compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

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Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés
Discussion générale (suite)

Reconnaissance de la nation en faveur des français rapatriés

Discussion d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés (n° 356, 2003-2004, n° 104).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Hamlaoui Mékachéra, ministre délégué aux anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un an, quasiment jour pour jour, nous étions déjà réunis dans cet hémicycle pour débattre de la situation et des attentes de nos compatriotes rapatriés. Aujourd'hui, après vous avoir écoutés, après avoir entendu les associations, après être allé au contact des uns et des autres sur le terrain, le Gouvernement vous invite à légiférer.

C'est la concrétisation d'une volonté politique forte, conforme aux engagements du Président de la République. C'est la traduction tangible du respect de la nation pour tant de souffrances, tant de fidélité, tant de dignité. C'est l'aboutissement d'un processus de concertation intense. C'est la suite des mesures, déjà considérables, prises sans attendre depuis trente mois. C'est, nous le voulons, nous le pensons, la voie du réconfort, de l'apaisement, de l'espoir.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis trente mois, le Gouvernement a renoué avec une politique ambitieuse pour tous les rapatriés.

D'emblée, nous avons mis en place les moyens de l'action et du dialogue avec la création de la mission interministérielle aux rapatriés placée auprès du Premier ministre, la mise en place d'un Haut Conseil aux rapatriés pour réfléchir à la question et formuler des propositions, le rapport du député Diefenbacher pour faire l'état des lieux, si je puis m'exprimer ainsi, et, enfin, les débats organisés au Parlement.

D'emblée, des mesures d'urgence ont été mises en oeuvre avec, notamment, la création et l'amélioration régulière de l'allocation de reconnaissance pour tous les harkis.

Sur le plan symbolique, ce fut l'institution de la journée nationale d'hommage aux harkis, le 25 septembre, et de la journée nationale d'hommage aux morts pour la France en Afrique du Nord, le 5 décembre.

Ces décisions, parmi d'autres, illustrent la manière, globale, efficace et volontariste, avec laquelle le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a su répondre aux attentes légitimes des rapatriés.

A l'évidence, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce dispositif d'ensemble, le projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des rapatriés est une pièce que l'on peut considérer comme majeure. En termes symboliques, mais aussi matériels et financiers, il est d'une ampleur incontestable.

Je veux remercier tous ceux qui ont contribué à son élaboration : le Haut conseil, la mission interministérielle, les associations et, bien sûr, les parlementaires.

Je remercie votre rapporteur, M. Alain Gournac, pour le travail constructif que nous avons accompli ensemble. Il trouvera sa concrétisation tout au long de nos débats.

Qu'il me soit permis de saluer également le sénateur Roger Romani. La loi de 1994, dont il est le « père », demeure la référence des harkis et de tous les rapatriés, qui n'oublient pas ce qu'il a fait pour eux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai tout à l'heure à vos questions. A ce stade, je souhaite tracer les grandes perspectives, afin que notre démarche soit pleinement comprise et que chacun puisse y adhérer.

Le texte qui vous est soumis a été adopté par vos collègues députés, le 11 juin dernier. Il a été largement amendé. Comme à l'Assemblée nationale, le Gouvernement sera, bien entendu, très attentif à vos propositions.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rien ne peut être compris, dit ou fait, si l'on ne se remémore pas ces mois tragiques qui marquèrent la séparation entre la France et ses anciens territoires. Les décennies ont passé. Elles n'effacent pas pour autant le cataclysme de cette époque.

Comment oublier la terre algérienne, par exemple, ravagée par huit années de violence extrême, souvent aveugle ? Comment oublier une métropole qui, elle aussi, s'éloignait, accaparée par la reconstruction, le projet européen, la consommation de masse ?

Au coeur de cette rupture, des hommes, des femmes, des enfants, des familles entières ont vu leur destin basculer. Endeuillées, blessées, divisées, arrachées à leurs biens, à leur terre natale, ces familles, de toutes origines, confessions et conditions, n'ont pas reçu, hélas ! l'accueil qu'elles étaient en droit d'attendre de la métropole.

Pour avoir débarqué, moi aussi - pardonnez-moi de personnaliser mes propos - un matin de juillet 1962, sur un quai de Marseille, je sais que ces moments ne peuvent s'oublier, qu'ils marquent définitivement une vie.

Pourtant, aucun n'a manqué à sa patrie, à la France. Leur fidélité est intacte et indéfectible.

Ces temps de souffrances, les conditions de cette séparation ne sauraient occulter des décennies de présence française outre-mer. Au nom de la République, une oeuvre impressionnante, impérissable, a été accomplie.

L'article 1er de ce texte rend un hommage mérité aux hommes, aux femmes, souvent modestes, qui ont travaillé sans relâche pour valoriser ces terres et apporter le progrès.

Pour reconnaître l'oeuvre accomplie, en Indochine, en Afrique, au Maghreb et ailleurs, pour rééquilibrer une vision historique trop souvent déformée, le Mémorial national de l'outre-mer, à Marseille, sera également un point d'appui essentiel. Je veux saluer l'action de l'un des vôtres, M. Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, qui a lancé ce projet et qui le suit avec vigilance. A la demande du Premier ministre, l'Etat s'implique fortement dans ce projet qui sera inauguré en 2006.

Toujours dans le domaine de la mémoire, et afin d'aider à la sérénité des débats, le Gouvernement a décidé de créer une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.

Annoncée par le Premier ministre, le 5 décembre 2003, cette fondation a été inscrite dans le projet de loi, par l'Assemblée nationale. De fait, elle aura un rôle central. Elle devra devenir le lieu de l'étude et de la recherche.

Je suis en mesure de vous annoncer que le Premier ministre vient de confier au préfet honoraire Benmebarek la conduite de la mission de préfiguration de cette fondation. Il devra rendre son rapport à la fin du premier semestre 2005.

