PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la réforme de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 était très attendue, et depuis des années. Si cette loi a été à l'origine d'acquis indéniables pour les personnes handicapées, notamment en imposant une obligation nationale de solidarité à leur égard, il faut bien admettre qu'elle n'a pas atteint son objectif essentiel d'intégration et qu'elle ne répond pas aux nouveaux enjeux d'aujourd'hui.

La jurisprudence Perruche et les débats qu'elle a suscités ont permis à chacun de mesurer le désarroi des familles confrontées au handicap de leur enfant et l'exclusion dont les personnes handicapées sont trop souvent victimes, faute de moyens décents.

Devant ce constat, il est clair que des prestations a minima, définies dans le cadre d'un régime d'assistance, ne peuvent plus nous affranchir de notre obligation. Celle-ci doit se traduire aujourd'hui par une compensation réelle et intégrale des désavantages liés au handicap, afin de rétablir l'égalité entre les citoyens « valides » et ceux qui sont « handicapés », et de favoriser dans toute la mesure possible le maintien de ces derniers en milieu de vie ordinaire.

Il importe également de mettre un terme au véritable parcours du combattant que vivent au quotidien les personnes handicapées et leurs familles pour faire valoir leurs droits et pour participer de manière effective à la vie sociale.

Compensation, accessibilité et simplification, voilà les trois objectifs que vous vous êtes assignés, madame la secrétaire d'Etat et que nous devons faire nôtres.

La lecture de l'exposé des motifs de votre projet de loi engendre de grands espoirs : création d'une prestation de compensation comprenant, outre les aides humaines, les aides techniques, l'aide à l'aménagement du logement et l'aide aux aidants ; assouplissement des règles de cumul de l'AAH avec un revenu d'activité et garantie de ressources au niveau du SMIC ; élargissement des obligations actuelles et renforcement des contrôles et sanctions en matière d'accessibilité du cadre bâti et des transports publics ; réaffirmation de l'obligation faite à l'éducation nationale d'assurer la scolarisation de tous les enfants et adolescents handicapés dans l'école la plus proche de leur domicile ; dispositif d'incitation et de sanction visant les entreprises et obligation pour les partenaires sociaux de négocier périodiquement sur l'emploi des travailleurs handicapés ; enfin, interlocuteur unique au service de la personne handicapée, à travers la création des maisons départementales du handicap, chargées de coordonner les interventions des différents acteurs.

Toutes ces mesures sont positives et méritent d'être saluées.

Cependant, l'examen attentif du texte même du projet suscite quelques interrogations, voire une certaine déception.

En premier lieu, les dispositifs proposés ne prennent pas suffisamment en compte la divesité des handicaps. Qu'il soit de naissance, survenu à l'âge adulte à la suite d'un accident ou une maladie, qu'il soit lié au vieillissement, qu'il soit moteur, sensoriel, mental ou psychique, chacun de ces handicaps exige une réponse adaptée.

Il me semble que des programmes d'action correspondant spécifiquement aux différents types de handicap auraient été plus judicieux.

Qu'est-il prévu pour le handicap psychique, le polyhandicap et le handicap de grande dépendance ?

Par ailleurs, le droit à compensation universelle, qui devait être la clef de voûte de ce projet de loi, déçoit un peu ; mais je sais que vous envisagez, madame la secrétaire d'Etat, de nous présenter des amendements à ce sujet.

Dans l'état actuel du texte, en sont en effet exclus les enfants de moins de vingt ans, alors que l'AES est loin de couvrir tous les besoins. Elle est modulée en fonction des revenus et, surtout, son accès n'est ouvert qu'à partir d'un taux d'invalidité supérieur à 80 %. Ce dernier critère ne reflète certainement pas les besoins de la personne.

Sur l'accès de tous à tout, autre principe directeur de ce projet, j'aimerais dire : gardons-nous de faire de l'angélisme, voire de donner dans l'irréalisme.

Si l'accès à l'éducation constitue à l'évidence, pour les enfants et adolescents handicapés, un droit fondamental et un moyen d'épanouissement et de socialisation, le maintien en milieu scolaire ordinaire ne doit pas être un objectif systématique. Ce maintien n'est pas toujours conforme à l'intérêt de l'enfant, qui pourra parfois mieux valoriser ses capacités dans un parcours de formation spécialisé. Il me paraît essentiel que les enseignants élaborent avec les parents un projet individualisé, adapté au handicap de l'enfant.

S'agissant de l'accès au cadre bâti et aux transports, j'y suis évidemement très attaché, mais, là aussi, je crois qu'il faut rester raisonnable. Le projet de loi impose, par exemple, une accessibilité complète des transports publics dans un délai de six ans, sauf en cas d'impossiblités techniques avérées. Cela aura un coût considérable pour les collectivités locales. Pourquoi ne pas imposer cette obligation au fur et à mesure du renouvellement du parc de matériel roulant ?

Par ailleurs, que recouvre l'accessiblité à tous types de handicap ? Faudra-t-il installer des indications de rue, d'adresse ou de service en braille pour que les non-voyants puissent se diriger dans la cité ou les établissements recevant du public ? Est-ce raisonnable pour les collectivités qui auront à supporter ce choix ?

Globalement, le projet de loi permet, à travers un meilleur équilibre entre incitations et sanctions, une prise en compte plus systématique de l'accessibilité. Je ne crois pas qu'il faille faire de la surenchère dans la contrainte, et c'est pourquoi, d'ailleurs, je suis dubitatif, M. le rapporteur le sait, devant certains amendements de la commission des affaires sociales.

En matière d'emploi, je m'interroge sur l'abandon du système des unités bénéficiaires au profit du 1 pour 1. Cela n'aura-t-il pas pour conséquence de pénaliser les entreprises qui s'attachent à embaucher des personnes lourdement handicapées ?

Par ailleurs, ce projet de loi prévoit la création d'un fonds commun aux trois fonctions publiques, reposant sur un système contributif analogue à celui qui existe dans le secteur privé. C'est une très bonne mesure, qui était, me semble-t-il, attendue par les handicapés. Il n'est en effet pas normal que les employeurs publics, qui sont loin d'être exemplaires, échappent à toute sanction en cas de non-respect de l'obligation d'emploi.

En revanche, des aides et une modulation de la contribution seront-elles aussi accordées aux collectivités locales pour l'aménagement de postes ou l'emploi de personnes lourdement handicapées, comme cela est prévu pour les entreprises ?

Enfin, s'agissant des maisons départementales du handicap, j'y suis très favorable, car elles doivent permettre de simplifier les démarches administratives et d'améliorer l'information des personnes handicapées. Mais comment ces dernières pourront-elles y accéder lorsque ces maisons seront éloignées de 100 ou 200 kilomètres ? Y aura-t-il des antennes locales ? L'accès à distance sera-t-il possible par des moyens de télécommunication modernes ?

Pour conclure, j'aimerais évoquer un point essentiel qui n'est pas abordé dans le projet de loi. La réforme proposée est assurément ambitieuse - le mérite vous en revient, madame la secrétaire d'Etat - et il est évident qu'elle ne se fera pas à budget constant. Si les moyens nouveaux qui sont mis en place paraissent intéressants pour cette année, comment ce vaste projet pourra-t-il être financé dans les années qui viennent ?

Chacun, entreprise ou simple citoyen, comprendra qu'un effort supplémentaire substantiel doit être fait pour permettre la participation pleine et entière des personnes handicapées à la vie de la cité. Il s'agit en quelque sorte d'une démarche de mutualisation.

Cependant, dans un contexte de déficit public important et à la veille d'une réforme de l'assurance maladie, laquelle concourt largement au financement de la politique du handicap, on manque un peu de visibilité.

Tout en reconnaissant que votre projet de loi est globalement positif et qu'il constitue une avancée intéressante, je souhaite, madame la secrétaire d'Etat, que vous apportiez des réponses aux questions que j'ai soulevées et qui sont souvent posées par les handicapés eux-mêmes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michèle San Vicente.

Mme Michèle San Vicente. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'ont affirmé la loi de modernisation sociale, puis la loi sur le droit des malades et la qualité du système de soins, « toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la solidarité nationale et le principe d'un droit à compensation des conséquences du handicap est désormais posé ».

La création d'une nouvelle prestation financée par la suppression d'un jour férié et gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est censée garantir à chaque personne handicapée les moyens nécessaires pour faire face aux charges spécifiques liées à son handicap et apporter ainsi une réponse appropriée à ses besoins.

Au coeur de la réforme, ce droit à compensation se décline comme une réparation financière des conséquences du handicap, laquelle dépendra du degré d'incapacité, des ressources et d'un critère d'âge. Peut-on dès lors, madame la secrétaire d'Etat, parler d'universalité ?

En effet, contrairement à ce qui est annoncé, notamment dans l'exposé des motifs, les trois prestations - l'allocation d'éducation spéciale, la prestation de compensation et l'allocation personnalisée d'autonomie - continueront à entretenir une certaine ségrégation.

A l'heure actuelle, 13 500 familles bénéficient de l'AES et aucune garantie n'est apportée quant à la revalorisation de cette allocation afin de compenser les besoins de l'enfant jusqu'à ses vingt ans. Comment accepter qu'une personne soit plus ou moins bien prise en charge selon l'âge de survenue de son handicap ?

Madame la secrétaire d'Etat, vous nous avez annoncé en préambule que la prestation de compensation serait ouverte aux enfants. Quelles seront les conditions d'octroi ?

Ce texte devait en outre gommer les différences. Or les personnes non reconnues par les COTOREP et celles dont le taux d'invalidité sera inférieur au seuil de 80 % ne pourront pas prétendre à ce dispositif, alors que, paradoxalement, l'une des priorités du texte est le développement de l'emploi des personnes handicapées.

Il suffit pour s'en convaincre de comparer l'incapacité accordée : les taux compris entre 59 % et 79 % augmentent en moyenne de 6 % par an, alors que ceux qui sont supérieurs ou égaux à 80 % restent en revanche stables.

S'il est vrai que la prestation de compensation va plus loin que l'actuelle allocation compensatrice pour tierce personne, il n'en demeure pas moins que l'accès à cette prestation demeure très restrictif.

Cette prestation, qui reconnaît dorénavant le handicap psychique et le polyhandicap, peut être affectée à un besoin en aide humaine, technique ou animalière.

A propos de l'aide humaine, vous avez dit, madame la secrétaire d'Etat, que ce projet de loi posait en outre « le principe d'un accueil et d'un accompagnement adaptés à des personnes handicapées qui ne peuvent exprimer seules leurs besoins ».

Je voudrais vous parler de Guillaume. Il a vingt-trois ans et souffre d'une maladie orpheline génétique. Il ne peut rien faire sans être assisté. Ses parents souhaitent le nourrir avec des aliments spécialement préparés pour éviter à leur enfant d'être essentiellement alimenté par des perfusions. Ils sont parfois secondés dans cette tâche par une aide à domicile.

Récemment, les parents de Guillaume ont reçu un courrier émanant du directeur des services dans lequel celui-ci leur précisait que la personne aidant ne saurait avoir les gestes adaptés si leur fils venait à rencontrer des difficultés d'absorption et qu'il se déchargerait de toute responsabilité en cas de problème !

Ce petit extrait de vie quotidienne d'une famille parmi tant d'autres est suffisamment explicite pour qu'on s'étonne de l'absence de prise en compte de l'aide apportée par les proches, qui sont très souvent obligés de réduire, voire de cesser leur activité professionnelle.

En effet, 13 % des personnes handicapées bénéficient uniquement d'une aide professionnelle, alors que 62 % sont aidées par un ou plusieurs aidants non professionnels qui, neuf fois sur dix, sont des membres de la famille. L'aide est sans doute informelle, mais réelle.

Par ailleurs, quand une loi met en avant l'égalité des droit et des chances pour les personnes handicapées et que l'article L. 245-2 donne à penser que le système actuel, fondé sur une liste très limitative des produits et prestations perdurera, c'est tout simplement incompréhensible, sachant que certaines personnes sont dans l'impossibilité de participer à la vie sociale du fait même de leur handicap !

Ces personnes, madame la secrétaire d'Etat, qui ne peuvent travailler et qui restent à la charge de leur entourage espéraient que soit au moins inscrite dans la loi une augmentation substantielle de leurs revenus d'existence.

Le fonds spécial invalidité, par exemple, est supprimé. La majoration pour tierce personne étant considérée comme un avantage, le cumul de celle-ci et d'une rente sera de fait supérieur au montant de l'AAH, ce qui aura pour effet de diminuer les ressources de tous les pensionnés d'invalidité de troisième catégorie.

Est-ce vraiment l'esprit de la loi, madame la secrétaire d'Etat ?

Par l'article 3, on prétend favoriser l'exercice d'un emploi à temps partiel en améliorant quelque peu les conditions de cumul de l'AAH avec un revenu tiré d'une activité professionnelle. Un abattement sera pratiqué sur les revenus pour déterminer le montant de l'allocation différentielle. Le complément d'allocation pourra être maintenu.

