PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux ans, très exactement le 21 mars 2003, je présentais un voeu à l'ensemble de mes collègues du conseil municipal de Rouen.

Les élus rouennais et moi-même, bien que conscients qu'il fallait redonner un sens à l'intermittence, nous inquiétions du risque de remise en cause du statut de l'intermittence et des annexes VIII et X du régime général d'assurance chômage Nous réaffirmions alors la spécificité des métiers artistiques. Nous réclamions également un débat national sur le rôle et le statut de l'artiste ainsi que sur la place des arts et de la culture dans notre société.

Ce voeu fut adopté à l'unanimité. C'était avant la crise de l'été 2003, qui, malheureusement, a confirmé nos inquiétudes.

Cette initiative émanait d'élus locaux, convaincus de la place essentielle de la culture, soucieux de voir menacés et remis en cause les efforts importants et croissants qu'ils avaient fournis et continuent de fournir conjointement avec l'Etat, en ce qui concerne notamment la constitution d'un réseau d'équipements culturels et le financement du développement du spectacle vivant.

A l'époque, monsieur le ministre, nous n'avions reçu aucune réponse de la part de votre prédécesseur. Depuis, un certain chemin a été parcouru. Je me réjouis réellement que les élus de la nation soient enfin entendus.

Je vous remercie d'avoir répondu à leur attente en ayant organisé une série de débats réunissant les professionnels, les parlementaires et les élus locaux : tout d'abord au mois de novembre, lors des entretiens du spectacle vivant à l'Académie Fratellini, puis à l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, et enfin aujourd'hui au Sénat. Par cette initiative, vous associez la représentation nationale, et donc le pays tout entier, à la réflexion sur la redéfinition de la place de l'art et de la culture dans notre société et sur la refondation de notre politique culturelle.

Pourtant, cela n'avait rien d'évident. En effet, parler d'art et de culture au sein des enceintes parlementaires en dehors des périodes budgétaires est suffisamment rare pour être souligné. On peut y voir un signe de reconnaissance symbolique de !a place de la culture dans notre société.

Il faut, en effet, regretter que nombre d'élus, quelle que soit leur appartenance politique, considèrent la culture comme un « sujet gadget » et les artistes comme de doux rêveurs, des utopistes ou encore des fainéants. Ces jugements sont dus à une méconnaissance, largement partagée dans notre société, des modes de fonctionnement du monde du spectacle vivant, des spécificités des métiers artistiques, de l'économie de ce secteur d'activité, du coût et du travail liés à la production et à la diffusion.

Ce débat contribuera, espérons-le, à réduire l'incompréhension et l'actuel fossé qui existe entre les acteurs culturels et les politiques et à rapprocher deux mondes qui ont besoin de communiquer.

Reconnaissons aussi que nous devons faire face à de tels a priori au sein de nos collectivités, où les élus en charge de la culture ne sont pas toujours pris au sérieux par leurs collègues, qui voient en eux des élus dépensiers. Ils doivent souvent batailler pour leurs budgets. C'est la situation que doit vivre parfois le ministre de la culture au sein du Gouvernement.

L'organisation de ces débats sur l'avenir du spectacle vivant au Parlement est-elle l'expression d'une évolution des mentalités consécutive à la crise de l'été 2003 ? Il faut l'espérer.

Du fait de l'annulation des principaux festivals en 2003, il semble, en effet, qu'une grande majorité des élus locaux aient mesuré l'enjeu que représente l'intermittence dans la politique culturelle de notre pays.

Depuis plus d'un an maintenant, les effets de la crise de l'été 2003, la multiplication des rapports et des travaux d'expertise - je pense non seulement aux rapports Latarjet et Guillot, mais aussi au rapport du groupe de réflexion du Sénat sur la création culturelle et à celui de la mission d'information sur !es métiers artistiques de l'Assemblée nationale - ont fortement contribué à la connaissance et à la compréhension du secteur culturel tant par les acteurs eux-mêmes que par l'ensemble de la société.

La nécessité de réviser les modes de financement de la politique culturelle tout en maintenant un régime spécifique dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle semble désormais acquise. En outre, l'idée selon laquelle la culture a un rôle non négligeable à jouer dans la cohésion de notre société et participe pleinement à la vie des territoires, à leur richesse, à leur promotion touristique fait son chemin.

Evoquer ce sujet au Parlement, c'est donner à l'ensemble des acteurs du spectacle vivant, qui ont besoin d'être rassurés, la reconnaissance qu'ils méritent, eux qui s'estiment souvent maltraités en raison de l'image qui est parfois donnée d'eux.

En fait, la crise de 2003 et les différents rapports nous ont appris le réel enjeu économique de ce secteur, que personne n'avait pu mesurer.

Nous savons bien que le spectacle vivant forge l'identité d'un territoire, participe à la promotion de nos collectivités et au rayonnement de la France de par le monde et concourt à la cohésion tant sociale que nationale.

En effet, la culture est la langue universelle qui s'adresse à l'intelligence des hommes, à leur sensibilité, à leur coeur. Mais nous ne mesurions pas vraiment auparavant les retombées commerciales qu'elle génère, sa participation au développement économique, social et touristique des collectivités, sans parler du rôle non négligeable qu'elle joue dans la redécouverte, la réhabilitation et l'animation des lieux patrimoniaux.

Le travail de Jean-Paul Guillot a très bien montré !a valeur ajoutée engendrée par la culture et les effets multiplicateurs induits par les activités culturelles. On sait qu'un beau festival attire des touristes, participe au développement des secteurs de la restauration, de l'hôtellerie, fournit du travail en amont et en aval aux acteurs économiques de la région. C'est cette réalité qui a le plus surpris. Qui pouvait imaginer que la culture était un secteur économique occupant autant de personnes que le secteur automobile, soit 300 000, pesant 20 milliards d'euros et apportant une valeur ajoutée de 11 milliards d'euros ?

Monsieur le ministre, vous avez fait allusion à l'année de la Chine en France. J'aimerais citer le prix Nobel de littérature Gao Xingjian, qui dit fort à propos que « la culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité ».

La crise de l'intermittence, ouverte par la signature du protocole d'accord du 26 juin 2000, qui, il faut le souligner, s'est révélé injuste envers les intermittents les plus fragiles et inefficace pour réduire le déficit, nous a aussi dévoilé qu'elle n'était que le symptôme d'une croissance non maîtrisée de ce secteur.

Les causes de cette crise sont connues. Dans ce secteur très dynamique, l'emploi a augmenté dans des conditions de grande précarité, du fait de l'évolution divergente de l'offre et de la demande. De surcroît, les décideurs, les employeurs et les acteurs culturels ont été, pendant des années, les complices d'une précarisation croissante du secteur, tout le monde ayant trouvé avantage à utiliser le régime de l'intermittence alors qu'il aurait été possible de recourir à des formes d'emplois plus stables.

Afin d'enrayer la précarité croissante des salariés du secteur - monsieur le ministre, vous avez cité à cet égard des chiffres clés -, il est nécessaire de prendre en compte des éléments d'organisation du travail des entreprises, des artistes, des techniciens, tout en maintenant le statut de l'intermittence qui, vous l'avez rappelé, a sa spécificité.