La fondation offrira donc un cadre scientifique et sérieux, reconnu par tous. C'est l'une des conditions de l'apaisement des esprits et des coeurs que nous appelons tous de nos voeux.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'en arrive aux dispositions relatives à la réparation. Elles représentent un effort budgétaire pour le moins important : près d'un milliard d'euros, dont 660 millions pour les mesures en faveur des harkis.

Je n'ai pas besoin d'expliquer, ici, ce qui justifie notre attention pour les harkis. Chacun connaît la tragédie qu'ils ont vécue ; chacun connaît leur fidélité à la France ; chacun connaît leurs besoins.

L'article 2 du projet de loi améliore très fortement l'allocation de reconnaissance qui, déjà, était un progrès considérable par rapport à la rente viagère dont ont bénéficié ceux qui étaient en dessous du seuil de pauvreté. Instituée dès le 1er janvier 2003 par le Gouvernement, l'allocation de reconnaissance est en effet versée à l'ensemble des 11 200 harkis et de leurs veuves. Elle a déjà été augmentée de 30 % au 1er janvier 2004.

Les harkis pourront choisir entre l'allocation portée à 2 800 euros dès le 1er janvier 2005, un capital de 30 000 euros, et, sur l'initiative des députés, le cumul d'un capital de 20 000 euros et de l'allocation à son niveau actuel.

Toujours pour les harkis, le projet de loi prolonge, jusqu'en 2009, les effets de la loi Romani en matière de logement. Il s'agit notamment d'une prime d'accession à la propriété pour ceux qui ne sont pas propriétaires de leur résidence principale. Sont aussi prolongées l'aide à l'amélioration de l'habitat et l'aide exceptionnelle de résorption du surendettement immobilier.

Ce dispositif s'est avéré efficace. Il répond à une aspiration, légitime, de s'enraciner en France et, le moment venu, de pouvoir transmettre un patrimoine. Il est parachevé.

Par ailleurs, le projet de loi crée un système dérogatoire pour les harkis, ou leurs veuves, qui n'ont pas acquis la nationalité française avant 1973, date limite prévue par les lois de 1987 et 1994. Pour eux, la date limite sera portée au 1er janvier 1995.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que beaucoup d'entre vous se préoccupent de la situation des enfants de harkis et des rapatriés en général. Le Gouvernement est conscient de leurs attentes. C'est pourquoi il n'est pas resté inactif.

Il y a déjà plusieurs mois, nous avons lancé une démarche volontariste d'accompagnement renforcé vers l'emploi et la formation professionnelle. Nous avons sollicité aussi bien les préfectures pour le recensement des besoins que les grands employeurs publics pour trouver des débouchés.

Cette action ne relève pas de la loi. Pour autant, elle constitue une réelle priorité. Les premiers résultats sont très positifs : près de 40 % des enfants issus de familles harkies ont trouvé ou retrouvé des perspectives professionnelles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite dire avec force que, pour les enfants de harkis, l'avenir ne passe pas par l'assistanat et chacun d'eux le refuse avec force. Il ne passe pas non plus, je pèse mes mots, par un repli communautariste. Toute tentation identitaire ne ferait que perpétuer les souffrances et qu'obérer l'avenir. Je leur fais une grande confiance pour préférer l'intégration républicaine à toute autre aventure.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'article 5 du projet de loi doit permettre de mettre fin aux iniquités issues de l'application des précédentes lois d'indemnisation des rapatriés d'Algérie, du Maroc et de Tunisie.

Aux termes de la loi de 1986, par ailleurs très positive, certains ont bénéficié des mesures d'effacement des dettes de réinstallation. D'autres ont vu leur indemnisation réduite du remboursement anticipé du montant de ces mêmes prêts, par l'effet de l'article 46 de la loi de 1970 et de la loi de 1978.

Il nous semble normal de faire droit à une demande d'équité, présentée avec constance par les associations de rapatriés depuis 1995. Ainsi, 90 000 rapatriés et ayants droit bénéficieront de cette mesure. Son application sera échelonnée sur plusieurs années, en tenant compte de l'âge des bénéficiaires, pour un coût global d'environ 311 millions d'euros.

Enfin, l'article 6 règle la situation d'une centaine de personnes, de nationalité française, ayant dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d'Algérie. Amnistiées, ces personnes, désormais âgées, ne disposent souvent que de faibles moyens d'existence.

Tel est l'essentiel du contenu de ce projet de loi, sur lequel votre rapporteur reviendra plus en détail.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de conclure, je tiens à évoquer brièvement la situation de nos compatriotes qui viennent de quitter brutalement la Côte d'Ivoire. Les situations historiques sont, évidemment, bien différentes. Toutefois, pour beaucoup, les difficultés à l'arrivée en métropole relèvent de la même problématique.

Le Président de la République vient de signer le décret qui étend à nos compatriotes le bénéfice de dispositifs prévus par la loi du 26 décembre 1961. Le Gouvernement a, d'ores et déjà, prévu une enveloppe de 5 millions d'euros à ce titre. Avec l'aide des élus et d'une administration efficace, à laquelle je rends hommage devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les Français rentrés de Côte d'Ivoire pourront s'installer le plus rapidement possible sur le territoire.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais maintenant écouter avec la plus grande attention vos interventions. Je ne doute pas qu'elles témoigneront de la considération que porte le Sénat aux rapatriés et aux harkis en particulier.

Pour le Gouvernement, pour moi, c'est un honneur, de soumettre à votre approbation des mesures qui, sur le plan symbolique, matériel, humain, sont à la hauteur de l'image qu'ils se font, que nous nous faisons de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Gournac, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1962, l'indépendance de l'Algérie ramenait vers le territoire métropolitain, dans des conditions souvent précaires et toujours dramatiques, près d'un million de rapatriés, dont plusieurs dizaines de milliers de harkis. Quarante-deux ans plus tard, le souvenir de ces événements est resté très présent dans les mémoires et les plaies ouvertes à l'époque ne sont pas encore refermées.

