sommaire

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

1. Procès-verbal

2. Développement des territoires ruraux. - Discussion d'un projet de loi

M. le président.

Discussion générale : MM. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales ; Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales.

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Syrie

4. Développement des territoires ruraux. - Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale (suite) : MM. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable ; Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ; Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie ; Jean-Paul Emorine, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Pierre Martin, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles ; Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Pierre Jarlier, Gérard Le Cam.

PRÉSIDENCE DE M. Serge Vinçon

MM. Philippe Darniche, Gilbert Barbier, Bernard Piras, Yves Détraigne, Ambroise Dupont, Mme Annie David, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Dussaut, Mme Françoise Férat, M. Jacques Blanc.

M. le président.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Daniel Hoeffel

MM. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur ; Gérard Delfau, Paul Raoult, Claude Biwer, Philippe Leroy, Mme Michèle André, MM. Jean-Paul Amoudry, Yann Gaillard, Marcel Vidal, Jean Boyer, Joseph Ostermann, René-Pierre Signé, Bernard Murat.

Renvoi de la suite de la discussion.

5. Dépôt d'un projet de loi

6. Transmission d'un projet de loi

7. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

8. Dépôt d'un rapport d'information

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Développement des territoires ruraux

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des territoires ruraux
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n°192, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, relatif au développement des territoires ruraux. [Rapport n°251 (2003-2004) ; avis nos 265 et 264 (2003-2004)].

Ainsi que je l'ai souligné à plusieurs reprises, ce texte revêt une importance essentielle pour le Sénat, assemblée de proximité par excellence, tout particulièrement attachée à l'aménagement du territoire, conformément à sa vocation constitutionnelle de représentant des collectivités locales.

J'en veux pour preuve le nombre des rapporteurs, quatre, celui des orateurs inscrits dans la discussion générale, quarante au total, comme celui des amendements déposés, qui dépasse 860.

En notre nom à tous, j'adresse mes plus vifs remerciements aux six ministres représentant le Gouvernement, qui ont tenu à intervenir devant le Sénat.

Permettez-moi également de former le voeu que ce débat puisse se dérouler dans la plus grande sérénité, sans que des considérations de temps l'emportent sur les questions de fond.

La conférence des présidents a d'ores et déjà prévu que la discussion se prolonge jusqu'au jeudi 13 mai. S'il y a lieu, ce calendrier pourra être ajusté le moment venu ; mais je ne veux pas anticiper. Sachez que le Sénat souhaite que ce texte important soit étudié sérieusement et que chacun puisse s'exprimer sur les différents articles proposés à son appréciation.

Pour l'heure, place est au débat. Je donne donc sans plus tarder la parole à M. le ministre de l'agriculture.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le président du Sénat, messieurs les ministres, messieurs les présidents, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec beaucoup de plaisir que je viens vous présenter avec mes collègues, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, enrichi des nombreux amendements déjà adoptés en première lecture par l'Assemblée nationale. Avec d'autres dispositions prises sur l'initiative du Gouvernement, ce texte doit favoriser un regain de développement du monde rural, et je sais que vous êtes nombreux, au sein de la Haute Assemblée, à partager cette ambition.

Je suis heureux de le faire aujourd'hui devant vous, et je voudrais remercier votre président, M. Christian Poncelet, de son engagement constant en faveur des territoires et sur certains sujets qui, comme la montagne, sont au coeur du projet de loi qui est soumis à votre examen.

Ce projet de loi ayant un caractère interministériel très marqué, je voudrais également souligner la contribution, à bien des égards essentielle, de Gilles de Robien, Serge Lepeltier, Jean-François Copé, Xavier Bertrand, Frédéric de Saint-Sernin et Nicolas Forissier, qui sont à mes côtés au banc du Gouvernement.

Vous me permettrez de saluer aussi le travail considérable accompli par les membres de la commission des affaires économiques, qui, sous l'impulsion de Gérard Larcher, auquel le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité, depuis lors, confier de nouvelles fonctions, bénéficie d'une solide expérience sur ces très importantes questions d'aménagement du territoire.

Je veux, par ailleurs, rendre hommage aux travaux de vos rapporteurs, les sénateurs Jean-Paul Emorine et Ladislas Poniatowsky, qui ont éclairé de leur expertise l'examen en commission de ce texte dense. Je souhaite également associer à ces remerciements leurs collègues Joël Bourdin et Pierre Martin pour le travail très important qu'ils ont accompli au sein de la commission des finances et de celle des affaires culturelles, ainsi que Jean-Paul Amoudry et Jacques Blanc pour le rapport qu'ils ont consacré à notre politique en faveur de la montagne.

Vous me permettrez enfin de remercier l'administration du Sénat, dont la réputation de qualité et de rigueur ne s'est pas démentie au cours de la préparation des travaux.

Comme vous le savez, ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux traduit l'engagement du Président de la République de définir une nouvelle politique en faveur de nos territoires ruraux, comme il l'avait annoncé à l'occasion d'un discours prononcé à Ussel en avril 2002.

Ce projet de loi répond également au sentiment d'abandon que ressentent un grand nombre de ceux et de celles qui vivent et travaillent en zone rurale, dont les élus de votre assemblée, qui est avant tout celle des territoires, connaissent mieux que tout autre la réalité. Je n'entends pas, par là, sacrifier à une quelconque nostalgie ou évoquer un « bon vieux temps » mythique où l'agriculture aurait été reine.

A la fin du XIXe siècle, alors que la terre était d'abord un patrimoine et le paysan un petit exploitant ou un petit propriétaire, Gambetta avait scellé un pacte avec la paysannerie, lui « faisant chausser les sabots de la République ». Ce pacte fut renouvelé au début des années 60 par les gouvernements du général de Gaulle et c'est ce pacte- là qu'il s'agit aujourd'hui de prolonger et d'adapter.

Depuis l'après-guerre, nos campagnes ont connu d'importants bouleversements : exode rural, vieillissement de la population, désertification de certaines zones, progression de la friche ou encore enclavement des territoires. Daniel Halevy avait naguère donné un titre à ce constat : « La terre meurt ».

Depuis plusieurs années, beaucoup paraissaient s'être résignés face aux évolutions du monde rural. Résignés à l'idée que les territoires ruraux ne se trouvaient plus au coeur de notre politique d'aménagement du territoire. Résignés à l'idée que le monde rural devait se vider progressivement de sa population au profit des villes. Résignés à l'idée que rien ne pouvait véritablement empêcher ce mouvement inexorable.

La dispersion des politiques conduites a contribué à aggraver ce sentiment. Tout au plus, espérait-on, ici ou là, pouvoir retarder cette évolution. On persistait ainsi à opposer, dans la grande tradition du tableau de la France de Vidal de la Blache, une France urbaine dynamique à une France rurale condamnée au déclin. Or, cette vision de la France appartient au passé. Aujourd'hui, notre pays n'a pas de meilleure richesse que ses territoires, car ce sont eux qui, dans un contexte changeant, peuvent lui apporter à la fois le dynamisme et l'équilibre dont elle a besoin.

On comprend d'autant moins que rien n'ait été sérieusement entrepris depuis la loi du 4 février 1995, dite « loi Pasqua », qui créa les pays et les démarches territoriales, développa les schémas d'aménagement des territoires et un système efficace de péréquation en faveur du monde rural, à travers le fonds de gestion de l'espace rural et les zones de revitalisation rurale.

Avec 680 000 exploitants, l'agriculture, même si elle ne constitue plus l'activité dominante ou exclusive du monde rural, demeure aujourd'hui encore le « coeur battant » de nos campagnes. S'ils participent au progrès, les agriculteurs ont aussi trop souvent le sentiment de moins en bénéficier que les autres, et leurs conditions de vie demeurent marquées par l'importance des aléas, comme nous l'avons vu au cours de l'année écoulée.

Même s'il comporte, bien évidemment, un volet agricole, ce projet de loi tient également compte des autres activités créatrices d'emploi dans le monde rural. S'agissant de l'agriculture, ses dispositions seront complétées l'année prochaine par un projet de loi de modernisation agricole. Annoncé par le Président de la République et le Premier ministre, il viendra aussi accompagner la réforme de la politique agricole commune décidée à Luxembourg en juin dernier. La gestion du foncier rural, la place de l'agriculture au sein de l'espace rural, l'activité et l'emploi agricoles devraient, sans doute, constituer le lien entre ces deux projets de loi. A travers eux, le Gouvernement conduit par Jean-Pierre Raffarin entend dire aux campagnes de France qu'il ne les oublie pas.

Afin de se placer au plus près des réalités du terrain et des initiatives qui s'y développent, le Premier ministre m'a demandé d'élaborer dans un cadre interministériel et de façon très concertée le texte dont nous abordons l'examen. Avant même d'engager véritablement sa rédaction, le Gouvernement a voulu entendre les représentants des grandes associations d'élus locaux : l'Association des maires de France, l'Association des départements de France et l'Association des régions de France.

J'ai également nourri ma réflexion des nombreux échanges que j'ai pu avoir avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, et un certain nombre d'élus locaux, à l'occasion d'une centaine de déplacements dans nos départements et nos régions.

Outre l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, nous avons consulté la plupart des organisations qui participent à l'activité économique du monde rural : l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'Assemblée française des chambres de commerce et d'industrie, l'Assemblée permanente des chambres de métiers, l'Union professionnelle artisanale ou l'Observatoire des métiers.

Enfin, j'ai souhaité recueillir les propositions des différents acteurs de la ruralité : le Conseil national pour l'aménagement et le développement du territoire, le Conseil national de la montagne, l'association Familles rurales, la Fédération nationale des foyers ruraux, la Fédération nationale pour l'habitat et le développement rural, l'Association nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'Association nationale pour le développement de l'aménagement foncier, la Fédération nationale de la propriété agricole et rurale, le groupe Monde rural, les conseils économiques et sociaux régionaux. Encore cette énumération n'est-elle pas exhaustive...

Par ailleurs, le Gouvernement a tenu à consulter le Conseil économique et social, qui a consacré un rapport à l'examen de ce projet de loi.

Des groupes de travail, largement ouverts, ont parallèlement oeuvré sur des thèmes spécifiques : la pluriactivité, les groupements d'employeurs, l'agriculture de groupe, l'action sociale, la politique en faveur de la montagne et du pastoralisme, les services aux publics, la rénovation du patrimoine bâti ou la protection des espaces agricoles périurbains.

Pour être en mesure de participer plus efficacement à la définition et à la mise en oeuvre de cette nouvelle politique, les équipes de la DATAR, dont je salue ici le délégué, et de mon ministère ont été mobilisées ; les services centraux de ce dernier ont été réorganisés, avec la création d'une direction générale des affaires rurales et de la forêt, issue de la fusion de deux directions préexistantes.

Enfin, outre les travaux du Commissariat général du Plan et de l'Institut national pour la recherche agronomique, l'INRA, j'ai pris en compte le rapport, d'une très grande qualité, que la DATAR a consacré à l'aménagement de la France rurale à l'horizon 2020.

Ces différents rapports et auditions nous ont permis de dresser un portrait précis du monde rural et des politiques conduites en sa faveur. Pour paraphraser Fernand Braudel, il en ressort que, plus que jamais, notre France rurale se nomme « diversité ».

Il y a, d'abord, les campagnes des villes, où se situe près du tiers de la surface agricole utile, la SAU. Ces terres se trouvent soumises à la pression croissante de l'urbanisme et de la spéculation foncière. Elles constituent, en effet, une réserve foncière pour l'aménagement et le développement d'autres activités, notamment résidentielles. Cette situation contribue à leur renchérissement à un niveau trop souvent incompatible avec le maintien de l'activité agricole, et provoque de très importants conflits d'usage.

II y a, ensuite, les campagnes plus isolées, notamment en zones de montagne, qui continuent à perdre des habitants. Nombre d'entre elles voient leurs espaces agricoles progressivement abandonnés et souffrent d'une mauvaise connexion aux réseaux modernes de communication. Hier, ce sentiment avait déjà prévalu lors de l'électrification. Avec le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, cette coupure prend aujourd'hui une nouvelle forme : la fracture numérique. Pour que leurs habitants se sentent non plus isolés mais bien partie prenante, la solidarité nationale doit s'y exercer de façon plus efficace et plus lisible.

II y a, enfin, les nouvelles campagnes, soumises à l'influence de certains centres-bourgs où l'activité entrepreneuriale est importante ; ce sont des campagnes qui se développent, créent des richesses et où la population progresse. Entre 1975 et 2000, cette frange de nos espaces ruraux a ainsi gagné près d'un demi million d'habitants. Nos compatriotes, souvent rejoints par des ressortissants d'autres pays de l'Union européenne, sont chaque année plus nombreux à s'y établir. Les dynamiques de projet doivent, à l'évidence, y être mieux soutenues.

Si nos campagnes ont, au total, retrouvé le même nombre d'habitants qu'en 1970, ces chiffres globaux ne doivent pas masquer des différences et des transformations bien réelles. Au cours de la période récente, les déséquilibres territoriaux s'y sont, en effet, accentués. La déprise des zones isolées comme le déséquilibre de nombreux espaces périurbains en sont des exemples que vous connaissez bien dans chacun de vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs.

L'esprit qui sous-tend le projet de loi est donc de mettre en place des outils pragmatiques au service du monde rural.

Certains soulignent le caractère éclectique, voire composite, de ce projet de loi ; je l'assume. Je veux leur dire que la variété des mesures qu'il comporte répond, avant tout, à la diversité du monde rural et des problèmes auxquels il est confronté. Elle correspond également au souci du Gouvernement d'enrichir la palette des outils mis à disposition des acteurs de la ruralité, c'est-à-dire les acteurs économiques et les élus locaux.

Ce projet de loi, qui privilégie tantôt la norme, tantôt l'incitation, s'inscrit dans un dispositif plus large - j'ai parlé en plusieurs occasions d'un « bouquet rural » - comprenant les mesures décidées par le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, le CIADT, sous l'autorité du Premier ministre, en septembre puis en décembre derniers. Cette complémentarité voulue des dispositions législatives et des mesures arrêtées par le CIADT apparaît, d'ailleurs, dès le premier chapitre du projet de loi, consacré à l'aménagement du dispositif des zones de revitalisation rurale, les ZRR.

De même, et cela est essentiel pour la cohérence de l'action gouvernementale, ce projet de loi s'articule parfaitement avec d'autres textes en cours d'élaboration : je pense à plusieurs points du projet de loi organique sur les finances locales, adopté en conseil des ministres le 22 octobre dernier et dont mon collègue Jean-François Copé vous parlera plus longuement, ou à la loi sur les nouvelles initiatives économiques. Alors que cette dernière offre aux entrepreneurs les libertés dont ils ont besoin pour conduire leurs activités, le projet de loi que je soumets à l'examen du Sénat permettra aux collectivités locales d'accompagner leurs efforts le plus efficacement possible.

Ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, est également cohérent avec la vision d'une France décentralisée qui sous-tend le projet de loi relatif au développement des initiatives locales, que vous examinerez à la suite de ce texte : une France décentralisée dans laquelle l'Etat n'a pas vocation à tout faire, ni à tout laisser faire, mais où, restant garant de la cohésion nationale et de l'équité territoriale, il doit jouer pleinement son rôle de « facilitateur ». C'est ainsi qu'il pourra accompagner la dynamique des projets de territoire sans se substituer aux acteurs de terrain, tout en créant un cadre propice à la libération des énergies et tenant compte des spécificités de nos zones rurales.

Ce projet de loi vise en outre à mettre fin à la dispersion des politiques conduites en faveur du monde rural.

Engagées dans les années soixante par Michel Debré et Georges Pompidou, les premières politiques d'aménagement du territoire ont permis de rééquilibrer notre territoire et d'échapper au « scénario de l'inacceptable » décrit en son temps par Jean-François Gravier dans son ouvrage Paris et le Désert français. Cependant, au fil du temps, les approches et les intervenants se sont multipliés : les collectivités locales, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des communes, les intercommunalités, les pays et les massifs ont mis en oeuvre des politiques, sans toujours trouver les dispositifs nationaux ou européens d'accompagnement souhaitables. L'empilement est devenu tel que l'instance interministérielle d'évaluation des politiques de développement rural a pu récemment regretter que les dispositifs en faveur du monde rural obéissent à des logiques trop sectorielles et cloisonnées, faisant souvent appel à des mécanismes nombreux et insuffisamment articulés entre eux.

Le moment est aujourd'hui venu pour nous d'aller plus loin, de redéfinir une véritable ambition pour nos campagnes et d'apporter une plus grande cohérence et une meilleure lisibilité à l'action de l'Etat dans ce domaine.

II est temps, pour cela, de donner une plus grande liberté d'action aux décideurs locaux. L'heure doit être à l'initiative et à l'accompagnement des porteurs de projets. Le nouvel essor de nombreux territoires doit également nous rendre plus solidaires de tous ceux qui restent en difficulté : je pense notamment aux communes de montagne soumises à d'importants handicaps. Le projet de loi témoigne d'une particulière attention à cet enjeu de solidarité, qui est aussi un enjeu de cohésion nationale.

Notre politique doit tenir compte de la diversité du monde rural. Elle doit, pour cela, adapter ses outils à la situation particulière de chaque territoire et apporter des réponses aussi concrètes et aussi complètes que possible aux différentes attentes de nos concitoyens vivant dans le monde rural, attentes qui touchent à la fois au développement économique, et donc à l'emploi, à l'offre de meilleurs services aux publics et au respect des équilibres et des traditions.

Sans m'engager dans une présentation exhaustive de ces diverses dispositions, je souhaiterais en évoquer rapidement quelques-unes.

S'agissant de l'accompagnement du développement économique et de l'action pour l'emploi, notre objectif est de conforter le développement économique des territoires en déclin démographique.

Pour cela, le projet de loi tend à aménager le dispositif des zones de revitalisation rurale, d'en actualiser les zonages et de mettre en oeuvre diverses mesures incitatives.

L'Assemblée nationale a renforcé les incitations économiques, au travers de plusieurs mesures telles que l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties en ZRR en faveur des logements privés sociaux conventionnés, l'extension du bénéfice de l'amortissement exceptionnel aux travaux de rénovation d'immobilier d'entreprises artisanales, commerciales et industrielles, ou encore la possibilité d'exonération de taxe professionnelle pour les professionnels de santé humaine et animale.

Le projet de loi vise également à créer des sociétés d'investissement pour le développement rural - SIDER -, de façon à soutenir l'installation d'entreprises innovantes et à faciliter les projets économiques et les entreprises de petite dimension.

S'agissant des activités agricoles et touristiques, le projet de loi introduit des dispositions fiscales et financières, ainsi que des mesures de simplification de nature à favoriser les dynamiques locales.

De même, l'harmonisation du statut des entreprises équestres a été complétée, en accord avec le Gouvernement, dans le domaine de la fiscalité des revenus des activités de préparation et d'entraînement.

Comme vous le savez, le Président de la République a fait de l'emploi une priorité pour notre pays ; c'est également un enjeu majeur du développement des territoires ruraux. Dans le projet de loi, l'emploi fait l'objet de dispositions importantes, que le débat parlementaire est venu enrichir, pour mieux reconnaître la pluriactivité, mutualiser les emplois et régler enfin la question du cumul entre emploi public et emploi privé, bref, pour décloisonner les obstacles qui existaient jusqu'à présent et favoriser les synergies.

Nous avons également consacré un volet à la promotion de l'emploi saisonnier. Des dispositions améliorent en particulier la situation actuelle en matière de logement. Le projet de loi encourage enfin la formation professionnelle s'agissant de l'accès au congé individuel de formation.

Il nous faut valoriser le patrimoine bâti pour améliorer l'offre de logements, indispensable à l'attractivité des territoires ruraux. Sur ces sujets, Nicolas Forissier vous présentera plus en détail les dispositions du texte.

Le deuxième axe du projet de loi vise à garantir une meilleure offre de services aux populations.

Nos concitoyens doivent bénéficier d'une égalité d'accès aux services. Nous souhaitons pour cela faire prévaloir une nouvelle logique de l'organisation des services rendus aux publics, fondée sur la polyvalence des services et des partenariats. C'est dans cet esprit que le projet de loi tend à simplifier et à adapter le régime juridique des maisons de service public, afin de pouvoir y accueillir des services privés, dans le respect des règles de la concurrence. De même, l'Office national des forêts jouera tout son rôle dans ce secteur.

Les élus locaux seront désormais mieux informés des réorganisations de services publics ou de proximité, des réorganisations qui seront, par ailleurs, plus étroitement encadrées.

Il est proposé également des mesures en faveur de l'offre libérale de soins en milieu rural. Avec l'hôpital, chacun sait que c'est un sujet majeur pour les territoires ruraux. Nous proposons à cette fin de mieux coordonner les aides accordées aux professions médicales par les diverses collectivités territoriales et les organismes d'assurance maladie, de façon à favoriser l'exercice en cabinets de groupe ainsi que la constitution de pôles de soins et à assurer ainsi une présence médicale sur l'ensemble du territoire.

Désormais, les étudiants en médecine pourront bénéficier d'une indemnité d'étude s'ils s'engagent à exercer comme médecin généraliste au moins cinq ans en zone déficitaire. De leur côté, les collectivités territoriales pourront accorder des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants en troisième cycle de médecine générale lorsqu'ils effectuent leurs stages dans les zones déficitaires.

Dans les ZRR, les médecins et les vétérinaires pourront également, sur l'initiative des collectivités, bénéficier de deux à cinq années d'exonération de taxe professionnelle pour leur installation ou leur regroupement. La mesure est étendue hors des ZRR aux vétérinaires intervenant sous mandat sanitaire et pour les médecins s'installant dans les petites communes. De même, les collectivités pourront soutenir la mise en place de structures participant à la permanence des soins, telles que les maisons médicales.

Le troisième axe du projet de loi concerne la préservation des espaces spécifiques ou sensibles et la protection de l'environnement.

L'agriculture et la forêt, vous le savez, occupent 80% de notre territoire. Au-delà de leur dimension économique, leur rôle d'occupation de l'espace, souhaité et reconnu par la société, se heurte à l'étalement urbain, aux risques de déprise et de banalisation des espaces pastoraux et humides, à la perspective d'un morcellement de la propriété et d'une multiplication des dégâts de gibier en forêt.

Le projet de loi cherche à apporter des réponses spécifiques aux problèmes de ces différents types d'espaces. Pour ce faire, il crée un outil foncier efficace afin de protéger les zones périurbaines. Le projet de loi ouvre la possibilité aux départements de créer des périmètres de protection et de mise en valeur de ces espaces.

Il convient ensuite de mieux restructurer la forêt privée. Le projet de loi introduit donc des incitations fiscales favorisant la restructuration et la gestion durable des forêts privées. Il aménage dans la même veine certaines dispositions existantes en faveur du pastoralisme.

Enfin, nous avons institué un mécanisme de protection et de valorisation des zones humides, sur lequel Serge Lepeltier aura l'occasion d'intervenir.

Le projet de loi modernise par ailleurs le dispositif du remembrement pour le simplifier et en faire un outil mieux adapté à la préservation de l'environnement.

Nous réservons enfin une attention particulière à la montagne. Chacun sait le travail qui a été réalisé, notamment au sein de la Haute Assemblée, sur cette question. Il y est donc consacré un titre spécifique.

Convaincus de la nécessité d'une politique des massifs différenciée et attentive au développement durable, nous avons veillé à ce que le projet de loi améliore la collaboration des collectivités et la coordination des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux.

Établi sur ce point en concertation étroite avec la commission permanente du Conseil national de la montagne, le CNM, et avec l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, dont je salue le président Pierre Jarlier, le projet de loi actualise la loi montagne de 1985 pour tenir compte de la décentralisation et de la diversité des territoires de montagne, permettant ainsi un meilleur équilibre entre leur protection et leur développement.

Le projet de loi prévoit également de favoriser la coordination des collectivités et des structures administratives concernées par la gestion d'un même massif montagneux dans le cadre d'ententes de massifs. Il vise enfin à simplifier le régime des unités touristiques nouvelles, les UTN.

Les modifications des règles d'urbanisme en montagne ont fait l'objet d'une réflexion dans le cadre d'un groupe de travail associant les parlementaires et l'ensemble des administrations. Les amendements qui seront soumis à votre examen sont directement issus de ce travail partenarial et consensuel.

Nous avons en outre la volonté de trouver un meilleur équilibre entre les activités agricoles et forestières, et la chasse. Sur ce sujet, Serge Lepeltier aura l'occasion d'intervenir, tant pour ce qui concerne la représentation des chasseurs au sein du conseil d'administration de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS, qu'au sujet de la protection des peuplements forestiers contre les dégâts de gibier.

Des dispositions concernent par ailleurs le renforcement de la capacité d'intervention des chambres d'agriculture, le domaine national de Chambord, la création d'un conseil national du littoral, à l'instar de celui qui est dédié à la montagne.

Enfin, le projet de loi prévoit certaines adaptations législatives pour les départements d'outre-mer, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte.

Telle est donc, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie générale de ce projet de loi, qui est long, qui a en outre été enrichi par l'Assemblée nationale et qui le sera encore à l'issue de son examen par la Haute Assemblée. Il reflète une diversité qui correspond à celle de nos territoires ruraux.

Au début de cette discussion, je dirai simplement que nous avons, mesdames, messieurs les sénateurs, un très important travail à faire ensemble. Comme l'a dit le président de votre assemblée, M. Poncelet, il faut que nous prenions le temps de discuter, d'amender, de proposer et de construire ensemble ce projet de loi qui doit être un boîte à outils pragmatique et efficace au service du développement des territoires ruraux.

Sur ce sujet, il faut faire preuve à la fois de beaucoup d'ambition et d'humilité : d'ambition, parce que les territoires ruraux sont des éléments essentiels de l'identité et de la force de notre pays ; d'humilité, parce que si « la » mesure miracle pour sauver les territoires ruraux existait, cela se saurait ! Nous avons donc préféré une approche pragmatique à une approche idéologique.

Je suis certain, compte tenu de l'excellence des travaux du Sénat sur l'ensemble des thèmes que nous allons aborder et du remarquable travail des rapporteurs des différentes commissions qui se sont réunies ces derniers mois, que nous allons avoir l'occasion, ensemble, de faire un travail fructueux au service de cette France rurale que nous aimons tant. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, des compliments que vous avez adressés au Sénat pour la qualité de ses travaux ; nous y avons été très sensibles.

La parole est à M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat.

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat à l'agriculture, à l'alimentation, à la pêche et aux affaires rurales. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Hervé Gaymard vient d'exprimer, avec le talent et la conviction que chacun lui connaît, les ambitions et le contenu du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dont nous entamons la discussion. Je ne reviendrai évidemment pas sur les mesures présentées, mais je voudrais développer devant vous une partie essentielle de notre projet, qui touche chaque citoyen, chaque acteur économique présent sur notre territoire, je veux parler de l'action résolue en faveur de l'emploi et du maintien d'une large offre de services dans le monde rural, qu'il nous faut conduire.

Ce projet de loi traduit la confiance que nous portons au monde rural. C'est autour de la volonté, clairement affichée, de rendre leur attractivité aux territoires ruraux - attractivité économique, sociale, mais aussi en termes de qualité de vie - que s'articulent les deux volets. Le Gouvernement entend donner un signal politique fort pour un monde rural encore plus vivant, attirant et durable. Je sais que cette détermination est partagée sur toutes les travées de votre assemblée.

Ce projet de loi s'inscrit dans une démarche globale. Dans son discours d'Ussel, au mois d'avril 2002, le Président de la République avait souligné que « la vérité du monde rural reste mal connue » : c'est particulièrement vrai aujourd'hui, dans une société qui connaît un rythme accéléré. Cette vérité appartient non pas aux images du passé mais bien à une dynamique actuelle, moderne, diverse. Je vous le dis avec toute la conviction sincère de mon engagement pour le monde rural et pour le Berry depuis des années. Notre projet de loi veut faire émerger la force née d'une grande diversité de situations, d'activités, d'emplois, cette force qui nous permettra de faire aller de l'avant le monde rural.

Hervé Gaymard l'a dit : à la pluralité de nos territoires répond la large palette d'outils que nous avons voulu mettre à leur disposition dans ce texte.

Il a souligné également que cette loi s'inscrit dans une démarche globale et cohérente qui entend donner au monde rural les clés de son futur. Les mesures adoptées lors de précédents comités interministériels pour l'aménagement et le développement du territoire, les CIADT, les dispositions de la loi sur l'initiative économique, celles des lois de finances, le soutien à l'exportation pour les PME, les efforts très importants engagés par le Gouvernement pour assurer rapidement l'accès du monde rural aux nouvelles technologies de l'information et de la communication en matière de téléphonie mobile et de haut débit, tout cela va dans la même direction : aider le monde rural à réussir sa mutation et à se projeter dans l'avenir.

Cette mutation est déjà bien amorcée. C'est une nouvelle ruralité qui s'esquisse, avec des entreprises performantes, avec la multiplication des partenariats de développement local entre les collectivités territoriales, les intercommunalités et l'Etat - grâce notamment à l'utilisation efficace dans de nombreuses régions du levier des fonds européens - ou encore avec un réseau d'établissements d'enseignement agricole qui sont et doivent demeurer de véritables filières de réussite ; j'ai pu encore le constater la semaine dernière lors d'un déplacement à Angoulême où j'ai rencontré les directeurs d'exploitation de tous les lycées agricoles de France.

La future loi de modernisation agricole, que les parlementaires examineront l'année prochaine, viendra compléter ce travail de revitalisation des territoires ruraux. Il en sera de même du plan national pour l'agroalimentaire que je prépare et qui doit permettre un nouveau partenariat entre tous les acteurs économiques concernés, producteurs et industriels, afin de conforter leur compétitivité et celle du monde rural dans un environnement mondialisé.

C'est donc un effort sans précédent qui a été engagé et qui se poursuivra. Ce projet de loi y contribue largement. Mon rôle, mesdames, messieurs les sénateurs, aux côtés d'Hervé Gaymard, qui a souhaité qu'un secrétaire d'Etat vienne, pour la première fois depuis bien longtemps, renforcer l'action du ministre de l'agriculture, ...

M. Jacques Blanc. Il n'y a pas si longtemps que cela !

M. Roland Courteau. Depuis André Cellard, en 1981 !

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat. ...sera notamment de veiller à la mise en oeuvre de ce texte, de le faire connaître et de le faire vivre. Je veux vous dire ici que j'y mettrai toute mon énergie.

Je suis et je resterai donc à votre disposition pour que, ensemble, nous puissions donner au monde rural les clés et les moyens de son avenir.

Cette loi est une boîte à outils. Elle ouvre des perspectives aux acteurs ruraux, qu'elles soient réglementaires, législatives ou financières. A eux de les utiliser ou de les mobiliser pour innover, pour concevoir et pour mener à bien des projets. Je serai là pour les y aider.

Ne nous y trompons pas : c'est un vaste chantier, à moyen terme, que nous ouvrons. Mon rôle est d'être à votre écoute. Pour avoir été longtemps parlementaire, je sais vos besoins et vos attentes, mesdames, messieurs les sénateurs. Aussi, je souhaite pouvoir convenir avec vous de rencontres régulières, ce qui nous permettrait de faire le point ensemble. L'idée intéressante d'une conférence annuelle sur la ruralité doit être retenue ; il nous reste à en définir les modalités. Cette réflexion, à laquelle seront associés bien évidemment tous les ministres concernés, puisqu'il s'agit d'une démarche transversale, pourrait ainsi être poursuivie de concert.

Ce texte s'inscrit pleinement dans les priorités tracées par le Président de la République et mises en oeuvre par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, en plaçant l'emploi au coeur du développement des territoires ruraux.

L'avenir de ces territoires concerne, j'en suis convaincu, tous les Français. Nos compatriotes aspirent d'ailleurs de plus en plus à retrouver à la campagne un équilibre qu'ils ont souvent perdu au coeur des villes. En travaillant pour garantir des conditions de vie égales en tous points du territoire, en permettant une diversité d'emplois, mais aussi en recherchant une présence indispensable, certes, mais adaptée des services, notamment publics, nous voulons apporter une véritable réponse à des attentes légitimes.

«Il n'est de richesse que d'hommes», disait Jean Bodin. Cette affirmation demeure plus juste que jamais. Sans agriculteurs, sans entreprises, sans artisans ou commerçants, sans professionnels libéraux, il n'y a ni vitalité ni avenir pour un territoire. Ils forment tous ensemble le maillage du dynamisme et de l'innovation. Ce projet de loi prévoit donc plusieurs mesures d'importance afin de valoriser le développement des activités au coeur de nos territoires ruraux. Nous voulons désenclaver nos terroirs, leur redonner des moyens d'agir. Plusieurs dispositions ont été enrichies par les travaux de l'Assemblée nationale; je sais que le texte sera de nouveau enrichi par vous, mesdames, messieurs les sénateurs.

Ainsi, le projet de loi propose une meilleure reconnaissance de la pluriactivité grâce, notamment, à la simplification des règles de rattachement des pluriactifs non salariés aux régimes sociaux. Il clarifie également la notion d'activité principale. Enfin, les récents débats ont permis de retenir les propositions gouvernementales relatives au rattachement social des conjoints collaborateurs.

Ce projet de loi favorise également la mutualisation de l'emploi entre plusieurs employeurs. Il élargit les possibilités de cumul d'un emploi public et d'un emploi privé pour les agents de la fonction publique territoriale travaillant dans des communes de moins de 3500 habitants. C'est un lien vivant que nous créons ainsi entre les entreprises et les collectivités. Une commune pourra, par exemple, partager un emploi de conducteur d'engins avec une entreprise de travaux agricoles.

De même, en encourageant les groupements d'employeurs, notamment par le biais d'incitations fiscales, ce texte facilitera l'accès ou le retour à l'emploi, particulièrement en ce qui concerne les travailleurs saisonniers, susceptibles d'apporter leurs compétences à différents entrepreneurs. Nous avons veillé à cet égard à permettre aux groupements de constituer une réserve défiscalisée, afin de répondre au risque d'impayé des salaires et des charges sociales. Hervé Gaymard me parlait récemment d'un emploi partagé en Bretagne entre la collecte de lait pour une coopérative et le transport de bois d'oeuvre pour un charpentier. C'est un exemple significatif.

Mais nous avons voulu aller plus loin en faveur des travailleurs saisonniers et rompre avec une situation de précarité trop courante. Des mesures concernant l'hébergement des saisonniers permettront ainsi de limiter le coût et l'absence de logement. L'amortissement des gros travaux d'amélioration des habitations sera accéléré. La taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties seront aménagées. Enfin, les conditions de scolarisation des enfants de travailleurs saisonniers seront améliorées.

Parce que notre gouvernement est particulièrement attaché à la formation professionnelle des salariés, les secteurs de l'agriculture et du tourisme pourront désormais adapter les conditions d'accès au congé individuel de formation des salariés en contrat à durée déterminée.

En outre, nous avons proposé la création d'un CDD formation, ce qui permettrait aux saisonniers de se former entre deux contrats de travail tout en restant liés à l'entreprise.

J'ajoute que le projet de loi comporte des mesures favorisant la conclusion de contrats de travail hors ateliers protégés, pour les personnes souffrant d'un handicap.

J'évoquerai un dernier élément, dans la palette d'outils prévue par le texte : le maintien et la rénovation du patrimoine immobilier et, par là même, l'accès au logement.

Au-delà de la simple préservation de notre histoire, nous ne pouvons en effet attirer les entreprises, surtout les plus petites d'entre elles, et faciliter l'implantation ou la reprise d'exploitations, si nous ne veillons pas, par ailleurs, à assurer une offre suffisante de logements en milieu rural.

Car nous sommes confrontés, mesdames, messieurs les sénateurs, au paradoxe, récent, mais réel de la crise du logement dans les zones rurales : maisons ou fermes à l'abandon d'un côté, concentration dans les villes de l'autre. Cette situation n'est plus tolérable. Le texte qui vous est proposé introduit donc une disposition favorable à la rénovation du patrimoine bâti ainsi qu'à l'acquisition de logements en zones de revitalisation rurale. Dans ce dernier cas, la location en résidence principale d'un logement rénové engendrera un taux de déduction forfaitaire des loyers de 40%, au lieu des 6% actuels. Il s'agit d'une mesure importante.

De même, il sera possible pour un propriétaire, en fin de bail, de reprendre le bâtiment devenu inutile à son fermier, pour le rénover ou pour le louer. Ce sont des mesures fortes tant sur le plan économique et social que pour la valorisation du patrimoine et des paysages, ainsi que pour l'attractivité touristique en zones rurales.

Mais l'attractivité d'un territoire passe également par ses infrastructures et par les services offerts aux populations concernées.

Au-delà de la nécessaire qualité de vie à laquelle chaque citoyen aspire, c'est l'avenir du monde rural qui est ici en jeu. Réussir à attirer des hommes ou des entreprises dépend des conditions mêmes de leur implantation.

Sur ce point - cela a été beaucoup dit à l'Assemblée nationale -, la concertation avec les élus, les citoyens, les administrations est nécessaire. Mais elle ne peut et ne doit être synonyme de lenteurs ou d'excessives complexités administratives. L'essentiel est de susciter des projets, d'innover, au-delà de positions strictement défensives sur la question de l'adaptation des services publics en zone rurale. Ce qui est essentiel, c'est que la mission de service public soit assurée, en fonction des besoins. En milieu rural, il faut certainement être encore plus innovant qu'ailleurs et anticiper. Il est, à cet égard, plus que jamais nécessaire que l'information des élus locaux soit claire et complète. Je souhaite que cela soit le cas pour ce projet de loi. J'y veillerai lorsque nous mettrons en oeuvre la palette d'outils que nous vous proposons aujourd'hui.

L'enrichissement de nos pays passe donc par cet esprit novateur, cette capacité d'adaptation des services. Telle est la voie tracée par le projet de loi. Ainsi, il tend à simplifier le régime juridique des maisons de service public, afin qu'elles accueillent des services privés, dans le respect, bien sûr, des règles de la concurrence. L'Office national des forêts, de son côté, pourra par exemple apporter un concours technique.

J'en viens maintenant auxservices de santé, élément primordial, évidemment, de l'action qui est aujourd'hui engagée. A cet égard, le texte prévoit d'instaurer une véritable coordination des aides accordées aux professions médicales, tant par les collectivités locales que par les organismes d'assurance maladie. Notre objectif est de favoriser la constitution de pôles de soins et d'assurer ainsi une présence médicale sur l'ensemble des territoires. Il nous apparaît, en effet, évident et essentiel de veiller à ce que perdure dans notre pays l'installation des médecins en zone rurale.

A cette fin, aux termes du projet de loi, un étudiant en médecine pourra bénéficier d'une indemnité d'étude s'il s'engage à exercer comme généraliste, au moins cinq ans, dans un territoire en déficit de soins. De plus, une collectivité locale pourra accorder des indemnités de logement et de déplacement aux étudiants de troisième cycle de médecine générale qui effectuent des stages dans des zones déficitaires.

J'ajoute que, dans les zones de revitalisation rurale, les médecins mais également les vétérinaires pourront, toujours sur l'initiative d'une collectivité, bénéficier de deux à cinq ans d'exonération de taxe professionnelle pour leur installation ou leur regroupement. Cette disposition est d'ailleurs étendue au-delà des ZRR aux médecins s'installant dans de petites communes. Je tenais, tout comme Hervé Gaymard, à insister sur ces éléments importants.

En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a cherché, en présentant ce projet de loi, à apporter des réponses au plus près du terrain, pragmatiques et ambitieuses afin d'ouvrir de véritables perspectives à tous ceux qui vivent et travaillent sur nos territoires ruraux. Ce texte a pour objet d'intégrer la diversité des territoires et leur dynamisme ; il a donc vocation à évoluer au fil du temps. J'entends y consacrer toute mon énergie. A plus court terme, il faudra également veiller à ce que les décrets d'application traduisent fidèlement l'esprit de la loi.

M. Charles Revet. Très bien!

M. Nicolas Forissier, secrétaire d'Etat. Je n'ignore pas que c'est une demande de toutes et de tous, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Ce sera sans doute l'une de mes tâches aux côtés d'Hervé Gaymard.

Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez à coeur de permettre à ce «bouquet rural» de s'ouvrir encore davantage grâce à vos remarques et à vos amendements. Il contient, nous en sommes sincèrement convaincus, les outils qui permettront de façonner l'avenir de nos territoires, de nos jeunes et de nos emplois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des territoires ruraux
Discussion générale (suite)

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souhaits de bienvenue à une délégation de syrie

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, d'une délégation de l'assemblée du peuple de Syrie conduite par son président M. Mahmoud Al Abrache, accompagné par notre collègue Philippe Marini, président du groupe d'amitié France-Syrie. (MM. les ministres, MM. les secrétaires d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

Cette délégation séjourne en France à l'invitation du Sénat et nous lui souhaitons un séjour agréable et fructueux.

Après l'attentat terroriste d'hier à Damas, le Sénat tout entier exprime son émotion et sa sympathie au peuple syrien auquel nous lie tant de liens d'amitié fondés sur l'histoire et sur le respect mutuel.

Je vous présente très cordialement mes voeux de bienvenue, cher président, ainsi qu'aux membres de votre délégation (Applaudissements.).

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développement des territoires ruraux

Suite de la discussion d'un projet de loi

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des territoires ruraux
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au développement des territoires ruraux.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l'écologie et du développement durable.

M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, MM. Hervé Gaymard et Nicolas Forissier viennent de nous exposer les enjeux et le contenu des principales dispositions du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui contribue au maintien d'une présence humaine sur l'ensemble du territoire national.

L'homme qui a, de tout temps, façonné les territoires et les paysages doit contribuer à la préservation et à l'entretien des espaces naturels en évitant l'uniformisation si préjudiciable à la biodiversité.

En tant que ministre de l'écologie et du développement durable, je suis donc très intéressé par l'ensemble de ce texte et je suis directement partie prenante pour deux de ses chapitres, relatifs à la protection des zones humides et à l'activité cynégétique.

A cet égard, je voudrais remercier M. Hervé Gaymard d'avoir ménagé une large place à des mesures en faveur des espaces naturels.

Les dispositions contenues dans ces deux chapitres marquent des avancées dans deux domaines où il était urgent d'agir et pour lesquels les acteurs de terrain sont prêts à relayer les orientations proposées.

Il convient cependant de les aborder dans la perspective d'un calendrier plus large qui verra, notamment d'ici à la fin de l'année, comme je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale, le dépôt d'un projet de loi sur l'eau et une réflexion que je souhaite faire avancer rapidement sur la biodiversité.

II m'appartient désormais de vous présenter les dispositions du présent projet de loi qui relèvent de ma compétence, et tout d'abord, le chapitre III du titre IV du projet de loi qui traite des zones humides.

Les zones humides ont très longtemps été regardées comme des territoires insalubres devant être asséchés. Elles sont encore souvent pénalisées par cette mauvaise image héritée du passé et par une méconnaissance de leurs fonctions et du rôle qu'elles peuvent jouer dans de nombreux domaines.

Pourtant, leur rôle et leur intérêt, aujourd'hui démontrés par de nombreux travaux de recherche, études et retours d'expérience, sont multiples et stratégiques. Elles contribuent à la préservation et à la gestion équilibrée de la ressource en eau, aussi bien pour les aspects quantitatifs concernant notamment les zones d'expansion naturelles des crues ou la réalimentation des nappes, que pour les aspects qualitatifs, avec un rôle stratégique d'auto-épuration des eaux superficielles et souterraines.

Ces zones qui constituent un réservoir de biodiversité en raison de leur grande richesse biologique sont aussi un lieu de développement d'activités économiques telles que l'élevage, la pisciculture, le maraîchage ou la saliculture. Cela confère aux territoires ruraux un intérêt économique, social, paysager et culturel fort.

Enfin, nous ne devons pas oublier leur contribution à la complémentarité et à la solidarité « rural-urbain » grâce à la multifonctionnalité hydrologique, écologique, économique et sociale de ces espaces.

Malheureusement, depuis plusieurs décennies, les zones humides ont connu une très forte régression, comme l'a montré le rapport du préfet Bernard en 1994 mettant en évidence la disparition de plus de la moitié des zones humides entre 1940 et 1990. En 1995, le Gouvernement a engagé un plan national d'action pour enrayer cette régression, mais il faut bien constater aujourd'hui que ce plan s'est révélé insuffisant.

Actuellement, les principaux écueils pour la préservation de ces milieux résultent tout d'abord des difficultés pour obtenir un équilibre économique de ces espaces dans une logique de développement durable. On constate de plus que ces difficultés sont aggravées par le manque de structures maîtres d'ouvrages adaptées. L'ensemble s'inscrit dans un contexte d'application non optimale des textes législatifs et réglementaires.

II est donc devenu indispensable de prendre de nouvelles mesures de sauvegarde, afin de renverser cette tendance.

Le volet « zones humides» du projet de loi vise à développer trois axes d'actions : premièrement, mieux identifier les zones humides et assurer la cohérence entre les divers domaines des politiques et des financements publics ; deuxièmement, créer les conditions pour un équilibre économique de ces espaces dans une logique de développement durable ; troisièmement, aider la structuration de la maîtrise d'ouvrage pouvant oeuvrer en faveur des zones humides.

