PRÉSIDENCE DE M. Bernard Angels

vice-président

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Pierre Hérisson , rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voici aujourd'hui le Sénat sollicité pour contribuer à l'aboutissement d'un long processus engagé en 1997. Il nous revient, en effet, d'examiner le projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. Ce texte vise à transposer en droit national un ensemble de directives communautaires, que l'on désigne communément sous le nom de « paquet télécoms ». Ce « paquet » de directives, issues de la consultation sur la « convergence » lancée en 1997 par la Commission européenne, a finalement été adopté en 2002.

La longueur du processus n'est pas sans rapport avec l'importance du changement que ce nouveau cadre réglementaire représente pour le secteur des télécommunications comme pour celui de l'audiovisuel. Il s'agit en effet de prendre en considération les évolutions intervenues depuis l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications au début de la décennie 1990, mais aussi de prendre acte de l'évolution technologique. Les frontières techniques qui distinguaient les télécommunications de l'audiovisuel sont devenues poreuses - la voix peut maintenant être offerte sur Internet ou la télévision sur ADSL - et les frontières juridiques apparaissent obsolètes de ce fait.

Ces directives auraient dû être transposées avant le 25 juillet dernier. Soucieux de combler son retard, le Gouvernement avait, dans un premier temps, envisagé d'effectuer cette transposition par ordonnance. Il avait toutefois soumis cette question aux présidents des deux chambres du Parlement. Ceux-ci ont prôné la voie parlementaire, et c'est cette voie que le Gouvernement a retenue, ce dont on ne peut que se féliciter.

Le texte que nous ont transmis les députés et pour lequel l'urgence est déclarée a conservé l'équilibre global du projet de loi initial. Il assure ainsi une transposition fidèle des directives communautaires. Cette transposition intervient essentiellement par le biais de modifications apportées au code des postes et télécommunications et à la loi Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

La commission des affaires culturelles s'est donc naturellement saisie pour avis. La commission des affaires économiques a d'ailleurs choisi de lui déléguer au fond l'examen des articles les plus « audiovisuels », afin que puisse pleinement s'exprimer la compétence reconnue de la commission des affaires culturelles en ce domaine.

Je dirai un mot de l'économie générale du nouveau cadre réglementaire : il confirme les principes de la réforme de la réglementation des télécommunications adoptée en 1996, à savoir la liberté d'exercice des activités de télécommunications, le service universel garanti, la régulation par une autorité indépendante. Un bilan largement positif de cette réforme avait été tiré par la commission des affaires économiques en mars 2002. L'ouverture maîtrisée à la concurrence a été indéniablement bénéfique pour le consommateur à qui elle a apporté baisse des prix et diversification des offres, comme pour la compétitivité globale de l'économie française.

Le nouveau cadre réglementaire confirme donc l'objectif visé, à savoir établir une concurrence effective et régulée sur l'ensemble du marché des communications électroniques. C'est pourquoi le titre Ier du présent projet de loi élabore un cadre juridique harmonisé pour l'ensemble des réseaux de communications électroniques. Permettez-moi de le souligner, si les réseaux se trouvent tous soumis au même régime, les contenus transportés sur ces réseaux demeurent, quant à eux, soumis à des régimes distincts.

Le titre II du présent projet de loi procède, pour sa part, à des adaptations importantes de la loi de 1986 relative à la liberté de communication.

La commission des affaires économiques a souhaité conserver la compétence au fond sur des dispositions importantes de ce titre qui ont une incidence sur les réseaux de communications électroniques : je veux parler du régime juridique applicable aux réseaux câblés et de la nature des obligations de reprise des chaînes de télévision sur les divers réseaux de communications électroniques.

En quoi ce nouveau cadre réglementaire des communications électroniques se distingue-til du précédent ? Trois traits distinctifs se dégagent : sa simplicité, son efficacité et son adaptabilité.

Simplicité, d'abord : depuis l'adoption en 1990 des deux directives qui ont constitué le socle de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, la réglementation du secteur s'est progressivement enrichie, par strates successives, pour finalement ne pas compter moins de vingt-huit textes communautaires. Ce cadre législatif tentaculaire, destiné à créer un marché intérieur, a atteint ses limites avec la convergence croissante entre les réseaux audiovisuels et les réseaux de télécommunications.

S'y substitue un ensemble de « seulement » sept textes : les directives « cadre », « accès », « autorisation », « service universel », « données personnelles » et « concurrence », ainsi que la décision « spectre ». La visibilité s'est donc améliorée pour les acteurs du secteur, qui attendent tous - vous le savez comme moi, messieurs les ministres - l'achèvement de la transposition de ce cadre réglementaire.

Un apport essentiel de ce cadre simplifié consiste dans l'harmonisation entre les différents réseaux de transport de signaux par voie électronique, dits « réseaux de communications électroniques » : il s'agit des réseaux terrestres et satellitaires, avec ou sans fil, c'est-à-dire du réseau téléphonique commuté, du réseau Internet, de la télévision par câble, des réseaux de radiodiffusion... Cela signifie donc la fin, tant réclamée par les câblo-opérateurs eux-mêmes, de ce qu'il convenait d'appeler « l'exception câble ».

Je voudrais évoquer un dernier élément majeur de simplification pour les opérateurs : la suppression de l'autorisation préalable d'exercer l'activité d'opérateur, autorisation remplacée dans la plupart des cas par une simple déclaration.

Nous ne pouvons que nous féliciter de ce nouveau cadre, qui égalise les conditions de concurrence et promet un jeu plus ouvert avec des règles simplifiées.

Le deuxième apport promis par ce nouveau cadre réglementaire est l'efficacité. A cette fin, les pouvoirs de l'Autorité de régulation des télécommunications sont indéniablement renforcés.

Etant donné son caractère fortement capitalistique et ses fortes économies d'échelle, l'industrie des communications électroniques risque de vivre une lente transition, passant d'une situation monopolistique à une situation concurrentielle ; des situations oligopolistiques peuvent se cristalliser, voire durer : la régulation sectorielle reste donc nécessaire. C'est la raison pour laquelle l'ART est dotée de pouvoirs accrus : pouvoirs d'enquête administrative pour recueillir les informations indispensables à la régulation, possibilité de demander au Conseil d'Etat de prononcer une astreinte pour l'exécution des décisions de l'ART...

En contrepartie de l'accroissement de ses pouvoirs, le régulateur est appelé à être mieux contrôlé. Ainsi, ses décisions importantes doivent faire l'objet d'une consultation publique préalable et, dans certains cas, donner lieu à consultation du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Le régulateur doit également justifier systématiquement ses décisions au regard de la situation de chaque marché et respecter en toute matière une obligation de proportionnalité. Par ailleurs, la Commission européenne doit recevoir notification de toutes les décisions importantes prises par le régulateur.

Surtout, le contrôle du Parlement reste une pierre angulaire du système de régulation, et l'importance de ce contrôle se trouve accrue dans la mesure où les pouvoirs du régulateur se trouvent étendus.

Plus efficace, la régulation le sera aussi parce qu'elle sera mieux ciblée : le régulateur privilégiera l'action de régulation sur les marchés de gros avant de contrôler, si besoin est, les prix de détail. Sur chaque marché susceptible d'être régulé, le régulateur évaluera d'abord si les obligations d'accès et d'interconnexion sont suffisantes ; si tel n'est pas le cas et si le marché n'est pas en situation de concurrence réelle, alors seulement le régulateur exercera un contrôle tarifaire sur ce marché, contrôle qui pourra d'ailleurs prendre la forme d'un encadrement pluriannuel des tarifs, dit « price-cap » .

La troisième caractéristique du nouveau cadre est son adaptabilité. L'esprit des nouvelles directives est de permettre une adaptation permanente de la régulation à la situation concurrentielle de chaque marché du secteur des communications électroniques. A terme, l'objectif est de substituer à la régulation sectorielle a priori une régulation a posteriori , par le droit de la concurrence, dès lors qu'un marché devient concurrentiel.

A cette fin, les directives mettent l'accent sur l'évaluation de la situation économique de chaque marché, évaluation qui constitue le coeur de l'activité du régulateur. Ce dernier devra conduire périodiquement un processus tendant à définir les marchés, à analyser ces derniers et à imposer des obligations spécifiques aux opérateurs en position dominante.

Ainsi, le nouveau cadre réglementaire se distingue par son caractère « glissant ». Cette flexibilité est une très grande vertu, surtout dans un secteur où les évolutions, notamment technologiques, sont particulièrement rapides.

Le principe de neutralité technologique s'applique aussi à la régulation : l'apparition de nouvelles technologies crée in fine de nouvelles formes de concurrence via l'introduction de nouveaux produits substituables. Afin d'encourager l'innovation et l'investissement efficace de l'ensemble des opérateurs, le régulateur pourrait d'ailleurs ne pas réguler en amont les « marchés émergents » ; mais nous y reviendrons.

Un cadre juridique qui se veut simple, efficace et adaptable : tel est le dispositif que vise à mettre en place le projet de loi.

Je laisse maintenant à M. Bruno Sido le soin de présenter la position de la commission des affaires économiques et les amendements qu'elle a déposés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, rapporteur.

M. Bruno Sido , rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'aurez compris en écoutant M. Pierre Hérisson, la commission des affaires économiques soutient cette entreprise juridique ambitieuse, mais complexe, qui a pour objet de refondre le cadre réglementaire des communications électroniques. Elle suggère toutefois quelques adaptations du projet de loi, dans un sens toujours favorable à l'intérêt général et respectueux des directives.

Pourquoi la commission des affaires économiques adhère-telle sans réserves à l'économie générale de ce projet de loi ? Parce qu'elle juge le texte fidèle au cadre communautaire qu'il s'agit de transposer et qu'elle en salue la simplicité, l'efficacité et la flexibilité.

Or cette transposition est une entreprise ambitieuse et difficile tant elle implique une refonte profonde du code des postes et télécommunications.

La commission des affaires économiques se félicite donc de l'aboutissement en droit national de la démarche communautaire et reconnaît l'exemplarité de l'abolition par l'Union européenne des distinctions juridiques entre les divers réseaux de communications électroniques. Les Etats-Unis eux-mêmes se trouvent encore prisonniers d'une loi de 1934 qui fige toujours les catégories de réseaux : téléphone, câble, Internet, qui, il est vrai, n'existait pas alors.

Reconnaissons toutefois que l'examen de ce texte est particulièrement complexe. Le Parlement aura eu à examiner en un an trois textes parallèles de transposition des directives communautaires relatives aux communications électroniques : la loi du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique et, enfin, le présent « paquet télécoms ».

La coordination entre le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique et le présent projet de loi est particulièrement délicate : ces deux textes visent en effet à modifier des dispositions identiques du code des postes et télécommunications ou de la loi de 1986, au risque de se contredire ou de s'annuler ! L'opération pourrait ainsi perdre en lisibilité, ce qui serait pour le moins regrettable.

C'est pourquoi la commission a travaillé avec le plus grand soin afin que, à l'issue du processus législatif, le cadre renouvelé de l'exercice des activités de communications électroniques ne souffre d'aucune incohérence.

Comment la commission des affaires économiques pourrait-elle améliorer encore le texte ?

Guidée par le souci de l'intérêt général et de la fidélité aux directives, elle propose des amendements qui plaident pour un jeu ouvert et régulé ainsi que pour une protection du consommateur respectueuse de l'économie du secteur.

Le premier objectif visé est d'asseoir un jeu concurrentiel encadré. A cette fin, la commission vous propose de clarifier le positionnement de l'autorité de régulation dans le paysage juridique national.

En premier lieu, la commission des affaires économiques est favorable à l'obligation de discrétion imposée aux membres de l'ART en vertu de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'article 14. Elle tient cependant à la préciser afin qu'elle ne s'applique qu'aux procédures exigeant de telles précautions, à savoir les procédures quasi juridictionnelles menées devant l'ART. Hors ces procédures, l'ART doit pouvoir s'exprimer et apporter ainsi aux acteurs du secteur la lisibilité nécessaire à la poursuite de leurs activités, ce qui est d'autant plus important que celles-ci exigent souvent des investissements importants.

Concernant les rapports, dessinés à l'article 26, entre l'ART, le Parlement et la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, ou CSSPPT, la commission des affaires économiques rappelle la nécessité de sauvegarder un contrôle permanent du Parlement sur l'ART, laquelle doit régulièrement rendre compte de son activité devant la représentation nationale.

La CSSPPT doit pouvoir continuer d'exercer pleinement sa mission, qui est de veiller au service public des postes et télécommunications. Pour autant, elle ne doit pas être mise en situation de doubler l'action du régulateur, ce qui pourrait compromettre l'indépendance de ce dernier.