L'AAH avait été créée en 1975 pour assurer un minimum de ressources à toute personne reconnue handicapée. On peut lire dans l'exposé des motifs que « le projet de loi met fin à l'ambiguïté qui caractérise l'allocation adulte handicapé perçue tantôt comme un minimum social, tantôt comme prestation de compensation et, de ce fait, toujours insuffisante pour faire face à la fois aux besoins de la vie courante et aux besoins spécifiques liés à la situation de handicap ».

L'AAH n'étant pas revalorisée, faut-il, dès lors, présumer que cette allocation permettra de faire face aux besoins de la vie courante des personnes handicapées ? Un revenu de 587 euros peut-il être considéré comme véritable revenu d'existence ?

Trop de contingences, que souligne le renvoi à des décrets, caractérisent ce texte. On est loin de la grande loi annoncée par le Président de la République. L'affirmation des grands principes ne résistera pas à la logique budgétaire du Gouvernement et, bien qu'il améliore certains dispositifs existants, ce projet de loi ne répond pas, madame la secrétaire d'Etat, à l'attente des personnes en situation de handicap, qui espéraient une vraie loi de refondation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.

Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voici enfin venu le jour tant attendu de l'examen du texte réformant la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées.

Les membres de la commission des affaires sociales ont beaucoup travaillé sur ce sujet et je remercie son président, Nicolas About, et son rapporteur, Paul Blanc, de leur avoir fait partager leur passion pour cette grande cause : la reconnaissance de la pleine citoyenneté des personnes handicapées.

Les cas de handicap sont nombreux et particulièrement variés. Pour autant, il appartient à la loi de poser les principes généraux de la politique à mener en faveur des personnes handicapées, et ce quels que soient la nature et le degré de leur infirmité.

Permettez-moi cependant de regretter que cette politique n'ait pas été discutée sur la base du texte de la proposition de loi sénatoriale.

Je regrette également qu'aucun bilan de l'effectivité de la loi de 1975 n'ait été réalisé. Combien de dispositions n'ont jamais été appliquées presque trente ans après le vote du texte ?

Je regrette enfin d'avoir à voter un texte sans connaître les détails des moyens de financement et d'organisation de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Après ces regrets que je tenais à exprimer, je souhaite vous féliciter sincèrement et vous rendre hommage, madame la secrétaire d'Etat, pour la qualité de votre travail, plus particulièrement en ce qui concerne le volet « accessibilité » du projet de loi.

Il est certes difficile de trouver un équilibre entre la participation des personnes handicapées à la vie sociale et l'intégration à outrance qui va à l'encontre du respect du handicap.

Ainsi, pour l'intégration scolaire des enfants, si le milieu ordinaire va de soi, il ne doit pas être imposé. Je souhaite, à ce sujet, appeler l'attention de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche sur la nécessité de mettre en place un nombre suffisant d'assistants d'éducation chargés de seconder les élèves handicapés. Sans eux, les bons principes de la loi resteraient lettre morte.

Réussir l'intégration des personnes handicapées dans le milieu ordinaire suppose aussi de leur permettre de travailler dans une entreprise du secteur privé, mais également du secteur public.

Or, selon une étude réalisée par la direction régionale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle du Nord - Pas-de-Calais, le taux d'emploi des établissements assujettis à l'obligation d'embauche de travailleurs handicapés et assimilés était, au niveau national, au 31 décembre 2000, de 4,1 %, taux sensiblement identique au taux enregistré dans la région Nord-Pas-de-Calais.

Je constate que, malgré la loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés, le nombre d'embauches reste toujours beaucoup trop faible comparé au nombre de demandeurs d'emploi handicapés recensés.

Il faut que les mentalités évoluent : de nombreuses personnes handicapées ont des capacités à mettre au service de l'entreprise, privée et publique. C'est pourquoi j'espère que la sanction pécuniaire infligée aux employeurs récalcitrants sera suffisamment incitative.

Vous proposez aussi de supprimer le système des « unités bénéficiaires », estimant qu'un travailleur handicapé en vaut un autre. Mais cette forte volonté d'intégration ne doit pas nous mener à nier le handicap. Il convient donc de prendre en compte le recrutement direct des personnes lourdement handicapées pour fixer le montant de la contribution des entreprises à l'AGEFIPH.

Pour ceux dont l'état nécessite la prise en charge par un centre d'aide par le travail, le projet de loi met en place un système de passerelle vers le milieu ordinaire, système que je salue. J'estime d'ailleurs qu'il faudrait l'étendre aux entreprises adaptées. Il est également utile de réformer le système de la garantie de ressources et de conférer aux personnes accueillies en CAT de nouveaux droits en termes de formation professionnelle, de congés payés et de prestations familiales. C'est un pas de plus vers l'autonomie.

Concernant le cadre bâti, l'obligation de mise en accessibilité des locaux d'habitation et autres établissements est réaffirmée. Pour plus d'efficacité toutefois, ne serait-il pas nécessaire d'imposer une formation initiale et continue des architectes ?

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. C'est prévu !

Mme Sylvie Desmarescaux. De même, je m'interroge sur l'opportunité de consulter les associations représentatives des personnes handicapées lors de l'examen des dossiers de demande de permis de construire.

En ce qui concerne l'accessibilité des transports, même s'il faut prévoir dans certains cas la mise en place de moyens de transports adaptés, l'obligation d'accessibilité des transports collectifs existants dans un délai de six ans est un premier pas dont je me réjouis. La création d'une commission communale d'accessibilité est également une bonne chose. Mais pour répondre aux préoccupations des intéressés résidant en milieu rural, je souhaite que, à l'instar de ce que propose la commission des affaires sociales, cette création puisse être étendue aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, de 5 000 habitants et plus, et ne soit donc pas limitée aux communes de 10 000 habitants et plus.

J'en viens maintenant au volet relatif aux droits à compensation. Parce qu'il doit être particulièrement novateur, ce volet est le plus attendu et aussi le plus critiqué.

Je comprends la déception des associations que nous avons auditionnées ainsi que de toutes celles et de tous ceux que j'ai pu rencontrer dans mon département. Je m'associe à leurs demandes et insiste avec force sur la nécessité d'élargir les conditions d'accès à la compensation. En l'état actuel du texte, je les trouve trop restrictives.

Bien évidemment, je soutiendrai les propositions de la commission des affaires sociales tendant à remplacer le taux d'invalidité minimum d'accès à la prestation de compensation par un critère de « besoin de compensation » inspiré de la grille AGGIR.

J'appuierai également le principe visant à étendre, d'ici à dix ans, le bénéfice de cette prestation aux enfants âgés de treize ans et plus. Pour ma part, je vous soumettrai un amendement visant à abaisser, dès à présent, l'âge d'accès à dix-huit ans. Les propos que vous avez tenus cet après-midi, madame la secrétaire d'Etat, me donnent bon espoir.

En outre, je vous ferai deux propositions concernant l'équipe pluridisciplinaire chargée d'évaluer les besoins de compensation de la personne handicapée : premièrement, qu'elle entende l'enfant lui-même lorsque ce dernier est capable de discernement ; deuxièmement, qu'elle se rende sur le lieu de vie de la personne lorsque celle-ci est incapable de se déplacer.

Enfin, j'estime indispensable d'harmoniser le taux de TVA pour les aides techniques. La coexistence de deux taux distincts doit cesser.

Je conclurai mon propos en évoquant la situation des personnes handicapées hébergées temporairement en établissement ou hospitalisées.

En effet, le projet de loi renvoie à un décret la détermination des conditions dans lesquelles le paiement de la prestation de compensation peut être suspendu, totalement ou partiellement, en cas d'hospitalisation ou d'hébergement. Or, même si elle ne loge plus dans sa résidence habituelle, la personne handicapée continue à en assumer les charges, par exemple les loyers, les assurances et toutes autres impositions et taxes. Pour cette raison, une réduction trop drastique de la prestation de compensation mettrait la personne handicapée dans une situation financière délicate.

Madame la secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous nous présentez est, à mon avis, dans son ensemble, un bon texte. Néanmoins, il peut être amélioré, et j'espère que le fruit de notre travail permettra de répondre aux préoccupations des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Je n'en doute pas !

M. le président. La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons est d'une importance considérable, puisqu'il est fondé sur le principe de non-discrimination à l'égard des personnes handicapées. Il s'agit de passer d'une logique de protection à une logique d'intégration et d'aboutir enfin, pour ces personnes défavorisées, à une situation de droit commun.

Le but de ce texte courageux et nécessaire pour « ces victimes de la vie » est de passer d'une logique de prestations sociales uniformes et anonymes à une logique de soutien personnalisé par la compensation individuelle du handicap.

Le Président de la République souhaite, avec ce projet de loi, marquer une étape décisive, celle de l'égal accès aux droits, qui fait de l'insertion des handicapés l'un des trois grands chantiers de son quinquennat.

La dernière loi en faveur des personnes handicapées, en date du 30 juin 1975, avait créé une obligation nationale de solidarité à leur égard. Aujourd'hui, près de trente ans plus tard, on mesure l'impact de la loi fondatrice de 1975 sur la mobilisation de la société tout entière pour la cause des personnes handicapées.

Cet effort de la nation a permis notamment de garantir un minimum de ressources à quelques 760 000 ressortissants par l'allocation aux adultes handicapés. Mais des insuffisances, voire des manques graves, subsistent pour tous les types de handicap.

Des problèmes nouveaux surgissent, et la notion de handicap s'en trouve de ce fait profondément modifiée. Le regard s'est déplacé vers les difficultés que rencontrent les personnes handicapées pour participer à la vie sociale et vers le rôle que l'environnement peut jouer dans l'aggravation ou l'atténuation de ces difficultés.

A travers ce projet de loi, le Gouvernement s'est mobilisé pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.

Aujourd'hui, le principe général de non-discrimination doit obliger la collectivité nationale à garantir les conditions de l'égalité des droits et des chances à tous les citoyens.

Il faut chercher à intégrer au mieux les personnes handicapées dans la vie de tous les jours, pour leur permettre d'être le plus autonomes possible Des évolutions législatives et réglementaires sont intervenues, notamment dans les domaines de la scolarité, de l'accessibilité, des retraites et de la fiscalité. Il s'agit désormais de garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie.

Au coeur de ce dispositif, la concertation est la règle.

Depuis dix-huit mois, une réflexion de fond a été engagée sur le plan tant national que départemental avec les élus, les partenaires sociaux, les organismes de sécurité sociale et les associations.

A travers le projet de loi qu'il nous est donné de discuter, il apparaît que l'action en faveur des personnes handicapées repose sur trois piliers.

Le premier pilier est la création d'une véritable prestation de compensation : le droit à compensation des conséquences du handicap est inscrit au coeur de la réforme. Il convient d'assurer un financement adéquat des prestations, des différentes aides et des établissements. Les prestations et les aides actuelles ne permettent pas, en effet, aux personnes handicapées de faire face à l'intégralité des dépenses liées à la compensation de leur handicap.

L'objectif doit être celui de la revalorisation du budget global du handicap, car, si les sommes que notre protection sociale consacre au handicap sont importantes, elles restent très insuffisantes par rapport aux besoins.

Il s'agit désormais de garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie grâce à la compensation des conséquences de leur handicap et à un revenu d'existence favorisant une vie autonome digne.

Le deuxième pilier est l'amélioration de l'accessibilité des personnes handicapées : il s'agit de rendre le cadre de vie plus accessible. C'est un impératif démocratique.

A cet égard, la nouvelle législation réaffirme l'obligation d'accessibilité pour toute personne, quelle que soit la nature de son handicap, non seulement de l'école mais aussi des espaces publics, des transports et du cadre bâti neuf.

La même réflexion pourrait être formulée - et mon ami Gilbert Barbier en a parlé tout à l'heure - sur l'insertion professionnelle des handicapés en milieu de travail ordinaire, dans les entreprises privées comme dans les administrations publiques, où le taux d'emploi de 6 % requis par la loi est loin d'être atteint puisque la moyenne est actuellement de 4 %. Nous devons donc tous nous mobiliser pour réussir cette intégration dans la société.

Enfin, le troisième pilier est la simplification des procédures administratives pour les personnes handicapées.

La création d'une commission des droits et de l'intégration des personnes handicapées, regroupant les commissions actuelles, me paraît constituer une excellente initiative, de même que les maisons départementales des personnes handicapées qui accueilleront la commission des droits et de l'intégration, avec plusieurs avantages : une plus grande proximité, une meilleure information grâce à la mise en place d'un guichet unique, élément très important, une véritable évaluation des besoins et un plan d'aide personnalisé.

Dans la continuité de la loi de 1975, qui a fait de la solidarité envers les personnes handicapées une obligation nationale, et des législations européenne et internationale de non-discrimination, le projet de loi que nous évoquons aujourd'hui entend mieux intégrer les personnes handicapées dans la société en valorisant leurs capacités, leurs potentialités et en compensant leurs manques, dans le respect de l'égalité des droits dû à tous les citoyens français.

Globalement, ce projet de loi semble faire le tour des principaux problèmes se posant aux personnes handicapées.

Cependant, au cours des très intéressantes auditions organisées par la commission des affaires sociales, différentes revendications justifiées ont été évoquées devant nous.

Ainsi, la prestation de compensation ne concerne que les personnes âgées de vingt ans à soixante ans. Il existe actuellement trois limites concernant la compensation : le taux d'invalidité - 80 % -, l'âge de la personne - vingt ans à soixante ans - et les revenus.