Pour mener à bien ces projets territoriaux, le projet de loi présente une particularité importante : au lieu de proposer un modèle unique d'intervention, j'ai souhaité que les maîtres d'ouvrages disposent - je reprends l'expression employée par M. le ministre de l'agriculture tout à l'heure - d'une « véritable boîte à outils » contractuels et réglementaires adaptés au contexte local, à commencer par des possibilités d'exonération fiscale.

Ces trois axes sont déclinés en six articles.

L'article 48 permet de préciser la définition des zones humides, sans remettre en cause pour autant la définition issue de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992. II s'agit d'utiliser les résultats des programmes de recherche pour éviter les incertitudes et les contentieux. De plus, là où c'est nécessaire, une délimitation pourra être réalisée.

Les articles 49 et 50 posent les bases de dispositifs de gestion adaptés aux enjeux de ces territoires : il s'agit dans le premier cas de promouvoir par la concertation des pratiques nouvelles à travers des programmes d'actions à l'échelle des zones humides. Ces programmes permettront de fixer des pratiques à promouvoir et d'organiser leur financement. Ce mécanisme reprend les caractéristiques déjà introduites dans la loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages du 30 juillet 2003 pour les zones d'érosion.

L'article 50 vise plus spécialement les zones humides, dont l'existence même est nécessaire à la qualité de l'eau potable ou à celle des milieux aquatiques. Dans ces zones, il conviendra d'identifier, dans la concertation locale au travers des schémas d'aménagement et de gestion des eaux, des servitudes indemnisables qui pourront être instaurées, là encore selon un dispositif déjà retenu par la loi relative à la prévention des risques technologiques.

Les articles 51 et 52 concernent les maîtres d'ouvrage. II faut permettre aux collectivités concernées par les zones humides côtières de faire appel au Conservatoire du littoral, et le statut des associations syndicales est mis à jour afin de mieux prendre en compte les enjeux actuels. L'Assemblée nationale a adopté un amendement présenté par le Gouvernement pour permettre au Conservatoire du littoral de bénéficier de mises à disposition d'agents de la fonction publique territoriale : je me félicite de cette mesure répondant à une attente forte du terrain qui a consacré un partenariat très particulier, très fructueux, entre les collectivités et cet établissement public.

Enfin, l'article 53 prévoit la possibilité pour les communes de décider d'une exonération de la taxe sur le foncier non bâti, totale ou partielle selon le cas, au profit des propriétaires de terrains dans les zones humides. Cette mesure vise non pas à exonérer la totalité des zones humides, mais à mettre fin à la surévaluation de la taxe foncière sur les propriétés non bâties dans les prairies humides, surévaluation qui est dénoncée depuis de nombreuses années. Elle contribuera ainsi au rééquilibrage économique voulu par le Gouvernement.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les mesures que je vous propose d'approuver, afin de préserver le patrimoine naturel et culturel remarquable que constituent ces zones humides pour notre pays.

Je voudrais vous présenter maintenant le chapitre IV du titre IV du projet de loi qui porte sur les enjeux cynégétiques.

La chasse et les chasseurs contribuent très directement à la conservation et à l'entretien des territoires,...

M. Alain Vasselle. Très bien !

M. Serge Lepeltier, ministre. ...à la diversité des habitats naturels - on l'a vu avec les zones humides - et à la gestion des populations de grands ongulés, dont ils doivent limiter l'impact sur les cultures et la forêt.

La chasse, par l'activité qu'elle induit, occupe une place significative dans l'économie de nombreux territoires ruraux.

Ces deux raisons suffisent à motiver la présence de ce chapitre au sein d'un texte sur le développement des territoires ruraux. Les dispositions qu'il contient sont également le prolongement du travail législatif engagé il y a un an et qui s'est déjà concrétisé par le vote de la loi du 30 juillet 2003 sur la chasse.

Cette loi concernait assez peu la pratique de la chasse elle-même ; elle visait davantage la réforme des statuts des fédérations des chasseurs.

Les textes d'application de la loi ont été pris sans délai, ce qui a permis à l'ensemble des fédérations d'approuver leurs nouveaux statuts avant la fin de l'année 2003.

La loi que vous avez votée l'été dernier nous permet de nous appuyer pleinement sur les fédérations et les associations de chasse pour approfondir et relayer ce travail entrepris avec un nouvel état d'esprit : la gestion au plus près du terrain, la responsabilisation et la confiance.

Le présent projet de loi poursuit le travail entrepris en 2003 et aborde tous les sujets évoqués alors. Il résulte d'un travail soutenu de consultations et d'expertises, conduit en étroite liaison par les deux ministères de l'agriculture et de l'écologie.

Les principales dispositions qui en sont issues sont les suivantes.

Tout d'abord, dans le prolongement des débats du printemps dernier et comme suite logique à la réforme du statut et des missions des fédérations des chasseurs, le Gouvernement s'était engagé à réformer l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, l'ONCFS.

Plusieurs missions de l'Inspection générale de l'environnement, plusieurs rapports et de nombreuses réunions ont contribué jour après jour à enrichir notre réflexion, à laquelle vous avez été associés.

Les principes de la réforme sont simples.

Le premier tend à conforter l'établissement public et ses missions.

S'agissant plus particulièrement des personnels de terrain, le projet et les instructions données au directeur général de l'établissement visent à améliorer la formation et l'encadrement, sous son autorité, des agents chargés des missions de police et à prendre en compte les priorités d'action fixées par les préfets, en liaison avec les présidents de fédérations, et à mieux coordonner leurs interventions avec celles des autres agents publics chargés de missions de même nature.

M. Alain Vasselle. Très bien ! Très bonne mesure !

M. Serge Lepeltier, ministre. Le deuxième principe vise à restaurer la confiance entre l'établissement et le monde de la chasse

La recomposition du conseil d'administration devra y contribuer. Je vous confirme à cet égard que le conseil aura une composition plus resserrée, d'une vingtaine de membres, où les représentants du monde cynégétique retrouveront leur place. Le projet de décret d'application de la loi est prêt.

Le troisième principe tend à rétablir les conditions d'un équilibre financier durable.

Au-delà de mesures immédiates d'économies internes demandées au directeur général de l'ONCFS, un contrat d'objectifs est à l'étude, afin de formaliser nos engagements réciproques.

Le principe d'une contribution de l'Etat à la prise en charge des missions d'intérêt général patrimonial a d'ores et déjà été acté et sera inscrit dans le contrat d'objectifs.

Le Gouvernement a voulu marquer son engagement, dès cette année, en octroyant sur le budget 2004 un premier versement de 2 millions d'euros.

Les modifications législatives nécessaires ont été introduites dans le projet de loi. Elles supposent un effort partagé équitablement entre l'Etat, l'ONCFS et les chasseurs.

A l'article 55, le projet de loi permet une meilleure intégration des questions cynégétiques dans la planification territoriale, incluant une mise en cohérence de ses instruments de gestion. Ainsi est précisé le contenu des ORGFH, les orientations régionales de gestion et de conservation de la faune et de ses habitats, dont le nom est modifié à cette occasion pour affirmer leur rôle dans la conservation de la faune. Elles permettront, par une meilleure connaissance de la faune et de ses habitats, de déterminer les axes de la politique régionale pour une gestion durable de la faune, qu'elle soit chassable ou non chassable.

C'est dans le cadre de ces orientations que s'inscrivent les schémas départementaux de gestion cynégétique. Ceux-ci sont établis par les fédérations départementales des chasseurs en tenant compte des intérêts agricoles et forestiers du département et en cohérence avec les principes de « gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats ». Ces schémas visent à obtenir une gestion équilibrée des écosystèmes par la chasse.

Avec l'article 56, la loi clarifie le régime de délivrance et de validation des permis de chasser, dont je rappelle qu'il vient d'être simplifié par l'institution du guichet unique pour la validation des permis de chasser. Cet article simplifie également l'accès à la chasse pour les non résidents Français ou étrangers.

Le projet de loi simplifie et clarifie les conditions d'exercice de la chasse par des dispositions issues des réflexions et des propositions du groupe de travail sur la simplification des textes que Mme Bachelot avait installé en février 2003. Ces dispositions extrêmement pratiques, sur lesquelles nous reviendrons lors de l'examen de l'article 57, sont très attendues.

Les articles 58 et 59 tendent à assurer un partage harmonieux entre les différents usages de l'espace rural, notamment en recherchant un équilibre agro-sylvo-cynégétique satisfaisant. II convient en effet, aujourd'hui plus que jamais, de maîtriser le développement des populations de grand gibier, notamment par le biais des plans de chasse, et de réduire les dégâts sur les cultures et les récoltes, comme d'ailleurs sur les forêts, tout en garantissant un exercice de l'activité cynégétique qui s'inscrive dans le cadre du développement durable des territoires.

Plusieurs dispositions nouvelles visent à mieux responsabiliser les différents acteurs et à maîtriser une situation devenue préoccupante pour les agriculteurs et les propriétaires forestiers comme pour les chasseurs.

Je dis à nouveau que le Gouvernement n'envisage pas d'instaurer une indemnisation systématique des dégâts de grand gibier aux peuplements forestiers, comme c'est le cas pour les cultures agricoles. En revanche, le texte présente un ensemble cohérent et mesuré de solutions permettant de répondre au problème préoccupant des très nombreux propriétaires forestiers dont la surface boisée trop petite ne leur permet pas d'intervenir dans la gestion des populations de grands animaux.

Enfin, les articles 60 et 61 clarifient les incriminations pénales pour les infractions de chasse et les règles applicables aux gardes particuliers avec les représentants desquels nous travaillons depuis plusieurs mois.

En conclusion, je souhaite que les débats, en particulier ceux qui sont relatifs aux zones humides et à la chasse, soient les plus sereins possibles et qu'ils contribuent à donner de la chasse une véritable image d'une activité responsable participant à la gestion des espaces naturels et, d'une manière plus générale, au développement durable des territoires ruraux.

Je souhaite également remercier les rapporteurs de leur contribution, en particulier, pour la partie qui me concerne, MM. Ladislas Poniatowski et Jean-Paul Emorine, ainsi que l'ensemble des parlementaires qui ont fourni un travail très important lors de l'examen de ce texte en commission. Nous pouvons d'ailleurs le constater avec le nombre d'amendements que nous aurons les uns et les autres à étudier. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gilles de Robien, ministre.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a souhaité engager une dynamique nouvelle au profit des espaces ruraux. Pilotée par le ministre en charge des affaires rurales, Hervé Gaymard, cette politique concerne de nombreux ministères, comme en témoigne le nombre de ministres qui interviennent aujourd'hui devant vous.

L'aménagement du territoire est, bien évidemment, concerné au tout premier chef par le développement des territoires ruraux. A cet égard, je tiens à saluer le travail de mon prédécesseur en charge de l'aménagement du territoire, Jean-Paul Delevoye. Aujourd'hui, avec Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, nous sommes fiers de continuer l'action qu'il a engagée.

Le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, ou CIADT, qui s'est tenu le 3 septembre 2003, a permis de dresser le constat des évolutions contrastées de la France rurale. Je devrais dire « des France rurales ».

L'étude qui a été menée par la DATAR, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, sur la France rurale en 2020 a en effet mis en lumière les trois visages de l'espace rural.

D'abord, celui de l'espace rural périurbain à forte densité de population et à forte mobilité des habitants, avec d'évidents conflits d'intérêt en matière de foncier, qu'il convient d'organiser.

Ensuite, celui des campagnes les plus fragiles, qui cumulent de lourds handicaps structurels, qu'il faut aider, car, si le développement des territoires repose avant tout sur le dynamisme des élus locaux, c'est bien le rôle de l'Etat que d'épauler ceux qui sont en difficulté.

Enfin, il y a les campagnes qui sont « à la croisée des chemins ». Ce sont celles où doivent cohabiter, dans le respect de l'environnement, activités agricoles, industrielles et, de plus en plus, tertiaires, fonctions résidentielles et activités de loisirs, parmi lesquelles figure, bien sûr, le tourisme.

Lors du CIADT de septembre 2003, le Gouvernement a arrêté une série d'actions de fond pour répondre à la diversité de ces territoires ruraux.

Premièrement, pour favoriser le développement économique des territoires, les dispositifs fiscaux en direction des entreprises ont été améliorés : aides à l'investissement immobilier industriel, aux travaux de rénovation et aux activités d'artisanat et de tourisme ; exonération de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises nouvelles portée de deux à quatre ans et demi. Ce soutien sera justement proportionné afin d'éviter des distorsions de concurrence, ce que la sagesse et les règles que nous nous sommes fixées dans le cadre européen nous imposent.

Deuxièmement, des dispositifs nouveaux viendront réduire la fracture numérique et accélérer la diffusion des nouvelles technologies dans l'ensemble des territoires.

Vous le savez, un plan de couverture nationale en téléphonie mobile a été mis en place. La première tranche est financée sur fonds publics à hauteur de 44 millions d'euros et prévoit l'éligibilité au FCTVA, le fonds de compensation pour la TVA, des investissements des collectivités locales. La seconde tranche est prise en charge par les opérateurs eux-mêmes dans le cadre du renouvellement des licences et concerne 1 500 communes.

Un plan de diffusion de l'internet à haut débit sera également mis en oeuvre. Son financement est d'ores et déjà prévu à hauteur de 100 millions d'euros au titre de la réserve performance des fonds européens. La possibilité ouverte récemment aux collectivités d'être opérateur contribuera également à la réduction de la fracture numérique.

Troisièmement, un effort a été fait pour le logement, avec une action importante en matière d'exonérations fiscales et la relance des OPAH, les opérations programmées d'amélioration de l'habitat, en zones rurales.

Quatrièmement, des primes pour l'installation des professionnels de santé ont été prévues. Xavier Bertrand vous l'expliquera de façon plus détaillée.

Cinquièmement, enfin, des mesures en faveur de la création et de la rénovation des hébergements touristiques permettront de développer davantage l'activité touristique dans les zones rurales. Comme le ministre délégué au tourisme, Léon Bertrand, je suis particulièrement attaché au développement du tourisme rural qui, on peut le constater, rencontre de plus en plus les faveurs des Français.

Mesdames, messieurs les sénateurs, un grand nombre de ces décisions gouvernementales voient leurs transcriptions législatives à l'occasion du texte dont vous engagez aujourd'hui la discussion. Je voudrais m'arrêter sur deux d'entre elles qui me semblent particulièrement essentielles en termes d'aménagement du territoire : le soutien aux zones de revitalisation rurale et la présence territoriale des services publics.

La réforme du dispositif des zones de revitalisation rurale, les ZRR, s'imposait, puisque le système date déjà de presque dix ans. Le Gouvernement a donc souhaité aller au-delà d'une simple réactualisation et a voulu faire des ZRR un outil fort de nos politiques au sein des territoires en mettant en oeuvre les décisions du CIADT que je viens de citer.

De plus, afin de faciliter l'intercommunalité, si essentielle dans ces territoires plus fragiles, le Gouvernement a désormais souhaité inclure dans les critères d'éligibilité en ZRR l'appartenance à une structure de coopération intercommunale.

Enfin, le choix a été fait de maintenir un zonage fortement ciblé sur les territoires les plus fragiles, la population couverte passant de 4,5 millions d'habitants à près de 5 millions. « Qui trop embrasse mal étreint » dit la sagesse populaire.

La présence territoriale des services publics me semble également constituer un enjeu fort.

Dans le texte déposé devant le Parlement, le Gouvernement a proposé de simplifier le fonctionnement des maisons des services publics et d'élargir leur mission pour accueillir des activités plus diverses. Ces dispositions qui peuvent paraître modestes auront un effet réel. Pour conforter nos services publics, nous devons avant tout faire preuve d'imagination.

L'Assemblée nationale a souhaité ajouter des dispositions qui reflètent les questions, voire les inquiétudes, s'exprimant en matière d'implantation territoriale des services publics.

Le Gouvernement est parfaitement conscient de la nécessité de concilier l'adaptation rapide des services publics aux évolutions de ce monde et le dialogue sur le terrain afin d'éviter que des décisions, qui paraissent parfois guidées par des objectifs incertains, ne mettent en danger nos territoires.

Je ne vois pas là d'opposition frontale. L'objectif, dans tous les cas, j'y insiste, est l'efficacité du service pour nos concitoyens. Le dialogue et la souplesse de gestion sont deux moyens d'y parvenir.

Permettez-moi de vous faire part de mon optimisme. Je suis convaincu que nous allons trouver ensemble les moyens d'assurer à nos territoires ruraux un niveau de service public de grande qualité, accessible, diversifié et moderne.

Le Sénat, qui est le représentant des collectivités locales et est toujours très attentif à l'efficacité de la gestion publique, me semble constituer un lieu tout à fait adapté pour trouver cette solution. L'amendement visant à réécrire l'article 29 de la loi Pasqua, déposé par votre rapporteur, me conforte dans cet optimisme.

Je voudrais enfin vous parler d'urbanisme, plus particulièrement de montagne.

L'année dernière, grâce au travail du Parlement, notamment du Sénat, nous avons pu réformer la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains dont les rigidités excessives faisaient courir de graves dangers au monde rural. J'ai personnellement eu le plaisir d'assurer le service « après-vote » de cette loi, y compris dans les Vosges, monsieur le président, ...

M. le président. J'en témoigne ! (Sourires.)

M. Gilles de Robien, ministre. ... afin que ce texte entre en vigueur dans la réalité aussi vite que possible.

Le Gouvernement ne souhaite pas rouvrir un débat général sur l'urbanisme moins d'un an après cette importante réforme tant il est vrai que nous avons besoin de stabilité dans les règles d'urbanisme.

Pour autant, le Gouvernement n'est pas fermé à ce que des problèmes qui n'auraient pas trouvé leur solution puissent, le cas échéant, être corrigés. Je pense en particulier aux unités touristiques nouvelles, à la question des lacs de montagne, pour lesquels, je l'admets, la règle mérite d'être adaptée, car elle conduit parfois à des situations ubuesques, ou à la fameuse règle de « réciprocité » pour les distances minimales imposées entre l'exploitation agricole et les habitations.

Ces sujets ont fait l'objet d'un groupe de travail réunissant des parlementaires des deux chambres et des représentants du Gouvernement. Je crois que nous sommes maintenant arrivés dans presque tous les cas à une solution équilibrée et consensuelle.

Je tenais vraiment à en remercier l'ensemble des rapporteurs, et tout particulièrement Jean-Paul Emorine, dont je tiens à souligner le travail, sans oublier Pierre Jarlier, toujours présent sur ces sujets, comme sur bien d'autres, naturellement.

En associant Frédéric de Saint-Sernin, qui aura la charge de mener avec vous la discussion parlementaire sur chacun des articles ayant trait à l'aménagement du territoire, je tiens à vous redire l'attachement du Gouvernement à la prise en compte pleine et entière des forces et du dynamisme de l'espace rural.

L'espace rural a été trop souvent considéré comme un vide, un vide potentiel en tout cas. Or pour nous, l'espace rural, ce n'est pas le vide ; c'est, au contraire, un espace de vie, c'est la vie, et le Gouvernement fera tout pour conforter ces territoires. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat.

M. Xavier Bertrand, secrétaire d'Etat à l'assurance maladie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, messieurs les rapporteurs, les médecins, comme l'ensemble des professionnels de santé, sont parmi les premiers interlocuteurs des Français. Ils sont au coeur de notre vie quotidienne. Parce que leur rôle est essentiel, il est tout aussi essentiel qu'ils ne soient pas éloignés de ceux qui ont besoin de leur aide. La présence médicale est donc indéniablement liée à l'aménagement du territoire et au développement des territoires ruraux.

La responsabilité de l'Etat est de faire respecter ce principe de l'égalité d'accès aux soins pour tous.

C'est d'ailleurs un principe fondamental de l'évolution de la modernisation du système de santé à laquelle Philippe Douste-Blazy et moi-même travaillons avec l'ensemble du Gouvernement.

Pour réussir ce défi, nous pouvons nous appuyer sur les partenaires essentiels que sont les collectivités locales et les élus de ce pays. Ils ont la volonté d'agir, comme a pu en témoigner dernièrement un rapport parlementaire.

Quel est aujourd'hui le problème que nous devons résoudre ? Il nous faut faire face à la pénurie de professionnels de santé dans certains territoires et, de façon plus importante encore, au problème du manque de considération dont peuvent souffrir un certain nombre de « médecins de campagne », comme on les appelle.

Le décret du 18 janvier dernier a essayé d'y apporter une première réponse avec la création d'une spécialité de médecine générale. Il n'y aura donc plus, d'un côté, les spécialistes qui effectueraient les tâches nobles et, de l'autre, tous ceux qui pareraient au plus pressé. Cette séparation ayant été supprimée, il existera désormais des spécialistes en médecine générale. Il n'y aura plus davantage à distinguer ceux qui ont réussi l'internat des autres, qui resteraient généralistes par nécessité.

Une autre question nous est posée : pourquoi les jeunes médecins ne s'installent-ils plus à la campagne ? Le plus souvent, il faut bien le dire, c'est parce qu'ils savent qu'ils seront surchargés de travail, qu'en général ils ne trouveront personne pour les remplacer ou que, plus simplement, ils ont une image fausse, déformée, des zones rurales.

Il est donc essentiel d'agir sur la répartition des médecins en commençant par adopter des mesures vraiment incitatives.

Les incitations peuvent concerner les modalités de l'exercice professionnel en facilitant, par exemple, les remplacements - cela a déjà été entrepris - et en envisageant l'ouverture de cabinets secondaires.

Le Conseil de l'Ordre autorise d'ailleurs désormais l'exercice multisites. Prenons un exemple simple : si cinq médecins ouvraient demain un cabinet secondaire dans un bourg qui n'avait jusqu'alors pas de médecin et qu'ils acceptaient d' y travailler chacun une seule journée par semaine, une présence médicale se trouverait ainsi assurée là où elle n'existait pas auparavant.

Voilà un exemple d'initiative qu'il faudrait encourager. Je sais que beaucoup d'autres existent. C'est une affaire d'organisation, au coeur de la question qui nous est posée.

Quelles autres formes d'incitations sont envisageables? Elles peuvent, bien sûr, reposer sur des aides de l'Etat, des collectivités ou encore des caisses primaires d'assurance maladie. N'oublions pas que, dans ce domaine, c'est l'Etat qui finance l'aide à l'installation. D'un montant de 10 000 euros par an pendant cinq ans, elle est prévue dans certains périmètres définis. Cette mesure, qui rencontre d'ores et déjà un écho favorable, est appelée à un succès croissant si l'on en juge par de nombreux témoignages de terrain particulièrement réussis.

Le texte qui est vous est soumis aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, donne des compétences accrues aux collectivités locales. Il autorise en effet une aide supplémentaire qui peut prendre la forme d'une exonération de taxe professionnelle.

Les débats à l'Assemblée nationale ont permis d'étendre les capacités d'intervention des collectivités territoriales et de leurs groupements dans ce domaine puisqu'elles pourront désormais attribuer une indemnité d'étude aux étudiants en médecine prêts à exercer au moins cinq ans en zone déficitaire. De la même façon, les étudiants de troisième cycle de médecine générale qui effectuent leurs stages dans ces zones pourront percevoir de ces collectivités des indemnités de logement et de déplacement.

Les collectivités locales, dont la Haute Assemblée est le représentant naturel, sont des partenaires essentiels. Qu'elles financent les locaux d'une maison médicale de garde ou d'un cabinet secondaire n'est pas anormal. La présence d'un médecin et la permanence des soins participent en effet de l'aménagement du territoire et de l'accès aux services publics essentiels en contribuant au maintien de la population. Il en va de même pour les caisses d'assurance maladie qui doivent elles aussi s'investir et apporter leur contribution.

Ces dispositifs d'incitation accompagnent une rénovation de la permanence des soins dans notre pays.

Tout d'abord, ils permettent, par le biais des astreintes, une redéfinition des secteurs et une indemnisation. Ensuite, ils participent à une corégulation des centres 15 par les urgentistes travaillant avec les médecins libéraux. Je peux en témoigner au regard d'un déplacement que j'ai effectué cette semaine : la permanence des soins est un objectif à notre portée. C'est une question d'organisation, de volonté, et cette volonté est partagée par l'ensemble des acteurs.

Les maisons médicales de garde, enfin, fonctionnent très bien lorsque praticiens et collectivités s'engagent côte à côte. Les exemples de ce bon fonctionnement sont nombreux, et nous devons aider ces maisons à se multiplier.

En conclusion, je me permets d'insister sur deux points particuliers.

Premièrement, au chapitre III du titre III, ce texte comprend également des dispositions relatives à la santé publique vétérinaire en visant à étendre le dispositif à la protection des végétaux et à mettre en cohérence les nombreuses dispositions législatives consacrées à ces sujets.

C'est, en effet, par l'implication d'une grande variété d'acteurs locaux - exploitants agricoles, entreprises, laboratoires, vétérinaires, par exemple - qu'on peut escompter un dispositif national de surveillance et de contrôle dans les domaines de la santé publique vétérinaire et de la protection des végétaux à même de nous permettre de faire face le mieux possible aux éventuelles crises sanitaires.

Deuxièmement, j'insisterai maintenant sur la question de la liberté d'installation.

Notre système de santé est fondé sur le principe de liberté, principe auquel nous sommes toutes et tous particulièrement attachés. Dans le même temps, l'égal accès aux soins est au coeur de notre système de santé. Ce principe ne peut être virtuel, sous peine de déliter le caractère universel et solidaire de notre assurance maladie.

Partant de là, certains voudraient que l'on aille au-delà des incitations et que l'on ait recours aux contraintes.

Il serait regrettable d'être obligé d'en arriver là. J'ai confiance dans l'esprit de responsabilité des médecins. Il n'est pas question de remettre en cause le principe de la liberté d'installation sans avoir au préalable engagé une large concertation ni une évaluation des dispositifs d'incitation.

Ces sujets sont évidemment abordés dans le cadre des consultations que Philippe Douste-Blazy et moi-même avons entamées depuis maintenant trois semaines avec l'ensemble des acteurs de la santé et de l'assurance maladie. Les professionnels de santé que nous avons rencontrés ont envie de s'engager. Nous allons très prochainement pouvoir le constater.

Bien évidemment, tous les problèmes ne seront pas réglés demain comme par magie. En effet, vous le savez bien, il faut trois ans pour former une infirmière et dix ans pour former un médecin. C'est grâce à un texte tel celui que nous présentons aujourd'hui - préparé avec beaucoup d'énergie par M. le ministre de l'agriculture - que nous saurons anticiper les mesures nécessaires et que nous oeuvrerons à un rééquilibrage sanitaire entre les territoires, au bénéfice surtout des territoires ruraux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons que nous nous engageons dans une action soutenue et continue. Un système de santé de meilleure qualité pour tous, tel est l'objectif de notre action pour garantir l'avenir de l'assurance-maladie.

Le texte qui vous est présenté aujourd'hui s'inscrit résolument dans cette ambition, une noble ambition, une grande ambition pour notre système de santé et pour nos territoires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement, interviendra ce soir, à la reprise de nos travaux.

La parole à M. Jean-Paul Emorine, rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, dans son discours prononcé le 13 avril 2002 à Ussel, le Président de la République a entendu placer parmi ses principales ambitions, à l'aube de son deuxième mandat, le développement de l'espace rural, en particulier celui des territoires les plus fragiles, ce qui inclut notamment de nombreux territoires de moyenne montagne.

Le monde rural, soulignait-il, est « de plus en plus perçu par les Français comme une richesse, comme un facteur d'équilibre social et comme un lieu d'épanouissement ». Mais « le monde rural est aujourd'hui victime de la politique d'aménagement du territoire conduite ces dernières années. Une politique qui ignore la ruralité faute d'en comprendre la réalité ».

Le Président de la République déclarait encore que « construire une ruralité attractive et accueillante suppose d'abord d'apporter une réponse aux questions de la vie quotidienne : la santé, le logement, les services publics, l'éducation, la culture, la sécurité ».

Ce message a été entendu par le Premier ministre qui a mis en oeuvre un programme d'action pour le développement du monde rural.

Ce programme d'action a comporté deux volets.

Le premier, constitué de toute une série d'orientations et de mesures concrètes, a fait l'objet d'un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire le 3 septembre dernier - c'est ce que l'on a appelé le « CIADT rural ».

Le second, le volet législatif, est présenté dans le cadre du présent projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.

Ce texte, même s'il a été substantiellement enrichi par l'Assemblée nationale, ne se présente pas pour autant comme un point d'aboutissement. J'y vois, au contraire, un signal politique et un cadre général pour les actions présentes et futures.

C'est la première fois que, sur le plan législatif, ces territoires longtemps délaissés sont, en tant que tels, l'objet d'une approche globale qui se préoccupe de toutes ses composantes, notamment, comme le soulignait le Président de la République, de la santé, du logement, des services publics, de l'éducation et de la culture.

On a pu qualifier ce projet de loi de « composite ». La remarque n'est pas dépourvue de fondement. Pour votre rapporteur, ce caractère n'est toutefois que le reflet du caractère lui aussi très diversifié du monde rural et de ses exigences.

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux comporte, en ce qui le concerne, sept grands axes.

Premier axe, le « développement économique » de l'espace rural avec l'actualisation des zones de revitalisation rurale.

Le projet de loi vise à reconnaître notamment le fait intercommunal en présentant un nouveau périmètre, principalement fondé sur un critère d'appartenance à un EPCI, un établissement public de coopération intercommunale, à fiscalité propre pour les zones de revitalisation rurale.

S'agissant du dispositif des territoires ruraux de développement prioritaire, les TRDP, il sera maintenu jusqu'au 31 décembre 2006 et refondu ultérieurement pour tenir compte du nouveau zonage européen.

A l'intérieur de ces ZRR rénovées, le Gouvernement a entendu élargir le champ du volet fiscal du dispositif actuel.

Parmi les mesures en faveur de l'activité agricole, on évoquera d'ores et déjà diverses mesures de simplification en faveur des exploitations agricoles telles que l'exonération de cotisations sociales de la dotation aux jeunes agriculteurs, ainsi que l'assouplissement des pratiques d'assolement en commun. Sans doute peut-on regretter, à cet égard, que rien n'ait été prévu en faveur de la filière agro-alimentaire, débouché incontournable pour de si nombreuses productions agricoles.

M. René-Pierre Signé. C'est pour les aider à s'agrandir !

M. le président. Monsieur Signé, n'interrompez pas l'orateur ! Vous aurez la parole plus tard !

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur .J'en viens aux mesures en faveur du tourisme.

Il convient, d'une part, d'encourager « l'agritourisme », notamment par le développement de formations relatives à cette discipline dans les établissements d'enseignement agricole.

Le Gouvernement compte, d'autre part, lancer une mission d'expertise sur les caractéristiques et l'avenir de l'agritourisme.

Il importe aussi de favoriser les actions de développement touristique dans les zones de montagne à dominante forestière, zones dans lesquelles, de l'avis général, le patrimoine naturel très riche est insuffisamment valorisé.

Cette valorisation passe, notamment, par la rénovation du bâti ancien en tenant compte des exigences de qualité et de gestion durable.

Le projet de loi prévoit, sur ce point, toute une série de mesures visant à favoriser les groupements d'employeurs, la formation professionnelle des travailleurs saisonniers, le cumul en zone rurale des emplois publics et des emplois privés, enfin, l'amélioration du régime social des pluriactifs.

Le deuxième axe est le « meilleur partage des espaces périurbains » avec la création décentralisée de périmètres de protection et d'aménagement, les PPAEAN, en zone périurbaine pour préserver les espaces agricoles et naturels.

Le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, entend permettre au département - le projet de loi initial avait envisagé que ce soit la région - d'instituer, dans les zones périurbaines, de nouveaux périmètres à l'intérieur desquels il disposerait du droit de préemption et mettrait en place des programmes d'action afin de protéger les espaces agricoles et naturels.

Le troisième axe est la refonte de l'aménagement foncier dans les zones rurales

Le projet de loi prévoit, dans ses articles 22 A à 32, une modernisation des dispositions du code rural et du code forestier qui organisent l'aménagement foncier en zone rurale. Ces modifications sont parfois très techniques, mais reposent en réalité sur quelques grandes orientations, dont votre rapporteur tient à souligner la pertinence, notamment pour la protection de l'environnement.

Le projet de loi, dans la rédaction votée par l'Assemblée nationale, tire la conséquence des évolutions majeures de ces dernières années en matière d'organisation territoriale de la République. Il reflète en particulier la volonté décentralisatrice du Gouvernement en faisant désormais du conseil général le centre de la politique d'aménagement foncier.

Il importe de rester attentif à l'environnement. Les dispositions du projet de loi relatives à l'aménagement foncier reflètent la volonté du Gouvernement de concilier la rationalité économique de l'exploitation agricole et la protection de l'environnement, en particulier la préservation des paysages et leur diversité.

Le quatrième axe est une politique visant à renforcer l' « attractivité des territoires » avec des mesures en faveur du logement, des mesures visant à l'amélioration de l'accès aux services publics - sur ce point, le projet de loi permettra à des personnes privées de participer à la mise en place de maisons de services publics qui ont vocation à devenir de véritables maisons de services de proximité - et des mesures relatives à la présence d'un dispositif de santé en milieu rural.

Il est impératif d'encourager le maintien et, si possible, l'installation des professionnels de santé en milieu rural.

Le cinquième axe est le volet en faveur de la montagne.

Il s'agit, tout d'abord, d'actualiser la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne afin de prendre en considération la décentralisation et la diversité des territoires de montagne, tout en introduisant une exigence de développement durable de la montagne.

Afin de garantir une instruction plus rapide et une meilleure prise en compte des contraintes environnementales, le projet de loi organise et clarifie le régime d'autorisation des unités touristiques nouvelles, les UTN, qui régissent les aménagements touristiques en montagne.

En facilitant la faculté d'affecter la taxe de séjour perçue par les communes au projet de promotion du tourisme ou de protection des espaces mis en place par les intercommunalités, le Gouvernement entend encore favoriser la conduite de projets touristiques communs.

Le projet de loi prévoit, par ailleurs, la création d'un schéma stratégique pour les massifs tout en renforçant le rôle des comités de massifs. L'objectif est d'inciter les collectivités territoriales à s'organiser, dans le cadre d'ententes interdépartementales et interrégionales, afin de conduire des politiques territoriales intégrées.

Mon collègue Ladislas Poniatowski évoquera les volets concernant la chasse et les zones sensibles que sont les zones humides, qui constituent les sixième et septième axes du projet de loi.

La commission des affaires économiques vous proposera quelque cent vingt amendements - sur les huit cent cinquante amendements qui ont été déposés -, qui ont à ses yeux le mérite d'enrichir, de clarifier et de recentrer le projet de loi qui nous est soumis. Je vous suggérerai, par exemple, de favoriser le logement des apprentis en zone rurale. Je vous demanderai aussi de supprimer les dispositions qui apparaissent comme diluant l'effet des mesures proposées dans un zonage élargi à l'excès. Je souhaite surtout pérenniser le débat sur l'avenir du monde rural. Le projet de loi ne doit pas être sans lendemain, mais constituer, au contraire, un signal fort pour de nouveaux rendez vous.

Tel est l'objet de notre amendement qui organise, sur l'initiative du ministre en charge des affaires rurales, une conférence annuelle sur la ruralité qui réunirait les forces vives du monde rural afin d'évaluer les politiques poursuivies, de cerner les difficultés rencontrées, et de proposer, le cas échéant, des orientations nouvelles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, j'ai perdu mon ministre parti d'urgence à l'étranger, mais le Gouvernement demeure très bien représenté.

A la suite de mon collègue Jean-Paul Emorine, qui vous a présenté l'économie générale du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, je traiterai les dispositions du titre IV qui concernent, d'une part, la préservation, la restauration et la valorisation des zones humides et, d'autre part, la chasse.

S'agissant du volet relatif aux zones humides, je voudrais en préambule me féliciter de la méthode de travail adoptée qui permet d'aboutir à un texte très largement consensuel. En effet, les dispositions proposées sont le fruit de réunions de travail successives, qui ont associé les élus des zones concernées, les acteurs de terrain et l'administration ; elles répondent ainsi parfaitement aux besoins exprimés.

La préservation et la valorisation des zones humides s'inscrivent dans une stratégie ambitieuse de préservation de la biodiversité.

La France, qui a signé en 1971 la convention de Ramsar, relative aux zones humides d'importance internationale, se doit de respecter son engagement, d'autant que notre pays recèle une très grande diversité de zones humides. Je citerai bien évidemment les marais littoraux de l'Atlantique répartis sur plus de 300 000 hectares, les lagunes méditerranéennes, mais aussi les vallées alluviales ou encore les tourbières.

Au-delà de leur richesse biologique, les zones humides sont des éléments majeurs pour la gestion de l'eau. Mais ces zones d'une extrême fragilité sont gravement menacées par l'évolution des modes de production agricoles et l'urbanisation.

Comme Serge Lepeltier nous le rappelait tout à l'heure, en 1994, le rapport du préfet Paul Bernard mettait en évidence la régression continue des zones humides françaises qui ont perdu la moitié de leur superficie en une trentaine d'années.

Malgré le plan national d'action adopté en 1995, le mouvement de régression n'a pas été enrayé. C'est pourquoi les propositions formulées dans le projet de loi traduisent les trois objectifs fixés par le comité interministériel d'aménagement du territoire rural de septembre dernier.

Le premier objectif est de mieux identifier les zones humides et d'assurer la cohérence entre les divers domaines des politiques et des financements publics.

Le deuxième objectif est de créer les conditions d'un équilibre économique de ces espaces dans une logique de développement durable.

Le troisième objectif est d'aider à la structuration de la maîtrise d'ouvrage pouvant oeuvrer en faveur des zones humides.

Le dispositif du chapitre III consacré aux zones humides constitue une « boîte à outils » dans laquelle les acteurs locaux vont pouvoir choisir ce qui convient le mieux à leur situation.

Je souligne, pour m'en féliciter, que l'application de ces outils devra se faire en étroite concertation avec l'ensemble des acteurs locaux.

Ainsi, l'article 49 prévoit la délimitation de zones humides d'intérêt environnemental particulier, dans lesquelles un programme d'action pourra être défini par un comité local de gestion rassemblant tous les acteurs intéressés. Ce plan d'action définira les pratiques à promouvoir, voire à rendre obligatoires, ainsi que les aides éventuelles à mettre en oeuvre.

L'article 50 confie aux commissions locales le soin de délimiter, dans le cadre du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, le SAGE, les zones humides dites « stratégiques pour l'eau ».

Ces zones sont, en effet, indispensables à la préservation de la ressource en eau tant en quantité, pour limiter l'expansion des crues ou soutenir les étiages, qu'en qualité, grâce à leur rôle en matière d'épuration physique et biologique.

Pour préserver ce rôle, un régime de servitudes est instauré, qui reprend très exactement le dispositif adopté dans la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, pour les zones de rétention temporaire des eaux de crues et les zones de mobilité du lit mineur d'un cours d'eau.

L'article 51 autorise le Conservatoire du littoral, dans des conditions strictement encadrées, à intervenir sur les zones humides des départements côtiers. Il permet également aux collectivités territoriales et aux établissements publics de mettre des personnels à disposition du Conservatoire.

A cette occasion, j'ai longuement réfléchi au projet de réforme suggéré par le rapport de notre collègue Louis Le Pensec ; c'est la raison pour laquelle je regrette que le ministre de l'écologie ait dû nous quitter.

Ce rapport soulignait tout l'intérêt qu'il y aurait à créer des agences de rivage, sous forme d'établissements publics rattachés au Conservatoire, dans lesquelles les collectivités territoriales seraient impliquées à travers les conseils de rivage. C'était une bonne idée. Dès lors qu'on demandait plus aux collectivités territoriales, départements et régions, il était logique qu'on leur permette de siéger dans ces établissements et de veiller à la bonne utilisation des moyens que le Conservatoire mettrait à leur disposition.

Sur le principe, le précédent ministre en charge de l'environnement m'avait fait part de son accord total, soulignant néanmoins la nécessité d'expertiser le dispositif proposé et souhaitant pour cela que cette proposition s'intègre dans le futur projet de loi sur les espaces naturels.

C'est pourquoi, monsieur le ministre de l'agriculture, je vous saurais gré de bien vouloir transmettre ce message à votre collègue ministre de l'écologie afin qu'il nous dise ce qu'il compte faire, aujourd'hui, pour faire avancer ce dossier, compte tenu de l'intérêt de la mesure qui associe plus étroitement les collectivités territoriales à la politique du Conservatoire des espaces littoraux.

Enfin, s'agissant du volet relatif aux zones humides, je veux signaler l'article 53, qui modifie la fiscalité applicable aux zones humides et dont l'expertise a été confiée à la commission des finances. Ce dispositif, très attendu, vient corriger un effet pervers de la taxe foncière sur les propriétés non bâties en nature de prés ou de landes situées dans les zones humides.

Compte tenu du caractère très largement consensuel de ce dispositif législatif, je n'aurai que peu d'amendements à vous proposer, d'ailleurs de nature rédactionnelle ou de cohérence.

S'agissant du volet relatif à la chasse, ce texte s'inscrit dans la continuité du travail accompli par le Gouvernement depuis 2002, notamment grâce au dialogue constructif qui a été rétabli avec les chasseurs et aux réformes importantes adoptées, au niveau tant législatif que réglementaire. Je rappellerai la récente loi du 30 juillet 2003 relative à la chasse, qui a réformé les statuts des fédérations de chasseurs. Ce texte a notamment permis de replacer les fédérations dans un corpus de règles applicables aux associations, tout en conservant les indispensables spécificités découlant de leur participation à des missions de service public, comme l'indemnisation des dégâts de gibier.

Cette loi et les dispositions du projet de loi que nous allons examiner scellent le rétablissement d'un climat de concertation fructueux entre le monde de la chasse et l'administration.

Il reste, néanmoins, au ministre de tutelle à porter l'épineux dossier de la chasse aux oiseaux migrateurs pour lequel les contraintes communautaires sont fortes et incontournables.

Le choix opéré par le Gouvernement de fonder ses propositions de dates de chasse sur des critères scientifiques incontestables est excellent. Il reste à convaincre nos interlocuteurs que, sur ce fondement, nous pouvons adapter les périodes de chasse sans remettre en cause les principes communautaires.

L'intégration d'un volet chasse dans ce projet de loi reconnaît symboliquement, et je m'en félicite, le rôle incontournable de la chasse et des chasseurs dans l'aménagement des territoires ruraux, notamment en termes d'activité économique et d'emploi.

Trois sujets majeurs, que je souhaite rapidement évoquer, sont abordés dans ce texte.

Il s'agit d'abord de l'avenir de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, de son financement et de la composition de son conseil d'administration. Plusieurs articles du projet de loi renforcent les missions de l'Office et élargissent son champ d'intervention à la gestion des territoires ruraux. Cet établissement doit en effet évoluer pour devenir un pôle technique d'excellence pour tout ce qui concerne la technique, l'expérimentation, la modélisation de systèmes de production contribuant à la gestion et à la mise en valeur de la faune sauvage.

S'agissant du financement de l'ONCFS, l'article 55 ter amorce une évolution d'importance puisqu'il prévoit que l'Etat contribue aux missions d'intérêt général et d'intérêt patrimonial de l'établissement. Cela conforte la contribution de 2 millions d'euros apportée, pour la première fois, par l'Etat en 2004. C'est une première étape, mais il faudra aller plus loin pour clarifier les différents financements possibles. C'est à l'Etat qu'il revient de financer sur son budget les missions régaliennes exercées par l'Office et aux chasseurs de régler par la redevance les missions de l'établissement qui relève directement du domaine cynégétique. L'amendement que je présenterai sur ce sujet ne préfigure en aucun cas un éventuel démantèlement de l'Office, car je ne suis pas forcément favorable au rattachement des gardes à la gendarmerie ou à la police. Ces gardes peuvent rester à l'ONCFS, mais à la condition que leur financement soit en partie assuré par l'Etat.

S'agissant à très court terme de son équilibre budgétaire en 2005, puis du moyen terme, à travers le contrat d'objectifs en cours de réalisation, il est donc fondamental que l'Etat prenne un engagement financier conséquent et sans équivoque.

La situation financière de l'Office est très critique du fait de la baisse continue du produit des redevances, liée à la diminution du nombre des chasseurs et à l'accroissement des charges de l'établissement. Cet accroissement résulte tout à la fois de décisions politiques désastreuses de recrutements massifs et de titularisation dans la fonction publique de son personnel technique. Il est également dû aux nouvelles missions qui lui ont été confiées, s'agissant de la faune sauvage, tout cela sans juste contrepartie en termes de recettes.

Le sauvetage de l'Office ne peut pas passer par le déplafonnement des redevances cynégétiques - je démens formellement le bruit qui a circulé à cet égard -, qui pourrait avoir pour effet immédiat d'accélérer la diminution du nombre de chasseurs, en écartant les plus modestes d'entre eux, ce qui ne correspond en rien à notre tradition de chasse populaire.

Enfin, sur la composition du conseil d'administration de l'Office, qui fait l'objet de l'article 55 bis, je me félicite du resserrement de ce conseil et du rééquilibrage obtenu en faveur des chasseurs. Mais compte tenu de nos demandes concernant le financement de l'Office, je ne pense pas qu'il soit cohérent d'exiger dans le même temps que les chasseurs soient assurés d'avoir la majorité absolue au conseil. L'essentiel est ailleurs : il faut un projet d'établissement qui traduise les ambitions que nous avons pour l'Office et qui permette de rétablir des relations de confiance avec les fédérations.