Enfin, s'agissant des limites qu'il convient de tracer à la régulation des marchés émergents, la commission des affaires économiques se félicite du rôle que les députés ont confié à l'ART en la matière. Toutefois, elle propose d'affiner la rédaction du dispositif afin de le rendre plus opérationnel et plus conforme aux directives.

La commission souhaite aussi améliorer le texte pour renforcer la protection du consommateur tout en respectant l'économie du secteur.

Ainsi, s'agissant de la gratuité de certains numéros de téléphone spéciaux, dits « à valeur ajoutée », visés à l'article 24 du projet de loi, la rédaction proposée par la commission assigne à l'ART la mission de définir une tranche de numéros spéciaux réservés à des services sociaux et accessibles gratuitement depuis un téléphone fixe comme depuis un téléphone mobile. Le dispositif de gratuité se trouve ainsi recentré sur les numéros qui paraissent devoir en être les bénéficiaires les plus légitimes, ce qui semble à la fois pertinent du point de vue de l'intérêt général des appelants et acceptable par les acteurs du secteur des communications électroniques.

Concernant les obligations de reprise des chaînes hertziennes sur les bouquets de télévision, le projet de loi prévoit dans ses articles 58, 59 et 60 bis un dispositif équilibré qu'a adopté l'Assemblée nationale. La commission des affaires économiques vous invitera à en faire autant, sous réserve néanmoins d'une inflexion.

Depuis 1986, en effet, les réseaux câblés sont astreints à l'obligation de diffuser l'ensemble des chaînes hertziennes, héritage du temps où le câble, dans certaines zones, se trouvait en situation de monopole local.

Le développement de nouvelles technologies comme la télévision sur ADSL, d'une part, et la transposition des directives européennes, d'autre part, ont conduit le Gouvernement à proposer un cadre unifié pour l'ensemble des distributeurs, conformément au principe européen de neutralité technologique.

Ce nouveau dispositif est fondé sur trois principes.

Le premier principe est l'accès au service public ; il fait l'objet de l'article 59. Tous les distributeurs, que ce soit par câble, par satellite ou par ADSL, sont désormais soumis à une obligation de reprise des chaînes du service public à leurs frais, y compris la nouvelle chaîne publique de la TNT, la télévision numérique terrestre.

Le deuxième principe est l'instauration d'une libre concurrence entre éditeurs et distributeurs : les obligations de reprise imposées aux câblo-opérateurs disparaissent au bénéfice d'une négociation entre distributeurs et éditeurs de chaînes privées hertziennes en clair.

Le dernier principe, inscrit à l'article 58, vise à maintenir la garantie de la réception des chaînes hertziennes en clair pour les foyers résidant dans les immeubles collectifs qui ont perdu la possibilité de recevoir ces chaînes via une antenne dite « râteau ». C'est ce qu'on appelle le « service-antenne ».

Ce dispositif, je le souligne, parvient à concilier les différentes exigences évoquées à l'instant : il assure l'accès des téléspectateurs aux chaînes publiques ; il supprime les discriminations entre le câble, le satellite et l'ADSL ; il rétablit le jeu de la concurrence, tout en renforçant l'intervention du régulateur, et préserve les équilibres concurrentiels sur le satellite.

Toutefois, la situation particulière du câble a retenu l'attention de la commission des affaires économiques. En effet, outre 1,2 million d'abonnés dits « collectifs », qui bénéficieront du maintien du service-antenne, le câble ne compte pas moins de 2,6 millions d'abonnés individuels, qui n'ont, bien souvent, plus d'antenne râteau. Il faut prévenir le risque d'un changement trop brusque de l'économie du câble et laisser aux abonnés le temps de s'adapter aux nouvelles dispositions et de s'équiper, s'ils le souhaitent.

C'est pourquoi la commission des affaires économiques, en accord avec la commission des affaires culturelles, propose que soit instaurée une période transitoire de cinq ans pendant laquelle les garanties du service-antenne sont étendues à l'ensemble des abonnés au câble.

Concernant la protection du consommateur en matière de contrat avec des fournisseurs de services de communications électroniques, notre commission propose de rectifier, dans un sens plus réaliste, la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale à l'article 89.

En effet, exiger une acceptation expresse pour toute modification contractuelle risquerait d'avoir des conséquences démesurées, la négligence de nombreux consommateurs pouvant conduire à la résiliation d'une multitude de contrats en cours.

C'est pourquoi la perspective doit être renversée : la commission des affaires économiques suggère que le consommateur soit préalablement informé des modifications contractuelles envisagées et qu'il lui soit permis de résilier le contrat sans frais tant qu'il n'a pas expressément consenti aux modifications annoncées.

Sur ce point également, il s'agit de se rapprocher de la directive communautaire et d'assurer un équilibre satisfaisant entre la protection du consommateur et l'économie du secteur.

La commission des affaires économiques a donc apporté son soutien au projet de loi dans son ensemble, tout en démontrant sa capacité de vigilance, même dans l'urgence ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis comporte deux parties distinctes, comme l'ont excellemment indiqué les deux rapporteurs : l'une concerne les télécommunications, l'autre, le secteur audiovisuel.

La commission des affaires culturelles a reçu, de la part de la commission des affaires économiques, saisie au fond, une délégation de compétence sur l'essentiel du volet audiovisuel du projet de loi, dont le titre II modifie assez sensiblement la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Je souhaite souligner qu'une collaboration fructueuse s'est établie entre les rapporteurs et les présidents des deux commissions, tout comme ce fut d'ailleurs le cas lors de l'examen du projet de loi relatif à la confiance numérique.

Avant d'entrer plus avant dans le commentaire du projet de loi et dans les propositions avancées par la commission des affaires culturelles, je tiens à attirer votre attention - une nouvelle fois, serais-je tenté de dire - sur la manière dont le Parlement est appelé à légiférer.

Nous avons certes échappé au pire : le Gouvernement a - et c'est à mettre à son crédit - finalement renoncé à transposer ce fameux « paquet télécoms » par voie d'ordonnance et il nous donne par conséquent la possibilité de nous prononcer sur un texte de première importance, tant pour le secteur de l'audiovisuel que pour celui des télécommunications : soyez-en, messieurs les ministres, remerciés.

Toutefois, on ne peut que regretter la discussion à moins d'une semaine d'intervalle de deux textes ayant trait aux mêmes sujets et modifiant les mêmes articles de la loi du 30 septembre 1986. D'où la nécessité devant laquelle nous nous sommes trouvés, les uns et les autres, de déposer un certain nombre d'amendements de coordination.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Je suis là pour dire la vérité, toute la vérité, mes chers collègues (Sourires )...même si elle dérange sur certaines travées, comme ce sera le cas tout à l'heure ! (Nouveaux sourires .)

Je vous rappelle en effet que, pas plus tard que la semaine dernière, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique a profondément modifié l'article 1er de la loi de 1986 afin, notamment, de préciser utilement la frontière entre communication audiovisuelle et communication publique en ligne.

D'où cette question à laquelle vous n'échapperez pas, messieurs les ministres : la présentation de l'ensemble des dispositions relatives à la communication audiovisuelle en un seul et même texte n'aurait-elle pu être envisagée ? Un tel choix aurait eu, à mes yeux, deux avantages.

Il aurait, d'une part, facilité la compréhension, par les parlementaires que nous sommes, mais aussi par le grand public, de textes techniques aux enjeux considérables, tant pour les acteurs des secteurs concernés que pour les citoyens-téléspectateurs.

Il aurait, d'autre part, permis de limiter le nombre de problèmes de coordination juridique et technique auxquels les différents rapporteurs se sont trouvés confrontés.

Cela étant dit, messieurs les ministres, la commission des affaires culturelles soutient l'économie générale du texte que vous nous présentez.

La loi du 30 septembre 1986 devait en effet être adaptée afin de prendre en compte les évolutions technologiques, économiques et juridiques.

Le présent projet de loi permet ainsi, notamment, d'adapter la loi sur la liberté de communication au nouveau cadre juridique communautaire,d'assouplir les dispositions relatives aux infrastructures de diffusion de la radio et de la télévision, de moderniser - et il y a urgence à cet égard - les conditions d'exercice du pouvoir de régulation du CSA.

Surtout - et la commission des affaires culturelles est très attachée à cet aspect -, il ne remet pas en cause les fragiles équilibres établis dans le secteur de l'audiovisuel : équilibre entre les autorités de régulation, ainsi que nous avons pu nous en assurer lors des auditions auxquelles nous avons procédé, à travers la réaffirmation de la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel en matière d'attribution de fréquences hertziennes et de contenus sur tous les supports ; équilibre entre les éditeurs de services, en matière de télévision comme en matière de radio, par la préservation des intérêts des opérateurs historiques, une place étant néanmoins ménagée pour les nouveaux entrants ; équilibre, enfin, entre les acteurs historiques et les nouveaux entrants, notamment sur les nouveaux supports que seront la télévision et la radio numériques.

Par delà ce satisfecit général, il restait quelques dispositions à compléter ou à clarifier, quelques incertitudes à lever, voire quelques erreurs à corriger.

Telles ont été les principales préoccupations de la commission des affaires culturelles, qui vous proposera, au cours de la discussion, d'adopter un certain nombre d'amendements inspirés par quatre principes fondamentaux : la neutralité technologique, qui est à la base de toute loi durable ; la prise en compte systématique - et je me réjouis d'avoir entendu M. le ministre de la culture et de la communication mentionner également ce principe - de l'intérêt du téléspectateur et de l'auditeur ; la plus grande lisibilité possible des mesures que nous prenons et la meilleure appréciation possible de leurs conséquences ; l'équilibre des industries audiovisuelles et cinématographiques nationales.

J'ajoute, à ce sujet, que nous avons déposé un amendement faisant apparaître qu'il y a, en France, toujours matière à créer.

La première préoccupation de la commission des affaires culturelles est la modernisation du champ de régulation du CSA.

Compte tenu de la convergence des secteurs des médias et des télécommunications, les compétences du CSA sont recentrées sur l'ensemble des services de radio et de télévision, quels que soient les réseaux de communications électroniques utilisés. A l'avenir, tous les supports de télécommunications seront soumis au contrôle de l'Autorité de régulation des télécommunications. Parallèlement, s'agissant des contenus audiovisuels diffusés, tous les services de radio et de télévision relèveront du contrôle du CSA. C'est bien la clarté qui était recherchée.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Et la simplicité !

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Le projet de loi prévoit également de renforcer les pouvoirs d'investigation de l'autorité de régulation, en lui permettant de recueillir toutes les informations nécessaires auprès des producteurs d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques et des exploitants de système d'accès sous conditions.

Par ailleurs, afin d'encadrer la diffusion par le satellite Eutelsat de chaînes ne faisant l'objet d'aucun conventionnement, ni en France ni dans aucun autre pays de l'Union européenne, l'Assemblée nationale a adopté une série de dispositions proposées par le Gouvernement et tendant à mettre en place un dispositif juridique cohérent, établissant la responsabilité des opérateurs satellitaires dans le transport de ces chaînes. Il s'agit là, ainsi que cela a déjà été précisé, de renforcer les moyens de lutte contre la diffusion par satellite de programmes à caractère raciste, xénophobe ou antisémite : l'actualité toute récente ne peut que nous inciter à avancer dans cette voie...

Surtout, le projet de loi prévoit - je réponds ainsi par avance aux arguments qui seront peut-être développés à l'appui de la motion tendant à opposer la question préalable -d'étendre significativement les compétences détenues par le CSA en matière de régulation sectorielle. Lui sera en effet confié un pouvoir de règlement des différends entre éditeurs et distributeurs de services dès lors que sont en jeu les principes fondateurs de la loi de 1986 sur la liberté de communication. Il s'agit là d'une importante avancée, de nature à répondre aux attentes d'un grand nombre d'opérateurs.

L'Assemblée nationale a utilement clarifié l'articulation entre la régulation audiovisuelle et le droit de la concurrence, ainsi que l'avait d'ailleurs souhaité le Conseil de la concurrence.

La commission des affaires culturelles souhaite poursuivre dans cette voie. A cet effet, elle a déposé des amendements permettant  de préciser les principes sur le fondement desquels le Conseil pourra exercer ce pouvoir de règlement des différends, de coordonner les délais impartis aux différentes instances de régulation, à savoir le CSA, l'ART et le Conseil de la concurrence, pour rendre leurs décisions et avis, en cas de saisine des deux dernières par le CSA, et, enfin, de rétablir la faculté pour le CSA d'ordonner des mesures conservatoires lorsque le différend porte une atteinte grave et immédiate à la liberté de communication.

J'en viens à l'aménagement des obligations de transport.

