compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Cessation du mandat de sénateurs

M. le président. Mes chers collègues, M. le ministre de l'intérieur m'a informé que nos collègues, MM. Henri Weber, sénateur de la Seine-maritime, et Paul Vergès, sénateur de la Réunion, sont devenus membres du Parlement européen depuis hier mardi 20 juillet 2004, à la suite de la proclamation de leur élection le 17 juin 2004.

Permettez-moi de leur renouveler, en notre nom à tous, nos plus sincères et chaleureuses félicitations.

En application des articles LO 297 et LO 137-1 du code électoral, MM. Henri Weber et Paul Vergès cessent de ce fait d'exercer leur mandat de sénateur.

Toutefois, le Conseil d'Etat a fait connaître au ministère de l'intérieur que les élections au Parlement européen du 13 juin 2004 ont fait l'objet de plusieurs requêtes.

La vacance des sièges de nos collègues et leur remplacement par leur suivant de liste ne seront donc proclamés, le cas échéant, qu'après la décision juridictionnelle confirmant leur élection au Parlement européen.

Jusqu'à la fin des instances juridictionnelles les concernant, MM. Weber et Vergès exerceront leur mandat de député européen sans pouvoir participer aux travaux du Sénat.

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saisine du Conseil constitutionnel

M. le président. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 20 juillet 2004, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs, de deux demandes d'examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Acte est donné de cette communication.

Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.

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Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement est parvenue à l'adoption d'un texte commun.

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CONFéRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. Je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents qui s'est réunie hier, mardi 20 juillet 2004.

Mercredi 21 Juillet 2004

A 15 heures :

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz.

Jeudi 22 Juillet 2004

A 9 heures :

- Deuxième lecture du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.

A 15 heures et le soir :

- Projet de loi relatif à l'assurance maladie.

Vendredi 23 Juillet 2004

Samedi 24 Juillet 2004

Eventuellement, Dimanche 25 Juillet 2004

Lundi 26 Juillet 2004

Mardi 27 Juillet 2004

Mercredi 28 Juillet 2004

A 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi relatif à l'assurance maladie.

Jeudi 29 Juillet 2004

A 15 heures et le soir :

- Conclusions des commissions mixtes paritaires sur :

- le projet de loi pour le soutien à la consommation et à l'investissement ;

- le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.

Vendredi 30 Juillet 2004

A 15 heures :

- Conclusions des commissions mixtes paritaires sur :

- le projet de loi relatif à l'assurance maladie ;

- le projet de loi relatif à la politique de santé publique.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?

Ces propositions sont adoptées.

6

 
Dossier législatif : projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières
Discussion générale (suite)

Service public de l'électricité et du gaz

Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières
Exception d'irrecevabilité

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 419, 2003-2004) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée d'examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières s'est réunie à l'Assemblée nationale hier matin. Elle est parvenue à établir un texte qui constitue une transaction entre les points de vue de chacune des assemblées. Avant de vous en exposer l'économie générale, je tiens à préciser que la commission mixte paritaire s'est déroulée dans d'excellentes conditions. Celles-ci doivent beaucoup à la compétence dont a, une nouvelle fois, fait preuve notre collègue. Dominique Leclerc, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, auquel je tiens ici à rendre un nouvel hommage.

M. Gérard Braun. Très bien !

M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je salue en particulier la conviction qu'il a manifestée tout au long du débat sur un dossier qui était loin d'être simple, si vous me permettez cet euphémisme.

Au demeurant, je me félicite également de l'état d'esprit très constructif dans lequel a travaillé mon collègue et ami Jean-Claude Lenoir, au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale : le compromis auquel nous sommes parvenus lui doit beaucoup. C'est le contenu de celui-ci que j'exposerai devant vous.

Cinq sujets ont retenu notre attention : la régulation, le régime des entreprises publiques, celui de la contribution tarifaire sur les prestations d'acheminement, les questions concernant les collectivités locales et enfin le statut du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.

La commission mixte paritaire a harmonisé le régime de transmission des codes de bonne conduite à la commission de régulation de l'énergie tant pour les gestionnaires de réseau de transport que pour les gestionnaires de réseaux de distribution.

Elle a supprimé, contre l'avis du rapporteur du Sénat, les dispositions qui tendaient, d'une part, à autoriser la commission de régulation de l'énergie à rendre immédiatement publiques ses propositions et, d'autre part, à donner un pouvoir réglementaire supplétif à cette commission dans le domaine du gaz.

Un débat avait eu lieu au Sénat sur la composition des conseils d'administration des filiales d'entreprises publiques. Un article 4 bis avait alors été adopté contre l'avis de la commission et malgré l'opposition du Gouvernement pour permettre la nomination d'un maximum de deux personnalités qualifiées dans les conseils d'administration des filiales de ces entreprises. Nous avons considéré que cette disposition portait préjudice au caractère intégré des groupes EDF, d'une part, et GDF, d'autre part, et nous avons voté sa suppression.

Un problème dont nous avions également débattu était resté pendant : l'application de la contribution tarifaire sur les prestations d'acheminement de l'électricité et du gaz à certaines entreprises du secteur électrique, qui aurait pu menacer gravement leur équilibre économique. Le Sénat avait adopté un amendement du Gouvernement qui tendait à régler en partie ce problème. La commission mixte paritaire a souhaité en parfaire la rédaction en élargissant son champ d'application.

Faisant suite aux préoccupations exprimées par notre collègue M. Henri Revol, notre assemblée avait modifié l'article 28 A, qui rappelait que, pour l'Etat et les collectivités locales, l'exercice de l'éligibilité est un droit. Nous souhaitions bien préciser que les dispositions du code des marchés publics ne peuvent conduire ces personnes publiques à procéder obligatoirement à des appels d'offres. La commission mixte paritaire a adopté une rédaction de compromis qui va dans le même sens et constitue une avancée rédactionnelle.

Enfin, notre attention a été retenue par deux types de problèmes posés au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, le CSEG, du fait de l'entrée en vigueur du nouveau régime.

En premier lieu, dans sa formation actuelle, ce conseil ne comporte pas de représentant des nouveaux entrants sur le marché énergétique. C'est pourquoi, à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation sur l'énergie, le Sénat avait adopté un amendement qui remédiait à cet inconvénient. Nous avons choisi d'intégrer ce dispositif bienvenu au projet de loi qui vous est soumis.