A propos de l'article 55, qui donne un contenu législatif aux orientations régionales de gestion et de conservation de la faune sauvage et de ses habitats, je rappellerai que le Sénat, dont le vote avait été unanime, s'était opposé en vain à leur création.

Notre assemblée dénonçait, à travers ces documents pilotés par les DIREN, les directions régionales de l'environnement, la volonté du ministère de l'écologie de reprendre d'une main ce qu'il estimait avoir donné de l'autre, à travers les schémas départementaux de gestion cynégétique dont l'élaboration était confiée aux fédérations. Même si le lien juridique existant entre ces deux documents a été atténué par l'Assemblée nationale, je reste convaincu de la nécessité de les rendre plus indépendants l'un de l'autre, en réservant certains sujets à un échelon de concertation territorialement pertinent.

Enfin, en ce qui concerne l'épineuse question de l'équilibre agro-sylvo-cynégétique et de son corollaire, l'indemnisation des dégâts de gibiers, l'article 58 du projet de loi contient des propositions intéressantes, d'autant plus attendues que l'explosion des populations de sangliers et de cervidés constitue un problème majeur dans certaines parties de notre territoire. La courbe impressionnante du tableau de chasse national sanglier, l'importance des dégâts causés par ce grand gibier, qui dans certains départements sont plus de 200 fois supérieurs à la moyenne nationale, ainsi que la multiplication des accidents sur la voie publique du fait de la présence du grand gibier nous imposent de réagir sans tarder. Les dispositions relatives à l'obligation de prélèvement d'un minimum d'animaux inscrit dans les plans de chasse ou encore la responsabilisation des bénéficiaires de ces plans qui n'exécuteraient pas ces minima, tant pour participer à l'indemnisation des dégâts agricoles que pour prendre en charge des protections pour les peuplements forestiers, sont très satisfaisantes.

En revanche, je m'interroge sur les conséquences d'une définition de l'équilibre sylvo-cynégétique qui vise à permettre la régénération des habitats forestiers sans protection artificielle ou encore sur la possibilité reconnue au propriétaire forestier de demander réparation des dommages qu'il a subis au bénéficiaire d'un plan de chasse qui n'a pas respecté le prélèvement minimum fixé. Les amendements que je vous proposerai mettront l'accent sur la définition de l'équilibre sylvo-cynégétique inscrit dans le code forestier par la dernière loi d'orientation forestière que nous avons adoptée en 2001 ainsi que sur la prise en charge financière éventuelle des protections pour les plantations forestières. Cette solution me semble en effet meilleure que la reconnaissance d'un droit à réparation mal défini.

Ce projet de loi renforce aussi considérablement, sur ce sujet, le contenu du schéma départemental de gestion cynégétique, qui m'apparaît comme l'outil le plus pertinent, parce que le plus souple, pour établir enfin une vraie concertation avec toutes les parties intéressées - chasseurs, forestiers et agriculteurs - pour définir le contenu de cet équilibre sylvo-cynégétique à une échelle territoriale adaptée ou encore pour réglementer l'affouragement et l'agrainage.

L'Etat, à travers le préfet, qui approuve le schéma et doit en particulier vérifier la prise en compte par ce dernier de l'équilibre agro-sylvo-cynégétique, est le garant, en dernier ressort, du respect des différents intérêts en présence.

Son éventuelle mise en cause par un propriétaire forestier, même dans des conditions strictement encadrées, entraînera de facto une attention accrue de la part de l'autorité administrative, s'agissant du respect de cet équilibre, et c'est une très bonne chose.

A propos de l'ensemble des mesures relatives à la pratique de la chasse, j'ai privilégié, autant que possible, la responsabilisation des chasseurs plutôt que la défiance envers eux ou le choix de la facilité à travers la mise en place de régimes d'interdiction plus ou moins assortis de dérogations. Encore une fois, sachons faire confiance aux chasseurs, en premier lieu, et aux acteurs du monde rural et forestier associés à l'élaboration du schéma départemental de gestion cynégétique pour traiter des modes de chasse ou encore de questions relevant de l'éthique de la chasse.

J'aurai enfin des propositions à faire tendant à simplifier les règles applicables au transport, à la vente et au commerce du gibier, ou encore à reconnaître les établissements de chasse professionnelle.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à travers ce texte, la possibilité nous est donnée de dessiner le cadre d'une concertation constructive sur le rôle de la chasse dans l'animation et la mise en valeur de nos territoires ruraux, à travers l'entretien des écosystèmes, l'indispensable régulation de la faune sauvage, mais aussi les emplois directs et indirects créés ou maintenus.

Il nous vaut veiller à ce que cette concertation soit effective et que les intérêts des différentes parties en présence soient réellement pris en compte, ce qui n'était sans doute pas le cas jusqu'à présent dans certains territoires.

C'est à cette seule condition que la contribution indispensable de la chasse et des chasseurs à l'aménagement des territoires ruraux sera comprise et acceptée par tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Martin, rapporteur pour avis.

M. Pierre Martin, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des affaires culturelles a souhaité se saisir de trois séries de dispositions qui, portant respectivement sur le système éducatif en milieu rural, l'enseignement agricole, le patrimoine historique ou naturel, relèvent de son champ de compétences.

Les dispositions relatives au système scolaire en milieu rural ont été introduites par voie d'amendements lors des débats en séance publique à l'Assemblée nationale. Il s'agit de quatre mesures ponctuelles, qui doivent être analysées au regard des récentes évolutions de l'école rurale.

En effet, si les enjeux liés à la carte scolaire sont particulièrement sensibles dans les communes rurales, menacées, à chaque rentrée, par la fermeture d'une classe, d'une section ou d'une école, à défaut d'effectifs suffisants, nous devons soutenir et accompagner les efforts de restructuration du réseau scolaire entrepris ces dernières années pour offrir aux enfants et aux familles un enseignement de proximité, mais aussi, et avant tout, de qualité.

Le système éducatif rural a su s'adapter et se moderniser, notamment par le développement, sur l'initiative des acteurs locaux, des regroupements pédagogiques intercommunaux, qui se sont souvent révélés salutaires pour maintenir l'attractivité de nos communes et de nos écoles. A ce titre, le précédent ministre délégué à l'enseignement scolaire, M. Xavier Darcos, a lancé un plan visant à encourager la création de réseaux d'écoles.

De plus, la préparation de la carte scolaire dans le premier degré s'inscrit désormais dans un cadre renouvelé. Une circulaire parue en juillet 2003 recommande aux inspecteurs d'académie, chargés de la répartition des postes et des moyens, de privilégier la souplesse dans l'appréciation des situations locales. Les contraintes spécifiques liées à la ruralité sont au premier rang des critères à prendre en compte.

En outre, l'élaboration d'un schéma territorial, qui établit un inventaire de la situation scolaire du département, sert de base à l'inscription de la préparation de la carte scolaire dans une perspective pluriannuelle, permettant d'anticiper les évolutions.

En effet, les solutions uniformes ont montré leurs limites. La décision de moratoire prise en 1993 a produit des effets pervers et a freiné la modernisation du réseau scolaire rural. Par ailleurs, les décisions sont désormais renvoyées au plus près du terrain, pour laisser des marges d'adaptation en fonction des spécificités des territoires. Depuis la suppression, au début des années quatre-vingt, de la « grille Guichard », il n'existe plus de grille nationale fixant des seuils de référence pour l'ouverture et la fermeture des classes.

C'est pourquoi je vous proposerai, au nom de la commission des affaires culturelles, de supprimer l'article 1er undecies, qui prévoit que, dans les zones de revitalisation rurale, les seuils d'effectifs pour le maintien des classes en primaire, au collège et au lycée « devraient » être abaissés de 20 %. Cette disposition, de nature réglementaire, est en effet problématique. Par la rigidité qu'elle introduit, elle ne semble pas en mesure de satisfaire notre objectif, partagé, de maintenir un enseignement diversifié et de qualité en milieu rural. En effet, il peut arriver que, dans certains contextes particuliers, le maintien de classes soit justifié pour des effectifs bien en deçà de 20 % par rapport à la moyenne.

Toutefois, et comme le recommande très fortement la circulaire que j'évoquais pour le premier degré, il est impératif de renforcer le dialogue entre les partenaires de l'école. La concertation sur la préparation de la carte scolaire ne doit pas rester un face à face interne à l'éducation nationale. Les élus locaux et les parents, notamment, doivent être plus associés que ne le leur permettent les structures et procédures actuelles. En milieu rural plus qu'ailleurs, ce sont des acteurs à part entière du système éducatif, impliqués dans son fonctionnement et son financement.

Telle est la finalité de l'article 1er duodecies, qui vise à renforcer la concertation entre tous les partenaires locaux sur la carte des formations du second degré. La diversité et la qualité des options et sections professionnelles offertes à nos jeunes dans les lycées participent en effet à la politique de développement économique des territoires et doivent répondre, notamment, aux besoins de l'emploi local.

L'adoption de cette disposition, dont je vous proposerai une rédaction plus précise, revêt une dimension incitative. Comme en témoignent les dysfonctionnements des structures précédemment mises en place, l'instauration d'une véritable concertation constructive repose avant tout sur la volonté commune d'avancer ensemble par le dialogue, dans l'intérêt des enfants.

L'Assemblée nationale a par ailleurs introduit dans le présent projet de loi, à l'article 11 C, une disposition relative à l'inscription scolaire des enfants de travailleurs saisonniers. Elle s'inscrit dans la même logique que les mesures existantes concernant les enfants des gens du voyage.

Le droit qui leur est ainsi ouvert de faire inscrire leurs enfants, au choix, dans la commune de leur lieu de travail ou de résidence temporaire ou permanente répond au souci de prendre en compte les contraintes spécifiques que rencontrent les saisonniers, par exemple lorsqu'ils travaillent dans les stations de montagne mais se logent en vallée, où les possibilités de logement leur sont plus accessibles.

Mais cette mesure doit s'accompagner d'une réflexion plus approfondie, visant notamment à établir un recensement des flux, afin de s'assurer de capacités d'accueil suffisantes dans les écoles des communes concernées, de veiller au suivi scolaire des enfants, ou encore d'améliorer le système de répartition intercommunale des charges entre commune d'accueil et commune de résidence.

La commission des affaires culturelles a enfin considéré avec intérêt l'article 66 bis qui, dans la même logique que les dispositions concernant l'enseignement agricole que je vous présenterai ensuite, vise à favoriser l'ouverture des établissements scolaires ruraux sur leur environnement.

Dans les zones isolées, il est en effet légitime, dans l'intérêt général et en vue de valoriser les investissements éducatifs consentis par les collectivités territoriales, que les ressources mises à disposition des élèves - équipements informatiques ou sportifs, bibliothèques ou centres de documentation - puissent profiter à l'ensemble de la population en dehors des heures de classe. De nombreux établissements contribuent d'ores et déjà, de cette façon, au désenclavement numérique et culturel des zones rurales isolées. Afin d'inscrire cette mesure dans un cadre plus normatif, en matière de règles de sécurité et de prise en charge des responsabilités notamment, je vous proposerai de la mettre en cohérence avec le régime existant pour l'utilisation des locaux scolaires.

Les dispositions du projet de loi concernant l'enseignement agricole, ensuite, visent à valoriser l'action des établissements d'enseignement et de formation professionnelle agricoles dans l'animation de leurs territoires.

Je ne peux que saluer cette démarche puisque quelque 850 établissements, implantés pour la moitié dans des communes de moins de 3 000 habitants, représentent une chance et un atout pour les acteurs locaux et les collectivités manquant de moyens et de compétences, particulièrement dans les zones enclavées.

Il faut rappeler que la mission première de ces établissements est d'enseigner et de former les jeunes et les adultes aux métiers agricoles au sens large, comprenant l'aménagement rural et les services qui y sont liés.

Il est intéressant de remarquer que la réussite de cet enseignement, que soulignent les premiers documents d'étape publiés par la commission Thélot sur l'avenir de l'école, est essentiellement basée sur la taille humaine des établissements.

Leur excellent maillage territorial a par ailleurs conduit le législateur à les investir d'un rôle beaucoup plus vaste. Les lois de 1984, qui fondent leur statut actuel, leur ont confié une mission d'animation du milieu rural, que le dispositif présenté aujourd'hui entend élargir au « développement des territoires ».

Certains établissements ont, par conséquent, déjà initié de nombreux partenariats qui concourent à la dynamisation de leurs territoires. On peut citer une convention culture-agriculture passée avec la DRAC, la direction des affaires culturelles, de nombreuses collaborations avec des musées de la région ou la mise en place de sites web.

Ces initiatives sont cependant restées disparates d'une région à l'autre, d'un établissement à l'autre.

L'élargissement de leurs missions, que propose le dispositif soumis à notre examen, ne doit pas rester uniquement formel : il s'agit de structurer les projets existants et d'encourager l'investissement des établissements dans le développement local.

Je suivrai avec attention, monsieur le ministre de l'agriculture, la mise en place du plan d'accompagnement mené par votre ministère, qui doit mobiliser l'ensemble des services des directions régionales de l'agriculture et de la forêt au service de cette ambition.

Vous nous avez en effet informés qu'un « coordinateur local » devait soutenir et assurer le suivi des partenariats mis en place entre les établissements d'enseignement agricole et les acteurs des territoires. Cette assistance des services déconcentrés de l'Etat me paraît tout à fait souhaitable et conditionne la réussite de la mise en oeuvre de ces partenariats.

Profitant de cette disposition concernant l'enseignement agricole, l'Assemblée nationale a introduit dans le projet de loi un certain nombre d'articles additionnels, devenus les articles 18 bis, 66 ter, 66 quater, 66 quinquies, 66 sexies et 66 septies du texte transmis au Sénat.

Le premier article vise à adapter à l'enseignement agricole le dispositif de recrutement des assistants d'éducation exerçant des missions d'aide à l'accueil et à l'intégration scolaires des élèves handicapés.

Le second précise les modalités de la participation des établissements au développement des territoires, notamment en rendant obligatoire l'élaboration d'un projet d'établissement qui devrait en définir les grandes lignes.

Par les articles 66 sexies et 66 septies introduits lors des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement nous demande d'adopter deux mesures de validation législative.

J'ai pu examiner avec la plus grande attention le dispositif proposé par ces deux articles grâce à la parfaite collaboration qui s'est instaurée avec vos services, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre. Il en ressort que l'intérêt général poursuivi par chacune des validations ne peut être mis en doute.

Afin d'éviter une éventuelle censure du Conseil constitutionnel, je vous proposerai néanmoins d'ajouter une phrase concernant les élèves des écoles vétérinaires nationales à l'article 66 sexies.

La commission des affaires culturelles soutient l'ambition du Gouvernement de faire des établissements locaux d'enseignement et de formation professionnelle agricoles de véritables relais de sa politique d'assistance des partenaires locaux dans la mise en oeuvre de leurs projets, au service de leurs territoires.

Il est également apparu qu'un problème récurrent fragilisait le fonctionnement des établissements d'enseignement agricole : les salariés des exploitations agricoles et des ateliers technologiques dont sont dotés ces établissements sont, en l'état actuel du droit, dans l'incertitude quant à leur statut.

Relèvent-ils des conventions collectives des métiers correspondants à leur secteur d'activité ou sont-ils soumis au droit public parce qu'ils participent à une mission d'intérêt général, à savoir la formation aux métiers de l'agriculture ?

Je vous proposerai de profiter de l'examen du présent texte pour lever cette ambiguïté, en précisant dans la loi qu'ils relèvent du droit privé, ce qui correspond en définitive à la réalité : en effet, ces ateliers et exploitations pédagogiques ont des modes de fonctionnement comparables à ceux des autres exploitations ou ateliers technologiques, sur les plans technique et économique.

J'ajouterai quelques mots sur les trois dispositions qui concernent la protection du patrimoine historique ou naturel.

La commission des affaires culturelles a examiné avec attention le dispositif de l'article 51 qui prévoit la possibilité d'étendre par arrêté préfectoral le champ d'intervention du Conservatoire du littoral aux zones humides des départements côtiers et, par dérogation et sous certaines conditions, aux zones humides situées dans un département limitrophe d'un département côtier.

Cette extension du champ d'intervention potentiel du Conservatoire du littoral est certes moins importante que celle prévue dans le projet de loi initial. Celle-ci portait en effet sur les zones humides des départements littoraux et aurait, par conséquent, concerné les zones humides non seulement des départements côtiers proprement dits mais aussi des dix-sept départements intérieurs comportant des plans d'eau de plus de 1 000 hectares.

Le risque de cette première rédaction trop ambitieuse était d'entraîner une importante dispersion de l'activité de l'établissement public, dont la vocation première, il faut le rappeler, est de mener une politique foncière de sauvegarde du littoral et de respect des sites naturels dans les contours côtiers, les communes riveraines des mers, des estuaires et des deltas.

Je me réjouis que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale reflète une position plus équilibrée et plus conforme à la vocation de l'établissement public. L'extension du champ d'intervention du Conservatoire du littoral qu'elle autorise n'en est pas moins potentiellement considérable dans la mesure où la superficie des zones humides des départements côtiers est évaluée par le ministère de l'écologie à 960 000 hectares.

Nous ne doutons ni de l'intérêt d'une meilleure préservation des zones humides ni du rôle positif que peut jouer le Conservatoire du littoral en ce domaine, mais nous souhaitons que les projets d'extension du champ d'intervention du Conservatoire aux zones humides soient examinés avec une certaine prudence, en prenant en compte les moyens relativement limités mis à la disposition de l'établissement public.

Sur ce point, j'ai relevé avec intérêt que le paragraphe III de l'article 51 autorise la mise à la disposition du Conservatoire du littoral d'agents de la fonction publique territoriale ainsi que d'agents contractuels d'établissements publics intervenant dans les zones humides. Cette disposition va dans le bon sens et il serait à l'avenir souhaitable, comme le demande le Conservatoire du littoral, d'aller plus loin et de renforcer les pouvoirs des conseils de rivages pour en faire de véritables établissements publics - des agences du littoral - susceptibles de travailler en réseau avec le Conservatoire.

Une autre piste de réflexion mérite à mon sens d'être creusée : le renforcement des interventions du Conservatoire du littoral dans les zones humides rend sans doute également nécessaire une diversification de ses modalités d'intervention.

La création de certaines formes de « servitudes environnementales » dont l'établissement public se porterait acquéreur pourrait constituer une alternative intéressante et permettre au Conservatoire du littoral d'exercer un contrôle a minima, financièrement moins lourd.

La commission des affaires culturelles ne vous proposera pas d'amendement tendant à la création d'agences du littoral ou à l'organisation de nouvelles formes de servitudes environnementales, car elle estime que leur plein succès suppose au préalable une étude et des concertations approfondies. Mais elle souhaite que ces pistes de réflexion puissent être examinées à l'occasion de la discussion d'un prochain projet de loi portant sur la protection du patrimoine naturel.

L'article 75 tend très opportunément à simplifier la gestion du domaine de Chambord par la création d'un établissement public industriel et commercial dénommé « Domaine national de Chambord ».

La gestion de ce château édifié par François Ier, qui comporte en outre un parc de plus de 5 000 hectares, une réserve de chasse et même un village dont l'Etat est propriétaire, est d'une complexité excessive dans la mesure où elle fait intervenir cinq ministères et trois établissements publics différents, sous la houlette d'un « commissaire à l'aménagement du domaine de Chambord ».

L'article 75 crée l'établissement public, définit ses organes de direction et ses ressources, lui affecte gratuitement les biens constitutifs du domaine, précise les modalités de gestion de la forêt, assurée en partenariat avec l'Office national des forêts, et assure la continuité d'emploi des personnels travaillant sur le domaine.

Les amendements que vous proposera la commission des affaires culturelles tendent à réparer certaines lacunes afin de permettre à l'établissement public, d'une part, d'organiser des concerts et des spectacles et, d'autre part, de recevoir des subventions des collectivités territoriales et d'autres établissements publics et privés, comme c'est le cas, par exemple, pour l'établissement public de Versailles.

Enfin, l'article 75 sexies porte création d'un Conseil national du littoral.

Contrairement à la montagne, qui dispose avec le Conseil national de la montagne d'une institution spécifique, le littoral relève actuellement de la compétence générale du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, le CNADT. Une commission du littoral a cependant été constituée en son sein en septembre 2000.

Cette commission, présidée par notre collègue Jean-Paul Alduy, s'est inquiétée de la croissance économique et touristique mal maîtrisée du littoral et de l'absence de politique globale.

Pour refonder la politique du littoral, elle a proposé, dans un rapport remis en juillet 2003, un certain nombre de mesures destinées à favoriser la mise en oeuvre d'un « nouveau contrat social » sur le littoral, parmi lesquelles figure la création d'un « Conseil national du littoral ».

Le dispositif, adopté par l'Assemblée nationale, apporte une réponse législative à cette demande, en s'inspirant étroitement des dispositions relatives au Conseil national de la montagne, figurant à l'article 6 de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite « loi montagne ».

Je vous proposerai quelques aménagements ponctuels à ce dispositif, dictés, d'une part, par le souci d'assurer une parité entre les élus, nationaux ou locaux, et les autres membres du conseil et, d'autre part, par celui de garantir la présence, en son sein, de représentants des établissements publics intéressés, comme le Conservatoire du littoral ou l'Institut français pour l'exploitation de la mer, l'IFREMER.

Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle vous soumettra, la commission des affaires culturelles vous proposera de donner un avis favorable aux dispositions dont elle s'est saisie pour avis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, tel que présenté en conseil des ministres le 3 septembre 2003, comportait 76 articles. Après son examen à l'Assemblée nationale, il en contient 182, soit plus du double. C'est dire à quel point ce sujet intéresse la représentation nationale.

Ce projet de loi est le premier texte législatif spécifiquement dédié à la ruralité. Il a pour ambition de replacer l'ensemble des territoires ruraux au coeur de la politique nationale d'aménagement du territoire. Je rappelle, à cet égard, que sa présentation en conseil des ministres a été suivie, le même jour, par un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, au cours duquel a été adopté un ensemble de mesures en faveur du monde rural.

Ce projet de loi poursuit trois objectifs principaux : premièrement, favoriser le développement économique des territoires, en améliorant leur attractivité ; deuxièmement, assurer l'égalité d'accès aux services aux publics dans les territoires ruraux ; troisièmement, protéger certains espaces ruraux spécifiques ou sensibles.

A cette fin, il a recours à divers instruments ayant une implication financière, ce qui a motivé la saisine pour avis de la commission des finances. Par conséquent, je bornerai mon intervention à l'analyse des dispositions ayant une implication directe sur les finances publiques.

Ainsi que cela a été dit, le premier objectif de ce projet de loi est de favoriser le développement économique des territoires, en améliorant leur attractivité. C'est pourquoi son titre Ier est consacré au développement des activités économiques dans les territoires ruraux, avec un volet relatif aux « zones de revitalisation rurale », les fameuses ZRR.

Ce volet comprenait initialement deux articles : l'article 1er, relatif au « nouveau zonage » des ZRR et l'article 2, permettant la création par les régions, dans les ZRR, de sociétés d'investissement pour le développement rural, les SIDER.

A ces deux articles, l'Assemblée nationale en a ajouté treize, parfois adoptés contre l'avis du Gouvernement.

Je souhaite ici insister particulièrement sur les zones de revitalisation rurale et souligner la complexité du dispositif. Je vous rappelle, mes chers collègues, que ces zones ont été créées par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, dite « loi Pasqua ». Celle-ci distingue deux zonages : d'abord, les territoires ruraux de développement prioritaire, les TRDP, qui comprennent environ 12 millions d'habitants et, ensuite, au sein de cet ensemble, un sous-ensemble, composé des ZRR, lesquelles comprennent les territoires les plus en difficulté et représentent environ 4,5 millions d'habitants.

Ces deux systèmes sont passablement subtils, puisqu'ils comprennent, à eux deux, pas moins de dix-sept exonérations fiscales, ainsi que deux exonérations sociales. Il est d'autant plus difficile de présenter une vision claire du dispositif qu'il n'existe pas, pour le moment, d'évaluation du montant de la plupart de ces exonérations.

Cependant, pour schématiser, on peut retenir certains enseignements.

Premier enseignement : les exonérations en TRDP, c'est-à-dire le plus vaste ensemble, de nature essentiellement fiscale, s'élèveraient à environ 200 millions d'euros, mais à condition d'y inclure certaines exonérations qui s'appliquent également dans les zones de redynamisation urbaine et qui, selon un rapport remis en mai 2003 par trois corps d'inspection, ne peuvent actuellement pas faire l'objet d'une ventilation entre les TRDP et les zones de redynamisation urbaine. Ainsi, en réalité, le montant de ces exonérations en faveur des TRDP serait un peu plus faible.

Second enseignement : par rapport à ce dispositif, les ZRR présenteraient un avantage comparatif plus réduit, consistant essentiellement en une exonération de taxe professionnelle de cinq ans compensée par l'Etat, qui s'est élevée à 15 millions d'euros en 2002. En effet, les exonérations sociales en vigueur en ZRR ont perdu la quasi-totalité de leur intérêt depuis la mise en oeuvre de la politique nationale d'exonération des cotisations sociales patronales. De fait, le système, jadis restreint aux ZRR, est devenu général.

C'est pourquoi certains de nos collègues, à commencer par le président du Sénat, M. Christian Poncelet, dans une proposition de loi du 24 juillet 2003, ainsi que M. Roger Besse, dans son rapport spécial sur les crédits de l'aménagement du territoire pour 2004, ont suggéré la mise en place de véritables « zones franches rurales », sur le modèle des zones franches urbaines. Il est vrai qu'un tel dispositif serait fortement limité par le droit communautaire, qui oblige à respecter divers plafonds d'aide. Cependant, il me semble, comme à nombre de mes collègues, qu'il aurait peut-être été possible d'aller plus loin, dans le sens de cette proposition de loi.

En outre, le projet de loi propose également de modifier à la marge le dispositif actuel des zones de redynamisation rurale. Une modification du zonage est ainsi envisagée. En effet, actuellement, les ZRR se définissent comme des zones de TRDP, répondant à certains critères. Il vous est proposé de conserver ces critères, le plus souvent démographiques, en remplaçant l'exigence d'appartenance à un TRDP par celle d'appartenance à un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, à fiscalité propre.

Ces règles n'entreraient en vigueur qu'à compter du 1er janvier 2007. Les communes en ZRR devront donc, d'ici là, adhérer à un EPCI à fiscalité propre pour tirer profit de la loi.

Le système TRDP resterait en vigueur, mais il n'a aujourd'hui plus guère de sens dans la mesure où il repose sur l'ancien zonage communautaire, dit « 5 b », relatif au développement des zones rurales, qui a disparu aujourd'hui. C'est pourquoi il est envisagé, sans que cela soit indiqué dans le projet de loi, de le réformer à l'horizon 2006.

La principale des autres réformes des ZRR, proposées dans ce projet de loi, est la possibilité, pour les régions, de créer, dans les ZRR, des sociétés d'investissement pour le développement rural, les SIDER, sur le modèle des sociétés d'investissement régional, les SIR. La souscription au capital de ces sociétés bénéficierait d'un régime d'amortissement exceptionnel, dont le coût annuel, pour l'Etat, est évalué à 16,6 millions d'euros.

Par ailleurs, le texte adopté par l'Assemblée nationale comprend plusieurs articles additionnels, qui modifient les exonérations fiscales en vigueur dans les ZRR. Ces mesures sont détaillées dans mon rapport écrit. Celles qui ont été adoptées sur l'initiative du Gouvernement représenteraient un coût annuel, pour l'Etat, de l'ordre de 18,5 millions d'euros.

Je voudrais aborder à présent la question du soutien aux activités agricoles. En effet, le présent projet de loi contient également des dispositions fiscales et financières plus spécifiquement dédiées à cet objectif. Il en est une, monsieur le ministre, à laquelle je suis particulièrement favorable et qui me semble constituer une véritable innovation : il s'agit de l'article 4.

En effet, cet article prévoit, d'une part, un aménagement des deux dispositifs de déduction fiscale existant en agriculture, à savoir la déduction pour investissement et la déduction pour aléas d'exploitation, afin de faciliter la transmission des exploitations concernées. D'autre part, il permet d'exclure de l'assiette des revenus servant de base au calcul des cotisations sociales agricoles la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs, ainsi que les indemnités d'abattage attribuées aux éleveurs touchés par l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB. Il s'agit d'une mesure particulièrement attendue par les exploitants agricoles. Afin de préciser les conditions d'application de cet article, je vous proposerai un amendement, certes de nature rédactionnelle, mais, à mon sens, tout à fait indispensable.

Par ailleurs, je souhaite également évoquer l'article 10 du projet de loi, qui prévoit une harmonisation du statut économique et fiscal des entreprises équestres. Cette réforme avait déjà été engagée, sur l'initiative de la commission des finances de la Haute Assemblée, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004. Le présent projet de loi permet de finaliser cette réforme. Je vous proposerai toutefois un amendement permettant de tenir compte du dispositif de compensation aux collectivités territoriales, voté en loi de finances initiale pour 2004.

Enfin, je mentionne également, pour mémoire, toujours dans le domaine économique, les articles 12 et 12 bis, visant à assouplir les règles régissant les groupements d'employeurs, ainsi que celles régissant les dispositions fiscales favorables à la rénovation du patrimoine rural bâti en ZRR.

J'en viens maintenant au second volet de mon intervention : ce projet de loi vise à garantir une meilleure offre de services aux populations.

En effet, dans le but d'offrir aux familles désirant s'installer en zone rurale l'intégralité des services aux publics auxquels elles peuvent prétendre, le présent projet de loi contient notamment des mesures d'incitation à l'installation des professionnels de santé en zone rurale.

Ainsi, l'article 38 vise à permettre aux collectivités territoriales, ainsi qu'à leurs groupements, d'attribuer des aides destinées à favoriser l'installation ou le maintien de professionnels de santé dans les zones où est constaté un déficit en matière d'offre de soins.

L'article 40 propose d'étendre aux vétérinaires l'exonération facultative de taxe professionnelle s'appliquant actuellement aux médecins et auxiliaires médicaux s'installant en zone rurale, et d'en assouplir le régime.

Enfin, je terminerai en évoquant le troisième objectif du présent projet de loi, la préservation des espaces ruraux spécifiques ou sensibles.

Ce texte propose d'instaurer des mesures spécifiques, destinées à la préservation des territoires les plus fragiles. Je me suis particulièrement intéressé, avec la commission des finances, aux dispositions fiscales en faveur de la restructuration et de la gestion durable des forêts privées. En effet, c'est notamment grâce à la commission des finances du Sénat que la loi d'orientation sur la forêt du 9 juillet 2001 avait permis la mise en place d'un véritable encouragement fiscal à l'investissement en forêt privée. Le présent projet de loi propose d'assouplir l'application de ce dispositif en zones de montagne, ainsi que de proroger l'application de l'exonération des droits de mutation à titre onéreux lors de l'acquisition de parcelles forestières ou de terrains nus destinés à être boisés.

M. le président. Dans le cadre du plan !

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Oui. Je citerai également la présence, dans ce texte, de mesures fiscales en faveur des espaces pastoraux ou des zones humides, ainsi que la possibilité, pour les communes de montagne, de reverser la taxe de séjour à des EPCI à fiscalité propre.

Enfin, il faut noter la création d'instruments financiers destinés à mieux prendre en compte la spécificité de certaines activités ou de certains territoires ruraux. Je citerai notamment la création de deux établissements publics industriels et commerciaux, en partie subventionnés par des fonds publics : d'abord, le domaine national de Chambord, dont la mise en place correspond d'ailleurs à un souhait formulé par notre collègue Yann Gaillard, rapporteur spécial des crédits de la culture, dans son rapport d'information sur le patrimoine monumental, ainsi que l'Agence française d'information et de communication agricole et rurale, sur l'utilité de laquelle la commission des finances demeure dubitative.

Dans l'ensemble, ce texte, d'une nature très hétérogène, permet de tenir compte de l'évolution des territoires ruraux et de la diversification de leurs fonctions au cours du temps, notamment depuis le début des années soixante. La France se distingue aujourd'hui, parmi ses partenaires européens historiques, par son empreinte rurale forte.

Toutefois, force est de constater que certaines zones rurales ont su tirer parti de nouvelles dynamiques, tandis que d'autres se sont enfoncées dans l'isolement. Il était temps de pouvoir rééquilibrer l'espace territorial national et d'offrir une chance aux territoires les plus marginalisés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 164 minutes ;

Groupe socialiste, 89 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 32 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Jarlier.

M. Pierre Jarlier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous attendions ce texte depuis longtemps. Il est vrai qu'il suscite beaucoup d'espoirs dans nos campagnes.

Chacun en a sa propre lecture, bien entendu, dictée par ses sensibilités, mais une chose est sûre : il est le bienvenu après presque dix ans d'attente des textes qui devaient compléter la loi fondatrice d'aménagement du territoire de 1995.

C'est un sujet complexe, car la ruralité est, certes, une entité, mais elle est composée de territoires diversifiés qui vivent des situations très différentes et dont les problématiques relèvent d'une approche interministérielle.

C'est cette approche que vous avez privilégiée, monsieur le ministre, en vous appuyant sur les contributions de plusieurs ministères, mais aussi sur une large concertation que je tiens à saluer ici.

C'est bien cette approche qui peut apporter des réponses adaptées à la multitude des sujets qui nécessitent, aujourd'hui, de nouvelles dispositions législatives.

C'est peut-être aussi ce qui rend plus difficile la lisibilité de ce texte.

Notre monde rural est en pleine mutation : depuis les nouveaux ruraux, que l'on appelle maintenant les « rurbains », de plus en plus nombreux, à certaines familles isolées, menacées par une véritable fracture territoriale, notre société se doit désormais de s'adapter à cette évolution en proposant un nouveau pacte de développement équitable pour tous ces territoires.

Ce qui est en jeu, au fond, dans ce projet de loi, c'est l'équilibre de notre organisation territoriale « ville-campagne », et donc aussi, d'une certaine façon, notre cohésion sociale nationale.

N'oublions pas, en effet, que si plus de la moitié des communes rurales ont gagné près de 250 000 habitants depuis 1990, a contrario, 8 000 autres communes n'ont pas eu cette chance, et la plupart d'entre elles doivent faire face à la désertification, à la déprise agricole, voire à l'isolement, notamment en montagne.

C'est précisément sur ces territoires en difficulté que la solidarité nationale doit porter, avant qu'il ne soit trop tard. Et le temps presse.

Je concentrerai donc mon propos, en premier lieu, sur les mesures majeures de soutien en faveur de ces secteurs - développement, logement, services publics - et, en second lieu - je ne surprendrai personne -, sur les mesures spécifiques aux zones de montagne.

Avec ce texte riche de 177 articles après la première lecture à l'Assemblée nationale, vous proposez, monsieur le ministre, de donner un nouvel élan aux zones de revitalisation rurale en complément des mesures déjà adoptées par le Gouvernement lors du CIADT de septembre 2003.

C'est un signe fort, car la poursuite et le renforcement des mesures gouvernementales en faveur de ces territoires en difficulté est de nature à relancer les initiatives de développement.

L'actualisation des périmètres des ZRR, pour tenir compte du développement des établissements de coopération intercommunale, tout en conservant, dans l'esprit, le zonage né en 1995, qui englobe environ 4,5 millions d'habitants, permet un ciblage efficace des mesures.

Néanmoins se pose la question de l'intégration indispensable des bourgs centres de ces intercommunalités dans le dispositif.

En effet, ils constituent souvent des pôles de résistance à la désertification et méritent donc d'être soutenus au même titre que les communes qui les entourent. Le seul critère de 50 % de la population incluse en ZRR, pour intégrer l'ensemble d'une intercommunalité, pourrait être adapté pour affirmer cela.

Toutefois, le facteur de développement le plus important, sur ces zones rurales en difficulté, est bien l'emploi, car l'enjeu est de compenser les pertes d'emplois agricoles par de nouveaux emplois industriels, artisanaux ou de services.

Déjà, des avancées significatives ont été obtenues à l'Assemblée nationale en matière d'incitation à l'installation d'entreprises artisanales, commerciales ou libérales. Dans le même sens, une exonération des charges patronales pendant cinq ans, comme pour les zones franches urbaines, serait de nature à inciter fortement à la création de nouveaux emplois.

Cette mesure serait aussi un gage de traitement équitable, de la part du Gouvernement, entre les quartiers en difficulté des villes et les zones rurales en voie de désertification.

Enfin, l'affirmation, par le Gouvernement, du maintien du dispositif des ZRR au sein des territoires ruraux de développement prioritaire, sans doute revu au moins jusqu'en 2009, serait aussi de nature à inscrire la plupart des mesures du projet de loi dans la durée, et en renforcerait ainsi la portée.

S'agissant du logement, le développement de l'offre locative est incontestablement un levier favorable non seulement à l'accueil de nouvelles populations, mais aussi à la rénovation du patrimoine rural, souvent inutilisé en raison des nouvelles contraintes des exploitations agricoles.

Les dispositions d'incitation fiscale proposées dans ce texte, notamment pour les logements qui bénéficient des aides de l'ANAH, l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, et la facilitation du changement de destination des locaux devraient favoriser la création de nouveaux logements.

Néanmoins, subsiste actuellement un frein prohibitif à ce dispositif : l'interprétation restrictive de la notion de réhabilitation par l'administration fiscale, qui assimile ces travaux à des constructions neuves et leur applique ainsi un taux de TVA de 19,6 %.

Ce traitement discriminatoire par rapport au taux de 5,5 % appliqué aux travaux de rénovation dissuade les porteurs de projets de se lancer dans de telles opérations, et ce avec une double conséquence négative : le patrimoine continue à se dégrader et l'offre locative, déjà rare en milieu rural, reste insuffisante.

Je souhaiterais aussi appeler l'attention du Gouvernement sur l'insuffisance avérée des crédits de l'ANAH, qui ne permettent pas de répondre au financement des nombreux projets en attente.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

M. Pierre Jarlier. De ce fait, les OPAH, pourtant clairement affichées dans ce texte comme des leviers indispensables au développement de l'offre locative en milieu rural, ne peuvent se mettre en place sur le terrain, faute de crédits.

La même remarque peut être faite pour la répartition des crédits HLM, car, nous le savons bien, dans les secteurs à faible PIB, la demande en logement social est plus forte, et, là aussi, les projets en attente de financement sont nombreux.

Concernant les services publics, là également, vous ne l'ignorez pas, les attentes du monde rural sont fortes.

Grâce à la mise en place des maisons de services publics et des partenariats entre le public et le privé  intégrés dans ce texte, des solutions innovantes seront désormais possibles.

Cependant, c'est un sujet qui mérite que l'on aille plus loin, car une réelle concertation entre l'Etat et les collectivités doit s'engager dans l'organisation territoriale des services publics, notamment au sein des commissions départementales des services publics, qui, il faut bien le dire, restent virtuelles dans de nombreux départements.

Il faut, en effet, sortir du « fait accompli » subi chaque année par les élus quand on leur annonce ici la fermeture de l'école, là celle de la trésorerie, pour ne citer que ces deux exemples.

Les établissements publics de coopération intercommunale s'engagent dans des projets de territoire qu'ils contractualisent sur trois ans avec les régions et les départements, dans des démarches de développement très volontaristes.

Pourquoi ne pas associer l'Etat à la mise au point non seulement de l'adaptation, certes nécessaire, mais aussi d'une organisation territoriale de ces services publics pour la durée de ces contrats ?

Cette nouvelle approche concertée, fondée sur un vrai partenariat, serait de nature à sceller un nouveau contrat de confiance entre l'Etat et les collectivités.

Toutes les organisations nationales représentatives des collectivités urbaines, rurales ou de montagne, revendiquent aujourd'hui ce nouveau contrat de confiance.

Elles l'ont exprimé clairement, d'ailleurs, dans un manifeste commun qu'elles ont signé ici au Sénat, voilà quelques jours, sous la présidence de M. Christian Poncelet.

Quant au chapitre consacré à la montagne, qui a pris sa place dans ce texte de loi sur votre proposition, monsieur le ministre, nous y sommes ici très sensibles, car, vous le savez, le Sénat a été au tout premier plan des réflexions et propositions à ce sujet , et ce sous l'impulsion de son président : tout d'abord avec la mobilisation du groupe « montagne », sur l'initiative d'une mission d'information conduite par nos collègues Jacques Blanc et Jean-Paul Amoudry, puis lors d'un débat public organisé à cette tribune, en votre présence, enfin, avec une proposition de loi, préparée en collaboration avec l'Association nationale des élus de la montagne, l'ANEM, signée par des parlementaires de toutes les sensibilités, ici comme à l'Assemblée nationale, et dont le premier signataire au Sénat est M. Christian Poncelet.

Nous sommes donc très attentifs aux évolutions législatives de la loi montagne de 1985, qui, si elle doit rester le fondement de la politique de la montagne, doit désormais être modernisée pour s'adapter à l'évolution de nos institutions, aux nouvelles attentes de notre société et au nécessaire équilibre entre protection et développement.

« Un nouveau souffle pour la montagne » : tel était le souhait du Premier ministre, à Gap, voilà deux ans, lors du congrès de l'Association nationale des élus de montagne.

Nous souhaitons, monsieur le ministre, que ce nouveau souffle s'intègre pleinement dans ce texte.

Déjà, des avancées significatives sont à souligner dans les domaines de la pluriactivité, de la gestion de l'espace, des délégations de service public ou du pastoralisme, tout comme du renforcement des politiques de massif ou encore de la simplification de certaines procédures d'unités touristiques nouvelles.

Toutefois, de nombreux sujets restent en discussion : l'agriculture de montagne, pour laquelle vous avez déjà obtenu des mesures concrètes sur les plans national et européen, dont les produits doivent pouvoir bénéficier d'une dénomination montagne associée à leur qualité ; les programmes de dépollution des exploitations, qui ne doivent pas être exclus du champ des aides des agences de l'eau pour ne pas pénaliser les agriculteurs de leur bonne conduite environnementale ; l'urbanisme, bien entendu, qui, après de nettes améliorations apportées par la loi relative à l'urbanisme et à l'habitat, sous la conduite de Gilles de Robien, nécessite encore quelques adaptations, notamment aux abords des lacs - ces dispositions ont été mises au point grâce au groupe de travail que vous avez constitué à la suite de la première lecture à l'Assemblée nationale, et feront l'objet d'amendements ici ; enfin, la gestion concertée entre l'Etat et les collectivités des espaces naturels montagnards.

Vous savez que la directive Natura 2000 est un sujet sensible : elle doit faire l'objet d'une meilleure information préalable des élus.

Tous ces exemples font l'objet d'attentes fortes des montagnards. Nous espérons qu'ils retiendront votre attention et celle du Gouvernement dans ce débat.

Je ne peux terminer ce propos sans évoquer les moyens nécessaires à la mise en oeuvre d'une forte solidarité en faveur des collectivités rurales en difficulté, en particulier la péréquation, car elle est le « nerf de la guerre ».

Il faut le dire : le niveau de cette péréquation a augmenté ces dernières années. C'est une réalité.

J'en veux pour preuve deux exemples : la dotation de fonctionnement minimum des départements en difficulté est passée de 90 millions d'euros en 1995 à 165 millions d'euros en 2003, et la dotation de solidarité rurale, la DSR, a doublé depuis 1995, pour atteindre 407 millions d'euros en 2003.

Beaucoup d'élus s'interrogent aujourd'hui sur la pérennité de cette solidarité nationale dans la réforme en cours de nos finances locales.

Les dispositions concrètes, dans ce domaine, seront arrêtées dans un autre projet de loi ; mais affirmer ici une volonté de solidarité nationale pour lutter efficacement contre la fracture territoriale sera un signe fort en direction des nos territoires les plus fragiles.

Pour conclure, monsieur le ministre, je tiens à souligner que c'est la première fois qu'un gouvernement consacre un texte de loi exclusivement à la ruralité. Sous votre impulsion, des avancées significatives pour le monde rural ont déjà été obtenues, malgré un contexte budgétaire extrêmement tendu.

Nous attendons maintenant un débat ouvert et constructif pour enrichir encore ce texte. Vous pourrez compter sur notre soutien pour cela. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux a au moins une qualité, celle de s'intéresser aux problèmes multiples de la ruralité, qui a tant évolué sous nos yeux, depuis les années cinquante, que parfois les ruraux eux-mêmes n'en ont pas pris conscience.

Les récentes crises sanitaires, les crises chroniques des cours agricoles, les bas salaires, les conflits entre écologistes et chasseurs, les différends entre ruraux, néo-ruraux et urbains, la pression foncière créée par l'arrivée massive de ressortissants communautaires qui viennent vivre dans nos territoires ruraux, oui, tous ces éléments non exhaustifs ont contribué à cette récente prise de conscience que la ruralité était en danger.

Elle est en danger de perdre son «coeur battant », l'agriculture, aux dépens d'une politique agricole commune néfaste et d'une Organisation mondiale du commerce qui privilégient le tout libéral et sacrifient nos agriculteurs au nom des prix mondiaux, des importations abusives et du racket organisé de la grande distribution, en danger de devenir la cour de récréation des urbains et des néo-ruraux, l'exutoire des malaises créés par les multiples insuffisances de la vie urbaine, en danger d'être, pour certains, un sanctuaire, une réserve pour la flore et la faune où l'homme n'aurait plus sa place.

Si l'on souhaite mieux appréhender cette notion de ruralité, il faut prendre en compte les différentes fonctions assignées aujourd'hui aux espaces ruraux, l'équilibre à établir entre ces différentes fonctions, et donc la place assignée aux hommes dans le monde rural.