Concernant l'obligation faite aux bouquets payants d'intégrer certaines chaînes dans leur offre commerciale autrement, ce qu'on appelle le must carry , si le projet de loi initial proposait une adaptation prudente du dispositif existant, l'Assemblée nationale a adopté trois amendements réformant en profondeur les obligations de reprise des chaînes de télévision sur les réseaux de communication électronique.

Le premier impose la présence des chaînes publiques dans toutes les offres de télévision. Ce point ne souffre pas de discussion.

Le deuxième amendement prévoit la disparition des obligations de reprise des chaînes privées en clair diffusées en analogique ou en numérique par voie hertzienne terrestre, au bénéfice de la négociation entre distributeurs et éditeurs de chaînes, ces chaînes disposant du droit d'accéder aux offres de bouquets de télévision.

Le troisième amendement garantit le maintien de la réception des chaînes hertziennes en clair pour les foyers résidant dans des immeubles collectifs ayant perdu la possibilité de recevoir ces chaînes via une antenne râteau.

Si ce nouveau dispositif réussit par conséquent à combiner les principes de proportionnalité, de transparence et de non-discrimination édictés par le droit communautaire en général et l'article 31 de la directive « Service universel » en particulier, il n'en demeure pas moins qu'aucun de ses éléments ne garantit la distribution des principales chaînes hertziennes privées aux abonnés individuels des réseaux câblés.

M. Gérard Longuet. Exact ! Et des réseaux ADSL !

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Si ces chaînes décidaient un jour de se retirer des réseaux câblés, les foyers ayant pris la décision de supprimer leur antenne râteau se verraient donc contraints de la réinstaller.

Ce risque ne pouvant être totalement écarté, la commission des affaires culturelles, en accord avec la commission des affaires économiques saisie au fond, vous propose de maintenir pour une période transitoire de cinq ans l'obligation de reprise en analogique de TF 1 et de M 6 pour les abonnés précités.

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Vous savez, madame Pourtaud, dans cinq ans, que serons-nous, vous et moi ? (Sourires .)

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà  qui est charmant ! (M. Ivan Renar s'exclame.)

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Monsieur Renar, vous siégerez ici éternellement ! La commission des affaires culturelles souhaite par ailleurs que TV 5, principale chaîne francophone diffusée à l'étranger et majoritairement financée par le contribuable national, figure parmi les services devant être repris sur tous les supports de diffusion.

M. Jacques Valade , président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Vous l'avez bien compris, mes chers collègues, nous sommes guidés, encore et toujours, par le respect du téléspectateur, et non par une idéologie télévisuelle. Nous préférons en effet la recherche d'une démocratie télévisuelle (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) et j'essaierai de le démontrer à l'occasion de la discussion des articles.

Le troisième point est la volonté de favoriser le développement des télévisions locales.

J'ai lu effectivement de nombreux rapports sur le sujet. J'ai d'ailleurs failli cosigner le dernier en date, le rapport Françaix, paru en novembre 1998, un autre siècle,...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Un autre millénaire !

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Nous en convenons, monsieur le ministre !

Au moment où la France aborde une nouvelle étape de la décentralisation, la commission des affaires culturelles se félicite de la volonté du Gouvernement de rendre prioritaire le développement des télévisions locales. Ces dernières sont et seront les véritables vecteurs de la démocratie et du lien entre les citoyens, comme cela a été écrit dans de nombreux rapports.

L'assouplissement des régimes fiscaux et anticoncentrations qui leur est applicable, associé à l'ouverture des secteurs interdits, qui est déjà « dans les tuyaux », devrait permettre de donner un second souffle à ces services, rendant de ce fait d'autres dispositions inutiles, ce qui a amené la commission des affaires culturelles à ne pas retenir certains amendements. (M. Philippe Nogrix s'exclame.)

De même semblait-il nécessaire d'encadrer les conditions dans lesquelles les éditeurs de services nationaux de télévision diffusés par voie hertzienne peuvent participer au lancement ou au développement de chaînes de télévision locales.

Toutefois, sur ce dernier point, afin de ne pas pénaliser inutilement les rares opérateurs nationaux diffusant des programmes outre-mer, notre commission vous proposera de faire une exception pour les services locaux édités outre-mer, les spécificités des territoires concernés justifiant un traitement adapté, en particulier pour les services cryptés.

Le quatrième point, sur lequel la commission des affaires culturelles émet un avis favorable au prix de quelques aménagements, est le souhait d'encadrer l'intervention des collectivités locales en matière de distribution de services audiovisuels.

Comme vous le savez, mes chers collègues, l'article 57 du projet de loi autorise les collectivités locales ou leurs groupements à éditer des services de communication audiovisuelle comportant des services de radio ou de télévision sur les réseaux n'utilisant pas les fréquences assignées par le CSA, c'est-à-dire, en l'état des technologies existantes qui, comme chacun le sait, progressent chaque jour, le câble, le satellite, l'ADSL. Or, sous réserve de l'autorisation du CSA, cette faculté est à l'heure actuelle uniquement prévue sur les réseaux câblés et réservée aux seules régies communales ou intercommunales disposant de la personnalité morale et de l'autonomie financière.

S'il apparaît souhaitable, eu égard au service rendu au téléspectateur et à l'offre nouvelle, de favoriser l'intervention des collectivités locales dans ce domaine, les téléspectateurs et les auditeurs ne bénéficiant pas toujours d'une offre de services suffisante, on peut cependant s'interroger sur l'opportunité de leur permettre de concurrencer les opérateurs privés dans le cas contraire.

C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles vous proposera d'adopter un amendement ayant deux objets : d'une part, soumettre cette faculté offerte aux communes, départements, régions et à leurs groupements au constat d'une insuffisance des initiatives privées pour satisfaire les besoins des utilisateurs, constatée par appel d'offres déclaré infructueux que nous connaissons tous dans nos collectivités ; d'autre part, exonérer de cette condition les régies communales qui exercent aujourd'hui une activité de distributeur de services audiovisuels.

J'aborderai plus rapidement la question de la télévision numérique terrestre.

Concernant la TNT, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, la commission des affaires culturelles a adopté une position fortement volontariste.

Certes, on ne peut que se féliciter du pouvoir donné par l'Assemblée nationale au CSA de modifier la composition des multiplexes de la TNT. Pour répondre par avance à certains de nos collègues qui voudraient, par amendement, aller plus loin, cette disposition permettra, le cas échéant, de favoriser le regroupement sur deux multiplexes de l'ensemble des neuf chaînes privées gratuites devant être diffusées sur ce nouveau support.

Notre commission qui, je le rappelle après M. le ministre, a pris l'initiative de la mise en place du cadre juridique de la TNT lors de la discussion, fameuse, de la loi du 1er août 2000 considère qu'il est grand temps de tourner la page et de fixer des perspectives claires pour ce nouveau support.

Souhaitant vaincre les dernières réticences entendues ici et là, et même dans cette assemblée, et provoquer la mise en place d'une « spirale vertueuse » susceptible d'assurer le succès d'un projet tourné vers la satisfaction du téléspectateur, qui se verra ainsi offrir trois fois plus de chaînes gratuites qu'à l'heure actuelle, la commission des affaires culturelles propose plusieurs mesures.

Il s'agit d'abord de préciser le régime applicable aux opérateurs techniques de multiplexes désignés conjointement par les éditeurs occupant une même ressource radioélectrique.

Il s'agit ensuite de restreindre aux cas de « force majeure », expression qui pourra être adaptée lors de la discussion des articles, les cas dans lesquels les éditeurs pourront s'abstenir de diffuser en numérique sans perdre le bénéfice de la prorogation pour cinq ans de leur autorisation analogique.

Il s'agit enfin, et c'est un débat que nous aurons ensemble, monsieur le ministre, de fixer la date d'arrêt de la diffusion analogique à cinq ans après le lancement effectif de la TNT. C'est la fameuse « bascule » dont on parle en France, aux Etats-Unis, en Finlande, et pour laquelle la France devra fortement « afficher la couleur ». Nous aurons donc l'occasion de débattre de cette ardente obligation, non seulement pour le législateur que nous sommes, mais aussi pour les industriels et pour les téléspectateurs, qui doivent pouvoir connaître le choix qu'ils doivent faire dès aujourd'hui.

Je serai également rapide sur le sujet des services de radio.

Au-delà des quelques améliorations apportées au cadre juridique qui leur est applicable, j'attire votre attention, car je sais que de nombreux amendements nous seront proposés, sur la possibilité donnée au CSA de procéder, sous certaines conditions, à une modification de la catégorie ou de la personne morale titulaire d'une autorisation.

Les radios ont déjà connu une diminution de leurs recettes commerciales du fait de l'ouverture des secteurs interdits. Les radios constituent d'ailleurs le secteur qui a été, dans un premier temps, le plus durement frappé. Il serait donc souhaitable que les conséquences de cette disposition sur les marchés publicitaires locaux soient systématiquement prises en compte par l'autorité de régulation lors des décisions qu'elle sera amenée à prendre. Monsieur le ministre, vous avez déposé un amendement dans ce sens, et c'est une initiative que je salue.

Alors que se profile l'arrivée à échéance de nombreuses autorisations de radio portant sur 1 616 fréquences, le CSA devra également utiliser la faculté de proroger, hors appel à candidatures et pour une durée ne pouvant excéder deux ans, les autorisations d'usage de la ressource radioélectrique délivrées aux services de radio en mode analogique. Il faut en effet, comme le souhaite le CSA via son programme « FM 2006 », optimiser l'utilisation d'une bande FM aujourd'hui saturée, et reconstruire, sans pour autant le déstabiliser, un paysage radiophonique auquel les Français sont très légitimement attachés.

A cet égard, la commission des affaires culturelles souhaitera compléter ce dispositif en élargissant ce cadre juridique aux services de radio par satellite.

En ce qui concerne le régime des rediffusions, j'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la commission des affaires culturelles a adopté un amendement, soutenu par la commission des affaires économiques, qui traduit notre souhait d'assouplir le régime des rediffusions.

Il s'agit en effet d'autoriser les déclinaisons des chaînes premiums à proposer, en sus des rediffusions et dans la limite du tiers de leur temps de diffusion, des programmes distincts.

J'insiste sur le fait que cet assouplissement bénéficiera aux téléspectateurs, dans le cadre de l'offre nouvelle, sans peser sur les producteurs. En outre, cette mesure, si elle est adoptée par le Sénat, constituera un appui apporté à la filière cinématographique et à la production française en général.

Enfin, je ferai un commentaire rapide sur la transformation de RFO en filiale de la société France Télévisions.

Cette intégration se justifie par les synergies qu'elle permet d'envisager. Dans mon rapport pour avis sur le budget de la communication audiovisuelle pour 2004, j'avais exprimé le souhait que cette opération permette de « consolider la situation financière de RFO sans pour autant obliger cette dernière à abandonner sa spécificité ultramarine qui demeure incontestablement un véritable atout pour le paysage audiovisuel français ». Renouvelant ce voeu aujourd'hui, nous soutiendrons l'amendement fiscal proposé par le Gouvernement.

Je vous proposerai également un amendement tendant à allonger jusqu'à la fin de cette année le délai de réalisation de l'opération, celui de trois mois prévu initialement semblant optimiste.

Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle vous présentera, la commission des affaires culturelles vous proposera, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi pour les sujets relevant de sa compétence. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 81 minutes ;

Groupe socialiste, 44 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.

M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici devant un texte qui s'est fait longtemps désirer. Il comporte deux parties différentes.

La première partie a pour objet de transcrire en droit interne ce qui est appelé, dans le cercle des initiés, le « paquet télécoms », c'est-à-dire un ensemble de directives refondant le droit européen des télécommunications afin, d'une part, de prendre en compte la convergence des supports servant à la transmission des services téléphoniques, audiovisuels et à Internet, et d'autre part, de mettre en place une régulation sectorielle la plus proche possible du droit de la concurrence.

La seconde partie concerne le secteur audiovisuel et tend à opérer une refonte de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il s'agit aussi d'un vrai « paquet audiovisuel », car le texte propose une large réorganisation du droit de l'audiovisuel.

Le Gouvernement avait, un temps, envisagé d'adopter ce projet de loi par ordonnance, pour y renoncer finalement à la demande de nombre de parlementaires attachés à débattre sur des dispositions traitant de sujets essentiels et très politiques tels que le service public des télécommunications, le développement de la société de l'information ou le pluralisme des médias.

Messieurs les ministres, le groupe socialiste se félicite de cette nouvelle occasion donnée au Parlement de travailler sur une adaptation de notre droit dans deux domaines stratégiques, les télécommunications et l'audiovisuel, dont les liens sont de plus en plus forts.