Il convient aussi de revoir le financement du spectacle vivant en ayant comme objectif d'aider à une maturité organisationnelle du secteur. En résumé, c'est à une véritable architecture de l'emploi artistique que nous devons tous travailler, Etat, collectivités territoriales, partenaires sociaux.

La culture n'est plus seulement l'affaire du ministère de la culture et de la communication. Elle concerne l'ensemble des ministres en charge d'autres champs d'action qui doivent participer à cet élan collectif autour de vous, monsieur le ministre.

Il appartient en particulier aux élus de définir le champ de la solidarité interprofessionnelle alors qu'il incombe aux partenaires sociaux de redonner son sens véritable à l'intermittence, centrée sur l'acte de création artistique.

Nous le savons : 2005 est une année décisive non seulement pour l'ensemble du monde culturel mais aussi pour les élus locaux qui souhaitent qu'une nouvelle voie soit tracée.

La nécessaire responsabilisation de tous - Etat, collectivités, partenaires sociaux - doit se traduire par un engagement fort pour sortir de cette crise de croissance. Chacun doit se mobiliser pour accompagner la restructuration du secteur artistique, l'encourager, le promouvoir et veiller plus que jamais à en préserver l'originalité dans un monde menacé par des productions et par des produits formatés, standardisés et soumis à des logiques de rentabilité.

Bâtir l'avenir, c'est travailler au développement de formes d'emplois moins précaires et de structures plus solides pour contribuer à construire un système plus pérenne.

Cette politique de l'emploi peut passer par une incitation financière des professionnels à préférer à l'intermittence des formes d'emplois stables, là où les structures le permettent. Pour cela, le ministère et les collectivités locales peuvent lier leurs financements au respect d'un cahier des charges incitant à la transformation des emplois de « permittents » en contrats durables dans les entreprises publiques. A cette fin, nous devons tous repenser nos critères d'attribution des subventions en ayant comme objectif la pérennisation des structures et des compagnies, dont la fragilité structurelle a été mise en évidence par Bernard Latarjet.

Reconnaissons que le mode de subventionnement actuel a privilégié de façon excessive une logique de projets sans que l'on se préoccupe des structures et des conditions d'emploi dans lesquels ces projets étaient réalisés, notamment en termes de diffusion des spectacles.

Les financeurs publics doivent recentrer leurs subventions sur l'aide à la structuration, en incitant, dans les conventions, les compagnies, à mutualiser les postes administratifs tout en veillant à ne pas oublier les problématiques spécifiques aux plus petites compagnies.

M. Jean Arthuis. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. A l'appui de ces propositions, je veux évoquer dans cette enceinte un projet qui me tient particulièrement à coeur et que je tire de mon expérience d'élue chargée de la culture de la ville de Rouen. Il répond parfaitement à cette volonté de pérennisation des structures du spectacle vivant et de mutualisation des emplois. Il s'agit de la Maison des théâtres et du geste, conçue comme un centre de ressources pour les artistes.

Cette structure, au projet de laquelle nous travaillons depuis plus d'un an, est destinée à accompagner les compagnies dramatiques, chorégraphiques et circassiennes de !a ville et de la région en soutenant la création et en contribuant à la pérennisation des emplois artistiques. Nous comptons aussi expérimenter dans ce lieu la mutualisation des moyens administratifs, tels que la mise à disposition de bureaux, de personnel administratif. Il sera ouvert également aux jeunes équipes et aux jeunes créateurs pour faciliter leur insertion et leur accompagnement.

Ce sera enfin un lieu de formation qui pourra aider à la professionnalisation des métiers culturels, car cette politique de l'emploi culturel ne peut se concevoir sans une réflexion sur l'entrée dans les métiers artistiques, l'évolution dans la carrière, les reconversions des artistes, la reconnaissance des pratiques amateurs qui permettent la poursuite, au sein d'une chorale ou d'un orchestre, d'une pratique artistique, autant de thèmes qui doivent être traités à cette occasion.

Un autre point sur lequel nous devons nous pencher est la question de la diffusion des spectacles. Toute cette problématique doit être reliée au développement de l'éducation artistique et culturelle. En effet, la production de spectacles n'est pléthorique qu'au regard d'une diffusion insuffisante, due essentiellement à un non-renouvellement des publics. C'est dire si une politique d'éducation et de sensibilisation aux arts et à la culture dès le plus jeune âge est le principal levier pour constituer de nouveaux publics.

Monsieur le ministre, nous vous savons concerné par cette question. Vous l'avez démontré avec l'initiative du plan de relance en matière d'éducation artistique et culturelle et la prise en compte dans le fonds transitoire des heures de formation dispensées par les artistes et techniciens dans les écoles, les collèges et les lycées sur les 507 heures ouvrant droit aux annexes VIII et X.

Votre détermination sur cette question est décisive tant il semble que les programmes d'éducation artistique et culturelle soient condamnés à tomber régulièrement dans l'indifférence ou dans l'abandon.

Par ailleurs, on ne sait pas encore quelle place leur sera réservée dans le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école. Font-ils partie des connaissances fondamentales dans le cadre de la culture humaniste...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Oui !

Mme Catherine Morin-Desailly. ...ou sont-ils réduits à un rôle subalterne ? La crainte de ne pas les voir figurer parmi !es priorités du ministre de l'éducation nationale est réelle.

Monsieur le ministre, nous avons pris connaissance des propositions que vous avez formulées conjointement avec votre collègue en charge de l'éducation nationale, le 3 janvier dernier, à la suite des inquiétudes exprimées à ce sujet sur tous les bancs de cette assemblée, lors de l'examen de votre budget au mois de décembre dernier. Ces propositions militent pour une relance de la politique en matière d'éducation artistique et culturelle.

Plusieurs programmes interministériels d'éducation artistique ont été expérimentés cependant que leurs crédits ont été gelés.

Notre pays reste en retard en ce qui concerne la présence des arts à l'école. Or, comme nous le savons, l'école est le meilleur chemin pour accéder à l'art, celui qui est emprunté par tous et pour longtemps. L'impérieuse nécessité de la démocratisation culturelle passe par une volonté réelle de favoriser la présence artistique dans les établissements.

A mon sens, nous gagnerions à renforcer l'éducation artistique et culturelle, à côté des enseignements artistiques déjà dispensés, les arts plastiques et la musique.

A cet égard, je veux faire une distinction entre l'enseignement et l'éducation artistiques, cette dernière relevant moins de cours théoriques que d'une sensibilisation permanente à l'art et à la culture irriguant l'ensemble des disciplines.

Imaginons des actions nouvelles et complémentaires à l'issue d'un bilan précis des dispositifs du plan pour les arts et la culture à l'école.