Il est possible de distinguer trois fonctions principales à la ruralité : la campagne-ressource, la campagne-cadre de vie et la campagne-nature.

Premièrement, la campagne-ressource met en avant les usages productifs de l'espace rural entendu comme le support d'activités économiques : lieu de production de richesses - idée qu'il faut relativiser -, ressource humaine de main-d'oeuvre, abondance des sols.

Deuxièmement, la campagne-cadre de vie recouvre les usages résidentiels et récréatifs de l'espace rural. En 2000, les espaces ruraux ont accueilli 40 % de touristes et 320 millions de nuitées.

Le paysage, le calme, l'environnement du lieu de vie sont considérés comme des biens collectifs. Cela se traduit par l'envie et l'ambition de « vivre à la fois à la ville et à la campagne », ce qui témoigne de l'évolution des modes de vie.

Une majorité de Français associe à l'espace rural la campagne, les champs, la végétation, le calme, le silence et la tranquillité ; 10 % seulement y associent l'agriculture et le travail agricole.

Troisièmement enfin, la campagne-nature fait appel à une vision de la nature incluant ses ressources - eau, sol, biodiversité... -, ses fonctionnements - cycle de l'eau... - et ses fonctions de régulation climatique, écosystémique... Cette vision à caractère scientifique est, entre autres, l'un des terrains de prédilection du monde écologiste et l'une des sources de conflits entre activités agricoles, activités agro-alimentaires et nouvelle société rurale.

En réalité, cet actuel ménage à trois, cette conception du monde rural, s'est installé progressivement sous nos yeux sans que nous en soyons forcément conscients : dans les années cinquante, la campagne-ressource ; dans les années soixante-dix, un rural en duo, à la fois ressource et cadre de vie ; aujourd'hui, le ménage à trois, en ajoutant l'aspect nature. Toute la question n'est-elle pas précisément de réussir à concilier ces trois dimensions qui brouillent aujourd'hui les frontières entre l'urbain et le rural ?

Ce triple regard que portent les Français n'est pas sans influencer leur comportement à l'endroit des territoires ruraux et a des incidences notamment en matière de pression foncière, de valeur marchande des paysages, de fermeture progressive des espaces.

Les communistes ne conçoivent pas une ruralité vivante sans agriculture.

L'agriculture, au-delà de ses fonctions productives, sociales et économiques, garantit l'entretien des paysages et permet de limiter les friches, les incendies, les avalanches. En revanche, il faut reconnaître qu'une conception trop productiviste a également engendré des inondations et la pollution des sols et de l'air ; il faut donc corriger ces effets négatifs.

Désormais, l'agricole ne fait plus le rural. Si l'on s'en tient à l'emploi agricole, on dénombre moins d'un million d'équivalent temps plein contre sept millions de paysans en 1945. Aujourd'hui, l'espace rural appartient d'abord aux agriculteurs pour 56 %, ensuite aux forestiers pour 28 %. Le reste correspond à une majorité de non agriculteurs très actifs sur les petites parcelles et le foncier agricole bâti.

Une approche de la France par le zonage en aires urbaines et en aires d'emploi de l'espace rural permet de distinguer quatre catégories : 354 pôles urbains qui regroupent 61 % de la population et 72 % des emplois, d'abord ; le périurbain qui compte 20 % de la population et qui s'est agrandi de 22 % à 33 % de la superficie nationale en dix ans, ensuite ; 525 aires d'emploi de l'espace rural pour 6 % de la population, par ailleurs ; les autres communes de l'espace à dominante rurale qui regroupent 12 % de la population sur 50 % du territoire, enfin.

Les principales caractéristiques des flux migratoires de ces dernières années montrent une périurbanisation des jeunes couples avec enfants, un retour vers les centres urbains des enfants de périurbains et des couples dont les enfants sont lycéens, des migrations de retraités vers le rural, des migrations vers l'urbain des jeunes ruraux les plus qualifiés.

Ces migrations modifient le visage des populations rurales qui vieillissent : 27 % de la population rurale a plus de 60 ans ; 25 % des ménages ruraux sont retraités ; 7 % des actifs ruraux sont agriculteurs ; 35 % sont ouvriers. Enfin, la population périurbaine se rajeunit : 18 % seulement a plus de 60 ans et 15 % des ménages sont retraités. L'emploi rural est de moins en moins agricole : malgré les 17 % d'emplois agro-industriels, ce sont les services administrés qui portent désormais la dynamique de l'emploi rural.

Cet instantané indispensable du monde rural pourrait se résumer ainsi : l'influence économique et culturelle des villes est en extension croissante ; les populations périurbaines sont homogènes et très mobiles ; les populations rurales sont hétérogènes et en cours de renouvellement ; enfin, les emplois ruraux sont de moins en moins agricoles, la dynamique de ces territoires est redevenue favorable, bien que fragile.

Si toute évolution est normale, le contenu de l'évolution des territoires ruraux aurait pu être tout autre ; il est le résultat des politiques menées depuis des décennies : politique libérale de concentration urbaine et industrielle, politique agricole commune au service de l'agro-business, politique bancaire de privatisation, politique de bas salaires. Ces choix, les communistes les ont combattus et continuent de les combattre.

La question centrale des territoires ruraux, qui n'est d'ailleurs pas abordée dans ce texte, est bien celle des revenus des agriculteurs et des salaires de l'agro-alimentaire, de l'artisanat, du petit commerce.

Prenons la question des revenus agricoles. Tous les syndicats appellent de leurs voeux des prix rémunérateurs. La réalité, ce sont des prix tirés vers le bas par la scandaleuse référence du prix mondial. L'essentiel des plus-values est capté par les firmes agro-alimentaires, la grande distribution et les banques, pendant que de nombreuses productions sont bradées ou vendues à perte. Cet état de fait n'est pas inéluctable, à condition d'avoir la volonté politique de mettre de l'ordre dans les filières, de réguler les marges et les importations abusives, de sortir progressivement d'une économie libérale à tout va.

Oui, les agriculteurs ont besoin d'un revenu élevé pour faire face aux défis qu'ils sont censés relever, à savoir moderniser leur outil de travail pour produire de la qualité, répondre aux enjeux environnementaux et, tout simplement, vivre décemment de leur travail.

Nous proposons donc que soit réunie, dans les meilleurs délais, une conférence nationale sur les prix agricoles, un « Grenelle de l'agriculture » en quelque sorte qui, sous l'égide du Gouvernement, regrouperait tous les acteurs concernés autour d'une table : producteurs et consommateurs, banques et grande distribution, intermédiaires et transformateurs, élus locaux et professionnels, importateurs et exportateurs. Oui, tout le monde devra y participer si nous voulons progresser vers l'acceptable et le durable.

Les communistes sont attachés à la notion de prix rémunérateurs. C'est pourquoi nous vous proposerons d'instaurer officiellement deux prix qui serviront d'outil de pression et de mécanisme de régulation.

Le prix de référence par produit agricole tout d'abord intégrera le prix de revient, le salaire. Ce prix devrait permettre de pérenniser la fonction agricole, d'une part, de peser sur les négociations internes, d'autre part.

Le prix minimum par produit agricole, ensuite, sera l'équivalent du prix de revient, afin que la vente à perte disparaisse des pratiques commerciales de ce pays une bonne fois pour toutes. Ce prix minimum sera également le seuil de déclenchement, en cas de situation dite de crise - elle ne devrait pas exister -, des mécanismes anti-crise prévus à cet effet.

Monsieur le ministre, ces amendements sont un appel à une autre démarche, alternative et constructrice. J'ose espérer que vous les entendrez.

Et qu'on ne vienne pas me dire : « Ah oui, mais l'économie de marché ! Ah oui, mais l'Europe ! ». Sinon, ce qui vient d'arriver à l'aviculture va se produire pour l'ensemble des productions animales et végétales.

Après avoir abordé la question des prix, j'en viens aux problèmes fonciers et à ceux de l'installation des jeunes agriculteurs. L'action conjuguée du découplage partiel, des politiques de structure, de la fonction récréative croissante des espaces ruraux et de l'arrivée des ressortissants communautaires aboutit à une situation très préoccupante dans le domaine foncier. Une telle pression a pour principales conséquences l'exclusion de l'installation de nombreux jeunes, l'agrandissement des grosses exploitations qui ont accès au crédit, l'exclusion des populations locales les plus modestes à l'accès à la propriété, l'urbanisation excessive et incontrôlée des régions touristiques.

Monsieur le ministre, les nouvelles attributions accordées aux départements pour gérer l'espace foncier périurbain semblent aller dans le bon sens, à condition que soit évitée toute politique clientéliste. Nous vous proposerons cependant d'aller plus loin, en révisant les critères de détermination de la surface de référence qui conditionne la viabilité de l'exploitation agricole. Nous vous soumettrons des amendements visant à démocratiser le fonctionnement des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, et à favoriser en priorité l'installation des jeunes et non l'agrandissement de l'existant.

Les exploitations agricoles deviennent de plus en plus intransmissibles. Aussi, pour faciliter une installation progressive des futurs agriculteurs, serait-il bien de généraliser les fonds de stockage locatifs « jeunes agriculteurs » en convention avec les SAFER et de créer une aide à l'hectare pour inciter les propriétaires à participer à ce dispositif.

Le développement des groupements fonciers agricoles contribue également à faciliter l'installation et la transmission des exploitations agricoles.

Les formes sociétaires et familiales doivent être fortement encouragées afin de minorer l'investissement initial de chacun et de créer des conditions de vie acceptables pour les nouvelles générations d'agriculteurs qui ne souhaitent pas forcément vivre comme leurs aînés, sans vacances et sans week-end.

A propos de la dotation aux jeunes agriculteurs, nous reviendrons naturellement à la charge pour que, enfin, les plus de 40 % de jeunes qui s'installent hors norme puissent bénéficier de cette dotation et s'engager dans un cursus de formation continue afin d'atteindre l'équivalence du brevet technicien agricole, le BTA.

J'ai dit tout à l'heure que l'agriculture ne fait plus le rural, même si elle en demeure le pivot central. D'autres éléments comme les services publics sont déterminants pour structurer et rendre attractifs nos territoires. Ce qui est choquant dans ce texte, c'est de voir les multiples dispositions prises pour autoriser les collectivités locales rurales, qui sont souvent les plus modestes en moyens financiers, à financer elles-mêmes leurs services publics si elles souhaitent les garder. Des précédents existent déjà avec les maisons de services publics dont l'investissement est aidé, mais, pour le fonctionnement, elles doivent se débrouiller ! Avec l'entrée officielle du privé que prévoit ce texte, les maisons de services publics vont devenir des maisons de services au public, ce qui marque l'extinction de leur caractère public et donc de leur signification politique et symbolique, à savoir les valeurs d'égalité et de solidarité.

Le grand danger de ces dispositions est bien de voir se généraliser dans les territoires ruraux ce qui a été conçu par certains, là où il n'y avait plus rien, ou presque. C'est une dynamique inverse qu'il convient d'initier en mobilisant des moyens financiers et humains pour garder à ces maisons leur caractère public. A ce titre, nous vous proposerons, monsieur le ministre, de créer une spécialité d'animateurs de maisons de services publics dans un cadre d'emplois de la fonction publique.

Il est urgent de procéder, département par département, à un état des lieux en termes de services aux populations dans le cadre de la conférence régionale d'aménagement du territoire et de mettre en place un plan pluriannuel des services et des services publics dans les secteurs en difficultés, qu'ils soient ruraux ou urbains.

Venons-en aux services de proximité. La proposition de loi tendant à préserver les services de proximité en zone rurale, que j'ai eu l'honneur de soutenir dans cet hémicycle, avait le mérite de créer ou de pérenniser un service de proximité là où il n'y avait plus rien ou presque, c'est-à-dire dans les petites communes, dans les zones de revitalisation rurale, là où le lien social ne peut plus exister sans l'aide active des pouvoirs publics.

Démonstration avait été faite le 23 janvier 2003 que, avec moins de 30 millions d'euros prélevés sur les excédents de la taxe d'aide au commerce et à l'artisanat, la TACA, il était possible d'aider plus de 8 000 services de proximité dans le commerce et l'artisanat notamment : 8 000 actions pour 36 000 communes, ce n'était pas rien, d'autant plus que le dispositif central de cette proposition consistait à attribuer le revenu minimum de maintien d'activité équivalent au RMI en plus des revenus souvent modestes des petits commerces multiservices que nous connaissons tous en milieu rural.

Le constat est en effet sévère : 50 % des communes françaises ne disposent plus de commerces de proximité et les deux tiers des communes de moins de 250 habitants ont vu disparaître leur dernier commerce.

Les aides à l'investissement ne suffisent pas, monsieur le ministre. Parfois, il faut aller au-delà et accorder des aides au fonctionnement. Le fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce, le FISAC, ne suffit pas, les chiffres le montrent. Et ce n'est pas la loi d'initiative économique de M. Dutreil qui va inverser la tendance, elle qui fait si peu de place à l'artisanat.

Nous proposons donc que la TACA, initialement prévue pour corriger les dégâts causés par la grande distribution, soit intégralement destinée à sa cause et attribuée aux départements en faveur du petit commerce et de l'artisanat. En réalité, ce qui se passe aujourd'hui, c'est que la TACA est intégrée dans le budget général de l'Etat et détournée de sa fonction initiale. C'est inacceptable. L'activité crée de la vie et vice-versa. Aussi ai-je été très déçu l'année dernière d'entendre la majorité sénatoriale parler de fonctionnarisation du petit commerce, de concurrence déloyale, que sais-je encore, alors qu'il s'agissait de solutions viables apportées au problème de la diversification des zones rurales.

A propos du logement en zone rurale, ce texte aborde le sujet sous l'angle des incitations fiscales en faveur de bâtiments d'exploitation pour leurs propriétaires et du logement des saisonniers pour les employeurs. Oui, il faut agir en ce sens pour le tourisme et les saisonniers, mais il faut aller bien au-delà et permettre aux collectivités locales et aux offices publics HLM de développer une offre suffisante de logements sociaux.

Prenons l'exemple d'une commune rurale qui achète et viabilise un terrain : cela lui coûte environ 30 euros le mètre carré. Bien souvent, elle le vendra ou pour un euro symbolique ou pour quinze euros au plus, sinon, elle ne trouvera pas d'acquéreur. Il faut prendre en compte ces réalités et ces disparités, monsieur le ministre.

Sur le littoral breton et costarmoricain, c'est un autre problème : la pression foncière d'une clientèle argentée fait flamber les prix et empêche les jeunes autochtones de pouvoir construire. Cette question concerne naturellement toutes les régions à fort potentiel touristique.

Nos amendements relatifs au logement viseront donc essentiellement à en démocratiser l'accès et à faciliter l'intervention publique dans ce domaine.

Au sujet de la santé humaine et animale en milieu rural, monsieur le ministre, vous proposez de nouveau de laisser les collectivités locales financer des structures d'accueil pour pallier le déficit d'attractivité. Vous suggérez également aux futurs médecins de venir faire leurs premières armes en stage rural. Je trouve cela à la limite du choquant. (M. Jean-Louis Lorrain proteste.) Nous avons droit à de vrais médecins qui ont la vocation, à des infirmières qui ont fait le choix de vivre parmi nous, à des vétérinaires qui soignent aussi bien les vaches que les toutous.

Pour cela, monsieur le ministre, c'est dès le recrutement qu'il faut « prendre le taureau par les cornes » et passer contrat d'aide à la formation financé par l'Etat avec toutes celles et tous ceux qui s'engageront dans cette voie pour une période d'au moins dix ans. L'expérience du recrutement effectué par les écoles normales d'instituteurs avant 1970 pourrait inspirer le Gouvernement à ce sujet.

La fermeture des hôpitaux et des maternités de proximité vient encore accentuer le malaise sanitaire de nos campagnes. Le temps d'attente chez les généralistes est souvent supérieur à deux heures.

M. Gérard Le Cam. La multiplication des non-interventions, en particulier le week-end, devient très inquiétante ; elle est malheureusement parfois fatale pour certains de nos compatriotes.

Compte tenu de la durée importante de formation, il est urgent d'agir et de proposer des mesures transitoires, sinon d'autres drames surgiront pour défaut de capacité sanitaire en milieu rural.

Sans transition, j'en viens au chapitre consacré à la chasse. Il aborde notamment la gestion des dégâts de grand gibier et l'équilibre agro-sylvo-cynégétique. Nous proposerons d'amender cette partie du texte en vue d'élargir l'indemnisation aux non-agriculteurs afin de mieux les associer au lieu de les exclure. C'est désormais une habitude de traiter de la chasse en pièces détachées dans votre gouvernement..

A quand le financement de la garderie de l'ONCFS par l'Etat en qualité de mission régalienne ? Les prémices de l'intégration des agents dans la gendarmerie semblent figurer dans le projet de loi. Seront-ils dilués à terme en son sein, comme je le crains, ou resteront-ils un corps spécifique aux missions bien déterminées, comme je le souhaite ? C'est une vraie question.

Les aspects du texte relatifs à la montagne seront traités tout à l'heure par notre collègue Annie David, sénatrice de l'Isère. Quant à ceux qui concernent les zones humides, c'est notre collègue Evelyne Didier, sénatrice de Meurthe-et-Moselle, qui les évoquera pendant les débats.

Abordons maintenant l'économie rurale non agricole, à savoir la situation du tourisme et des très petites entreprises.

Un tiers du territoire national et 40% des communes rurales sont en déclin démographique et économique. Aussi, nous proposons de créer un fonds national des territoires ruraux fragiles, alimenté par un fonds de péréquation national. Un amendement du groupe communiste républicain et citoyen vous soumettra le rattrapage en dotation globale de fonctionnement par habitant des territoires ruraux.

Le tourisme rural, qui représente 40% des activités touristiques, est un facteur d'aménagement de la ruralité, d'attraction et de développement local. Notre collègue Michelle Demessine, sénatrice du Nord, avait réalisé un important travail relatif à la situation des saisonniers dans le cadre de son ministère à partir du rapport d'Anicet Le Pors. Aussi, nous attendons du Gouvernement qu'il prenne le relais actif du travail entrepris dans ce domaine. Les mesures prises dans le texte en faveur du logement des saisonniers et du logement touristique demeurent timides et trop limitées au secteur privé.

Enfin, les petites entreprises rurales jouent un rôle déterminant dans l'activité économique rurale ; elles sont créatrices d'emplois et sont à l'origine de maintiens d'emplois indirects. Elles méritent des mesures spécifiques au regard de leurs difficultés à se développer en milieu peu favorable.

Nous proposons de renforcer le soutien aux coopératives d'activité et d'emploi ainsi qu'aux sociétés coopératives d'intérêt collectif. Les collectivités locales et les pays pourraient contribuer à organiser sur leurs territoires une meilleure coopération entre les acteurs économiques par le biais de leurs conseils de développement. Enfin, l'Etat pourrait moduler les charges des très petites entreprises rurales.

La mobilisation des acteurs locaux autour d'initiatives collectives et la participation effective des habitants à la gestion de leur territoire sont la meilleure garantie de succès des projets de développement. Il convient désormais de rapprocher les habitants de ces territoires qui partagent un même patrimoine, une même aire géographique, une même histoire socio-économique, pour construire un avenir commun.

A ce sujet, monsieur le ministre, nous vous proposerons de nombreux amendements visant à démocratiser les élections locales, à encourager la démocratie participative et à partager l'espace en toute harmonie. Ce dernier point fera l'objet d'un amendement spécifique tendant à établir dans chaque commune un schéma communal des usages non appropriatifs de la nature, dans lequel les droits et devoirs de chacun seront précisés.

En conclusion, comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous ne manquons pas d'idées pour contribuer effectivement à revitaliser les espaces ruraux. Nos amendements ont pour objet de donner plus de moyens administratifs et financiers aux pouvoirs publics et aux collectivités locales pour impulser le nouveau dynamisme tant attendu. Ils tendent également à favoriser une agriculture en direction des jeunes, une agriculture familiale, sociétaire et coopérative, garante de durabilité. Ils visent à démocratiser les pratiques et les structures afin de mettre en synergie l'ensemble des forces vives du monde rural.

Aujourd'hui, le monde rural tend à s'urbaniser, soit dans ses structures, soit dans ses moeurs. C'est donc bien dans un esprit de complémentarité entre les villes et les campagnes qu'il faut concevoir les inflexions nécessaires que la loi peut initier et les évolutions à venir de ces deux mondes interpénétrés.

Nous restons persuadés que ce texte manque cruellement de moyens financiers et d'ambition politique. Il touche à tout, ou presque, sauf à l'essentiel, à savoir les revenus de tous ceux qui vivent dans nos campagnes et les moyens accordés aux collectivités locales pour maintenir le lien social, l'attractivité, les services publics, tout ce qui fait la vie de tous les jours. Cependant, nous voulons rester constructifs, et je ne doute pas que nombre de débats que nous provoquerons seront des plus utiles pour la réflexion de chacun et pour l'avenir de notre ruralité que nous voulons vivante. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

(M. Serge Vinçon remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Serge Vinçon

vice-président

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, véritable richesse de notre pays, les territoires ruraux ont longtemps été négligés et laissés à l'abandon, si ce n'est en friches !

Victimes d'une politique d'aménagement du territoire sans concession, axée pendant plusieurs décennies sur l'urbanisation à tout crin, et source regrettable de blocages pour nombre d'initiatives locales, ces mêmes territoires ruraux reviennent au goût du jour, par leur vitalité affichée.

Forts de leurs fonctions agro-productive, résidentielle, touristique, récréative ou environnementale, ils s'affirment plus que jamais comme des acteurs d'avenir et de proximité pour notre nation.

Mes chers collègues, si l'expression « Paris et le désert français », lancée et popularisée par Jean-François Gravier en 1947, ne semble plus de mise de nos jours, le récent rapport de notre excellent collègue Jean François-Poncet, intitulé L'exception territoriale, un atout pour la France bat en brèche nombre d'idées reçues sur un monde rural qui, pour la première fois, fait l'objet d'un projet de loi spécifique, ce dont je me réjouis.

Tout d'abord, le monde rural a cessé d'être marqué par l'exode et le déclin de sa population. En effet, le renouveau démographique dont bénéficie la province ne s'arrête plus aux grandes agglomérations, mais profite également aux villes moyennes et aux régions les plus rurales où jeunes actifs et étrangers viennent désormais s'installer car ils recherchent - tous les sondages le prouvent - une qualité de vie que l'urbanisation ne leur offre pas.

Ensuite, si la campagne se repeuple, le rééquilibrage entre Paris, les métropoles provinciales et le reste du territoire demeure néanmoins très partiel, notamment en matière économique. Cela explique l'impérieuse nécessité de valoriser durablement les atouts et les spécificités de nos territoires et de jouer sur l'imbrication de plus en plus forte de la ville et de la campagne. En effet, plus d'un million d'habitants ont migré de la ville vers la campagne entre les deux derniers recensements.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, plusieurs volets de ce texte sont particulièrement attendus par les élus locaux. C'est la raison pour laquelle je considère qu'il est fondamental et je me réjouis qu'il soit aujourd'hui proposé.

Mais cette bonne volonté affichée doit se traduire dans les faits non seulement sur le plan budgétaire mais aussi par une série de mesures significatives d'accompagnement.

En ce qui concerne le plan budgétaire, bien que ce ne soit pas l'objet de ce projet de loi, je veux mettre l'accent sur l'urgence de combler l'écart insupportable des dotations de l'Etat, en particulier de DGF, entre les territoires des communes rurales et les zones urbaines. Tant que nous n'effectuerons pas les correctifs nécessaires, nous maintiendrons une injustice intolérable pour nos territoires ruraux, et l'ensemble des dispositions, certes positives, présentées dans ce texte ne seront que d'aimables mesures substitutives évitant de toucher le fond du problème.

Monsieur le ministre de l'agriculture, votre projet de loi, que je soutiens, traitant de l'ensemble des problématiques rurales telles que le maintien d'une agriculture performante et de qualité, le soutien à l'ensemble des services publics comme aux commerces de proximité, le maintien local de l'emploi, qui se traduisent par la création de zones de revitalisation rurales, est donc essentiel mais encore insuffisant.

C'est pourquoi j'attire votre attention et souhaite obtenir de votre part une réponse à cette interpellation concernant l'amélioration des finances locales en secteur rural.

Notre pays a fait le choix, respectable et indispensable, du maintien de ses 36 000 communes, particularité européenne, mais richesse indiscutable. Si elle a été un temps mise en danger par plusieurs gouvernements de gauche, c'est grâce à la vigilance du Sénat qu'un véritable équilibre a été trouvé entre les structures intercommunales et la richesse des communes qui les composent. C'est en effet d'abord vers elles que nos concitoyens se tournent très souvent et auprès d'elles que le lien de proximité et de solidarité se concrétise le mieux.

Aujourd'hui, notre espoir réside dans une série de mesures très attendues pour lutter activement contre la « décomposition territoriale » et pour redynamiser un monde rural longtemps sacrifié.

En effet, il apparaissait nécessaire de créer une dynamique dans nos campagnes les plus fragiles en appliquant les principes de solidarité.

J'approuve l'ensemble des propositions de cet important projet de loi et les nombreux amendements déposés par la commission des affaires économiques, dont je suis membre.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaite attirer personnellement votre attention, par voie d'amendements, sur certaines problématiques et améliorations législatives.

La première concerne un territoire qui m'est cher, la Vendée, où nous avons eu l'honneur de vous accueillir l'année dernière. II s'agit de la problématique complexe du « marais du Sud » communément appelé « marais poitevin ». Je défendrai trois amendements visant à la reconnaissance législative du travail mené de longue date par ses associations syndicales.

Comme vous le savez, cette zone humide en milieu rural n'est aucunement un lieu de désertification ; c'est une réelle entité économique au service de la préservation et de la conservation de ce joyau de l'ouest de la France. Nous devons en reconnaître la cohérence et soutenir activement l'engagement des acteurs locaux chargés de la gestion de ces zones humides en maintenant les syndicats de marais actifs et performants.

Je souhaite que vous preniez également en considération l'ensemble des amendements déposés par ma collègue Sylvie Desmarescaux et que j'ai cosignés. Tant dans le département du Nord qu'en Vendée, ils visent à améliorer concrètement l'activité et la responsabilité solidaire des groupements d'employeurs, en particulier agricoles, qui recrutent, par le biais d'associations à but non lucratif, des salariés mis à la disposition de leurs adhérents.

Par ailleurs, je soutiendrai les dispositions tendant à préserver la répartition équilibrée de la distribution du fioul domestique en soumettant la distribution de carburants à autorisation d'exploitation commerciale des commissions départementales d'équipement commercial, les CDEC.

Enfin, je souhaite que soit étudié avec une particulière attention l'amendement corédigé avec Patrice Gélard et mes deux collègues sénateurs vendéens visant à améliorer et à alléger la procédure déconcentrée des schémas de mise en valeur de la mer.

Pour conclure, il s'agit bien d'un texte aux atouts multiples dont la bonne volonté affichée en matière de développement durable doit se traduire dans les faits par un véritable accompagnement budgétaire.

Ne nous leurrons pas. Un développement rural durable passe à mes yeux par deux axes fondamentaux : d'une part, le respect des spécificités locales, tout particulièrement les activités agricoles et horticoles en zones périurbaines, et, d'autre part, la nécessaire mobilisation et la coordination des compétences au sein de bassins d'emplois. En effet, développer l'activité économique dans l'espace rural est capital.

Je tiens en cet instant à rendre hommage à la qualité du travail mené par nos éminents rapporteurs. Je soutiens activement l'idée cohérente d'un redécoupage des zones de revitalisation rurale, dispositif créé en 1995, en faveur des espaces en déclin démographique important. Ces zones sont aujourd'hui considérées comme inefficaces.

Par ailleurs, la complexification du droit du sol dans la gestion des espaces périurbains est évidente. C'est en nous donnant clairement pour objectif la maîtrise de la périurbanisation pour contrôler l'aménagement de ces zones que nous favoriserons durablement la revitalisation des grandes et moyennes agglomérations et l'installation à leurs abords.

Cela passe, entre autres choses, par des mesures importantes mais qui doivent être clairement financées, ainsi que le prévoit le projet de loi, telles que l'encouragement fiscal en vue de la rénovation du bâti ancien pour proposer plus de locations, qui font actuellement cruellement défaut à la campagne, et l'appui nécessaire donné aux établissements publics intercommunaux pour « mutualiser » les moyens des petites communes rurales dont les budgets sont trop souvent insuffisants face aux besoins et aux attentes de leurs administrés.

Pour finir, mes chers collègues, rappelons que la ruralité est une véritable chance pour la France.

Si au XXIe siècle le bonheur n'est plus tout à fait dans le pré (Sourires), c'est bien entre la « ville » et le « vert » que le coeur de nos concitoyens balance. Car, comme l'écrivait si bien l'académicien Jacques de Lacretelle, si la ville a une figure, la campagne, elle, possède bien une âme.

M. Jean-Pierre Sueur. Les gens de la ville ont aussi une âme !

M. Philippe Darniche. Contrairement à l'uniformisation et à la standardisation, sa nécessaire revitalisation conforte la défense d'un système de valeurs, des mentalités et des réseaux de solidarité qui font la force en France d'un mode de vie et d'une joie de vivre si enviés à l'étranger.

Pour toutes ces raisons, et en souhaitant que soient pris en compte par le Gouvernement les amendements que j'ai évoqués, je soutiendrai activement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France rurale d'aujourd'hui est loin de ressembler à celle d'hier, celle de nos racines terriennes, de l'authentique et des traditions paysannes, celle à laquelle on assigna au lendemain de la guerre la mission de nourrir le pays.

Si la France est le premier fournisseur de produits alimentaires à l'échelon européen, l'activité agricole cesse d'être prépondérante dans nos campagnes. Si, après avoir connu l'exode, les campagnes ont gagné en dix ans quelque 250 000 habitants, retrouvant même leur niveau de population de 1962, le monde rural passe progressivement sous dominante urbaine.

La DATAR distingue d'ailleurs désormais une campagne à trois visages : « les campagnes des villes », « les nouvelles campagnes » et « les campagnes les plus fragiles ». Cette terminologie cache des réalités bien différentes et difficiles à délimiter. Là, les conflits d'usage deviennent fréquents, les agriculteurs subissant de plein fouet la pression foncière et l'expansion démographique. Ici, s'agglutinent des gens d'horizons très divers et émergent des dynamiques qu'il faut encourager. Enfin, ailleurs, tout se meurt, s'en va, sent le vieux, laissant un sentiment d'abandon chez les habitants et d'impuissance chez les élus.

Une telle diversité du monde rural pose un véritable casse-tête. Certains sont tentés de mettre sous cloche les espaces naturels ou agricoles, notamment dans les périphéries des villes tentaculaires. D'autres estiment que l'extension urbaine, avec ses emplois à la clé et ses ressources en termes de fiscalité locale, est nécessaire et inéluctable. Le rôle d'une politique d'aménagement du territoire est de trouver le juste milieu entre ces deux objectifs apparemment contradictoires. Il est aussi et surtout de réduire la fracture de plus en plus profonde entre campagnes riches et campagnes pauvres par un effort particulier de solidarité envers ces dernières.

S'inscrivant dans cette politique, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, permettra-t-il de répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles attentes des territoires ruraux ? Leur donnera-t-il les outils et les moyens nécessaires à un développement économique, social et culturel équilibré ?

Ce texte a le mérite d'exister, et je salue au passage le considérable travail de préparation que vous avez effectué avec les autres ministres concernés. Il permet de relancer la politique de revitalisation rurale tombée en déshérence alors que la politique de redynamisation urbaine a connu un essor remarquable ces dernières années.

Malheureusement, ce projet de loi me paraît un peu touffu, décousu. Ses dispositions portent sur des aspects aussi divers que les exonérations fiscales en zones de revitalisation rurales, le mode de distribution du fioul domestique, les tarifs du service universel de télécommunications, la préservation du patrimoine bâti, le régime des terrains truffiers ou la chasse. On me dira certainement qu'il traduit d'une certaine manière le caractère hétéroclite de nos campagnes, mais nombre de mesures eussent sans doute mieux trouvé leur place dans des textes réglementaires.

Cela dit, ce projet de loi contient de nombreuses avancées. En premier lieu, il renforce le dispositif des zones de revitalisation rurale, qui avaient été réduites à leur plus simple expression par Dominique Voynet, ministre de l'environnement de Lionel Jospin. Il actualise les zonages, en prenant en compte les intercommunalités à fiscalité propre et en prévoyant des mesures financières et fiscales pour développer l'attractivité de ces territoires.

Ce dispositif devrait intéresser quelque 4,5 millions de personnes et profiter aux petites villes ou aux bourgs centres, qui étaient jusqu'à présent exclus des aides, notamment fiscales. Ce point me paraît particulièrement important. Les villes moyennes ou bourgs centres constituent des points d'ancrage pour la campagne environnante ; ils supportent aussi la charge financière de certains équipements collectifs sportifs, culturels ou d'enseignement, qui profitent à l'ensemble des populations avoisinantes.

Dans ma ville de Dole, par exemple, nous accueillons de nombreux enfants d'autres communes à la piscine, à l'école de musique et dans l'ensemble des équipements culturels et sportifs. C'est pourquoi il importe de donner à ces communes les moyens qui correspondent à leur rôle dans l'espace rural et à leurs charges, ce qui n'est pas tout à fait le cas des dotations actuelles.

La rédaction de l'article 1er soulève néanmoins quelques questions. Lorsque l'on parle de communes situées dans « une unité urbaine », qu'entend-on par cette dernière notion ? Est-ce l'entité au sens de l'INSEE, au sens économique, ou l'entité membre d'un EPCI ? Par ailleurs, on définit des effets de seuils - 31 ou 33 habitants au kilomètre carré - qui me semblent un peu rigides et pourraient laisser sur le bord de la route ou défavoriser certaines communes. Quel sera exactement le sort d'un bourg de 3 000 habitants entourés de 10 communes de 200 habitants, soit 2 000 habitants, ou celui des communes défavorisées situées dans des cantons et arrondissements exclus du zonage ? Ce n'est pas très clair, et c'est parfois injuste.

Il me paraît préférable que la loi se borne à fixer des principes pour laisser au pouvoir réglementaire la possibilité de faire évoluer certains critères en fonction des nécessités. A cet égard, je me réjouis des amendements que la commission des affaires économiques a déposés en ce sens.

Enfin, l'article 1er ter prévoit le remboursement des sommes non acquittées au titre des exonérations prévues en ZRR par l'entreprise qui cesse volontairement son activité pendant la période d'exonération ou les cinq années suivant la fin de celle-ci. Il est en effet nécessaire de ne pas créer d'effet d'aubaine, mais le terme « volontairement » mériterait d'être plus explicité.

Bien d'autres mesures du projet de loi méritent être soulignées. Concernant l'emploi, l'assouplissement du régime de la pluriactivité, le soutien aux groupements d'employeurs et le cumul plus facile d'un emploi public et d'un emploi privé vont incontestablement dans le bon sens.

S'agissant du patrimoine rural bâti qui contribue au développement des territoires ruraux, je me félicite des dispositions retenues en faveur du logement locatif et de la relance en milieu rural des opérations programmées d'amélioration de l'habitat, quasiment gelées sous le gouvernement précédent.

L'accès aux services publics et à une offre de soins satisfaisante est également déterminant. Outre le renforcement des maisons de services publics, des aides financières et des mesures fiscales sont prévues pour favoriser l'installation des professionnels de santé en milieu rural, l'exercice en cabinets de groupe, ainsi que la constitution de pôles de soins.

Sur ce dernier point, gardons-nous néanmoins de transformer les médecins en chasseurs de primes. Plutôt que des bourses d'études ou des mannes diverses, je crois que l'augmentation du numerus clausus, la revalorisation spécifique des consultations et des visites à domicile en milieu rural, ainsi que la création d'indemnités kilométriques sont des solutions moins illusoires et plus valorisantes à long terme.

Le projet de loi prévoit encore des mesures intéressantes de soutien aux activités agricoles, mais il ne répond pas complètement aux inquiétudes profondes des agriculteurs quant à leur avenir, notamment dans la perspective de la mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole commune. Je regrette que le projet de loi de modernisation agricole que vous nous annoncez n'ait pu être intégré à celui-ci.

En conclusion, ce texte marque un changement, mais le groupe du RDSE estime qu'il ne constitue que la première pierre d'un édifice, comme nombre d'orateurs l'ont souligné avant moi, édifice dont la construction devra être poursuivie avec détermination. Nous resterons très attentifs, monsieur le ministre, aux débats à venir.

S'agissant notamment des finances locales, il faudra bien aborder un jour de manière concrète le problème de l'insuffisance des moyens octroyés à certaines collectivités et, plus généralement, celui de la péréquation.

Aucun financement n'est prévu dans ce projet de loi pour atteindre les objectifs définis pour les ZRR., et la plupart des mesures sont finalement à la charge des collectivités, pourtant a priori les plus pauvres.

M. Gilbert Barbier. Le groupe du RDSE a d'ailleurs déposé plusieurs amendements visant à pallier ces lacunes.

Nous serons également attentifs à un autre débat important, celui sur les travaux d'infrastructures, que défendra M. Gilles de Robien. Le développement des moyens de communications et de transports est évidemment capital pour l'attractivité d'un territoire. Il faudra prendre garde que les projets ne fassent pas décrocher un peu plus un certain nombre de zones. J'en veux pour preuve, par exemple, le tracé retenu pour la Branche Est du TGV Rhin-Rhône. En excluant le département du Jura, département rural par excellence, ce tracé ne retarde pas seulement l'accès à la capitale de plus d'une demi-heure, il lèse toute une population et ne prend pas en compte l'articulation des branches du TGV entre elles et la desserte du territoire. On ne peut soutenir d'un côté et spolier de l'autre.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais faire. Bien entendu, nous soutiendrons votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Piras.

M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre d'entre vous, je viens d'un département et d'une région où la ruralité est une réalité vécue au quotidien et non un simple concept. Je rencontre très souvent des élus ruraux directement confrontés aux difficultés grandissantes de ces territoires, qui cumulent les handicaps pour leur développement. Je pense que nous partageons la même analyse quant à l'état des lieux : des mesures fortes et incitatives doivent être prises en faveur de la ruralité pour assurer son développement.

La très récente étude de la DATAR : «Quelle France rurale pour 2020 ?», a bien mis en exergue, à travers l'analyse de la situation actuelle, le fait que ces territoires ruraux avaient plusieurs fonctions, d'une part, et que trois France rurales cohabitaient, d'autre part.

En effet, les territoires ruraux semblent remplir quatre fonctions : premièrement, une fonction résidentielle, une dynamique démographique positive étant relevée dans une majorité d'espaces ruraux ; deuxièmement, une fonction productive, l'activité économique se développe et se diversifie, l'agriculture n'étant plus dominante ; troisièmement, une fonction récréative et touristique ; quatrièmement, une fonction de nature : la protection des ressources naturelles.

Par ailleurs, cette étude souligne qu'il existe non pas une, mais trois France rurales : tout d'abord, une campagne des villes, ce sont les zones périurbaines ; ensuite, une campagne fragile cumulant tous les handicaps - faible densité de population, monoactivité, évolution démographique négative -, enfin une campagne nouvelle, intermédiaire entre les deux précédentes.

Cette étude présente un grand intérêt au regard de l'objet du projet de loi que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui. Elle démontre que les territoires ruraux sont extrêmement divers et que, selon les cas, les enjeux auxquels ils sont soumis sont différents. Ces enjeux peuvent être liés soit à la compétition des fonctions, dans les zones périurbaines par exemple, avec des conflits entre l'agriculture et le résidentiel, soit à un déficit de fonctions dans les campagnes les plus fragiles, dont la seule fonction est en outre déclinante, soit enfin, dans les territoires intermédiaires, à l'équilibre à trouver entre différentes fonctions.

Légiférer en faveur des territoires ruraux sans tenir compte de cet état des lieux n'est pas logique et ne peut conduire qu'à l'adoption de mesures inappropriées et inefficaces. Je crains, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas tiré toutes les conclusions de cet état des lieux, ce que je vais tenter de vous démontrer.

La population rurale est inquiète et ressent un véritable sentiment d'abandon. Une certaine résignation s'est installée, fondée sur l'idée que les zones rurales sont progressivement vouées à se vider au profit des villes et à devenir des zones abandonnées, ce mouvement étant inexorable.

Votre projet de loi a suscité intérêt et espérance, comme un signal de la prise en compte de leurs réelles préoccupations. Je dois vous dire que la déception est à la hauteur de cette attente. Les résultats des élections locales de mars dernier devraient vous inciter à changer le cap adopté lors de la première lecture de ce projet de loi à l'Assemblée nationale en janvier dernier.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Bernard Piras. Vous avez réussi le tour de force de réunir dans le mécontentement les agriculteurs, les artisans, les médecins, les agents de la fonction publique, les élus, y compris ceux de votre majorité, et les habitants de ces territoires.

Or, face à ce constat partagé, vous ne proposez qu'un texte fourre-tout qui survole de nombreux domaines, en en oubliant étrangement certains, pourtant très concernés, tels le commerce et l'artisanat ou les autres utilisateurs de la nature, un texte qui ne contient pas vraiment de mesures phares.

La formule selon laquelle il s'agit de diverses dispositions techniques de gestion défensive des territoires ruraux sans soutien financier ni considération de cohésion sociale et de solidarité nationale me semble correspondre à la réalité.

En effet, comment ne pas relever le caractère extrêmement disparate et hétéroclite des mesures proposées et le flou inquiétant, singulièrement pour les finances locales, quant à leur financement ?

Comment ne pas regretter l'absence de stratégie globale pour la ruralité ?

Comment ne pas regretter que les propositions les plus intéressantes - il y en a quelques-unes, telles que les mesures techniques en faveur des pluriactifs et des travailleurs saisonniers ou la définition des espaces pastoraux - soient noyées dans un catalogue de mesures d'intérêt fort inégal ?

La lisibilité du texte a encore été amoindrie par l'ajout de diverses dispositions qu'il faut bien qualifier de clientélistes, par exemple en direction des vétérinaires et des chasseurs.

Monsieur le ministre, comme l'ont souligné certains membres de votre majorité, ce projet de loi ressemble plus à un étal de bricolage comportant des « mesurettes » dans des domaines aussi divers que les zones de revitalisation rurales, l'agriculture, l'emploi, la chasse, les services publics...

Vous-même, monsieur le ministre, vous avez qualifié ce texte de « boîte à outils ».

M. Jean-Pierre Plancade. Elle n'en contient pas beaucoup !

M. Bernard Piras. Mais, pour être opérationnelle, encore faut-il qu'une boîte à outils ne soit pas vide et contiennent des outils appropriés aux travaux à exécuter !

Autre preuve de l'inconsistance de ce projet de loi, les principaux domaines survolés, à savoir l'agriculture, les services publics et les dotations aux collectivités locales, feront l'objet dans les semaines et les mois prochains de textes particuliers, lesquels auront pour objet de régler ou du moins d'essayer de régler les difficultés que nous sommes amenés à aborder aujourd'hui.

Il est légitime de se demander ce qui justifie un tel déploiement de moyens médiatiques et d'annonces ronflantes. C'est, hélas ! une montagne qui n'accouchera que d'une souris !

Sur la forme, ce projet de loi n'est donc pas satisfaisant, et les moyens dégagés en faveur de l'objectif annoncé le sont encore moins.

Vous avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, que ce texte ne coûterait pas « un sou » à l'Etat.

M. Bernard Piras. Certes, l'efficacité d'une loi ne se mesure pas forcément à l'ampleur des crédits débloqués ; le sujet méritait néanmoins, au regard de son importance, un engagement plus important de l'Etat.

Votre texte est une coquille vide. On est proche de l'incantation, et je ne doute pas que les hommes et femmes des territoires ruraux s'en apercevront très vite.

M. Jean-Pierre Sueur. Malheureusement !

M. Bernard Piras. Plus grave encore, sur le plan des moyens, les quelques dispositions prises sont à la charge des collectivités locales.

M. Bernard Piras. Plusieurs élus locaux m'ont déjà fait part de leur vive inquiétude sur les nombreuses exonérations qui leur seront imposées par ce texte et qui ne seront pas compensées par l'Etat.

M. Jean-Pierre Plancade. C'est bien le problème !

M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, certains membres de votre majorité ont publiquement regretté que soient laissées à la charge des collectivités locales les moins riches les exonérations fiscales proposées.

C'est vrai, ce texte accorde un nouveau droit aux collectivités locales les plus pauvres : celui de payer, par dégrèvement d'impôts locaux non compensés par l'Etat, ce que les plus riches peuvent obtenir gratuitement parce que la densité assure la rentabilité.

C'est le même type de raisonnement qui a conduit à permettre aux communes dont les opérateurs en téléphonie ne veulent pas à devenir elles-mêmes opérateurs en faisant supporter la charge de leur réseau à leurs contribuables.

Ajoutez à cela l'esprit dans lequel le gouvernement actuel appréhende la décentralisation et vous comprendrez aisément que les campagnes grondent ! Elles gronderont de plus en plus, car, loin d'aider la ruralité, vous l'enfoncez, monsieur le ministre.