Dans votre exposé introductif, vous avez dit, madame la secrétaire d'Etat, que vous pensiez aussi aux enfants, ce qui est une bonne chose. Mais à quoi aura droit le jeune handicapé adulte âgé de moins de vingt ans, mais qui n'est plus un enfant ? A quoi aura droit la personne qui a un taux d'invalidité permanente de 60 % ou 70 % ? Avec un tel taux d'invalidité, il est tout de même très difficile, actuellement, de trouver un travail.

Pour ce qui est de la scolarité, le nombre d'enseignants spécialisés est très insuffisant pour réaliser une véritable intégration en milieu scolaire.

Enfin, nombre de personnes nous ont dit que les budgets n'étaient pas à la hauteur des souhaits. Il faudrait donc impérativement des financements supplémentaires.

Nombreux sont également ceux qui souhaiteraient pouvoir créer un revenu d'existence voisin du SMIC, attaché à la personne, pour celles ou ceux qui sont dans l'incapacité de travailler.

Il faut également, comme cela a été dit à plusieurs reprises, bien définir le handicap de grande dépendance, de déficience majeure intellectuelle ou motrice.

Par ailleurs, il faut aussi être conscient du fait qu'une grande partie des personnes handicapées aujourd'hui ne sont pas nées handicapées, mais le sont devenues au cours de leur existence. Elles ne bénéficient bien souvent d'aucune structure spécifique de soutien pouvant les aider, après leur accident, à s'intégrer dans la vie sociale, en particulier dans la vie professionnelle. Je souhaiterais que, là aussi, soient véritablement reconnus les besoins de ces personnes.

Il est un autre problème : celui des CAT. Le CAT doit être reconnu comme un lieu de travail à part entière où les personnes ont besoin d'un niveau d'accompagnement.

Madame la secrétaire d'Etat, si j'en juge par mon département, qui compte énormément d'adultes handicapés accueillis dans des centres en Belgique, il est clair que nous manquons cruellement de places soit dans les structures médicalisées, soit dans les centres pour adultes handicapés. A combien s'élève le déficit de places sur l'ensemble du territoire et en combien d'années pensez-vous pouvoir rétablir la situation, madame la secrétaire d'Etat ?

En conclusion, je dirai que, globalement, ce projet de loi constitue une avancée et un message d'espoir à l'égard des personnes handicapées, car il repose sur le principe de non-discrimination, ce dont nous vous félicitons, madame la secrétaire d'Etat.

Espérons que ce projet de loi marque véritablement une étape décisive dans l'égal accès aux droits pour les personnes handicapées. L'ambition contenue dans ce texte est d'aider ces dernières et leurs familles à surmonter les épreuves parfois immenses qui sont les leurs.

Soyez sûre, madame la secrétaire d'Etat, que nous serons attentifs au suivi de cette loi et que nous veillerons avec attention avec vous, chaque année, à l'inscription dans le budget de la nation des sommes nécessaires à cette grande ambition. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Vantomme.

M. André Vantomme. Madame la secrétaire d'Etat, votre projet de loi vient en discussion devant le Parlement en ce début d'année 2004 après que 2003 a été l'année européenne du handicap et que l'on a proclamé, en 2003 aussi, le handicap grande cause nationale.

Dans une lettre, en date du 15 février 2004, adressée à la représentation parlementaire, les responsables du Groupe Polyhandicap France nous interpellent :

« Qu'est-ce qu'une loi quand son application n'est pas garantie ?

« Qu'en est-il du plan d'urgence annoncé par le Président de la République ?

« Qu'en est-il des projets de créations validés et retardés car les crédits de fonctionnement ne sont pas débloqués en raison des enveloppes fermées ?

« Qu'en sera-t-il des financements déjà difficiles qui seront transférés à d'autres collectivités sans que les "rebasages" reconnus nécessaires soient ni évalués ni programmés (...) plaçant ainsi les associations dans une obligation de ralentir leurs projets au risque de ne pouvoir en assurer leur concrétisation ? »

Le monde associatif concerné s'interroge. Parfois aussi, il fait des propositions, à l'instar de l'Association des paralysés de France, l'APF : « A notre avis, cette loi doit impulser de nouvelles orientations politiques pour les prochaines décennies et ne pas se limiter à aménager seulement des dispositifs existants, apportant ponctuellement certaines améliorations.

« Ce projet de loi ne concorde pas avec l'ampleur et avec la qualité des réflexions menées et des principes définis depuis un an par le Conseil national consultatif des personnes handicapées. D'ailleurs, le CNCPH a donné un avis critique à l'avant-projet qui lui a été présenté le 13 janvier 2004.

« L'enjeu de cette loi est de construire une politique du handicap en France pour les prochaines décennies s'articulant avec les politiques des autres pays européens et de l'Union européenne.

« Près de trente ans après la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, l'APF demande que ce projet de loi soit considérablement amendé afin de lui donner une dimension historique correspondant à la situation actuelle des personnes en situation de handicap et de leurs familles en ce début du xxie siècle.

« L'APF propose donc des amendements pemettant à cette loi d'inscrire un certain nombre de principes et de mesures significatives permettant ainsi de véritables avancées et des moyens d'effectivité de cette loi.

« La prise en compte de ces amendements apporterait à ce projet de loi la dimension que les personnes en situation de handicap et leurs familles sont en droit d'en attendre. »

Parfois, le monde associatif souscrit aux principes généraux du texte en émettant, comme l'UNAPEI, l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés, « de fortes réserves quant au titre de l'avant-projet de loi et quant à la logique générale qu'il implique. Si l'égalité des droits et des chances est un objectif susceptible d'être atteint pour les personnes légèrement handicapées, il constitue une utopie pour les plus lourdement handicapées. L'UNAPEI souhaite donc qu'il s'agisse de la loi "relative à l'égalité des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes handicapées". Cette approche lui semble moins réductrice et plus susceptible de tenir compte des besoins et capacités de l'ensemble des personnes handicapées mentales ».

Enfin, d'autres associations représentatives s'interrogent et demandent, comme la FNATH, la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, « que s'engage dès le débat parlementaire une discussion sur les projets de décrets afin que ceux-ci ne viennent pas limiter ou contourner certaines dispositions. La FNATH agira dans le cadre du débat parlementaire pour que le texte fasse l'objet de réelles améliorations de manière que la nouvelle loi constitue un progrès pour les personnes handicapées et leur garantissent des conditions dignes d'existence ».

Madame la secrétaire d'Etat, comme mes collègues du groupe socialiste qui sont intervenus ou qui interviendront dans ce débat, je souhaite vivement que l'adoption de ce projet de loi ne provoque ni amertume ni déception chez les handicapés et leurs représentations associatives.

C'est la raison pour laquelle nous relaierons leurs requêtes et leurs suggestions en cherchant, comme nous l'a appris Jean Jaurès, « à aller à l'idéal en comprenant le réel ».

Mon propos portera principalement sur les chapitres Ier et II du titre III de votre texte.

Avant d'aller plus loin dans l'analyse du projet qui nous est soumis, peut-être convient-il de préciser la situation actuelle des jeunes handicapés au regard de la scolarisation.

Environ 52 000 jeunes handicapés sont scolarisés dans une classe ordinaire, soit 27 900 dans le premier degré, 17 200 dans le second degré et 7 000 dans l'enseignement supérieur. Ces chiffres englobent des situations très hétérogènes qui vont de la scolarisation à temps plein dans une classe ordinaire à la présence dans une telle classe quelques heures par semaine. Ces chiffres permettent également de constater que les enfants déficients mentaux ou psychiques sont sous-représentés parmi les jeunes handicapés intégrés individuellement dès le premier degré, et plus encore dans le secondaire.

Dans le même ordre de grandeur, 51 000 jeunes handicapés sont scolarisés dans des classes spécialisées. La quasi-totalité des enfants intégrés collectivement - 96 % - relèvent du premier degré et fréquentent une classe d'intégration scolaire, ou CLIS. Ils représentent 0,8 % des élèves du premier degré. Seuls 2 800 élèves sont scolarisés dans des classes spécialisées dans le second degré, les unités pédagogiques d'intégration, les UPI, destinées à permettre la poursuite de la scolarité des enfants issus de CLIS. Il existe environ 300 UPI pour 4 700 CLIS.

De plus, 70 000 jeunes handicapés sont scolarisés à temps plein dans un établissement médical éducatif, soit près de 60 % des enfants accueillis dans des structures médico-sociales. Parmi eux, 13 % sont intégrés dans une classe de l'éducation nationale et 4 % le sont à temps partiel.

L'absence de scolarisation est très liée à la déficience : en établissement, 94 % des enfants ayant un polyhandicap et 78 % de ceux qui ont un retard mental profond et sévère ne sont pas scolarisés. Ces proportions sont plus faibles pour les enfants souffrant d'une déficience visuelle totale - 13 % de non-scolarisés en établissement -, d'un retard mental léger - 8 % -, ou d'un trouble du comportement - 11 %. Ajoutons pour être précis que 13 000 enfants sont accueillis dans des établissements hospitaliers qui assurent une fonction d'enseignement toute l'année pour la moitié d'entre eux, et que quelques milliers ne seraient ni scolarisés ni accueillis en établissements médicaux éducatifs.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. C'est vrai.

M. André Vantomme. S'agissant plus particulièrement du titre III du projet de loi, nous en approuvons l'orientation pour ce qui concerne la scolarité et l'enseignement supérieur.

Il nous apparaît tout à fait indispensable que la loi assure prioritairement l'accès à tout pour tous, idée reprise dans l'excellent rapport présenté à la commission des affaires sociales par le rapporteur, notre collègue Paul Blanc. Peut-être pourrions-nous également la faire figurer dans le texte de loi, répondant en cela à une proposition de l'Association des paralysés de France - qui y voit le symbole fort d'une politique de non-discrimination à l'égard des personnes en situation de handicap.

La loi doit en effet renforcer l'obligation qui est faite à l'éducation nationale d'assurer la scolarisation des enfants handicapés, y compris dans les établissements médico-sociaux. Mais s'il est bien prévu l'orientation vers une structure médico-sociale ou un dispositif adapté avec un droit à évaluation régulière, il n'est pas fait mention d'un retour possible et naturel vers le milieu ordinaire, ce qui correspondrait à une non-fatalité du parcours et imposerait aux structures et dispositifs adaptés à se réinterroger ou d'être réinterrogés par les écoles et les établissements d'enseignement où sont inscrits ces élèves.

Bien entendu, la scolarisation des enfants handicapés ne saurait se limiter à l'intégration individuelle ou collective à l'école ordinaire. Cet objectif doit être recherché avec réalisme et pragmatisme en se gardant, comme le souhaite l'UNAPEI, de toute approche idéologique. Il ne faut pas méconnaître l'importance et la nécessité de l'indispensable maintien de l'éducation spécialisée qui, face à certaines situations, restera un recours.

Cela dit, madame la secrétaire d'Etat, l'affirmation de ces principes doit s'accompagner de la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement.

Celles-ci s'avèrent particulièrement nécessaires quand on évoque l'intégration individuelle ou collective en milieu ordinaire pour ce qui concerne le handicap mental.

Cette intégration supposera un effort significatif en matière de formation des enseignants et la mise en place de services susceptibles d'apporter aux enfants handicapés mentaux les soutiens éducatifs qui leur sont nécessaires. Parmi ceux-ci, il importera de pérenniser les services d'auxiliaires de vie scolaire après les avoir dotés d'un statut, précisé leur formation et indiqué à qui incombera leur financement. De même, madame la secrétaire d'Etat, paraît-il tout aussi indispensable que l'école ordinaire puisse bénéficier de façon plus souple des plateaux techniques dont dispose l'éducation spécialisée.

C'est dans le même esprit que nous entendons bien que l'accueil des enfants handicapés mentaux dans les établissements d'éducation spéciale constitue une forme à part entière de scolarisation. Cela suppose des relations renforcées entre l'éducation spéciale et l'éducation nationale, avec le souci d'augmenter significativement le nombre d'instituteurs spécialisés détachés dans les instituts médicaux éducatifs et dans les instituts médicaux professionnels.

Il faudra sûrement du temps pour que les principes nouveaux inscrits dans la loi se mettent en place. Comment ferez-vous, madame la secrétaire d'Etat, dans la période de transition, pour que les enfants ne pâtissent pas trop des inflexions des politiques qui les concernent ?

En effet, si vos intentions sont louables, l'on peut cependant légitimement s'interroger sur le délai et les moyens nécessaires à l'éducation nationale et ses personnels pour faire face à ces nouvelles missions.

Pour garantir une meilleure intégration des personnes handicapées dans les établissements d'enseignement, il apparaît indispensable que les personnels de l'éducation nationale, enseignants et non-enseignants, soient formés à l'accueil, à l'accompagnement et à la scolarisation des personnes handicapées. Cette formation doit être incluse non seulement dans la formation initiale mais aussi continue. L'éducation d'un jeune handicapé peut donner des résultats lents et partiels. Cela implique qu'elle doive se poursuivre à l'âge adulte pour maintenir et approfondir les acquis. C'est indispensable.