Depuis 2002, le Président de la République et le Gouvernement ont beaucoup oeuvré en faveur d'une meilleure reconnaissance du drame vécu par nos compatriotes venus d'Afrique du Nord.

Je rappelle, notamment, la décision du Chef de l'Etat de faire du 5 décembre la journée annuelle d'hommage aux combattants morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de Tunisie. Je pense également à la décision du Gouvernement de s'associer au projet, lancé par notre collègue Jean-Claude Gaudin, de créer, à Marseille, un Mémorial national de l'outre-mer. Ce mémorial présentera de manière vivante l'oeuvre de la France dans ses anciennes possessions coloniales et favorisera la recherche et le travail de mémoire.

Le même souci a conduit le Gouvernement à présenter au Parlement un projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Ce texte, qui a été adopté par l'Assemblée nationale en juin dernier, a deux objectifs principaux : un objectif moral, celui de témoigner aux rapatriés la reconnaissance de la nation pour l'oeuvre qu'ils ont accomplie dans les anciennes possessions françaises d'outre-mer, et un objectif financier, celui de corriger certaines situations inéquitables résultant des différentes lois d'indemnisation qui se sont succédé.

Je rappelle, en effet, que trois lois d'indemnisation ont déjà été votées au bénéfice des rapatriés d'origine européenne, en 1970, 1978 et 1987. En outre, plusieurs textes ont eu spécifiquement pour objet l'indemnisation des harkis, notamment en 1987, 1994 et 2002.

Les articles 2 et 3 du présent projet de loi concernent précisément nos amis les harkis.

L'article 2 revalorise l'allocation de reconnaissance instituée à leur profit en 1999. Son montant est porté de 1 830 à 2 800 euros par an. Il permet surtout à ses bénéficiaires d'opter soit pour la poursuite du versement de l'allocation, soit pour le versement d'un capital de 30 000 euros, formule intéressante pour celui qui souhaite réaliser un investissement ou effectuer une grosse dépense, soit enfin pour une formule mixte associant rente et capital. Cette mesure intéresse environ 11 000 personnes et pourrait coûter jusqu'à 770 millions d'euros, dans l'hypothèse où tous les bénéficiaires choisiraient l'option la plus coûteuse, c'est-à-dire la poursuite du versement de l'allocation à son nouveau taux majoré.

L'article 3 est relatif aux aides au logement dont peuvent bénéficier les harkis en vertu d'une loi de 1994, qui a fixé au 31 décembre 2004 la date limite de dépôt des dossiers de demande d'aide au logement. Il vise à prolonger ce délai jusqu'au 31 décembre 2009. Ainsi, les harkis ayant négligé, par méconnaissance des textes, de demander ces aides disposeront de cinq années supplémentaires pour le faire.

L'Assemblée nationale a souhaité assouplir encore ce dispositif en permettant qu'ils perçoivent également les aides au logement s'ils acquièrent un logement en indivision avec leurs enfants et l'habitent ensemble ; il s'agit d'assurer l'accueil des parents.

L'article 4 prévoit d'autoriser le ministre en charge des rapatriés à accorder, de manière dérogatoire, le bénéfice de l'allocation de reconnaissance et des aides au logement à des harkis qui ne rempliraient pas les conditions normalement requises. Ces conditions tiennent à la date d'acquisition de la nationalité française et à la durée de résidence sur le territoire national.

En effet, il se trouve qu'un petit nombre d'entre eux n'ont pas accompli, à leur arrivée en France, les formalités de demande de reconnaissance de nationalité française, souvent par ignorance des règles applicables. Aujourd'hui, pour ce motif, ils ne sont pas éligibles aux aides auxquelles ils pourraient légitimement prétendre.

Le texte vise à corriger cette injustice : le ministre pourra, en examinant les dossiers au cas par cas, accorder le bénéfice des aides aux harkis résidant en France ou dans la Communauté européenne depuis le 10 janvier 1973 et ayant acquis la nationalité française avant le 1er janvier 1995.

L'article 5 du projet de loi concerne l'indemnisation des rapatriés d'origine européenne.

Lors de leur arrivée en métropole, les rapatriés qui ont souhaité exercer des activités non salariées ont bénéficié de prêts à la réinstallation accordés par l'Etat. Or, lorsque la loi de 1970, puis celle de 1978 leur ont octroyé une indemnisation pour compenser la perte de leurs biens abandonnés en Algérie, l'Etat a déduit d'autorité du montant de ces indemnités les remboursements dus au titre de ces emprunts.

En pratique, ces rapatriés ont donc perçu des indemnités réduites, voire pas d'indemnité du tout. Cette mesure, qui pouvait se justifier à l'époque, paraît aujourd'hui franchement inéquitable du fait des mesures d'effacement de dettes intervenues à partir de 1982.

A compter de cette date, en effet, l'Etat a accordé des allégements ou des effacements de dettes aux rapatriés en difficulté financière. Ainsi certains rapatriés ont-ils bénéficié d'un effacement intégral de leurs dettes, tandis que d'autres avaient entièrement remboursé leurs emprunts, par prélèvement automatique sur le montant de leurs indemnisations. Cette situation inéquitable a fait naître beaucoup d'amertume chez les rapatriés.

L'article 5 a pour objet de porter remède à cette situation : il prévoit que les sommes ainsi prélevées sur les indemnisations versées en 1970 et 1978 leur seront restituées. Cette mesure devrait concerner 90 000 personnes, pour un coût global estimé à 310 millions d'euros.