M. Hervé Gaymard, ministre. Oh !

M. Bernard Piras. Sur le contenu de ce texte, les autres orateurs de mon groupe reviendront plus en détail, mais je veux brièvement évoquer certains sujets qui démontrent indéniablement que vous n'avez pas pris conscience de la réalité.

Revenons à l'objectif annoncé : le développement des territoires ruraux pour contrecarrer l'évolution actuelle qui se fait dans le sens du déclin.

Pour que des personnes aient envie de rester dans les territoires ruraux ou de venir s'y installer, il faut qu'elles puissent y trouver les éléments structurants majeurs que sont l'emploi, les services publics, le logement et les moyens de communication.

En matière d'emploi, je sais que la tâche est difficile et que seule une démarche volontaire des pouvoirs publics peut être efficace. Mais pourquoi avoir rejeté l'idée d'instituer des zones franches rurales ? Pourquoi refuser au monde rural ce qui a été accordé aux villes ? De nombreux députés de votre majorité ont émis le souhait que cette question donne lieu à un véritable débat.

Les problèmes rencontrés dans les villes ont fait l'objet d'une politique volontariste, mais le texte relatif à la ruralité ne donne pas la même impulsion, monsieur le ministre.

Dans un souci d'équité et d'aménagement cohérent du territoire, il n'est pas admissible de s'attaquer aux problèmes des zones urbaines hypertrophiées et d'ignorer la désertification des zones rurales. Nos concitoyens tentés par un retour à la vie rurale sont en nombre croissant. Si les moyens leur sont donnés, à n'en pas douter le mouvement de désertification rurale s'inversera.

Le deuxième sujet que je veux aborder est le service public. Je suis certain en effet, monsieur le ministre, que, sur ce sujet, vous n'avez pas pris conscience du problème et que votre démarche va à l'encontre des objectifs annoncés.

Je reçois chaque semaine des requêtes d'élus locaux qui ne comprennent pas pourquoi, d'un côté, on leur affirme que la ruralité doit bénéficier d'un développement alors que, de l'autre, on leur retire un à un tous les services publics.

Le maintien d'un maillage de services publics de qualité est un élément déterminant d'une ruralité vivante et constitue le gage de l'équité territoriale dont l'Etat doit être le garant.

M. Gérard Le Cam. C'est vrai !

M. Bernard Piras. Si les collectivités locales sont prêtes à se mobiliser, et elles le font depuis longtemps déjà, elles ne souhaitent pas se substituer à l'Etat. Confier la gestion du service public aux communes, c'est rompre l'égalité en faisant payer deux fois les bénéficiaires.

M. Gérard Le Cam. Très juste !

M. Bernard Piras. Je ne suis pas sûr que la notion de service au public, qui tend en fait à privatiser le service en le confiant à des personnes privées, soit la meilleure solution. Confier un service à un commerçant, par exemple, c'est à court terme transformer ce service en bien marchand.

Et que dire des services publics, tels que les hôpitaux ruraux, qui sont tout simplement supprimés sans pouvoir être transférés à un tiers ? Comment persuader une personne à qui l'on apprend que, pour toute urgence médicale, elle devra se rendre à plus d'une heure de chez elle de s'installer dans un territoire rural ?

Nous avons bien compris que la philosophie libérale qui anime le gouvernement actuel le conduit à se délester de nombreuses charges qu'il estime ne pas être de sa compétence afin de se cantonner à ses missions régaliennes. Or, même pour les adeptes de cette doctrine, un service public accessible à tous dans les mêmes conditions fait partie du service minimum qu'un Etat régalien doit pouvoir assumer.

En matière de logement, troisième élément structurant, l'offre s'avère largement insuffisante, ce qui contrarie nombre de projets. Les élus locaux, qui connaissent le mieux les besoins et les potentialités, sont prêts à jouer le jeu et à favoriser l'émergence de logements, notamment sociaux, pourvu qu'on leur en donne les moyens.

Favoriser la rénovation du patrimoine bâti et développer l'habitat collectif dans les territoires ruraux doivent devenir des priorités. Or ces priorités ne sont pas assez prises en compte par votre texte.

Lorsque l'on examine les cartes de la DATAR, on constate que les zones rurales les plus frappées par le déclin démographique et économique sont celles qui sont le plus enclavées. ?uvrer pour le développement des territoires ruraux, c'est lutter ardemment contre l'enclavement.

Il ne faut pas se leurrer, monsieur le ministre : le texte que vous nous proposez permettra peut-être de régler un certain nombre de problèmes techniques, mais il serait incongru de prétendre qu'il a pour ambition de garantir le développement des territoires ruraux comme son titre l'indique. « Projet de loi portant diverses dispositions relatives aux territoires ruraux » aurait sans doute été un intitulé plus approprié.

Outre le fait qu'il est moins ambitieux qu'il n'y paraît, le texte qui nous est soumis cumule les défauts : il est incomplet, injuste et - l'avenir le prouvera - inefficace.

Les véritables décisions relatives aux territoires ruraux ne sont pas contenues dans les nombreux articles du présent projet de loi. Les véritables décisions, ce sont les coupes claires que vous effectuez par ailleurs : réduction drastique du FNDAE, le fonds national pour le développement des adductions d'eau ; baisse de la participation de l'Etat au budget des parcs naturels régionaux ; réduction de la dotation globale de fonctionnement pour les communautés de communes rurales ; remise en cause d'infrastructures routières et ferroviaires.

Je conclurai en revenant sur l'étude de la DATAR sur la France rurale en 2020.

Cette étude soulève une question qui me semble cruciale : la France rurale aura-t-elle les ressorts propres à son développement ou est-elle condamnée à servir d'annexe aux villes pour leur apporter ce qui leur fait défaut, à savoir des espaces résidentiels, des lieux d'implantation industrielle, des sites environnementaux ou encore des sites de stockage des déchets urbains ?

Le second scénario, fondé sur la dépendance, n'est évidemment pas acceptable : il cumule tous les inconvénients, qu'ils soient d'ordre sociologique, économique, écologique, etc.

Parmi les propositions des auteurs de cette étude, j'en ai relevé plusieurs qui me paraissent essentielles mais qui n'ont pourtant pas été retenues dans le projet de loi.

En premier lieu, il faut donner aux territoires ruraux les moyens de se développer par eux-mêmes, sans plus demeurer dépendants des villes

En second lieu, le « désir de campagne » manifesté par un nombre croissant de nos concitoyens peut constituer un phénomène structurant et pérenne, la réalisation d'une telle aspiration pouvant avoir un effet d'amorce sur l'ensemble de l'économie rurale, notamment sur le besoin de services aux personnes, de commerces, etc. C'est particulièrement vrai s'agissant des retraités, de plus en plus nombreux.

En troisième lieu, une nouvelle politique de développement durable suppose une forte volonté reposant en partie sur le soutien de l'Etat pour aider les espaces ruraux les plus défavorisés en termes d'habitat, d'accessibilité, de développement économique et de services aux populations, la solidarité étant incontournable dans ce domaine.

M. Bernard Piras. Ce projet de loi ne répond pas à cette attente. Au cours de la discussion, mon groupe présentera des amendements pour améliorer les aspects techniques abordés, mais je regrette que ce projet de loi soit une nouvelle occasion manquée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, annoncé depuis de nombreux mois, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux a suscité beaucoup d'espoirs parmi les acteurs de la ruralité.

Après avoir subi l'exode massif des années soixante, le monde rural a en effet maintes fois eu le sentiment d'être l'oublié de l'aménagement du territoire, voire la victime de mesures prises au niveau national et souvent mieux adaptées au monde urbain qu'au monde rural.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit, c'est vrai, plusieurs mesures pouvant redonner confiance au monde rural. Je citerai les dispositions relatives à la montagne, qui ont fait l'objet d'une importante concertation avec les différents acteurs de ce milieu si spécifique, ou encore les dispositions relatives à l'accès aux services publics ou en faveur des zones de revitalisation rurale.

Mais, pour intéressantes que soient certaines des dispositions proposées qui créent de nouveaux « outils », comme vous l'avez vous-même dit, monsieur le ministre de l'agriculture, pour tenter d'enrayer le déclin économique des zones les plus fragiles ou pour faciliter la gestion de certains espaces sensibles, il n'en demeure pas moins vrai que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui ressemble plus à un catalogue de mesures sectorielles et disparates qu'à un véritable projet d'aménagement du territoire.

En précisant la définition du « chien en état de divagation » ou en réglementant le « transport de bois rond », le texte complète peut-être utilement, je n'en disconviens pas, le code rural ou le code forestier ; mais quelle perspective de développement offre-t-il aux territoires ruraux ? Les vraies questions sont-elles abordées ?

Que voulons-nous que soit demain le monde rural ? Voulons-nous un espace vide où l'on s'efforce de maintenir artificiellement - à coup de cadeaux fiscaux - les services publics et les commerces malgré l'absence d'une population suffisante pour les faire vivre ? Ou voulons-nous un espace qui revit parce que l'on aura su conforter l'attractivité des petites villes et des bourgs ruraux qui maillent le territoire et qui sont les seuls endroits où l'on peut encore, avec de réelles chances de succès, maintenir voire développer les services publics et privés qui permettent de faire vivre tout un territoire ?

Il faut cesser de laisser croire que l'on peut aujourd'hui assurer les mêmes services qu'hier dans chacune des 36 000 communes de France, mais il faut aussi cesser de légiférer en permanence comme si la loi ne s'appliquait qu'au secteur urbain.

Il est d'ailleurs facile de multiplier les exemples de décisions prises depuis des années au niveau national et qui, ne tenant pas compte des spécificités du monde rural, lui causent plus de torts que de bien.

Lorsque le législateur a créé, en 1996, une allocation de vétérance au profit des anciens pompiers volontaires, de nombreuses petites communes n'ont pu faire face à cette nouvelle charge financière et se sont vu contraintes de supprimer leur corps de pompiers. Est-ce un progrès pour la vie en milieu rural ? Je n'en suis pas certain.

Lorsqu'un texte réglementaire a imposé, il y a deux ans, aux directeurs des centres de loisirs sans hébergement d'être titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions de directeur, et non plus seulement du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, quelle que soit d'ailleurs l'importance de la commune, on a alors tout simplement fait disparaître des centres de loisirs en milieu rural, faute de trouver les animateurs en possession du bon brevet.

Lorsqu'on a exigé l'obtention préalable d'un concours de la fonction publique territoriale pour accéder aux postes d'agent de service des écoles maternelles, on a alors fermé la porte d'accès à cette fonction à des mères de famille du village qui auparavant trouvaient ainsi un emploi sur place.

Lorsque l'on a renforcé sans nuance, en 2001, les normes de sécurité applicables aux établissements recevant du public, une halte-garderie située dans un village de mon canton a été fermée, faute pour la commune de pouvoir assumer financièrement le coût des mises aux normes.

Et que dire du nouveau code des marchés publics qui, en imposant le principe de mise en concurrence et de publicité pour toute acquisition ou aménagement, quel que soit son montant, contraint les petites communes soit à se mettre dans l'illégalité, soit à retarder, voire tout simplement à stopper, la mise en oeuvre de certains de leurs projets, faute de disposer des moyens financiers, juridiques et techniques nécessaires au respect du code ?

Et qu'adviendra-t-il de nos campagnes si la future charte de l'environnement est inscrite dans la Constitution ? Elle rendra tout simplement impossible, dans certains cas, l'installation en milieu rural de certaines industries, notamment des industries agro-alimentaires qui créent quelques nuisances : je suis bien placé pour le savoir puisque tel est le cas dans ma région. Nous obtiendrons sans doute, avec de telles mesures, un environnement de rêve, mais hélas ! sans travail ni valeur ajoutée...

Je m'arrête là, mais je pourrais multiplier les exemples : vous en avez tous, j'en suis sûr, un certain nombre en tête. !

Cessons donc de vouloir légiférer en permanence et sur tous les sujets !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est le cas de le dire !

M. Yves Détraigne. Nous ne faisons, bien souvent, que créer des contraintes nouvelles auxquelles le monde rural n'est pas en mesure de faire face et qui lui font plus de tort que de bien. Et je crains fort que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux n'évite pas toujours cet écueil !

Au contraire, redonnons espoir à ce monde rural autrement que par des mesures sectorielles, proposons-lui une véritable vision pour l'avenir, qui soit de nature à mobiliser tous les acteurs de la ruralité !

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, hélas ! ne le fait pas, malgré son titre. Espérons, messieurs les ministres, que les véritables questions qui se posent pour l'avenir des territoires ruraux soient soulevées lors de la préparation de la future loi d'orientation agricole, et qu'il y soit répondu en offrant, enfin, au monde rural un véritable projet mobilisateur pour demain. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. Gérard Le Cam. Belle critique : c'est intéressant !

M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.

M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi ne pouvait répondre ni à toutes les questions du monde rural ni à toutes les problématiques de l'aménagement du territoire -vous-même l'avez dit, monsieur le ministre -, et les interventions de nos collègues sur sa diversité l'auraient prouvé si besoin en était.

Vous nous avez indiqué que ce projet de loi s'articulait avec d'autres textes récents ou en cours d'élaboration, notamment un projet de loi de modernisation agricole qui viendrait compléter certaines des dispositions de ce texte, tirer les conséquences de la récente réforme de la politique agricole commune, et qui est - n'en doutons pas - très attendu.

C'est dans ce contexte favorable d'évolution que nous prenons ce projet de loi tel qu'il vient, visant à faciliter la vie dans les territoires ruraux et à améliorer les services offerts à leur population. Je suis donc très favorable à ce projet de loi qui mettra « en ligne » les politiques conduites en faveur du monde rural en les améliorant, et je voudrais, ici, saluer le remarquable et difficile travail de nos rapporteurs.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Merci !

M. Ambroise Dupont. Au-delà de ces impressions, j'aimerais m'arrêter brièvement sur certains points particuliers qui, entre autres, me semblent mériter l'attention.

Votre projet de loi, messieurs les ministres, revoient le dispositif des zones de revitalisation rurale, créé par la loi Pasqua de 1995, en faveur des parties les plus fragiles des espaces ruraux. C'était une belle initiative - rappelons-le - venue corriger des inégalités flagrantes sur notre territoire. Chacun s'en souvient, l'instauration des ZRR avait suscité l'espoir de nos communes. Toutefois, cet enthousiasme est souvent retombé du fait de complications administratives, de critères trop restrictifs et d'un manque de moyens.

Il est très préjudiciable pour une politique publique de faire naître des espoirs et de les décevoir. Les élus ruraux attendent donc de votre nouveau dispositif une plus grande souplesse dans son ensemble, une durée suffisante et des moyens afin que ce dernier atteigne ses objectifs.

Je me réjouis de la part que les ZRR tiennent dans votre texte.

En matière d'urbanisme, je voudrais rappeler les difficultés que nous rencontrons dans la mise en application de la PVR, la participation pour voirie et réseaux : j'ai eu l'occasion de les évoquer dans un certain nombre d'interventions. Certaines constructions d'intérêt architectural réel ne peuvent être réhabilitées ou transformées car elles se situent en dehors du champ d'application possible de la PVR. Comment, en effet, partager la participation au raccordement des réseaux lorsque le demandeur est le seul bénéficiaire ?

Je pense que votre texte, dont c'est la philosophie, devrait régler ce problème d'une charge trop lourde pour de petites communes. Il permettrait ainsi de sauver un patrimoine réel, de l'adapter et de développer le milieu rural.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Très bien !

M. Ambroise Dupont. Vous connaissez mon intérêt pour le monde du cheval, dont les diverses activités jouent un rôle dynamique dans l'économie et l'emploi des zones rurales. Je suis tout à fait sensible, monsieur le ministre de l'agriculture, aux efforts que vous-même et les services de votre ministère avez déployés afin de mettre en oeuvre une politique ambitieuse en faveur de la filière équine française.

Cette politique ambitieuse, annoncée en juillet 2003, que vous avez conduite avec vos collègues Jean-François Lamour et Alain Lambert - je tiens à les saluer ici pour leur rôle actif dans ce dossier -, voit dans ce projet de loi l'une de ses traductions concrètes : l'harmonisation du statut agricole pour l'ensemble des activités équines, à l'exception de celles du spectacle.

Je rappelle au passage que la commission des finances du Sénat, comme l'a également indiqué Joël Bourdin, avait anticipé ce texte dès le projet de loi de finances pour 2004 en faisant basculer ces activités dans le régime des bénéfices agricoles.

Je saisis également l'occasion de ce débat pour évoquer la situation des entreprises du paysage qui sont affiliées aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics, alors que leurs prestations principales revêtent un caractère agricole.

Nos travaux auraient pu permettre de proposer des modifications du régime actuel, mais la mesure semble relever du domaine réglementaire. Lors des discussions devant l'Assemblée nationale, vous aviez indiqué, monsieur le ministre, que le décret serait pris rapidement. Ne voyant rien venir, nombreuses sont les entreprises qui s'inquiètent de la prolongation de leur affiliation aux caisses de congés payés du bâtiment et des travaux publics. J'aimerais que vous nous précisiez les choses.

S'agissant du Conservatoire du littoral, cet établissement public, créé par la loi du 10 juillet 1975, a vocation à mener une politique foncière de sauvegarde de l'espace littoral et de respect des sites naturels et de l'équilibre écologique.

Personne ne peut nier qu'il revêt donc un rôle capital dans la préservation du patrimoine littoral menacé par toutes sortes de convoitises, et je voudrais dire ici qu'il réussit dans sa mission.

Aussi attaché à la sauvegarde du littoral que l'on soit, il faut pourtant admettre que la mission du Conservatoire du littoral n'est pas d'acheter l'ensemble de la France, mais plutôt des sites soigneusement sélectionnés sur lesquels s'applique une politique cohérente. Ces achats mobilisent des ressources financières très importantes et, par conséquent, difficiles à obtenir, compte tenu des sommes nécessaires à la réalisation des opérations foncières.

C'est pourquoi les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, prévoyant une possibilité d'extension de son intervention dans les zones humides des départements côtiers, ainsi que sur les départements limitrophes, semblent, de l'avis de tous, plus équilibrées que le projet de loi initial. Elles ne doivent cependant pas faire oublier le problème de l'adéquation des moyens aux missions. De plus, à notre sens, les interventions dans les départements limitrophes devront demeurer exceptionnelles.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Tout à fait !

M. Ambroise Dupont. S'agissant de la création d'un « Conseil national du littoral », dont la composition et les compétences sont largement calquées sur celle du «Conseil national de la montagne », je m'interroge.

En effet, si ce conseil paraît « séduisant » au vu de ses attributions, l'instauration d'une telle instance correspond-t-elle à une nécessité ?

Nous connaissons la propension française à créer des comités, commissions et autres conseils n'améliorant souvent en rien les dispositifs existants, parfois même compliquant les choses.

La création du « Conseil national du littoral » devra donc représenter un « plus » par rapport aux outils actuels. Il lui faudra - je crois que c'est son rôle - rappeler la doctrine, le souci de l'Etat et les grands principes. Nous avons peu de grands principes, il faut les défendre et je ne voudrais pas, en effet, dans ce domaine du littoral, voir les dérogations successives leur enlever leur force.

Les territoires ruraux subissent aujourd'hui de fortes mutations : urbanisation croissante, inflation du prix des terres, diminution du nombre d'agriculteurs...

Dans ce contexte, les SAFER jouent un rôle extrêmement important dans la préservation et l'aménagement des zones rurales, en partenariat avec les collectivités territoriales.

Afin de mieux gérer l'espace, le droit de préemption des SAFER pourrait être étendu à l'ensemble des territoires ruraux pour la réalisation de projets de développement local.

Plus précisément, il faudrait faire bénéficier les communes rurales de l'attribution d'un bien acquis par préemption par la SAFER, ce qui est aujourd'hui possible pour les seuls biens acquis amiablement par la SAFER, les SAFER devenant concurrentes des établissements publics d'aménagement foncier, alors que, me semble-t-il, vous souhaitez donner le choix aux collectivités de leur opérateur foncier.

Enfin, il me semble que, de façon générale, le présent texte de loi ne laisse pas suffisamment de place à la problématique des paysages.

En signant et en prévoyant de ratifier la convention européenne du paysage, notre pays a montré son intérêt pour la prise en compte de la dimension paysagère dans les politiques nationales.

Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux pourrait être l'occasion de traduire cet engagement, et je ferai quelques propositions à ce sujet.

Pardonnez, messieurs les ministres, le caractère un peu « zappeur » de mon propos.

M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Le texte l'est aussi !

M. Ambroise Dupont. La nature « composite » du projet de loi, pour reprendre le qualificatif de M. le ministre, s'y prêtait.

Le fond reste l'essentiel. Pour faire vivre le monde rural, votre texte ambitionne d'offrir des outils mieux adaptés. Ils rendront de grands services.

Ce projet de loi a un mérite : faire reconnaître le monde rural. Nous ne pouvons que nous en réjouir et vous soutenir dans votre volonté de l'aider à tenir sa place dans l'aménagement humain, social et économique de notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « La montagne est une partie essentielle du pays dont il faut assurer la continuité avec le reste du territoire national. » Tels sont les propos du rapporteur Francis Saint-Léger lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale.

Je me réjouis de cette reconnaissance, tout en regrettant qu'elle ne soit pas mieux concrétisée dans le présent texte qui reste très frileux quant aux moyens qui lui sont accordés comme l'a déjà dénoncé mon ami Gérard Le Cam. Et les gels de crédits récemment annoncés ne vont rien arranger...

Bien sûr, le passage à l'Assemblée nationale a permis d'enrichir quelque peu votre texte sur la partie « montagne », puisque quatre articles étaient, initialement, consacrés à ce sujet ! Mais, par rapport aux attentes, concrétisées par la richesse de la proposition de loi déposée l'été dernier par les élus de l'ANEM, le bilan est somme toute mitigé, d'autant que la commission des affaires économiques du Sénat, par plusieurs amendements, revient sur les quelques avancées obtenues par les députés.

Toutefois, malgré les amendements de M. Emorine, les objectifs généraux de la politique de la montagne restent inscrits dans le texte et font apparaître de façon emblématique la notion de « développement équitable et durable », pour reprendre une partie de l'article 62.

Quant à la reconnaissance de sa spécificité par la mise en oeuvre des politiques de massifs, il est dommage que le Gouvernement n'ait pas suivi les propositions des élus de nos massifs, celles inscrites dans le texte de loi dont je vous parlais il y a un instant, et celles déposées à l'Assemblée nationale.

En effet, bien peu d'amendements déposés par les députés de l'ANEM ont été retenus, les amendements ayant des incidences financières n'obtenant pas l'aval du ministère des finances, et ceux affirmant la spécificité montagne étant repoussés d'un revers de manche !

Par ailleurs, les quelques mesures obtenues accordent des possibilités d'intervention nouvelles aux collectivités, mais ne sont pas compensées par l'Etat. Ce ne sont pas celles que j'aurais privilégiées.

Quelques avancées concernent les saisonniers, elles seront les bienvenues pour ces salariés dont une partie en tout cas, les « non locaux », éprouve de grandes difficultés à faire respecter ses droits les plus élémentaires du travail.

Le pastoralisme est à peine abordé, et la formation des bergers totalement ignorée. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai deux amendements à ce sujet. Mais je ne vais pas vous dresser une liste exhaustive des points négatifs ou positifs du texte : nous en débattrons tout au long de cette discussion...

Toujours est-il que la prise en compte des réalités du terrain, et surtout de leur diversité d'un territoire à l'autre, a du mal à se matérialiser. Pourtant, les enjeux liés à ces territoires, qu'il s'agisse des zones de revitalisation rurale ou des territoires de montagne, sont loin d'être négligeables, notamment du point de vue de leur patrimoine naturel.

Alors même que s'inscrit dans ce projet de loi la notion de développement équitable et durable, il serait logique que la qualité des espaces naturels et la densité de population constituent des critères de base pour l'affectation des dotations aux collectivités et que le concept de « spécificité montagne » soit enfin reconnu !

Dès à présent, le « massif » doit se positionner sur le plan européen, et je ne partage pas l'analyse de la commission des affaires économiques à ce sujet. Je ne voterai donc pas l'amendement que nous soumettra M. Emorine au cours de la discussion des articles. Je regrette même qu'il revienne sur le texte adopté à l'Assemblée nationale.

Enfin, le Conseil national de la montagne est appelé à jouer un rôle important et nouveau, de par la reconnaissance des objectifs généraux de la politique de la montagne inscrite dans ce texte, notamment pour le « développement équitable et durable ». Pourquoi alors ne pas avoir donné la possibilité aux acteurs locaux de la vie de nos massifs de réellement prendre en main leur destinée ?

Par ailleurs, monsieur le ministre - mais ce point fera l'objet d'un autre texte -, la réflexion en cours sur la taxe professionnelle ne fait qu'ajouter aux inquiétudes des élus locaux, qui constatent déjà le désengagement de l'Etat s'agissant de certaines compensations fiscales acquises auparavant.

J'en reviens à la proposition de loi de modernisation et de renouvellement de la politique de la montagne et de revitalisation rurale déposée par les sénateurs de nos massifs, dont moi-même. Cette proposition de loi avait pour objet, en cohérence avec la philosophie définie de façon unanime en 1985 par les deux assemblées, le renforcement des responsabilités et de la capacité des populations, collectivités et organisations de montagne, à prendre en main leur destin, cette nouvelle capacité devant être mise au service d'un développement équitable et durable de la montagne.

Monsieur le ministre de l'agriculture, vous qui êtes un élu de nos massifs, pourquoi n'avoir pas mis en discussion cette proposition de loi, en y apportant vos amendements ? Pourquoi avoir préféré la noyer au sein du présent texte ? Aujourd'hui, la loi montagne existe, mais elle ne donne plus entièrement satisfaction. Vous avez manqué l'occasion qui vous était donnée de la moderniser, de reconnaître cette spécificité que nous demandons en toute légitimité.

Ainsi, je m'attacherai, pendant la discussion de ce texte, à faire valoir cette spécificité montagne, à mettre en avant l'enjeu de la diversification des activités de nos massifs, qu'elles soient économiques ou touristiques, environnementales, culturelles, sociales, sanitaires, au-delà de l'urbanisation à outrance.

Je vous dirai aussi comment nos forêts de montagne ne sont pas « rentables » d'un point de vue strictement économique, mais combien elles sont indispensables à nos concitoyens et à nos villes, comment les communes stations de moyenne montagne ont besoin du soutien des grandes agglomérations, car elles subissent un surcoût d'aménagement qui profite à toutes nos collectivités.

Je vous parlerai encore du rôle citoyen important que jouent nos territoires par les classes vertes, les classes de découverte, l'aménagement durable et équitable de notre pays, du rôle primordial des éleveurs et de leurs troupeaux dans nos alpages, de la difficulté de vie des saisonniers et, enfin, de la particularité pour les montagnards de vivre dans nos massifs, dès lors qu'ils sont confrontés à la désertification des services publics, notamment ceux de l'éducation nationale !

Finalement, messieurs les ministres, ce texte est habillé de belles promesses, mais il est dépouillé des moyens nécessaires ! Il doit dès à présent être étayé par une volonté politique indéfectible, par des ressources appropriées et des mesures durables ! C'est dans ce sens que vont nos amendements.

Le concept de développement durable et équitable ne doit pas seulement être inscrit, même de façon emblématique, dans votre texte ; il doit maintenant être mis en oeuvre.

Et votre « boîte à outils » - qui se doit d'être pragmatique et pratique, nous avez-vous dit, monsieur le ministre -, doit à cet effet contenir des outils performants et correspondant aux besoins. Encore faut-il que ceux qui auront à l'utiliser, c'est-à-dire les acteurs locaux du développement de nos territoires, tant ruraux que montagneux, en aient le mode d'emploi.

Ne pouvant développer davantage mon propos dans le cadre de cette discussion générale, j'en resterai là, en vous assurant néanmoins de ma vigilance durant la discussion des articles quant à la prise en compte de la spécificité de nos territoires de montagne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le ministre, votre texte est très attendu. Il fait naître beaucoup d'espoirs : il doit, entre autres, apporter des réponses pratiques à l'évolution des services publics, l'attractivité économique, les problèmes fonciers, mais, plus que cela, il doit permettre de gérer au mieux l'ensemble du territoire français et ses ressources humaines en donnant à la ruralité sa vraie place.

Les zones rurales doivent être un atout pour notre pays. Développer les territoires ruraux, c'est choisir l'aménagement du territoire, réduire l'entassement de la population et les temps de transports qui génèrent insécurité, mal-être, tensions dans les zones urbaines. C'est aussi faire un choix économique à moyen et à long terme pour la nation, en donnant toute leur place aux zones rurales dans l'économie nationale, plutôt que de développer, toujours et encore, des infrastructures très coûteuses dans des zones urbaines déjà saturées.

Les Français ne s'y trompent d'ailleurs pas. A la question suivante : « D'après vous, quel sera le mode de vie le plus moderne en 2010 ? », 48% répondent : « vivre à la campagne », 25%, « vivre dans un cadre périurbain » et 23%, « vivre en ville » !

La question est donc de savoir si le projet de loi que vous nous proposez permet de mettre en place les outils de cette nouvelle modernité rurale. Les zones rurales ne veulent pas l'aumône. Elles veulent simplement que l'égalité des chances ne soit pas seulement un principe virtuel de notre République, mais qu'elle s'inscrive concrètement dans la réalité.

En reconnaissant que « l'Etat est garant de la solidarité nationale en faveur des territoires ruraux et de montagne et reconnaît la spécificité desdits territoires », vous prenez un engagement solennel dès le premier article de votre projet de loi. Vous faites naître, je le répète, un espoir. Et je suis d'ailleurs heureux que le Gers, département le plus rural de France, bénéficie désormais, et grâce à un dialogue fructueux, d'une extension des zones de revitalisation rurale sur l'intégralité de son territoire, à l'exception d'un seul canton.

Mais il ne faudrait pas que cet espoir soit déçu. Voilà cinq ans, la loi Chevènement, dont l'un des objectifs était le rééquilibrage entre communes riches et communes pauvres, laissait espérer une nouvelle harmonie du territoire.

Aujourd'hui, quel est le bilan ? Le développement intercommunal a-t-il permis un lissage des déséquilibres entre les ressources des communautés de communes, d'une part, des communautés d'agglomération, d'autre part ? Si tel n'est pas le cas, il faut proposer qu'une fraction significative de la dotation globale de fonctionnement des communautés d'agglomération les plus riches vienne abonder les ressources des communautés de communes les moins favorisées.

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut une péréquation !

M. Aymeri de Montesquiou. Je rappelle que ce gouvernement a déjà marqué son intérêt pour les territoires ruraux avec, par exemple, la loi « urbanisme et habitat » de juillet 2003 améliorant certaines dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU, dans les zones rurales, le CIADT, dit « rural », du 3 septembre 2003 ou, tout récemment, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique qui autorise désormais les collectivités territoriales à devenir opérateurs de réseaux locaux de communications, disposition très attendue dans les zones rurales.

Aujourd'hui, le pragmatisme doit être le maître mot de vos propositions et nous voulons des outils pour concrétiser l'aspiration à la ruralité exprimée par les Français.

Dans le débat récurrent sur les moyens de garantir la présence des services publics dans les zones rurales, il s'agit d'écarter ce qui est, aujourd'hui, une fausse bonne idée : le moratoire des fermetures de services publics en milieu rural dans les communes de moins de 2 500 habitants. Il faut, dès à présent, avoir le courage de proposer une organisation dynamique des services publics : un moratoire ne résoudrait rien sur le fond et ne ferait que renforcer les mécontentements qui se manifesteraient à l'issue de ce dernier.

Le pragmatisme, je le dis à nouveau, doit être le seul objectif pour assurer le présent et préparer le futur. Deux moyens complémentaires vont dans le bon sens : la modernisation du régime juridique des maisons de services publics, avec la possibilité de permettre l'accueil de services privés, professions libérales ou artisanales. L'exécution d'une mission de service public pourra même être confiée à une personne privée. Pourquoi pérenniser une coupure archaïque entre secteur privé et secteur public ?

Je mentionnerai des dispositions supplémentaires pour maintenir des services de proximité fournis par l'Etat, les établissements publics ou les entreprises publiques. De plus, vous proposez une meilleure information des élus et des administrés concernant les décisions de réorganisation des services publics. C'est aussi une forme de démocratie.

A cet égard, l'école tient une place particulière dans la vitalité des communes, et nos collègues députés ont souhaité que les seuils des effectifs scolaires pour le maintien des classes d'enseignement primaire, des collèges ou des lycées soient abaissés de 20% dans les zones de revitalisation rurale. Pour des raisons budgétaires, un transfert des enseignants des zones urbaines vers les zones rurales le permettrait. Nous avons tous connu des classes aux effectifs plus nombreux que celles d'aujourd'hui.

Deuxième axe indispensable à l'attractivité des territoires ruraux : le développement des services de santé dans nos communes.

Je retiendrai trois dispositions : la coordination des aides des collectivités locales avec les organismes d'assurance maladie pour favoriser l'exercice en cabinet de groupe et la constitution de pôles de soins, un système d'indemnités et d'exonération de la taxe professionnelle pour une installation ou un regroupement, une indemnité destinée aux étudiants en médecine s'engageant à exercer au moins cinq ans en zone déficitaire, ainsi qu'à ceux de troisième cycle effectuant leur stage dans ces mêmes zones.

Toutes ces dispositions pratiques me semblent applicables à l'échelle d'une communauté de communes.

Le troisième axe porte sur les mesures en faveur de l'emploi et des entreprises, avec trois dispositions phares : la compatibilité d'un emploi public et d'un emploi privé dans les communes de moins de 3 500 habitants et pour toutes les catégories de personnels ; des mesures relatives aux emplois saisonniers, comme la possibilité de cumuler des périodes de contrats saisonniers successifs dans une même entreprise pour le calcul de l'ancienneté ; le renforcement des exonérations fiscales pour des travaux de rénovation d'immobilier d'entreprises dans le domaine de l'artisanat, du commerce et des activités d'entreprises, et la possibilité ouverte aux communes rurales de mettre en location un bien immobilier à usage commercial à un prix inférieur au montant de l'amortissement du bien.

Monsieur le ministre, votre projet de loi constitue certes une boîte à outils contenant des instruments novateurs, alliant la souplesse, la synergie entre les différentes collectivités publiques et un partenariat entre les sphères publique et privée.

Néanmoins, si, dans ces trois domaines, votre projet de loi innove et apparaît comme réellement incitatif, les communes et leurs regroupements doivent avoir les moyens de mettre ces instruments en place, sinon le présent texte deviendrait l'inventaire à la Prévert que vous redoutiez tant.

Par ailleurs, votre projet de loi n'apporte pas assez de précisions sur les modalités de compensation de ces mesures d'allégements ou d'exonérations aux collectivités locales. Cette préoccupation revêt une importance particulière dans le contexte actuel de réforme de la taxe professionnelle, ressource importante des collectivités locales, et dans le cas des établissements publics de coopération intercommunale à taxe professionnelle unique, cette dernière étant leur seule ressource.

Les élus ruraux doivent être rassurés d'une part sur les financements, d'autre part sur la péréquation territoriale qui doit être mise en oeuvre.

Le financement des projets est plus préoccupant à l'heure où débutent les négociations communautaires sur l'avenir des fonds structurels européens, dont les modalités d'attribution et les montants seront modifiés à compter de 2007.

Monsieur le ministre, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous apportera son soutien. Cependant, une absence de réponses précises aux questions de financement créerait des frustrations justifiées et rendrait sans objet un texte aux nombreuses propositions innovantes et concrètes. Nous comptons sur vous pour nous les donner. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Dussaut.

M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, se pencher sur le développement des territoires ruraux nécessite une approche complexe. En effet, en zone rurale, que l'on se place d'un point de vue économique, sociologique ou culturel, tout s'enchevêtre, se complète et parfois s'oppose.

Par ailleurs, tout y est en devenir, tant l'évolution est considérable depuis ces cinquante dernières années, ce qui ajoute à la complexité de l'exercice.

Nos territoires ruraux possèdent les potentiels pour une dynamique de développement. Ils doivent les faire émerger par une identité profonde, historique, essentiellement agricole, où au quotidien de ceux qui vivent et travaillent sur place s'ajoute la façon de vivre de ceux qui habitent « à la campagne » mais travaillent au pôle urbain le plus proche, de ceux qui ont une résidence secondaire à la campagne, de ceux qui ne font que passer. Une telle complexité peut être source de conflits.

Pour ces raisons, une approche transversale est indispensable. Tous les acteurs sont concernés ; les secteurs sont interdépendants.

De nombreux ministères sont également concernés. Il est néanmoins regrettable que les petites et moyennes entreprises, le commerce, l'artisanat, ainsi que les finances soient absents. Car le bât blesse sérieusement dans ce domaine.

Grand balayage pour les uns, texte composite pour les autres : il manque assurément une ligne directrice à ce texte, une philosophie. Il contient des dispositions intéressantes, mais sans ossature générale, sans envergure et, surtout, sans moyens.

Le monde rural doit, pour son équilibre, préserver une activité plurielle faite de solidarité entre les acteurs. Or, au final, beaucoup d'insatisfactions et de sentiments de frustration demeurent.

Le monde agricole trouve que les dispositions sont insuffisantes et qu'elles manquent de perspectives. Or, vous le renvoyez, monsieur le ministre, au futur projet de loi de modernisation agricole qu'il aurait sans doute été préférable d'examiner préalablement à ce texte.

Je ferai deux réflexions sur les dispositions relatives au monde agricole.

La définition de l'activité agricole est élargie, la notion figurant dans la précédente définition de « maîtrise d'un cycle biologique » est mise de côté. On y intègre l'activité touristique liée à l'usage des chevaux. Pourquoi pas ?

Monsieur le ministre, il faudra une réponse à la question des baux des exploitants équins. Sont-ils désormais des baux ruraux ?

Par ailleurs, la levée du plafond d'agrandissement des exploitations agricoles à responsabilité limitée aura des conséquences importantes, et à mon sens négatives, tant d'un point de vue économique qu'en matière d'aménagement du territoire parce qu'elle aura pour conséquence de privilégier l'agrandissement des exploitations.

Le nombre de résidents autres qu'agricoles est en augmentation. Parmi eux, les artisans estiment que la part qui leur est réservée dans le texte est fort modeste au regard de la place qu'ils occupent désormais. Trois cent dix mille entreprises artisanales sont installées en milieu rural. Ces entreprises doivent pouvoir être pleinement associées et intégrées dans les politiques territoriales, elles doivent se voir offrir un environnement favorable avec une mise à niveau par rapport au reste du territoire national en matière d'équipements, compte tenu des besoins et des évolutions technologiques.

Ce sont ces entrepreneurs qui sont désormais porteurs de dynamique.

Déjà, dans certains cantons ruraux, les artisans sont plus nombreux que les agriculteurs.

Certes, dans les zones de revitalisation rurale, des dispositions sont proposées. Cependant, la règle du jeu est encore loin d'être équitable.

Premiers employeurs, les artisans demandent à pouvoir travailler dans les mêmes conditions que les agriculteurs pluriactifs sans que diffèrent les règles fiscales appliquées aux uns et aux autres. Simplifier les démarches auxquelles doivent faire face les agriculteurs pluriactifs est une bonne chose, mais il faut prendre garde à ne pas amplifier les distorsions de concurrence.

Par ailleurs, les artisans se méfient des dispositions liées au zonage : quid de ceux qui se trouvent hors de ce secteur et qui sont confrontés bien souvent aux mêmes problématiques malgré un contexte structurel un peu moins défavorable ?

La dynamique des territoires nécessite également une vitalité commerciale. Dès lors que celle-ci fait défaut, la désertification s'accélère.

La proposition de loi déposée par notre collègue Gérard Le Cam tendant à préserver les services de proximité en zone rurale, proposition dont nous avons examiné les conclusions de la commission il y a un peu plus d'une année, avait lancé une piste extrêmement intéressante qui consistait à proposer la mise en place d'un système de complément de ressources pour garantir un minimum aux commerçants installés en zone de « rénovation rurale ».

Là est, en effet, le rôle de l'Etat : ce ne sont pas les collectivités rurales en difficulté qui peuvent apporter un tel soutien aux commerçants.

La politique de libéralisation conduite par le Gouvernement ne peut qu'accroître les disparités entre les territoires.

Les entreprises s'installeront-elles si l'abandon de la péréquation tarifaire fait suite à la déréglementation du secteur de l'électricité, si l'actuel maillage départemental des centres de tri postal est remis en cause, si les tarifs des services de La Poste sont augmentés, si, comme on l'entend en ce moment, son réseau de distribution est « allégé » de 17 000 bureaux et si sont transférés aux communes rurales ou aux commerçants certains bureaux non rentables, alors même que les communes rurales ne disposent plus de moyens et que les commerçants sont fort peu incités à demeurer en activité, voire à s'installer ?

Or, la population active et les entreprises ne s'installent qu'en présence d'une infrastructure publique.

Au-delà des insuffisances de ce texte que mes amis du groupe socialiste continueront de relever, au-delà même des inquiétudes que peut engendrer la politique très libérale de ce Gouvernement et qui risque d'avoir un effet dévastateur - créer les conditions d'un environnement équilibré est à mon sens incompatible avec une vision libérale de la politique -, demeure le rôle très préoccupant que vous laissez aux collectivités territoriales et à leurs élus locaux.

Finalement, ce qui est offert aux communes, c'est de prendre en charge financièrement la dynamique de développement des territoires ruraux sans compensation, ou presque, de l'État.

Que dire de cette manière d'agir consistant à laisser aux élus la responsabilité de faire appel à l'argent des contribuables locaux pour inciter, par exemple, les médecins à s'installer chez eux ?

La proposition de loi de mon ami Jean-Marc Pastor tendant à assurer la présence des médecins généralistes dans les zones médicalement dépeuplées revêtait une tout autre dimension puisqu'il s'agissait de réaffirmer le rôle de l'Etat « en tant que premier aménageur du territoire et garant de la sécurité publique » : c'est à l'Etat, et non aux collectivités territoriales, d'assurer un meilleur équilibre territorial quant à l'accès aux soins.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Bernard Dussaut. Pour conclure, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur l'article unique du titre liminaire qui pose une déclaration de principe que l'Assemblée nationale a adoptée à l'unanimité : « L'Etat assure la solidarité nationale en faveur des territoires ruraux et de montagne et reconnaît la spécificité desdits territoires. »

Or, l'engagement de l'Etat doit se traduire par un engagement financier ; ce n'est pas le cas ici. Comment alors parler de solidarité nationale, comment alors soutenir votre projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Je voudrais, tout d'abord, monsieur le ministre de l'agriculture, vous adresser mes compliments pour la consultation que vous avez engagée.

Elle a en effet permis aux forces vives de nos zones rurales, élus, société civile et associations, de s'exprimer et de formuler des propositions susceptibles d'enrayer le mouvement de déclin de nos campagnes.

Il est toutefois dommage que cette contribution n'ait pas débouché sur un projet plus mobilisateur.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !

Mme Françoise Férat. En outre, d'aucuns ont insisté sur le caractère « fourre-tout » de ce texte. Mais le sujet abordé, celui de l'avenir de la ruralité, est trop sérieux pour que nous nous laissions griser par une critique que je souhaite dépasser.

En effet, depuis vingt ans, les multiples interventions législatives et réglementaires n'ont pas permis au monde rural d'affronter avec optimisme et sérénité les bouleversements économiques et démographiques.

A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux a été enrichi d'une centaine d'articles.

Il nous faut donc, à l'instar de nos collègues députés, user de notre pouvoir d'amendement pour améliorer ces dispositions qui ont pour ambition d'encourager l'emploi, de relancer le logement, d'améliorer les services publics et de préserver les espaces naturels. Comme vous le souligniez, monsieur le ministre, ce texte est une « véritable boîte à outils, outils pragmatiques et efficaces au service de nos territoires ruraux ».

C'est donc avec ce souci de pragmatisme et d'efficacité que je souhaite aborder ce débat. Je présenterai par conséquent plusieurs amendements visant les services aux publics, l'accueil des jeunes enfants et les interprofessions agricoles.

J'espère que le meilleur sort leur sera réservé tant ils répondent non seulement aux objectifs gouvernementaux, mais surtout à l'attente des personnes qui vivent et travaillent en milieu rural.

Ces mêmes personnes doivent faire face, depuis plusieurs années, à la mutation des espaces agricoles, à la disparition des services publics, à la fermeture des commerces, à la diminution des sources d'emplois et à l'éloignement des centres névralgiques. Aussi devons-nous valoriser les atouts de nos bassins de vie ruraux pour que leurs habitants ne voient pas ce déclin comme une fatalité.

Nos villages bénéficient notamment d'une qualité de vie incomparable, mais n'arrivent pas à pallier l'absence ou le déficit de commerces. Ainsi, pour améliorer l'attractivité des communes rurales, il convient d'offrir aux habitants une offre suffisante de prestations. Nous pourrions notamment favoriser le maintien des commerces de proximité en limitant l'implantation des établissements hard discount qui leur mènent une concurrence effrénée.

Nos villages sont connus pour la modération de leur pression fiscale, mais ne disposent pas ou ne disposent plus de services aux publics.

Si la modernisation du cadre juridique des « maisons de services aux publics » répond à cette nécessité, ce mouvement doit aller bien plus loin. Nous pourrions autoriser les collectivités locales à signer des conventions de partenariat avec des associations pour créer ou maintenir des services non satisfaits par l'initiative privée.