Mon intervention portera uniquement sur le titre Ier , mes amis Danièle Pourtaud et Henri Weber, grands spécialistes des questions audiovisuelles, ...

M. Pierre-Yvon Trémel.  ... s'exprimant sur le titre II.

Le titre Ier vient achever la transposition en droit interne du nouveau cadre réglementaire européen des communications électroniques, qui s'est effectuée en trois étapes.

La première étape s'est traduite par l'adoption de la loi du 31 décembre 2003, relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom. Le Gouvernement a pris prétexte de la transposition de la directive « service universel » pour redéfinir de manière très libérale le contenu du service universel des télécommunications et en modifier les conditions de fourniture selon des modalités que la législation européenne n'imposait pourtant pas.

Dès lors l'enrichissement du service universel n'a été envisagé que a minima . Les parlementaires socialistes ont voté contre l'adoption de ce premier texte.

La deuxième étape de la transposition de la nouvelle législation européenne, les directives « commerce électronique » et « vie privée », nous a occupés la semaine dernière, avec la discussion du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique. Nous nous sommes également opposés à l'adoption de ce texte.

Nous voici donc parvenus à la troisième étape. Que convient-il de retenir du projet de loi qui nous est soumis ?

Au cours des deux premières étapes, nous nous sommes familiarisés avec les termes en « ion » et en « ique ». Cette troisième étape est marquée du sceau des mots en « ence » : cohérence, convergence, concurrence avec, de surcroît, l'urgence !

M. Charles Gautier. Très bien !

M. Pierre-Yvon Trémel. En effet, l'Union européenne a complètement refondu le droit des télécommunications pour en faire un droit des communications électroniques au sein duquel il s'agit de prendre en compte la convergence des supports qui peuvent permettre à la fois la transmission de services de télécommunications et de services audiovisuels ou l'accès à l'Internet.

L'Union européenne a souhaité mettre en place une législation homogène et horizontale des contenants : réseaux de téléphonie fixe et mobile, réseaux câblés, réseaux de télévision, réseaux satellitaires. En vertu du principe de neutralité technologique, la réglementation ne doit favoriser aucun de ces supports.

La législation européenne met par ailleurs en place un système de régulation sectorielle. Les autorités nationales de régulation en sont le pivot. L'objectif visé est en fait de favoriser l'arrivée de nouveaux entrants sur le marché des communications électroniques.

La transposition en droit français de ce nouveau cadre communautaire a été qualifiée, par nos rapporteurs, d'entreprise juridique ambitieuse, exemplaire et complexe.

M. Pierre Hérisson , rapporteur. Absolument !

M. Pierre-Yvon Trémel. Ces qualificatifs s'imposent en effet lorsque l'on a l'ambition de procéder à une refonte du cadre des postes et télécommunications et du cadre de l'audiovisuel en présentant des projets de loi successifs. Nous verrons avec le temps si les objectifs de cohérence, d'efficacité et d'adaptabilité seront atteints.

Le travail que nous avons réalisé sur les vingt-six articles que comporte le titre Ier du projet de loi me conduit à identifier quatre thèmes, sources de réflexions et d'interrogations : la régulation, la relation entre la régulation et le pouvoir politique, l'intérêt et la protection des consommateurs, le contrôle des tarifs du service universel.

Plus de douze des vingt-six articles du titre Ier sont consacrés à la régulation du secteur des communications électroniques. Pour mettre le droit français en conformité avec les directives européennes, une modification très importante est introduite : le passage d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori .

Le régime d'autorisation est remplacé par un simple régime déclaratif. Si le projet de loi maintient le principe d'une régulation partagée entre le ministère des télécommunications et l'ART, dans les faits, la régulation est essentiellement de la compétence de l'ART. Les directives européennes aboutissent donc en réalité à renforcer le pouvoir de contrôle et d'interprétation de la réglementation confié à l'ART.

Lorsque l'on prend connaissance de la liste des objectifs poursuivis par la régulation telle qu'ils figurent à l'article 3 du présent projet de loi, il devient très clair que la nouvelle régulation tend à se rapprocher d'un simple droit de la concurrence.

Une fois le marché devenu concurrentiel - et cela viendra - , on peut se demander quel sera le rôle de l'ART. Au demeurant, l'évolution du secteur des télécommunications vers le droit commun de la concurrence et donc, à terme, le rétrécissement du champ des missions de l'ART rendent de moins en moins compréhensible le choix de confier la régulation postale à une autorité qui n'en a pas la compétence.

Nous ne pourrons éviter de revenir sur la question de la régulation qui fait l'objet de bien des discussions au sein de la commission des affaires économiques. Il nous faudra en particulier évoquer l'un des points que nous soulevons souvent - et c'est le deuxième thème que j'ai distingué -, à savoir la régulation et le pouvoir politique.

Le projet de loi donne quasiment les pleins pouvoirs à l'ART en matière de service public des télécommunications. Il s'agit pourtant d'un outil mis au service de l'intérêt général et dont le politique doit se porter garant.

Certes, il existe des contre-pouvoirs à l'ART, mais ils sont essentiellement extérieurs à la sphère politique, qu'il s'agisse de l'exécutif ou du législatif. Avec ce projet de loi, le contrôle de l'ART se fait essentiellement par les institutions européennes et par le pouvoir judiciaire.

Nous voulons dès lors affirmer à nouveau l'importance que nous accordons au rôle que doivent jouer le Parlement et la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications. Cette dernière est quasiment le seul lieu où le politique, en particulier le législateur, est en mesure d'exercer un contrôle régulier sur deux secteurs clés : la poste et les télécommunications. Ce contrôle peut se faire tant en amont qu'en aval des décisions. Mais encore faut-il que la commission dispose des moyens de jouer pleinement son rôle. Nous constatons malheureusement que ces moyens ne sont pas à la hauteur des missions qui lui sont confiées.

Messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, nous ne devons pas nous contenter du seul changement de nom de cet instrument d'exercice de nos missions. Confortons le rôle de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications électroniques. Il nous faut faire en sorte que, par son intermédiaire, le pouvoir législatif puisse veiller au respect des principes de service public, notamment du service universel. Nous avons d'ailleurs déposé quelques amendements sur ce sujet.

Le troisième thème concerne l'intérêt des consommateurs. A la lecture du projet de loi, il semble que la prise en compte des intérêts du consommateur n'a pas été une priorité.

L'article 24, qui traite de la tarification à la seconde ou des appels à partir d'un mobile vers les numéros spéciaux, est d'ailleurs tout à fait révélateur. En dépit d'une volonté, souvent affirmée, de transposer complètement les directives, nous constatons que, s'agissant de la protection des consommateurs, cette déclaration de principe n'est pas ici suivie d'effet : il n'est pas imposé d'étude comparative pour lire les offres ; on ne crée aucun organisme indépendant auquel les consommateurs pourraient s'adresser, comme le suggère la directive européenne.

Soucieux de l'intérêt des consommateurs, nous continuons à défendre le principe de la facturation à la seconde et nous demandons que tous les services sociaux et les services d'intérêt général soient accessibles gratuitement.

Nous proposons par ailleurs la mise en place d'un médiateur des communications électroniques réellement indépendant dans le souci, que nous devons tous partager, de protéger les utilisateurs de services de communications électroniques.

Le quatrième thème porte sur le contrôle des tarifs du service universel.

La question du contrôle de ces tarifs est en débat depuis plusieurs mois et elle figure dans les trois textes que j'ai évoqués. L'article 13 du projet de loi « paquet télécoms » ôte tout pouvoir au ministre des télécommunications en matière de contrôle tarifaire du service universel. On renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les cas dans lesquels les tarifs du service universel peuvent faire l'objet d'une opposition ou d'un avis préalable de l'ART.

Si le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale limite un peu les pouvoirs de l'ART, il n'encadre pas ces derniers et ne motive pas l'objet de son intervention.

Nous souhaiterions connaître les intentions du Gouvernement dès à présent, avant la parution du décret en Conseil d'Etat. Quels sont exactement les tarifs du service universel qui seront soumis au contrôle de l'ART ou qui pourront faire l'objet de son opposition ? Quel sera l'objet de ce contrôle : veiller au caractère abordable des tarifs ou simplement veiller au dynamisme de la concurrence ? Quelles seront les règles qui régiront le dispositif d'encadrement pluriannuel ? J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de vous poser ces questions la semaine dernière, monsieur le ministre.

Mes chers collègues, avec l'adoption par voie législative de ce nouveau « paquet télécoms », nous allons achever la transposition des directives de 2002 et modifier profondément la réglementation du secteur des télécommunications électroniques dans le sens d'une forte inspiration libérale. Un peu de temps sera nécessaire pour permettre la digestion de ces nouvelles dispositions, tant les règles du jeu sont complexes.

A mes yeux, trois conclusions s'imposent. Tout d'abord, l'évolution rapide des technologies et de l'organisation des marchés, l'accentuation de la convergence entre les télécommunications et l'audiovisuel nous amèneront, j'en suis persuadé, à délibérer régulièrement sur les communications électroniques.

Nous avons ensuite pu mesurer, à l'occasion de nos travaux sur trois textes, le poids des directives européennes. Si les parlements nationaux veulent vraiment exister à l'avenir, il est urgent de trouver ensemble d'autres méthodes de travail afin d'être plus présents dans la préparation des contenus des directives.

Enfin, les textes de transposition dénotent une approche que l'on peut qualifier d'un peu « mercantile » de l'usage des technologies de l'information et de la communication. Les réseaux de télécommunications ont aussi d'autres vocations - nous le disons les uns et les autres -, en particulier celle de permettre le développement de l'accès aux services, au savoir, à la culture, au pluralisme.

Ce texte, avec ses deux volets, vient à point nommé appeler notre vigilance sur cette dimension essentielle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est une priorité pour les secteurs des télécommunications et de l'audiovisuel : priorité s'agissant des impératifs de transposition des directives européennes, priorité également pour les consommateurs au regard des services qui leur sont offerts.

La convergence des réseaux est aujourd'hui une réalité. Il fallait donc légiférer. En effet, désormais le téléphone est offert sur le câble, la voix nous arrive par Internet et la télévision est diffusée par ADSL. Les technologies ont bouleversé le paysage ; il fallait donner des repères clairs et visibles.

Ce projet de loi est une priorité, enfin, pour les opérateurs eux-mêmes. Il convenait de préciser le cadre juridique dans lequel ils travaillent et prendre en compte les évolutions des technologies et du marché. Ce dernier est passé d'une situation de rareté des modes de distribution et de l'offre à une démultiplication de l'offre de supports et, par voie de conséquence, à une augmentation très forte de la concurrence.

Dans une telle situation, nous ne pouvions faire l'économie d'un texte d'envergure qui rénove la loi du 30 septembre 1986 sans en bouleverser les principes. Conçue à une époque où la pénurie était encore la règle en matière audiovisuelle et où l'initiative privée en était à ses balbutiements, cette loi doit en effet être constamment adaptée aux mutations tant technologiques qu'économiques qui se succèdent dans le secteur, au risque de la voir devenir très rapidement obsolète et donc inutile.

Ensemble complexe de dispositions visant tout à la fois à garantir la liberté de communication et à la limiter afin de préserver le pluralisme entre les différents opérateurs, ce texte est fondé sur une double logique de réglementation et de régulation. Ce dernier pouvoir est confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité administrative indépendante, dont les compétences doivent également être régulièrement adaptées à l'évolution du marché et de ses acteurs.

Après une trentaine de modifications intervenues depuis 1986, le titre II du projet de loi vient donc, à son tour, au bon moment, adapter la loi sur la liberté de communication au nouveau cadre juridique communautaire, assouplir les dispositions relatives aux infrastructures de diffusion de la radio et de la télévision, et moderniser les conditions d'exercice du pouvoir de régulation du CSA.

Le titre II du projet de loi, même s'il ne comporte pas de grandes réformes affectant en profondeur le droit de la communication ou le paysage audiovisuel français, comme ce fut le cas lors de la création du cadre juridique de la télévision numérique terrestre, dite TNT, par la loi du 1er août 2000, modifie toutefois de très nombreux articles de la loi de 1986 dans une logique d'assouplissement et de modernisation.

Le projet que nous sommes amenés à étudier est bâti sur quatre principes politiques essentiels : la réaffirmation de la liberté de la communication audiovisuelle, le développement de la diversité de l'offre audiovisuelle faite à nos concitoyens, la neutralité des pouvoirs publics à l'égard des choix technologiques, le renforcement du service public audiovisuel.