S'agissant de la scolarité, les examens et concours attestent de sa réussite et conditionnent souvent l'avenir. Comment ne pas comprendre la très grande attention des associations de personnes handicapées au regard des dispositions à prendre, notamment pour les concours et examens ? Si l'orientation du texte va dans le bon sens, elle mériterait d'être précisée afin qu'elle s'applique à l'ensemble des établissements mentionnés dans le code de l'éducation.

En outre, la langue des signes doit être reconnue officiellement pour le passage des examens car, apprise à l'école, elle permettra l'intégration.

En fonction du handicap, l'octroi d'un temps supplémentaire, la présence d'un assistant ou la mise à disposition d'un équipement adapté doivent être de droit.

Madame la secrétaire d'Etat, pour clore l'examen du chapitre Ier du titre III de ce projet de loi, nous pensons très sincèrement que la meilleure façon de faire partager les idées nobles et généreuses de votre texte résultera de votre capacité à mieux en préciser certaines dispositions et à pouvoir y affecter les moyens nécessaires, notamment s'agissant de l'éducation nationale dont la détermination et la motivation des personnels sont indispensables à la pleine réussite de votre projet, lequel devra concerner tous les niveaux d'enseignement, de la maternelle à l'enseignement supérieur.

Vos réponses sur ces questions majeures sont très attendues. Prenez garde de ne point décevoir tant les parents d'enfants handicapés que les personnels de l'éducation nationale. Nous touchons, avec ces problèmes, au coeur de l'humain, là où cohabitent l'amour maternel, la compassion à l'égard du handicap et la forte volonté de vaincre l'anormalité pour retrouver la normalité, avec tout ce que cela représente en termes de combats, d'efforts pour les uns et pour les autres, en gardant le cap sur l'idéal mais en sachant aussi que celui-ci a des limites.

En abordant le chapitre II de votre projet de loi, nous découvrons qu'il est consacré à l'emploi, au travail adapté et au travail protégé.

Pour vous, le sujet n'est pas facile. Sur le plan général il est même délicat. Les statistiques sont là, cruelles. Elles témoignent de l'échec d'une politique qui se concrétise, notamment dans mon département, l'Oise, par une avalanche de plans sociaux et de licenciements qui désespèrent.

Le doute m'assaille : pourquoi réussiriez-vous dans le domaine de l'emploi pour les handicapés alors que les chômeurs sont aujourd'hui toujours plus nombreux ?

M. Alain Vasselle. Cela n'a rien à voir !

M. André Vantomme. Nous arrêterons là un propos qui ne voudrait pas devenir polémique devant la gravité d'une situation où la personne handicapée connaît, bien plus que d'autres, des difficultés à trouver sa juste et légitime place dans l'emploi.

Aussi, tout en constatant la divergence de nos opinions au regard de l'emploi, pouvons-nous néanmoins voir ensemble dans quelle mesure nous pourrions contribuer à rendre moins inique la situation faite aux personnes handicapées au regard de l'accès à l'emploi et à la formation professionnelle.

C'est dans cet état d'esprit que nous aborderons ce texte.

Bien entendu, nous partageons avec vous, madame la secrétaire d'Etat, l'idée de renforcer le principe de non-discrimination à l'égard des personnes handicapées, principe qui figure déjà dans notre législation, mais qu'une directive européenne nous engage à poursuivre.

L'article 9 du projet de loi entend transposer la directive européenne relative à l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail adoptée le 27 novembre 2000 par le Parlement européen et faisant référence aux obligations pour les Etats membres de prévoir des aménagements raisonnables pour les employeurs tant privés que publics.

L'Association des paralysés de France et la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, considère que la transposition de cette directive européenne n'est pas pleinement réalisée par les dispositions de l'article 9.

Madame la secrétaire d'Etat, afin de répondre totalement aux exigences de cette directive, nous vous proposerons d'introduire cette disposition dans la section relative aux discriminations par la création d'un article L. 122-45-4 du code du travail et non dans le livre III du code du travail.

De même, nous pensons indispensable de préciser dans le texte de loi que l'absence d'aménagement raisonnable peut être constitutif d'une discrimination indirecte, ce qui n'y figure pas. Il importe également de préciser que les aménagements raisonnables doivent varier en fonction des particularités des handicaps et des personnes et être appréciés aussi au regard des contributions financières des collectivités publiques et des associations.

Une autre disposition de ce projet nous semble positive, celle qui permet aux personnes handicapées de bénéficier d'aménagements d'horaires individualisés. Il nous paraît important d'étendre cette mesure à l'entourage proche. Par ailleurs, assortir ce droit d'une référence « aux possibilités de l'entreprise » est discriminatoire, et nous souhaitons donc revenir aux règles de droit commun.

S'agissant du champ de la négociation collective prévu par l'article 10 de votre projet de loi, nous souhaitons y inclure la question du maintien dans l'emploi pour les personnes handicapées.

Concernant l'AGEFIPH, vous souhaitez, madame la secrétaire d'Etat, donner une base législative à la passation d'une convention entre l'Etat et l'AGEFIPH. C'est une bonne idée pour autant que l'on puisse sortir ce dispositif de la discrétion. L'importance de la délégation de compétences consentie à une association privée nous amène à souhaiter que la représentation nationale en soit mieux informée par le dépôt d'un rapport devant le Parlement.

En outre, il est important de ne pas briser le lien entre la formation professionnelle et l'emploi pour les personnes handicapées. Nous souhaitons voir aménagées les modalités de la formation professionnelle pour les personnes handicapées.

Nous souhaitons également que le Parlement débatte tous les trois ans d'un rapport d'évaluation de la politique en faveur de l'orientation, de la qualification et du maintien dans l'emploi des personnes handicapées et nous souhaitons également voir ce rapport transmis au Conseil national consultatif des personnes handicapées.

Notre pays compte 1,4 million de travailleurs handicapés au sens de la loi de juillet 1987, et près de 14 millions de personnes en âge de travailler déclarent au moins une incapacité, dont 3,4 millions une incapacité forte. Nul doute que nos concitoyens apprécieraient cette initiative.

Pour conclure, madame la secrétaire d'Etat, un propos qui doit respecter le temps imparti, je pense très sincèrement que la balle est dans votre camp.

Vous avez la possibilité, dans le cadre de ce débat, d'apporter les précisions et les inflexions attendues par la grande majorité des représentants des associations de personnes handicapées.

Une occasion historique s'offre à vous, au regard de votre projet de loi, pour que la France, à l'instar d'autres pays, reconsidère la place et le sort qu'elle réserve à nos concitoyens frappés par le handicap. Ceux-ci seront très attentifs à vos choix et décisions.

Il ne faut surtout pas les décevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Je voudrais commencer par féliciter le Gouvernement, et en particulier Mme Marie-Thérèse Boisseau, pour cette heureuse initiative. Voilà vingt ans que nous attendons cette réforme de la loi d'orientation de 1975. Les espoirs sont immenses. L'exercice est d'ailleurs devenu quasi périlleux, car la seule menace, mais elle est de taille, qui pèse sur nos têtes - à vous, madame la secrétaire d'Etat, et à nous - c'est la déception. A nous, Parlement et Gouvernement, de faire en sorte qu'il n'en soit pas ainsi. Je ne doute pas que, grâce au travail effectué par la commission, notamment par son président et par son rapporteur, ainsi que par l'ensemble de nos collègues ici présents, nous réussirons à faire en sorte que la déception, dénoncée sur certaines travées, ne soit pas au rendez-vous et que l'enthousiasme se manifeste dans les familles et chez les handicapés parce que nous aurons répondu à leur attente pour améliorer leur vie au quotidien.

Je voudrais tout particulièrement féliciter notre collègue M. Paul Blanc, rapporteur, et M. Nicolas About, président de la commission, d'avoir eux-mêmes, préalablement au dépôt de ce projet de loi, pris l'initiative de présenter une proposition de loi. Celle-ci n'est certainement pas étrangère au fait que le Gouvernement ait accéléré le pas pour que ce texte vienne en discussion devant nous.

M. Roland Muzeau. Ah, ah !

M. Alain Vasselle. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais le Sénat a démontré de longue date sa capacité à toujours agir avec pertinence sur ces sujets chaque fois que l'occasion lui en a été donnée. Cela a notamment été le cas lorsqu'il s'est agi de la dépendance des personnes âgées : aucun des gouvernements qui s'étaient succédé n'avait réussi à transformer l'essai et c'est parce qu'une proposition de loi avait été déposée sur l'initiative du président Jean-Pierre Fourcade et que nous avions présenté des amendements lorsque Mme Veil était ministre que les choses ont pu évoluer en la matière. Bien en a pris au Sénat, car, ensuite, plusieurs textes de loi sont venus en discussion devant le Parlement pour répondre au problème de la dépendance des personnes âgées.

Il en a été de même lorsqu'un amendement important a été déposé concernant le recours sur succession. Nous devons à Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, un amendement qui a permis d'étendre le bénéfice de cette mesure, réservée dans un premier temps aux personnes âgées, aux handicapés. Il faudra même, à l'occasion de ce texte, si nous le pouvons, aller encore un peu plus loin.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On y va !

M. Alain Vasselle. Il en a encore été de même, d'ailleurs, lorsque, sur l'initiative du Sénat, qui, je crois, a fait oeuvre utile en la matière, nous avons discuté du droit des malades et réglé le problème de l'arrêt Perruche : le Sénat a démontré, une fois de plus, sa capacité à agir et l'Assemblée nationale l'a suivi dans ses propositions.

Je formulerai cependant quelques remarques sur la forme et sur le calendrier.

Je répéterai ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire à plusieurs reprises, car à force de taper sur un clou, on finit toujours par l'enfoncer et j'espère qu'un jour ou l'autre nous parviendrons à être entendus par le Gouvernement, mais aussi, monsieur le président, par la conférence des présidents : je trouve que la date d'examen de ce texte a été mal choisie.

M. Claude Domeizel. Il va voter la motion tendant au renvoi en commission !

M. Alain Vasselle. Nous faire discuter d'un texte aussi important entre une période de vacances parlementaires et la suspension de nos travaux pour les élections régionales et les élections cantonales, alors que nous sommes en pleine campagne électorale, est malvenu : ce texte méritait mieux.

D'ailleurs, les conditions de travail n'ont pas été des plus satisfaisantes pour la commission, notamment pour son rapporteur. Une fois de plus, je regrette que le Sénat n'ait pas réussi à convaincre le Gouvernement. En effet, si le Gouvernement est maître de l'ordre du jour, c'est nous qui déterminons notre emploi du temps. Or je constate, et cela devient récurrent - nous l'avons vécu à l'occasion de l'examen de plusieurs textes depuis le début de cette session - que c'est à chaque fois le Gouvernement qui l'emporte. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Michelle Demessine. C'est infernal !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il a le pouvoir !

M. Alain Vasselle. Pour ma part, je le regrette, car je l'ai mal vécu lorsque nous avons examiné le texte de loi sur la décentralisation alors que nous étions en train de travailler en commission sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que nous étions en pleine préparation de la loi de finances.

Je sais bien - c'est vrai pour ce texte comme pour le précédent - que l'urgence n'a pas été déclarée par le Gouvernement : une deuxième lecture, peut-être même une troisième lecture, aura lieu. Nous aurons donc l'occasion d'y revenir et d'apporter les améliorations nécessaires. Mais à partir du moment où nous attendions ce texte depuis quinze ou vingt ans, étions-nous réellement à un mois près ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) N'aurions-nous pas pu examiner sereinement ce texte dans le courant du mois d'avril ? J'avoue avoir été irrité par la méthode. Bien entendu, cette position est personnelle.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Michelle Demessine. Elle est partagée !

M. Roland Muzeau. Elle est pertinente !

M. Alain Vasselle. Vous n'êtes pas visée en particulier, madame la secrétaire d'Etat, puisque j'ai eu l'occasion de le dire à propos d'autres textes et que j'ai fait plusieurs fois des rappels au règlement en ce sens. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Continuez !

M. Alain Vasselle. Mes chers collègues, lorsque vous étiez au gouvernement, ce n'était pas mieux, c'était peut-être même pire ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Paul Blanc, rapporteur. Bravo !

M. Alain Vasselle. Par conséquent, ne vous réjouissez pas trop !

Je formulerai une autre remarque de forme. D'une manière générale et pour cette réforme en particulier - il serait souhaitable que les décrets d'application et l'ensemble des mesures réglementaires nous soient communiqués au moment de l'examen de la loi.

M. Roland Muzeau. Eh oui !

M. Alain Vasselle. J'entends bien, madame la secrétaire d'Etat, que vous avez pris l'engagement devant la commission que le Parlement serait étroitement associé à l'examen des dispositions réglementaires. Du reste, un certain nombre d'entre elles ont déjà été portées à la connaissance de la commission ou de son président.

Cette remarque vaut, je le répète, non seulement pour ce texte, mais également pour d'autres ! Aujourd'hui, le Parlement siège en session unique ; nous n'avons donc plus les intersessions d'hiver et d'été qui existaient précédemment. Par conséquent, nous n'avons plus le temps d'exercer l'un des principaux rôles du Parlement, à savoir le contrôle, au travers de la réglementation, des mesures qui sont prises par décret et qui doivent traduire la volonté du législateur.