Nos villages ne connaissent pas les embouteillages des agglomérations, mais sont trop souvent éloignés des coeurs urbains. Nous devons confier à des particuliers, agréés par les services préfectoraux, le soin de transporter les personnes privées de mobilité géographique.

Nos villages connaissent un taux de natalité soutenu mais rencontrent d'innombrables difficultés, en particulier réglementaires, pour créer des structures d'accueil. Nous pourrions favoriser de telles initiatives en reconnaissant le principe d'une direction partagée des services d'accueil de jeunes enfants.

Conseiller général d'un canton de 3 900 habitants répartis sur 18 communes, je vis la ruralité au quotidien. Ce regard m'amène à considérer ce projet de loi comme une bouffée d'oxygène pour des espaces en proie à l'asphyxie. Mais ce regard me conduit également à considérer que ce texte doit être bien plus qu'une bouffée d'oxygène. Il est donc indispensable que ses dispositions soient amendées dans le sens d'une plus grande liberté laissée aux collectivités locales et à l'initiative privée.

C'est dans cet esprit que je milite pour la création d'une conférence annuelle sur la ruralité. Elle pourrait dresser les constats de carence et proposer une évolution des dispositions qui constituent une réelle entrave au dynamisme rural. Car, en dépit des louables intentions de ce projet de loi, ce sont ces carcans qui freineront, sans doute encore demain, le développement de nos territoires ruraux.

Au Parlement, nous devrons profiter des quelques mois qui nous séparent de l'examen du projet de loi d'orientation agricole pour mener des auditions et confronter les points de vue.

Ainsi, nous pourrons contribuer à l'amélioration de ce prochain texte qui ne devra plus se contenter d'une addition de mesures, mais qui devra affirmer une politique agricole ambitieuse.

Dans cette perspective, monsieur le ministre, soyez assuré que je serai à vos côtés pour relever ce défi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean Arthuis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, vous nous proposez un changement fondamental puisque, depuis vingt ans, c'est-à-dire depuis la loi montagne, jamais, me semble-t-il, n'avait été abordé de façon globale le problème de la ruralité, le problème de la montagne.

C'est donc un choix politique qui traduit une volonté d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire.

On ne saurait s'étonner que la notion d'aménagement équilibré et harmonieux du territoire appelle une multitude de réponses. En effet, il n'y a pas une réponse unique pour la ruralité. La ruralité est diverse. Le développement de la vie rurale, en particulier dans les zones de montagne, n'appelle pas une réponse unique.

On a parlé de texte composite : pour ma part, je préfère parler de la technique de Seurat., le pointillisme.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous le savons. Nous ne sommes pas incultes !

M. Jacques Blanc. Certains, malheureusement, ne comprennent jamais le sens de ces tableaux, n'y voient que des points dispersés et estiment qu'ils manquent de souffle et de cohérence.

Il faut trouver le sens profond et le sens d'un choix politique au maintien de la vie dans la ruralité.

Nous vous sommes très reconnaissants d'avoir introduit dans cette politique en faveur de la ruralité une dimension sur laquelle nous avons beaucoup travaillé au Sénat, dimension qui est celle de la montagne. Nous vous avions d'ailleurs reçu en audition lors de la mission sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider avec M. Amoudry, qui en était le rapporteur, et l'éminent président de l'Association nationale des élus de montagne, notre ami Pierre Jarlier, qui s'est fortement mobilisé. Ce rapport a donné lieu à un débat auquel vous avez participé. Nous avons élaboré un texte, signé par M. le président du Sénat lui-même, et dont vous avez repris un certain nombre d'éléments pour les introduire dans le projet de loi que vous nous soumettez.

Mme Annie David. Ce n'est pas suffisant !

M. Jacques Blanc. Encore une fois, nous vous en remercions.

Il est vrai que l'on aurait pu rêver d'un texte global sur la montagne,...

Mme Annie David. Il existe déjà !

M. Jacques Blanc. ...mais le choix a été fait d'introduire des dispositions dans une série de textes, notamment celui sur l'urbanisme, dont les avancées devront être complétées dans celui qui nous est soumis aujourd'hui. Par ailleurs, nous débattrons prochainement du projet de loi de modernisation agricole.

D'aucuns diront qu'il aurait fallu attendre. A trop attendre, on ne fait rien. Cette stratégie a été celle d'un gouvernement précédent il y a quelques années : on attendait toujours pour régler les problèmes. Donc, vous ne pouviez pas attendre.

La loi de modernisation agricole sera, à l'évidence, conditionnée par les décisions qui seront prises à l'échelon européen. Je pense à la PAC. Je pense également aux évolutions des fonds européens, notamment avec les mesures agro-environnementales ou le deuxième pilier.

Permettez-moi, monsieur le ministre de l'agriculture, de vous féliciter pour l'action que vous menez à Bruxelles pour défendre les intérêts légitimes de notre agriculture et de l'agriculture européenne, ainsi que pour les combats que vous menez courageusement pour empêcher certaines dérives.

Le présent projet de loi a le mérite d'exister. Il a également le mérite d'aborder une série d'éléments qui conditionnent la vie dans la ruralité.

Je me bornerai à souligner l'importance de la revalorisation des zones de revitalisation rurale. On avait parlé, à un moment donné, de zones franches rurales. En réalité, s'agissant des zones de revitalisation rurale, nous espérons que nous pourrons aller un peu plus loin que ce qui a été fait à l'Assemblée nationale. Nous espérons que, par un allégement de charges, un accent très fort pourra être mis sur le développement économique, sur les entreprises artisanales, commerciales ou agricoles, ainsi que sur les activités libérales. S'agissant de ces dernières, un point particulier, sur lequel je reviendrai, concerne le secteur de la santé.

Il faut que ces zones de revitalisation rurale prennent un peu plus corps. Vous ne remettez pas en cause le grand schéma, vous l'aménagez, là où, compte tenu des évolutions, des communes qui sont entrées dans l'intercommunalité pourraient être défavorisées par rapport à d'autres collectivités. Les amendements qui ont été défendus par l'ensemble des élus de la montagne vont donc dans le bon sens.

J'en viens à la politique des services. Sur ce point aussi, il faut être clair. Vous abordez, et cela correspond à une prise de conscience nouvelle, le problème de la santé. Je parle sous le contrôle de mes collègues membres de la mission « montagne ». Pour avoir exercé dans le secteur de la santé, je connais un peu ce domaine. Je suis effrayé par les perspectives en matière de distribution de soins dans notre pays. D'abord, il nous faut faire un mea culpa : nous n'avons pas formé les personnels de santé dont nous avons besoin. La première mesure consisterait donc à ouvrir enfin les vannes, si je puis dire. Or, nous écartons du secteur de la santé des jeunes merveilleux au motif qu'ils leur manquent quelques points, et ce alors même que nous manquons déjà de médecins, d'infirmières et de kinésithérapeutes, et que la population vieillit.

Le manque de personnel est encore plus criant dans les zones qui, jusqu'à présent, étaient considérées comme un peu plus difficiles pour vivre - je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit plus difficile de vivre dans ces zones. Mais il faut prévoir des incitations fiscales et favoriser l'installation. Cela est prévu dans le projet de loi, et je m'en réjouis.

J'espère, monsieur le ministre, que vous accepterez notre amendement visant à permettre aux collectivités locales de financer un certain nombre d'équipements indispensables - je pense à des cliniques ou à des hôpitaux ruraux, publics ou privés. En effet, sans l'intervention des collectivités locales, ces établissements disparaîtront. Je souhaite que l'on aille un peu plus loin que ce qui est prévu. Il s'agit d'un dossier essentiel, d'autant que ces zones de montagne sont des zones d'accueil, où de nombreuses personnes reviennent pour prendre leur retraite. C'est un élément majeur.

Concernant les outils de la politique de la montagne, et pour répondre à certaines de nos questions, vous proposez des améliorations. Je pense à la politique de massif, à la politique de coopération intercommunale. Je pense également à la possibilité consistant à jouer sur les taxes perçues par une commune pour les reverser à telle ou telle structure. Des allégements fiscaux sont prévus pour le développement du tourisme. Et vous n'oubliez pas l'agriculture, car, même si le « gros morceau » viendra par la suite, le présent projet de loi comporte des mesures fiscales, notamment pour exclure du calcul de l'assiette des cotisations sociales la dotation aux jeunes agriculteurs.

Mais l'agriculture ne peut pas seule faire vivre l'ensemble des zones de montagne. Il faut une politique de soutien en faveur des activités artisanales, libérales ou commerciales et pour favoriser le développement d'un tourisme maîtrisé.

Il s'agit, dans la gestion d'une politique territoriale et d'environnement, d'une approche nouvelle, associant des collectivités. Est prise en compte l'exigence consistant à aborder le problème du développement de la montagne avec rigueur eu égard à la protection de l'environnement. Il est mis fin à un certain nombre de blocages, notamment en ce qui concerne les unités touristiques. De nombreux freins qui empêchaient l'action des collectivités locales ou les initiatives privées devraient disparaître grâce au projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre. Nous aurons l'occasion de revenir sur un certain nombre de points au cours de la discussion des articles.

Enfin, je voudrais souligner le sens politique de ce débat. L'aménagement du territoire est non pas une seule mesure, mais une succession de mesures. Encore faut-il qu'elles aillent dans le bon sens. En l'occurrence, c'est le cas. Il s'agit de renforcer un certain nombre d'outils et de créer des perspectives nouvelles. Dans un monde fou, caractérisé par une perte de repères, nous avons besoin d'un équilibre nouveau. La montagne peut permettre de revenir à des valeurs vraies porteuses d'espérance. Vous nous proposez donc un choix politique, un choix de société, une société faite pour l'homme, une société dans laquelle l'homme peut maîtriser son angoisse existentielle grâce à la qualité de son environnement. Ce choix de société, nous serons à vos côtés pour le défendre, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. Mes chers collègues, je salue la présence dans cet hémicycle de M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, qui siège pour la première fois au banc du Gouvernement. Je lui souhaite une amicale bienvenue et lui présente nos voeux de plein succès dans sa mission.

M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire. Merci !

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)

PRÉSIDENCE DE M. Daniel Hoeffel

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au développement des territoires ruraux.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Copé, ministre délégué.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un grand plaisir et un grand honneur pour moi de m'exprimer aujourd'hui devant vous sur ce projet de loi si important, défendu au nom du Gouvernement par MM. Hervé Gaymard, Frédéric de Saint-Sernin et Nicolas Forissier.

Je connais votre attachement à la France de nos campagnes. Vous êtes, les uns et les autres, des ardents défenseurs de la diversité de nos territoires, de leur richesse, mais vous êtes aussi les premiers à vous alarmer, à juste titre, des fragilités croissantes de cette France rurale.

Nos campagnes ont considérablement évolué. En vingt ans, elles ont connu de profonds bouleversements : déclin de la paysannerie, arrivée de nouveaux ruraux, périurbanisation.

Notre devoir de responsables politiques nous impose de tenir le plus grand compte de ces nouvelles spécificités du monde rural. Ces dernières représentent en effet un aspect essentiel de la société française d'aujourd'hui et nous appellent à définir ensemble une politique nationale cohérente en faveur de l'équilibre de nos territoires. C'est très précisément ce qu'avait souhaité le Président de la République, dans un discours prononcé à Ussel, en avril 2002.

Il existe, de ce point de vue, une vraie complémentarité entre la deuxième grande étape de la décentralisation, que j'ai la charge de mener au nom du Gouvernement avec M. Dominique de Villepin, et le projet de loi sur les territoires ruraux. En effet, dans la France décentralisée, l'Etat doit être fort, aux côtés des élus. Pour autant, il n'a pas vocation à tout faire, ni à tout laisser faire. Il doit être le garant de la cohésion nationale et de l'équilibre des territoires et jouer pleinement son rôle de « facilitateur ».

Sur ces différents aspects, je voudrais vous faire part de l'analyse du Gouvernement.

D'abord, comme je le disais, l'Etat doit être à la fois fort et présent aux côtés des élus ruraux. A cet égard, je veux prendre devant vous ce soir un engagement majeur : l'Etat va continuer à jouer un rôle clé aux côtés des élus locaux, au service du développement et de l'équilibre de nos territoires.

Un Etat fort pour assurer la sécurité sur tout le territoire, c'est ce que les Français ne cessent de nous demander. Ils ont exprimé leur souhait d'un Etat présent et responsable.

Pour l'avoir constaté au quotidien, nous savons tous que, si des progrès ont été réalisés, l'insécurité éprouvée par nombre de nos concitoyens n'est malheureusement pas l'apanage de nos villes et de nos quartiers : peu de villages ou de petites villes échappent aujourd'hui à cette situation.

Voilà pourquoi l'Etat se doit d'être partout, mobilisé pour tous. M. Dominique de Villepin a rappelé, la semaine dernière, lorsqu'il a réuni les préfets, qu'il avait érigé en priorité politique l'éradication de toutes les formes de violence au quotidien. Qu'il s'agisse du racket au sein des écoles, des cambriolages, ou encore des violences conjugales et familiales, nos concitoyens sont nombreux à exprimer leur inquiétude, leur exaspération, leur désespérance.

J'ai la conviction que l'Etat sera d'autant plus fort et efficace en la matière qu'il sera bien organisé. C'est pourquoi l'organisation territoriale des services en charge de la sécurité des Français doit être exemplaire. Ce qui a été fait en la matière depuis deux ans est historique.

Le redéploiement police-gendarmerie, que vous avez eu l'occasion d'évoquer dans cet hémicycle il y a quelques mois, est essentiel pour améliorer l'efficacité de l'Etat. Retardé depuis des années, il s'achèvera au début de l'année 2005.

Le renforcement des effectifs se poursuivra : 1200 gendarmes supplémentaires ont été déployés en 2003 et autant sont en cours d'affectation cette année. Par ailleurs, la mise en place des communautés des brigades - il en existe déjà plus d'un millier - se traduit selon les lieux par une augmentation de 10 % à 20 % des patrouilles de gendarmes effectivement sur le terrain. Mais elle se traduit aussi et surtout par la définition d'une stratégie d'action locale mieux concertée avec les élus.

Ce combat, nous le savons tous ici, est difficile. Des premiers résultats ont été obtenus. En deux ans, on a observé en zone de gendarmerie une baisse de 5 % des crimes et délits. Quant au taux d'élucidation, il est passé de 34 % à 36 % des faits constatés pendant la même période. Mais beaucoup reste à faire et l'élu d'une circonscription urbaine - mais aussi très rurale - que je suis peut en témoigner, comme beaucoup d'entre vous.

Nous resterons donc vigilants et offensifs. C'est notre responsabilité, et c'est aussi cela que les Français attendent de leur Gouvernement.

Un Etat fort, c'est aussi un Etat garant de l'égalité des chances et de l'équité territoriale.

M. Gérard Delfau. Il y a du travail à faire !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le président de la République a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises,...

M. Gérard Delfau. A sa façon !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...c'est notre mission que de le mettre en oeuvre. Cela passe par un double effort : un effort pour assurer partout la même qualité de service et un effort pour maintenir des services publics de qualité sur l'ensemble de notre pays, et en particulier dans les zones les plus fragiles.

Le texte qui vous est proposé vise ce double objectif.

Un mot d'abord sur l'objectif d'équité territoriale. Nous avons fait clairement le choix d'une France rurale attractive. A la suite des très nombreuses consultations engagées à l'initiative de M. Hervé Gaymard et auxquelles un certain nombre d'entre nous avons été associés, nous avons pu constater la forte attente en la matière de la part de nos concitoyens.

Nous souhaitons une France où les nouveaux arrivants, quel que soit le territoire où ils habitent, puissent trouver la qualité de vie à laquelle ils aspirent. Et c'est à l'Etat qu'il appartient d'assurer cette cohérence territoriale. C'est pourquoi le préfet est au coeur du dispositif : il aura désormais la faculté de prendre toute initiative visant à adapter l'offre d'accès aux services publics aux caractéristiques du territoire, en concertation approfondie avec les élus locaux. C'est une première étape essentielle.

Je souhaite cependant que nous allions plus loin, en développant notamment les mécanismes de péréquation.

Ces mécanismes, vous le savez, visent à réduire les écarts de richesse entre collectivités et ils doivent profiter aux territoires ruraux les plus défavorisés.

M. Gérard Delfau. Chiche !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le rapport qui sera prochainement rendu par le comité des finances locales, aux travaux duquel j'ai participé cet après-midi, devrait proposer des mesures allant dans ce sens. Ne doutez pas, monsieur Delfau, de notre détermination en la matière.

Le second objectif qui me tient tout particulièrement à coeur, c'est le maintien des services publics dans les zones rurales. Ce texte prévoit plusieurs mesures fortes allant dans ce sens.

Je pense notamment à la simplification du régime des maisons de service public, qui permettra leur développement sur tout le territoire.

Je pense aussi à la possibilité de confier l'exécution d'un service public, par voie de convention, à une personne dont l'activité habituelle ne relève pas d'une mission de service public. C'est une petite révolution tranquille.

Le cas de La Poste est, à cet égard, exemplaire : voilà une grande entreprise qui est confrontée, on le sait, à des enjeux liés à l'ouverture de la concurrence sur certaines de ses activités, et donc à une nécessaire modernisation. Ma conviction, c'est que l'on peut et que l'on doit veiller à ce que la nécessaire réforme ne prive pas les habitants des petites communes de ce service public de proximité. Plus encore, c'est à nous d'imaginer toutes les possibilités pour que le service public soit assuré. C'est pourquoi la possibilité pour un commerçant de remplir cette mission de service public apparaît comme une mesure de bon sens, où le pragmatisme l'emporte sur tous les a priori idéologiques.

Avoir un Etat fort, présent et impartial, c'est enfin garantir un esprit de justice, d'autonomie et de respect pour toutes les collectivités locales.

Je veux être ici tout à fait clair. La présence de l'Etat doit aussi garantir l'indépendance de chaque collectivité territoriale, et donc l'absence de toute forme de tutelle d'une collectivité sur une autre.

Ministre délégué à l'intérieur en charge des collectivités locales, je veux naturellement être l'interlocuteur de toutes les collectivités locales, quelque soit leur taille et leur spécificité, et je veux être naturellement, avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement, le garant de leur autonomie.

Cet impératif de modernisation de nos institutions et du fonctionnement de notre démocratie est évidemment au coeur du vaste mouvement de décentralisation lancé par Jean-Pierre Raffarin depuis deux ans. A ce sujet, certaines interrogations subsistent, et c'est pourquoi je voudrais aussi saisir cette occasion pour retracer dans ses grandes lignes la politique que je veux mener dans ce domaine au côté de Dominique de Villepin.

Je veux d'abord vous dire d'emblée que cette réforme capitale de la décentralisation sera poursuivie et menée à son terme avec une détermination totale. Il serait d'ailleurs paradoxal de prétendre répondre aux attentes des Français, qui ne cessent de nous demander, à juste raison, une réforme de l'Etat et une modernisation de nos institutions pour plus d'efficacité publique, et de réduire ensuite à néant le travail accompli par des milliers de fonctionnaires pour se préparer à la décentralisation. Quelle serait d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la crédibilité d'un gouvernement qui conduirait d'autres grandes réformes s'il donnait le sentiment de vouloir renoncer à celle-ci ?

M. Gérard Delfau. Bonne question !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. L'effort sera donc poursuivi.

L'acte II de la décentralisation a été voté en première lecture par chaque assemblée. Nous sommes aujourd'hui au milieu du gué : le nouveau contexte politique nous amène naturellement à avoir un échange approfondi avec les nouvelles associations d'élus en cours de constitution.

Cette concertation vient d'être lancée par le Premier ministre, en direction des parlementaires comme des élus locaux. Le Premier ministre, respectueux du suffrage universel comme nous tous, a reçu le 19 avril les présidents de conseils régionaux, puis les représentants de l'Association des maires de France, et il a reçu hier les présidents de conseils généraux. Le dialogue va se poursuivre, afin de lever les malentendus et les inquiétudes des uns et des autres, et surtout tracer des lignes claires et lisibles pour chacun.

Dans ces différentes consultations, le Premier ministre a été très clair et il a fixé le calendrier : vote de la loi organique en mai à l'Assemblée nationale et en juin au Sénat, deuxième lecture du projet de loi aussi rapidement que possible après cette période de concertation, puis réforme de la taxe professionnelle et des dotations, et traduction de tout cela dans la loi de finance initiale pour l'automne 2005, avec une application effective à compter du 1er janvier 2005.

Le Premier Ministre a également précisé l'esprit de cette concertation : ouverture aux propositions d'amélioration, de simplification, de clarification. Mais il n'est pas question de remettre en cause le processus de décentralisation dans son ensemble tel qu'il a été engagé depuis deux ans.

Nous avons aussi entendu les craintes exprimées sur les questions de financement, qui sont au coeur de notre débat. Pour donner toutes ses chances à la décentralisation, nous sommes déterminés à apporter dans l'année une triple réponse sur ce sujet : précise sur le plan technique, lisible, loyale et responsable sur le plan politique.

Tout d'abord, la première réponse consiste à apporter une garantie constitutionnelle.

Vous le savez, l'objectif de péréquation est désormais inscrit dans la Constitution. Un de mes soucis constants est de veiller à ce que la réforme de l'architecture de la DGF, entamée par la loi de finances de 2004, permette de dégager des marges de manoeuvre pour le financer.

En effet, au sein d'une masse financière s'élevant désormais à près de 37 milliards d'euros, contre 19 milliards en 2003, il est plus aisé de redéployer des crédits en faveur des collectivités locales les plus défavorisées.

Lors de sa séance de février, le comité des finances locales a retenu une hypothèse de répartition des masses à l'intérieur de la DGF qui a permis à la dotation de solidarité rurale, la DSR, de progresser d'environ 3 %, c'est-à-dire bien au-delà de l'inflation.

Par ailleurs, le montant de la dotation de développement rural, la DDR, qui permet de subventionner les projets des collectivités rurales, a été reconduit en 2004 et s'élève à 116 millions d'euros. Il s'agit là encore d'un effort très significatif de l'Etat dans la mesure où, par le passé, cette dotation a connu une évolution erratique.

En ce qui concerne les départements ruraux éligibles à la dotation forfaitaire minimale, la DFM, ils ont également bénéficié d'une forte progression de leur dotation, puisque celle-ci a augmenté de 8 % en 2004, pour s'établir à 174 millions d'euros.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces efforts seront poursuivis en 2005 puisque la deuxième phase de la réforme visera, à travers la refonte des critères de répartition, à renforcer le rôle de péréquation des dotations, et donc à favoriser les territoires ruraux.

La deuxième réponse que nous voulons apporter, c'est la garantie que les transferts de compétence seront compensés à l'euro près. Tel est l'engagement de l'Etat, un engagement de loyauté et de confiance à l'égard des collectivités locales.

La troisième réponse réside dans le transfert d'une fiscalité dynamique.

L'engagement du Gouvernement de transférer des taxes dynamiques aux collectivités locales pour couvrir leurs nouvelles dépenses est évidemment un élément majeur dans la nouvelle étape de la décentralisation. C'est ainsi que le Premier ministre a proposé aux présidents de région nouvellement élus, en contrepartie du transfert d'un impôt d'Etat, un moratoire fiscal pour les trois prochaines années. En tout cas, il faut faire en sorte que les régions ne soient pas obligées d'augmenter les impôts locaux à cause du transfert de fiscalité opéré.

Dans son discours d'Ussel, le Président de la République s'était engagé à assurer un meilleur développement économique des territoires ruraux.

Le projet de loi que vous examinez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, répond à cette ambition. Il reprend un certain nombre de propositions que M. Hervé Gaymard a recueillies auprès des nombreux acteurs de la ruralité, tels que le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, l'association des familles rurales, ou encore les conseils économiques et sociaux régionaux.

Dans une logique de cohésion sociale et d'équité territoriale, le projet de loi vise à répondre à deux grands objectifs essentiels : d'abord, encourager le développement économique des territoires les plus défavorisés ; ensuite, assurer la solidarité nationale au profit des territoires les plus fragiles.

Parmi ces territoires vulnérables, il y a d'abord et surtout notre monde agricole, à l'égard duquel, vous le savez, notre gouvernement est particulièrement engagé. Nous savons tous que, si l'Etat ne fait rien, nous aurons alors la perspective terrible d'avoir des campagnes sans paysans. Il n'est pas de territoire qui ne soit concerné par ce défi.

Il n'est pas question pour le Gouvernement de se résigner à une telle destinée, et je sais que vous partagez très largement notre point de vue à ce sujet.

Je serai, avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement, un défenseur engagé des territoires ruraux, dans leur diversité, sans oublier, naturellement, leur vocation agricole. Ainsi, les nouvelles sociétés d'investissement pour le développement rural, qui vont être créées grâce à ce texte, permettront de soutenir l'installation de petites entreprises, notamment agricoles, dans les zones rurales.

Ce monde rural est fragile. L'Etat doit l'aider à vivre, et parfois à survivre. Je citerai à cet égard, comme vous l'avez bien souvent fait, l'exemple des médecins.

Nous le savons, le dernier recensement montre que les territoires ruraux gagnent des habitants. Pourtant, la présence médicale ne suit pas cette évolution. Il nous appartient, aux uns comme aux autres, d'anticiper sur ce qui pourrait conduire à un très grave déficit de soins dans les prochaines années. C'est pourquoi ce texte tend à proposer des mesures concrètes afin d'encourager l'installation de professionnels de santé en milieu rural, notamment dans les zones déficitaires. Je pense notamment à la faculté désormais ouverte aux collectivités locales de soutenir ces installations.

Les mesures visant à encourager l'installation de professionnels de la santé sont déterminantes, et vous pourrez compter sur moi pour suivre avec vigilance leur application concrète, notamment s'agissant de leur financement, en liaison étroite avec le comité des finances locales.

Par ailleurs, le Gouvernement est très attentif au développement des nouvelles campagnes et au potentiel formidable que représente ce phénomène. Je pense à ceux que l'on appelle « les nouveaux ruraux», qui quittent les villes pour venir s'installer à la campagne. Ils sont de plus en plus nombreux et leurs attentes, exprimées de plus en plus fortement auprès de leurs élus locaux, sont à la fois sympathiques et contradictoires.

En effet, ils sont venus pour s'éloigner de la pollution des villes et redécouvrir les charmes de la verdure et de la chlorophylle. Mais ils veulent aussi pouvoir bénéficier des mêmes qualités de service qu'en ville ! Les commerces, les transports en commun, les médecins, les services publics, tout doit être près de chez eux.

M. Joseph Ostermann. Et La Poste !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. On sait que les choses ne sont pas si simples et que leurs exigences sont légitimes. A nous d'y travailler, car cela fait aussi partie de notre mission.

A cet égard, ce texte vise à proposer des réponses claires en termes d'offres de logement, de présence médicale ou encore d'accès aux nouvelles technologies. Ces nouvelles campagnes connaîtront ainsi un renforcement de leur activité, de leur attractivité et de leur vitalité pour le bien-être de leurs habitants et pour l'équilibre de la nation tout entière.

L'autre grande activité qui se développe en milieu rural est le tourisme vert. Celui-ci connaît un formidable essor depuis quinze ans. A nous de favoriser son développement. C'est dans cet esprit que nous proposons, dans ce texte, de renforcer l'accès des saisonniers, très impliqués dans le tourisme vert, à la formation professionnelle.

Mais, vous l'avez compris, s'agissant des territoires les plus fragiles, l'intercommunalité est sans doute l'une des réponses les plus efficaces pour préserver l'identité de certaines communes particulièrement vulnérables. Il nous faut, à cet égard, promouvoir une intercommunalité qui permette d'assurer des services publics de qualité et de conforter le développement économique et l'emploi.

A cette fin, le texte prévoit d'aménager et d'actualiser le dispositif des zones de revitalisation rurale en tenant compte des intercommunalités à fiscalité propre. Le nouveau dispositif sera, bien sûr, actualisé en fonction des recensements et il fera l'objet d'une évaluation permanente, afin d'en améliorer l'efficacité.

Je veux ici m'engager devant vous à suivre une démarche dont les mots clés seront l'écoute, le pragmatisme et le respect mutuel. J'aurai l'occasion de vous le démontrer lorsque nous aborderons tous les sujets relatifs à cette nouvelle étape de la décentralisation, dans laquelle les territoires ruraux auront toute leur place.

Là encore, vous le voyez, la complémentarité entre le mouvement de décentralisation que nous engageons et ce texte est totale.

Pour conclure, je souhaiterais vous redire toute l'importance que j'accorde à la revitalisation et à la préservation de notre France rurale, qui jouera à l'évidence un rôle essentiel dans l'équilibre de notre pays.

Soyez assurés que je serai, avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement, très attentif à la mise en oeuvre de ce texte, et notamment de son volet fiscal.

Je suis déterminé à rester un interlocuteur particulièrement attentif et disponible sur tous ces sujets aussi souvent que vous le souhaiterez pour apporter des réponses claires, réalistes et concrètes, afin d'en finir avec ce sentiment d'abandon que connaissent depuis quelques années certaines zones rurales, et surtout pour que la décentralisation et la réforme de la fiscalité locale qui l'accompagnera puissent profiter pleinement à la France rurale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, un mot résume le sentiment des sénateurs radicaux de gauche devant le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux : déception ! Une immense déception ! C'était déjà la réaction qu'avait exprimée la quasi-totalité des professionnels et des élus locaux dès que la première version en fut connue. Et, depuis, les choses ne se sont pas arrangées. Au contraire !

Le texte présenté en conseil des ministres comportait soixante-quinze articles, égrenant des mesures sans réelle portée, trop souvent d'ordre réglementaire, comme si, à défaut d'un contenu substantiel, il fallait faire nombre.

Les députés, au terme d'un débat laborieux, fastidieux ai-je même envie de dire, en ont doublé le volume, compliquant encore l'architecture et alourdissant la forme. Effort vain, car ils se sont enfermés dans le canevas initial, bien loin des attentes considérables d'une population qui se sent la mal-aimée de la nation.

Ainsi, l'Assemblée nationale n'a fait que souligner non seulement le vide du projet, mais également la tentation permanente de l'Etat de se défausser sans élégance de ses devoirs et de leurs coûts sur des collectivités territoriales figurant parmi les plus pauvres.

Au fond, dépourvu de ligne directrice, ce texte n'est que la juxtaposition de mesures techniques qui retouchent à la marge les dispositifs existants.

« Hétéroclite », a jugé, sans indulgence, le président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, notre collègue Jean Arthuis ; « composite », a surenchéri son rapporteur Joël Bourdin. Et l'on sait ce que veulent dire au Sénat de telles appréciations...

Au demeurant, cet épisode parlementaire reste pour moi une énigme : comment a-t-on pu en arriver là sur un sujet aussi brûlant, aussi passionnant et qui intéresse autant les citadins que les ruraux ? Comment vous êtes-vous trouvé porteur, monsieur le ministre de l'agriculture, d'une aussi méchante copie, vous que l'on sait fin connaisseur du monde agricole et rural, où vous êtes enraciné ?

Nous n'avons pas oublié vos tentatives opiniâtres et courageuses, alors que vous étiez député, pour donner un statut juridique et fiscal à la pluriactivité, dont Bercy ne voulait pas. Pour être juste, on en retrouve la trace dans quelques articles traitant des travailleurs saisonniers, mais si timidement ! Alors, comment expliquer ce désastre parlementaire qui se prépare ? (M. le ministre s'exclame.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. M. Delfau fait rarement dans la dentelle !

M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je m'en étais aperçu !

M. Gérard Delfau. Je maintiens ce que je dis : j'ai rarement vu un texte aussi vide sur un sujet aussi important ! Je suis prêt à le répéter si c'est ce que vous souhaitez !

M. Bernard Murat. Que proposez-vous ?

M. Gérard Delfau. Puisqu'il ne s'agit pas d'erreur de « casting » vous concernant, monsieur le ministre, ce sont bien les arbitrages du chef du Gouvernement qu'il faut incriminer, relayant la culture de Bercy qui est profondément hostile à la France des villages et des petites villes.

Et, pourtant, le thème dont nous parlons vaut la peine : comment exprimer et traiter la souffrance d'un monde rural en déshérence, pris en étau entre les grandes agglomérations choyées fiscalement et l'Union européenne qui agit sous la pression de l'idéologie libérale ?

Et d'abord, ne fallait-il pas donner une définition des « territoires ruraux » ? Comment les délimiter et tenir compte de leur diversité ? Pour qui légifère-t-on ? Pour les cantons qui se dépeuplent et vieillissent inexorablement dans le Massif central ? Pour les vallées touristiques des massifs montagneux, en plein essor économique ? Pour les quelque 30 000 communes qui, même regroupées en intercommunalité, ne peuvent offrir les services de base à leur population et se substituer au désengagement de l'Etat et des entreprises publiques ? Pour le rural périurbain qui concentre toutes les contradictions de notre société : insuffisance des ressources en raison d'une taxe professionnelle historiquement inexistante, exigences sans cesse plus fortes des nouveaux résidants en matière de services de proximité, besoins suscités par une démographie galopante, intercommunalité associant des villages et des gros bourgs sans ressources propres et maltraités en matière de dotation globale de fonctionnement au regard des grandes agglomérations ?

Comment s'attaquer, messieurs les ministres, au problème des « territoires ruraux » sans rappeler avec le président du Sénat, Christian Poncelet, cette évidence : 10% des communes concentrent 90% des recettes de la taxe professionnelle ?

Comment parler du « développement des territoires ruraux » sans ouvrir le dossier qui fâche : celui de la péréquation ?

La France est malade de ses inégalités, et la fracture territoriale, que le Gouvernement prétend résorber, se trouverait encore élargie si les communes acceptaient les exonérations en tout genre, sans compensation financière, qui leur sont proposées. Est-ce raisonnable ?

Comment ne pas avoir à l'esprit que, depuis les années quatre-vingt-dix, l'Etat ne cesse de vouloir transférer ses charges de fonctionnement aux départements, amenuisant d'autant la capacité de ceux-ci à financer les projets des communes et des structures intercommunales ? Si, demain, la décentralisation « version Raffarin » est adoptée, comme on vient de nous l'annoncer, ce sera la fin de la capacité d'investissement du conseil général, puis de celle de la région.

Combien de temps la mise en oeuvre de cette politique se poursuivra-t-elle sans que naisse une révolte parmi les élus locaux, boucs émissaires qui seront désignés à la vindicte des contribuables en 2007 ?

Je vous accorde sans difficulté, messieurs les ministres, que la dérive actuelle ne fait que prolonger une tendance ancienne. Comme vous le voyez, je sais être objectif. En effet, il faut remonter aux gouvernements Rocard, Cresson et Bérégovoy, sous le second septennat de François Mitterrand, pour trouver la dernière tentative de mise en place d'une politique de rééquilibrage des ressources entre territoires (Exclamations sur les travées de l'UMP),...

M. Gérard Delfau. ... sous forme de dispositifs de péréquation s'appliquant aux départements et aux communes, plus tard aux régions. C'était une timide avancée, mais une avancée tout de même !

En 1995, nouvel espoir, vite déçu : le Sénat vote dans l'enthousiasme - je parle en présence de l'un des principaux acteurs de cet épisode - la loi Pasqua-Hoeffel d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, qui préconise, en particulier, un maillage dense de services publics et le franchissement d'une nouvelle étape en matière de péréquation des ressources. Las ! Les décrets correspondants ne seront jamais pris, ni par le gouvernement Balladur, ni par le gouvernement Jospin.

Depuis 2002, à chaque loi de finances, à chaque gel de crédits par Bercy, ce sont toujours les mêmes territoires qui se voient privés d'une part de l'effort de solidarité budgétaire de la nation, tandis que le désengagement des services publics y devient insupportable.

C'est dans ce contexte qu'intervient le débat sur le « développement des territoires ruraux ». C'est à cette aune que se mesurent notre incompréhension, notre immense déception, presque notre amertume...

S'y ajoute un désaccord de fond : comment peut-on prétendre parler de ruralité en dissociant celle-ci de l'agriculture, qui en demeure le socle, même si les services et les professions libérales pèsent désormais lourd dans nombre de petits villages ? Je connais la réponse : un projet de loi de modernisation de l'agriculture sera prochainement déposé sur le bureau du Parlement. Mais c'est précisément ce choix que je récuse, à l'instar, sans doute, de la très grande majorité du Sénat : isoler les agriculteurs, en faire une profession à part, c'est rompre la chaîne du temps, c'est leur enlever un ancrage historique, amoindrir leur légitimité au sein d'une société qui a besoin d'eux pour produire, mais aussi pour entretenir un espace dont les citadins sont les premiers usagers.

Privé de sa dimension agricole, ce projet de loi est, de surcroît, dénué de toute référence aux directives européennes qui, année après année, façonnent nos paysages, orientent notre économie, inspirent nos règles juridiques. C'était faire là, dès le départ, un pari qui ne peut être gagné. Devrait-il l'être que cela donnerait à l' « objet  législatif » ainsi élaboré l'allure d'une pièce de musée, avant même sa promulgation au Journal officiel.

Résumons nous ( Oui ! sur les travées de l'UMP) : le développement harmonieux des territoires ruraux et des massifs montagnards ne peut se faire qu'à l'échelle de l'Europe et à contre-courant de la tendance de fond d'une civilisation qui s'urbanise et dont les modes de vie s'uniformisent. Il y faut du courage politique, de l'argent et la volonté d'agir sur tous les leviers, en intégrant l'agriculture en voie de modernisation à son milieu naturel, le village, même si celui-ci se peuple de citadins, en établissant une clé de répartition des ressources nationales qui soit plus équitable et qui tienne compte du rôle que jouent les collectivités dans la conservation du paysage, en créant les voies de communication à même de rompre l'isolement, en maintenant un maillage de services publics adapté à la faible densité démographique.

Or trois de ces cinq chantiers prioritaires ne sont même pas mentionnés dans le présent projet de loi, à savoir ceux de l'agriculture, de la juste redistribution des dotations d'Etat, des transports et des routes. Les deux derniers dossiers font l'objet de quelques articles qui se bornent à reprendre des dispositifs anciens ayant fait la preuve de leur faible efficacité.

M. le rapporteur de la commission des finances, qui se doutait de la chose, a demandé en vain une évaluation aux services de l'Etat. Elle lui a été refusée et, faute d'une information sur les retombées territoriales des mesures, nous allons légiférer à tâtons. A vrai dire, au vu de la minceur des préconisations, est-ce si grave ? L'élément le plus choquant ne tient-il pas à la pauvreté du contenu ?

Tel est le jugement que je porte sur l'ensemble de ce projet de loi. Je prendrai, au cours du débat, deux exemples pour l'illustrer de façon concrète : celui de la société d'investissement pour le développement rural, d'une part, celui des services publics de proximité, d'autre part.

En conclusion, je voudrais pourtant souligner que ce constat ne vise pas à engendrer la résignation sur les travées de notre hémicycle. Nous devons continuer à nous battre !

A cet égard, récemment encore, des signes d'une volonté collective de surmonter les difficultés que j'ai mentionnées sont apparus.

Par exemple, le 14 avril dernier, un manifeste des services publics de proximité a été signé par dix associations d'élus locaux, représentant toutes les strates de collectivités territoriales et toutes les sensibilités politiques. La présence du président du Sénat, M. Christian Poncelet, et de M. Daniel Hoeffel, vice-président du Sénat et président de l'Association des maires de France, ainsi que celle de nombreux autres parlementaires et personnalités de droite et de gauche, donnaient à cette rencontre, dont j'avais pris l'initiative, une portée dont l'Etat doit prendre acte.

Dans la même veine, je veux saluer et soutenir l'initiative de l'Association des maires ruraux de France, qui lance une campagne de pétitions et de délibérations dans 33 000 communes, en faveur de la création d'un fonds de péréquation pour le service public postal. Autour de cette idée peuvent se fédérer les énergies de parlementaires et d'élus locaux de toutes tendances, car il s'agit d'un sujet de préoccupation commun.

Evidemment, rien ne sera possible si, comme ce fut le cas pour la régionalisation des chemins de fer, engagée sur l'initiative de l'un de nos collègues, M. Haenel, les collectivités territoriales ne s'impliquent pas. Au-delà des divergences et des affrontements classiques, nous devons nous mettre en chemin ensemble pour que l'Etat, qui dispose de la capacité d'arbitrage financier, les collectivités territoriales de tout niveau et de toute taille, les élus locaux et les usagers commencent à inverser une évolution, à enrayer une dégradation dont les origines sont anciennes, je le reconnais volontiers, mais qui ne peut se poursuivre sans que soit atteinte la substance même de nos territoires.

Parce que j'ai toute l'opiniâtreté d'un rural, je soutiendrai un certain nombre d'amendements en ce sens. Parce que je crois en la ruralité, je ne désespère pas de notre capacité à oeuvrer ensemble sur ce dossier. Mais il est grand temps, il est même tout à fait urgent d'agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Raoult.

M. Paul Raoult. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la problématique des territoires ruraux est une problématique lourde dans notre pays. Si ce dernier a conservé ses agriculteurs beaucoup plus longtemps que ses voisins, les choses ont bien changé depuis une trentaine d'années : aujourd'hui, la France ne compte plus que quelque 600 000 agriculteurs.

Devant ces changements fondamentaux, il faut trouver une autre réponse politique que celle qui avait été définie par le général de Gaulle et Edgar Pisani.

Certes, des éléments demeurent intangibles. Ainsi, la France est toujours un pays peu densément peuplé, qui dispose de très vastes espaces ruraux et d'une capitale d'une taille exceptionnelle. Cette capitale joue un rôle considérable, même s'il se trouve aujourd'hui amoindri. En effet, Paris a moins de force relative que naguère, et ce recul, ce repli, qui est un fait nouveau, ne doit pas être accentué par notre politique d'aménagement du territoire. De fait, la problématique classique de Paris et du désert français, si souvent évoquée, ne se pose plus aujourd'hui dans les mêmes termes que voilà un demi-siècle.

A contrario, les grandes villes ont été redynamisées. La croissance urbaine s'est faite surtout au profit des villes de plus de 100 000 habitants, qui ont absorbé, de 1982 à 1999, plus de la moitié de celle-ci : c'est le fameux processus de métropolisation en cours dans le nouveau contexte économique mondial.

C'est bien ce mouvement qu'il conviendra de mieux maîtriser dans les années à venir. De fait, la redistribution spatiale de la population s'est opérée de façon irrégulière dans des zones périurbaines très larges, très étalées. Ce sont les territoires ruraux à la périphérie des villes en développement qui ont connu une forte croissance démographique et économique. L'amélioration des moyens de transport publics urbains et interurbains, tels que les autoroutes, les trains express régionaux et les TGV, a favorisé le développement des déplacements entre le domicile et le lieu de travail, avec des navettes quotidiennes, des mouvements pendulaires dont l'amplitude s'inscrit dans des cercles d'un rayon parfois supérieur à soixante-dix, voire cent kilomètres, autour des centres urbains pourvoyeurs d'emplois.

C'est donc une nouvelle typologie des territoires ruraux qui se dessine. La rurbanisation est devenue une réalité concrète, forte, avec ses problèmes spécifiques, auxquels il faut pouvoir apporter des réponses appropriées. Ces espaces doivent résister à une spéculation foncière intense. Je ne suis pas certain, à cet égard, que les outils de maîtrise foncière à la disposition des élus soient suffisants.

De plus, dans ces territoires, il faut répondre à des besoins sociaux de haut niveau, ce qui est de plus en plus difficile : je pense ici à la réalisation d'équipements tels que les piscines, les crèches ou les haltes-garderies. Il faut dire que l'organisation territoriale chaotique de notre intercommunalité ne facilite pas toujours la mise en oeuvre de solutions adéquates.

Par ailleurs, on observe des milieux ruraux tout à fait différents, que certains appellent le « vrai rural », et d'autres, condescendants, le « rural profond ». Leur population a fortement diminué, puisque, alors qu'elle représentait en 1962 de 15 millions à 16 millions de personnes, soit un tiers de la population totale de notre pays, elle ne regroupe plus aujourd'hui que moins de 10 % de cette dernière, répartie dans un tiers des communes françaises. Le nombre des agriculteurs exploitants y a été divisé par trois, celui des ouvriers agricoles par quatre. L'artisanat rural y a très fortement régressé, dans les mêmes proportions. Quant au commerce rural, il a nettement dépéri, au point d'avoir complètement disparu dans un grand nombre de villages. Pour se procurer les biens de consommation nécessaires, leurs habitants doivent s'adresser aux commerçants itinérants ou, le plus souvent, se rendre en voiture dans les villes du voisinage.

Toute nouvelle politique à destination des territoires ruraux doit prendre en compte cette cassure spatiale fondamentale entre territoires dynamiques et territoires en perte de vitesse.

Est-il encore possible de sauver ces derniers du dépeuplement ? Il faut bien reconnaître que la logique du marché et de la concurrence est souvent plus forte que les volontés d'aménager le territoire. Je crois que c'est là le point essentiel sur lequel nous devons réfléchir.

Dans le même temps, la transformation des paysages ruraux se traduit par une simplification et une homogénéisation du fait de la modernisation, de l'extrême spécialisation des systèmes agricoles : systèmes céréalier, viticole, horticole, système herbager orienté vers le lait ou la viande, système d'élevage hors sol.

Cette évolution crée des problèmes environnementaux importants, sinon graves, auxquels il est de notre devoir de répondre : érosion des sols, qualité de l'eau, diminution de la biodiversité liée à la suppression du bocage et des zones humides. Seule une réponse affirmée peut arrêter ce processus d'agression et de régression écologique inacceptable pour l'avenir des pays ruraux.