En second lieu, nous avons complété l'article 37 ter relatif à la validation de certains actes soumis à la consultation du CSEG, qui s'appellera dorénavant le Conseil supérieur de l'énergie, en instituant un régime transitoire entre le vote de la loi et la désignation des membres du conseil dans sa nouvelle composition.

Je tiens enfin à indiquer que nous avons adopté de nombreux amendements rédactionnels ou de coordination, à commencer par ceux qui ont pour objet de placer dans le corps de la loi du 3 janvier 2003 les dispositions relatives à l'accès des tiers aux stockages gaziers que le Sénat a adoptées en première lecture.

Pour conclure, je me réjouis de la participation des sénateurs, sur quelque travée qu'ils siègent, à la commission mixte paritaire. Tous ont conforté les points de vue qu'ils ont défendus au cours du débat et que nous connaissions bien, mais je les remercie d'avoir soutenu les prises de position auxquelles nous tenions beaucoup.

Les conclusions de la commission mixte paritaire que je viens de vous présenter, mes chers collègues, me semblent donc être un compromis équitable entre les positions des deux assemblées. J'invite donc le Sénat à les adopter sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà trois semaines maintenant que le marché de l'électricité et du gaz a été ouvert à la concurrence pour les professionnels, c'est-à-dire à 70 %.

Depuis cette date, quelques centaines de clients ont déjà quitté EDF pour bénéficier des offres souvent moins chères de plusieurs concurrents très actifs. Il s'agit non pas d'une révolution - cela représente en effet moins de 1 % du chiffre d'affaires d'EDF -, mais des prémices d'une évolution de fond structurelle, qui a justifié la démarche du Gouvernement : comme cela était prévisible, les parts de marché d'EDF et de Gaz de France en France vont s'éroder progressivement.

Lors de l'examen de ce projet de loi, les débats ont bien montré que, face à cette évolution, l'immobilisme ne pouvait être une réponse. En tout cas, ce n'est pas celle du Gouvernement, ni celle du Sénat, et c'est la raison pour laquelle nous avons proposé de transformer les établissements publics à caractère industriel ou commercial, ou EPIC, que sont EDF et Gaz de France en société anonyme. Cela leur permettra, je le rappelle, tout à la fois de ne plus être la cible de la Commission européenne, de pouvoir offrir de l'électricité, du gaz et des services en même temps, de disposer de toute la liberté nécessaire pour agir, par exemple en Espagne ou en Italie, et de disposer des financements suffisants pour se développer, étant entendu que l'Etat est rarement à la hauteur de l'enjeu.

La transformation en société anonyme n'est donc en rien un renoncement aux valeurs d'EDF ; c'est, au contraire, une condition nécessaire pour qu'EDF puisse y rester fidèle dans son nouvel environnement concurrentiel.

Par ailleurs, depuis le 1er juillet 2004, la France aurait dû transposer les deuxièmes directives européennes concernant l'électricité et le gaz. A ce stade, seuls quelques pays ont respecté cette échéance, mais cela ne peut constituer une excuse à notre propre retard. Celui-ci est certes fréquent, mais il n'y a pas de raison de persévérer dans cette voie et, pour une fois, nous avons l'ambition de ne plus figurer parmi les mauvais élèves.

Il y avait donc urgence : urgence à donner les moyens à EDF et GDF de lutter à armes égales contre leurs concurrents ; urgence à transposer les directives dans notre droit interne ; urgence à examiner ce projet de loi.

Par conséquent, je me réjouis de la diligence avec laquelle l'Assemblée nationale et le Sénat ont procédé à l'examen de ce texte et tenu la commission mixte paritaire. Cette célérité, vous avez su, mesdames, messieurs les sénateurs ; la concilier avec une grande qualité des débats ; des amendements ont d'ailleurs été proposés et adoptés dans les deux chambres.

A cet égard, je souhaite remercier particulièrement le président de la commission des affaires économiques et du Plan, M. Emorine, et tout spécialement son rapporteur, M. Poniatowski, qui a joué un rôle éminent lors de l'examen de ce projet de loi, ainsi que les rapporteurs pour avis, d'abord M. Leclerc, qui a montré un grand sens pédagogique s'agissant notamment de toutes les questions relatives aux retraites, ensuite M. Marini, de l'excellence de son travail.

Le texte issu des débats parlementaires est donc un texte profondément enrichi, notamment sur les sujets importants suivants.

Premièrement, le taux de détention minimum par l'Etat du capital d'EDF et de GDF a été augmenté de 50 % à 70 %. ; EDF et GDF ne seront donc pas privatisées. En outre, l'Etat conservera la pleine maîtrise de la définition de leur stratégie.

Deuxièmement, le taux de participation des salariés à toute éventuelle augmentation de capital a été porté de 10 % à 15 %, afin qu'ils puissent bénéficier pleinement du fruit de leur travail et prennent, demain, une large place dans le capital de leurs entreprises.

Troisièmement, un bon équilibre a, me semble-t-il, été trouvé - ce n'était pas facile, mais le Sénat y a travaillé tout particulièrement - pour concilier l'indépendance de gestion des réseaux de transport et le caractère intégré d'EDF et de GDF. La soumission de la nomination du seul directeur général d'EDF Transport à l'accord du ministre, la création d'un code de bonne de conduite et d'un rapport de la Commission de régulation de l'électricité, la CRE, sur l'indépendance des gestionnaires de réseaux sont ainsi des ajouts très utiles au texte.

Quatrièmement, l'affirmation du principe de stricte neutralité financière de l'adossement du régime des industries électriques et gazières, les IEG, aux régimes de droit commun et la création de deux rapports destinés à garantir la transparence de cette opération étaient également nécessaires, et je remercie M. Leclerc de l'avoir proposé.

Je remercie également fortement M. Poniatowski d'avoir élaboré un dispositif complet - ce n'était pas simple - d'accès des tiers au stockage, conciliant à la fois le service public et l'ouverture à la concurrence, et qui permettra surtout à la France d'avoir transposé l'ensemble des directives européennes.

Le projet de loi qui vous est présenté, mesdames, messieurs les sénateurs, est donc un texte équilibré qui satisfait pleinement le Gouvernement et que je vous propose d'adopter en l'état.