Au-delà de ces principes, ce texte est porteur de tant d'enjeux qu'il est bien difficile d'obtenir un consensus des professionnels. Les intérêts des uns et des autres sont différents, pour ne pas dire divergents, tant sur les objectifs que sur les procédures à mettre en oeuvre. De plus, les dispositions qui sont soumises à notre réflexion sont très techniques et difficiles d'accès au néophyte que je suis. Je vais maintenant exposer les principales questions auxquelles le texte entend apporter une réponse.

Le premier enjeu de ce texte concerne les pouvoirs du CSA.

La convergence des réseaux de communications électroniques et la nécessaire transposition des directives communautaires appelaient un rapprochement des régimes juridiques qui leur sont applicables, comme l'exigent les directives du fameux « paquet télécoms ».

Le projet de loi promeut une nouvelle articulation entre les deux autorités de régulation que sont le CSA, d'un côté, et l'ART, de l'autre, tirant ainsi les conséquences des évolutions technologiques. Le CSA sera ainsi clairement chargé de la régulation de la télévision et de la radio, quel que soit leur mode de diffusion. La télévision sur Internet ou sur ADSL reste ainsi dans le champ de compétence du CSA et demeure soumise aux mêmes obligations que sur le câble et le satellite. Il était nécessaire d'inscrire cette disposition dans le projet de loi pour que les nombreux acteurs de ce secteur sachent qui fait quoi.

L'ART, quant à elle, sera chargée de la régulation de tous les réseaux de communication électronique, dont la convergence est de plus en plus forte. Elle sera chargée notamment de la régulation des réseaux câblés qui étaient jusqu'ici régis par les dispositions de la loi de 1986.

Le projet de loi prévoit également de renforcer les pouvoirs d'investigation du CSA, en lui permettant de recueillir toutes les informations nécessaires auprès des producteurs d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques et des exploitants de système d'accès sous conditions.

Surtout, l'article 36 prévoit d'étendre significativement les compétences détenues par le CSA en matière de régulation économique. Il est en effet proposé de lui confier un pouvoir de règlement des litiges entre éditeurs et distributeurs de services, notamment entre les chaînes de télévision et les entreprises qui commercialisent ces chaînes, dès lors qu'entrent en jeu le pluralisme ou la protection des mineurs, comme l'a souligné M. le rapporteur pour avis,...

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Très bonne citation !

M. Philippe Nogrix. ... principes fondateurs de la loi de 1986 relative à la liberté de communication, ainsi que le bon exercice des missions spécifiques du service public.

Les moyens dont dispose le CSA pour mener à bien ces nouvelles compétences ne seront sans doute pas suffisants. Il faudra s'attacher à les lui donner. Nous serons vigilants sur ce point.

Le deuxième enjeu de ce texte concerne le développement des télévisions locales. Vous l'avez évoqué, monsieur le rapporteur pour avis, et je connais les raisons qui vous conduisent à vous y opposer.

Dans ce domaine, la France est, hélas ! très en retard par rapport à ses voisins européens. Alors que le CSA a autorisé 113 chaînes locales pour l'ensemble de notre territoire, la seule ville de Barcelone en compte 69. En France, Les raisons d'un tel retard sont historiques et liées à une vision très centralisatrice de l'audiovisuel. Est-il bien raisonnable de s'y cramponner encore aujourd'hui ?

Au moment où la France aborde une nouvelle étape de la décentralisation, comme l'a dit tout à l'heure M. de Broissia, nouvelle étape symbolisée par l'inscription dans notre Constitution du principe de l'organisation décentralisée de la République, le développement des télévisions locales, vecteurs de démocratie et de lien entre les citoyens, doit être, pour nous, une priorité. Ces télévisions locales peuvent jouer un rôle de médiation entre les collectivités locales, dotées de compétences élargies et clarifiées, et les citoyens. Il nous faut leur assurer les moyens de cette mission de pédagogie qui permettra une meilleure compréhension des compétences de chacun des échelons territoriaux.

A côté des dispositions visant à encourager l'investissement des collectivités locales dans ces services, le projet de loi tend à un assouplissement du dispositif anti-concentration qui leur est applicable, en supprimant le plafond de 50 % prévu pour la participation au capital d'une télévision locale et en autorisant le cumul d'autorisations pour une chaîne nationale diffusée par voie hertzienne terrestre et pour une chaîne locale diffusée par voie hertzienne en mode numérique, voire, sous certaines conditions, en mode analogique. Cela est une très bonne chose !

Le projet de loi prévoit également le relèvement à 12 millions d'habitants du plafond de cumul de plusieurs autorisations locales et du seuil d'application du dispositif anticoncentration à ces services. Il fallait l'écrire.

Les sénateurs du groupe de l'Union centriste souhaitent aller plus loin en proposant de verser une aide aux chaînes de télévision dont les ressources publicitaires sont inférieures à 20  % de leur chiffre d'affaires.

Mme Danièle Pourtaud. Très bien !

M. Philippe Nogrix. Ce rééquilibrage vers les plus modestes permettrait une diversification souhaitable, vous l'avez dit, et une bonne concurrence porteuse de qualité. On le sait, c'est le meilleur moyen d'améliorer le service au consommateur.

Le troisième enjeu est celui de l'adaptation de la TNT, qui suscite des réserves. Ce « produit », comme d'autres par le passé, est-il victime de la rapidité des progrès dans ce domaine ? Aujourd'hui, certains opérateurs redoutent que la poursuite du plan tel qu'il a été conçu, d'après des perspectives tracées au milieu des années quatre-vingt-dix, ne crée un nouveau déséquilibre dans l'économie fragile du marché de l'audiovisuel.

Même si les inquiétudes sont parfois exagérées, il est certain que toute remise en cause brutale ou mal préparée de ce marché fragiliserait l'ensemble de l'édifice.

On ne peut pas nier le travail réalisé. Mais comment aider au développement nécessaire de la TNT tout en l'adaptant aux exigences nouvelles ? N'est-il pas encore temps de repenser le plan prévu il y a presque quinze ans aujourd'hui ? L'acharnement technologique n'est pas toujours une procédure satisfaisante.

Certains opérateurs proposent de différencier dans le temps le passage à la TNT pour les chaînes gratuites et pour les chaînes payantes, ces dernières pouvant ainsi compter sur une couverture plus large de la population. Les chaînes payantes arguent, sans doute à raison, que les consommateurs épuiseront d'abord l'intérêt des nouvelles chaînes gratuites sur la TNT avant de souscrire un abonnement aux chaînes payantes.

Toutefois, les exemples malheureux de la Grande-Bretagne et de l'Espagne incitent l'ensemble des opérateurs à la prudence, d'autant plus qu'au vu des contraintes techniques le calendrier élaboré par le CSA, tel qu'il a été écrit il y a quinze ans, sera bientôt irréalisable.

Restons donc prudents, ne faisons pas du modernisme par satisfaction, sachons nous adapter et surtout trouver le meilleur rythme à donner aux avancées technologiques ! Vouloir aller trop vite, c'est souvent précipiter l'échec...

Mme Danièle Pourtaud. Mais à force d'attendre, on ne fait rien du tout !

M. Philippe Nogrix. Enfin, le quatrième enjeu est celui du must carry , autrement dit « l'obligation de transporter » des programmes sur les différents réseaux.

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale respecte les principes de proportionnalité, de transparence et de non-discrimination édictés par le droit communautaire. Ainsi, les régimes applicables au câble et au satellite ont été unifiés, à l'exception du service-antenne, ce que vous avez appelé « les râteaux ». Chez moi, on parle plutôt d' « antennes » parce que, en Bretagne, les râteaux servent à autre chose ! (Sourires.) Toutefois, le texte, tel qu'il nous est soumis, ne garantit plus la distribution des principales chaînes hertziennes privées aux abonnés individuels des réseaux câblés. Si ces chaînes décidaient un jour de se retirer des réseaux câblés, les foyers ayant pris la décision de supprimer leur antenne râteau se verraient contraints de la réinstaller.

M. Paul Blanc. Et de payer la redevance !

M. Philippe Nogrix. Nous reparlerons de cette redevance plus tard. À quoi sert-elle quand il est possible de recevoir la télévision sur son ordinateur ?

Compte tenu de ce risque, les deux commissions ont proposé de maintenir, pour une période transitoire de cinq ans, l'obligation de reprise en analogique de ces chaînes pour les abonnés individuels du câble, afin de leur permettre de rétablir une antenne individuelle. Ne serait-il pas nécessaire, monsieur le rapporteur, messieurs les ministres, de raccourcir cette période ? Nous en reparlerons lors de la défense des amendements déposés par l'Union centriste.

Enfin, le dernier enjeu concerne la radio.

Ce projet de loi tend également à donner au paysage radiophonique de nouvelles possibilités de développement.

L'évolution du paysage radiophonique passe par deux voies : le développement d'une offre de radio numérique et la meilleure planification des fréquences analogiques, notamment sur la bande FM aujourd'hui, nous dit-on, saturée.

La numérisation de la radio est inéluctable, même si celle de la bande FM est encore loin d'être fiable. De nombreux projets apparaissent cependant : relance de la radio numérique selon la norme DAB, numérisation des ondes moyennes, numérisation des ondes courtes, radiodiffusion directe par satellite.

Toutefois, à l'heure actuelle, c'est le réaménagement de la bande FM qui cristallise les passions. Ce débat a été relancé par l'arrivée prochaine à échéance de plusieurs centaines d'autorisations qui seront négociées d'ici à la fin de l'année. A titre personnel, je suis favorable à l'instauration d'un droit de réception pour les auditeurs de tout canal national, dans la limite des fréquences disponibles. Il n'est pas normal qu'un auditeur parisien ait un choix de programmes deux fois plus large que les habitants de Fougères, ville d'Ille-et-Vilaine, en Bretagne, où j'habite. C'est pourquoi, avec mon collègue Philippe Richert, j'ai déposé plusieurs amendements allant dans ce sens.

Malgré ces remarques de fond, le jugement global du groupe de l'Union centriste, que je représente, sur ce texte reste nettement positif.

Je tiens enfin à féliciter les rapporteurs de la commission des affaires économiques et tout particulièrement celui de la commission des affaires culturelles, à laquelle j'appartiens, pour leur excellent travail sur un sujet aussi difficile. En effet, derrière les données technologiques complexes, les très nombreux acteurs intervenants, les intérêts financiers en jeu, il y a une façon française de faire des règlements, de surveiller et d'adapter sa politique face aux moyens de communication modernes toujours évolutifs. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Louis de Broissia , rapporteur pour avis. Bravo !

M. le président. La parole est à M. René Trégouët.

M. René Trégouët. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce que certains, parmi nous, annonçaient depuis bientôt dix ans est maintenant arrivé.

Nous pouvons, dorénavant, regarder la télévision sur notre ordinateur. Nous pouvons même nous servir d'Internet pour téléphoner soit à notre voisin, soit à nos enfants qui sont à l'autre bout du monde, pour le même prix.

Cette fusion physique et culturelle entre notre téléphone, notre téléviseur et notre ordinateur est indéniablement le fait majeur qui va le plus changer notre vie dans les années à venir.

Il est grand temps que la loi prenne enfin en considération cette profonde mutation technologique. Le « paquet télécoms » que le Gouvernement nous demande d'adopter en urgence aujourd'hui date lui-même de 2002. Sur certains de ces aspects, il est déjà partiellement obsolète, tant les technologies évoluent rapidement. Ce texte va nous permettre de prendre conscience du fait qu'il faut rendre notre démarche encore plus réaliste, et ce dès ces prochains mois.

L'une des plus grandes avancées que nous permettra l'adoption du texte de ce jour est d'effacer définitivement l'exception française engagée au début des années quatre-vingt avec la création de Canal Plus, le ratage volontaire du plan câble et le lancement des fameux satellites TDF, Télédiffusion de France, de télédiffusion directe.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. René Trégouët. Nous payons encore très cher, et nous paierons encore longtemps, le fait qu'à cette époque notre pays n'ait pas su construire, contrairement à ce qu'ont fait les autres grandes démocraties, un réseau câblé qui, dans l'ensemble des villes et des villages de France, aurait doublé le réseau cuivré de l'opérateur national France Télécom.

Actuellement, 100 % des Belges, plus de 90 % des Allemands et plus de 80 % des Américains disposent de deux prises à leur domicile : une prise téléphonique et une prise pour le câble. A l'heure où ces deux technologies se fondent en un seul ensemble pour nous apporter les mêmes services, chacun d'entre nous peut prendre conscience de l'avantage discriminant dont dispose celui qui peut se servir de deux structures physiques totalement différentes, donc fondamentalement en concurrence, pour accéder à ces nouveaux services.