Voilà planté, à grands traits, le nouveau décor des territoires ruraux. Aussi sommes-nous heureux que ce projet de loi arrive en discussion devant notre assemblée. J'avais été déçu par le texte initial, composé de soixante-seize articles. Il a été cependant été enrichi d'une centaine d'articles par l'Assemblée nationale. En outre, les nombreux amendements déposés au Sénat en soulignent l'intérêt. Il reste toutefois très insuffisant pour répondre aux trois problématiques que j'ai définies. Il conviendrait que l'Etat prenne des engagements financiers considérables. Or j'ai le sentiment que vous attendez plus, ou trop, des régions, des départements et des communes.

Dans un contexte financier difficile pour tous, nous attendons des engagements financiers fermes de l'Etat. Or ce n'est pas ce que j'observe, en particulier en termes de maintien des services publics dans les secteurs ruraux les plus fragiles, dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la culture, des transports, de la poste ou de la sécurité.

Enfin, ce texte « fourre-tout » manque de cohérence, on l'a dit, et, par conséquent, de lisibilité pour le commun des mortels. Il pourrait avoir plus de souffle pour répondre à toutes les questions posées par les élus ruraux. On finit donc par douter de la capacité de votre politique de soutien aux zones rurales dépeuplées à inverser le cours du dépeuplement.

Des mesures de soutien sont indispensables. Même si l'on constate un recul de l'agriculture, la revitalisation n'est pas chimérique, la dépopulation n'est pas inévitable. Encore faut-il en exprimer avec force la volonté politique, et je ne suis pas sûr que le présent texte réponde à cet enjeu.

Cependant, celui-ci a le mérite de comporter quelques aspects positifs, en particulier quand il reconnaît l'intérêt de la préservation et de la gestion durable des zones humides. A cet égard, l'exonération de la taxe sur le foncier non bâti me semble très positive. En effet, en 1994, un rapport du préfet Paul Bernard mettait en évidence la diminution continue des zones humides françaises - 50 % en trente ans - et les conséquences négatives de cette évolution. Aujourd'hui, les zones humides représentent 1 700 000 hectares, soit 3 % de notre surface, et abritent 50 % des oiseaux et 30 % des espèces végétales. Or ces zones humides ont une fonction hydrologique : elles stockent et restituent l'eau ; elles jouent un rôle d'éponge et régulent les débits des cours d'eau. Leur entretien coûte en tout état de cause moins cher que la construction des bassins hydrographiques et des bassins d'orages en aval.

Les zones humides concourent à la lutte contre l'érosion des sols. Elles contribuent à la bonne qualité de la ressource en eau, notamment par leur aptitude à dénitrifier et à éliminer l'azote. Elles sont un élément majeur de la biodiversité puisqu'elles constituent des habitats pour la faune, la flore et certains micro-organismes spécifiques. La gestion de l'eau doit donc être concertée, objectif qu'il est parfois difficile de mettre en oeuvre quand on veut limiter, par exemple, le drainage des terres des agriculteurs qui cherchent à intensifier toujours plus leur production agricole.

La politique agricole commune, par son soutien financier à la culture du maïs, va aussi à l'encontre de notre volonté de préserver les zones humides. C'est pourquoi vos mesures de dégrèvements fiscaux ne prendront toute leur efficacité que si nous pouvons octroyer simultanément des indemnités compensatrices pour handicap naturel.

Le contrat d'aménagement durable, le CAD, peut également favoriser l'élevage extensif dans les zones humides. Encore faudrait-il que les crédits affectés à ce contrat soient bien supérieurs. Le levier financier me paraît déterminant pour assurer la qualité de la politique de préservation des milieux humides. Si nous voulons pérenniser, mais aussi restaurer et reconquérir les zones humides, il faudra étendre les zones défiscalisées aux catégories 7 et 8, à savoir aux tourbières non exploitées, aux lacs et aux étangs. Cette mesure permettrait d'encourager les plans de gestion sur de vastes espaces à dominante humide. A défaut, on risque de transformer les espaces humides en « confettis » d'une efficacité douteuse en termes écologiques.

En conclusion, si votre texte, messieurs les ministres, présente ici ou là des aspects positifs, il n'est pas à la mesure des enjeux territoriaux des espaces ruraux dans leur extrême diversité, même si je reconnais la difficulté de la tâche.

La France est devenue un pays où triomphe sans régulation l'économie de marché, dans lequel la population travaille presque exclusivement dans les aires urbaines. L'objectif que nous devons nous assigner est toujours le même : faire en sorte que, partout dans notre pays, les habitants puissent se soigner, s'instruire, se cultiver, se distraire, se déplacer de manière satisfaisante. Or, manifestement, de fortes inégalités spatiales subsistent.

Aujourd'hui plus que jamais, il appartient à l'Etat de corriger les inégalités engendrées par le libre jeu du marché. Votre texte ne répond que très partiellement à cet enjeu majeur. Pourtant, il est d'autant plus urgent de répondre à cet enjeu pour les zones rurales que nous sommes entrés dans un nouveau cycle économique caractérisé par le développement rapide de l'informatique, des services et des industries de haute technologie. Le risque est donc grand de renforcer plus encore les régions urbaines les plus dynamiques et d'enfoncer davantage les territoires ruraux en difficulté dans la pauvreté et le désespoir par manque d'emplois nouveaux.

J'espère que la présente discussion nous permettra d'améliorer ce texte nécessaire à la survie des régions rurales en déshérence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la précédente législature s'est beaucoup préoccupée du développement urbain et très peu d'aménagement du territoire, le ministre en charge de ce dossier estimant sans doute que les campagnes étaient destinées à devenir des réserves écologiques, ce qui leur a fait perdre cinq années précieuses au cours desquelles la désertification du territoire s'est, hélas ! poursuivie.

Je sais gré à l'actuel gouvernement de tenter d'inverser cette fâcheuse tendance en nous présentant un projet de loi qui a pour vocation de faciliter le développement des territoires ruraux. On y trouve certes des mesures intéressantes, mais l'ensemble paraît quelque peu hétéroclite, et assurément pas à la hauteur des besoins réels du monde rural.

M. Claude Biwer. Je regrette notamment qu'il ne comporte pas de volet financier vigoureux. Or, sans moyens financiers supplémentaires, je ne vois pas comment nous pourrons favoriser le développement du monde rural déjà si défavorisé par rapport au monde urbain.

Notre commission des finances a estimé à 100 millions d'euros par an l'engagement financier de l'Etat pour ce projet de loi : 100 millions d'euros, c'est bien peu pour développer les territoires ruraux. Or ceux-ci méritent au moins autant de considération que certaines corporations ou autres chercheurs et intermittents du spectacle, même s'ils n'ont pas le même sens de la responsabilité, s'ils ne manifestent et ne pétitionnent pas.

S'agissant du volet agricole de ce texte, je crains qu'il ne réponde pas à l'immense souffrance et au très grand désarroi du monde agricole, lesquels se sont d'ailleurs manifestés récemment dans les urnes.

N'aurait-il pas été préférable de « pousser les feux » et de tenter de trouver le plus rapidement possible des réponses aux préoccupations exprimées par les agriculteurs et par les éleveurs face au devenir de la politique agricole commune et à la baisse continue des prix à la production, et donc de leur rémunération ? Force est de reconnaître que les agriculteurs n'ont plus confiance en leur avenir.

Parallèlement, il y a lieu de confirmer le soutien que nous devons apporter à la formation professionnelle et à l'apprentissage afin d'inciter la jeunesse à s'orienter vers des débouchés porteurs d'espérance et d'emplois dans ce monde rural.

Les populations rurales non agricoles, de plus en plus nombreuses, attendent également des réponses à leurs interrogations en matière d'emploi, de service public, de logement et de communication. Il en va de même des entreprises, qui ont fait le pari de se développer et de développer l'emploi en milieu rural.

Depuis trop longtemps, les uns et les autres sont victimes de l'absence de couverture en matière de téléphonie mobile et d'internet à haut débit, à telle enseigne que certaines entreprises envisageaient - je l'ai vécu chez moi - de se délocaliser faute de pouvoir s'équiper de ces technologies indispensables à leur bon fonctionnement et à leur développement. A cet égard, la disparition de toutes les zones blanches en milieu rural est urgente.

Le projet de loi se saisit par ailleurs de l'épineux problème des services publics en milieu rural, mais uniquement sous l'angle des maisons des services publics : je ne suis pas a priori hostile à leur développement ni à la mise en place de « points Poste » en lieu et place d'agences postales dont les heures d'ouverture sont souvent peu pratiques pour les habitants. Si l'on envisage le concours des petits commerçants, il ne faut cependant pas perdre de vue que ceux-ci ont souvent disparu, bien avant les services. Par conséquent, le problème demeure !

M. Claude Biwer. J'ai déposé, avec plusieurs collègues, une proposition de loi sur le bureau du Sénat pour demander un moratoire sur les fermetures de services publics. En effet, nous savons que de nombreuses fermetures sont envisagées, sans grande concertation, et devraient bientôt être annoncées. Elles concernent plusieurs centaines de bureaux de poste, mais aussi des recettes locales des finances, voire d'autres administrations. Ainsi, dans mon département, certains services des douanes viennent d'être supprimés, et d'autres ont été regroupés à cent kilomètres des frontières, ce qui ne va certainement pas les rendre plus performants pour lutter contre les trafics en tous genres ! J'ajoute que la Fédération des maires ruraux vient également de réclamer la mise en place de ce moratoire.

Nous, élus ruraux, sommes bien placés pour savoir que, dès lors qu'une commune ne dispose plus de services publics, d'une école maternelle ou primaire, les jeunes couples ne veulent plus s'y installer, ce qui la condamne à terme à une mort lente mais certaine. Messieurs les ministres, comment voulez-vous développer les territoires ruraux en y supprimant, dans le même temps, ces services ?

Vous souhaitez encourager l'installation des professionnels de santé en milieu rural grâce à un certain nombre de mesures fiscales. Il y a urgence, en effet ! Mon département, la Meuse, figure parmi les moins bien lotis en matière de démographie médicale : il ne compte que 126 médecins pour 100 000 habitants, contre 296 dans les Alpes-Maritimes et 426 à Paris.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Cela prouve que les habitants de votre département ont une bonne santé !

M. Claude Biwer. C'est une belle démonstration, mais elle n'explique pas tout !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est vrai !

M. Claude Biwer. Certes, la liberté d'installation existe, mais ne conviendrait-il pas de l'encadrer afin de réorienter les jeunes médecins vers le monde rural grâce à certaines incitations ?

Ma grande déception est que ce projet de loi ne comporte aucun dispositif d'accompagnement financier pour les communes rurales.

Nous pouvons espérer, il est vrai, que le principe constitutionnel de péréquation qui s'appliquera désormais à la DGF permettra de rééquilibrer quelque peu sa répartition. En effet, elle est à l'heure actuelle trop inégalitaire, au détriment des communes et des communautés de communes rurales.

Mais il faudrait, là aussi accélérer, le mouvement, monsieur le ministre, car les 8 % que vous venez d'annoncer partent de bien bas et ne constituent pas une manne susceptible d'amener une évolution suffisante.

Il en va de même pour la DGE : mon département dispose de 3 millions d'euros pour satisfaire les besoins de 500 communes, soit 6 000 euros par commune. Cela me paraît bien peu ! Or il s'agit d'un département essentiellement rural. Comment les territoires ruraux se développeront-ils si les communes ne peuvent pas bénéficier des aides financières leur permettant de réaliser un minimum d'équipement ?

Cette problématique est identique à celle que j'ai développée en matière de services publics : les jeunes couples ne sont guère attirés pour s'installer dans de telles conditions.

Mais il y a plus important encore : au fil des réponses que j'ai obtenues ici même, au Sénat, à la suite de mes différentes interpellations, il est apparu que la DGE devrait de plus en plus servir de bouche-trou au désengagement financier de l'Etat. Je pense ici à la remise en état de ponts détruits par faits de guerre, ou encore aux travaux consécutifs aux catastrophes naturelles non prises en compte par le Gouvernement, comme les inondations ou les sécheresses.

Pour toutes ces raisons, je propose que les départements qui perçoivent la dotation de fonctionnement minimal en matière de DGF et qui sont manifestement défavorisés perçoivent également une DGE bonifiée. Cela leur permettrait de financer plus de dossiers d'équipement, voire de majorer les taux de subvention.

Ne pouvons-nous pas également envisager des prêts à taux zéro pour les communes rurales ? Ils seraient abondés par les disponibilités que les communes les plus aisées déposent sur les comptes de la Caisse des dépôts et consignations. En effet, même si les taux d'intérêt actuels sont faibles, ils pèsent néanmoins sur les budgets de fonctionnement des communes, et tout ce qui peut alléger cette charge va nécessairement dans le bon sens. Pourquoi ce qui est fait pour les accédants à la propriété ne pourrait-il pas être fait pour les communes rurales ?

Le dernier point que je souhaiterais aborder au sujet de ce volet financier concerne la dotation de développement rural, qui sert à parfaire le financement des équipements réalisés par les communautés de communes : 116 millions d'euros sont inscrits à ce titre au budget de l'Etat pour l'année 2004. Un tel montant ne me paraît pas suffisant pour financer les équipements dont nous avons besoin.

S'il est un élément financier que ce projet de loi aurait dû contenir, c'est bien la revalorisation massive de la DDR, accompagnée d'un assouplissement des règles. Comment, en effet, peut-on imaginer développer les territoires ruraux avec une aussi maigre dotation ?

M. Gérard Delfau. Très bien!

M. Claude Biwer. Messieurs les ministres, il faut mettre fin une fois pour toutes à la grande misère financière des communes rurales.

M. Bernard Piras. Oui, c'est vrai !

M. Claude Biwer. Si ce projet de loi ne le faisait pas, il susciterait déception et colère auprès des élus, et il constituerait une occasion manquée pour le monde rural. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Delfau. Nous ne sommes pas les seuls à le dire !

M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.

M. Philippe Leroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, en tant qu'élu rural, je me réjouis de ce projet de loi. Toutefois, présidant le conseil général d'un département très industriel et très urbain, j'aimerais qu'une telle loi puisse exister un jour pour les quartiers citadins. C'est vous dire, monsieur le ministre, que les ruraux ont de la chance. Et c'est un élu rural qui le dit !

Les réflexions menées au niveau national depuis de longues années permettent aujourd'hui d'aboutir à ce projet de loi. Des diagnostics et des analyses intelligentes ont été opérés par l'ensemble des intervenants, mais, dans nos quartiers, nous ne disposons pas encore d'une telle qualité d'observation ni d'une boîte à outils aussi fournie.

C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je souhaite relativiser les critiques qui vous sont adressées : si votre tâche avait été facile, vous auriez fait mieux ! Vous avez cependant réussi, à l'échelon interministériel, à élaborer un projet de loi varié, comportant de très nombreuses dispositions que nous améliorerons dans le temps, mais qui, aujourd'hui, constituent une réelle avancée et nous offrent le moyen de travailler.

Il est évident que le problème de la péréquation concerne tous les Français, qu'ils soient citadins ou ruraux, qu'ils viennent de départements peuplés ou non peuplés, de grandes ou de petites villes. Méfions-nous donc des incantations en faveur de l'égalité : elles pourraient quelquefois être préjudiciables aux ruraux !

Mon département, la Moselle, compte 700 000 urbains et 300 000 ruraux ; si je me mettais à tout mesurer à l'aune de l'égalité, je vous donne ma parole que les ruraux connaîtraient des déconvenues ! Il faut donc éviter les exagérations en la matière...

Monsieur le ministre, ce projet de loi est bon et nous permettra d'examiner les problèmes relatifs aux finances locales. C'est une difficulté colossale que nous n'avons jamais maîtrisée, et une simple loi, telle que celle que vous nous proposez aujourd'hui, ne peut pas parvenir à la régler d'un coup de baguette magique. En effet, il faut considérer les équilibres entre toutes les catégories de Français, de communes, de collectivités.

Ce projet est bon, monsieur le ministre, mais je tiens tout de même à attirer votre attention sur un point déjà évoqué par plusieurs orateurs : le problème toujours délicat du zonage.

Vous savez qu'un certain nombre d'incitations au développement en zone rurale - comme en zone urbaine, d'ailleurs -, reposent sur des zonages, car il faut évidemment que certaines zones soient plus attractives que d'autres : zones de revitalisation rurale, zones d'intervention européennes, zones d'objectif 2, etc.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, dépend en partie, pour les questions d'incitation économique, sur ces zonages. Or ces derniers se démodent, ils évoluent, et il nous faudra, au cours des prochaines années, y réfléchir de nouveau dans la mesure où le principe des classements tels que nous les connaissons sera abandonné, à l'échelon européen, en faveur des appels à projet.

Je tiens à insister sur le fait que les zones d'objectif 2 représentent aujourd'hui des populations en attente. Je me réjouis que votre projet de loi, monsieur le ministre, les prenne en compte alors que ces zonages sont transitoires, c'est-à-dire qu'ils sont liés à des politiques vouées à évoluer, et peut-être à disparaître dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, prenons garde à ne pas abandonner dès aujourd'hui ce type de zonage dans le milieu rural : attendons plutôt que l'état de nos réflexions ait progressé dans ce domaine.

Si j'ai omis ici de parler des zones de montagne, c'est que mon département est très peu montagneux. Pour autant, je considère que les zonages en montagne, monsieur le ministre, sont tout à fait respectables. Comment pourrais-je penser autrement lorsque je m'adresse à vous ? (Sourires.)

Je vous félicite donc d'avoir déposé ce projet de loi, monsieur le ministre, car il n'était pas évident à élaborer : moi, je ne tire pas sur le pianiste ! Je partage, pour avoir rempli à quatre reprises le mandat de maire dans un gros bourg rural, votre souhait de mettre en place des systèmes de péréquation qui rendent justice au monde rural. Je connais la misère du monde rural, mais je sais que ce n'est pas dans le cadre de l'examen de ce projet de loi qu'il convient d'en parler...

Je ferai encore deux remarques d'ordre technique.

Je suis forestier d'origine et je soutiens par avance tout ce que Yann Gaillard dira dans un instant au sujet de la forêt. Les forestiers sont des gens silencieux, monsieur le ministre, et ils ne coûtent pas cher à la nation : ils n'étaient pas partie prenante dans le traité de Rome, et l'ensemble des industries forestières a vécu sur le marché mondial. Par ailleurs, les forestiers ne reçoivent pas d'aides pour commercialiser leurs produits, mais ils souhaitent pouvoir s'épanouir en paix.

Je voudrais donc que les amendements qui les concernent puissent être acceptés, monsieur le ministre. Cela ne coûtera pas beaucoup d'argent, mais simplement quelques aménagements afin que ce secteur puisse progresser.

En matière forestière, depuis Colbert, les faits et gestes des techniciens sont régis par le principe du développement durable : c'est un principe qui est né lorsque les rois d'Angleterre, les premiers, puis les rois de France, un peu plus tard, ont constaté que, à force de couper des arbres dans les forêts, ils n'y avait plus de mâts ni de planches suffisamment longues pour fabriquer les navires de guerre.

Aujourd'hui, donc, n'embêtons pas les forestiers, qu'ils soient publics ou privés. Leur gestion forestière subit des contrôles rigoureux : on ne fait pas ce que l'on veut dans les forêts françaises et européennes. Alors si, de surcroît, ils apprennent qu'on risque de les soumettre à des plans de gestion tels que Natura 2000, ils vont trouver cela quelque peu superfétatoire ! Il faut leur faire confiance.

Ma seconde remarque d'ordre technique porte sur les incitations financières. Je ne sais pas si quelqu'un ce soir, dans cet hémicycle, représente le ministère des finances...

M. Hervé Gaymard, ministre. Nous transmettrons !

M. Philippe Leroy. ... mais il me semble que nous ne soyons qu'entre gens honnêtes ! (Sourires.)

M. Gérard Delfau. Donc, sans le ministère des finances ! (Nouveaux sourires.)

M. Bernard Piras. Cela ne sera pas répété !

M. Philippe Leroy. Ce projet de loi contient un certain nombre de bonnes propositions en la matière, notamment des exonérations fiscales.

Ces dispositions ne sont pas ruineuses pour l'Etat. Au demeurant, nous dit-on, il n'y a plus de sous pour la loi Gaymard. Il n'y a d'ailleurs plus de sous pour rien, pas plus pour la sécurité sociale que pour le reste, et l'on ne peut pas demander des sous tout le temps... Et personne, dans cette assemblée, mes chers collègues, ne pourrait voter des fonds, car nul n'en a la capacité !

Quoi qu'il en soit, le système des incitations est encore trop encadré par le ministère des finances, et il n'est ni lisible ni visible. Rien n'est affirmé de façon claire.

De plus, ce système présente quelques défauts.

Le premier est que l'on prévoit une limite dans le temps, ce qui est idiot. Si, à l'occasion de l'élaboration d'une loi d'orientation comme celle-ci, on ne fait des cadeaux que pour un ou deux ans...

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pour cinq ans !

M. Philippe Leroy. Certes, monsieur le rapporteur, mais on trouve dans ce texte des incitations qui ne sont prévues que pour deux ans.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est vrai !

M. Philippe Leroy. Ce n'est pas bon, monsieur le ministre ! D'ailleurs, je parie que vous ne l'avez pas voulu, et que c'est Bercy qui vous l'a imposé !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est exact !

M. Philippe Leroy. Bercy pense : « Je vais leur faire des promesses, mais comme en deux ans ils n'auront pas le temps de mûrir les projets, ils ne pourront profiter de tels cadeaux et je ne dépenserai pas un sou ! »

M. Gérard Delfau. Attendons les décrets d'application !

M. Philippe Leroy. Essayons en tout cas, dans les amendements que nous adopterons, de ne pas céder à la tentation qui consisterait à faire des cadeaux qui ne pourront pas être utilisés faute de temps, car le temps est important dans cette affaire. Faisons en sorte que les incitations données aux zones rurales soient réellement motivantes.

Je parle ici sous le contrôle du directeur de la DATAR, dont l'administration essaie de donner un semblant de rationalité à des éléments qui ne sont pas rationnels.

M. Jean Bizet. Quel travail !

M. Philippe Leroy. Je prendrai un exemple, et je terminerai sur ce point.

On nous annonce des aides en faveur du locatif touristique. Ces aides peuvent être intéressantes dans les zones rurales, mais le dispositif est prévu sur deux ans alors qu'il devrait être suffisamment incitatif pour attirer les investisseurs.

Il existe déjà de nombreuses aides pour les logements destinés à la location dans les villes. Pensez-vous qu'un particulier qui veut placer ses économies décidera d'investir dans un programme immobilier en milieu rural plutôt qu'en milieu urbain ? Il est plus facile de se lancer dans un programme d'investissement locatif urbain : il suffit de sortir de chez soi, d'aller voir un promoteur immobilier, et tout est réglé. Les avantages sont à peu près les mêmes que dans les zones rurales. Or, à la campagne, c'est souvent un parcours du combattant, il n'y a pas de promoteur, et c'est plus difficile à réaliser.

Par conséquent, je vous demande de faire en sorte que le système soit clair, incitatif et différent.

Voilà, messieurs les ministres, tout le mal que je voulais dire de votre projet de loi. (Sourires.) En réalité, vous avez bien travaillé ; vous auriez peut-être pu mieux faire, mais ce n'est pas certain. Et, en définitive, nous-mêmes, qui adorons critiquer ce qui se fait, n'aurions sans doute pas grand-chose de mieux à proposer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Excellente intervention !

M. le président. La parole est à Mme Michèle André.

Mme Michèle André. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux doit relever un important défi. Il doit répondre à l'impatience de nombreux Français vivant en dehors des pôles urbains, voire périurbains.

L'impatience est encore plus grande parmi les élus de nos campagnes, qui ont fondé sur ce texte l'espoir de voir se réduire les écarts de modes de vie entre les villes et leurs propres territoires. Ils en attendent non seulement des moyens qui montrent notre refus de voir s'installer des zones désertiques sur le plan agricole, touristique et économique, mais aussi et surtout des perspectives pour ses habitants.

Il nous appartient de manifester à travers ce texte l'intérêt que représentent les territoires ruraux pour chaque Français, en un mot et sans notion de mendicité du monde rural, une marque de solidarité.

Est souvent évoqué le précepte, pour les habitants des pays défavorisés, qui veut qu'on leur apprenne à pêcher le poisson plutôt que de le leur fournir. Ce précepte pourrait s'appliquer à notre monde rural, qui a besoin des outils nécessaires à son développement, et pas seulement de subventions.

Cela prend une ampleur supplémentaire lorsque l'on parle, au sein même de ces territoires, de la montagne. Je limiterai mon propos à cet aspect de notre territoire.

Monsieur le ministre, vous développez à nouveau la notion de ZRR, que vous retouchez à travers la définition de l'un de ses critères, basé sur la densité de population active agricole. Cela peut s'entendre, mais il faudra aller plus loin dans le sens de l'emploi. D'autres de nos collègues l'ont dit.

Vous insistez sur les exonérations fiscales possibles en milieu rural, mais il faudra réellement agir en ce sens. Cela peut, en effet, permettre de surmonter certains handicaps, mais pas tous.

Vous créez les SIDER - les sociétés d'investissement pour le développement rural - mais on peut se poser la question de leur efficacité et de leur succès, qui restent à prouver.

Vous oubliez - mais n'est-ce pas par manque de moyens ?- des mesures pour le tourisme et la culture, domaines qui se complètent l'un l'autre et sont essentiels pour un pays qui est la destination principale de nombre de nos voisins d'Europe et d'ailleurs dans le monde.

Vous oubliez également le sens réel du service public. En le rebaptisant « service au public », expression qui cache mal le désengagement progressif de l'Etat au profit incertain du privé, vous pouvez peut-être offrir une manne financière aux zones les plus peuplées que sont les zones périurbaines, mais vous condamnez, je le crains, les zones plus éloignées des grands centres.

Je pense ici à tous les habitants âgés, dont beaucoup sont des femmes qui n'ont jamais conduit de véhicule automobile ou qui ne conduisent plus, à tous ces habitants des zones de montagne et de moyenne montagne qui, face aux difficultés inhérentes du milieu géographique, auront, dans quelques décennies - peut-être même avant -, l'obligation d'aller chercher leur courrier, de se rendre chez le percepteur, chez le médecin généraliste, à l'hôpital, tous services situés à plusieurs dizaines de kilomètres.

Le service public, tel qu'on l'entend aujourd'hui avec son personnel public, est pourtant encore le seul point d'attractivité de certains secteurs et de beaucoup de nos cantons ruraux, mais on ne peut lui faire porter seul le coût du médecin et de la formation des médecins. Je pense que nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

Il faudrait maintenir une attention particulière dans ces zones de montagne. Il faudrait mettre un point d'honneur à ce que le facteur continue à passer devant chaque boîte aux lettres pour affranchir le courrier à expédier, mais aussi pour porter les petits paquets qui sont précieux pour nos aînés, nous le savons tous.

Les zones de montagne et de semi-montagne, si l'on peut parler ainsi des massifs de moyenne altitude que constituent les Vosges, le Jura ou le Massif central, méritent une attention particulière. Le présent projet de loi en a fait son titre V, à travers les articles 62 A à 65 decies.

Je ferai à ce propos quelques remarques, en regrettant que vous n'ayez pas choisi de travailler sur une problématique spécifique à la montagne dans la ligne de la loi de 1985, comme l'ont demandé l'ensemble des parlementaires par le biais de propositions de loi identiques. Votre choix est autre, c'est dommage ; les élus de la montagne en ont pris acte avec regret et tenteront d'amender votre texte.

Permettez-moi quelques remarques plus spécifiques.

En premier lieu, je souhaiterais que les critères d'inscription en zone de montagne soient énoncés le plus clairement possible pour qu'une carte nationale des zones de montagne soit établie de la façon la plus précise.

Comme on ne peut découpler espace géographique et rôle des aménageurs et décideurs de ces territoires, un raisonnement au niveau communal est nécessaire. Le critère « altitude », accompagné d'autres critères plus subjectifs comme les modes de vie, suppose, pour certains, une application stricte dans la sélection et, pour d'autres, une évaluation pour laquelle il serait logique d'associer les élus locaux, les comités de massifs et le représentant de l'Etat.

L'actuelle rédaction risque, à terme, d'étendre un peu plus ces zones et de diluer ainsi les effets des mesures qui lui sont pourtant si nécessaires. Des amendements vous seront proposés en ce sens.

Dans un deuxième temps, je crois nécessaire d'insister sur la volonté de renforcement de la qualité intrinsèque des produits de l'agriculture de montagne. La dénomination « montagne » est parfois abusivement utilisée. Il suffit pour s'en rendre compte de constater le nombre d'exceptions introduites par le décret du 15 décembre 2000, qui ont pour effet de détourner les lieux de collecte ou de conditionnement de produits.

Afin de privilégier en tout premier lieu les entreprises qui font l'effort d'une implantation en montagne et de garantir une élaboration jusqu'au produit final, il est nécessaire, je crois, d'introduire un critère indiscutable qui ne peut être autre que le pourcentage de matières premières collectées et produites en zone de montagne.

Des entreprises ont déjà profité des imperfections de ce décret pour bénéficier de l'a priori positif des consommateurs sur les produits à dénomination « montagne ». Cette situation n'est pas souhaitable, il faut donc restreindre l'utilisation de ce terme aux seules entreprises qui ont investi, qui achètent, qui produisent et qui génèrent des emplois dans ces zones.

Dans un troisième temps, je crois nécessaire de mobiliser encore plus les moyens en logements en général, certains d'entre nous l'ont déjà dit ; pour ma part, je voudrais évoquer ceux qui sont destinés aux travailleurs saisonniers des sites touristiques.

Les saisonniers qui, dans l'ombre des vacances de nombreux Français et étrangers, travaillent pour que les sites touristiques gardent un attrait, sont parfois mal traités. Que penser des locaux exigus où ils vivent seuls ou à plusieurs, ou même de la nécessité de devoir se loger dans un véhicule stationné sur un parking non payant de station de ski ? Ce n'est pas le cas pour tous, mais il n'y a pas de raison que cette situation dure, car elle n'est pas admissible. Il faut donc offrir aux pourvoyeurs de logements publics ou privés la possibilité de proposer des logements aux saisonniers dans des conditions correctes.

Enfin, et pour traiter de situations qui concernent peut-être plus souvent le Massif central - mais d'autres zones de montagne présentent cette caractéristique -, je souhaite que soit abordée plus en détail la gestion des sections de communes, qui sont parfois chapeautées par des commissions syndicales.

Le Puy-de-Dôme est le deuxième département pour ce qui est du nombre de sections existantes, mais les départements d'Auvergne le suivent de près : nous comptons plusieurs milliers de sections dans le seul département du Puy-de-Dôme, pour 470 communes. Les responsables locaux, mais aussi les habitants de certaines petites villes ou villages, font donc face à des interlocuteurs multiples lorsqu'il s'agit de savoir à qui appartient un terrain, une forêt ou un bâtiment. Bien souvent, la dénomination d'une section est la réponse à cette question...

Alors qu'elles répondaient à une nécessité de subsistance au Moyen Âge par la mutualisation des moyens des habitants d'une commune, d'un hameau ou même de quelques foyers seulement, les sections d'aujourd'hui, si elles sont pour la plupart bien gérées par leurs ayants droit, représentent dans certains cas des blocages pour la vie collective.

La cession de biens aux communes, départements ou régions, pourtant voulue par l'intérêt général, peut ainsi être bloquée par la décision de certaines sections qui en refusent le principe. Je vous proposerai donc d'adopter des amendements qui rendront la décision de section plus évidente, moins dépendante des problèmes relationnels entre les ayants droit et les autres citoyens d'une même commune. Il y va parfois de la paix sociale d'une commune, où les jurisprudences abondantes ne règlent pas vraiment les problèmes de la vie ordinaire.

Voilà, monsieur le ministre, quelques remarques qui s'ajoutent à celles d'autres élus de la montagne : je vous demande de les prendre en compte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les inquiétudes exprimées sur l'avenir de l'agriculture française, le déclin des services publics et des services médicaux et sociaux en milieu rural, les nombreuses situations d'enclavement territorial, l'insuffisante couverture numérique sont, parmi d'autres réalités, la traduction de ce que l'on désigne habituellement aujourd'hui sous l'appellation de « fracture territoriale ».

Or ces réalités m'apparaissent plus précisément comme la déclinaison contemporaine d'un phénomène beaucoup plus ancien qui plonge ses racines aussi bien dans notre centralisme séculaire que dans le mouvement d'exode rural qui a accompagné le développement de la société industrielle. Et ce n'est pas d'aujourd'hui que les pouvoirs publics tentent de porter remède à la perte de vitalité de la province française...

C'est ainsi qu'ont été conçues avec la DATAR la politique des métropoles d'équilibre des années soixante, la politique de rénovation rurale des années soixante-dix, les lois de décentralisation des années quatre-vingt, les lois relatives à l'aménagement du territoire des années quatre-vingt-dix.

Mais, pour utiles qu'aient été toutes ces initiatives, même conjuguées avec les politiques européennes, elles n'ont pas permis d'atteindre tous les résultats escomptés.

Alors, lorsque, à la demande de M. le Président de la République, le Gouvernement a annoncé le dépôt d'un projet de loi pour promouvoir le développement des territoires ruraux, d'aucuns ont pu se demander s'il n'était pas déjà un peu tard et si cette loi ne viendrait pas prendre place dans une longue série d'espoirs déçus.

Pour ma part, loin de céder au pessimisme, je veux faire le choix, avec pragmatisme, de considérer les capacités de ce texte à réussir là où de précédentes initiatives n'ont connu que des succès mitigés.

L'efficacité de ce texte résultera, pour une bonne part, de la possibilité du Gouvernement d'intégrer les propositions parlementaires.

J'illustrerai ce propos à travers l'exemple des territoires de montagne.

La loi du 9 janvier 1985 s'inscrivait dans cette politique des pouvoirs publics de soutien au développement d'un espace rural d'un genre particulier : la montagne. Là encore, la loi n'a pas permis d'atteindre pleinement certains de ses objectifs phares tels la compensation du handicap, ou encore l'auto-développement. C'est ce constat que font beaucoup de montagnards, qu'ont fait les sénateurs investis en 2002 d'une mission d'information sur le bilan de près de vingt ans d'application de la politique en faveur de la montagne.

L'an dernier, une mission de l'Assemblée nationale s'est également livrée à cet exercice et l'ensemble des travaux parlementaires ont débouché sur une proposition de loi déposée en juillet 2003 en termes identiques à l'Assemblée nationale et au Sénat, visant à rénover en profondeur la politique en faveur de la montagne.

Ce texte ne venant pas en discussion, ce que nous pouvons regretter, je vous sais gré, monsieur le ministre de l'agriculture et des affaires rurales, d'avoir intégré dans votre projet de loi un chapitre consacré à la montagne. Je veux, à cette occasion, vous exprimer mes remerciements pour votre disponibilité et l'attention que vous avez portée aux propositions formulées par les élus de la montagne au cours des travaux préparatoires de ce texte, auxquels vos collaborateurs, que je remercie également, ont apporté une efficace contribution.

Je tiens aussi à exprimer ma gratitude au ministre chargé de l'aménagement du territoire, à ses collaborateurs et collaboratrices ainsi qu'à la DATAR, dont je salue le délégué général, présent au banc du Gouvernement.

L'ouverture dans le projet de loi d'un chapitre consacré à la montagne témoigne d'abord de l'exécution de l'engagement pris par M. le Premier ministre à Gap, en octobre 2002, devant les élus de montagne, de donner « un nouveau souffle à la montagne ».

Ce texte témoigne ensuite de votre propre volonté, monsieur le ministre, étayée par l'attachement que nous vous connaissons à votre terre d'origine.

Il témoigne, enfin, de l'attention que vous avez bien voulu porter aux travaux du Conseil national de la montagne, dont le député Michel Bouvard préside la commission permanente, à ceux de l'ANEM, présidée par notre collègue Pierre Jarlier, à ceux du groupe de travail sur le pastoralisme ainsi qu'à ceux qui ont été conduits, ici même au Sénat, par des sénatrices et sénateurs de tous bords autour de Jacques Blanc, président de notre groupe d'étude sur la montagne.

A ce point de mon propos, je veux vous faire partager, mes chers collègues, ma conviction profonde : si la montagne revendique une adaptation de la règle commune nationale, ce n'est ni pour tendre la main ni - encore moins ! - pour demander un traitement de faveur ; c'est parce que la vie en montagne est profondément différente de ce qu'elle est ailleurs, en raison du climat, de la topographie des territoires, de la nature des sols, des plus grandes difficultés de communication, des surcoûts induits dans tous les domaines, de la réduction du temps où le travail est possible du fait de l'impact des cycles saisonniers. La réalité est donc bien différente de l'image réductrice de loisirs et de convivialité dont la montagne est souvent prisonnière.

Dans une République qui fait de l'égalité sa devise et de l'universalisme l'un de ses objectifs les plus élevés, il importe que l'Etat, garant de la cohésion nationale, veille à ce que chaque communauté humaine soit à égalité de moyens.

Les progrès en cours en matière de décentralisation renforcent cette exigence, car les assemblées régionales, influencées assez naturellement par la prépondérance des populations urbaines, pourraient être tentées de ne pas considérer la montagne comme une cause réellement prioritaire.

Cela implique également de consolider le rôle du département, collectivité de solidarité et de proximité par excellence, et donc de lui laisser des marges de manoeuvre financières suffisantes.

M. Philippe Leroy. Très bien !

M. Jean-Paul Amoudry. Mais je reviendrai sur ce sujet dans un instant.

Concrètement, la recherche de cohésion implique en particulier la compensation du handicap et la mise en oeuvre de possibilités permettant à chacun l'égal accès aux services, à la santé, à la formation, au logement, etc.

Sur un certain nombre de sujets, votre projet de loi, messieurs les ministres, répond à ces attentes.

C'est le cas de la pluriactivité, du travail et du logement des saisonniers, du régime des délégations de service public et de celui des unités touristiques nouvelles, de la réhabilitation de l'immobilier de loisirs, de la reconquête des terres incultes et du rôle du pastoralisme, de la mise en valeur de la forêt de montagne et des avancées prévues en matière de services, de santé en particulier.

C'est le cas aussi de la rénovation du patrimoine rural bâti, comme des initiatives qui pourront être prises en matière de coopération interrégionale.

A l'inverse, ce texte souffre d'insuffisances dans certains domaines. Nous souhaitons pouvoir les corriger.

Je pense notamment à la pénurie de moyens qui affecte les petites collectivités de montagne, que les charges de gestion des espaces et réseaux pénalisent au point de leur enlever toute autonomie de décision.

Je pense aussi au manque de reconnaissance d'une compétence générale des collectivités en matière de gestion de leurs espaces naturels sensibles et protégés.

Je pense encore au défaut de dispositif de garantie-qualité à l'appui des filières de produits qui représentent, nous le savons bien, la seule voie d'avenir pour l'agriculture de montagne, et au manque d'anticipation vis-à-vis de l'élargissement de l'Europe en ce domaine.

Je pense enfin à l'absence de moyens pour soutenir l'innovation, clef de tout progrès et condition pour que la montagne soit l'espace d'excellence qui lui apportera ou lui conservera l'attractivité nécessaire au maintien de la présence humaine.

Tels sont quelques-uns des sujets d'importance prioritaire sur lesquels notre montagne française attend de nouveaux progrès. J'espère vivement que ce projet de loi, auquel j'apporte tout mon soutien, recevra, au terme de nos débats, tous les enrichissements nécessaires pour le mieux-être et l'avenir des populations de nos massifs et vallées.

Pour conclure, je veux adresser au Gouvernement un double appel en faveur de la montagne à propos de deux sujets qui se situent en marge du projet de loi soumis à notre examen.

En premier lieu, à l'heure de l'élargissement de l'Europe, il est d'une importance capitale que la cohésion territoriale, associée à la notion de handicap naturel, soit officiellement reconnue et inscrite comme telle dans la future Constitution européenne.

En second lieu, comme je l'ai dit précédemment, les départements de montagne remplissent une mission irremplaçable de solidarité et de proximité. Il est, en conséquence, impératif de laisser à la collectivité départementale les marges de manoeuvre financières indispensables à l'accomplissement de cette mission de péréquation et de ne pas alourdir les prélèvements sur la fiscalité locale. Les textes à venir sur la décentralisation devront apporter, sur ce point, toutes les garanties nécessaires.

D'avance, je vous sais gré, messieurs les ministres, des assurances que vous pourrez m'apporter sur ces deux sujets d'égale importance. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce texte répond à une aspiration : la défense de nos territoires ruraux, victimes de la déprise agricole.

Pour atteindre cet objectif, M. le ministre de l'agriculture fait appel à une grande variété de mesures. Si j'osais pousser la comparaison, je dirais que son texte ne ressemble pas au menu d'un dîner officiel et pompeux, ordonnancé suivant toutes les règles de l'art, mais à un buffet où chacun se sert à sa convenance ...

M. Jean-Pierre Sueur. Un pique-nique !

M. Gérard Delfau. Un petit pique-nique !

M. Yann Gaillard. ... similaire à celui qui nous a été proposé par le ministre de l'agriculture voilà un peu plus de deux heures.

C'est pourquoi, sans pour autant me désintéresser de tant de mesures utiles, depuis les zones de revitalisation rurale jusqu'à la création d'un établissement public à Chambord, que j'avais d'ailleurs proposée dans un rapport précédent, je souhaite centrer mon propos sur les mesures relatives à la forêt française, tant publique que privée.

Je le ferai en tant que président de la fédération nationale des communes forestières, mais, plus largement, j'insisterai sur le fait que l'on constate actuellement un effort de regroupement et de coopération à l'intérieur du monde forestier.

Non seulement la forêt publique - forêts domaniales et forêts communales - a toujours été soudée au sein de l'ONF, mais il y a aussi maintenant un rapprochement avec la forêt privée, qu'il s'agisse des propriétaires forestiers sylviculteurs ou des coopératives forestières, à l'intérieur de l'association France Forêt. Celle-ci est à l'initiative d'une vingtaine d'amendements que beaucoup de parlementaires ont bien voulu cosigner. Ces amendements ont été, si je puis dire, déposés sous ce nom collectif.

Dans le même esprit, France Forêt s'est rapprochée de l'Association nationale des élus de montagne, dont nous a parlé avec tant de précisions notre collègue Jean-Paul Amoudry.

Pour reprendre les propos d'un éminent forestier, M. Leroy, ici présent, la forêt ne coûte pas cher et elle peut rapporter gros, du moins dans le temps.

Vous le savez, monsieur le ministre, les forestiers ont toujours l'impression d'être les mal-aimés ou les petits derniers du vaste département ministériel qui est le vôtre. Toutes les questions qui touchent à la forêt ne sont pas traitées par ce texte, mais il est vrai que nous avons récemment adopté une grande loi d'orientation forestière. Il est vrai aussi, hélas ! que certains décrets d'application, comme celui qui concerne le fonds d'épargne forestière, semblent être poursuivis par un cruel guignon. Malgré tout, l'heure est venue de positiver et de se retrousser les manches. Ce texte nous y invite.

Je vais choisir dans ce buffet quatre points qui sollicitent particulièrement mon appétit.

Le premier concerne la forêt de montagne. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce qu'a dit Jean-Paul Amoudry. Nous connaissons en effet tous ses handicaps et la grandeur de son rôle : protection des sols, constitution d'un paysage de qualité, accueil du public et activités de loisirs de pleine nature. Il importe que tout cet apport soit pleinement reconnu et que des moyens de financement spécifiques soient prévus à travers les taxes de séjour ou de remontées mécaniques dont bénéficient les stations de sports d'hiver. Nous proposerons, en liaison avec l'ANEM, des amendements en ce sens.

Le deuxième point, plus délicat, touche à la dynamisation de la filière bois-énergie. Celle-ci constitue un levier important de l'emploi en milieu rural. De plus, elle permet, par la valorisation des petits bois en forêt, de mettre en oeuvre une sylviculture dynamique garante d'une bonne croissance des peuplements forestiers, et je n'insisterai pas sur la dialectique bien connue des énergies fossiles et de l'effet de serre.

Voilà pourquoi, sans trop d'illusions, les forestiers, réunis au sein de France Forêt, ont audacieusement déposé un amendement proposant rien moins que la réduction à 5,5 % du taux de TVA pour les produits de bois-énergie à usage professionnel, commercial ou industriel, comme c'est déjà le cas pour les produits à usage domestique. Irons-nous plus loin qu'un simple amendement d'appel ? Cela dépend-il même de vous, monsieur le ministre ? Je ne le sais pas. La suite des débats le montrera.

Le troisième point a trait à la chasse, sujet ô combien sensible. Le projet de loi marque un progrès dans la mesure où il définit précautionneusement la délicate notion, à laquelle nous sommes si attachés, d'équilibre agro-sylvo-cynégétique : présence d'une faune sauvage abondante et variée, pérennité et rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles, régénération des habitats forestiers.

La demande des forestiers est simple. A cet égard, je demande à notre collègue Ladislas Poniatowski de bien vouloir nous pardonner, car nous considérons que l'article 58, tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, est tout à fait satisfaisant. Nous ne souhaitons donc pas qu'il soit modifié.