L'article 6, enfin, vise à indemniser, sur une base forfaitaire, les citoyens français qui se sont exilés dans les années soixante pour échapper à une condamnation en relation avec les événements d'Algérie et qui n'ont été amnistiés, pour certains, qu'en 1968. En effet, l'exil les a empêchés de cotiser à un régime de retraite et donc, d'acquérir des droits à pension pendant cette période. L'indemnisation prévue vient donc compenser le préjudice subi et devrait profiter à un nombre réduit de personnes, compris entre soixante et quatre-vingt, pour un coût évalué à 800 000 euros.

Au projet de loi initial, tel que je viens de le présenter, l'Assemblée nationale a ajouté plusieurs articles additionnels, lors de l'examen du texte en première lecture.

Dans le domaine de la mémoire, elle a souhaité associer les populations civiles victimes de la guerre d'Algérie à l'hommage rendu le 5 décembre 2002 aux combattants morts en Afrique du Nord et a décidé la création d'une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

Dans le domaine de l'enseignement, l'Assemblée nationale a adopté un article tendant à reconnaître une place plus importante à l'histoire de la France d'outre-mer dans les programmes scolaires et les recherches universitaires, de manière à présenter cette histoire de manière plus équilibrée.

Pour mieux protéger l'honneur des harkis, elle a, en outre, souhaité interdire les allégations injurieuses portées à leur endroit et réprimer la négation des crimes commis à leur encontre, en violation des accords d'Evian, après le 19 mars 1962.

Concernant toujours les harkis, un amendement du Gouvernement adopté par l'Assemblée nationale a donné une base légale aux bourses spéciales accordées à leurs enfants, en complément des bourses de l'éducation nationale.

Un autre amendement, enfin, a prévu la réalisation d'un rapport, dans le délai d'un an, afin de faire le point sur la situation sociale des enfants de harkis et recenser leurs besoins en matière d'emploi, de formation et de logement.

Ces articles additionnels, même s'ils ont pour certains une portée juridique limitée et valent surtout par leur intérêt pédagogique, ont incontestablement enrichi le texte.

Etant donné l'ampleur du travail réalisé par l'Assemblée nationale, notre commission a adopté un nombre réduit d'amendements, dont plusieurs visent principalement à améliorer la qualité juridique du texte.

Mes chers collègues, même si j'ai conscience qu'aucune loi d'indemnisation ne compensera entièrement le préjudice subi par les rapatriés, je forme le voeu que l'adoption du présent projet de loi contribuera à les apaiser et à exprimer la juste reconnaissance de la nation à leur égard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique social européen, 9 minutes.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Bernadette Dupont. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Bernadette Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un grand honneur qui m'est fait d'entamer ce débat général.

Sans entrer dans le détail du projet de loi qui nous est soumis, je voudrais simplement dire qu'il dépasse tout propos partisan ou impudique, tant son objectif est d'apporter, après quarante-deux ans d'une apparente indifférence et de lois inabouties, une solution et, surtout, je l'espère, un apaisement à une tragédie, à un drame qui a touché plus d'un million de nos concitoyens.

Je formule, profondément, le voeu que notre débat soit à la hauteur du respect que nous devons à ces hommes et à ces femmes, jeunes et moins jeunes, aux enfants d'alors, blessés dans leur coeur et, pour beaucoup, dans leur chair. Je voudrais ici me souvenir de ces enfants, mineurs pour certains, qui sont rentrés an France en tant que « pupilles de la nation », leur père civil étant « mort en service commandé ».

On peut d'ailleurs se demander si la mention « mort pour la France » n'aurait pu être accordée, aux termes de l'article L. 488 de la loi n° 55-358 du 3 avril 1955, à « toute personne décédée à la suite d'actes de violence constituant une suite directe de fait de guerre ».

Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui sera donc moins une réponse technique, financière ou matérielle - si nécessaire soit-elle, même si elle ne correspond jamais à la réparation des biens spoliés, et quels que soient les efforts que nous puissions faire - que la reconnaissance officielle des souffrances et préjudices subis par nos concitoyens, de toutes origines, européennes ou nord-africaines et de toutes confessions vivant sur la terre d'Algérie qui était la leur, en laquelle ils croyaient et au développement de laquelle ils oeuvraient au nom de la France ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Qu'en termes élégants et justes, ces choses-là sont dites !

La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. « La nation rend solennellement hommage aux combattants "morts pour la France" pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. Après le temps de la douleur, viennent celui de la réparation et de la reconnaissance, puis celui de l'apaisement et de la réconciliation. »

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces phrases fortes témoignent d'un engagement profond et sincère dans la résolution des conséquences liées au rapatriement en France de communautés des territoires d'outre-mer. Mais elles font bien plus que la lier à la personne qui les a prononcées : elles engagent la France. Ainsi, M. le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, dans sa déclaration du 5 décembre dernier - discours tenu lors de la Journée nationale d'hommage aux "morts pour la France" de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie -, a-t-il tracé le chemin qui doit nous conduire vers la reconnaissance demandée, vers l'indemnisation attendue, vers la réconciliation espérée.

Le groupe de l'UC-UDF souscrit pleinement à cette prise de position, et souhaite qu'elle soit respectée.

Replaçons-nous dans le contexte historique de ces événements tragiques. Le peuple d'Algérie s'est trouvé, pendant huit ans, écartelé entre la réalité violente de ce qu'on nommait pudiquement les « événements », et la confiance qu'il accordait aux dirigeants de la France. Comment aurait-il pu, au reste, douter de la parole des responsables politiques qui affirmaient en 1954 que « l'Algérie c'est la France » et en 1958 à Alger : « La France, de Dunkerque à Tamanrasset » !

Nul n'imaginait, que, quatre ans plus tard, beaucoup de sang aurait coulé et que l'épilogue se jouerait dans la douleur et le renoncement ....