Cette concurrence est réelle et donc rassurante. Nous ne pouvons, hélas ! éprouver la même quiétude quand la concurrence ne s'exerce que par le biais des services, comme c'est le cas actuellement avec le dégroupage utilisant la technologie ADSL. Nous sommes d'autant moins rassurés, à cet égard, que le propriétaire du réseau physique est en même temps l'un des compétiteurs dans le secteur des nouveaux services.

Quoi qu'il en soit, le partage léonin, qui avait été, malheureusement, confirmé par la loi au début des années quatre-vingt, entre France Télécom et Canal Plus, d'une part, et les câblo-opérateurs, d'autre part, devrait être totalement effacé grâce à ce texte, bien que certaines scories semblent appelées à subsister.

Ainsi, le câble, après un purgatoire qui aura duré près de vingt ans, va enfin entrer dans le droit commun des télécommunications et de l'audiovisuel. Du régime de la double autorisation, il va passer à celui de la simple déclaration. Le plafond interdisant les regroupements de câblo-opérateurs si leurs clientèles potentielles dépassent les 8 millions d'habitants appartient maintenant au passé, de même que le monopole de TDF.

En contrepartie, si les opérateurs du câble demandent une parfaite prise en considération par les collectivités locales, qui leur est nécessaire pour envisager l'avenir, il leur faudra accepter sans réticence le dégroupage sur leurs réseaux, dans le respect, bien entendu, des contraintes économiques particulières auxquelles ils sont soumis.

En effet, ils disposeront dorénavant sur leurs réseaux des mêmes droits que ceux dont jouit France Télécom sur le sien. Il est donc équitable qu'ils soient soumis aux mêmes obligations.

Les trois maîtres mots qui sous-tendent le texte soumis aujourd'hui à notre examen sont : cohérence, concurrence, convergence.

Pour atteindre ces objectifs, louables et ô combien nécessaires, vous avez dit et répété, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, que les pouvoirs publics devaient désormais respecter une stricte neutralité technologique.

En effet, alors que nous pouvons maintenant recevoir les programmes télévisés non seulement par voie hertzienne ou par satellite, mais aussi par le câble, par le téléphone et même par radio avec le Wifi et, demain, le Wimax, l'Etat ne peut plus marquer sa préférence ou, éventuellement, sa défiance envers une nouvelle technologie à laquelle certaines industries promettent le plus bel avenir : je veux parler de la télévision numérique terrestre. Si cette technologie est à ce point séduisante, laissons les entrepreneurs privés mener à bien, avec des financements privés, la mise en place de ce nouveau réseau de distribution de la télévision. Il serait dorénavant inopportun que des avantages particuliers soient octroyés par les pouvoirs publics à cette technologie non convergente.

Au regard de cette nécessaire recherche de la neutralité technologique, il est dommage, messieurs les ministres, que certaines scories du passé ne puissent être balayées au travers de votre texte.

Ainsi, par souci de cohérence et de transparence, vous proposez, et cela est bien, que le CSA ait désormais une pleine compétence pour l'ensemble des services audiovisuels, même quand ceux-ci parviennent aux téléspectateurs par la voie d'Internet. En contrepartie, vous affirmez avec force, là aussi à juste titre, que l'Autorité de régulation des télécommunications verra ses pouvoirs élargis à la régulation de tous les réseaux physiques qui permettront l'accès non seulement au téléphone et à Internet, mais aussi à la télévision, comme les réseaux « cuivre » de France Télécom ou les réseaux câblés. Cependant, pourquoi ne pas avoir visé également les réseaux hertziens de télédistribution et les avoir maintenus sous l'autorité du CSA ? Ce dernier aura pourtant déjà beaucoup à faire, dans les prochaines années, avec les contenus. Pourquoi lui avoir laissé la gestion des « tuyaux » politiquement les plus sensibles ? Il y a là une incohérence qui ne va pas dans le sens d'une nécessaire convergence.

Parmi les éléments qu'il nous faudra faire évoluer sans retard, à la suite du vote de ce texte, figure la redevance audiovisuelle.

En effet, alors que les programmes de télévision sont dorénavant accessibles sur nos ordinateurs personnels et qu'ils le seront demain sur nos téléphones portables avec l'UMTS, et même sur nos ordinateurs portables grâce au Wifi et, dans l'avenir, au Wimax, il ne sera bientôt plus possible de demander au possesseur d'un téléviseur d'acquitter la redevance sans rien exiger de celui qui disposera d'un ordinateur et d'une installation de home cinéma mais aura pris la précaution de se débarrasser de son téléviseur. Une telle situation serait injuste, donc intenable. Par conséquent, il nous faudra traiter ce problème sans tarder, dès la discussion du prochain projet de budget, à mon avis en supprimant cette redevance et en la remplaçant, par exemple, par une taxe qui pourrait être perçue auprès de tous les foyers français, ceux qui ne regardent vraiment jamais la télévision étant tenus d'en apporter la preuve.

Comme je l'ai dit la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, il va nous falloir en outre élaborer des textes réalistes et applicables. La société de l'information est une société globale, ce qui signifie que, malgré que nous en ayons, notre secteur audiovisuel va devoir se conformer à la règle commune, européenne et même universelle.

Si nous voulons conserver une identité dans ce domaine de l'audiovisuel, il nous faudra donner au CSA des outils qui resteront efficaces dans ce monde ouvert. En effet, nous quittons un contexte marqué par la courte portée optique des émetteurs hertziens et par le lourd ticket d'entrée de la diffusion satellitaire pour nous soumettre au protocole universel d'Internet, accessible à tous et ce au moindre coût. Cela signifie qu'il ne sera plus suffisant de faire jouer un interrupteur pour arrêter la diffusion d'un programme de télévision. Ses images se mêleront dorénavant à des milliards d'autres provenant de tous les sites Internet du monde entier. C'est donc tout un nouveau droit, particulièrement subtil, qu'il va nous falloir mettre en place dans ce monde de réseaux, alors que la télévision de masse, telle que nous la connaissons encore aujourd'hui, reste la plus belle illustration de cette société pyramidale que nous sommes en train de quitter (M. Philippe Nogrix applaudit), mouvement fondamental dont beaucoup d'entre nous n'ont pas encore pris conscience.

M. Paul Blanc. Bravo !

M. René Trégouët. Un autre secteur doit retenir toute notre attention : celui de la radiodiffusion.

En effet, avec la marchandisation totale des télévisions commerciales, soumises à la dictature de l'audimat, la radio est indubitablement appelée à un nouvel avenir. N'utilisant qu'un seul de nos sens, l'ouie, n'accaparant pas l'oeil comme le fait la télévision, n'étant en outre pas incompatible avec la disponibilité visuelle qu'exigent les déplacements, la radio s'adapte parfaitement au nomadisme qui se développe rapidement dans nos sociétés modernes.

De plus, pour un coût modique, elle permet à chacun d'accéder instantanément non seulement à l'information globale, mais aussi à l'information de proximité.

Or, depuis bientôt deux décennies, la radio est maltraitée dans notre pays. Depuis la mise en place de la bande FM et des radios locales, aucun progrès notable n'a été accompli, alors que, dans le même temps, les technologies ont pourtant fait des progrès extraordinaires. La bande FM est maintenant saturée. Dès que nous nous éloignons des grandes villes, de trop nombreuses stations deviennent inaudibles. Par ailleurs, la France est l'un des pays qui ont totalement abandonné la bande des ondes moyennes, alors que, là aussi, des progrès technologiques permettraient une bien meilleure diffusion.

Il nous faut réagir très vite devant cette situation, car la généralisation de la numérisation de la radiodiffusion va amener une évolution très rapide des usages. Demain, avec la généralisation de l'UMTS et des technologies nouvelles, comme le Wifi ou le Wimax, ainsi qu'avec le lancement de nouveaux satellites, de nouveaux terminaux numériques portables et de bonne qualité audio vont apparaître, à des coûts qui les rendront accessibles au plus grand nombre. Il nous faut nous préparer à cette nouvelle révolution des usages dans le domaine de la radio, car il ne faudrait pas que, d'ici à quelques courtes années, les 20 000 stations de notre bande FM soient mises devant une situation nouvelle sans avoir été incitées à l'anticiper.

Oui, mes chers collègues, c'est à une véritable révolution à laquelle nous assistons et à laquelle nous sommes invités à participer.

Nous entrons dans une société globale où chacun d'entre nous peut accéder à l'information et recevoir des programmes audiovisuels, où qu'il soit. Plus encore, chacun de nos concitoyens tient à conserver toutes ses capacités de producteur dans cette économie nouvelle, quel que soit le lieu où il se trouve. Dans une société qui fonde l'ensemble de son activité sur la valeur ajoutée, la notion de propriété terrienne, d'usine ou de bureau où l'on accomplit pleinement sa mission de producteur est caduque! Demain, chacun exigera de pouvoir garder toute son efficacité dans l'économie du futur, qu'il se trouve chez lui ou en déplacement.

Ces nouvelles exigences de nos concitoyens pour un nomadisme complet et efficace, qui vont devenir, dès ces prochaines années, de plus en plus pressantes, doivent être la toile de fond de l'ensemble de notre débat.

Il nous faut non seulement constater la convergence, maintenant réalisée, entre les trois technologies essentielles que sont les télécommunications, l'informatique et l'image, mais aussi tout entreprendre pour qu'une réelle et nécessaire concurrence s'établisse enfin dans ce secteur vital.

En effet, ce n'est que grâce à cette concurrence que notre pays pourra enfin rattraper un regrettable retard dans ce domaine majeur de la communication en réseaux, laquelle sera absolument nécessaire à tous les Français pour qu'ils puissent tenir toute leur place dans le monde de demain. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement a pu envisager de ne pas soumettre au Parlement le projet de loi que nous étudions aujourd'hui. Aussi me paraît-il nécessaire de réaffirmer qu'aucune urgence, fût-ce dans l'optique de l'harmonisation européenne, ne peut justifier que l'on élude le débat public et que l'on gouverne par ordonnances et par décrets sur des sujets d'une telle importance, dont la teneur est en apparence très technique, mais en réalité très politique. (Mme Danièle Pourtaud approuve.)

Cela étant, ce texte concernant les communications électroniques et les services de communication audiovisuelle est l'aboutissement de la réforme de la réglementation des télécommunications adoptée en 1996 et en 1997. Mon amie Marie-France Beaufils développera de façon détaillée notre analyse du titre Ier à l'occasion de la présentation d'une motion tendant à opposer la question préalable. Je m'attacherai donc, pour ma part, à l'étude du titre II.

La modification du code des postes et télécommunications se justifie par la nécessité d'une convergence entre les télécommunications et l'audiovisuel, avec pour corollaire l'idée d'une « neutralité technologique » à l'égard des différents modes de diffusion et de transmission de données, de services, d'informations ou de contenus culturels. Cette « neutralité technologique », chère à nos rapporteurs, me fait penser à la neutralité de la Suisse dans le domaine financier. (Sourires .) Mais j'y reviendrai tout à l'heure...

La télécommunication disparaît au profit de la communication électronique et de la téléphonie mobile, outils résultant de l'évolution technologique de la téléphonie et de la télévision. Aujourd'hui, il s'agit de proposer une plateforme multimédia complète sur l'ensemble des terminaux de télécommunication.

Paul Eluard disait : « Nos inventions nous inventent. » ; je me permettrai d'ajouter, à la suite d'un autre grand poète : « J'invente, donc je suis. » Considérées ainsi, les nouvelles technologies pourraient nous « inventer », si nous restions attentifs à l'utopie humaniste inhérente à toute invention humaine : elles ne peuvent révolutionner la société et les mentalités - puisque le mot « révolution » a été utilisé par notre collègue René Trégouët - ...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est un spécialiste qui parle !

M. Ivan Renar. La révolution n'est plus ce qu'elle était, je le sais bien ! (Rires.)

... que si elles s'accompagnent d'une volonté politique, définissant l'utilisation, dans le strict respect de l'exception culturelle française, de la liberté d'expression, de création, d'accès à l'information et aux savoirs.

L'universalisation de la connaissance souligne les inégalités structurantes de notre société. Elle met en exergue le besoin de rechercher des modes de rétribution des producteurs de contenus et des artistes autres que ceux qui sont consentis par la seule société des marchands.

Il est par ailleurs nécessaire d'établir une définition de la communication audiovisuelle particulière concernant les services dont la spécificité est de mettre des oeuvres à la disposition du public, quel que soit le vecteur de transmission utilisé, et de convenir d'élargir et de renouveler les règles pour le fonds de soutien et les quotas.

La recomposition actuelle du paysage audiovisuel français et des câblo-opérateurs résulte de logiques industrielles et financières à court terme, où le souci du profit des actionnaires détermine le lancement sur le marché de nouvelles technologies, sans expérimentation sérieuse préalable, le consommateur et la société tout entière étant entraînés dans une fuite en avant, n'ayant pas le recul nécessaire à la maîtrise de ces nouveaux outils.