Il faudra qu'un jour le Parlement étudie cet aspect des choses, afin que ses conditions de travail puissent être améliorées.

Dans ce texte, la partie réglementaire est essentielle, car c'est elle qui donnera corps aux dispositions législatives ou qui les videra complètement de leur sens.

Je voudrais également revenir sur un aspect qui a été souligné par certains, notamment par mon collègue Gilbert Barbier : il s'agit des engagements financiers qui devront accompagner ce texte.

Certes, le Gouvernement a déjà manifesté sa bonne volonté et sa bonne foi en faisant voter 840 millions d'euros supplémentaires dans la loi de finances pour 2004. Mais ce projet de loi aurait dû être accompagné d'une étude d'impact financier.

De même - et c'est ce qui rend inexplicable cette précipitation - aurions-nous dû préalablement, ou du moins simultanément, examiner et voter le texte créant la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Certes, le projet de loi a été déposé.

Il aurait également fallu attendre les conclusions de la mission Briet-Jamet sur lesquelles le Gouvernement compte s'appuyer et qui auraient dûe être portées à la connaissance du Parlement au moment où nous engagions la réforme. Cela aurait permis d'avoir une approche globale beaucoup plus pertinente.

Quel sens aura ce texte si nous n'avons pas l'assurance que les lois de finances à venir intégreront les financements nécessaires à la mise en oeuvre de toutes les dispositions législatives que nous aurons adoptées ?

M. Roland Muzeau. Aucun !

M. Alain Vasselle. Madame la secrétaire d'Etat, pourriez-vous apaiser nos inquiétudes et nous faire connaître les engagements de MM. Mer et Lambert en la matière ? Il serait intéressant que nous puissions connaître le plan quinquennal qui mobilisera les financements permettant d'assurer la mise en oeuvre de l'ensemble des mesures que nous avons prévues dans le texte.

J'en viens maintenant au fond.

Nul doute que les avancées sont sensibles et la modernisation réelle, même si, et j'y reviendrai, quelques points d'ombre méritent un éclairage supplémentaire : le droit à compensation des conséquences du handicap ; le principe de « l'accès de tous à tout » concernant l'école, l'université et l'emploi ; la simplification des démarches administratives ; la reconnaissance du handicap lié à une altération psychique et le polyhandicap. Il s'agit là d'avancées saluées par le monde associatif et les familles, et dont nous ne pouvons que nous féliciter.

Je sais, madame la secrétaire d'Etat, combien vous avez mis tout votre coeur et votre sensibilité pour faire parler votre générosité et permettre au Gouvernement de traduire concrètement, au profit des accidentés et des déshérités de la vie, la solidarité nationale du peuple français. Vous pouvez compter sur mon soutien le plus total pour approuver ce projet de loi, même si je pense que nous pouvons aller plus loin dans certains domaines ; j'y reviendrai dans un instant.

Sans doute l'arsenal des mesures réglementaires qui accompagneront ce texte et les futures lois de finances va-t-il répondre aux interrogations qui subsistent et balayer d'un revers de main les éléments de déception qui s'expriment ici et là, et dont la commission a perçu le degré lors de ses auditions publiques. Permettez-moi d'en exprimer quelques-uns.

S'agissant du financement, a-t-on mesuré, madame la secrétaire d'Etat, les conséquences de ce texte sur les départements et les communes, ainsi que sur la sécurité sociale ? Cette dernière, la branche maladie en particulier, est à la veille d'une grande réforme. Comment la présente réforme va-t-elle s'articuler avec celle de la branche maladie ?

Il est absolument nécessaire que soit défini le périmètre des dépenses du budget de l'Etat au titre de la solidarité nationale et les financements de la sécurité sociale pour tout ce qui est du ressort de l'assurance. Aujourd'hui, environ 6 milliards d'euros sont apportés par l'Etat, autant par la sécurité sociale, et à peu près 3 milliards d'euros par les collectivités territoriales.

Permettez-moi de passer très rapidement en revue quelques points sur lesquels je souhaite attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, et sur lesquels, je pense, vous pourrez, par la voie réglementaire, apaiser mes inquiétudes et celles des familles qui souffrent de la présence chez elle, d'un enfant ou d'un adulte handicapé.

S'agissant tout d'abord de l'allocation aux adultes handicapés, elle représente aujourd'hui 577,92 euros, c'est-à-dire environ 3 700 francs. Dans le département de l'Oise, que connaît bien mon collègue André Vantomme, le conseil général appelle une somme de 100 francs par jour pour les adultes handicapés en foyer occupationnel. Sur trente jours, car certains adultes qui n'ont plus de famille sont présents tout le mois, cela représente une somme totale de 3 000 francs. Il reste donc 700 francs pour financer la mutuelle, les frais d'habillement, les transports, les déplacements et les loisirs.

Madame la secrétaire d'Etat, cette allocation est très nettement insuffisante au regard du surcoût de dépenses que doivent supporter ces adultes handicapés pour faire face aux besoins de la vie quotidienne. A elle seule, la mutuelle consomme la moitié des 700 francs. En effet, compte tenu de l'effet de seuil provoqué par la mise en place de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMUC, dont le Gouvernement précédent a la responsabilité, les handicapés sont aujourd'hui obligés d'adhérer à une mutuelle, parce que le dépassement de 70 francs par mois ne leur permet pas d'accéder à la solidarité nationale au travers de la CMUC.

M. Roland Muzeau. Il faut relever le seuil !

M. Alain Vasselle. Cette dépense représentant donc environ 350 francs par mois, il reste 350 francs pour faire face à toutes les dépenses, ce qui est très nettement insuffisant.

C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement visant à garantir un minimum à l'adulte handicapé pour faire face aux besoins essentiels de la vie courante.

Le deuxième point sur lequel je voudrais appeler votre attention concerne l'ACTP. Aujourd'hui, lorsqu'un adulte handicapé veut rentrer dans sa famille, pour que celle-ci puisse bénéficier du versement de l'ACTP, qui sera peut-être appelée demain l'allocation de compensation, le conseil général exige que l'adulte handicapé quitte l'établissement pour une période minimale de huit jours.

Cela a des effets pervers importants, puisque, au bout du compte, cela permet l'équivalent de quatre ou cinq sorties par an. Et lorsque des événements familiaux se produisent pendant ces périodes intercalaires, les adultes handicapés ne peuvent pas quitter l'établissement, car celui-ci le leur refuse pour des raisons d'ordre budgétaire. En effet, dès lors que l'adulte handicapé a dépassé un mois d'absence, le conseil général ampute d'autant la dotation financière qui permet d'assurer la vie de l'établissement.

Là aussi, le dispositif réglementaire mérite d'être revu pour faire disparaître ces effets pervers. Cette situation a d'ailleurs été dénoncée dans le rapport de Paul Blanc sur la maltraitance envers les personnes handicapées : les établissements sont tentés de pratiquer la rétention des handicapés à des fins purement financières. Cela est insupportable et inacceptable aujourd'hui.

Une autre forme de maltraitance indirecte est subie par les handicapés : les 35 heures. Lorsque les 35 heures ont été mises en place dans les établissements médicosociaux, elles l'ont été sans création d'emplois et les dotations budgétaires n'ont pas été abondées pour satisfaire les besoins en personnels supplémentaires.

Madame la secrétaire d'Etat, j'ignore si c'est le cas dans votre département d'Ille-et-Vilaine, mais je pourrais, si besoin était, vous donner de nombreux exemples dans celui de l'Oise : alors que ces adultes - mais c'est également vrai pour les enfants qui sont placés dans des établissements de même nature - avaient la chance de pouvoir s'évader de temps à autre de leur établissement pour un séjour à la montagne, au bord de la mer ou à la campagne, depuis le vote de la loi sur les 35 heures, il ne leur est plus possible de bénéficier de ces moments de détente à l'extérieur de l'établissement. C'est insupportable !

Je formulerai également une remarque sur les aidants familiaux. La conséquence d'une disposition qui a été adoptée par voie d'amendement lorsque Mme Veil était ministre, c'est l'effectivité de l'ACTP.

J'ai présent à l'esprit le cas d'une femme âgée, aveugle, et qui, jusqu'à l'adoption de cette disposition, faisait appel à l'une de ses filles afin de lui venir en aide chaque jour pour assurer les besoins de la vie quotidienne. Lorsque l'effectivité de l'aide a été mise en oeuvre, cette femme n'a plus perçu en espèces le montant de l'ACTP ; elle a donc dû la déclarer. Depuis elle paie des charges sociales à l'URSSAF, ce qui a diminué d'autant le temps de présence de sa fille chez elle pour lui apporter l'aide dont elle a besoin chaque jour.

Il serait souhaitable que ce dispositif évolue, afin que les personnes handicapées ne soient pas pénalisées. L'objectif de l'effectivité était tout à fait louable : il visait à favoriser les créations d'emplois et les aides à domicile.

Mes deux dernières remarques concernent l'incitation au recrutement en milieu ordinaire.

Au moment où nous voulons favoriser l'intégration en milieu ordinaire des handicapés, du moins de ceux qui ont la possibilité d'exercer une activité professionnelle, il me paraîtrait souhaitable de leur étendre les avantages dont bénéficient ceux qui se trouvent dans les centres d'aides par le travail, les CAT, ou en atelier protégé. Des mesures incitatives d'allègement des charges patronales, qui ont existé pendant un temps, devraient être prises pour favoriser le recrutement des handicapés dans les entreprises ou dans la fonction publique. (Mme Michelle Demessine s'exclame.)

S'agissant de l'intégration scolaire en milieu ordinaire, j'appelle également votre attention, mes chers collègues, sur des problèmes qui semblent être rencontrés sur le terrain, et qui sont essentiellement liés au comportement de l'éducation nationale.

Je citerai l'exemple d'un enfant handicapé qui, à la suite des mesures réglementaires qui ont été prises l'année dernière, a intégré une école primaire proche de son domicile. Or, aujourd'hui, compte tenu de la charge de travail que cela représente pour l'enseignant, ce dernier a demandé à la famille de trouver un établissement spécialisé pour accueillir cet enfant, considérant qu'il n'est pas suffisamment aidé pour pouvoir assurer un enseignement normal aux autres enfants. Cette situation donne à ces familles le sentiment qu'il existe un décalage entre le discours qui est tenu à l'échelon national et ce qu'elles vivent concrètement sur le terrain.

Une meilleure coordination d'action serait nécessaire entre le secrétariat d'Etat aux personnes handicapées et le ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, afin de faire comprendre aux éducateurs et aux enseignants que l'éducation en milieu scolaire est devenue l'une de nos priorités qui ne saurait tolérer d'obstacles, sauf à prévoir des moyens financiers pour y remédier et ne pas troubler ainsi le fonctionnement normal des écoles primaires.

J'en viens aux modalités du droit à compensation. M. Barbier en a parlé tout à l'heure, comme d'autres orateurs sans doute avant lui. La mise en oeuvre du droit à compensation s'étalera sur une dizaine d'années. Je souhaiterais que, dans la mesure du possible, nous puissions accélérer le mouvement, car ce droit n'est pas différent selon que l'enfant est jeune ou qu'il a atteint l'âge de la majorité. Ce droit devrait, à mon avis, s'exercer de manière équitable quel que soit l'âge de l'individu. Sur ce point, certaines évolutions sont donc indispensables.

Mes chers collègues, j'espère ne pas avoir lassé votre attention. J'ai déposé une série d'amendements, mais comme je l'ai déjà dit, je ne pourrai être présent au cours de l'examen des articles. Je le serai en revanche, je l'espère, lors de l'examen du texte en deuxième lecture pour vous aider, madame la secrétaire d'Etat, à parfaire la réalisation de vos objectifs, à contribuer à leur traduction concrète sur le terrain en faveur des handicapés et de leurs familles.

Ainsi, une fois de plus, grâce à vous, la France aura démontré sa capacité à faire oeuvre utile en faveur de ceux à qui seule la solidarité nationale peut assurer la réelle compensation de leur handicap.

Madame la secrétaire d'Etat, je vous apporterai le soutien le plus total dans l'exercice difficile que vous avez à mener à bien dans un contexte qui n'est pas des plus faciles, mais je ne doute pas que, dans les années qui viennent, grâce à la politique du Gouvernement et au retour de la croissance,...

M. Roland Muzeau. Quand ?

M. Alain Vasselle. ... nous pourrons être plus généreux encore à l'égard de ceux qui en ont le plus besoin. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Madame la secrétaire d'Etat, j'ai eu le plaisir de vous recevoir voilà quelques semaines dans la ville de Chinon que j'administre. Vous avez pu y constater le travail remarquable que réalise la Résidence de Mai. J'y fais référence, car son action nous a tous beaucoup marqués et elle illustre bien le propos de ce soir.

Cette association est composée de militants, de parents qui défendent la cause des handicapés face, comme souvent, à l'attentisme de certains.

Il nous a même fallu convaincre des départements de s'engager dans des opérations très coûteuses. On l'a déjà dit, mais je le répète, ce combat est marqué par une détermination exceptionnelle des familles. Nous, qui représentons les pouvoirs publics, avons peut-être été trop souvent à la traîne de ceux qui le menaient.

