à partir de la télévision et des autres médias.

Bien évidemment, de nombreuses autres actions doivent être mises en place. Mais celle-ci semble particulièrement importante et efficace. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Ivan Renar. Ciel ! Un barbu ! (Rires.)

Mme Hélène Luc. Il est vrai qu'il ne fait pas bon être barbu !

M. Jean-Marc Todeschini. Il ne m'a pas dit quel savon il fallait que j'utilise ! Mais je demanderai la longueur du sabot pour me raser. (Sourires.)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que nous arrivons à mi-parcours du pseudo-débat sur l'avenir de l'école (Protestations sur les travées de l'UMP), le Gouvernement propose au Sénat de participer à celui-ci par un prétendu débat s'inscrivant parfaitement dans la ligne globale du dialogue institué avec les Français et que l'on pourrait résumer de la manière suivante : beaucoup de bruit pour rien !

M. René-Pierre Signé. Voilà qui est direct ! Cela nous réveille !

M. Jean-Marc Todeschini. Je n'exposerai pas ici les modalités générales du débat, pour le moins confuses : mon collègue Jean-Louis Carrère l'a déjà fait lors de la discussion budgétaire, en décembre dernier, démontrant à quel point il ne pouvait qu'être infructueux, compte tenu de la multitude des compétences plus ou moins réelles appelées à se prononcer simultanément et dans toutes les directions, sans pour autant bénéficier de réelles marges de manoeuvres.

Où en est réellement le débat ? A mi-parcours, de l'avis général, il n'a pas apporté les résultats escomptés ; les 15 000 réunions publiques prévues initialement, qui se sont tenues jusqu'à la semaine dernière, n'ont pas, faute de combattants, connu le succès attendu...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est faux !

M. Jean-Marc Todeschini. On annonce un million de participants, selon les sources mêmes du ministère de l'éducation nationale,...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est considérable !

M. Jean-Marc Todeschini. ... ce qui équivaut à environ soixante-dix participants par établissement.

M. René-Pierre Signé. Ils sont tout de même sortis de chez eux !

M. Jean-Marc Todeschini. Si l'on ôte l'ensemble des « institutionnels » obligés, partenaires incontournables, qui participent chaque fois aux débats, on observe que les Français ne se sont absolument pas mobilisés. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Ce chiffre de soixante-dix participants me paraît au demeurant extrêmement optimiste.

Mme Nicole Borvo. C'est certain !

M. Jean-Marc Todeschini. Ceux qui ont assisté à l'une de ces réunions publiques ont pu s'apercevoir que les citoyens-parents d'élèves y étaient plutôt minoritaires. Tous les échos que j'ai reçus me rapportent une participation maximale de cinq parents à chaque réunion !

M. René-Pierre Signé. Et encore !

M. Jean-Marc Todeschini. Sans vouloir tirer de conclusions hâtives, je suppose que, comme nous tous, ils ont senti que, sous couvert de débat démocratique, les jeux étaient déjà faits !

M. René-Pierre Signé. Exactement !

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le ministre, chacun sait désormais que votre principal objectif est d'élaborer une réforme du système éducatif permettant de remettre en cause l'ensemble des acquis découlant de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989.

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Jean-Marc Todeschini. De toutes parts, pourtant, les différents acteurs et usagers de l'école s'accordent pour affirmer qu'il ne faut surtout pas remettre en cause ces acquis majeurs de la loi de 1989.

M. Didier Boulaud. Cela ne fait rien : ils n'y connaissent rien !

M. Jean-Marc Todeschini. Je citerai plus particulièrement la conception et l'organisation du système scolaire en fonction des élèves, la reconnaissance des parents d'élèves comme membres à part entière de la communauté éducative, l'acquisition par tous d'une culture générale et d'une qualification assurée, la scolarisation dès l'âge de deux ans dans les zones défavorisées, les IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres, ou encore le seuil de 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac.

Je souhaite vivement que l'ensemble de ces acquis, qui ont été porteurs de progrès en termes d'égalité des chances, de progrès social et culturel, ne soient pas balayés au terme du débat et purement et simplement rayés du code de l'éducation.

Les gouvernements de gauche ont toujours placé l'éducation en tête de leurs priorités, au coeur de leurs préoccupations. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Boulaud. Ce n'est plus le cas !

M. Jean-Claude Carle. Ils se sont contentés de paroles !

M. Jean-Marc Todeschini. Nous ne pouvons pas en dire autant de l'actuel gouvernement, qui, dès son arrivée, a mis brutalement fin à cet effort prioritaire en faveur de l'éducation nationale.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est faux !

M. Didier Boulaud. C'est la revanche !

M. Jean-Marc Todeschini. Faut-il ici rappeler que le budget consacré à l'éducation est en déclin continu, que l'on a assisté à la réduction drastique des moyens pédagogiques accordés aux collèges et aux lycées ainsi qu'à la suppression du plan de recrutement des enseignants ?