Dans plusieurs villes, des conventions d'éducation artistique et culturelle ont été signées dès 2002, associant établissements scolaires et professionnels afin que les jeunes bénéficient d'actions de sensibilisation destinées à leur faire connaître leur patrimoine, leur donner le goût de visiter des expositions, de fréquenter les musées, les salles de spectacles ou de cinéma. Elles permettent d'organiser des rencontres entre les jeunes et les artistes.

Monsieur le ministre, seule une politique volontariste de votre part et un partenariat fort avec le ministère de l'éducation nationale, les collectivités et les acteurs culturels permettront d'offrir aux jeunes autre chose que ce que proposent les émissions de télévision à la mode.

Enfin, pour élargir les publics, il nous faut aussi imaginer des dispositifs de médiation culturelle plus incisifs envers les publics empêchés, comme les personnes handicapées, ou éloignés, comme les publics situés en zones défavorisées ou en milieu rural.

Enfin, une politique volontariste en matière de spectacle vivant ne peut se concevoir que dans le cadre d'un partenariat renouvelé entre l'Etat et les collectivités locales.

Comme a pu le montrer le rapport Latarjet, les collectivités territoriales sont en première ligne ; elles jouent un rôle majeur en matière de politique culturelle en finançant des équipements culturels et en accompagnant les structures. Elles assurent plus des deux tiers des dépenses pour le spectacle vivant contre un tiers pour l'Etat, alors que les lois de décentralisation ne leur ont confié aucune compétence culturelle obligatoire.

En conséquence, il paraîtrait normal de leur assurer une place réelle dans la définition des politiques culturelles. Cette reconnaissance passe par une clarification du rôle de l'Etat et par la redéfinition de l'articulation des différents échelons des collectivités territoriales : les acteurs culturels, pour la réalisation de leurs projets et la recherche de financement ont besoin de savoir - ils nous le disent régulièrement - qui fait quoi. Il faudra peut-être, à travers une loi, fournir une base juridique beaucoup plus solide aux interventions des collectivités en la matière et identifier les compétences de chacun. Avant cela, ne serait-il pas intéressant d'expérimenter des contrats de développement culturel initiés par les collectivités co-responsables et soutenus par l'Etat ?

Définir ou redéfinir les compétences de chacun ne veut pas dire que l'Etat, qui, on le sait, a un rôle d'impulsion, de soutien à la création et d'expertise, ne soit plus partie prenante. Il détermine encore, en effet, en grande partie, la décision et le montant du financement des collectivités, et sa place est essentielle pour assurer les équilibres nationaux. Cependant, s'il conserve son rôle volontariste d'impulsion et d'incitation, il devient, dans le cadre de la décentralisation, un partenaire non plus ordonnateur mais accompagnateur des collectivités. Il faut profiter de cette période de « ré-articulation » des rôles de chacun pour bâtir des partenariats équilibrés et équitables entre l'Etat et les collectivités locales.

A cet égard, les établissements publics à caractère culturel, les EPCC, mode de gestion relativement récent des équipements, ouvrent aux collectivités une possibilité de s'impliquer : malgré le peu de recul que nous avons, ces établissements nous apparaissent comme des instruments juridiques de décentralisation culturelle très intéressants, de nature à organiser un partenariat entre l'Etat et les collectivités territoriales autour d'un projet confortant l'emploi artistique.

Dans la perspective de cette nouvelle articulation des compétences et de l'élaboration de nouveaux partenariats, les acteurs sont demandeurs de structures de dialogue plus souples et plus efficaces. Ces dernières pourraient réunir l'ensemble des parties prenantes du secteur culturel, et notamment ceux qui sont hors des réseaux institutionnels. Les COREPS existent depuis un peu plus d'un an ; sont-elles des outils suffisants pour répondre aux attentes des professionnels ? Nous n'avons pas encore beaucoup de recul car toutes ne se sont pas encore réunies suffisamment.

Ne serait-il pas opportun de créer, au niveau régional, une structure de concertation et d'orientation des politiques publiques sur le spectacle vivant, associant représentants de l'Etat, collectivités et professionnels ; elle pourrait prendre la forme d'observatoire régional des politiques culturelles tel que le propose la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la Culture, la FNCC ?

Cette initiative pourrait, d'une part, améliorer la connaissance réelle de la situation de l'emploi dans le secteur artistique en région et, d'autre part, créer un espace de rencontre et de discussions entre les acteurs politiques locaux et les artistes, qui seraient ainsi amenés à examiner ensemble les projets. Ces observatoires seraient également d'utiles outils d'aide à la décision pour les élus, car ils les impliqueraient dans la définition des politiques culturelles, eux qui ne doivent pas seulement être des pourvoyeurs de subventions, eu égard à leur rôle décisif dans le financement des équipements, des festivals, des compagnies.

Si les collectivités territoriales sont prêtes à s'engager dans la politique de l'emploi culturel que vous souhaitez promouvoir, monsieur le ministre, elles savent aussi que cela aura un coût.

J'imagine qu'elles sont sensibles à l'effort de « permanentisation » de l'emploi, à la condition que l'Etat ne se désengage pas et participe pleinement, conjointement avec elles, au financement des politiques culturelles.

En effet, les nouvelles charges liées aux lois de décentralisation font déjà craindre un recentrage des collectivités sur leurs compétences obligatoires, ce qui aura forcément des conséquences sur leurs marges financières.

Monsieur le ministre, votre force de conviction est grande, et nous espérons sincèrement que vous réussirez, selon la méthode que vous avez définie dès votre arrivée rue de Valois, à convaincre l'ensemble des décideurs de ce pays que la culture est un enjeu majeur pour notre société. Il vous faudra aussi convaincre les acteurs du secteur culturel, et en particulier les partenaires sociaux, de se mettre autour d'une table pour négocier et jeter, cette fois, les bases d'une réforme vertueuse et équitable du système de l'intermittence.

Nous savons que cette tâche prendra du temps, mais nous espérons qu'au terme de ce long et patient travail d'évaluation, de concertation et de persuasion le spectacle vivant et, au-delà, l'ensemble des métiers artistiques - il ne faudrait pas exclure de cette réflexion les plasticiens, les peintres, les sculpteurs - bénéficieront d'une loi d'orientation ou d'une loi cadre qui garantira définitivement la reconnaissance de la place de l'artiste au coeur de la société, et cela parce que, pour reprendre les mots d'une compagnie de mon département Le cercle de la litote, « nous pensons qu'être un artiste, ça sert à changer le quotidien des autres, le rendre étonnant, surprenant, différent, peut-être plus beau. » (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais hier à l'UNESCO pour le débat sur le projet de convention pour la diversité culturelle. La grande salle était pleine de représentants des Etats, d'organisations non gouvernementales et d'organismes internationaux. Le déroulement du débat m'oblige à considérer que la question est en difficulté.

Je serai demain à la réunion du comité de suivi pour la réforme de l'assurance chômage des intermittents du spectacle, qui regroupe des parlementaires de toute opinion et la majorité des acteurs sociaux concernés. Vont y être discuté : le processus engagé, comment l'accélérer et quelles initiatives prendre pour que le MEDEF et la CFDT négocient. Là aussi, je parle de difficultés et, pourtant, nous avons, outre vos initiatives, monsieur le ministre, un capital de réflexion : le rapport Valade, le rapport Guillot et le rapport Kert.