Depuis la loi d'orientation de 1975, beaucoup d'autres textes ont été adoptés, notamment dans le domaine de l'accessibilité. Je pense à la loi d'orientation des transports intérieurs avec la création des plans de déplacement urbain, à la loi d'orientation pour la ville dont de nombreux articles traitaient la question des handicapés, à la loi sur l'exclusion, à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains. La liste est longue.

Comme certains de mes collègues l'ont souligné, il est toujours impressionnant de constater une accumulation de textes pour se demander ensuite ce qu'il en a découlé. Les décrets sont-ils parus à temps, même si, on le sait, il faut du temps pour les prendre ?

Quel bilan peut-on dresser ? Certes, madame le secrétaire d'Etat, c'est incontestablement avec une ambition nouvelle que vous avez porté ce texte - nul ne contestera votre passion ni votre engagement. Mais l'on ne peut s'empêcher de se demander si une loi supplémentaire nous permettra de faire mieux. Je pense en particulier aux articles 21 et 24 du projet de loi relatifs aux problèmes d'accessibilité.

Pour ma part, je reste persuadé que l'on place quelquefois beaucoup trop d'espoir dans des lois qui ne sont pas appliquées, dans ce domaine comme dans d'autres d'ailleurs, ce qui engendre un sentiment de déception. Je voulais le souligner ce soir !

Nous abordons aujourd'hui un sujet gravissime et nous devons faire preuve, les uns et les autres, d'honnêteté : appliquons-nous vraiment les lois que nous adoptons ? Cette question ne doit pas être uniquement envisagée sous un angle financier. Les documents d'urbanisme, les plans de déplacement urbain, les plans locaux de l'habitat, tous ces documents qui ont valeur législative, qui sont opposables, ont-ils été appliqués ? En réalité, il existe un grand décalage entre les intentions et la réalité.

Pour ma part, j'ai suivi le militantisme des parents plus que je n'ai été porté par les textes. Et, d'une certaine manière, j'ai été conduit à mettre en place une mesure que vous proposez d'adopter, madame le secrétaire d'Etat, à savoir un plan d'accessibilité en faveur des handicapés, alors que de nombreux habitants de ma ville les rejetaient au départ, je dois le dire.

Mais, petit à petit, un mouvement s'est dessiné et toute la population a pris conscience du problème et a adhéré à cette cause. Même les commerçants ont été heureux d'accueillir des personnes handicapées et ont fait le nécessaire pour faciliter l'accessibilité à leurs commerces. Dans ce que vous appelez la chaîne des actions à mettre en place ; nous avons engagé une politique sur plusieurs années. Elle n'est pas encore achevée bien sûr, mais je veux souligner le fait que nous n'avons pas eu besoin d'une loi pour favoriser l'accessibilité aux personnes handicapées.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Tant mieux !

M. Yves Dauge. Je ne dis pas qu'il ne faut pas légiférer, mais il ne sert à rien d'adopter un projet de loi que l'on n'appliquera pas. L'attente est alors grande et la déception plus encore ! En outre, elle met en cause la crédibilité des politiques.

Permettez-moi de revenir maintenant sur certaines propositions concrètes que vous faites, notamment en faveur du logement, madame la secrétaire d'Etat.

Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de faire sortir un maximum d'adultes handicapés des institutions, qui sont trop fermées sur elles-mêmes, pour les réintégrer dans la vie de la cité. La ville doit donc être aménagée de telle sorte qu'ils puissent y vivre. Si nous y parvenons, c'est un service supplémentaire que nous apporterons à tous les habitants.

Madame la secrétaire d'Etat, nous nous heurtons toutefois à de très graves problèmes de financement. En effet, en dépit des dispositions législatives en vigueur, y compris concernant l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, le financement des adaptations des logements existants pose de sérieux problèmes.

Le dispositif que vous proposez vise à donner une autorisation préalable à l'aménagement du logement. Honnêtement, c'est une bonne disposition. Mais encore faut-il, dans le cadre de la délivrance des permis de construire - et cela fait l'objet de certains de nos amendements - pouvoir la contrôler. Par ailleurs, reconnaissons-le, ce dispositif a des limites : s'il n'est pas appliqué systématiquement, il conduit à des aberrations.

C'est d'ailleurs toujours ennuyeux d'énoncer un principe auquel tout le monde adhère et de dire d'emblée qu'un décret prévoira des dérogations. Je préférerais que l'on positive en déclinant cette ambition dans un document, le plan local de l'habitat. Cela vaut pour le déplacement urbain, mais c'est surtout vrai pour le logement. Le mouvement HLM y serait d'ailleurs certainement favorable.

Il s'agirait donc de mettre en place un exercice qui définirait, dans le cadre du plan local de l'habitat - des plans qui vont d'ailleurs se multiplier, notamment avec l'adoption du projet de loi relatif aux responsabilités locales -, les lieux, les logements et les aménagements en faveur des handicapés. Cela nous dispenserait de l'obligation de tout faire ou de n'en faire qu'une partie à cause des multiples dérogations.

En fait, j'inverse la proposition initiale, ce qui me semble plus efficace. En outre, c'est ce que tout le monde a envie de faire.

S'agissant des dérogations, il faut aussi prendre en compte la question des coûts liés aux techniques de construction des années antérieures. Par exemple, les murs porteurs ne peuvent être transformés, car le coût serait considérable,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est certain !

M. Yves Dauge. ... à moins d'engager des frais déraisonnables. Mais qui en supporterait la charge ? Les locataires des immeubles collectifs ? Telle n'est certainement pas votre intention, madame la secrétaire d'Etat. Il faut donc laisser ces logements tels quels et en construire d'autres ailleurs. Cette proposition relève d'un plan intelligent. Il faut savoir ce que l'on peut faire et où on peut le faire. J'insiste sur ce point parce qu'il s'agit là d'une affaire clef.

Si vous voulez, et nous le voulons tous, que les adultes handicapés quittent les institutions spécialisées et s'installent dans des logements en ville, il faut absolument porter un regard intelligent sur la gestion du parc locatif, privé et public. Il faut rechercher, avec l'ANAH et d'autres organismes, des moyens financiers à la hauteur des enjeux. Sinon, nous allons vers un échec certain. On reconnaîtra certes le bien-fondé de votre loi, mais on déplorera aussitôt les multiples dérogations prévues pour la rendre applicable. Et ce sera l'impasse, d'où naîtront de nouvelles déceptions.

Je suis un ardent défenseur de l'architecture, mais je réprouve également toute dérogation architecturale.

L'architecture n'a pas à déroger à quoi que ce soit. On a dit qu'il fallait former les architectes. Pourquoi pas ? Mais il faut surtout former les maîtres d'ouvrage. En matière d'architecture, parler de dérogation relève du contresens. L'architecture a pour ambition de répondre à la demande des usagers.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !

M. Yves Dauge. Elle doit être considérée comme une aide. Or, nous risquons de mettre en place un système qui marche sur la tête, ce qui, j'en suis sûr, n'est pas votre souhait, madame la secrétaire d'Etat. Evitons donc toute dérogation et encourageons un travail positif.

Par ailleurs, je me suis interrogé sur la nature du plan d'accessibilité, sur la place qui lui revient dans la typologie des documents d'urbanisme. J'ai déposé avec d'autres collègues un amendement visant à en faire un chapitre à part entière du plan de déplacement urbain, c'est-à-dire à le réintégrer dans un exercice qui a une valeur juridique. Il faut respecter un processus de décision. Un maire ou un établissement public ne peut élaborer un plan d'accessibilité qui serait annexé à un plan de déplacement urbain. Je veux ainsi lui donner toute la force que le plan de déplacement urbain peut lui conférer. Il s'agit là de problèmes techniques qui peuvent être résolus grâce à l'adoption d'amendements qui ne devraient pas vous poser de problème, madame la secrétaire d'Etat, au contraire. Je pense donc que vous serez d'accord avec nous pour aller dans ce sens.

Tout le monde l'a dit, mais je le répète, de nombreuses mesures contenues dans ce texte sont excellentes et l'esprit qui anime ce projet de loi est bon. Le monde du handicap a souffert d'institutions trop lourdes, notamment avec les maisons fermées.

Dans ma région, un magnifique château fermé abrite des handicapés, mais il n'a pas d'avenir. Il a un autre destin à vivre. Avec l'expérience des handicapés que je vis à dans ma ville, je connais les deux bouts de la chaîne et l'un est voué à l'échec. Même si les éducateurs se sont investis dans ce château, ils se sont perdus dans un monde qui n'a pas d'avenir et je veux, comme vous tous, réintégrer le monde des handicapés, qui est immense, dans la société.

J'ai lu une enquête de l'INSEE qui, au-delà de la définition stricte du handicap, indique que 30 % de notre population vivra un jour ou l'autre une situation de handicap dans la cité. Ainsi, imaginez, 18 millions de personnes seront concernées ! Cette situation relèvera bientôt du droit commun.

Notre ambition est de rendre la ville accessible à tous. On a dit que notre pays était en retard en la matière : je pense au contraire, madame la secrétaire d'Etat, qu'une accélération extraordinaire est en train de se produire. Je vois des villes qui construisent des tramways, des communes qui réaménagent l'espace public, des mairies qui s'engagent dans des plans d'accessibilité des services publics... Il se passe quelque chose, et cela n'est pas sans rapport avec votre projet de loi.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est l'esprit du temps !

M. Yves Dauge. Tout cela va dans le même sens !

Je ne pense pas que votre projet de loi, madame, réponde au souci de tout contrôler : il représente un élément intéressant dans un contexte où les choses, peut-être, peuvent bouger.

Mais il faut faire confiance aux collectivités locales. Il est vrai que les départements, M. Michel Mercier le rappelait tout à l'heure, vont se trouver en première ligne sur les questions de financement. Mais les communes aussi sont éminemment concernées ! Il faut le comprendre et situer l'exercice auquel nous nous livrons aujourd'hui dans ce contexte de mouvement, dans cette perspective nouvelle qui apparaît.

Il ne faut pas porter sur cette question un regard trop négatif, se plaindre de notre retard, déplorer que rien n'ait été fait... Cette vision serait fausse et d'autant plus regrettable que la situation est en train d'évoluer : je compte que le projet de loi donnera un coup d'accélérateur, même si l'attente de certaines associations, il est vrai - comme vous sans doute, madame la secrétaire d'Etat, j'ai conservé toutes leurs lettres -, a été quelque peu déçue.

Beaucoup se demandent si c'est cela, la grande loi. Peut-être pourrons-nous contribuer à améliorer les choses ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la loi fondatrice de 1975 a modifié en profondeur le regard que porte notre société sur le handicap : renforcée par l'inflexion que les parents, les associations et les professionnels ont donnée à son application, elle a permis d'apporter des progrès considérables, mais elle a aussi montré ses limites.

Aussi, vingt-sept ans après son adoption, il était temps de réfléchir à son adaptation aux évolutions et aux défis nouveaux que constituent, par exemple, le vieillissement des personnes en situation de handicap, l'effet des progrès de la médecine, les aspirations légitimes à une plus grande autonomie dans la vie quotidienne.

Les personnes handicapées se sentent trop souvent laissées pour compte et subissent de façon douloureuse le regard des autres, abandonnées parfois à des situations de souffrance ou, à l'inverse, embrigadées dans des modes de vie choisis par d'autres et qui ne leur conviennent pas.

Après des années de silence assourdissant, la collectivité nationale se devait donc de réagir et d'engager la réforme des principaux aspects de la vie des handicapés, réforme élevée au rang de priorité nationale par le Président de la République. Permettre à chaque handicapé de bâtir lui-même son projet de vie et de le vivre à son rythme, lui redonner son droit au bonheur et à la dignité, aider dans les cas les plus difficiles les familles et les proches, voilà vers quoi doit tendre ce projet de loi.

Madame la secrétaire d'Etat, vous nous présentez ce soir un texte qui a vocation à impulser pour les prochaines décennies de nouvelles orientations en faveur des handicapés, au plus près de leurs attentes.

Si les droits fondamentaux définis en 1975 sont réaffirmés, complétés et assortis de mesures favorisant leur mise en oeuvre, un contenu précis est enfin donné au droit à la compensation des conséquences du handicap, droit instauré en 2002.

Il est question non plus d'assistance charitable, mais de solidarité nationale, j'aimerais même dire de fraternité nationale. Cela doit se traduire d'abord par des changements dans les relations sociales, à commencer, par exemple, par le respect des places de stationnement réservées aux handicapés.

Le droit à compensation des conséquences des handicaps devient l'expression de l'égalité des droits pour l'exercice d'une citoyenneté pleine et entière : tout l'esprit de ce texte est d'ailleurs résumé dans son intitulé.

Pour la première fois, le handicap psychique est mentionné au même titre que les autres handicaps. Pour la première fois, les parents d'enfants handicapés pourront faire valoir une demande d'inscription dans l'école la plus proche de leur domicile. Pour la première fois, la loi affirmera et organisera la participation des personnes handicapées à la prise des décisions les concernant et à la définition de leur projet de vie.

Je voudrais, à ce stade de notre débat, féliciter la commission des affaires sociales et son président pour l'important travail réalisé et saluer la très grande clairvoyance du rapporteur, M. Paul Blanc.