La montée en puissance de l'ADSL dans l'audiovisuel, encouragée par des opérateurs télécoms, satellite ou câble, va engendrer une concurrence effrénée avec son lot de réduction des effectifs, de réduction et d'augmentation du coût des services, de défaillances techniques et d'externalisations à tout va, dont seuls les consommateurs citoyens feront les frais.

La saturation du nombre d'opérateurs entraînera finalement de nouvelles concentrations qui menaceront le droit à l'accès à la communication et à l'information, comme nous le constatons aujourd'hui dans la presse écrite.

Engagés dans une course aux profits rapides, les opérateurs s'attacheront aux zones urbaines ou urbanisées, là où la densité des abonnés « ciblés » est la plus forte pour réussir à pratiquer des tarifs compétitifs et rentables. Ailleurs, l'accès aux services de communication deviendra très coûteux.

Nous traitons là d'une question de politique industrielle engageant les équilibres à court et moyen termes des secteurs culturels d'expression non anglo-saxonne.

Or, les textes, en laissant la liberté des tarifs aux fournisseurs d'accès, en font les arbitres exclusifs des incitations à la protection ou au contournement des droits.

Dans un contexte de profonde mutation, la vitalité des secteurs de création passe par un volontarisme politique en faveur de la protection juridique et de la valorisation économique des oeuvres diffusées sur les réseaux.

La position de la France à l'OMC, l'Organisation mondiale du commerce, est de refuser que la régulation applicable à un contenu culturel soit définie non par sa spécificité, mais par le mode de transmission utilisé pour le mettre à la disposition du public.

Aussi citerai-je volontiers l'article 8-1 de la directive-cadre, en vertu duquel « les autorités réglementaires nationales peuvent contribuer, dans la limite de leurs compétences, à la mise en oeuvre des politiques visant à promouvoir la diversité culturelle et linguistique, ainsi que le pluralisme dans les médias ».

Il ne fait aucun doute que la régulation applicable aux outils et aux modes de communication façonnera un nouveau paysage audiovisuel et modifiera les règles de la production et de la diffusion des contenus et donc les contenus eux-mêmes.

Ce problème est au coeur des prochaines négociations sur le commerce électronique. Les Etats-Unis ont d'ores et déjà demandé que l'ensemble des services de l'internet constitue une catégorie autonome, distincte des services définis en fonction du secteur d'activité auxquels ils se rattachent, tels que les services audiovisuels.

L'objectif est bien entendu de libéraliser d'un bloc ces services de l'internet, qui relèveraient alors des seules règles du marché et non de modes de régulation tenant compte du secteur d'activité auquel se rattachent les contenus transmis ou les services mis en oeuvre.

En outre, il existe désormais une contradiction entre les principes régissant la notion de communication audiovisuelle, qui figurent à l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 et dont l'examen est prévu dans le cadre de ce projet de loi, et les principes qui régissent la communication publique en ligne à l'article 1er C du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique. Ne figure en effet plus dans cet article « la nécessité de développer une industrie nationale de production audiovisuelle ».

On ne soulignera jamais assez que, sur 1 440 semaines de travail dans la production cinématographique française en 2003, 40%, soit 600 semaines, ont été délocalisés à l'étranger.

Cela signifie que les industries techniques sont étranglées et que des corps de métier entiers disparaissent, d'où le danger que représentent les services en ligne qui ont pour objet de mettre à la disposition du public des oeuvres, concurrençant ainsi des services existant hors ligne, et dont l'équilibre financier est très précaire.

Comment concilier un affaiblissement de l'industrie cinématographique et télévisuelle française et la nécessité de disposer de catalogues, patrimoniaux ou nouveaux, d'oeuvres à diffuser sur tous les supports existants et à venir ?

II faut réaffirmer que l'interdépendance des financements des contenus, en particulier entre la télévision et le cinéma, a du sens.

De nos jours, la concurrence entre les bouquets numériques a engendré une forte inflation, notamment des droits sportifs, mettant en péril la rentabilité des chaînes.

A supposer qu'une opération de fusion soit agréée par les autorités compétentes, elle ne peut qu'inquiéter les créateurs. Un monopole, dans certains cas, peut abuser de sa position et il ne s'agira plus alors d'un « monopole de service public » au cahier des charges précis, garant d'un accès démocratique à l'information et à la culture. Nous voyons bien qu'aujourd'hui courent dans les tuyaux des « packages » américains à très bon marché faits de séries télévisées anciennes depuis longtemps amorties, de documentaires animaliers et de droits d'adaptation « à la française » de jeux rôdés sur le public made in USA .

Pour répondre à cette inquiétude du monopole privé qui tue le pluralisme, ceux qui veulent fusionner seraient bien avisés d'engager des discussions avec les professionnels du cinéma et des autres médias.

Cette question de la concentration se pose d'autant plus que dans le jeu des ventes et des rachats dans le domaine des nouveaux « réseaux » qui naissent et se développent, la nouvelle décentralisation et le rôle des collectivités locales arrivent très difficilement à défendre le maillage de la production locale de contenus et de services divers face à des propriétés volatiles de réseaux qui, dès demain, appartiendront à des groupes étrangers ou à des multinationales hors Europe.

Et c'est dans ce cadre que même la décision politique de relancer l'ancien projet de télévision numérique terrestre me paraît illusoire puisque, là encore, aucune réflexion quant aux contenus des programmes, aux modes de production et de diffusion n'a été préalablement menée. Il ne saurait être question d'offrir de nouvelles plateformes de décrochage à des chaînes privées, TF 1 et M 6 pour ne pas les citer, sans contrepartie sérieuse de protection et de développement de nos industries culturelles et de la création nationale.

Cela donne un paysage audiovisuel français planté de « plats à barbe » pour chaque satellite national et étranger capté, de câbles de cuivre, de fibres optiques qui courent dans des veines ou des canalisations du terrain et se cassent ou se tordent au moindre accident géographique, le numérique qui vole comme l'ADSL et, à l'arrivée, des individus isolés, dépassés par le vieillissement de leur équipement image et son, écrans plats, décodeurs variés et énigmatiques, prisonniers d'un écran qui devrait compenser la désertification culturelle...

Plus que jamais, l'Etat doit donc entreprendre deux politiques indissociables.

Premièrement, il doit aménager notre territoire pour qu'aux endroits les plus reculés de notre territoire, où réside une population vieillissante et peu argentée, chacun puisse avoir accès à ces technologies, être appareillé à bon marché, sinon gratuitement - je pense à l'expérience du minitel et à la baisse inexorable du coût des équipements, des machines et des robots en question - et ne pas à avoir à changer de décodeur et d'équipement selon les fluctuations du marché.

Deuxièmement, l'Etat doit mener une politique des contenus facilitant l'accès des citoyens aux connaissances et à la culture et garantissant le pluralisme de l'information.

Je m'appuierai ici sur l'analyse que fait le CERNA, le Centre d'économie industrielle : il faut arbitrer rapidement entre un déploiement sauvage, au détriment des contenus, induisant une rentabilité finale médiocre, et un déploiement maîtrisé, fondé sur le relèvement du consentement à payer pour les contenus, les services et l'accès.

II n'existe pas, à terme, de modèle alternatif à la valorisation des usages privés d'Internet.

La subvention au déploiement par le contournement des droits peut être utilement remplacée par un soutien volontaire de l'industrie des contenus : partages de marge avec la distribution, offres concurrentielles fidélisant l'abonné, parrainage publicitaire de la distribution légale...

Je m'arrêterai sur cette remarque parce que je ne saurais être enthousiasmé par l'idée de « parrainage publicitaire » qui demanderait un débat sérieux, comme nous l'avons eu concernant le rôle des fondations et du mécénat. En effet, la tradition française appliquée à l'industrie du cinéma au domaine télévisuel veut que le producteur laisse le final cut , la succession définitive des images et du son, à la décision de l'auteur. Or, les annonceurs prennent de plus en plus « en otage » les domaines de l'image et du son et y impriment un despotisme sournois auquel la chaîne des réseaux se plie imperceptiblement au point de voir des producteurs réputés de la télévision amputer des réalisateurs de leur droit au final cut et décider de certaines coupures demandées par l'annonceur publicitaire.

Nous ne pouvons accepter de voir dévaluer les définitions des oeuvres de création pour justifier de subventionner sur l'argent public des sitcoms réalisées à la chaîne.

C'est dans ce cadre que nous devrions envisager une autre approche du CSA et d'un renforcement de son autorité et de son indépendance : le CSA n'est pas une simple « autorité », c'est théoriquement un conseil de « sages » émergés des rouages de l'industrie de l'image et du son comme des collectifs des auteurs et techniciens qui se penche plus particulièrement sur le contenu des « tuyaux » et des « câbles » et leur octroie les fréquences, ces voies romaines du son et de l'image.

L'ART est un organisme qui se penche sur les exigences et les contingences techniques de la « jungle » des infrastructures. Or, le texte proposé risque d'entraîner un chevauchement des rôles de ces deux autorités en voulant, en particulier, les limiter à des fonctions d'enregistrement des nouveaux opérateurs.

En outre, si le monopole de TDF, véritable tour de contrôle des fréquences distribuées est brisé, comment les téléspectateurs et les auditeurs vont-ils capter leur programme dans la cacophonie ambiante ?

II s'agit donc de contenir l'emballement d'un système de transferts dans lequel les contenus subventionnent les réseaux. Cette chaîne de transferts est génératrice de signaux économiques biaisés, inefficaces et destructeurs de ressources. Pour reprendre l'appréciation du CERNA, « la France a tout intérêt à se lancer la première dans un processus de normalisation. La faible intégration horizontale et verticale de l'industrie culturelle européenne, le rôle prépondérant de l'ADSL et des industries de télécoms dans le déploiement d'Internet, plaident pour une harmonisation publique des relations entre contenus et réseaux ».

La mise en oeuvre du nouveau cadre réglementaire européen offre, en outre, la possibilité d'une extension rapide du dispositif aux autres pays de l'Union européenne.

Cette initiative venant de notre pays, nous pourrions dire du développement des communications électroniques, technique et contenu confondus, ce que Victor Hugo disait de l'imprimerie et de la liberté de la presse : « Avoir une idée dans son cerveau, avoir une écritoire sur sa table, avoir une presse dans sa maison, c'est là trois droits identiques ; nier l'un, c'est nier les deux autres ; sans doute tous les droits s'exercent sous la réserve de se conformer aux lois, mais les lois doivent être les tutrices et non les geôlières de la liberté. »

Avant de terminer, je souhaiterais faire un constat sur le fond, qui rejoint les préoccupations de notre rapporteur, M. de Broissia, à savoir l'intérêt du public.

Alors que nous sommes dans une période de « piège à futur », les mots « culture » et « art » ne sont presque plus jamais prononcés sans être accompagnés des mots « économie », « rentabilité » et « finances ».

En quelques années, le centre de gravité de la société s'est déplacé de l'homme et de la femme pensant, désirant, imaginant, créant, se servant de leurs inventions maîtrisées par eux-mêmes et favorisant le pluralisme vers la mise en marche dominée par le financement de toutes les oeuvres humaines avec une mutilation du pluralisme qui ampute l'imaginaire des peuples.

L'enjeu est important face à la constitution de géants mondiaux de la communication reliant des millions d'abonnés à des dizaines de millions d'oeuvres, fusionnant directement des catalogues d'oeuvres avec des réseaux de distribution tout en revendiquant la diversité culturelle.

Une poignée d'entreprises transnationales s'est accaparée les tuyaux, câbles, satellites, Internet, salles de cinéma et s'est appropriée l'essentiel des contenus culturels de notre planète.

De rachats en fusions, ce phénomène de concentration affecte des pans entiers de notre quotidien : télévision, musique, audiovisuel, édition, information et cinéma. Nous assistons à une véritable colonisation du culturel par le marché, le marché sans confiance ni miséricorde.

Quelles sont les conséquences de ce phénomène sur le statut de l'esprit, sur celui de la liberté de création et sur le danger d'uniformisation des esprits si le marché prend l'ascendant sur la culture, la technique sur la communication, le commerce sur la pensée ?

L'audiovisuel se porte bien à condition qu'on le sauve et ce n'est pas la neutralité technologique qui va le faire. Le projet de loi prépare-t-il bien l'avenir ?

On peut en douter, surtout si l'on examine les mutations techniques auxquelles nos sociétés sont confrontées et qui sont d'une ampleur et d'une innovation parmi les plus grandes qu'ait connues l'histoire humaine, notre collègue M. Trégouët le rappelait tout à l'heure.