J'ai participé ces deux derniers mois à nombre de réunions concernant la culture : au théâtre du Rond-Point avec l'association nationale de recherche et d'action théâtrale, l'ANRAT, pour l'éducation artistique à l'école ; à Lille, pour la clôture du colloque organisé par Martine Aubry sur le bilan et les perspectives après Lille 2004, capitale européenne de la culture ; à Villeurbanne, avec l'union régionale pour la défense de la lithographie d'art, l'URDLA, pour sauver le dernier atelier de gravure en France ; dans la salle du comité d'entreprise Renault du Mans, à l'initiative de la CGT, pour empêcher la fermeture de la bibliothèque du comité d'entreprise ; dans le Trégor, en Bretagne, où, à l'initiative du Parti communiste français, ont eu lieu plusieurs réunions sur la question de la culture et de l'art dans la société. J'ai assisté au très beau FIPA, le festival international de la production audiovisuel, à Biarritz, et j'ai découvert des dizaines de documentaires et de fictions qu'on n'oublie pas.

De ces expériences récentes s'ajoutant à celles de l'UNESCO et du comité de suivi, il ressort que, en culture, en art, la pensée politique est en général en deçà de ce que réclame la société.

Il m'a donc semblé qu'il fallait que le débat d'aujourd'hui aborde sur le fond les idées générales dont nous avons un urgent besoin ; leur énoncé bien sûr, mais aussi les combats à mener pour les promouvoir.

J'aborderai d'abord le problème de la création, à propos de laquelle j'entends trop souvent dire : « c'est difficile », « c'est élitaire », « faites-nous du populaire », ou encore : « l'argent est rare, la culture, l'art peuvent attendre des jours meilleurs ».

C'est source de routine, de normalité, d'instrumentalisation, bouleversant la place du symbolique en le réduisant au décoratif et au festif. C'est ce dont a parlé M. Le Lay l'été dernier en déclarant que son métier est de vendre à Coca-Cola du temps de cerveau humain disponible.

Ces démarches sont arrogantes, outrageantes, violentes, car elles visent à nous priver de l'affrontement à l'inconnu et à l'altérité et, là, l'art est de l'ordre de l'essentiel. Michaux disait : « skieur au fond d'un puits ».

Il faut défendre intraitablement ces skieurs si particuliers. On comprend Jean Vilar, évoquant les rapports de l'Etat avec les arts, les artistes, les écrivains, parlant de « mariage cruel ». C'était du temps de Malraux.

On comprend le poète Philippe Jaccottet : « Un Etat véritablement sage devrait, mais c'est beaucoup demander, réserver aux poètes une place, mais que cette place fût celle du gêneur perpétuel, de celui qui va répétant sans cesse des choses surprenantes, insaisissables, douteuses et pourtant éclatantes, telles ces fleurs frêles des montagnes parce qu'elles opposent à la sombre masse rocheuse, ou bien au malheur humain, leur fraîcheur de regard et de source. Oui, le poète n'est nécessaire que s'il demeure profondément inutile et inutilisable ».

Ces derniers mots choquent et font violence à leurs lecteurs. C'est un paradoxe de rapprocher les mots « nécessaire », « inutile » et « inutilisable » puisque l'usage trouve utile, donc utilisable, le nécessaire. Oui, il y a violence de l'économie, de l'habitude, de l'inertie, et Philippe Jaccottet répond par la violence de la langue, des mots, qu'il décolle de leur assignation à résidence, qu'« il soustrait à leur pure ustensilité ». Ce n'est pas d'inutilité dont il parle mais d'une utilité supérieure reliant le visible obligatoirement connu et l'invisible nécessairement inconnu. Le monde ne se limite pas à ses apparences, et sont tartuffes ceux qui enjoignent aux artistes de répondre à la demande. Comment peut-on demander une chose que l'on ne connaît pas, puisqu'elle n'apparaît pas ?

Il y a là un écho de la faculté d'étonnement, de pensée, d'imaginer de chacune, de chacun, à laquelle l'artiste dans un écart, une distance qui doivent être garantis, donne sa finition, c'est-à-dire sa création. Pierre Soulages dit : « L'art donne forme à l'inachevé. » Christa Wolf commente : « Le sentiment éprouvé dans l'expérience artistique nous permet d'imaginer ce que nous pourrions devenir. » Ecoutez Aragon : « En écoutant chanter Fougère, l'héroïne de La Mise à mort, j'apprends, j'apprends à perte d'âme ».

N'est-ce pas une merveille que cet inutile utile, que cet inutile « flottant dans l'air un peu au-dessus de l'utile, mais pas trop au-dessus », dirait Jaccottet ? Et on ne défendrait pas avec rigueur, intransigeance, intraitabilité cette mince couche de civilisation qui peut se rompre, d'autant que le noyau même de l'être humain est actuellement attaqué ! N'oublions pas que nous sommes sous ciel bancaire, confrontés aux jeux ténébreux du profit, pour qui tout est comestible, comme Star Academy, la télé-réalité, « 35 % de part de marché, ça mérite le respect » sur TF1, la chaîne bradée en 1987 avec le mot de passe du « mieux-disant culturel ».

Soyons clairs, la rencontre avec la création artistique, c'est pour chacune, chacun une entrée dans l'humanité !

Le 9 décembre dernier, à l'Assemblée nationale, vous avez abordé à votre manière cette question, monsieur le ministre : « Etre artiste, c'est d'abord croire, vivre, et faire partager cette conviction que tout n'est pas dit, que le monde est loin d'avoir épuisé toute possibilité de surprise ».

Le 15 décembre, vous étiez au théâtre du Rond-Point pour l'éducation artistique à l'école, ce qui a été apprécié.

Le 17 décembre, au conseil national des professions du spectacle, vous avez annoncé le fonds transitoire pour les intermittents, avec l'apport non négligeable d'heures de formation tant artistiques que techniciennes.

Et, pourtant, concernant les intermittents, qui sont les acteurs premiers du spectacle vivant, le MEDEF et la CFDT restent de marbre et continuent de gérer l'UNEDIC comme leur propriété privée. Je vous l'assure, en cette fin de mois de janvier, on entre dans une hécatombe qui touche profondément les professions artistiques et techniciennes.

Prenons l'éducation artistique. J'ai reçu hier soir le projet de loi que va défendre M. Fillon : il n'y a pas un mot sur l'éducation artistique !

La création est souvent ignorée et combattue par peur du neuf. Elle mérite donc un soutien de grande ampleur.

Au Sénat même, mon ami et frère de combat et d'espérance Ivan Renar a déposé une proposition de loi, qui a été votée, sur les EPCC.

Aujourd'hui, il auditionne, contrôlant sa propre activité. Que constate-t-il ? Là où les EPCC ont fait une première percée, l'application s'est souvent retournée contre les artistes qui travaillent « à la fin de l'immobile », disait René Crevel, qui « passent une partie de leur temps à supprimer des impossibilités », disait Joël Bousquet.