Des générations de femmes et d'hommes avaient choisi de construire leur avenir outre-mer, pensant ainsi contribuer au développement de ces territoires et au rayonnement de la France.

Quarante-deux ans après l'arrachement de ces communautés à leurs terres natales, les attentes, notamment dans le domaine de la mémoire et du rétablissement de la vérité historique, sont toujours d'actualité.

Les communautés rapatriées attendent, plus que jamais, un geste fort, un geste symbolique du Parlement et de l'Etat, qui ne peut trouver sa traduction que dans la réalité de la reconnaissance du drame vécu par l'ensemble des rapatriés, pieds-noirs et harkis, en particulier, de l'oeuvre que ceux-ci ont accomplie et des responsabilités qui sont à l'origine des crimes commis à leur égard.

Les accords d'Evian devaient apporter la paix ; ils apportèrent aussi la souffrance et le déchirement.

Les exactions commises au moment de l'indépendance de l'Algérie ont touché les femmes, les enfants, les vieillards, fussent-ils anciens combattants des deux grandes guerres, ainsi que les hommes qui, en Algérie, ont cru de leur devoir de porter l'uniforme et les armes de la France. Les harkis et leurs familles, plus que tout autres, ont été frappés par cette tragédie !

Le 25 septembre 2001, en parlant des massacres de 1962, le Président de la République n'a-t-il pas déclaré : «  La France, en quittant le sol algérien, n'a pas su les empêcher. Elle n'a pas su sauver ses enfants. »

Ce projet de loi, dont la volonté affichée est de « parachever » les efforts de la nation envers nos compatriotes, afin d'atténuer les souffrances endurées et les sacrifices subis, n'atteindra son objectif que si les représentants du peuple vont au-delà des propositions gouvernementales.

Certes, les avancées sont importantes, mais l'on doit aller plus loin encore. Le devoir de mémoire doit être, comme l'a déclaré le Président de la République, dans le même discours du 25 septembre 2001, un « devoir de vérité et de reconnaissance » qui « est une obligation impérieuse, une dette d'honneur ».

Le Président de la République ajoute : « Notre premier devoir, c'est la vérité. Les anciens des forces supplétives, les harkis et leurs familles, ont été les victimes d'une terrible tragédie. Les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte irréparable de la barbarie. Ils doivent être reconnus ».

Cette réparation doit aussi englober les conditions d'accueil des survivants et leur relégation, avec leurs familles, dans des camps pendant plusieurs années. Toujours en 2001, le Président de la République indiquait : « Les difficultés de l'accueil initial, marqué par le confinement dans des camps ou le regroupement dans des quartiers isolés, ont conduit à des situations de précarité et parfois d'extrême détresse. Les conséquences en sont encore visibles aujourd'hui. »

Le présent projet de loi, même après l'adoption d'amendements importants par l'Assemblée nationale, n'est pas de nature à satisfaire encore tout à fait les attentes essentielles des rapatriés.

Certes, des modifications positives ont été apportées au projet de loi initial.

C'est ainsi qu'il interdit et sanctionne désormais toute atteinte à l'honneur des harkis et tout révisionnisme ou négationnisme de leur histoire.

Par ailleurs, un troisième choix est possible pour l'allocation accordée aux anciens supplétifs et les indemnités en capital deviennent insaisissables.

Une fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie est créée.

Enfin, ce projet de loi nous engage dans la voie d'une meilleure prise en compte de l'histoire de la période française en Afrique du Nord, et des harkis en Algérie, dans l'enseignement et les programmes de recherche universitaire.

Toutefois, le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale se situe toujours dans la logique initiale suivie par le Gouvernement : ce n'est pas la reconnaissance complète de la responsabilité de l'Etat dans la non-protection de ses ressortissants ; ce n'est pas la totale reconnaissance du droit à réparation pour les victimes ou leurs ayants droit, ainsi que du préjudice spécifique subi par les enfants de harkis exilés et relégués, avec leurs familles, dans des camps, pendant de longues années.

Je ferai quelques remarques.

S'il est douloureux d'être coupé de ses racines, il l'est encore plus de ne pouvoir se recueillir sur la tombe de ses parents. L'Etat devrait donc aider au retour, sur le sol de France, des corps des parents des rapatriés qui le souhaitent.

Il est également difficilement concevable d'affirmer que les difficultés budgétaires actuelles de la France ne lui permettent pas de réaliser l'effort d'indemnisation de grande ampleur qui lui incombe.

En effet, malgré le contexte budgétaire, la réparation d'un préjudice ne saurait être liée aux revenus de celui qui l'a causé, sinon certaines victimes ne seraient jamais indemnisées.

En étudiant ce nouveau projet de loi sur les rapatriés, j'ai le sentiment que l'Etat français laisse au temps le soin d'effacer ses problèmes.

Est-il, en effet, concevable d'attendre que cette génération disparaisse pour enfin résoudre les questions inhérentes aux indemnisations totales des communautés rapatriées ?

Compte tenu des grandes difficultés de fonctionnement de la Commission nationale de désendettement, qui n'aura traité qu'une cinquantaine de cas en cinq ans, il apparaît indispensable de simplifier les textes existants, notamment le décret du 4 juin 1999, régissant son fonctionnement.

Je souhaite également que nous portions un regard particulier aux pupilles de la nation dont les parents ont été tués du fait de la guerre.

Ces derniers, en effet, se trouvent exclus du bénéfice des lois de réinstallation, notamment de celle du 30 décembre 1986, qui efface aux rapatriés leurs prêts de réinstallation au motif que leurs parents, décédés lors des événements, ne font pas partie de la catégorie des rapatriés. A ma connaissance, le nombre de pupilles concernés par cette mesure n'excéderait pas une trentaine de cas.

Il me semble primordial, d'un point de vue moral, de réparer cette injustice en leur accordant aujourd'hui ces mêmes droits.