A travers de multiples dispositions, le Gouvernement reconnaît les retards de la France dans la prise en compte du handicap et tente d'y remédier.

Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite revenir sur certaines d'entre elles, qui m'apparaissent comme les plus importantes et qui sont certainement les plus attendues : celles qui sont relatives à l'accessibilité dans tous ses aspects.

Avec notre collègue Yves Dauge, je reconnais volontiers que, dans les collectivités, les choses bougent. Maire de ma ville depuis près de dix ans, j'ai pu observer les évolutions : il est vrai qu'aujourd'hui on ne peut pas concevoir un projet sans immédiatement consulter les associations sur la façon d'améliorer l'accessibilité.

Il est incontestable que l'aménagement urbain, les transports et le cadre bâti amplifient, du fait de leur inadaptation, les difficultés qu'une partie de la population éprouve en matière de mobilité. Mais comment tranformer des villes qui ont deux mille ans d'histoire ?

Voirie, transports, bâtiments publics, écoles et lieux de travail, logements, doivent être adaptés à un usage en toute autonomie. En effet, une véritable insertion de la personne handicapée suppose en tout premier lieu la liberté d'aller et venir par les mêmes cheminements que n'importe quelle personne valide.

Ainsi, en réaffirmant l'obligation de rendre accessibles les espaces publics, les transports et le cadre bâti à toute personne, quelle que soit la nature de son handicap, en renforçant les contrôles et les sanctions en cas de non-respect de ces obligations, en subordonnant le versement d'aides publiques au respect des règles d'accessibilité, le projet de loi tend à rendre cette notion effective et à garantir à tous la continuité des déplacements.

Cependant, nous le savons tous, améliorer l'accessibilité a un coût, en particulier pour les collectivités territoriales et pour les communes. Or l'expérience acquise depuis de nombreuses années montre bien que la prise en compte de la notion d'accessibilité dès l'élaboration d'un nouveau projet permet de réaliser des opérations véritablement accessibles avec un surcoût moindre. Le problème, il est vrai, est différent lorsqu'il s'agit de mettre aux normes un bâtiment ancien, historique ou classé.

Il aurait peut-être été souhaitable que soit créé, sur le modèle du fonds interministériel pour l'accessibilité aux personnes handicapées, le FIAH, compétent pour les bâtiments anciens ouverts au public et appartenant à l'Etat, un fonds d'accessibilité destiné à solvabiliser un certain nombre de travaux et, ainsi, à contribuer à l'effort financier qu'impliquent ces mises aux normes. J'ai d'ailleurs déposé un amendement en ce sens.

J'ai noté qu'à l'article 24 du projet de loi était créée dans les communes de plus de 10 000 habitants une commission communale d'accessibilité. Je me dois de souligner, madame la secrétaire d'Etat, l'utilité d'une telle commission. En effet, la ville dont je suis le maire a créé une commission de ce type en 1999 et recueille aujourd'hui le fruit de son travail. Composée d'élus et de représentants d'associations de personnes âgées ou handicapées, elle est chargée de réfléchir aux moyens de rendre plus accessibles les équipements du domaine public à tous ceux pour qui se déplacer représente généralement un véritable parcours du combattant. Ainsi, depuis quelques jours, des bancs revus et corrigés, aux assises plus basses et aux dossiers moins inclinés, donc plus accessibles aux personnes âgées et handicapées, ont été installés dans nos jardins communaux.

Je tenais à saluer plus particulièrement les dispositions du projet de loi tendant à assurer une véritable intégration scolaire. Trop d'inégalités et de ruptures marquent encore le parcours des enfants handicapés, source permanente d'inquiétudes pour eux-mêmes et pour leurs parents.

Alors qu'est fixée dans la loi une obligation de scolarisation des enfants handicapés, les parents, longtemps, n'ont eu d'autre recours que de garder leur enfant au sein de la famille, à défaut d'obtenir une place dans un établissement spécialisé : l'objectif d'intégration scolaire n'a jamais été concrétisé, du fait de l'absence d'une réelle volonté politique, et je voudrais insister auprès de vous, madame la secrétaire d'Etat, sur l'acuité plus grande de ce problème dans les communes rurales.

Pourtant, l'amélioration de l'accès à l'éducation, de l'école maternelle à l'université, constitue un enjeu central et une exigence absolue pour qui veut lutter contre l'exclusion civique, sociale et professionnelle des adultes que deviendront demain ces jeunes handicapés.

Je tenais ce soir à appeler votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur les demandes récurrentes des associations de mon département qui proposent des services d'accompagnement à l'intégration scolaire et qui s'inquiètent du manque de postes d'auxiliaires de vie scolaire et de l'incertitude que l'absence de moyens financiers fait peser sur la pérennisation des services qu'elles offrent.

J'espère, madame la secrétaire d'Etat, que les engagements forts qu'a pris le Gouvernement en faveur de l'intégration scolaire des enfants handicapés, en particulier dans ce projet de loi, trouveront leur traduction effective sur le terrain, grâce à des moyens financiers et humains adaptés aux besoins réels des jeunes handicapés.

Comme vous l'avez annoncé, madame la secrétaire d'Etat, ce projet de loi est le levier d'une ambitieuse politique interministérielle et sera complété par des programmes et des plans d'action.

C'est ainsi qu'est engagée depuis plusieurs mois, sous la conduite du ministre des sports, M. Jean-François Lamour, une nouvelle politique sportive en faveur des personnes handicapées, afin de permettre, à l'échéance de 2007, l'accès de tous aux pratiques sportives adaptées. En structurant le réseau national par la nomination d'un référant « sport et handicap » dans chaque région, en renforçant la formation des éducateurs sportifs, en accentuant les efforts de construction ou de mise aux normes des équipements, le ministère des sports apporte sa pierre à l'édifice aujourd'hui en construction.

Les associations et fédérations sportives, les bénévoles qui oeuvrent sur le terrain depuis des années par leurs actions quotidiennes, doivent aujourd'hui avoir conscience qu'ils seront épaulés.

En tant que rapporteur spécial, au nom de la commission des affaires culturelles, du budget des sports, je suivrai avec une attention toute particulière la mise en place et le devenir de ces mesures : je ne rappellerai jamais assez, madame la secrétaire d'Etat, l'importance du sport pour les personnes handicapées, tant pour leur intégration sociale que pour leur épanouissement. Il permet une formidable reconnaissance des qualités morales, psychiques et physiques du pratiquant ; il apporte un réconfort lumineux à la famille et aux proches. Pour un handicapé, pratiquer un sport, c'est laisser son handicap au vestiaire !

Pour conclure, madame la secrétaire d'Etat, je tenais à vous dire combien nous comptons sur votre énergie - et je sais qu'elle est grande - et sur la force de vos convictions pour que les décrets d'application de ce texte soient préparés dans les plus brefs délais. Il y va de notre crédibilité !

Avec plusieurs de mes collègues, je regrette que ce projet de loi puisse paraître incomplet, puisque ses modalités de financement, dans l'attente tant du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées que de la réforme de l'assurance maladie, demeurent une inconnue.

Madame la secrétaire d'Etat, ce soir, nous allons, une fois encore, donner un formidable espoir à des millions de nos concitoyens. C'est avec une profonde conscience de notre responsabilité de parlementaires, de notre devoir de ne pas les décevoir, que j'aborde ce débat sous-tendu par une soif de plus d'humanité au sein de la cité.

Merci, madame la secrétaire d'Etat, d'avoir eu le courage de nous proposer ce projet de loi. Sachons ensemble, mes chers collègues, l'améliorer pour offrir une vie nouvelle à toutes celles et à tous ceux qui ont mis leurs espoirs dans nos décisions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Je voudrais d'abord, mesdames, messieurs les sénateurs, vous remercier très chaleureusement de la qualité de vos interventions, extrêmement riches, et des très nombreuses interrogations que vous avez soulevées. Vous comprendrez que ma réponse soit loin d'être exhaustive, mais toutes les questions, fort importantes pour les personnes handicapées, ont été notées, et nous y reviendrons dans la discussion des articles : si j'ose dire, vous ne perdez rien pour attendre ! (Sourires.)

Monsieur le rapporteur, merci d'avoir répété que la prestation de compensation est universelle, parce qu'elle l'est, parce qu'il n'y a pas de recours sur succession ni de conditions de ressources.

Merci aussi d'avoir rappelé que le financement est prévu : nous disposerons de 850 millions d'euros à partir du 1er janvier 2005, et cela pendant quatre ans. En outre, le Premier ministre s'est engagé à revoir ce financement en cours de route et à faire en sorte de le pérenniser.

Merci encore d'avoir remarqué que ces 850 millions d'euros représentaient un effort considérable de la part du Gouvernement, si on le compare à ce qui est comparable, c'est-à-dire aux efforts de compensation déjà consentis, qui sont de l'ordre de 600 à 640 millions d'euros selon l'année de référence : nous faisons plus que les doubler d'une année sur l'autre !

Vous avez également formulé certaines critiques concernant notamment le taux d'incapacité ou l'âge, et plusieurs de vos collègues s'y sont associés. Je n'y reviendrai pas maintenant, car nous en débattrons d'autant plus longuement lors de la discussion des articles que plusieurs amendements portent sur ce sujet. Là encore, je vous remercie de vos observations, qui rejoignent celles d'un certain nombre d'associations et qui nous permettront de progresser.

Monsieur le président de la commission, vous avez évoqué un sujet qui me tient particulièrement à coeur, celui des emplois à domicile. La caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, ne fera que pérenniser ceux qui ont été mis en place grâce à l'APA. Mais les emplois de ce type sont de plus en plus nécessaires dans une société où la cohésion sociale se détricote : quand la famille s'effiloche, il faut trouver des parades, et les auxiliaires de vie, les accompagnateurs de vie en sont manifestement une. C'est un superbe métier qui est en train d'émerger et qu'il va falloir conforter. Les régions y pensent fortement, puisqu'ils feront partie de leurs attributions en matière de formation professionnelle.

Avec 850 millions d'euros, nous pourrons faire beaucoup. Nous en sommes aujourd'hui à deux heures et demie.

Vous dites, monsieur le président de la commission, que la dotation ne sera pas suffisante si nous passons à seize heures par jour : mais il faudra envisager d'autres modes d'organisation, vous le savez bien. Il faudra par exemple mutualiser ces aides à domicile, ne serait-ce qu'à certaines heures, peut-être pendant la nuit. Je pense à un pays où M. le rapporteur m'a accompagnée, la Suède pour ne rien vous cacher : la nuit, les personnes lourdement handicapées vivant à leur domicile ne disposent pas nécessairement d'une auxiliaire de vie à leurs côtés. Elles sont seules, mais il suffit qu'elles sonnent pour que, dans les cinq ou dix minutes qui suivent, une personne soit là pour les tourner dans leur lit ou les aider à aller aux toilettes...

Encore une fois, avec ces 850 millions d'euros, nous pourrons faire d'énormes progrès, notamment en matière d'emplois à domicile, par rapport à ce que permet la dotation actuelle. Celle-ci est totalement insuffisante, ce qui, j'en conviens avec vous, crée des situations absolument dramatiques.

En outre, l'offre sera de plus en plus importante et structurera ipso facto ce métier auquel, je le répète, il faut donner des perspectives de carrière, un statut et des rémunérations honorables.

J'en viens maintenant aux problèmes de calendrier qu'ont évoqués M. Godefroy, Mme Demessine et M. Vasselle.

Je dirai les choses telles qu'elles sont : nous disposerons de 850 millions d'euros à compter de l'année 2005, et je suis déterminée à faire en sorte que la loi puisse s'appliquer dès le mois de janvier 2005.

C'est pour honorer le travail des sénateurs que j'ai voulu que le projet de loi soit déposé d'abord sur le bureau du Sénat ; mais si j'ai fortement insisté pour que la discussion ait lieu dès le mois de février, c'est uniquement, je vous l'assure, pour une question de compte à rebours.

Nous ne voulons pas l'urgence : nous voulons au contraire prendre tout le temps qu'il faudra pour discuter ce projet de loi. Mais nous ne pouvons par nous permettre d'en perdre. Je souhaite que le texte soit définitivement voté avant l'été pour pouvoir ensuite travailler aux décrets d'application - nous allons commencer dès le mois de mars -, afin que la loi, je le répète, puisse s'appliquer à partir de janvier 2005. Il ne s'agit de rien d'autre, mesdames, messieurs les sénateurs !

J'en viens aux décrets, qui ont été évoqués par nombre d'entre vous. Le projet de loi comporte effectivement 52 renvois à des décrets. Cela ne signifie pas qu'il y aura 52 décrets car il y a des renvois aux mêmes décrets. Nous avons compté une vingtaine de décrets, dont une dizaine en Conseil d'Etat, ce qui est une sécurité de plus, monsieur Vasselle. J'ai dit à maintes reprises devant de très nombreuses associations, mais également devant nous, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous travaillerons à ces décrets ensemble dès le mois de mars.

M. Alain Vasselle. Je l'avais noté !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Chose promise, chose due ! Monsieur Vasselle, il n'était pas possible de vous présenter les décrets au moment de l'examen du projet de loi, puisque j'ai dit au départ que ce texte était perfectible. J'espère bien, d'ailleurs, que vous allez l'enrichir. Il est très difficile de rédiger des décrets à partir d'un texte qui n'est pas suffisamment arrêté.