Oui, la bataille est rude, et il faut « monter d'un cran », dirait Claude Santelli.

On a l'impression que notre vocabulaire est repris, mais qu'au niveau des actes il s'évanouit. La recherche, les assises de Grenoble - j'y étais - ont été louées, mais ce qui a été annoncé récemment dans la presse leur tourne le dos. Je suis, pour ma part, stupéfait de l'extraordinaire prolifération de « l'écoute » dans le pays. C'est un mot, un « sésame ouvre-toi »-, mais les écouteurs ne passent pas à l'acte.

Il existe un immense entonnoir filtrant qui trie l'écoute, qui ne l'utilise pas pour elle-même, mais pour tenter de rendre digestibles, supportables, les visées, par exemple de M. Seillière.

Aujourd'hui, beaucoup d'êtres sont blessés dans leur dignité. Pendant longtemps, ils ont encaissé. Il y a de l'explosion ou de l'implosion dans l'air. Il n'est pas étonnant que, ces temps-ci, sortent ou sont sur le point de sortir des ouvrages importants sur l'art.

Jacques Rancière vient de publier, chez Galilée, Malaise dans l'esthétique et, prochainement, les éditions La Dispute publieront La psychologie de l'art de Vygotski.

C'est de l'excellent carburant pour les campagnes à mener, qui demandent d'être écoutées et exigent d'être entendues.

Après la création, je veux aborder la question du travail. Elle est aussi fondamentale et évite les spéculations sur la non-démocratisation de la culture. Je m'appuie sur les travaux d'un professeur de psychologie du travail au CNAM, Yves Clot, qui, le 15 novembre dernier, aux états généraux de la culture, a fait un exposé roboratif sur la « re-création du travail ».

En effet, le travail est malade, et ceux qui en ont encore sont malades aussi. Le patronat a comme un fantasme : avoir des salariés - et je ne parle pas seulement des ouvriers - qui savent mais qui ne pensent pas. Tennessee Williams dirait que ces hommes et femmes deviennent des « boxeurs manchots ».

C'est une épreuve qui a un coût psychique démesuré et mal reconnu, même par ceux qui la vivent. Ils perdent leur inscription sociale, sont comme chassés de l'histoire, se ressentent comme étant de trop dans la société. La vie devient alors invivable. Il y a comme une anémie du travail, un désoeuvrement du salarié, qui vaut pour le chômeur, mais aussi pour le travailleur en exercice. Un jeune philosophe, Guillaume Leblanc, abordant ce même problème, dit que, dans ces conditions, c'est « renoncer à la mobilité de la vie », c'est « mettre entre parenthèse l'idée même de vie », et « le moi qui en résulte est alors un moi congelé, au bord du rien, un quasi-rien ». Sont alors « désertés les désirs créateurs au profit des désirs reproducteurs », c'est « la victoire de l'état sur le devenir, de l'identité sur la différence ».

Les hommes et les femmes ressentent cela comme un mépris social, une humiliation, une blessure, un déni de reconnaissance. L'homme, la femme sont comme bloqués dans leur possibilité d'existence.

Or le travail de l'artiste est d'explorer les possibilités de l'existence. On voit que là gît comme une sorte d'impossibilité de résonance entre le travail blessé et la création artistique qui n'a plus de destinataire. Là intervient cette pensée forte, à mon sens prodigieuse, fabriquée par René Char, comme un mot de passe entre travailleur et artiste : « L'inaccompli bourdonne d'essentiel ».

Braque parlait de « l'inachevé de chaque acte artistique » ; il ajoutait que son « travail était une série d'actes désespérés qui permet l'espoir ». C'est une sacrée rencontre dont Yves Clot dit le fond : « La seule manière de défendre son travail, c'est aussi de l'attaquer. Faisons-le ensemble. Au nom du travail. C'est un signe de santé. Soyons au rendez-vous ! »

S'il fallait une illustration, l'Assemblée nationale en débat actuellement. Il faut réhabiliter le travail, dit-on, et cela se limite à un néo-stakhanovisme. Mais même les heures de non-travail, qui sont souvent contaminées par la maladie du travail, sont considérées comme en trop par le MEDEF, qui n'aménage pas les 35 heures, comme dit M. Raffarin, mais qui veut les déménager !

Dans sa soif de rentabilité immédiate, le MEDEF, qui prétend jouer un rôle politique, devrait réfléchir qu'à trop tirer sur la corde elle se casse. J'ai été frappé par un article d'Eric Le Boucher dans Le Monde du 21 janvier intitulé : « Le capitalisme mourra-t-il de la baisse tendancielle du taux de motivation ? »

Mme Michelle Demessine. Tout à fait !

M. Jack Ralite. Le désamour et le désenchantement des salariés, dont les cadres, commencent à peser dans la vie de l'entreprise. Cette dernière dit chercher des personnels efficaces et non pas des personnels motivés ; elle préfère le client au salarié, oubliant que, souvent, c'est une même personne.

Le débat sur le contenu du travail est ouvert : il faut le pousser jusqu'au bout, et c'est ce qu'ont bien compris les salariés de Renault-Le Mans refusant la fermeture de leur bibliothèque, par le bradage des livres à 2 euros pièce, puis à un euro pièce, puis à zéro euro pièce ! Aujourd'hui, cette vente - c'est un premier succès - est suspendue, mais, et heureusement, les militants CGT avaient emprunté 11 000 livres, une sorte de dépôts et consignations, de mont-de-piété, sauvegardant le fonds.

M. Ivan Renar. Très bien !

M. Jack Ralite. Les bradeurs disent que les salariés préfèrent le jardinage ! Qui peut être contre le jardinage ? Mais, comme le disait ironiquement un chercheur en histoire du livre et des lecteurs que j'ai retrouvés au Mans, « quand on toilette un fonds de livre, on parle de désherbage ».

Désherbage, jardinage ! Je suis pour le jardinage et, en même temps, pour avoir dans mon jardin de l'esprit toutes les fleurs du monde, c'est-à-dire la diversité culturelle, par quoi je souhaite terminer ce propos.

C'est une immense bataille, commencée sous d'autres noms, il y a longtemps.

En octobre 1999, les ministres européens de la culture ont remplacé « exception culturelle » par « diversité culturelle ». J'ai toujours été très réservé sur cette mutation du langage. Avec le mot « exception » - que vous avez d'ailleurs prononcé tout à l'heure, monsieur le ministre, jumelé à « diversité culturelle » -, on savait ce dont il s'agissait : la culture et les arts n'étaient pas une marchandise. C'était garantir, ou commencer de garantir, un statut de la pensée, de la recherche, de la création, et on s'est battu avec de sérieux résultats.

La directive « télévision sans frontière », le GATT, l'AMI, le prix unique du livre et, plus anciennement en France, le fonds de soutien du cinéma, mais - allons plus loin - la sécurité sociale et, plus anciennement encore, l'école gratuite, laïque et obligatoire sont des exceptions culturelles.