Cet avis, je le sais, est partagé. Vous-même, monsieur le président, vous avez, dès 1992, reconnu le bien-fondé d'une telle mesure lors d'une intervention auprès du secrétaire d'Etat aux anciens combattants de l'époque, le 17 novembre 1992.

Enfin, je souhaite attirer votre attention sur la longue liste des personnes disparues en Algérie depuis 1962. Plus de 3 000 noms y figurent pour cette seule année, à comparer aux 1 500 personnes disparues sous le régime du général Pinochet, au Chili.

M. Guy Fischer. Quelle comparaison !

Mme Muguette Dini. Je demande donc qu'une commission d'enquête soit créée, pour apporter des réponses aux questions que se posent les familles, toujours en deuil.

Ce nouveau projet de loi, portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a le mérite de nous être proposé.

Vous annoncez, monsieur le ministre, que cette loi parachèvera l'édifice législatif bâti depuis quarante ans.

Le groupe de l'UC-UDF, qui a toujours été attentif aux problèmes de nos compatriotes rapatriés, est convaincu que nous serons amenés à compléter les dispositions adoptées aujourd'hui, qu'il s'agisse de la responsabilité et de son corollaire, l'indemnisation, ou de dispositifs plus larges, à l'intention de la deuxième génération, qui a tant de mal à s'insérer.

Cette loi ne remplit donc pas totalement sa fonction originelle, à savoir mettre un point final à ce douloureux problème qui dure depuis quarante ans.

Le groupe de l'UC-UDF fera des propositions pour que ces dispositions soient complétées. Nous avons toujours soutenu les rapatriés par un engagement fort en faveur de leur indemnisation et de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat. Ainsi, en témoignent les actions et positions de M. Santini, lorsqu'il était secrétaire d'Etat aux rapatriés chargé de cette épineuse question, en 1986.

Bien que le débat demeure inachevé, le groupe de l'UC-UDF votera ce projet de loi, qui contient des mesures essentielles, tout en regrettant que des dispositions plus complètes n'aient pas été proposées.

Mes chers collègues, l'Assemblée nationale a amélioré le texte qui nous est soumis aujourd'hui, au-delà des propositions du Gouvernement.

Pour rendre confiance à ces populations et réconcilier la France avec son histoire, il faut désormais des actes forts. Je souhaite donc que nous apportions également notre contribution à l'édification de cette loi pour qu'elle satisfasse, enfin, l'ensemble des rapatriés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc réunis pour examiner le projet de loi portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Au Sénat, le 17 décembre dernier, nous avions un débat sur les rapatriés. Une certaine concorde régnait alors au sein de nos assemblées. Nous étions unanimes, non sur le fait qu'il s'agissait d'une guerre coloniale, bien sûr, mais sur ce que la nation doit aux rapatriés et aux harkis et sur le fait que la France a mis beaucoup de temps à reconnaître les préjudices qu'ils ont subis.

Pour ma part, je soutenais que toutes ces victimes avaient besoin de reconnaissance, de réparation et d'une mémoire réhabilitée. J'appelais - et j'appelle toujours - de mes voeux une indemnisation matérielle et morale légitime qui soit de nature à estomper les traumatismes. C'est pourquoi nous voterons les articles améliorant les conditions d'indemnisation et d'intégration. Il faut en effet mettre fin à toutes les stigmatisations, notamment celles des harkis.

Ainsi, mon groupe et moi-même souhaitons que la France reconnaisse sa responsabilité pleine et entière dans le drame vécu par les populations algériennes, par les harkis et leur famille, entraînés dans une guerre fratricide, abandonnés, les survivants étant recueillis en France dans des conditions désolantes.

L'Assemblée nationale a été saisie, en juin dernier, de ce projet de loi dit de « reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Il était permis d'en attendre un progrès significatif. En effet, les précédentes lois d'indemnisation avaient parfois créé des situations d'injustice entre rapatriés et laissé certains points dans l'oubli. Mon collègue François Liberti a fondé son intervention sur les mêmes attendus que les miens aujourd'hui.

Pour nous, en effet, ce sont les petites gens qui ont eu le plus à souffrir et qui ont été le moins bien indemnisés. Il conviendrait donc de parfaire la reconnaissance à laquelle ils ont droit, de réparer, une fois pour toutes, le préjudice moral et financier qu'ils ont subi. Oui, les pieds-noirs et les harkis ont vécu le drame du déracinement, de la terreur, du rejet de ce qu'ils étaient.

Cette dramatique époque de notre histoire ne peut s'apaiser sans que notre gouvernement et le gouvernement algérien n'acceptent de faire oeuvre de mémoire collective, retrouvée et réhabilitée.

Aujourd'hui, le texte qui nous est proposé est fort décevant par de nombreux aspects. Il n'aborde la question de l'indemnisation que par le biais de dispositions en faveur des bénéficiaires des trois précédentes lois, auxquels on a retenu les annuités d'emprunts de réinstallation. Les principales revendications des associations de rapatriés, telles que l'application d'un coefficient correcteur aux sommes antérieurement liquidées, ne sont pas abordées dans ce texte, qui ne va pas aussi loin que ces associations le souhaitaient.

Il ne constitue donc pas une ultime étape d'indemnisation et nous le regrettons profondément. Ce ne sont pas les modifications marginales proposées par notre rapporteur, M. Alain Gournac, qui modifieront cette situation : sur 1 milliard d'euros, 660 millions d'euros sont consacrés aux harkis.

Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale ont, pour le moins, transformé ce texte dans un sens auquel je ne puis souscrire. Je respecte les idées de chacun, mais ce drame, d'un point de vue politique, a été source de division. Je vous ferai part de notre point de vue.