Avec les autoroutes électroniques de l'information, la révolution numérique, le multimédia et les réalités virtuelles, tout ce qui fait « l'en-commun des hommes », pour reprendre une expression chère à Jack Ralite, est affecté dans toutes ses dimensions : mémoire, représentation du monde et imaginaire.

L'esprit est touché par les mutations techniques comme le corps est bouleversé par les mutations biotechnologiques. Et tout cela se développe sous le signe de l'accélération qui amène certains à penser que l'humanité a trouvé son « Sésame, ouvre-toi » - ce sont les technophiles - et d'autres à penser que l'humanité a rencontré son désastre - ce sont les technophobes.

Il ne s'agit pas de vouloir arbitrer un débat aveugle entre technophiles et technophobes. Face à ces innovations créées par les hommes, il est nécessaire et urgent de prendre le temps de la maîtrise éthique, esthétique et sociale de ces processus inédits et de dégager aussi, pourvu que l'homme soit au centre de tout, de nouvelles possibilités de liberté et de libération de chaque individu.

Aussi, la révolution technologique en cours, et les transformations sociales qu'elle implique, éclaire de façon nouvelle les enjeux liés à la création artistique, mais aussi la question de l'accès à la culture.

Avec les courriers électroniques et les nouvelles formes d'expression, l'internet est aussi un puissant facteur de dissémination des idées et de dynamisme des réseaux. Bien entendu, il faut se poser la question, quand on voit ce qui se passe sur la toile, de savoir si l'on n'assiste pas plutôt à une accumulation d'informations qu'à une injection de savoir.

Nous avons donc un formidable défi à relever : la mondialisation et les échanges facilités par les nouvelles technologies nous offrent des potentialités nouvelles de développement culturel, individuel et collectif et de démocratisation de l'expression créative et citoyenne.

Nous avons vocation à relever ce défi. Jack Ralite avait déclaré un jour à cette tribune : « L'histoire de la peinture n'est pas l'histoire du pinceau. » Charles Péguy disait : « Le spirituel sans le charnel est une vue de l'esprit. »

Vouloir abolir les rapports féconds entre la main et le cerveau, c'est aussi se cantonner à l'impuissance.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avions, au Sénat, un collègue pour qui j'avais beaucoup de respect, d'estime et d'amitié, voire d'affection, ce qui n'empêchait pas le débat normal en démocratie, c'était Maurice Schumann, qui, accueillant François Jacob à l'Académie française, avait eu ces mots lumineux : « La seule faute que le destin ne pardonne pas aux peuples, c'est l'imprudence de mépriser les rêves. »

Il rejoignait là ce que le tandem Carné-Prévert, dans le superbe film Les Enfants du paradis , faisait dire à Jean-Louis Barrault ou à Pierre Brasseur évoquant les spectateurs du poulailler ou du paradis, les places les moins chères : « les petites gens peuvent avoir de grands rêves ».

Voilà, résumé en quelques mots, ce qui manque à ce projet de loi qui, sous une avalanche de mesures techniques, cache mal un fond politique pervers, pour ne pas dire mauvais. Malgré toute la bonne volonté de notre rapporteur pour avis M. Louis de Broissia, qui s'est évertué à aseptiser le texte (M. le rapporteur pour avis s'exclame) , personne ne sera étonné de notre extrême réserve. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur Patrick Devedjian, je vous ai déjà salué la semaine dernière et je me réjouis de vous voir de nouveau parmi nous sur un sujet tout aussi technique. Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres, c'est un plaisir pour nous d'accueillir notre nouveau ministre de la culture et de la communication pour présenter ce texte très important.

La communication par voie électronique utilisant ou non les fréquences visées par le présent projet de loi pose nombre de problèmes politiques, techniques, économiques et sociaux. Ce texte n'est pas purement technique ; il est fondamental dans son objet, car la numérisation en cours, la révolution numérique, provoque une évolution fondamentale.

En premier lieu, du point de vue économique, les modèles les plus éprouvés de divers secteurs sont totalement bousculés. Les opérateurs de télécommunications le ressentent, et les opérateurs de télévision et de tous les médias le ressentiront bientôt.

En second lieu, et ce point est beaucoup plus important, des services essentiels que nos compatriotes considèrent comme prioritaires commencent à être rénovés et transformés: je veux parler du travail, de la santé, de la sécurité, de l'enseignement, de la formation continue, mais aussi des relations entre les pouvoirs publics locaux, nationaux et les administrés, de la convivialité, de la diffusion de la culture locale, nationale et internationale. Tout sera profondément transformé, de même d'ailleurs que l'aménagement du territoire. Ce texte est donc tout à fait fondamental.

La rapidité de cette évolution technique rend la majorité de nos concitoyens assez circonspects, d'autant que les experts voient parfois leurs pronostics démentis. En outre, la culture scientifique et technique étant insuffisamment démocratisée dans notre pays, ils n'ont pas la possibilité de juger par eux-mêmes.

A cet égard, le cas de l'UMTS est éclairant : les gouvernements et les entreprises ont été conduits à vendre ou à acheter beaucoup trop cher des licences d'utilisation de bandes de fréquence, contribuant au naufrage momentané d'un secteur qui était en pleine expansion, notamment en Europe. Le phénomène a pu être observé en France, mais plus encore en Allemagne et en Grande-Bretagne, déstabilisant le secteur.

Quant à la migration vers l'ADSL, qui facilite l'usage de l'internet, la rapidité de son expansion en France, y compris dans les zones rurales, a surpris tout le monde. Les particuliers privilégient d'ailleurs souvent les usages que les experts n'avaient pas prévu. C'est ainsi que l'on a cru que le téléphone servirait à écouter des opéras chez soi ; la convivialité n'avait pas du tout été prévue. Or l'étude du développement du haut débit dans les immeubles montre que les gens l'utilisent non pas pour naviguer sur le net mais pour créer des clubs de bridge ou pour préparer des voyages d'étude en commun. C'est la proximité qui prime. L'internet est donc un élément de convivialité locale ; c'est pourquoi sa démocratisation est tellement fondamentale.

J'examinerai à présent quelques points, et tout d'abord la mise à plat du spectre de fréquences. Il me semble important que le Gouvernement puisse évoquer ce problème qui suppose une vision politique des priorités, l'affectation de ce bien rare dépendant de l'Etat et, le cas échéant, de négociations internationales, en particulier pour les zones frontières ou pour les émissions satellitaires.

A cet égard, il faudrait faire en sorte que les équipes des organismes tels que l'Agence nationale des fréquences, l'Autorité de régulation des télécommunications et le Conseil supérieur de l'audiovisuel se rapprochent pour pouvoir éventuellement présenter au Parlement un état de la situation. Nous savons que certaines bandes de fréquence sont réservées aux militaires, d'autres à la police. Toutefois, la plupart de nos collègues ignorent la façon dont cela se présente, alors même que nous devons légiférer sur ce point. Bien entendu, il n'est pas question de changer la loi affectant la gestion d'un certain nombre de demandes de fréquences à certaines autorités de régulation ; il faudrait néanmoins savoir dans quelle mesure elles correspondent aux priorités actuelles.

Dans le domaine de la sécurité, intérieure ou extérieure, des fréquences devraient aussi pouvoir être réservées aux collectivités locales, de façon à faciliter les contacts en cas de risques majeurs, qu'il s'agisse d'incendie, d'inondation, ou même d'attentat terroriste.

Selon moi, il est nécessaire que les innovations importantes dans ce secteur soient clairement exposées et qu'il soit tenu compte dans la loi de leur caractère évolutif. Messieurs les ministres, à cet égard, votre texte est prudent, et je vous en félicite. Ce principe est en effet intégré et des évolutions seront possibles.

Il importe tout de même que cette régulation et ces évolutions soient encadrées et évaluées. Indépendance des autorités de régulation ne veut pas dire irresponsabilité de ces dernières. A l'heure actuelle, nombre de parlementaires s'inquiètent de la façon dont sont évalués voire contrôlés les gestionnaires auxquels la puissance publique a donné des pouvoirs qui peuvent paraître dans certains cas exorbitants. A cet égard, la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, qui regroupe des experts et des parlementaires, pourrait être saisie de façon à étudier la question.

La convergence a été évoquée lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique qui a défini, et c'est heureux, la communication audiovisuelle par rapport aux services de communication électronique. C'est d'autant plus utile qu'un nombre croissant de sites Internet présentent des caractères les faisant presque ressembler à une télévision sur Internet : ils peuvent diffuser désormais des séquences de télévision, de radio, tout en y ajoutant des images fixes et des données.

La proportion a été précisée dans le projet de loi que nous avons adopté la semaine dernière. Il est nécessaire de suivre le développement de la voix sur IP, des caméras, de la visiophonie par Internet correspondant à des images animées. Il conviendra que des milliers de sites soient d'une certaine façon regardés ; mais par qui ? Par le CSA ? Par l'ART ? Sur ce plan, une évolution est nécessaire; les réglementations et les autorisations marquent bien la différence entre ce qui devient une télévision locale et un site.

Les télévisions locales seront très probablement nombreuses à démarrer sur des sites modernes et attractifs et interactifs. Il n'est d'ailleurs pas impensable que le Sénat, avec cinq millions de pages mensuelles et des séquences de Public Sénat, soit l'un des premiers sites concernés, en étant considéré comme à moitié audiovisuel.

J'en viens à la télévision numérique hertzienne terrestre, la TNT. La demande de convivialité locale est probablement l'argument qui a conduit le Sénat, en particulier sa commission des affaires culturelles, au mois d'août 2000, à pousser au développement de ce type de télévision.

Je partage la prudence de M. Renaud Donnedieu de Vabres s'agissant de la date de suppression de l'analogique. Bien que le passage au numérique soit inéluctable, il est nécessaire de ne pas perturber dès à présent nos concitoyens, les évolutions sociologiques étant nettement plus lentes que les évolutions technologiques.

Depuis 2000, le contexte a évolué, qu'il s'agisse des télévisions sur Internet, de la baisse du coût des connexions ADSL. Le 6 avril dernier, le raccordement par Erenis à plus de dix mégabits par seconde pour moins de cinq euros par mois a été évoqué, limité il est vrai à 30 000 logements dans la région parisienne par VDSL. Les nouvelles possibilités offertes aux collectivités locales pour développer des réseaux représentent également une évolution, de même que la diminution massive des coûts des récepteurs émetteurs par satellite, qui relèvent désormais quasiment du domaine des particuliers.

Il convient d'ajouter les conséquences pratiques induites par le réseau de satellites GALILEO, qui va permettre non seulement la localisation géographique mais aussi la distribution de services. Je rappelle enfin l'augmentation du nombre d'internautes ayant accès au haut débit, la prolifération nécessaire des sociétés innovantes qui proposeront des services et des téléservices interactifs dans tous les domaines, le développement du Wifi, des radios interactives, la baisse du coût des écrans plats LSD pouvant servir à la fois aux téléviseurs et aux ordinateurs. Toutes ces évolutions ne condamnent certes pas la TNT ; néanmoins, elles en limiteront certainement le succès commercial.

C'est la raison pour laquelle il me paraît indispensable qu'une étude sérieuse, conjointe, entre les services compétents soit menée.

Cette étude devrait tenir compte évidemment à la fois de l'état actuel de la législation française, des possibilités qui sont offertes, des recherches en cours et de ce qui se passe hors de nos frontières.

Je souhaiterais pour ma part que des spécialistes de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique, l'INRIA, par exemple, ou de tout autre centre de recherche, qu'ils soient français ou étrangers, puissent y participer. La Commission supérieure des services publics des postes et télécommunications dont c'est quelque peu le métier pourrait également y être conviée.

Messieurs les ministres, il semblerait que tous les spécialistes, toutes les autorités, demandent de façon assez instante une étude transparente afin de mettre à plat devant le Parlement les évolutions actuelles et les développements probables en la matière.

Nous pourrions ainsi, après y avoir introduit quelques amendements, voter avec intérêt le projet de loi que vous nous présentez, même s'il ne peut s'agir d'un texte destiné à subsister définitivement en l'état dans la mesure où il concerne un domaine évolutif. C'est ce que je vous propose au nom de mon groupe.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, cette révolution considérable que nous sommes en train de vivre portera des fruits économiques, culturels, mais aussi et surtout sociaux. Elle nous offre une occasion inespérée de faire en sorte que l'ensemble de la population non seulement française, mais aussi mondiale, puisse accéder à cet immense savoir réservé, à l'heure actuelle, aux plus favorisés. Ainsi se trouvera réduit ce que l'on appelle la « fracture numérique », c'est-à-dire l'écart existant entre les riches en savoir et les pauvres en savoir ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

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Dossier législatif : projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle
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