Les grands bourgeois républicains de la fin du xixe siècle, qui ne répugnaient pas au profit, savaient qu'il valait mieux traiter l'école comme un bien public.

J'ai participé activement à tous les combats depuis la directive « télévision sans frontière » ; je continue, mais la diversité culturelle est un concept flou. Je rappellerai que Jean-Marie Messier s'était écrié des Etats-Unis : « Enfin, on en a fini avec l'exception culturelle », qu'il réduisait à l'exception culturelle française, et le grand commerçant qu'il croyait être avait lancé en même temps : « Vive la diversité culturelle ! »

Aujourd'hui, nous sommes à une étape décisive. Beaucoup se sont mis d'accord sur la création d'un lieu ayant la responsabilité de la gestion de la culture, et l'UNESCO a été choisie.

On savait que ce serait difficile, l'UNESCO étant plutôt molle qu'énergique, et on savait, les Etats-Unis y revenant avec une participation au budget de 25 %, que ce ne serait pas de tout confort.

Dès hier, la séance d'ouverture, avec une présence abondante d'Etats, était l'occasion de se féliciter des débats dans de nombreux pays, d'une sorte de forum international.

Pourtant, après les discours d'accueil, les Etats-Unis n'ont pu se retenir. On discutait des objectifs et on avançait deux mots : « protection » et « promotion ». Les Etats-Unis déclarèrent s'opposer fermement à la « protection » parce que c'était un retour au protectionnisme. C'est une lecture audacieuse quand on sait qu'ils tiennent 72 % du marché européen du film, alors que les films du monde entier autres qu'américains ne bénéficient aux USA que d'un marché de 3 %.

Certes, il leur fut répondu, avec une calme résolution, par le Mexique : « Le mot protégé n'a pas de connotation commerciale » -, par le Brésil : « On ne peut promouvoir ce qu'on ne protège pas » -, par l'Argentine, par le Guatemala, les Barbades, la Bolivie, Haïti : « Protéger, c'est nécessaire pour qu'il y ait survie et, promotion, pour qu'il y ait diffusion.»

Les Etats-Unis n'eurent que deux soutiens : la Thaïlande et l'Equateur !

Mais ce qui stupéfia, ce fut l'intervention de l'Europe, le Luxembourg étant son porte-parole unique ; son représentant soutint l'idée de promotion, et ajouta : « Quant à la protection, j'écoute le débat. »

Certes, aussitôt, le représentant de notre ministère des affaires étrangères alla le sermonner - et c'est bien ! - mais, pour l'immense assemblée, l'Europe est apparue en cet instant comme irrésolue et mettant, dès le premier jour de la négociation, de l'eau dans son vin, c'est-à-dire contribuant à créer des conditions de non-succès.

Pourtant, on ne peut pas dire que, dans le texte, le radicalisme règne. Evoquons l'article 19 sur les relations avec les autres instruments.

Il y a une variante américaine, la variante B, selon laquelle : « Rien dans la présente convention ne modifie les droits et obligations des Etats parties au titre d'autres instruments internationaux existants. » Autrement dit, bavardons, bavardons - je devrais dire : écoutons, écoutons -, mais l'OMC est inexpugnable.

La variante A, plus européenne celle-ci, dont je ne cite que la deuxième partie, la première - il s'agit des droits d'auteur - faisant l'unanimité, est la suivante : « Les dispositions de la présente convention ne modifient en rien les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, sauf si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations causait de sérieux dommages à la diversité des expressions culturelles ou constituait pour elle une sérieuse menace. »

Je trouve que c'est du genre « texte pompier ». Rien ne bouge, sauf s'il y a un danger, mais qui le constatera et comment, qui corrigera et comment, qui appliquera et comment ? Aucune sanction n'est prévue. Pourtant, ici ou là, on ne s'accroche pas à ce texte, qui était un texte a minima, au nom de la souplesse, de l'ouverture, pour rassembler, voire pour avoir l'unanimité.

Est-ce mon expérience sociale ? En tout cas, je ne vais pas dans une négociation salariale en disant au partenaire patronal : « Je demande un euro de l'heure de mieux, mais, si vous souhaitez ne me donner que 20 % d'un euro, on peut voir ! »

Il faut aller à cette négociation avec une position claire, et je propose pour ma part une autre rédaction de la variante A : « Les dispositions de la présente convention prévalent sur les droits et obligations découlant pour un Etat partie d'un accord international existant, si l'exercice de ces droits ou le respect de ces obligations entravaient de quelque manière la diversité des expressions culturelles. »

Entre nous d'ailleurs, la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 précise que, entre deux traités entre deux Etats, le traité qui prévaut est le traité postérieur.

J'appelle tous ceux qui sont concernés par l'issue de la convention de l'UNESCO, qui doit intervenir lors de l'assemblée générale en 2005, à renforcer leur action et à faire preuve de fermeté.

Bien sûr qu'il faut chercher le plus large rassemblement, mais j'ai eu hier le retour du projet de convention après sa lecture par les Américains : je ne suis pas méchant, mais je suis obligé de dire que, sur les 307 lignes que compte le projet de convention, les Etats-Unis en récusent, totalement ou en partie, 198, c'est-à-dire les deux tiers !

On ne peut pas oublier non plus que, au même moment, il y a la directive européenne Bolkstein, qui, par la notion de « pays d'origine », favorise un pavillon de complaisance culturel en Europe, ce qui est nier le respect de la pluralité.

MM. Robert Hue et Ivan Renar. Très bien !

M. Jack Ralite. Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les points que je souhaitais développer. Bien sûr me préoccupe aussi profondément la concentration des médias qui touche le spectacle vivant parce qu'une tache d'encre sur un papier buvard occupe rapidement plus de place que son point d'impact.

M. Chirac vient d'ailleurs de créer une commission avec comme perspective, selon Le Figaro, de limiter les possibilités de participations croisées dans la construction d'entreprises multimédias, qui, ces derniers mois, se sont multipliées, notamment dans la presse et l'édition, deux secteurs utiles à la démocratie et ayant besoin du pluralisme, mais en l'occurrence massivement investis par des grands groupes industriels et financiers dont ils devraient être des contrepoids de réflexion et d'esprit critique.

Le président de notre commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, a convoqué un colloque sur cette question le 9 juin. Il nous faudra donc préparer ce colloque, là aussi en nous mettant sur un terrain de vérité, c'est-à-dire en faisant de l'exception la règle, terrain de vérité urgemment nécessaire - j'y reviens - pour les intermittents.

Je crois profondément que le temps est venu de publier un projet de loi afin de donner aux intermittents, que je sens blessés, un moyen d'action.

Je crois que le temps est venu de voir M. Borloo prendre ses responsabilités à vos côtés, monsieur le ministre. C'est son prédécesseur qui a donné l'agrément au protocole, et il n'a pas écrit une ligne sur les intermittents dans son projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ! Il ne sera pas dit, ni fait, que ce combat, qui a traduit le grand malaise culturel dans notre pays, soit laissé de côté, et pour lui, pour eux, comme pour les trois grandes questions que j'ai abordées, je dirai, comme Péguy, à chacune, à chacun :

« Il ne vous manque rien

« Il vous manque encore ceci

« Il ne vous manque plus que ceci

« Mais il ne manque pas moins

« Il vous manque encore ceci »

Et « ceci », ce sont ces pensées de René Char : « La réalité ne peut être franchie que soulevée », « méfie-toi de ceux qui se déclarent satisfaits parce qu'ils pactisent », « notre héritage n'est précédé d'aucun testament. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière.