M. Didier Boulaud. Absolument !

M. Jean-Marc Todeschini. Après cette vaste opération de démolition du service public de l'éducation nationale, le Gouvernement annonce qu'il veut écouter avant de fixer les missions de l'école.

Alors, je dis bravo ! Bravo pour ce double langage, bravo pour votre sens aigu de la démagogie. (Exclamations et rires sur les travées de l'UMP.)

Dites-vous bien, monsieur le ministre, que personne n'est dupe. Car, depuis un an, en guise de débat, parents et personnels de l'éducation ont connu crispation et mépris. En attendant, la pseudo-concertation tous azimuts permet d'occulter le débat essentiel, celui des suppressions massives de postes d'enseignants dans les collèges et les lycées à la rentrée prochaine :...

M. Jean-Paul Emorine. C'est faux !

M. Jean-Marc Todeschini. ... car 4 000 emplois d'enseignants en moins, c'est du jamais vu !

M. René-Pierre Signé. Des canons, pas des écoles !

M. Jean-Marc Todeschini. L'argument du Gouvernement selon lequel ces suppressions constituent une mesure d'accompagnement de la baisse des effectifs est fallacieux : les 41 900 élèves de moins à la rentrée 2004 représenteront à peine un demi-élève de moins par section ! Cette baisse ne concerne d'ailleurs que les collèges, puisque les lycées et les lycées professionnels devront, pour leur part, faire face à une hausse des effectifs, modérée, certes, de 9 250 élèves. Est-ce ainsi que l'on améliorera l'encadrement, alors que l'effectif moyen est supérieur à 30 élèves par classe ?

En Lorraine, alors que l'on s'apprête à vivre la disparition définitive des Houillères du Bassin de Lorraine - le sujet sera évoqué ici, même demain -, vos décisions de fermeture de postes sont ressenties comme un véritable coup de grisou : suppression de 76 postes dans le premier degré, alors même que 657 élèves supplémentaires sont attendus à la rentrée, et de 468 postes dans le second degré, sans compter celle de 44 postes d'agents administratifs et de 24 postes d'ouvriers et techniciens.

M. Didier Boulaud. C'est la nouvelle mathématique !

M. Jean-Marc Todeschini. Tout cela est inacceptable et injustifié !

Je citerai un autre exemple. Mon collègue et ami Bernard Frimat, sénateur du Nord et vice-président du conseil régional chargé des lycées, notait que, comme la région Lorraine, avec laquelle elle a tant de similitudes, la région Nord - Pas-de-Calais est frappée de plein fouet par votre politique, qui lui inflige la suppression de postes la plus importante, et de très loin, du pays. Dans une région où le chômage des jeunes est douloureusement vécu, est-il normal qu'à l'effort maximal des collectivités territoriales corresponde un désengagement de l'Etat ? Pourquoi vous rendez-vous responsable d'un Metaleurop de l'éducation ?

Inexorablement, ces suppressions auront des répercussions sur les enseignements et, à terme, sur les programmes ; l'enseignement de certaines disciplines va disparaître de certains établissements. Il ne fait pas de doute que seront d'abord sacrifiées les disciplines culturelles : vous avez, monsieur le ministre, suffisamment répété que les enseignants ne doivent pas se transformer en « animateurs culturels ». Je trouve ces propos extrêmement méprisants à l'égard des enseignants qui n'enseignent pas les disciplines dites « fondamentales » et que vous vous plaisez à énumérer ainsi : « lire, écrire, compter ».

Est-ce ainsi que vous comptez, monsieur le ministre, assurer l'égalité des chances entre tous les enfants ? L'école reste le seul bastion permettant à certains jeunes d'acquérir les bases d'une culture générale. Il me semble primordial d'y préserver l'enseignement des disciplines autres que « fondamentales », qui constituent un gage d'ouverture sur la société pour tous.

Mme Danièle Pourtaud. Tout à fait !

M. Jean-Marc Todeschini. Votre politique budgétaire a eu pour effet de réduire le nombre tant des postes d'enseignants que de ceux destinés aux non-enseignants et aux jeunes adultes chargés de la surveillance dans les établissements. Le remplacement des MI-SE et des aides-éducateurs par les assistants d'éducation a eu pour effet de supprimer la présence de plus de 20 000 adultes en deux ans - 2003 et 2004 - dans les établissements ce et, à l'heure où le Gouvernement insiste sur la nécessité de renforcer le nombre d'adultes au sein des établissements scolaires dans le cadre de la lutte contre la violence. Nous n'en sommes pas à une incohérence près !