C'est une étape importante qui sera ainsi franchie dans la voie de la modernisation des deux champions nationaux que sont EDF et GDF, qui doivent évidemment devenir des champions européens, voire mondiaux.

Pour autant, je sais qu'il nous reste un travail considérable à accomplir pour donner à ces deux entreprises tous les moyens, notamment financiers, de réussir, ce qui pose la question de l'augmentation de leur capital.

C'est un sujet auquel le Gouvernement entend s'attaquer dès le mois de septembre prochain et auquel il associera étroitement le Parlement, ainsi que l'ensemble des acteurs concernés, notamment les salariés des entreprises.

Je sais qu'un projet de loi n'est pas grand-chose sans ses décrets d'application, qui seront environ au nombre de vingt-cinq et que le Gouvernement s'engage à prendre dans les meilleurs délais.

Pour conclure, je tiens à remercier très fortement les sénateurs de l'intérêt qu'ils ont manifesté, sur quelque travée qu'ils siègent, un intérêt parfois passionné, mais toujours très éclairé. Ils ont largement contribué à améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Je m'associe bien entendu aux compliments mérités que vous avez adressés, monsieur le ministre, à nos collègues, toutes tendances confondues, qui ont participé à ce débat particulièrement intéressant, passionné et passionnant.

La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons cet après-midi pour en finir - j'emploie ce terme à dessein - dans la précipitation avec un texte qui marque, je le crois, une vraie rupture avec une conception du service public au service des citoyens, pour les citoyens et pour tous les citoyens.

Cette idée du service public à laquelle, nous semble-t-il, vous tournez le dos aujourd'hui a façonné le paysage de la France, en particulier depuis la Libération.

Cette idée, elle était assez largement partagée, au-delà même des différentes sensibilités politiques, ce qui explique l'embarras de certains d'entre vous appartenant à la majorité d'aujourd'hui.

Il suffisait d'assister, hier, aux travaux de la commission mixte paritaire - et je ne reviendrai pas sur les appréciations qui ont été portées -, pour avoir la confirmation que votre majorité va entériner ce texte non seulement dans la précipitation, mais également dans l'improvisation et dans la confusion.

Au sein même de votre majorité, des voix se sont élevées pour vous prévenir de l'incohérence de plusieurs dispositions et des dangers de laisser filer des activités d'intérêt national, sacrifiées sur l'autel de ce que Alain Juppé appelait, pour d'autres raisons, il y a peu, un intégrisme du tout libéral.

Ainsi, les meilleurs coups se mijotent au coeur de l'été.

Au cours des quinze derniers jours du mois de juillet, nous aurons à examiner une multitude de textes et, parmi eux, le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales, le projet de loi relatif à l'assurance maladie et, aujourd'hui, le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

En quinze jours - les derniers du mois de juillet et peut-être les premiers du mois d'août - à l'heure où les Français aspirent à prendre un peu de repos, où la vigilance se relâche, d'une certaine manière, et alors que vous disposez de temps et d'une majorité confortable, vous allez faire passer au forceps des textes qui auraient mérité d'être examinés non seulement dans la sérénité, mais également en profondeur, tant les conséquences en seront lourdes.

Pour ce qui nous concerne, nous avons tenté de montrer que la transformation d'EDF que vous nous proposez est une étape décisive vers la privatisation, qu'elle n'est pas nécessaire, qu'elle est contraire à la Constitution et qu'elle met en péril non seulement l'un des fleurons de notre économie nationale, mais aussi l'égalité des citoyens pour l'accès à l'énergie.

En effet, vous le savez tous, mes chers collègues, l'énergie, l'électricité, le gaz représentent des besoins vitaux pour nos concitoyens.

C'est parce qu'en 1946 le législateur a su concevoir des principes, un dispositif et un outil justes, efficaces et performants que la France a pu aborder la période de la reconstruction dans de bonnes conditions, avec un formidable potentiel de croissance.

Je vous en prie, que l'on ne nous dise pas que nous tenons un discours « ringard » parce que nous évoquons 1946 : les entreprises EDF et GDF ont fait la preuve de leur capacité à évoluer, elles ont su s'adapter, dans un monde en perpétuel mouvement ; elles ont accompli leur mission de façon remarquable, et cela est unanimement reconnu, je dirais même envié, dans le monde entier.

Alors oui, bien sûr, avec l'adoption de ce texte, le verrou qui empêchait la privatisation totale va sauter. A cet égard, vous n'avez apporté aucune garantie, monsieur le ministre, puisque l'on a bien vu que, au fil du temps, le plancher - ou le plafond - était mouvant : on est ainsi passé de 70 % à 100 %, avant d'en arriver, pour GDF, à 51 %. Qui peut garantir que, demain, au gré de résultats ou d'impératifs de court terme, l'on ne descendra pas au-dessous de 50 % ? Ce serait alors la privatisation définitive de l'entreprise.

Nous pensons qu'il ne s'agit pas là d'une entreprise comme une autre, parce que l'électricité et le gaz ne sont pas des marchandises comme les autres.

Les exemples, dans le monde entier, sont nombreux, de l'Italie à New York, qui montrent que la libéralisation et ses carences coûtent cher à la vie collective. EDF-GDF, ses agents, son personnel ont montré, eux, que service public pouvait se conjuguer avec efficacité et qualité.

Vous n'avez eu de cesse, monsieur le ministre, d'essayer de vous abriter derrière le gouvernement précédent. Je relève d'ailleurs que vous le faites de façon contradictoire.

Tout d'abord, vous tentez de faire croire que ce serait le gouvernement de Lionel Jospin qui aurait engagé la démarche que vous êtes en train de suivre,...

M. Jean-Pierre Bel. ...alors que la directive « électricité », qui est l'acte fondateur de ce processus, date de 1996 et avait été signée par MM. Juppé et Borotra. D'une certaine manière, monsieur le ministre, à vous écouter, vous auriez été contraint d'appliquer des décisions prises par d'autres.

Ensuite, vous nous reprochez d'avoir fait preuve d'immobilisme, alors que, beaucoup le savent, là encore, notre volonté était de résister aux coups de boutoir du libéralisme pour préserver les intérêts de la France et de ses entreprises publiques. Notre souci était de permettre la régulation des marchés, de garantir la place de l'Etat et des collectivités territoriales plutôt que, comme vous le faites, de fragiliser les entreprises publiques en les livrant aux aléas de la privatisation.

Même à Barcelone, alors qu'il se trouvait pourtant dans un contexte très défavorable à cause du rapport de force européen et de la cohabitation, qui réduisait ses marges de manoeuvre, Lionel Jospin a refusé la libéralisation s'agissant de la fourniture aux ménages et a obtenu la prise en compte des services publics d'intérêt général à l'échelle européenne. Nous avons voulu garantir l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national, respecter l'intérêt général, agir rationnellement pour préserver l'égalité d'accès pour tous, ainsi que notre indépendance énergétique.

En outre, vous nous avez dit, monsieur le ministre - c'est là un second paravent -, que ce sont les exigences européennes qui vous conduisaient à procéder de la sorte. Nous savons maintenant qu'il n'en est rien, et je ne reviendrai pas sur les déclarations du commissaire européen à la concurrence, déjà largement citées, qui contredisent clairement cette affirmation.

En réalité, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, l'avenir que vous nous proposez est non seulement incertain, mais aussi particulièrement inquiétant. Hier encore, au cours de la réunion de la commission mixte paritaire, certains membres de la majorité ont d'ailleurs exprimé plus que des réserves.

A l'étranger, certaines expériences n'ont pas été concluantes, des Etats américains comme la Californie ayant fait marche arrière dans la libéralisation des marchés de l'électricité. Dans un pays que je crois bien connaître, l'Espagne, l'ouverture presque totale des marchés a eu des conséquences très néfastes, notamment pour les petits consommateurs, et, dans la plupart des pays menant une politique libérale, on observe un déficit inquiétant en matière d'investissement.

Quant à la baisse des prix qui nous a été annoncée, en particulier dans cet hémicycle par M. Marini, lors de l'examen du texte en première lecture, les résultats constatés contredisent tout à fait cette perspective, au point même que nombre d'industriels parlent d'amplifier le mouvement de délocalisation, puisqu'ils ne pourront pas continuer à bénéficier de ce qui représentait l'un des rares atouts de nos entreprises face à la concurrence déloyale.

Tout au long de nos débats, monsieur le ministre, nous avons appelé votre attention sur le risque, qui est réel, de voir brader ces fleurons de notre économie nationale, sur la nécessité de garantir la qualité du service public et de prendre en compte le caractère particulier d'une entreprise qui, je le souligne, est chargée de la filière nucléaire, enfin sur le risque d'augmentation des prix.

Vous n'avez retenu aucune de nos observations, pratiquement aucun de nos amendements, qui avaient pour objet de limiter les dégâts ou d'apporter des améliorations, s'agissant notamment du volet relatif aux retraites.

En revanche, monsieur le ministre, vous nous avez présenté un amendement portant sur la limite d'âge applicable au futur président. Vous avez précisé, et cette précision a son importance, d'autant qu'elle n'est pas habituelle, que vous le faisiez au nom du Premier ministre.

Nous nous sommes alors interrogés sur la conviction que vous mettiez à soutenir cet amendement. J'ai compris que vous aviez du mal à le présenter in extremis, à la dernière seconde - à peine nous avait-il été distribué que nous devions le voter, ce qui nous a empêchés de proposer un vote sur son irrecevabilité -, j'ai compris que vous aviez du mal à cautionner un amendement de circonstance, ce qui est tout à votre honneur.

Ce n'est pas que, sur le fond, il ne puisse pas y avoir débat,...

M. Patrick Devedjian, ministre délégué. N'est-ce pas ?

M. Jean-Pierre Bel. ...mais, quelquefois, la forme prime sur le fond. Or la manière dont cet amendement vous a été imposé, la manière dont nous avons dû nous en saisir marquent un mépris profond de quelques règles élémentaires, de courtoisie diront certains, de démocratie ai-je plutôt envie de dire pour ma part.

Cet amendement, qui illustre de manière caricaturale la notion de « cavalier » législatif, qui a pour unique objet de régler des questions de personne, fera l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Toutefois, notre recours portera aussi sur l'ensemble du projet de loi, parce que nous considérons qu'il constitue une atteinte au patrimoine de la nation, dont les contours avaient été fixés par ceux qui s'étaient rassemblés au sein du Conseil national de la Résistance.

Lorsque, à l'occasion de la première lecture du texte, voilà quelques jours, je me suis permis de rappeler l'action du général de Gaulle, qui, à cette époque, avait su rassembler, avait su privilégier l'intérêt national, vous m'avez demandé de façon ironique, monsieur le ministre, si j'étais devenu gaulliste.

Je vous dirai simplement que ce qui fait à mon sens la grandeur de la mission du parlementaire, c'est sa capacité à s'élever au-dessus des intérêts particuliers, des visions étriquées et partielles, des égoïsmes boutiquiers et à courte vue, bref de ce que d'aucuns ont appelé la « petite politique », pour être en mesure d'approuver ceux qui savent, par leur action, privilégier la République et l'intérêt national, à plus forte raison lorsqu'il s'agissait du chef de la France libre.

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le ministre, pardonnez ces considérations historiques, mais je crois que le moment est historique. La décision que vous allez prendre est lourde de conséquences ; plus jamais les choses ne seront comme avant. Le passage en force auquel vous procédez en cette fin de mois de juillet, l'urgence que vous avez déclarée n'ont aucune motivation légitime, aucun fondement. Trop d'imprécisions demeurent, trop d'incidences n'ont pas été suffisamment évaluées.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, certainement en vain, certainement pour la dernière fois, de renoncer. En tout cas, le groupe socialiste s'opposera de toutes ses forces et avec détermination à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons examiner les conclusions d'une commission mixte paritaire qui nous sont soumises à notre sens trop rapidement, comme l'a souligné à l'instant Jean-Pierre Bel.

Ce projet de loi aurait en effet mérité un autre traitement. Certes, les directives européennes doivent être transposées dans le droit national, et, malgré les déclarations des différents ministres, je constate que notre place dans le classement européen en matière de transposition ne s'améliore pas, ce qui, ajouté au non-respect du pacte de stabilité, ne fait qu'affaiblir notre position au sein de l'Union européenne, alors que l'enjeu de sa construction est fondamental pour l'avenir de notre vieux continent, au regard de la guerre de titans que se livrent pour le leadership mondial le bloc asiatique et les Etats-Unis.

Dans ce contexte géopolitique, devant un enjeu aussi stratégique que celui de l'énergie, et tout particulièrement de l'électricité, pourquoi être allé aussi vite s'agissant du statut d'EDF ? D'autant que la directive européenne ne l'exigeait pas, comme l'a d'ailleurs confirmé le commissaire européen Mario Monti au Sénat, devant nos commissions. Seule la levée de la garantie illimitée était demandée, et encore pouvait-elle faire l'objet de négociations, comme pour France Télécom actuellement.

Les expériences étrangères auraient pourtant dû vous faire réfléchir, monsieur le ministre. L'électricité n'est pas stockable et n'est pas une matière première comme les autres. Pourquoi donc passer en force, après avoir déclaré l'urgence, sans que soit achevé le processus législatif concernant le projet de loi d'orientation sur l'énergie, qui aurait dû être examiné par le Parlement après le plan « climat », portant en particulier sur la mise en oeuvre des engagements que nous avons pris à Kyoto en matière d'émission de gaz à effet de serre, après le nouveau projet de loi sur l'eau, dont le volet relatif à l'hydroélectricité recoupera forcément le champ du projet de loi d'orientation sur l'énergie, après le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, après la provision pour démantèlement des centrales nucléaires ? . .

De plus, l'Européen convaincu que je suis ne peut concevoir que chaque pays de l'Union européenne puisse définir unilatéralement sa politique énergétique. L'indépendance énergétique est un enjeu stratégique pour la France, bien sûr - je ne prendrai pas des accents gaulliens pour le dire -, mais surtout pour l'Europe. A quand, monsieur le ministre, une « PEC », c'est-à-dire une politique énergétique commune ? Il existe bien une politique agricole commune : je pense que l'énergie mériterait de faire l'objet d'une harmonisation des politiques nationales.

La France s'honorerait de déposer un tel projet d'harmonisation, qui aurait, outre l'intérêt qu'il présenterait au regard des tensions actuelles au Moyen-Orient et dans les territoires abritant les principales réserves d'énergies fossiles, l'avantage de mettre un terme à l'hypocrisie de certains pays européens s'agissant de l'énergie nucléaire.

Cela étant dit, revenons au projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.

Mes chers collègues, indépendamment du fond, sur lequel nous divergeons, s'agissant en particulier du statut d'EDF et de RTE, nous savons bien que ce texte aurait mérité de faire l'objet au moins d'une seconde lecture, ne serait-ce que pour lever certaines ambiguïtés d'interprétation.

Le Gouvernement en est d'ailleurs conscient, monsieur le ministre, puisqu'il a présenté au Sénat un certain nombre d'amendements tendant à préciser plusieurs points. Pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement, tout particulièrement à la commission des affaires économiques du Sénat et à la compétence du rapporteur de celle-ci, notre collègue Ladislas Poniatowski, pour améliorer ce texte qui conduira, s'il est adopté en l'état, à construire, excusez ce mot facile, une « usine à gaz » ?

Nous l'avons bien constaté lors de la réunion de la commission mixte paritaire : il existe des différences d'analyse, y compris au sein de la majorité, monsieur le ministre, à propos de l'indépendance et du contrôle de la filiale. C'est là un point très difficile, qui pourrait conduire, permettez-moi un jeu de mots sportif, à un « claquage des adducteurs » : vous ne pouvez réclamer pour cette filiale une indépendance complète tout en voulant la contrôler.

Il existe aussi des divergences et des interrogations au sein de la majorité quant aux soultes des caisses de retraite, s'agissant en particulier des fameux 400 millions ou 700 millions d'euros. Un travail supplémentaire aurait été nécessaire, notamment avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, la CNAVTS, l'Association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, et l'Association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO. Vous connaissez leurs réticences, et c'est un euphémisme, à l'égard du montage proposé.

Je ne crois pas, mes chers collègues représentant le monde rural, que vous mesuriez entièrement les conséquences de votre choix en termes de fonctionnement et d'aménagement du territoire !

Avec la levée du principe de spécialité, plus personne ne va savoir qui fait quoi : l'électricien pourra vendre du gaz et le gazier de l'électricité et des services !

Mais, ce qui m'inquiète le plus, c'est de ne pas savoir qui ne fait pas quoi ? Autrement dit, certains aménagements ne seraient pas réalisés pour des raisons économiques.

Par conséquent, je crains que ce projet de loi n'accélère la désertification du monde rural et ne conduise les collectivités à prendre le relais pour assurer la survie de leur économie et, surtout, des conditions de vie acceptable à leurs habitants. Mais avec quels moyens ? Ce débat aura lieu à l'occasion de l'examen du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales. Je crains qu'il ne s'agisse d'une charge supplémentaire, en tout cas d'un transfert déguisé de charges à nos collectivités.

Le démantèlement d'un fleuron de notre industrie et d'un outil national d'aménagement du territoire détruit le principe d'égalité d'accès de nos citoyens à un service public de qualité, comme le confirme d'ailleurs les sondages et les indices de satisfaction des abonnés.

A titre personnel, il est un point auquel je suis particulièrement sensible : il s'agit du statut du réseau de transport d'électricité, le RTE. Certes, la loi de 1946 restait ambiguë sur sa propriété. C'est pourquoi la loi de 2000 en avait transféré la propriété à EDF.

Il s'agit d'un bien collectif de la nation. Dès lors que vous proposez la propriété et la gestion de RTE à la filière d'une société anonyme, certes actionnaire majoritaire et à capital entièrement public, comme vous l'annoncez, monsieur le ministre, c'est le droit commun qui s'imposera !

Même si je n'adhère pas à votre logique, je pense qu'un statut d'établissement public industriel et commercial, d'EPIC, s'imposait pour le réseau de transport d'électricité. Cela aurait présenté au moins deux avantages fondamentaux : premièrement, la spoliation de la nation, qui est en fait dessaisie d'un bien collectif, aurait été évitée; deuxièmement, l'Etat serait resté maître d'un outil stratégique au niveau tant de l'énergie que de l'aménagement du territoire.

En effet, les expériences étrangères le montrent, le réseau de transport et l'interconnexion sont les points stratégiques dont l'Etat ne peut se délester.

Enfin, quid des propositions relatives au démantèlement des centrales nucléaires ? Où se trouvent-elles dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie ou encore dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ?

Vous comprendrez, monsieur le ministre, mes chers collègues - du moins je l'espère - que je ne puisse adhérer à ce projet de loi compte tenu non seulement de nos divergences, mais aussi des interrogations qui demeurent, lesquelles sont largement partagées par nombre de sénateurs et de députés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà à nouveau réunis, en un temps record, pour nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais il faut à nouveau le souligner aujourd'hui : avec un tel texte, nous nous privons d'un outil industriel essentiel pour préserver notre indépendance énergétique, assurer notre développement économique, oeuvrer pour la réduction des inégalités sociales et donc, in fine, garantir la cohésion de notre société.

C'est précisément pour répondre aux défaillances de la pure économie de marché, dans les années vingt et trente, ainsi qu'au désastre de la Seconde Guerre mondiale que furent créées, dans ce secteur des plus stratégiques, deux grandes entreprises publiques dotées d'un statut particulier, celui d'EPIC, qui faisait d'elles la propriété de la collectivité nationale.

C'est parce que l'énergie est vitale pour les individus comme pour notre développement économique et parce qu'aucun Etat européen ne peut supporter la mise en faillite des entreprises d'électricité et de gaz que le statut d'EPIC a été conçu. Pour quelle raison, si ce n'est celle de sauver leur secteur énergétique, les Anglais auraient-ils alors procédé à la recapitalisation de British Energy ?

A l'époque, le choix de statut d'établissement public avait permis de dépasser les clivages politiques, puisqu'il donnait la possibilité, simultanément, de se doter d'outils industriels pour mettre en oeuvre la politique énergétique française et de préserver de la faillite un secteur aussi fondamental pour l'économie.

C'est cet instrument, nous assurant la maîtrise de notre politique énergétique, que l'on nous contraint aujourd'hui d'abandonner.

Force est de constater qu'un tel choix constitue un véritable renoncement du politique à vouloir peser positivement sur le cours des choses, à ne pas laisser notre économie devenir la proie des fluctuations non maîtrisées, comme ce fut le cas dans la première moitié du XXe siècle.

Force est aussi de constater qu'un tel choix est révélateur du renoncement du politique à intervenir dans les domaines économique et social pour corriger les inégalités sociales qui n'ont pourtant de cesse de se creuser.

Le débat tel qu'il a été mené ne pouvait pas être à la hauteur des enjeux de société posés par un tel texte.

La privatisation d'Electricité de France et de Gaz de France, leur transformation en société anonyme, donc l'abandon du statut d'EPIC, constituent un véritable bouleversement de l'organisation de tout un secteur économique et renvoient à une conception purement libérale de notre société.

Une telle implication en termes de choix de société méritait certainement une autre procédure pour l'examen de ce projet que celle de l'urgence déclarée !

Avec un tel texte, plutôt que de favoriser les synergies industrielles et les complémentarités des différentes activités et services, vous remettez en cause le degré d'intégration de notre industrie. Vous compartimentez les différents segments d'activités et, simultanément, en permettant que s'enclenche un processus de filialisation, vous ouvrez d'ores et déjà la porte à une dilution du capital public des entreprises.

En matière d'électricité, vous mettez en compétition les différents services de transport et de distribution. Pour le gaz, vous procédez de la même manière en déstructurant, par le biais d'une segmentation identique, toute la filière de l'amont à l'aval.

Vous rendez possible, voire vous favorisez une concurrence fratricide entre EDF et GDF. Finalement, vous placez ces entreprises sous la coupe des marchés financiers qui n'ont de cesse de tirer vers le haut les exigences de rendement à court terme. Bref vous fragilisez ces entreprises en les soumettant à de tels critères de gestion.

Nous avons été plusieurs à souligner que ce type d'industrie nécessitait une vision à long terme, alors que le règne des logiques de court terme caractérise, précisément, les marchés financiers.

Ce faisant, vous portez atteinte à nos services publics. Vous abandonnez l'idée d'un véritable droit à l'énergie pour tous, droit qui ne peut se satisfaire des seuls garde-fous en faveur des populations en situation d'extrême précarité.

De tels choix politiques auraient dû déboucher sur un véritable débat sur le contenu, débat que la majorité a refusé en esquivant systématiquement les questions de fond. Je constate d'ailleurs aujourd'hui que la majorité est bien silencieuse sur ce texte.

Le débat aurait dû porter sur la conception même de nos services publics de l'électricité et du gaz, sur la nécessité de prendre en compte les nouveaux besoins et la modernisation des ces services publics.

Notre opposition au processus de libéralisation des services publics n'est absolument pas dogmatique. Elle est fondée sur l'expérience des pays qui ont déjà mené la privatisation de leurs services publics et qui subissent aujourd'hui de multiples dysfonctionnements, lesquels se manifestent par des coupures de courant, comme on a pu l'observer en Italie, en Espagne ou en Californie, cas notoire.

Or nous ne pouvons que constater un recul important dans le champ même des missions et obligations de service public, qui, finalement, se rétrécit comme une peau de chagrin !

Ainsi, l'article 1er renforce le processus de contractualisation en créant un nouveau type de contrat dit « de service public », qui se substitue au contrat Etat-entreprise. Or ce dispositif risque d'affaiblir plus encore le contenu même des missions de service public.

Nous savons pertinemment que les objectifs fixés en termes de missions de service public par les précédents contrats n'ont pas été atteints. L'Etat n'a pas, à cet égard, utilisé son pouvoir de contrainte pour que les engagements du contrat soient respectés.

L'article 1er du projet de loi précise les points sur lesquels ces nouveaux contrats devront porter et c'est là, précisément, que le bât blesse ! En effet, si l'Etat n'exerce aucune contrainte pour que le contenu de ces contrats soit respecté par les entreprises, ce sont les missions mêmes de service public qui seront nettement affaiblies. Sans contrôle, les nouveaux contrats resteront de pures déclarations d'intention !

Ainsi, en ce qui concerne l'entreprise Gaz de France, les objectifs intégrés dans le contrat Etat-entreprise 2001-2003 sont loin d'avoir été atteints. S'agissant de l'objectif d'amélioration du service rendu à la clientèle et aux usagers, la situation est loin d'être conforme aux prévisions : le taux de satisfaction de la clientèle est pratiquement inférieur de cinq points par rapport à l'objectif fixé, qui était de 44%.

En matière tarifaire, l'objectif d'ajuster les coûts d'approvisionnement en fonction de l'évolution de ceux des contrats à long terme et de rétrocéder de manière forfaitaire aux usagers une partie des gains de productivité est loin, lui aussi, d'avoir été atteint. Au contraire, et nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, une véritable ponction a été réalisée sur le dos des petits consommateurs usagers.

Ainsi, on a pu constater une augmentation des tarifs publics de 24 % depuis 2000 ; une telle hausse est nettement supérieure aux coûts d'approvisionnement. Autrement dit, le très fort accroissement de la marge de 934 millions d'euros que l'on a constaté sur les années 2001 et 2003 a été obtenu par une ponction sur les usagers domestiques de plus de 636 millions d'euros. En termes de consommation, ces usagers représentent 23 % de la consommation.

Nous avons donc aujourd'hui de bonnes raisons d'être inquiets quant au renforcement du processus de contractualisation au travers de la substitution des nouveaux contrats de service public, prévu à l'article 1er de ce texte de loi.

Ledit article dispose :

« Les contrats portent notamment sur :

« - les exigences de service public en matière de sécurité d'approvisionnement, de régularité et de qualité du service rendu aux consommateurs ;

« - les moyens permettant d'assurer l'accès au service public ;

« - les modalités d'évaluation des coûts entraînés par la mise en oeuvre du contrat et de compensation des charges correspondantes ;

« - l'évolution pluriannuelle des tarifs de vente de l'électricité et du gaz ;

« - la politique de recherche et développement des entreprises ;

« - la politique de protection de l'environnement, incluant l'utilisation rationnelle des énergies et la lutte contre l'effet de serre ;

« - les objectifs pluriannuels en matière d'enfouissement des réseaux publics de distribution d'électricité. »

Comme vous pouvez le constater, il s'agit bien d'éléments fondamentaux concernant la qualité même de notre service public.

Cependant, l'introduction du mot « notamment » laisse supposer une conception restrictive de ces missions.

Il est par ailleurs précisé ceci dans ce même article :

« Ces contrats définissent, pour chacun des objectifs identifiés ci-dessus, des indicateurs de résultats. Ces contrats et l'évolution de ces indicateurs font l'objet d'un rapport triennal transmis au Parlement. »

« L'Etat peut également conclure, avec les autres entreprises du secteur de l'électricité et du gaz assumant des missions de service public, des contrats précisant ces missions. »

On peut réellement s'interroger face aux insuffisances, que j'ai signalées, concernant le dernier contrat Etat-entreprise

Dans le nouveau contrat, les objectifs à atteindre seront-ils quantifiés, comme c'est le cas actuellement ?

Il semble qu'au contraire de tels objectifs chiffrés aient disparus, laissant la place à une grande souplesse d'interprétation et ne permettant plus de mesurer les efforts accomplis en termes d'écarts par rapport aux objectifs à atteindre.

En réalité, nous assistons depuis plusieurs années à une diminution des exigences en matière de service public et les nouveaux contrats ne stopperont pas cette évolution, contrairement à ce qui est affirmé ici ou là.

En matière de sécurité des réseaux de distribution, par exemple, l'objectif de renouveler complètement le stock des fontes dites « grises », c'est-à-dire des fontes cassantes et donc dangereuses, devait être atteint en 2005. Un tel objectif a, semble-t-il, été révisé et seulement la moitié du stock devrait être résorbée en 2003. On pouvait penser que l'autre moitié le serait sur la période 2004-2006. Il semble que le délai de résorption ait été prolongé jusqu'en 2008.

Doit-on souligner qu'il s'agit là de question de sécurité et que la prolongation de ces délais est réellement problématique ? Doit-on encore souligner que les objectifs d'amélioration du niveau de sécurité sont fixés, notamment pour les sites à risque ?

Pourtant, c'est au cours d'une visite du stockage de Cernay, un site classé Seveso, que les élus participant à l'enquête parlementaire sur les risques industriels se sont inquiétés de la gestion de la sécurité menée à Gaz de France.

En matière tarifaire, nous avons aussi de bonnes raisons d'être inquiets, et ce d'autant plus si les ajustements en termes de coûts s'inscrivent dans la continuité de ce que nous avons pu constater ces trois dernières années.

Nos inquiétudes ne font que s'accroître lorsqu'on constate que semble se confirmer la tendance actuelle à adosser les tarifs sur les marchés spot, autrement dit sur les prix des produits pétroliers à court terme au détriment d'une indexation sur les contrats à long terme.

Tout cela aurait mérité que nous disposions d'un peu plus de temps pour peser réellement sur les orientations et les choix inscrits dans ce texte. Une seconde lecture aurait été nécessaire. Nous avons d'ailleurs pu le constater lors de la réunion de la CMP, ne serait-ce que par le nombre d'amendements déposés - une quarantaine au total - dont plusieurs portent sur des questions de fond !

Ainsi en est-il, par exemple, de l'amendement proposé à l'article 15, qui se traduit, au final, par de véritables distorsions de concurrence au profit d'industries particulières du secteur.

Nous avions souligné au cours du débat -  je n'y reviendrai pas dans le détail - tous les problèmes que soulevait la réforme du système de retraites que vous engagez. Je suis convaincue qu'avec ce texte vous condamnez EDF et GDF à supporter une très lourde charge dans ce domaine.

Souvenons-nous que, lors de la discussion du texte au Sénat, des flottements avaient été constatés en raison des divergences d'appréciation entre le rapporteur pour avis de la commission des finances et celui de la commission des affaires sociales, prouvant ainsi le manque de clarté et de transparence de certaines dispositions sur les retraites.

Au bout du compte, ce sont les salariés qui feront les frais d'une réforme n'ayant d'autre objet que de permettre la privatisation de nos entreprises publiques.

Je ferai le même constat en ce qui concerne les mesures relatives au stockage du gaz. Que doit-on penser du véritable coup de force réalisé à partir des amendements déposés par le rapporteur de la commission des affaires économiques, créant une nouvelle division dans le régime des stockages de gaz naturel, alors que l'Assemblée nationale n'a pu ni examiner ni se prononcer sur tout cet ensemble d'articles nouveaux intégrant des dispositions d'une directive européenne sur le gaz ? Le libre accès des tiers au stockage aura donc été décidé par notre seule assemblée parlementaire !

A cela se sont ajoutées, au cours du débat, des divergences au sein même de la majorité, entre le rapporteur pour avis de la commission des finances et le rapporteur de la commission des affaires économiques, sur la manière d'opérer de fait la transposition de la directive européenne.

Et nous constatons qu'en CMP de nouveaux amendements réécrivant ces mêmes articles ont été déposés. Bref, cette CMP aura, en quelque sorte, remplacé la seconde lecture dont nous avons été privés. La navette aurait sans doute été préférable à un texte de compromis issu de la CMP !

Une fois de plus, notre droit d'expression en tant que parlementaires est bafoué. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Celui-ci est, de fait, réservé finalement aux seuls rapporteurs !

Enfin, pour couronner le tout, le rapporteur pour l'Assemblée nationale a proposé un amendement tendant à insérer un article nouveau en ce qui concerne le Conseil supérieur de l'énergie. Or ces dispositions ont été intégrées dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie. Comment doit-on interpréter ce télescopage des textes si ce n'est comme un révélateur, une fois de plus, de la grande précipitation avec laquelle on légifère ?

Nous avions souligné qu'une loi d'orientation sur l'énergie devait définir les moyens dont elle dotait le pays pour mettre en oeuvre les grands objectifs qu'elle se fixait. Or le texte de loi tendant à la privatisation d'EDF et de GDF prive précisément le politique d'un tel outil à sa disposition. Qui plus est, ce texte n'aurait dû logiquement être adopté qu'après la loi d'orientation sur l'énergie !

Va-t-on vider de sa substance le projet de loi d'orientation sur l'énergie ? Après avoir adopté dans une extrême précipitation ce projet de loi abandonnant le statut public d'EDF et de GDF, vous conviendrez que l'on puisse légitimement s'interroger sur la nature d'un texte définissant les orientations en matière énergétique. Sans véritables moyens ni outils industriels, une loi d'orientation ne perd-elle pas de son sens et de sa crédibilité ?

De fait, le processus de privatisation est bel et bien engagé, d'autant que la filialisation pourrait permettre, à terme, une dilution du capital public des deux entreprises.

Qui sera concerné par les objectifs fixés dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie ? Des entreprises privées ? J'avoue que je demeure perplexe : sans moyens, les objectifs ne seront jamais atteints et je crains que ce texte ne devienne une somme de déclarations d'intention.

Au fond, un tel projet de loi ne rend-t-il pas caduc l'essentiel des dispositions prévues par la loi d'orientation sur l'énergie ? La question mérite d'être posée.

Cette manière de procéder est tout à fait révélatrice de la méthode de ce gouvernement.

Le présent projet de loi prévoit l'ouverture du capital de 30 % pour EDF et GDF, mais l'on sait combien cette barrière des 30 % est fragile face aux velléités qui se sont manifestées à l'Assemblée nationale et ici même pour aller plus loin.

Par ailleurs, le Gouvernement s'est engagé à ce que la fusion entre EDF et GDF demeure une possibilité pour ces deux entreprises et qu'elle fasse l'objet d'une étude avant toute décision concernant leur sort industriel. Or la volonté qui s'est manifestée de confier une étude sur la faisabilité et la pertinence d'une fusion aux présidents d'EDF et de GDF, qui ont toujours témoigné leur hostilité face à cette éventualité, a de quoi nous laisser perplexes !

En revanche, nous savons qu'un tel projet de fusion est soutenu par l'ensemble du personnel, qui refuse la mise en concurrence des deux entreprises, ainsi que par certains collègues de notre assemblée.

Le choix de mise en concurrence se traduirait inévitablement par un gâchis considérable.

Il annulerait le bénéfice même des synergies industrielles de l'électricité et du gaz obtenues depuis qu'une direction commune de distribution existe.

Il conduirait à une fuite en avant vers la rationalisation des coûts de production et remettrait en cause, à terme, la pérennité des services de distribution communs aux deux entreprises. Dans cette course aux efforts de productivité, l'emploi servirait nécessairement de variable d'ajustement. Depuis plusieurs années, nous observons que les plans de rationalisation mis en oeuvre conduisant à la baisse drastique des effectifs, à l'externalisation de nombreuses activités et à la sous-traitance n'ont pas débouché sur des gains de productivité. A GDF, les gains de productivité ont diminué de plus de deux points entre 2001 et 2003.

Bref, il aurait été légitime de disposer des résultats d'une étude menée de manière contradictoire et en toute transparence sur la faisabilité et l'opportunité d'une fusion entre EDF et GDF avant qu'un tel texte de loi portant modification de leur statut ne soit définitivement voté. Les organisations syndicales ont souhaité qu'une étude sur la possibilité de construire un projet industriel en commun soit menée en s'appuyant aussi sur la connaissance et l'expertise des agents des entreprises. L'avis des salariés, premiers concernés par le sort qui sera réservé à leur entreprise, doit également être pris en compte.

Quant à nous, nous sommes, vous le savez, favorables à une fusion des EPIC et nous pensons qu'une telle alternative n'aurait pas due être exclue a priori. Cette éventualité n'a même pas été envisagée ! Et pour cause, puisque le coeur de ce projet de loi réside dans la privatisation d'EDF et de GDF avec, dans un premier temps, le transfert des droits de propriété à l'Etat.

La construction d'un grand pôle public de dimension européenne était tout à fait envisageable. Et aucun obstacle juridique, y compris sur le plan européen, ne pouvait s'y opposer. Les déclarations à cet égard de Mario Monti, commissaire européen à la concurrence, sont significatives ; il me paraît inutile de les rappeler.

Mais c'est un autre choix que vous avez fait, qui tourne le dos à une période au cours de laquelle les hommes et les femmes de ce pays avaient décidé, après le désastre économique de la Seconde Guerre mondiale, de prendre en charge leur destin en se dotant de moyens industriels pour mener leur politique énergétique. C'est la nation tout entière que vous privez de ces moyens.

Nous ne voterons donc pas les conclusions d'une CMP cautionnant de tels choix de société, lesquels ont des conséquences graves pour l'avenir de notre secteur énergétique et pour celui de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

(M. Daniel Hoeffel remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)