M. Michel Thiollière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d'entrée de jeu, je crois pouvoir dire que c'est une chance que d'avoir, aujourd'hui, au Sénat, ce débat qui sera profitable à la culture dans notre pays. Si nous devons naturellement cette chance à l'institution au sein de laquelle nous siégeons, nous vous la devons également, monsieur le ministre, et je voudrais à cet égard saluer votre détermination, votre implication personnelle et votre volonté de dialogue et pour élaborer une politique publique utile à l'avenir de notre pays.

Si ce débat a lieu, c'est naturellement parce que nous l'avons souhaité avec vous. C'est aussi, d'une part, parce que, avec Jacques Valade et la commission, nous travaillons depuis maintenant des mois afin de trouver des solutions aux problèmes que nous rencontrons, d'autre part, parce que le Sénat est un acteur culturel important, compte tenu des colloques et des expositions qu'il organise.

Ce débat, utile pour notre pays - j'y insiste - intervient à un moment de notre histoire où notre place et notre avenir sont remis en cause dans un monde, à la fois inquiet et mobile, dans lequel la culture et la création posent question et peuvent se trouver en difficulté.

Ce monde dans lequel nous vivons comporte, bien entendu, des risques : un risque d'uniformisation, lié à une sorte de dictature de l'éphémère, un risque de domination d'une puissance empêchant l'apparition d'autres cultures, voire d'une forme de tyrannie du marché interdisant l'émergence de cultures moins bien dotées. Ce monde à risques offre aussi de nombreuses chances : une large ouverture, y compris au-delà des frontières ; une grande fluidité, notamment grâce aux nouvelles technologies et à l'apparition tant de nouvelles formes culturelles que de ce que l'on pourrait appeler, en passant sur le choc des mots, « la contamination démocratique », qui peut nous aider à développer notre forme de culture et notre République bien au-delà de notre territoire.

Face à ce monde inquiet et mobile, la culture est, d'une certaine manière, une urgence nationale et internationale. Il est urgent de permettre tant à l'artiste qu'au spectacle de trouver leur place et il nous appartient donc de nous donner les moyens de conduire une politique publique nouvelle afin de mieux servir la culture dans notre pays.

L'artiste dit en permanence le mal-être en même temps que l'espoir : d'abord, parce qu'il est acteur et qu'à ce titre il peut à la fois jouer avec le progrès et être confronté  à d'insupportables entraves ; ensuite, parce qu'il est un « éveilleur » qui énonce sa confiance en l'homme et en l'humanité ; enfin, parce qu'il est un éclaireur qui propose des chemins, quand bien même ils ne sont pas parfaitement balisés.

Outre les risques qu'il court dans notre pays, l'artiste est en but à la précarité, à la marginalité et, pire encore, peut-être, à l'indifférence. Si nous voulons lui donner toute sa place dans la société pour qu'il nous aide, comme le disait Gombrowicz, à passer de « l'immaturité à la maturité », nous avons besoin d'une vraie politique publique. L'artiste est, en effet, porteur de valeurs non seulement culturelles, mais également sociales et économiques : il suffit de voir combien la France exporte grâce à sa culture et à l'image que se font d'elle bon nombre de pays à travers le monde pour mesurer à quel point il est culturellement urgent de placer l'artiste au coeur de la cité.

Nous lui devons, cela va de soi, un statut, mais plus encore la garantie de ses droits, notamment au moment où l'interférence du piratage se traduit par une perte des droits d'auteur et du travail, dont notre collègue Jack Ralite vient de faire état.

Pour ce qui est du spectacle, il répond, de longue date, à une nécessité, mais aussi à une envie : il faut que la public ait envie d'aller au spectacle et que le spectacle ait envie d'aller au-devant de nouveaux publics. Il faut donc, dans nos cités et nos régions, qu'il soit multiple et diversifié et qu'il finisse, au rythme des nouveaux publics qu'il conquiert, par irriguer tout le territoire.

Le spectacle, outre qu'il favorise l'accès à la modernité, que ce soit avec « les nouveaux territoires de l'art » ou les nouvelles technologies qui génèrent de nouvelles formes artistiques ou culturelles, offre une ouverture sur notre société qui est une société des métissages entre les cultures, les traditions, les histoires, les générations, les technologies et les formes artistiques.

Il fournit aussi l'occasion, dans un monde où l'éphémère prédomine, de redonner toute sa densité au temps de la vie et peut-être, tout simplement, au « temps retrouvé » de la vie, tant personnelle que collective.

Le spectacle donne également un sens à une expression collective contemporaine permettant l'émergence de nouvelles formes et de nouvelles pratiques républicaines. Le théâtre est, d'une certaine manière, la métonymie de la République et, de ce point de vue, il peut nous permettre d'imaginer de nouvelles formes démocratiques et de nouvelles pratiques républicaines.

Le spectacle, c'est encore la nécessité d'un aménagement du territoire bien compris : nous ne pouvons pas envisager, dans notre pays notamment, que les régions les plus riches aient des spectacles et que les plus pauvres n'en aient pas, que les villes mieux dotées puissent proposer des spectacles de meilleure qualité que les autres.

C'est la raison pour laquelle nous avons d'abord besoin d'un vrai partenariat « public-public » entre l'Etat et les collectivités pour bien aménager, non seulement notre territoire national, mais également nos villes, notamment à travers la cohésion sociale et ce que l'on appelle «  la politique de la Ville », qui consiste à redonner du sens aux hommes et aux femmes de nos quartiers qui ont bien du mal à se repérer dans la société. Dès lors qu'une ville ou une région française propose des spectacles, elle renforce la cohésion sociale, elle donne du sens à la République et elle fait naître espoir chez les plus démunis d'entre nous, notamment chez les plus jeunes, qui éprouvent bien des difficultés à trouver leur place dans notre société.

Il est vrai néanmoins que la création est un acte fort qui dérange, et que créer c'est livrer un combat en faveur de l'émergence de nouvelles formes et de nouvelles pratiques.

Pour répondre à cette double nécessité de donner à l'artiste sa place dans notre société et de proposer des spectacles sur l'ensemble du territoire, il nous faut imaginer de nouvelles politiques publiques. A travers le maquis des aides, des procédures, en dépit de certains risques de dérapage, des difficultés liées à la mise en place de la décentralisation en matière de spectacle et de culture avec des formes plus ou moins abouties de partenariats publics-privés, et compte tenu de la mondialisation qui touche toute la société, je serais enclin à proposer une « nouvelle chronologie de la création », au sens où l'on parle de la «  chronologie des médias ».