Je veux parler, notamment, de l'article 1er bis, qui tend à associer « les populations civiles de toutes confessions (...) à l'hommage pour les combattants morts pour la France en Afrique du nord », hommage rendu le 5 décembre.

Permettez-moi de revenir sur le choix de cette date, dénuée à mon sens de toute valeur historique, que j'ai à plusieurs reprises contestée du haut de cette tribune. Je ne comprends pas que l'on ajoute l'amalgame à la fausseté, en mêlant les combattants et les populations victimes, la reconnaissance de la nation et les exactions, accentuant de ce fait le caractère « fourre-tout » de cette commémoration et en éliminant au passage la mémoire de la guerre d'Algérie.

Par ailleurs, il nous revient un article 1er quater, qui impose d'intégrer l'histoire de la présence française en outre-mer dans les programmes scolaires, ainsi que dans les programmes de recherche universitaire. J'avoue avoir été profondément choqué par l'emploi des termes néocolonialistes et révisionnistes à l'Assemblée nationale, qui a adopté cet article inacceptable. Je fais allusion au débat, légitime, qui a eu lieu entre les parlementaires de différentes tendances, chacun faisant vivre sa vérité historique, comme je fais vivre la mienne.

Le comble, enfin, réside dans l'article 6, qui permet de procéder à l'indemnisation des personnes qui ont dû cesser leur activité professionnelle à la suite de condamnations liées aux événements d'Algérie ! Il ne s'agit rien moins que de finir de réhabiliter des activistes d'extrême droite, des tortionnaires, qui avaient fui à l'étranger avant d'être amnistiés ! Voir cela après m'être battu pour la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, je me crois revenu quarante ans en arrière. Je considère que c'est indigne de notre nation !

Ainsi, ce texte, qui aurait dû être une dernière loi d'indemnisation de victimes de guerre - c'était déjà l'objet de la loi défendue en son temps par M. Romani, mais qui n'a pas atteint son objectif final - est devenu un cheval de Troie banalisant les guerres coloniales, un hymne à la présence prétendument civilisatrice de la France en Afrique.

M. Josselin de Rohan. Vous avez du culot ! Nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Alain Gournac, rapporteur. C'est incroyable !

M. Guy Fischer. Monsieur de Rohan, j'ai beaucoup de respect pour vous. Je l'avais dit en préliminaire à cette discussion. Aujourd'hui, si nous voulions étendre le débat à la situation de l'Afrique en général, nous le pourrions. Mais il s'agirait alors d'un tout autre débat, je le conçois, et il y aurait beaucoup à dire. Vous me connaissez, j'ai modéré mes propos.

M. Josselin de Rohan. Qu'est-ce que cela aurait été ?

M. Alain Gournac, rapporteur. Restons dignes !

M. Guy Fischer. Tout à fait !

Pourtant, a contrario, je pense qu'il reste beaucoup de travail à faire pour procéder à une véritable réhabilitation des harkis et des rapatriés. Il est un cas exemplaire dont je souhaite vous faire part. Dans ma commune, j'ai contribué, comme tant d'autres, à améliorer la vie quotidienne des harkis. Je tiens à évoquer un cas récent. Lors d'une de mes permanences de parlementaire, j'ai reçu, ces jours-ci, un harki désespéré, un de ces vieux harkis que l'on appelle parfois « chibani ». M. Ahmed Abdellaoui vit dans un foyer et il ne peut plus payer son loyer. Engagé volontaire dans l'armée française de 1960 à 1962, il part rejoindre sa famille en Algérie à l'issue de son engagement, mais revient très vite en France, car il estime sa vie et sa famille en danger.

En 1965, il demande la nationalité française et, en 1967, il part visiter sa mère malade. Il se voit retirer tous ses papiers, même sa carte d'identité française provisoire, et restera en Algérie, car il a fondé une famille.

Décidé à faire valoir ses droits, il parvient à obtenir un titre de séjour en 2003. Depuis, il se bat, se voit fermer toutes les portes. « Je ne comprends pas, dit-il. J'ai un passé avec la France, et l'on me rejette comme on me rejette en Algérie ! » Cela signifie que le droit à réparation est refusé à une personne qui a combattu pour la France ! Il s'agit bien sûr d'un cas particulier, mais qui devrait pouvoir bénéficier d'un examen bienveillant.

Que dire encore de la libre circulation des anciens harkis en Algérie, douloureuse question que le Président de la République a d'ailleurs soulevée lors de son récent déplacement en Algérie ? Vous reconnaissez, monsieur le ministre, en réponse à l'une de mes questions écrites, que des difficultés subsistent pour l'aborder dans le dialogue politique entre les deux Etats.

Je voudrais encore souligner le double langage du Gouvernement : je rappelle que, dans le cadre des annulations de crédits concernant les anciens combattants et victimes de guerre votés pour 2004, les actions en faveur des rapatriés ont été amputées de 2,5 millions d'euros. J'ai tenu exactement le même langage lorsque nous avons discuté du projet de budget des anciens combattants pour 2005 !

Ainsi, tout en étant favorable à l'exercice plein et entier du droit à réparation envers les personnes rapatriées et harkies, leurs veuves et leurs descendants, tout en comprenant leur désarroi et leurs souffrances, je me vois contraint de voter contre un projet de loi qui ne correspond en rien aux valeurs dans lesquelles je me reconnais lorsqu'il est question de la politique qu'a menée la France. Et croyez bien, monsieur le président, que j'ai essayé de conserver au débat la plus grande dignité possible.

M. le président. La parole est à M. Bernard Seillier.

M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer un projet de loi qui, pour la première fois, s'adresse aussi bien aux rapatriés d'origine européenne qu'aux harkis. Il vise, par la correction des lois antérieures, à leur manifester notre reconnaissance et à amplifier l'effort de solidarité vis-à-vis des harkis.