Votre apport législatif, quant à lui, se réduit pour l'heure à une remise en cause du caractère national des diplômes et des formations, et au démantèlement de la communauté éducative du fait de la décentralisation des personnels TOS. Ces mesures, contenues dans le projet de loi « responsabilités locales », qui est actuellement en navette, laissent malheureusement présager une privatisation rampante du service public de l'éducation.

M. Didier Boulaud. Oh oui, alors !

M. Jean-Marc Todeschini. Les idées ringardes qui circulent actuellement sur le redoublement, sur la remise en cause de la mixité, voire sur le port de l'uniforme, n'augurent rien de bon non plus quant aux futures réformes du système éducatif.

M. Didier Boulaud. Les filles en rose et les garçons en bleu !

M. Jean-Marc Todeschini. Il faut réagir, se repositionner sur les véritables questions : l'intégration de tous les enfants, avec une meilleure prise en charge des individualités, des éventuels handicaps ; des propositions pour faire en sorte que, chaque année, 60 000 enfants ne sortent plus du système scolaire sans qualification ; enfin, un accès plus démocratique à l'enseignement supérieur.

En résumé, je souhaiterais que la question de l'égalité des chances soit débattue sous tous ses aspects. Il s'agit à mes yeux du premier débat, du débat fondamental. Or les 22 questions proposées pour cette consultation sur l'avenir de l'école ne font qu'effleurer ce sujet primordial.

Dans son principe, un débat sur l'avenir de l'école est tout à fait positif. Encore aurait-il fallu qu'il ne soit pas factice tant dans sa forme que sur le fond des thèmes abordés. Le parti socialiste n'a pas voulu cautionner ce simulacre de débat et a refusé dès le début de participer à la commission Thélot.

M. René-Pierre Signé. Il a bien fait !

M. Jean-Marc Todeschini. Notre position reste identique : nous avons beaucoup à dire sur l'école, mais nous souhaitons nous exprimer dans des conditions de débat réellement démocratiques et sur les sujets qui nous tiennent à coeur.

Le cadre que vous nous proposez, monsieur le ministre, ne répond malheureusement pas à ces conditions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. René-Pierre Signé. Larges applaudissements !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Luc Ferry, ministre. Monsieur Todeschini, permettez-moi de vous demander sans aucune agressivité ni la moindre méchanceté si vous n'êtes pas vous-même lassé de répéter sans cesse la même ritournelle sur le démantèlement du service public et la baisse des moyens.

Je me souviens, et vous allez m'en donner la nostalgie, d'une époque où la gauche avait encore des idées sur l'école. Ce n'étaient pas les miennes, mais, au moins, il y avait un petit peu d'utopie, et l'on pouvait discuter ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Aujourd'hui, vous n'avez plus à la bouche que « les moyens, les moyens, les moyens » et « le démantèlement du service public » ! Mais enfin, qui pouvez-vous convaincre avec de tels thèmes ? Pensez-vous vraiment qu'une seule personne en France croie que nous sommes en train de démanteler le service public ?

M. Jean-Claude Carle. Même pas lui-même !

M. Luc Ferry, ministre. C'est grotesque ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

J'aimerais que l'on retrouve un débat de fond entre des hommes de gauche qui ont des idées sur l'école, même utopiques - nous pouvons être en désaccord ! -, et des hommes de droite qui, aujourd'hui, on le voit, s'investissent dans le débat public et qui sont désormais les seuls à porter un message de fond sur l'école. (Mme Nicole Borvo proteste.) Le déséquilibre est frappant !

Le seul moyen pour vous de sortir de cette contradiction est d'affirmer que le débat n'a pas eu lieu. Mais je vous fais observer, monsieur Todeschini, que c'est très désobligeant pour vos collègues du parti communiste qui ont accepté d'y participer,...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui, c'est très désobligeant pour eux !

Mme Nicole Borvo. Mais non !

M. Luc Ferry, ministre. ... c'est très désobligeant pour le million de Français qui a fait l'effort de se déplacer, dans les arrondissements et dans les établissements, pour y participer, et c'est très désobligeant pour la commission nationale, qui a pris le soin de faire réaliser une enquête par un institut indépendant, la SOFRES, afin de donner des chiffres qui ne sont pas ceux du ministère, contrairement à ce que vous prétendez.

La vérité, je le pense très sincèrement, c'est que vous regrettez d'avoir commis l'erreur politique majeure de ne pas participer à ce débat. (Sourires sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Estier. Absolument pas !

M. Didier Boulaud. C'est sans regret !

M. Luc Ferry, ministre. Non seulement c'était une erreur, mais c'est probablement une faute.

Pourquoi n'avez-vous pas participé à ce débat ? Je crains que ce ne soit tout simplement parce que vous n'avez plus rien à dire sur ces sujets ! (Bravo et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)