M. Alain Vasselle. On peut rédiger les décrets pour vous, si vous le souhaitez ! (Sourires.)

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Je remercie M. Mercier d'avoir souligné qu'il s'agit vraiment de prendre en compte le projet de vie de la personne handicapée et que notre objectif est une personnalisation très poussée des réponses qui doivent être apportées à chaque handicapé. Plusieurs d'entre vous l'ont souligné, le handicap est extrêmement divers et varié. C'est d'ailleurs l'une des difficultés de ce projet de loi. Par définition, un handicapé s'adapte moins bien qu'une personne valide et il faut donc lui apporter des réponses très diversifiées, très personnalisées.

Une nouvelle fois, M. Mercier a évoqué le problème du transport des personnes handicapées. Une dépense de 4,5 millions d'euros par an à ce titre, c'est considérable. Je suis pleinement de son avis quand il dit qu'il préférerait transformer ces kilomètres, si j'ose dire, en postes d'auxiliaires de vie scolaire. Cela permettrait aussi aux enfants handicapés de faire moins de kilomètres chaque jour et d'être scolarisés plus près de chez eux. Il s'agit de problèmes d'organisation locale extrêmement intéressants, qui doivent être approfondis.

Monsieur Mouly, je n'entrerai pas dans le détail de votre intervention, qui était très riche. J'évoquerai l'accueil temporaire, auquel je suis extrêmement attachée. Il a été défendu à l'Assemblée nationale, depuis le début, par le député Jean-François Chossy, qui est présent dans les tribunes, au côté de M. Olivin, auteur du rapport sur l'accueil temporaire. A l'évidence, cette disposition doit être mise en place en urgence. Pouvoir offrir à des parents qui s'occupent d'une personne handicapée 24 heures sur 24 et 365 jours par an non pas des vacances, mais un répit d'un week-end ou d'une semaine, ce n'est pas un luxe. C'est un des premiers chantiers qui a été mis en oeuvre. Le décret est à la signature - il ne manque plus que celle du ministre de l'intérieur - et va donc être publié très prochainement. Merci d'avoir posé la question. Nous reviendrons ultérieurement sur les autres sujets que vous avez évoqués.

Madame Demessine, je vous le dis tout simplement, sereinement mais fermement : il n'y a pas de démantèlement de l'assurance maladie. Ces 850 millions d'euros, c'est un tout autre volet, c'est de l'argent supplémentaire destiné à compenser de manière individuelle le handicap.

Vous avez évoqué la baisse des charges des restaurateurs, pour 1,5 milliard d'euros. Les personnes handicapées bénéficient déjà d'exonérations fiscales et sociales, à hauteur de 847 millions d'euros. On l'oublie très facilement. Un certain nombre de dispositions prévoient en leur faveur une TVA à 5,5 % ou une exonération de charges fiscales. Il est important de le rappeler.

Monsieur Barbier, je vous remercie d'avoir reconnu que le projet de loi était enrichi par des mesures relatives au handicap. Celui-ci concerne, au bas mot, 700 000 de nos concitoyens. En 1975, ces personnes handicapées étaient dans des hôpitaux psychiatriques. Elles en ont été sorties. Elles vivent parmi nous, mais seules et sans l'assistance nécessaire. Nous avons prévu des programmes d'action très précis : pour les polyhandicapés, pour les autistes, pour les personnes handicapées psychiques, pour les traumatisés crâniens. Ces programmes sont mis en oeuvre depuis le début de l'année.

Les maisons départementales des personnes handicapées seront gérées à l'échelon de chaque département et, c'est une évidence, il y aura des antennes locales, comme il en existe déjà aujourd'hui pour un certain nombre de services sociaux. Si nous créons des maisons départementales des personnes handicapées, c'est pour qu'elles se trouvent au plus près des intéressés. Elles seront, par définition, au chef-lieu du département, mais avec toutes les antennes locales nécessaires. A chaque département d'inventer et de s'adapter dans ce domaine-là.

Quant au financement, j'y reviens, il sera pérenne, parole de Premier ministre. La CNSA va démarrer au 1er juillet prochain. Elle sera en année pleine à partir de 2005. Nous avons notre budget 2004 pour les personnes handicapées. A partir de 2005, nous disposerons de ces 850 millions d'euros. C'est prévu sur quatre ans et le Premier ministre a bien dit qu'en cours de route, en fonction de la manière dont ces 850 millions auront été utilisés la première année, il est prévu, bien sûr, de prolonger ce financement. Il s'agit de dispositions pérennes.

Madame San Vicente, j'aimerais bien que vous me communiquiez la lettre de Guillaume.

Mme Michèle San Vicente. Bien sûr !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. On pourra en parler ultérieurement. Ce cas que vous avez cité est important et je souhaiterais l'approfondir avec vous, si vous le voulez bien, et je vous en remercie. Nous comptons réviser la liste des produits particuliers. C'est clair : elle est, à ce jour, incomplète et obsolète. Je le répète, mais j'aurai l'occasion de le redire à plusieurs reprises : la prestation de compensation est une prestation universelle, contrairement à ce que vous avez dit, madame San Vicente.

Mme Desmarescaux a notamment évoqué la formation des architectes, qui sont sous l'autorité du ministre de la culture. Nous y avons travaillé. La formation des architectes à l'accessibilité est prévue à compter de l'année prochaine. En matière d'accessibilité, tout ce qui est prévu en amont est essentiel, est beaucoup plus facile à mettre en oeuvre et coûte donc beaucoup moins cher.

L'ouverture de la prestation de compensation aux enfants : oui ! J'ai compris que, pour vous, c'est un point important, madame Desmarescaux. Nous en reparlerons lors de l'examen des articles.

M. Pelletier a soulevé, lui aussi, un certain nombre de problèmes. Il a notamment évoqué les établissements. Notre projet est très précis. Entre 2003 et 2007, auront été créées 14 000 places en CAT, soit 3 000 places par an les trois premières années et 2 500 places par an les deux dernières années. Cela signifie, puisque les estimations en matière de liste d'attente en CAT sont aujourd'hui de l'ordre de 15 000, que nous aurons alors résorbé les demandes.

Concernant les places pour enfants en établissement et en service, nous en créons, en 2003 et 2004, 1 500 par an. A partir de 2005, nous en créerons 1 800 par an. Au total, 8 400 places auront été créées à l'horizon de l'année 2007.

Quant aux places pour adultes en établissement et en service, nous en avons créées 2 550 en 2003, 3 450 en 2004, et nous atteindrons un total de 18 000 à l'horizon de 2007. Le plan de création de places en établissement et en service est prévu sur cinq ans. Entre 2003 et 2007, Monsieur Pelletier, seront donc créées en établissement et en service deux fois plus de places qu'entre 1998 et 2002 pour les enfants et trois fois plus pour les adultes, pour lesquels on passe en effet de 5 500 à 18 000 places. Pour les CAT, on double pratiquement le nombre de créations de places. C'est vraiment la preuve, si besoin était, que nous accélérons le rythme parce qu'il y a urgence, vous l'avez dit les uns et les autres sur toutes les travées de cet hémicycle, et je vous en remercie.

Monsieur Vantomme, la directive européenne du 27 novembre 2000 est intégralement transposée dans notre projet de loi. Nous n'avons donc pas transposé seulement la partie qui nous arrangeait. Cette transposition va même être améliorée par un amendement gouvernemental, à la suite d'une proposition formulée par une association, la FNATH.

La formation professionnelle est prévue grâce à l'intervention de la commission des affaires sociales du Sénat, par ce fameux droit individuel à la formation, dont, monsieur le président About, vous avez précisé les termes lors de la discussion que vous avez eue avec François Fillon sur ce sujet.

Merci d'avoir insisté sur la scolarisation sous toutes les formes. Elle est bien précise dans le projet de loi. Nous y reviendrons au cours de la discussion des articles. Mon ambition est de faire en sorte que l'école soit beaucoup plus présente, soit autant que faire se peut, autant que faire est possible, et notamment qu'elle soit davantage présente dans les instituts médico-éducatifs, les IME, et les instituts médico-professionnels, les IMPRO, comme vous le demandez. C'est très important. Il faut faire le maximum pour l'éveil des enfants.

M. Vasselle a évoqué un certain nombre de problèmes, notamment les 35 heures. Personnellement, je les avais dénoncées en leur temps, car je considérais qu'elles auraient des effets dévastateurs dans tout le secteur médical et médico-social. Ces effets ne se sont pas fait attendre. Je le dis sereinement, objectivement, prétendre très fermement : les 35 heures, et nous ne pouvons prétendre le contraire,... conduisent à des situations ingérables.

M. Claude Domeizel. Adressez-vous à M. Vasselle !

M. Bernard Murat. Les 35 heures, c'est vous qui les avez créées !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Certes, des postes ont été créés dans le secteur médico-social, mais en nombre insuffisant. Les conséquences pratiques sont des emplois du temps ingérables, extrêmement fragmentés, au détriment des enfants, des adultes et des personnes âgées. Il faudra essayer de trouver une autre organisation pour l'ensemble de ce secteur. Je le dis simplement mais fermement : les situations sont inhumaines.

M. Vasselle a aussi évoqué les aidants familiaux : ils seront dédommagés.

Il a souligné, à juste titre, le problème du « reste à vivre », qui est totalement insuffisant. (Mme Michelle Demessine opine.) Nous y travaillons. Ce reste à vivre, pour les personnes en établissement, doit être majoré.

Monsieur Dauge, je vous remercie de la qualité de votre intervention. J'avais pu apprécier, sur le terrain, la manière dont vous vous impliquez, simplement mais efficacement, dans tous ces problèmes du handicap. Vous avez dit : une loi de plus ? Avec un peu de scepticisme. J'espère pouvoir vous convaincre, au cours de la discussion, qu'une nouvelle loi était nécessaire. Mais je partage votre avis : la loi n'est que la loi, et, au-delà, il faudra toujours l'intelligence, l'investissement, la générosité de tous, notamment des collectivités territoriales, de la collectivité nationale et du Gouvernement, ce que j'appelle « la chaîne de solidarité ». L'intégration des personnes handicapées dans notre société est un immense défi. Il ne sera relevé qu'ensemble. Les initiatives prises par les uns et les autres, au plus près du terrain, sont indispensables.

Je salue, monsieur Dauge, parce que je l'ai vue, votre action extrêmement réussie en matière d'intégration des personnes handicapées dans la ville de Chinon. Je vous propose, que, avec des maires et des présidents de communauté d'agglomération, nous nous retrouvions au mois d'avril pour examiner avec M. de Robien le moyen de mener des expérimentations dans la droite ligne de ce que vous avez évoqué.

M. Murat a rappelé l'importance que revêt l'accompagnement des enfants handicapés lorsque c'est nécessaire, quand ils sont intégrés à l'école. Vous avez raison, monsieur le sénateur. Cet accompagnement est assuré par les auxiliaires de vie scolaire, les AVS. Vous savez le travail important qui a été accompli par M. Ferry dans ce domaine dès la dernière rentrée, avec la création de 6 000 postes d'auxiliaires de vie scolaire. C'est une heureuse initiative. Il faut conforter ces AVS, leur apporter une formation et leur offrir un minimum de perspectives d'avenir. Mais reconnaissez que, grâce à ces embauches massives, la rentrée dernière s'est globalement bien passée pour les enfants handicapés, et ce pour la première fois depuis longtemps.

Je vous remercie monsieur Murat, d'avoir salué l'importance du sport, qui est fabuleux car il permet de se dépasser et d'oublier le handicap. Il en est de même pour les pratiques artistiques. Ces activités sportives et culturelles sont essentielles.

Permettez-moi, pour conclure, un petit sourire. Si je n'ai entendu que des éloges sur la loi de 1975, que l'on a même qualifiée de « fondatrice », les critiques n'ont pas manqué sur le projet de loi que nous vous présentons. Il suffit cependant de consulter le compte rendu, paru au Journal officiel, de la séance du 13 décembre 1974, jour du début de la discussion de la future loi de 1975 devant le Sénat, pour relativiser. On peut y lire, en effet : « Ainsi, ce projet de loi d'orientation en faveur des handicapés, si chacun reconnaît qu'au coup par coup, volet par volet, il apporte des progrès certains, fait contre lui la quasi-unanimité. » (Sourires.)

Plus loin, je lis : « Le projet ne dégage pas les crédits qui seraient nécessaires. » Enfin : « Les lacunes ou les insuffisances graves sont multiples. »

Je n'aurai pas l'indécence de révéler l'appartenance politique des orateurs que j'ai cités.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous nous en doutons !

M. Claude Domeizel. Nous avons compris !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. Les mêmes causes produisant les mêmes effets,...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un gage de qualité !

Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat. ... j'espère que, après toutes ces critiques, mais aussi après un travail fructueux des sénateurs de tous les groupes, ceux qui ont manifesté ce soir leur hostilité à ce texte porteront sur lui un regard plus positif et que, ensemble, nous pourrons élaborer un bel outil au service des personnes handicapées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Paul Blanc, rapporteur. Bis repetita non placent !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.