La communauté nationale n'a pas reconnu à leur juste valeur tous les sacrifices endurés par les harkis, notamment après la signature des accords d'Evian. Les massacres, les actes de torture qui furent alors commis à l'encontre de ces hommes qui avaient servi la France et de leurs familles furent d'une ampleur et d'une cruauté inimaginables. Entre 50 000 et 100 000 personnes y perdirent la vie.

Ces abominations, dont le grand public a pris connaissance assez récemment, auraient sans doute pu être évitées si les pouvoirs publics de l'époque s'en étaient donné les moyens et si certains responsables politiques avaient fait preuve de plus de courage. C'est pourquoi, si la République est aujourd'hui redevable envers les harkis, quoi qu'elle fasse, rien, aucune somme d'argent, aucune aide, aucun mémorial ne sera en mesure de répondre à la douleur engendrée par de tels actes.

Et que dire de celles et de ceux qui, ayant eu la chance d'échapper à ces crimes, se retrouvèrent dans des camps de fortune, parfois pour plusieurs décennies ? Eux-mêmes et leur descendance connurent, une fois arrivés en métropole, discrimination, chômage, précarité, exclusion et eurent souvent le sentiment d'être abandonnés de tous, comme si leur calvaire n'avait pas été déjà suffisamment long. J'ai moi-même pris conscience de ce drame, il y a plus de quarante ans, lorsqu'ils ont été accueillis en Aveyron, sur le camp militaire du Larzac.

Les harkis sont très vite apparus comme des témoins gênants des deux côtés de la Méditerranée. En Algérie, reconnaître l'histoire des peuples supplétifs musulmans conduirait à briser le mythe fondateur du peuple uni contre la colonisation ; en France, le sort fait aux harkis provoque un profond malaise.

C'est leur situation que je souhaite surtout évoquer, et je saisis cette occasion pour dire à Abdelkrim Klesh et à ses amis, qui, depuis le début du mois d'octobre, se relaient nuit et jour devant le Sénat, que la France s'attache à faire en sorte que les blessures des harkis apparaissent enfin au grand jour comme une vérité s'imposant à tous, pour qu'ils retrouvent ainsi leur honneur et leur dignité.

Les gouvernements successifs ont engagé différents processus de réparation qui, encore une fois, ne sont pas à la hauteur des souffrances endurées par ces milliers d'hommes, de femmes et d'enfants.

Pour la première fois en 1987, le gouvernement français a mis en place un régime d'indemnisation pour les harkis. D'autres textes ont suivi en 1994 et en 2002.

Ainsi, la loi de 1994 a mis en place trois aides au logement destinées aux harkis : une aide à l'acquisition de la résidence principale, une aide à l'amélioration de la résidence principale et une aide à la résorption du surendettement résultant d'une opération d'accession à la propriété. Elle a enfin octroyé une aide spécifique aux veuves. La même année était instaurée une journée nationale d'hommage aux harkis, fixée au 25 septembre.

La loi de finances rectificative pour 1999 a créé une rente viagère versée aux harkis et à leurs veuves.

La loi de 2002 a transformé la rente en allocation de reconnaissance, a supprimé la condition de ressources et a indexé l'allocation sur le coût de la vie. Enfin, des mesures ont été prises en faveur des enfants de harkis, sous forme de bourses scolaires, d'aides à la formation professionnelle et d'aides à la création d'entreprise.

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui vise à renforcer ce dispositif en revalorisant l'allocation de reconnaissance instituée à leur profit. Il offre à ceux qui le souhaitent la possibilité d'opter pour le versement d'un capital ou de combiner les deux. Il proroge les mesures spécifiques en faveur du toit familial et étend le bénéfice de ces mesures aux harkis n'ayant pas acquis la nationalité française avant le 10 janvier 1973.

Le texte prévoit également que les aides au logement puissent être versées aux enfants des harkis qui hébergent leurs parents.

Enfin, le Gouvernement, qui entend aussi poursuivre l'effort en matière de formation et d'emploi, souhaite faire inscrire dans la loi l'existence des bourses complémentaires.

Mais la reconnaissance envers les harkis ne relève pas simplement de mesures financières : elle passe aussi par un travail de mémoire. Un mémorial de la France d'outre-mer est en cours de réalisation à Marseille : ce sera un haut lieu du souvenir, mais aussi un centre national de recherche, d'échange, de diffusion et de promotion, en liaison avec l'université. La proposition de créer une fondation publique dont l'objet sera de retracer les événements d'Afrique du Nord et de transmettre l'héritage dont sont porteurs les rapatriés me semble être une excellente idée.

Il faut souligner que de nombreux rapatriés souffrent des allégations de certains médias portant sur cette période. Un effort doit être fait concernant l'information relative à tout ce qu'ils ont apporté à ces anciennes colonies. Le temps est en effet venu de porter un regard apaisé sur cette page de l'histoire, de reconnaître la qualité des efforts de tous ceux qui, dans la sphère publique ou dans la sphère privée, ont oeuvré avec générosité et avec le sens authentique du bien commun sur la terre d'Afrique du Nord.

Enfin, la réconciliation entre la France et l'Algérie ne sera vraiment scellée que lorsque les harkis, leurs enfants et leurs petits-enfants pourront revenir librement sur la terre de leurs ancêtres pour y séjourner, y vivre ou y mourir.

L'enjeu est considérable, car il influencera de manière importante l'autre page de l'histoire commune qui commence à s'écrire dans le cadre du Bassin méditerranéen et dans laquelle la France et les pays du Maghreb ont un rôle irremplaçable à jouer.

L'année 2004, à laquelle le Premier ministre a voulu attacher la grande cause de la fraternité, doit comporter des gestes significatifs tels que celui qui est proposé dans ce projet de loi. Qui mieux que vous, monsieur le ministre, pouvait nous guider sur cette voie ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)

(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)