En revanche, nous vous demandons, monsieur le ministre, comme nous l'avons déjà fait à plusieurs reprises, d'inscrire clairement dans le projet de loi la présence des représentants de la forêt privée et de la forêt communale, à l'égal des représentants des exploitants agricoles, dans les instances cynégétiques départementales : conseil départemental chasse et faune sauvage et commission départementale d'indemnisation des dégâts de gibier.

Vous me répondrez sans doute que cette disposition relève plutôt du domaine réglementaire.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est exact !

M. Yann Gaillard. Cependant, rien ne vous empêchera de nous faire des promesses, qui nous permettont de retirer notre amendement. (Sourires.)

M. Philippe Leroy. Ce serait mieux si cela figurait dans la loi !

M. Yann Gaillard. Oui, ce serait un progrès.

Je terminerai avec la question de l'assurance forestière ou, autrement dit, de la prise en compte des aléas climatiques en forêt.

Ai-je besoin de rappeler tous nos malheurs, à nous autres forestiers ? La sécheresse de l'été 2003 a ajouté à la désespérance de bien des nôtres. Les sylviculteurs privés, mais aussi les maires de communes forestières peuvent être réellement tentés de baisser les bras. Comment investir en forêt face à de telles incertitudes ?

Il importe donc de mettre en place un dispositif adapté à la spécificité du risque forestier. Notre association France Forêt a déposé un amendement en ce sens. Monsieur le ministre, je vous demande de le considérer avec la plus grande attention et, si possible, d'en enrichir ce projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, qui est déjà porteur d'une abondante diversité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Marcel Vidal.

M. Marcel Vidal. Monsieur le président, messieurs les ministres mes chers collègues, à l'heure où le Gouvernement entame une réflexion sur la ruralité, il nous semble essentiel de préserver un affichage global et cohérent de ce projet, afin de garantir une utilisation équilibrée des territoires.

Les problèmes posés par une urbanisation mal maîtrisée, l'arrivée de nouvelles populations, notamment en Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d'Azur, une sensibilité accrue aux problèmes de nuisances environnementales méritent que la question soit posée et, si possible, résolue.

En effet, l'espace rural évolue. Les villes et les communes rurales s'étendent à tel point que l'activité agricole est en nette diminution.

Quelle place doit occuper l'agriculture dans cette recomposition des territoires ruraux ? Comment aménager de manière cohérente des territoires qui méritent une réflexion propre, distincte de celle qui est engagée habituellement en direction de l'aménagement urbain ?

Le contexte implique donc que l'on favorise la mise en place de partenariats nécessaires à une gestion efficace de l'espace rural et périurbain.

Nous devons également prendre des mesures spécifiques en faveur de l'aménagement et du développement de ces territoires.

Dans cette optique, il me paraît opportun d'analyser successivement le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, et du Crédit agricole dans leurs missions premières et principales. Il importe d'examiner ensuite comment on peut conjuguer la promotion de l'agriculture et la valorisation de la forêt avant de nous demander comment augmenter les offres de logements pour répondre à la demande croissante des nouvelles populations.

Les SAFER sont au coeur des problématiques rurales depuis plus de quarante ans. A l'origine, le législateur leur a confié une mission visant à maintenir un espace agricole dynamique et vital pour notre société. Afin de respecter les nouveaux enjeux, leurs missions ont évolué pour intégrer désormais la dimension environnementale, le développement local et l'aménagement de l'espace agricole, tout en assurant la transparence du marché foncier rural.

Leur compétence et leur savoir-faire en matière d'aménagement foncier agricole pourraient se révéler un allié intéressant dans la réflexion que nous menons aujourd'hui pour parvenir à une meilleure collaboration avec les représentants des collectivités territoriales, notamment au sein de leurs conseils d'administration.

De plus, les SAFER ont également pour mission de traiter les aspects fonciers de la politique d'aménagement et de développement du territoire rural. Si le projet de loi envisage l'élargissement de l'assiette d'intervention des SAFER, il semble que le recentrage de leurs missions soit plus opportun pour une meilleure définition de ces dernières, dans l'intérêt des régions agricoles comme des jeunes agriculteurs.

En effet, l'élaboration d'une stratégie commune à tous les organismes professionnels concernés permettrait à la nouvelle génération de restructurer et de développer leurs exploitations dans des conditions optimales.

Pour ce faire, la mise en réseau des connaissances et des compétences entre les SAFER et certains organismes associés, tant ceux qui sont créés dans plusieurs départements, comme les agences foncières, que ceux qui peuvent être installés au niveau régional, notamment les observatoires fonciers régionaux, permettrait de conduire une politique commune de gestion de l'espace rural et de réguler le marché en luttant contre la spéculation immobilière.

En ce sens, une participation renforcée des SAFER, à condition que ces dernières conduisent leurs actions en toute objectivité et s'adaptent à l'évolution économique et sociale, devrait être encouragée.

Toutefois, il ne faudrait pas que ces dernières, succombant à la tentation de se comporter ici ou là comme des agences immobilières de grands secteurs, interviennent de manière inappropriée sur le marché des biens ruraux, s'éloignant ainsi de leurs objectifs initiaux . En effet, alors que les SAFER ont été créées pour les y aider, il devient très difficile aujourd'hui pour les jeunes agriculteurs de pouvoir s'établir ou de développer leur activité.

En outre, si l'on peut penser que le Crédit agricole a tout son rôle à jouer dans cette démarche, il est néanmoins légitime de s'interroger sur une évolution au terme de laquelle la notion de rentabilité semble avoir gommé le sens de la relation humaine.

Au regard de l'évolution de leurs structures et de leur activité, ces organismes, appelés initialement « Crédit agricole mutuel », ont déjà perdu la notion de mutualisme. De surcroît, la fermeture récente de bureaux périodiques dans plusieurs communes rurales, notamment dans les départements de l'Hérault et du Gard, laisse présager que, prochainement, le terme « agricole » ne sera plus d'actualité.

M. René-Pierre Signé. Ils s'autodétruisent !

M. Marcel Vidal. En effet, ces établissements tenaient il y a quelque temps encore une place importante dans le monde rural et agricole. Or ils semblent aujourd'hui déserter ces parties du territoire pour tenter de s'implanter dans les zones urbanisées. Il en est du Crédit agricole comme des services publics en milieu rural - poste, perceptions... - si souvent évoqués dans cette enceinte.

On peut dès lors se demander quelles sont désormais les missions spécifiques de cette banque à l'égard des populations agricoles, puisqu'elle préfère se tourner vers une autre clientèle au lieu de favoriser la mise en place d'un plan dynamique de restructuration et de soutien aux jeunes agriculteurs.

Les SAFER et le Crédit agricole ont donc un rôle important à jouer à l'égard de ces territoires. Pour ce faire, il est nécessaire de repenser et de recentrer leurs missions en vue de favoriser un réel partenariat avec le monde rural dont ces organismes sont issus.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Marcel Vidal. Par ailleurs, le maintien de l'activité agricole mérite toute notre attention en tant qu'activité économique : il ne faut pas négliger son rôle dans la préservation des forêts, des garrigues, des espaces verts, surtout aux portes des villes.

M. René-Pierre Signé. Il a raison !

M. Marcel Vidal. En effet, comme l'ont montré plusieurs études, l'entretien des terres agricoles et des abords des zones boisées a une influence très positive dans la politique de prévention des feux de forêts.

Les dramatiques incendies de l'été 2003 rappellent la nécessité de mettre en place des politiques préventives.

A titre d'exemple, les comités communaux des feux de forêts ont une mission pédagogique de grand intérêt qui témoigne au quotidien d'une volonté citoyenne d'agir pour réduire les risques.

Sur la façade méditerranéenne, face au développement de l'urbanisation, l'habitat s'est développé dans l'arrière-pays, parfois en lisière des forêts. Comme la forêt gagne chaque année du terrain du fait de l'abandon des terres agricoles, les zones dites tampons entre l'habitat et la forêt se réduisent, multipliant ainsi les points potentiels de départ d'incendie.

A cet égard, il faut veiller, monsieur le ministre, à ce que toutes les circulaires ministérielles et autres décrets transmis par les directions départementales de l'agriculture fassent l'objet d'une publication, d'une communication accessible, lisible par nos administrés. Je pense, par exemple, aux récents textes relatifs aux travaux de débroussaillement à proximité des lieux d'habitation, comme nous l'ont signalé plusieurs maires du Languedoc-Roussillon.

L'agriculture apparaît comme une solution efficace, rapide pour remédier durablement aux incendies à répétition qui dévastent nos massifs forestiers. L'expérience réalisée par le conseil général des Bouches-du-Rhône sur le massif de la Sainte-Victoire, près d'Aix-en-Provence, consistant à développer les plantations d'oliviers comme coupe-feu devrait s'étendre à d'autres départements dits sensibles.

En ce sens, favoriser le droit de préemption des organismes compétents permettrait d'assurer une veille foncière qui garantirait le maintien d'une activité agricole.

Cette réflexion sur les territoires ruraux nous amène tout naturellement à considérer l'aménagement foncier rural. En effet, pour renforcer l'attractivité des territoires ruraux, le projet de loi comporte des dispositions visant à augmenter l'offre de logement en favorisant notamment la rénovation du patrimoine bâti. Or cette mesure n'a de sens que si le coût du foncier ne cède pas à une inflation galopante, phénomène actuel extrêmement grave.

Ainsi, on note qu'en milieu rural les bâtiments anciens sont souvent laissés à l'abandon. Non seulement leur réhabilitation revitaliserait les coeurs de villages, mais elle créerait un parc de logement locatif absolument indispensable, de surcroît esthétiquement préférable au mitage qui ne cesse de se développer, porteur de conséquences préoccupantes, tant sur le plan environnemental, esthétique que sociologique.

Dans cette perspective, il serait réaliste et utile de faciliter l'acquisition d'immeubles par les communes ou, mieux, les intercommunalités, par exemple grâce à l'attribution de subventions à caractère incitatif, mais aussi et surtout par l'octroi de prêts à long terme et à taux faible selon des modalités bien étudiées.

La hausse du coût du foncier a des conséquences non négligeables sur l'urbanisme et l'habitat, notamment dans les régions méditerranéennes. 

Dans le cadre de leur politique de réserve foncière - point extrêmement important - les agglomérations, les communautés de communes et les communes doivent surmonter des difficultés toujours plus grandes, mettant en péril les projets d'aménagement de nouveaux quartiers, de construction d'équipements publics, de parcs d'activités. Ces obstacles ont pour conséquence de nuire à la mise en place d'actions économiques adaptées à nos espaces.

Les organismes en charge de l'habitat - l 'Union sociale au niveau national, les offices départementaux d'HLM, les OPAC, les sociétés anonymes, les sociétés coopératives - connaissent aujourd'hui les pires difficultés à exercer leurs missions à caractère social. Les pouvoirs publics doivent pouvoir insuffler une volonté de régulation et d'assainissement du marché tout en freinant la spéculation immobilière.

Si des mesures urgentes n'étaient pas prises rapidement dans ce sens, on peut imaginer les effets de la dégradation de nos territoires d'ici dix à quinze ans. A cet égard, les différents rapports régulièrement publiés par la DATAR méritent une lecture attentive et continue.

La gestion organisée de nos espaces passe donc inévitablement par l'harmonisation, la synchronisation de multiples facteurs garants de l'aboutissement de projets d'intérêt général tout en assurant l'identité collective de notre pays.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaitais pouvoir aujourd'hui exprimer quelques réflexions et formuler plusieurs suggestions définies à la suite de fréquents et utiles contacts établis avec les municipalités et leurs maires. La ruralité est un thème qui, dans l'hémicycle du Sénat, nous tient tout particulièrement à coeur. Il ne peut être traité qu'au regard des mutations spécifiques territoriales dont il est urgent et essentiel de prendre conscience. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'action de M. le ministre Hervé Gaymard ainsi que l'initiative gouvernementale qui, même si elle ne peut tout résoudre, a le mérite d'engager devant le Parlement une véritable réflexion sur le devenir de nos territoires ruraux. La montagne, à laquelle je vous sais sensible, représente un des aspects de la ruralité, très certainement le plus délicat et le plus difficile.

Comme nous le savons tous, la France rurale s'appauvrit de jour en jour. A chaque coucher de soleil, des dizaines, voire des centaines d'exploitations agricoles s'éteignent.

M. René-Pierre Signé. Elles agonisent !

M. Jean Boyer. Mes chers collègues, ce malaise et cette érosion ne datent pas de quelques mois ou de quelques années. En effet, depuis plus de quinze ans, une ou deux exploitations ferment chaque jour en moyenne dans nos départements.

Certes, il y a encore peu de terres sans homme, mais, déjà, dans certains cantons situés en zone de revitalisation rurale, on ressent les prémices d'un exode rural important. Les jeunes agriculteurs ne redoutent pas tant le manque de terre que l'absence de voisins permettant au lien social de s'épanouir.

Oui, dans ce que l'on appelle les territoires ruraux, le nombre d'agriculteurs diminue tous les jours. Les habitants se sentent peu à peu oubliés. Le travail artisanal ou industriel se délocalise lentement, régulièrement mais sûrement, au terme d'un courant irréversible.

La France rurale ne peut pas se contenter d'être une spectatrice passive de son déclin. Elle veut, au contraire, être l'actrice de son renouveau, de sa renaissance.

M. René-Pierre Signé. Venez voir à Nevers !

M. Jean Boyer. Nos territoires ne doivent pas devenir des territoires d'abandon. L'engagement de l'Etat y est plus qu'ailleurs une  nécessité, car il permet de maintenir au coeur de territoires fragiles une certaine parité, une certaine équité, fidèle à l'esprit de notre République.

Reconnaissons ensemble que, depuis des années, les gouvernements successifs n'ont jamais été assez courageux et déterminés.

Défendre le monde rural est un état d'esprit, mais n'oublions pas que ce monde rural est souvent silencieux. Il ne s'exprime pas dans les rues, il n'a pas de syndicat représentatif. C'est la France de la terre, c'est celle qui a gardé, nous le savons tous ici, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, de nombreuses richesses humaines ou professionnelles pour les transmettre aux générations futures.

Silencieux ne veut toutefois pas dire vivre sans inquiétude.

J'ai pleinement conscience qu'aménagement du territoire ne signifie pas industrialisation uniforme. Pourtant, tous les Français ont droit à une parité de vie face aux services publics et à la nécessaire solidarité nationale.

Alors, concrètement, que faut-il faire ?

Nous le savons, les décideurs d'activités artisanales ou industrielles vont là où ils le souhaitent, mais pas nécessairement là où nous les attendons.

Afin de démontrer au monde rural qui nous regarde que notre volonté se concrétisera par des actes, ne faut-il pas, monsieur le ministre, inciter nos artisans, nos commerçants, à s'installer dans une commune rurale, y compris en zone de revitalisation rurale, grâce à l'attribution d'une dotation spécifique offerte à la création ou à la reprise d'activité ?

Réfléchir au maintien d'un commerce dans certaines communes rurales, c'est aussi imaginer la création d'une allocation de soutien, d'une allocation dynamique de nature à établir un contrat permettant le maintien de services en milieu rural.

Dans nos zones de montagne, le service privé est bien souvent devenu un service public indispensable aux communes rurales. Préservons-le !

N'oublions pas non plus que la compensation du handicap allouée par l'Europe ou par la France n'est pas un privilège, c'est simplement la mise en oeuvre d'une parité destinée à atténuer les handicaps dus à la topographie, au relief, au climat, à l'habitat dispersé, au surcoût de transport. Permettons à tout homme et à toute femme présents au coeur de ces territoires, à l'aube de ce nouveau millénaire, d'avoir un voisin à qui parler.

Je ne fais pas partie, monsieur le ministre, de ceux qui disent « Il n'y a qu'à, il faut faire. » Non, la France rurale est un monde silencieux. Mais je suis, vous le savez, élu d'un département qui compte dix-huit cantons en ZRR sur trente-cinq. Deux cantons y comptent une population inférieure à dix habitants au kilomètre carré et, dans un canton, elle est même inférieure à cinq habitants au kilomètre carré. C'est vraiment la France profonde !

Monsieur le président, messieurs les ministres, merci d'avoir écouté le message d'un habitant de ces territoires ruraux, l'appel d'un élu souvent complètement désarmé devant de telles situations.

Merci, messieurs les ministres, de l'attention que vous voudrez bien apporter à cette France rurale : elle nous attend tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Ostermann.

M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un texte sur le développement des territoires ruraux qui, une fois n'est pas coutume, propose une approche globale du monde rural. Il s'agit d'un bon texte, même s'il est perfectible. Il est en effet nécessaire d'accompagner les mutations profondes que connaissent les territoires ruraux depuis une vingtaine d'années.

Pour cela, il convient d'agir sur plusieurs leviers en même temps : le développement de l'activité économique et de l'emploi, les services, et enfin le logement.

Permettez-moi quelques remarques sur chacun de ces leviers.

En ce qui concerne l'activité économique et l'emploi, tout d'abord, le texte présente un certain nombre de mesures positives en direction du commerce et de l'agriculture. Saluons ainsi les mesures de simplification en faveur des exploitations agricoles, telles que l'exonération de cotisations sociales de la dotation aux jeunes agriculteurs.

Dans le domaine commercial, l'exonération totale pendant quatre ans de l'impôt sur les sociétés pour les créations d'entreprises, et de 50 % la cinquième année, constitue une avancée intéressante.

Je tiens tout particulièrement à vous féliciter pour la démarche de rapprochement entre les secteurs privé et public que sous-tend le texte. Il en va ainsi de l'ouverture proposée des maisons de service public aux services de proximité privés, ou de la possibilité de confier l'exécution de ces services à des personnes privées par convention dans les territoires les plus fragiles. Il s'agissait là d'un réel besoin.

On peut toutefois regretter que le texte ne valorise pas davantage le secteur artisanal, qui est pourtant un acteur central du dynamisme de l'économie locale en milieu rural.

Je regrette que vous n'ayez pas profité de ce texte pour mettre en place un certain nombre de mesures très attendues par les artisans.

Ainsi, le projet de loi prévoit des mesures en faveur des conjoints d'exploitants agricoles. Fort bien ! Mais pourquoi ne pas avoir enfin réglé la question du statut des conjoints collaborateurs d'artisans et de commerçants ?

Par ailleurs, alors que le texte aborde la problématique du logement et des transports, on peut regretter que rien ne soit proposé pour faciliter le logement et les déplacements des apprentis qui résident et travaillent pour la majorité d'entre eux en milieu rural. De telles dispositions contribueraient pourtant à remédier aux difficultés de recrutement rencontrées par les artisans, et donc au chômage des jeunes, particulièrement important en milieu rural du fait, précisément, des problèmes de logement et de déplacement.

La question de l'emploi en général est cruciale dans les territoires ruraux. J'y suis confronté quotidiennement en tant qu'élu local. On assiste en effet, depuis quelques années, à une paupérisation croissante de la population rurale, phénomène que les collectivités locales, les communes en particulier, doivent souvent gérer de façon bien solitaire. Ainsi, la proportion de ménages pauvres est bien supérieure dans les espaces à dominante rurale. Certains ménages aux revenus modestes s'y installent pour accéder à la propriété, d'autres pour bénéficier d'une meilleure qualité de vie. Mais, lorsque le projet est mal défini, les difficultés s'accumulent. D'autres encore, chômeurs, allocataires du RMI ou femmes seules avec des enfants à charge, cherchent à quitter la ville, où leurs revenus limités les empêchent de vivre correctement.

Ainsi, si l'installation en milieu rural est bien souvent le signe d'un nouveau départ, l'isolement et le manque d'activité peuvent également aggraver la situation.

Dans ce domaine, le développement des maisons de service public qui nous est proposé me semble aller dans le bon sens, même s'il ne peut, bien évidemment, suffire.

En ce qui concerne les services de proximité, on observe un phénomène nouveau depuis quelques années. En effet, les urbains qui viennent habiter en milieu rural réclament le même niveau de services qu'en ville. Les communes, désireuses d'assurer leur dynamisme démographique, sont donc mises sous pression. Ces populations nouvelles attendent beaucoup de leur maire sans que celui-ci ait les moyens humains, financiers ou réglementaires de répondre à ces attentes.

Tout d'abord, tout comme les entreprises industrielles ou artisanales, les communes rurales peinent à trouver les compétences nécessaires et éprouvent ainsi des difficultés de recrutement. Là encore, des partenariats entre les secteurs public et privé seraient à inventer, notamment pour faciliter les passerelles entre les deux secteurs en cours de carrière.

Par ailleurs, la législation et la réglementation ne sont pas toujours, à mon sens, suffisamment mises au service des maires.

Ainsi, par exemple, en matière de gestion des classes scolaires ou s'agissant de la situation des personnes en situation de précarité, le maire d'une petite ville est incapable d'avoir une vision à moyen terme - et encore moins à long terme - de la population, car rien n'oblige un ménage venant s'installer dans une commune à signaler sa présence à la commune.

Un système de déclaration d'arrivée et de départ a longtemps existé en droit local alsacien-mosellan, ce qui facilitait grandement la gestion communale. Les élus pouvaient ainsi prévoir les effectifs scolaires, et donc adapter le nombre de classes en conséquence ou, plus généralement, planifier les besoins en équipements.

Un tel système mériterait non seulement d'être maintenu en Alsace-Moselle, mais aussi d'être étendu à tout le territoire.

A contrario, on nous propose trop souvent de légiférer à outrance, et de façon tatillonne, sur des sujets qui me semblent bien moins cruciaux.

Ainsi, la législation relative au privilège des bouilleurs de cru est aujourd'hui attaquée de toute part alors que ce privilège est en voie d'extinction du fait du très petit nombre et de l'âge des bouilleurs de cru encore en activité. Il s'agit cependant d'une tradition qui nourrit notre patrimoine et qui contribue à la mise en valeur de l'espace rural.

Par ailleurs, dans le domaine du logement, les statistiques concernant les territoires ruraux ne sont pas bonnes. En effet, 770 000 personnes sont très mal logées et 70 % des logements vacants ont été construits avant 1949.

Malgré les efforts consentis, la carence en logements locatifs est importante, puisque 27 % des résidences principales en zone rurale y sont louées, contre 45 % dans les zones urbaines.

Là encore, le projet de loi va dans le bon sens, puisqu'il prévoit des dispositions telles qu'une aide fiscale exceptionnelle pour les logements neufs destinés à la location.

Il conviendrait toutefois, au regard du tableau peu glorieux que je viens de dresser, de renforcer l'action en direction du monde rural par l'adoption de mesures incitatives supplémentaires telles que la création d'un amortissement fiscal pour les travaux dans les logements vacants dégradés destinés à la location, y compris lorsqu'il n'y a pas d'acquisition.

Ne serait-il pas envisageable, par ailleurs, lors de la liquidation d'une succession, de porter le bien à une valeur nulle en contrepartie d'une pérennité de la location de l'immeuble ?

En conclusion, messieurs les ministres, et sous réserve de ces quelques remarques qui nécessitent des éclaircissements, je voterai ce projet de loi afin d'encourager une démarche qui, par son caractère global, me semble aller dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.

M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi sur le développement des territoires ruraux se doit de revitaliser les campagnes. Voté en première lecture à l'Assemblée nationale, il a été présenté comme une boîte à outils mise à la disposition des acteurs du développement local.

C'est bien, en vérité, un grand supermarché dans lequel tous les rayons sont ouverts mais peu garnis. Les chalands n'en sortiront pas satisfaits. A vouloir toucher tous les secteurs, on ne fait que les effleurer.

On aurait souhaité que soit admis un véritable droit à l'aménagement du territoire. C'est un objectif que doit se fixer la nation, mais elle doit, pour cela, mettre en oeuvre les moyens de l'atteindre, sachant que toute personne peut exiger le choix de son cadre de vie. C'est une règle de cohésion sociale.

Dans la situation actuelle, si le « rural profond » devait devenir une zone récréative vouée à accueillir des citadins en mal de calme, d'air pur et de repos, une terre de vacances et de week-end où il est bon de conserver tout de même quelques jardiniers tout en laissant les autres s'expatrier, on pourrait s'abstenir de débattre ou de légiférer. Il suffirait de rester immobile et de souscrire au laisser-aller et au laisser-faire. Mais le concept même de territoire national serait alors en cause.

Or les tendances actuelles montrent que de nombreux urbains sont tentés par les charmes de la vie à la campagne. Une meilleure qualité de vie, la recherche d'une identité, l'amélioration des diverses formes de communication, l'aménagement du temps de travail constituent une réaction contre la pénibilité de la vie citadine.

Le projet de loi propose en substance, dans une France décentralisée, des mesures de soutien à l'entreprise en zone rurale, des encouragements aux initiatives locales, des aides aux jeunes agriculteurs, des aides à l'installation des médecins et des vétérinaires ruraux, et autorise les départements à exercer un droit de préemption sur les terrains agricoles menacés par la pression urbaine. Mais comment, et avec quels moyens ? Ce n'est pas clairement précisé.

En premier lieu, on dénombre un ensemble de mesures destinées à développer l'activité économique : créer des sociétés d'investissement pour le développement rural - les SIDER -, aménager ou revoir le dispositif des zones de revitalisation rurale pour permettre les créations d'entreprises grâce à des incitations, en restant toutefois assez loin des zones franches proposées. Ces zones ont d'ailleurs un contour imprécis en raison d'une définition un peu floue des emplois agricoles.

Des mesures spécifiques sont également prévues en faveur de l'activité agricole et du tourisme - mais très modestement -, et la mutualisation de l'emploi ainsi que la pluriactivité et la formation professionnelle sont encouragées.

Mais l'absence de prise en compte de la vie quotidienne des habitants est évidente : il n'y a rien, ou si peu, sur l'éducation en milieu rural, sur le logement, sur le transport et les communications, sur les services publics, sur le milieu associatif, sur les nouvelles technologies, sur le domaine de la santé...

Le texte aborde peu les questions de l'emploi - les saisonniers sont tout de même mieux traités -, pas plus que l'attractivité des territoires ruraux et que les questions de pauvreté dans ces territoires ou que les exonérations fiscales, cela a été dit. Les seules exonérations sont laissées à la charge, trop lourde pour elles, des collectivités locales.

De plus, la problématique des services publics n'est pas au coeur de ce projet de loi, qui oublie les recommandations de l'Association des élus de montagne, l'ANEM. Sur ce chapitre, le projet de loi paraît peu ambitieux compte tenu des besoins réels des dix millions de personnes qui vivent à la campagne.

Ces services sont pourtant primordiaux, car ils sont indispensables au maintien de la vie au quotidien, de l'activité, de l'économie, du bien-être, et ils contribuent à insérer les minorités, les exclus, qu'il s'agisse des territoires ou des hommes.

Les « dispositions relatives à l'accès aux services » permettent la délégation des services à des structures ou à des personnes privées. Cela donne beaucoup de possibilités de privatisations, pour La Poste, par exemple, en déléguant la gestion du courrier à un petit commerçant, façon peu glorieuse d'assurer le service public sans maintenir les services publics. On en est réduit à injecter l'argent public dans le secteur privé. En réalité, seules les communes, rurales en particulier, ont pu s'équiper, offrir les mêmes services publics que les villes, mais grâce à un effort municipal et à l'aide de 1'intercommunalité.

Pour l'instant, le chapitre agricole paraît insuffisamment développé. Le projet de loi d'orientation agricole va sans doute le traiter de façon plus complète. Il le mérite, car l'agriculture est encore la colonne vertébrale des territoires ruraux.

Notons au passage que le découplage des aides entraîne une course à l'agrandissement, dénoncée par les organisations syndicales : « on a plus besoin de voisins que d'hectares », belle mais vaine formule.

On peut déplorer que l'agriculture se détourne de la voie du développement durable, dans lequel elle a pourtant un rôle important à jouer. Ne parle-t-on pas de déprise agricole ? La nécessaire politique de protection des espaces naturels périurbains sera en tout cas à la charge des contribuables locaux !

Les SAFER, dont mon ami Marcel Vidal a déjà parlé, semblent affaiblies. On peut regretter le simple survol de la question, alors que leur action devrait être privilégiée, leurs conseils élargis pour impliquer les élus dans la lutte contre le renchérissement de la terre et la concentration des exploitations.

Les mesures relatives à l'installation des professionnels de santé sont positives, mais les moyens budgétaires sont modestes. Dans l'attente de la réforme de l'assurance maladie, ce texte n'aborde pas les graves problèmes, notamment les difficultés de recrutement que connaissent les hôpitaux de proximité et les services médicaux de maintien à domicile. On encourage la création de projets médicaux, la tarification à l'activité, qui signera la mort des petits centres hospitaliers, afin de réduire les coûts et d'accroître la rotation des lits occupés. Mais qu'adviendra-t-il des longues maladies et des malades chroniques qui ne relèvent pas forcément du long séjour ?

Le logement rural est souvent inoccupé et vétuste, les communications sont peu favorisées. Pour le logement, on attend un grand plan de rénovation, dans une politique volontaire de réhabilitation du monde rural. Pour les transports, outre la modernisation des trains régionaux, à la charge de la région et qui sont souvent vétustes, peu confortables et lents, on attend encore quelques grandes liaisons, en particulier le TGV Auvergne, qui, contrairement à l'autoroute, n'évitera peut-être pas la Nièvre... (Sourires.)

En somme, vous nous présentez un projet aux accents libéraux très prononcés. Certes, l'efficacité d'une réforme ne se mesure pas à l'ampleur des crédits attribués. Le libéralisme est toutefois de nature à produire des effets dévastateurs, car le marché ne prend en compte que certains facteurs de localisation. Une grande partie du territoire échappe ainsi au fonctionnement du marché. On peut s'interroger, d'ailleurs, sur la compatibilité entre service public et pensée libérale. Faute d'une volonté politique affirmée, on ne peut qu'assister à la désertification des campagnes.

Monsieur le ministre, on touche là à un enjeu de société plus qu'à un enjeu politique. Il faut choisir et savoir si l'on veut une société urbaine hyperconcentrée, développant un mal-être et des scories telles que racisme, xénophobie, violence, drogue, ou une société équilibrée qui permettrait à chacun de vivre suivant ses goûts et ses choix sans pour autant être privé des services que l'Etat, dans sa mission régalienne, doit à tout le monde.

La concentration urbaine était une étape de développement ; elle atteint aujourd'hui ses limites. Les centres urbains ne peuvent être les seuls centres de tout progrès, économique, social ou culturel.

L'aménagement du territoire, cohérent et solidaire, coûte cher, nous dit-on, mais a-t-on mesuré le coût de la concentration urbaine et de ses méfaits ? Une renaissance rurale se dessine, elle est nécessaire, il faut l'encourager.

La France est à la recherche d'un nouveau modèle social qui corresponde à son histoire et à ses valeurs civiques.

Si les zones rurales étaient aussi riches de moyens qu'elles sont riches de discours en leur faveur, monsieur le ministre, il y a beau temps que l'aménagement de notre territoire serait réalisé au plus grand bénéfice de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Excellent discours !

M. le président. La parole est à M. Bernard Murat.

M. Bernard Murat. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le directeur de la DATAR, mes chers collègues, un peu oublié par les politiques d'aménagement du territoire conduites ces dernières années, le monde rural est aujourd'hui en souffrance : il se vide progressivement de sa population au profit de villes souvent surpeuplées et l'idée que rien ne peut véritablement empêcher ce mouvement inexorable s'est installée peu à peu.

Or la désertification rurale ne saurait être une fatalité et l'avenir - la renaissance - de la France passe nécessairement, j'en suis convaincu, par une politique solidaire et énergique en faveur de ces territoires fragilisés mais où vivent des femmes et des hommes authentiques, courageux et garants de la qualité de notre environnement.

Votre projet de loi, monsieur le ministre de l'agriculture, se présente comme la pierre angulaire d'un vaste programme d'action en faveur du développement du monde rural et, comme le rappelaient nos excellents rapporteurs, dont je me dois ce soir de saluer le travail, il a le mérite d'aborder globalement l'ensemble des problèmes de nos territoires et témoigne du pragmatisme et de l'écoute permanente dont vous avez su faire preuve.

Je ne rappellerai pas, tant nous sommes conscients dans cet hémicycle des difficultés du monde rural et attentifs à son devenir, combien votre texte est source d'espoir chez les maires ruraux et chez les différents acteurs de la ruralité, même s'il ne saurait régler, à lui seul, l'ensemble de leurs problèmes.

Pour autant, même à cette heure tardive, je tenais à souligner tout l'intérêt que présente pour un Corrézien enraciné dans sa terre votre projet de loi, qui tend enfin à mettre en place des mesures concrètes, réalistes et proches des préoccupations de nos compatriotes des territoires ruraux.

Ces préoccupations avaient d'ailleurs été parfaitement identifiées par le Président de la République, qui, à Ussel, en 2002, souhaitait une nouvelle politique en faveur des territoires ruraux : « construire une ruralité attractive suppose d'abord d'apporter une réponse aux questions de la vie quotidienne des gens qui y vivent », avait-il dit alors.

En effet, donner les moyens à nos communes rurales d'accueillir les familles et de les garder, soutenir le dynamisme des économies locales, développer les infrastructures modernes de communication et les services au public, voilà les outils qu'il était nécessaire d'offrir aux territoires les plus défavorisés pour leur donner une nouvelle chance.

Votre texte, monsieur le ministre, est un signal fort en faveur d'une politique pérenne, une première - mais essentielle - étape qu'en toute concertation avec vous le Sénat peut améliorer, sans en trahir l'esprit, par un grand nombre d'amendements que nous avons également été nombreux à signer ou cosigner.

Le temps m'étant compté, j'évoquerai principalement ici les dispositions relatives à l'accès aux services publics.

Le maintien d'un maillage de services de qualité au public est un élément déterminant d'une ruralité vivante. Il ne peut, en effet, y avoir ni maintien de vie ni maintien des activités en zone rurale sans la présence des services qui apportent à tous les publics les moyens nécessaires à une vie de qualité pour tous les habitants de ces zones rurales, poumon vert de la France.

Le maillage des services au public est gage d'équité territoriale et représente très souvent le dernier lien qui relie les citoyens à l'Etat, à la République.

En tant qu'élu d'un département rural, je ne saurais vous dire combien les départs de ces services publics sont difficiles à accepter, surtout lorsqu'ils apparaissent comme résultant de décisions arbitraires.

A ce sujet, il serait primordial, me semble-t-il, que soient enfin reconnus les droits des élus locaux à être informés en amont des prévisions d'évolution des conditions d'accès aux services publics, à participer aux réflexions sur l'évolution de l'offre d'accès aux services publics dans les territoires, à proposer des aménagements assortis des solutions de financement appropriées.

Le Gouvernement y travaille, je le sais, avec la commission des affaires économiques du Sénat, en se fondant notamment sur les résultats des expérimentations menées depuis plusieurs mois.

Je crois qu'il serait d'ailleurs judicieux que, durant ces expérimentations, et avant la mise en place de toute nouvelle mesure en la matière, il ne soit procédé à aucune modification de ces services publics, en particulier du réseau postal.

J'ai reçu, comme mon collègue Georges Mouly, de nombreux courriers à ce sujet. Le dernier, en date du 5 avril, émane d'un maire de la Corrèze m'informant de modifications des plages horaires de son bureau de poste.

M. René-Pierre Signé. Eh oui, les fermetures d'été !

M. Bernard Murat. J'avais déjà soulevé ce problème, ici même, en janvier dernier, auprès du ministre de l'industrie de l'époque, Mme Nicole Fontaine, lors du débat sur le projet de loi relatif à la régulation postale. Elle nous avait alors assurés de la vigilance du Gouvernement sur la question et avait même dit que, si nous pouvions démontrer qu'une fermeture avait eu lieu, le bureau serait rouvert dans la semaine. (MM. René-Pierre Signé et Bernard Piras s'esclaffent.)

Pour que ces expérimentations aboutissent, vous en conviendrez, il faut avant tout la confiance et l'adhésion de tous, en particulier des élus. Nous en reparlerons aux cours des débats, j'en suis certain. Les élus attendent tant en la matière !

Monsieur le ministre, ce projet de loi comporte des avancées certaines, c'est indéniable, et nous pouvons saluer les dispositions qui vont permettre à des personnes privées de participer à la mise en place des maisons des services publics, qui auront ainsi vocation à devenir de véritables maisons de « services de proximité ». Cela répondra aux souhaits exprimés par de nombreux petits commerçants de s'installer dans une maison des services publics, ce qui leur permettra notamment de mutualiser leurs frais d'installation.

D'autre part, dans le cadre d'un développement du partenariat entre le public et le privé, la réforme va permettre que l'exécution d'un service public de proximité puisse être confiée, par convention, à des personnes privées dans les territoires ruraux les plus fragiles.

M. Bernard Piras. C'est la privatisation !

M. Bernard Murat. L'objectif est ainsi de permettre, notamment à La Poste, de confier la gestion de certains services postaux à des petits commerçants.

M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas bon !

M. Bernard Murat. Ce n'est pas bon, dites-vous, monsieur Signé. J'entends bien, là aussi, le Corrézien s'exprimer. Ce n'est pas bon, mais c'est mieux que rien !

M. René-Pierre Signé. C'est discutable !

M. Bernard Murat. Dans cette perspective, l'important est, selon moi, de sauvegarder les services aux publics par tous les moyens. Dans l'immédiat, il faut privilégier cette approche, qui est la plus pragmatique.

M. René-Pierre Signé. J'aimais mieux votre conception des maisons des services publics !

M. Bernard Murat. Ce projet de loi s'efforce d'apporter des réponses aux préoccupations qui se sont exprimées depuis plusieurs années.

Mes chers collègues, comment faire en sorte d'apporter aux territoires ruraux les mêmes services - les services régaliens dont vous parliez, monsieur Signé - aux publics qui vivent dans les cités ? Voilà la véritable question et c'est là où, effectivement, les initiatives de M. le ministre sont très intéressantes.

Vont dans ce sens, mais je n'en dirai qu'un mot, les dispositions relatives aux professionnels de santé. Il est en effet impératif d'encourager le maintien et, si possible, l'installation des professionnels de santé en milieu rural. En la matière, toutes les mesures sont bonnes pour rompre avec leur isolement et pour mieux garantir la présence médicale dans les départements ruraux, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité sanitaire. La question cruciale est de leur permettre de réaliser des gardes la nuit et le week-end dans des conditions familialement acceptables.

Je conclurai en vous rappelant l'attachement des élus à ce que toutes les propositions de dégrèvement fiscal ou les indispensables exonérations contenues dans ce projet de loi et visant à la relance de l'activité en zone rurale ne contribuent pas à pénaliser davantage les collectivités les plus fragilisées. Les élus doivent être rassurés sur ce sujet car, quelle que soit leur sensibilité politique, ils sont très inquiets sur les clés de péréquation que l'Etat veut leur imposer.

Vous pourrez compter sur nous pour partager votre détermination, monsieur le ministre, afin que ce texte prenne vie. II est certain que la cohérence de l'action du Gouvernement aidera le monde rural à se projeter dans l'avenir, mais seulement dans la mesure où nous serons capables de construire une loi qui soit un véritable mode d'emploi permettant de garantir l'égalité entre les Français qui ont décidé de vivre dans les zones rurales et ceux qui ont choisi ou qui sont peut-être sont obligés de vivre dans des territoires plus favorisés, où la population est plus nombreuse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la séance du mardi 4 mai 2004.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif au développement des territoires ruraux
Discussion générale (suite)

5

DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de l'accord international de 2001 sur le café (ensemble une annexe).

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 277, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre un projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la politique de santé publique.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 278, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales.

7

TEXTE SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :

- Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative à certaines actions à entreprendre dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et d'autres formes graves de criminalité, notamment en vue d'améliorer les échanges d'information. Proposition de décision du Conseil relative à l'échange d'informations et la coopération concernant les infractions terroristes.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-2576 et distribué.

8

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de M. Joël Bourdin un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur le rapport de la Cour des comptes relatif au Centre national des structures des exploitations agricoles.

Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 276 et distribué.

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ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, jeudi 29 avril 2004 :

A 9 heures 30 :

1. Question orale avec débat n° 1 de M. René Trégouët à M. le ministre délégué à la recherche sur l'avenir de la recherche :

M. René Trégouët appelle l'attention de M. le ministre délégué à la recherche sur le malaise actuellement perceptible dans le monde de la recherche publique en France, dont l'expression récente a été la pétition électronique intitulée « sauvons la recherche » qui a recueilli un très grand nombre de signatures de chercheurs.

D'après les signataires de la pétition, la recherche française ferait face à une paupérisation administrative des laboratoires publics (manque de personnel administratif qualifié pour épauler les chercheurs), à une insécurité sociale des jeunes chercheurs (un avenir bouché du fait notamment d'une pénurie de postes), et à une recherche fondamentale maltraitée (niveau d'investissements trop faible comparé aux Etats-Unis et à certains de nos partenaires).

Or la volonté de réformer du Gouvernement est réelle : il a clairement annoncé vouloir passer d'une logique de financement de structures (90 % des moyens budgétaires du ministère étaient jusqu'à présent distribués à des organismes autonomes) à une logique de financements sur projets. Il a annoncé un train de mesures le 27 février dernier parmi lesquelles 294 millions d'euros de crédits dégelés, la création de 120 postes statutaires supplémentaires de chercheurs et la mise en place du comité national pour l'avenir de la recherche.

Le gouvernement précédent a fait preuve d'un vrai courage politique en la matière quand on sait toute la difficulté à réformer dans notre pays : partant du constat de la crise des vocations actuelles pour la filière scientifique, aussi bien du côté des enseignants que des élèves, qui a comme corollaire un phénomène de « fuite des cerveaux » vers les Etats-Unis, le Gouvernement a entrepris des réformes de structures.

Il y a en effet urgence en la matière. Le commissaire européen en charge de la recherche a récemment rappelé que si l'Europe veut faire armes égales avec les Etats-Unis d'ici à 2010, plusieurs centaines de milliers de postes de chercheurs se devaient d'être pourvus.

C'est pourquoi il demande à M. le ministre délégué à la recherche, après l'annonce d'un premier train de mesures destiné à répondre aux attentes de la communauté scientifique, de bien vouloir nous rappeler les objectifs et la méthode du nouveau gouvernement pour réussir pleinement la nécessaire réforme des structures de la recherche française.

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat est expiré.

À 15 heures et, éventuellement, le soir :

2. Questions d'actualité au Gouvernement ;

3. Question orale avec débat n° 2 de M. Jean Arthuis à M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) :

M. Jean Arthuis attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire sur la mise en oeuvre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Il rappelle que cette réforme, initiée par le Parlement, vise non seulement à rénover la procédure et le débat budgétaires, mais également à permettre d'aborder avec davantage de clarté certains enjeux majeurs de la réforme de l'Etat : les effectifs de la fonction publique, la responsabilisation des gestionnaires, les opérations « hors bilan » du budget de l'Etat, le recensement et la valorisation du patrimoine public.

Dans ce cadre, le Gouvernement a présenté le 21 janvier dernier la maquette de la nouvelle nomenclature du budget de l'Etat en missions et en programmes, sur laquelle le Sénat et l'Assemblée nationale sont consultés. Après une double présentation des crédits budgétaires suivant l'ancienne et la nouvelle nomenclatures dans le projet de loi de finances pour 2005, le projet de loi de finances pour 2006 sera le premier à être voté par missions, c'est-à-dire par politiques publiques, et non plus par ministères et par titres, comme c'est le cas aujourd'hui.

Compte tenu de la proximité de ces échéances, il l'interroge également sur l'état d'avancement des travaux de définition des indicateurs de performance et des objectifs associés à chaque programme, ainsi que sur le déploiement du progiciel intégré ACCORD, qui doit permettre la mise en oeuvre de la nouvelle comptabilité de l'Etat.

Il lui demande enfin de présenter les mesures en cours pour préparer les administrations à la mise en place prochaine de la LOLF. En particulier, il s'interroge sur la mise en jeu de la responsabilité des gestionnaires de programme à partir d'une évaluation approfondie de l'action publique, et plus largement, sur la diffusion d'une culture de résultats et de performance à l'appui de laquelle peuvent se développer des dispositifs de rémunération au mérite.

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat est expiré.

4. Question orale avec débat n° 3 de Mme Gisèle Gautier à Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle sur la situation de la mixité dans la France d'aujourd'hui :

Mme Gisèle Gautier interroge Mme la ministre de la parité et de l'égalité professionnelle sur la situation de la mixité dans la France d'aujourd'hui : comme l'ont montré les travaux de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a consacré son dernier rapport d'activité à la mixité, celle-ci ne conduit pas nécessairement à l'égalité entre les sexes.

Elle observe, de surcroît, que les stéréotypes sexués sont particulièrement prégnants et les attentes sociales, différentes selon le genre, constituent des obstacles à une réduction des inégalités. Ayant pu constater que la mixité était aujourd'hui contestée ou remise en cause par certains, elle estime qu'il convient de mettre un terme à ces dérives et de réaffirmer très clairement le principe de la mixité, préalable à l'égalité des sexes.

Elle demande donc à Madame la ministre de lui indiquer les mesures qui ont été ou seront mises en oeuvre afin de conforter l'effectivité de la mixité dans notre société, en particulier à l'école, dans les activités sportives et à l'hôpital, et de permettre que celle-ci conduise à une plus grande égalité entre les hommes et les femmes.

Le délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat est expiré.

Personne ne demande la parole ?...

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 29 avril 2004, à zéro heure trente.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD