compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Situation en Côte-d'Ivoire

Déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur la situation en Côte-d'Ivoire.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, je voudrais dire à nouveau la très vive émotion du Sénat face aux événements dramatiques survenus ces derniers jours en Côte-d'Ivoire.

Comme vous le savez, neuf soldats français ont malheureusement payé de leur vie l'accomplissement de leur devoir sur le front de la paix.

En ce jour de deuil, je tiens à renouveler, en notre nom à tous, nos condoléances profondément attristées et l'expression de notre compassion aux familles des disparus.

Avec plusieurs d'entre vous, je représenterai le Sénat à la cérémonie qui se déroulera tout à l'heure aux Invalides.

Je souhaite également transmettre aux blessés nos voeux d'un prompt rétablissement.

Mes pensées vont aussi à nos très nombreux compatriotes résidant en Côte-d'Ivoire, qui vivent actuellement des jours particulièrement difficiles et éprouvants.

Représentant constitutionnel des Français établis hors de France, le Sénat suit avec vigilance et inquiétude l'évolution préoccupante de leur situation.

Nous devons tous le dire avec conviction : la France doit impérativement assurer la sécurité de tous nos compatriotes.

Je forme aussi le voeu que la mission accomplie par la France au service de la paix sous l'égide des Nations unies porte ses fruits et rencontre l'adhésion de la population. Puisse un autre drame être évité et la paix l'emporter dans les esprits comme sur le terrain.

La parole est à M. le ministre.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, comme vous l'avez dit, dans moins d'une heure sera rendu aux Invalides un hommage solennel national à la mémoire de nos neuf soldats tués en terre ivoirienne, au service de la paix, alors qu'ils ne combattaient pas.

Comme vous l'avez fait vous-même, au nom de la Haute Assemblée, et comme nous le ferons tout à l'heure, monsieur le président, ensemble aux côtés de M. le Président de la République, je veux m'associer à la douleur des familles que nous partageons, et adresser à tous leurs camarades qui ont été blessés, parfois très sérieusement, mes voeux de rétablissement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis deux ans, la France s'est engagée avec détermination, sur le plan militaire, sur le plan politique, sur le plan diplomatique, pour appuyer un processus de sortie de crise extrêmement difficile, une crise qui secoue un pays ami et auquel nous sommes attachés par des liens profonds, anciens, et avec lequel nous partageons notre langue et une partie de notre histoire.

La France a fait tout cela sur la base d'une conviction forte au service de principes clairs, et en adoptant une démarche sans ambiguïté.

Notre conviction est qu'il n'y a pas de solution militaire durable à cette crise dont les racines sont très anciennes, bien antérieures à septembre 2002, et profondes avec des répercussions dans l'ensemble de la région.

Seule une solution politique, fondée sur le dialogue et l'avancée nécessaire du processus de conciliation et de réconciliation, permettra de sortir de ce conflit qui aujourd'hui coupe la terre de Côte-d'Ivoire en deux.

Des principes clairs, ici comme partout ailleurs, fondent notre politique étrangère. Ils sont à la base de notre position en Côte-d'Ivoire comme sur tous les autres théâtres de crise, sur le continent africain et ailleurs.

Nous voulons, d'abord, assurer la sécurité des populations, civiles et étrangères, à commencer, bien sûr, par la sécurité de nos propres ressortissants.

Nous voulons, ensuite, préserver la légitimité de l'Etat et des institutions qui sont à la base de tout régime démocratique, et donc favoriser là où il le faut, et c'est souvent le cas, des élections.

Nous voulons, enfin, respecter l'intégrité du territoire national.

Nous voulons, en outre, conforter la stabilité régionale.

Tels sont les principes sur lesquels nous fondons notre action.

La démarche que nous conduisons est sans équivoque : la crise qui secoue aujourd'hui la Côte-d'Ivoire n'est en aucune manière assimilable à un tête-à-tête entre la France et la Côte-d'Ivoire.

Dès le début de cette crise, nous avons choisi d'appuyer les efforts de la communauté régionale africaine, en particulier de l'Union africaine. Nous avons agi pour mobiliser la communauté internationale, en particulier dans le cadre des Nations unies, mais aussi l'Union européenne et les grands bailleurs.

Aujourd'hui, notre intervention se situe strictement dans le cadre du mandat des Nations unies.

Cette démarche que nous entendons respecter est difficile et exigeante pour la Côte-d'Ivoire comme pour tous ses partenaires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce cas comme dans d'autres, il ne s'agit pas, pour nous, de choisir un camp, il s'agit de défendre une solution.

L'objectif de notre pays est simple et il est unique : appuyer un processus de retour à la paix et assurer des conditions durables pour la stabilité régionale. Aujourd'hui, malgré l'extrême difficulté de cette situation, cet objectif demeure et reste le chemin unique pour éviter le pire.

Après avoir dit notre ambition, nos principes et notre démarche, je reviens quelques instants sur ce qui s'est passé ces derniers jours en Côte-d'Ivoire, en particulier à Abidjan.

Face à une situation de blocage du processus de paix issu de Marcoussis et d'Accra qui continuait de prévaloir en Côte-d'Ivoire, une sorte de « panne » du processus de paix, le président Gbagbo a décidé de prendre l'initiative et de tenter de recouvrer unilatéralement l'intégrité de son territoire.

Dès mercredi dernier, je peux en témoigner, M. le Président de la République, à l'occasion d'un long appel téléphonique, a personnellement mis en garde le président Gbagbo contre le risque majeur d'une action guerrière mettant en cause le cessez-le-feu.

Force est de constater que le président de la Côte-d'Ivoire n'a pas tenu compte de cet avertissement et samedi matin, après que d'autres opérations sur le terrain et dans les airs ont été conduites, neuf militaires français qui ne combattaient pas et qui assuraient strictement leur mission de stabilité et de paix ont été bombardés par un avion ivoirien de manière délibérée - je l'ai dit parce que je le pense -, et trente-quatre soldats ont été blessés.

Voilà pourquoi nous sommes alors passés en première ligne. Nous avons immédiatement répliqué militairement pour répondre à une agression militaire et, comme c'était légitime, mettre hors d'état de nuire l'aviation ivoirienne. Nous avons ensuite, presque immédiatement, sécurisé l'aéroport d'Abidjan et renforcé notre dispositif afin d'assurer, dans les meilleures conditions possibles, l'évacuation des blessés et les départs et les arrivées, notamment les renforts de soldats dont nous avions besoin.

Nous avons également voulu renforcer notre dispositif de sécurité pour éviter, autant que faire se pouvait - nous voyons bien que c'est difficile - des débordements incontrôlés de mouvements de foule.

Quel est le sens de notre mission ?

Notre priorité immédiate est d'assurer la protection des populations et de ramener le calme. Au moment où je vous parle, la situation semble se stabiliser, mais elle reste précaire. Voilà pourquoi notre vigilance doit rester intacte.

Au-delà, et en liaison étroite avec nos partenaires occidentaux et africains, nous travaillons à ramener le processus politique sur ses rails. Il faut maintenant chercher à l'accélérer. De cette situation dramatique que nous vivons sortira peut-être un nouveau volontarisme permettant de reprendre le chemin tracé, par l'accord de Marcoussis notamment. Il faut également encadrer plus rigoureusement le processus pour que, cette fois-ci, chacun de ceux qui ont signé à Marcoussis et à Accra soit enfin, de manière responsable, conduit à respecter ses engagements.

C'est dans cet esprit - je parlais de nos partenaires africains, qui jouent un rôle important, là comme ailleurs ; je pense au Darfour et à la région des Grands lacs - que le président de la République d'Afrique du Sud, M. Thabo Mbeki, a rencontré hier, à Abidjan, le président Gbagbo.

A cet effet, le Conseil de sécurité travaille actuellement sur un projet de résolution que nous lui avons proposé et qui prévoit la mise en place d'un embargo sur les armes ainsi que la possibilité de mettre en oeuvre des sanctions à l'encontre des personnes coupables de crimes contre l'humanité et de celles qui font obstacle au processus de paix.

Notre priorité absolue est la sécurité de la communauté française.

Aujourd'hui, 15 000 de nos compatriotes, dont une grande partie de binationaux, vivent en Côte-d'Ivoire. C'est la communauté française la plus importante de l'Afrique subsaharienne. Installée en Côte-d'Ivoire depuis souvent fort longtemps, elle est composée de personnes qui aiment ce pays dans lequel elles travaillent. Beaucoup y ont fondé des familles, créé des entreprises.

C'est à cette communauté que nous devons penser, car elle est aujourd'hui terriblement secouée. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'ailleurs très sincèrement rendre hommage à cette communauté, à son sang-froid, à son courage, et lui dire, au-delà de ces murs, l'attention que les pouvoirs publics, le Gouvernement, comme d'ailleurs chacune et chacun d'entre vous, en particulier ceux qui représentent les Français de l'étranger, continueront de lui apporter.

Les manifestations de ces derniers jours ont été extrêmement violentes. Tous les établissements scolaires ont été détruits. De nombreuses maisons ont été pillées. Des ressortissants français ont été agressés et sont choqués.

Plus de 3 000 personnes sont aujourd'hui regroupées dans le camp militaire de Port Bouet, sur le site de l'ONUCI - l'opération des Nations unies en Côte-d'Ivoire -, et à l'Hôtel Ivoire.

Des avions ont été affrétés par le Gouvernement pour apporter du ravitaillement et permettre, dès aujourd'hui, à ceux qui le souhaitent - ils sont assez nombreux, près de 1 350 - un retour en métropole. Trois avions devraient être ce soir à Paris.

Nous suivons également avec attention ce qui se passe à San Pedro, où habitent 250 ressortissants, et dans le reste du pays, où l'on compte 2 500 ressortissants.

Voilà pourquoi, je le redis après vous, monsieur le président, la situation est très préoccupante.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous écouter, je terminerai en disant que tous ceux qui assument aujourd'hui en Côte-d'Ivoire des responsabilités dans le maintien de l'ordre et le processus de paix, à commencer par le président Gbagbo, doivent maintenant se mobiliser pour rétablir durablement le calme et la sécurité.

Cet objectif de paix reste l'unique sens de l'engagement de la République française en Côte-d'Ivoire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que, en application de l'article 39, alinéa 3, du règlement du Sénat, une déclaration du Gouvernement qui ne fait pas l'objet d'un débat ouvre, pour un seul sénateur de chaque groupe, un droit de réponse n'excédant pas cinq minutes.

La parole est à M. Jacques Pelletier.

M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis heureux que le Sénat puisse débattre de ce grave problème de la Côte-d'Ivoire, et je remercie le Gouvernement d'avoir accepté la demande du Sénat et de son président.

Je tiens avant tout à saluer, au nom du groupe du RDSE, la mémoire des neuf soldats français qui sont tombés samedi dernier à Bouaké, victimes d'une attaque que nous condamnons de la manière la plus ferme. Que leurs familles reçoivent l'expression de notre vive sympathie et de notre solidarité.

Nous pensons aussi aux trente-quatre soldats qui ont été blessés, et nous formons des voeux pour leur rapide rétablissement.

Tous ces hommes servaient non seulement leur pays, mais aussi la défense de la paix, dans un pays victime de troubles graves depuis plus de deux ans.

La décision immédiate du Président de la République de détruire les avions ivoiriens était proportionnée aux événements ; elle répondait, je crois, à un objectif mesuré.

La présence de la France en Côte-d'Ivoire est placée sous le mandat légitime de l'ONU et s'articule avec les forces de l'ONUCI, qui émanent des Etats membres de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, la CEDEAO. Elle est donc indispensable.

Le groupe du RDSE soutient la politique du Gouvernement, qui a sagement choisi de ne pas prendre parti, mais seulement de s'interposer, de protéger les populations civiles et de s'assurer qu'aucune exaction ni aucun nettoyage ethnique ne soit commis. Malheureusement, des charniers ont déjà été découverts dans les zones du Nord, sans que les coupables aient pu, à ce jour, être clairement identifiés.

La mission la plus urgente des forces de paix doit demeurer la protection des populations civiles, quelle que soit leur origine C'est à ce titre que doit répondre l'envoi de militaires du 43e BIMA - bataillon d'infanterie de marine -, stationnés au Gabon ou basés à Brive et en Corse.

Ce sont 15 000 à 16 000 de nos compatriotes qui vivent aujourd'hui dans l'inquiétude. Les actes anti-Français se multiplient, conduisant même, parfois, à une véritable « chasse au blanc ». Plusieurs milliers de nos compatriotes ont déjà trouvé refuge dans le camp militaire français, tandis que plusieurs centaines d'autres se sont abrités dans la mission de l'ONU.

Face à ce climat délétère, le dispositif militaire doit s'orienter vers une protection renforcée de nos compatriotes.

Votre Gouvernement, monsieur le ministre, a pris acte de la très grave détérioration de la situation. Il a annoncé, hier, la mise à disposition de plusieurs avions pour rapatrier les Français en détresse qui en expriment le souhait. Ces Français doivent être assurés de trouver aujourd'hui, auprès de nous, le réconfort de la solidarité nationale.

Les différents présidents qui se sont succédé à la tête de la Côte-d'Ivoire depuis la disparition du président Houphouët-Boigny portent une grave responsabilité dans la déliquescence du régime ivoirien. Leur incapacité, ou leur refus conscient, de prendre la mesure des nécessaires évolutions du pays a conduit, de fait, au chaos L'obstination du président Henri Konan Bédié à refuser qu'Alassane Ouattara, pourtant ancien Premier ministre du président Houphouët-Boigny, puisse se présenter aux élections présidentielles de 1995 a contribué à fragiliser la démocratie ivoirienne, en cristallisant les antagonismes.

Le président Gbagbo n'a, jusqu'à présent, pas démontré sa capacité à réconcilier le pays. Sa réticence à mettre en oeuvre les accords de Marcoussis ne pouvait que favoriser la situation actuelle de troubles. Ce texte fixe l'objectif de rétablissement de la paix et de réconciliation nationale. Il souligne, pour se faire, l'impérieuse nécessité de la tenue d'élections libres, transparentes et ouvertes. Il met également en exergue la mise en oeuvre d'un programme de réformes des principaux sujets de fond qui sont à l'origine de la crise actuelle, au premier rang desquels la nationalité et l'éligibilité, gages de concorde nationale.

L'application de ces accords exige au préalable que les interlocuteurs en présence entendent la voix de la communauté internationale et appellent fermement les fauteurs de troubles à mettre fin aux exactions qui compromettent gravement l'avenir de leur pays.

La résolution de cette crise ne peut être que politique. L'action du Gouvernement français est engagée dans ce sens, et le groupe du RDSE lui affirme son soutien. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je viens rendre publiquement hommage aux soldats français qui sont en Côte- d'Ivoire pour sauvegarder la paix.

L'agression aérienne dont ils ont été victimes est inadmissible. Le bombardement du cantonnement des forces françaises de Bouaké doit faire l'objet d'une enquête minutieuse. Les responsabilités doivent être pleinement établies.

Au-delà de nos soldats, nous avons une pensée pour toutes les victimes que ce conflit a faites : les journalistes Jean Hélène et Guy-André Kieffer, disparu, ainsi que celles de ces derniers jours, tous ces manifestants entraînés par des meneurs irresponsables, ces Français, heureusement en petit nombre, dont nous sommes sans nouvelles.

En Côte-d'Ivoire, nous pensons que le rôle de la France est clair.

Il a été d'empêcher une guerre civile qui semblait inéluctable voilà trois ans, de préserver les vies humaines, notamment celles des ressortissants français, nos compatriotes, dont le présent et l'avenir nous préoccupent. En tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je m'inquiète toujours de ce qui se passera une fois que les caméras auront cessé de filmer les retours dramatiques à Roissy, car c'est à partir de ce moment-là qu'il y a des problèmes et qu'il faut s'en occuper.

Le rôle de la France a également été, et continue à être, de consolider l'ordre institutionnel ivoirien, afin que des élections ouvertes et sans discrimination aient lieu au moment prévu et apportent l'ordre et la stabilité. Tout le reste est procès d'intention.

La France agit avec un mandat de l'ONU, elle n'est pas en Côte-d'Ivoire pour défendre ses intérêts nationaux.

Il est nécessaire de faire admettre au président Gbagbo et à son gouvernement, ainsi qu'à l'opposition, que les affrontements armés dans lesquels ils s'obstinent entraînent la Côte-d'Ivoire dans une spirale de massacres interethniques dont l'histoire africaine récente donne trop d'exemples.

Il est nécessaire que le président Gbagbo parle clairement et prenne ses responsabilités de chef d'Etat. Or, jusqu'ici, nous estimons que cela n'a pas été suffisamment le cas.

Pour l'avenir, oui, monsieur le ministre, nous en sommes bien d'accord, il faut une solution politique, et non militaire. Mais laquelle ?

La politique menée par la France et que nous avons soutenue est-elle en échec aujourd'hui ?

Les accords de Marcoussis et d'Accra sont-ils encore viables ? Les signataires ivoiriens honoreront-ils un jour leur signature ? N'est-il pas temps de redéfinir les missions de la France dans ce pays ? Le moment n'est-il pas venu d'obtenir que les forces françaises soient relayées par une force européenne, à l'appui de celle de l'ONUCI ? Il est trop facile, pour des agitateurs, de qualifier les forces françaises de forces d'occupation néocoloniales. Des forces européennes seraient probablement moins victimes de ce type d'interprétation.

Nous devons aussi envisager l'avenir de la politique africaine du Gouvernement. Les accords de défense sont-ils encore des outils adaptés ? Ne sont-ils pas des outils d'un autre siècle qui ne contribuent plus à consolider nos relations avec les Africains ? Le Parlement devrait, selon nous, se saisir de cette question.

Pour terminer, j'en reviens à l'ONU.

La déclaration du Conseil de sécurité de dimanche dernier a réaffirmé le soutien de la Communauté internationale à l'action de la France et à celle de l'ONUCI. Il reste à adopter une résolution de l'ONU apportant des précisions sur les moyens de réussir le désarmement et l'embargo général sur les armements, sur le respect des droits de l'homme par toutes les parties en présence et, enfin, - vous l'avez dit hier, monsieur le ministre, et cela nous paraît très important - sur les sanctions internationales encourues par toutes les parties qui violent le droit et les accords internationaux, toutes les parties qui, masquées ou non, commettent des crimes contre l'humanité.

La France joue un rôle important. Monsieur le ministre, nous souhaitons qu'elle continue à le jouer, mais nous pensons que plus des forces internationales agiront, plus nous serons efficaces. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Vinçon.

M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais, au nom de mon groupe, adresser mes premiers mots à la mémoire de nos neuf soldats morts pour la paix, à leurs familles, à leurs camarades blessés et à l'ensemble de nos militaires déployés en ce moment en Côte-d'Ivoire. Au nom de chacun d'entre nous, je souhaite exprimer notre émotion sincère et notre totale solidarité.

Je pense aussi à nos compatriotes vivant et travaillant en Côte-d'Ivoire et qui sont aujourd'hui l'objet de menaces ou de violences inacceptables. Nous partageons ici leur angoisse, en étant convaincus, monsieur le ministre, que tout est mis en oeuvre pour assurer leur nécessaire protection et leur retour, s'ils le souhaitent. Je veux remercier et saluer l'ensemble de nos diplomates, leurs collaborateurs et les bénévoles qui, à Paris ou à Abidjan, facilitent cette sécurisation. (M. Robert Del Picchia applaudit.)

Comment en est-on arrivé là ?

A partir de 2002, pour mettre un terme à l'enchaînement des violences qui affectaient la Côte-d'Ivoire, la France a choisi de promouvoir une solution politique, seule à même d'éviter à ce pays la guerre civile et à la région une déstabilisation certaine. Sans l'intervention courageuse de notre pays, où en serait, aujourd'hui, la Côte-d'Ivoire ? Et où en serait le pouvoir légitime ivoirien ?

L'amorce d'une réconciliation, le désarmement, le partage des responsabilités et le lancement d'un processus de réformes législatives et constitutionnelles ont été au coeur de la démarche lancée à Marcoussis et confirmée ensuite par les accords d'Accra signés par le président Gbagbo. Cette démarche a été validée par les Nations unies, puis par l'Union africaine elle-même.

Toutefois, pour réussir, cette logique de réconciliation supposait, de la part des différentes parties ivoiriennes, un sens des responsabilités et de l'intérêt national, ainsi que le souci de la stabilité régionale. Hélas ! force est de constater que cette attente a été déçue. Les engagements non tenus, le double langage et l'intimidation ont peu à peu réduit à presque rien les fragiles et laborieux acquis de plusieurs mois de négociations conduites conformément aux recommandations de la communauté internationale.

Il n'est pourtant d'autres solutions, aujourd'hui comme hier, que celles du dialogue et d'un processus politique loyalement appliqué et scrupuleusement respecté.

C'est pour permettre ce dialogue que l'ONU a envoyé 6 000 soldats sous casques bleus provenant, pour la plupart, de contingents de pays africains ; c'est pour cette paix nécessaire que la France a envoyé sur place, en soutien des forces de l'ONU, près de 4 000 hommes dont, depuis deux ans, 17 ont payé cette mission de leur vie.

C'est aussi pour cette raison que le Conseil de sécurité des Nations unies travaille sur une résolution qui a pour objet non seulement d'inciter à une reprise rapide du processus politique, mais aussi de dissuader ceux qui tenteraient, une fois de plus, d'y faire obstacle.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui est en débat aujourd'hui, ce que mettent en cause les violences actuelles en Côte-d'Ivoire, c'est, au-delà même de ce pays et plus largement, les chances de voir le continent africain sortir du cercle des crises régionales et des guerres civiles qui le meurtrissent et le ruinent.

Cette logique pernicieuse et contagieuse de la violence est notamment à l'oeuvre au Soudan, dans la région des Grands Lacs, en République démocratique du Congo ou encore dans la Corne de l'Afrique.

Dans ce contexte, qui prête souvent au pessimisme, il est essentiel de tout faire pour préserver la stabilité là où elle peut encore l'être, pour peu que chacun prenne ses responsabilités. Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, c'est ce que s'efforce de faire la France, avec ses partenaires africains et avec le clair soutien de l'Organisation des Nations unies.

C'est cette action que vous menez, monsieur le ministre, sous l'autorité du Président de la République, et à laquelle nous apportons notre soutien solidaire et résolu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est d'abord à nos neuf soldats décédés que vont nos pensées. Le groupe de l'Union centriste s'associe aux marques de compassion adressées à leurs familles, à leurs amis et à leurs compagnons d'armes.

L'action que mène depuis longtemps la France en Côte-d'Ivoire est courageuse et nécessaire.

Courageuse, parce qu'il n'est jamais facile d'essayer d'apporter à un pays ami tout à la fois des conseils et un soutien humain, tant militaire que civil, afin de l'aider à résoudre des problèmes qui ne sont pas forcément les nôtres et qui ne sont pas perçus, de notre part, comme ils sont vécus sur place. Par conséquent, la politique menée depuis longtemps en la matière me semble extrêmement courageuse. Quelles que soient les difficultés actuelles, il ne faut pas oublier que la Côte-d'Ivoire et les Ivoiriens sont nos amis et qu'ils ont besoin de nous.

Il y a naturellement deux temps dans l'action que mène aujourd'hui la France : l'immédiat et la préparation d'un avenir meilleur.

L'immédiat, c'est garantir la sécurité à l'ensemble des ressortissants de la communauté internationale qui vivent en Côte-d'Ivoire, et notamment à nos ressortissants. Pour en connaître quelquesuns, je peux dire que nombre de Français ont envie de rester en Côte-d'Ivoire. Ils y ont construit leur vie : c'est aujourd'hui leur pays, même si la France reste leur patrie. Nous devons donc faire tout notre possible pour leur permettre à nouveau de vivre en sécurité dans ce pays où ils ont choisi de construire leur vie familiale et leur bonheur.

L'immédiat, c'est également accueillir le mieux possible les 1 350 Français qui, aujourd'hui même, souhaitant retrouver la métropole, vont revenir chez eux, et tous ceux qui suivront. C'est un devoir sacré.

Au-delà de l'urgence qui doit guider notre action, il faut aussi préparer l'avenir de la Côte-d'Ivoire.

A cet égard, nous devons d'abord dire à nos amis ivoiriens que c'est eux qui construiront leur avenir, qu'ils doivent se mobiliser pour dépasser leurs querelles et construire la paix qu'ils souhaitent.

La Côte-d'Ivoire est un beau pays, qui a de magnifiques atouts. Nous devons le rappeler aux Ivoiriennes et aux Ivoiriens, et c'est une tâche immense. Ils doivent comprendre que ce sont eux qui, demain, construiront, ou non, un pays où il fait bon vivre.

Le rôle de la France est très difficile, en raison de ses responsabilités historiques. Aujourd'hui, la France n'agit pas seule ; elle intervient dans le cadre d'un mandat de l'ONU, avec l'ensemble des Etats africains qui essayent de construire les conditions de la paix.

Les accords de Marcoussis et d'Accra nous paraissent évidents. Nous savons qu'ils sont difficiles à appliquer par les Ivoiriens. Au-delà de la sécurité, qui est effectivement essentielle aujourd'hui, il faut leur faire comprendre qu'ils n'ont rien à craindre de leurs amis des autres pays, notamment de la France, et que nous pouvons, ensemble, les aider à construire la nouvelle Côte-d'Ivoire.

Dans cette optique, le travail du Gouvernement et votre action, monsieur le ministre, méritent le soutien du Parlement Français. En tout cas, vous avez le soutien de notre groupe. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, des événements d'une exceptionnelle gravité déchirent la Côte-d'Ivoire. La France y est directement et gravement impliquée.

Permettez-moi, tout d'abord, d'avoir une pensée pour nos soldats, déployés dans le cadre du mandat de l'ONU, victimes du bombardement déclenché par les forces armées ivoiriennes. Comme nous tous ici, je m'associe à la douleur de leurs familles et je transmets mes voeux de rétablissement à ceux qui ont été blessés lors du bombardement du cantonnement français.

Ma pensée va aussi à nos compatriotes qui vivent dans l'angoisse et la peur face aux manifestations et aux violences xénophobes. Je tiens à exprimer également ma tristesse et ma vive inquiétude face aux affrontements de ces derniers jours qui, d'après le Comité international de la Croix-Rouge, ont fait des centaines de victimes ivoiriennes et des dizaines de morts. Chaque heure qui passe apporte son lot de nouvelles tragiques.

Le sang n'a que trop coulé. Maintenant, il n'est d'autre perspective que d'enrayer une escalade aux conséquences incalculables.

La responsabilité de tous est engagée, pour rendre possible l'arrêt des affrontements et pour dégager une issue politique à la crise. Le gouvernement ivoirien doit prendre toutes les mesures en son pouvoir afin que les appels au calme se traduisent effectivement par une baisse des tensions, pour que la sécurité des étrangers soit assurée.

De leur côté, les autorités françaises ont la responsabilité de ne pas se laisser entraîner dans le cycle de la violence. Il est essentiel, en effet, que la France préserve sa capacité de « facilitateur » de la paix et qu'elle continue d'agir dans un cadre multilatéral. Nous sommes très attentifs, aussi, aux efforts de médiation des gouvernements africains, et tout particulièrement au rôle du président de l'Union africaine, M. Thabo Mbeki. C'est également dans ce sens que doivent se situer les décisions de la communauté internationale à l'ONU. Ces décisions doivent s'imposer à tous.

Nous partageons la conviction qu'il n'y pas d'issue dans la violence à la crise qui secoue la Côte-d'Ivoire. Les éléments premiers d'une solution existent : le compromis des accords de Marcoussis, confirmés à Accra par le président Laurent Gbagbo, a été accepté en son temps par toutes les parties, le gouvernement ivoirien comme les mouvements rebelles.

Nous le savons, le désarmement des factions, qui devait intervenir le 15 octobre, est resté lettre morte. Seule une partie des modifications législatives prévues par les accords a été adoptée. Il faut engager une mise en oeuvre sincère des engagements pris solennellement pour ce qui concerne tant le désarmement que les réformes politiques. L'objectif doit être le retour à la légalité sur l'ensemble du territoire et la fin de la division du pays résultant du coup d'Etat de septembre 2002, avec, en perspective, la tenue d'élections dans la période à venir.

Plus que jamais, dans cette situation, la présence française et les initiatives que prendra le Gouvernement français doivent s'inscrire dans la volonté de faciliter ce retour à la paix et à l'unité nationale ivoirienne.

Or la France est elle-même prise dans l'engrenage de la violence. On ne peut ignorer qu'elle est maintenant regardée avec méfiance, et sa présence est parfois présentée et perçue comme marquée par l'héritage colonial.

C'est dire s'il est urgent de redéfinir le sens, la mission de la présence française, notamment militaire. Nous pensons qu'il faudrait envisager, dans le cadre du mandat de l'ONU, la recomposition de la force internationale, dans le sens d'un plus grand « multilatéralisme », en relation avec les organisations africaines comme la CEDEAO et l'Union africaine, sur la base d'un mandat clair des Nations unies. L'objectif est évidemment de déboucher le plus rapidement possible sur une solution politique et sur le désarmement, permettant la pleine souveraineté du peuple ivoirien sur son devenir et le retrait de toutes les forces étrangères.

Pour terminer, j'ajoute, si vous me le permettez, monsieur le ministre, que le débat d'aujourd'hui, poussé par une actualité dramatique, devrait trouver son prolongement dans une réflexion associant la représentation nationale, sur la politique de la France envers et avec l'Afrique, ce continent auquel tant de liens nous rattachent.

Monsieur le ministre, je comprends très bien que vous nous quittiez d'un moment à l'autre. Pour autant, sur l'ensemble de ces points, pourriez-vous nous dire quelles initiatives compte prendre la France ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 60 et distribuée.

Mes chers collègues, avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq, sous la présidence de Mme Michèle André.)