Elle prendrait en compte à la fois l'espace et le temps, c'est-à-dire la nouvelle géographie de même que le nouveau temps du monde. On verrait alors se dessiner une sorte de colonne vertébrale autour de laquelle se structurerait une nouvelle politique publique. Elle inclurait l'éveil - nous avons tous en tête des images de classes de jeunes enfants allant au théâtre ou assistant à des représentations « jeune public » - ; les formations, notamment par le biais des écoles ou des conservatoires qui forment tant les amateurs que les professionnels ; la création, avec tout ce que nous proposons en termes de résidence pour artistes ; la production, avec, par exemple, pour les artistes les plus jeunes et les plus nouveaux, la réalisation d'un premier CD ; l'émergence, grâce aux studios de théâtre ou de musique, de nouveaux artistes, et la diffusion.

S'agissant de cette dernière, vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, que nous faisions fréquemment appel à vous et il est vrai que nous avons besoin du soutien de l'Etat pour créer des scènes de musiques actuelles - SMAC - des « Zénith », des théâtres, pour réhabiliter nos salles de théâtre un peu partout sur le territoire et offrir ainsi des lieux de diffusion là où le besoin s'en fait sentir.

La diffusion passe aussi par les télévisions publiques, qui ont un rôle éminent à jouer pour diffuser, au-delà des périmètres qu'elles desservaient jusqu'à présent, ces spectacles qui coûtent tant d'énergie, de travail et d'argent à nos concitoyens et aux contribuables.

Derrière tout cela, se joue le rayonnement culturel, qui dépasse tous les clivages et qui sert notre pays. En nous rendant à l'étranger, nous sommes nombreux à constater l'impact de la culture française et à mesurer à quel point est attendue l'image de cette France nouvelle, de la nouvelle culture française que vous avez évoquée précédemment à propos de « l'année de la France » en Chine.

Ces initiatives et ces impulsions appellent donc de nouvelles politiques publiques permettant de tisser de nouveaux liens entre les publics et les artistes, à travers des partenariats, dans un dialogue constructif, au sein de nouvelles collégialités.

De ce point de vue, monsieur le ministre, vous pouvez compter sur nous pour être à vos côtés afin d'élaborer de nouvelles politiques publiques qui, après un toilettage des anciennes, permettront, à travers des contrats républicains clairs et grâce à des outils efficaces, de faire émerger l'urgence culturelle pour notre pays. Cela sera possible avec un Etat juste, impartial, qui tiendra son rôle, et se montrera un vrai partenaire des collectivités et des collectivités qui feront toute la place nécessaire à l'innovation, à la proximité et à l'attractivité. Nous ferons, en agissant de la sorte, oeuvre utile pour la culture dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ouverture d'un débat national sur l'avenir du spectacle vivant est une initiative qu'il convient de saluer.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Serge Lagauche. La politique de la France en matière culturelle est mondialement reconnue comme étant l'une des plus ouvertes à l'inscription de la culture et de ses activités dans un cadre financier et juridique qui échappe, pour partie, aux règles du droit commun de la concurrence. C'est le fondement même de l'exception culturelle française, qui refuse de considérer les oeuvres de l'esprit uniquement comme des prestations commerciales. A ce titre, la France s'est dotée d'une politique de soutien à la création et à la diffusion des oeuvres artistiques qui a fait ses preuves à de nombreux égards.

La vitalité de notre production musicale est exceptionnelle en Europe, le système des aides accordées par le Centre national de la cinématographie à la production, distribution et exploitation des films a permis au cinéma français de figurer parmi les plus dynamiques au monde et on compte aujourd'hui pas moins de 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de théâtre de rue, de danse, et de cirque.

Ce formidable foisonnement artistique repose sur la mise en place d'une politique culturelle consciente des caractéristiques spécifiques des activités qui en sont l'objet.

L'excellent rapport que Jean-Paul Guillot vous a remis, monsieur le ministre, nous enseigne que le secteur du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma pèse à peu près vingt milliards d'euros et qu'il occupe environ 300 000 personnes, soit l'équivalent de l'industrie automobile .

Si ces éléments ont le mérite de mettre en perspective l'économie de ce secteur artistique par rapport à d'autres secteurs industriels, ne perdons pas de vue cependant qu'on ne fabrique pas une voiture comme on crée un spectacle vivant.

Ce qui est vivant est source de création et suppose donc un investissement personnel total et passionné de la part de ses protagonistes. Il faut le temps de l'écriture, du montage, de la répétition et enfin de la représentation et de la transmission.

Ce long travail de création et d'accompagnement de la création artistique jusqu'à sa représentation devant un public, c'est naturellement celui de l'artiste et du technicien, celui de l'intermittent du spectacle.

Le régime d'indemnisation du chômage des intermittents n'est donc pas un régime de faveur ; c'est bien un régime d'exception, adapté à une pratique discontinue devant le public, ce qui est l'essence même de toute activité artistique, mais continue dans la préparation des spectacles et dans la formation des artistes et des techniciens.

Le protocole d'accord du 26 juin 2003 a, comme chacun sait, modifié les annexes VIII et X de la convention UNEDIC en révisant à la baisse de nombreux droits sociaux des intermittents. La période de référence ouvrant droit à indemnisation a été ramenée de douze mois à dix mois pour les techniciens, à dix mois et demi pour les artistes ; de surcroît, la durée d'indemnisation a été réduite à huit mois, contre douze précédemment.

M. Aillagon et le MEDEF ont justifié cette attaque frontale contre la création artistique et ses protagonistes par le déficit généré par ce régime spécifique, estimé alors à 800 millions d'euros.

Plutôt que de dénoncer les abus qui entachent ce régime et d'y remédier en incitant, par exemple, certains employeurs à cesser d'avoir recours à des intermittents pour des tâches durables qui justifieraient la conclusion d'un véritable contrat de travail de droit commun, le Gouvernement a préféré agréer un protocole d'accord dont l'objet était de faire peser intégralement le déficit des annexes VIII et X sur les épaules de l'ensemble des intermittents.

Depuis votre arrivée aux affaires, vous avez multiplié les consultations et les rapports rédigés à votre demande se sont accumulés. Le dernier en date, celui de Jean-Paul Guillot, que j'évoquais il y a quelques instants, est venu confirmer la précarité de la situation dans laquelle se trouvent la majorité des intermittents, qui déclarent, pour plus de 50 % d'entre eux, moins de 600 heures de travail par an et qui, pour 80 % d'entre eux, ont un salaire un peu supérieur au SMIC.

Cette expertise, ainsi que les conclusions des missions menées respectivement au Sénat et à l'Assemblée nationale par Jacques Valade et Christian Kert, convergent toutes vers un même point : la réforme issue du protocole du 26 juin 2003 n'a en rien permis d'endiguer le déficit créé par le régime propre des annexes VIII et X. On ne peut être plus clair, monsieur le ministre : cette réforme a échoué, elle n'a pas atteint son but.

II faut donc que ce protocole soit abrogé. Alors seulement, il sera temps de réunir les partenaires sociaux et l'ensemble des acteurs concernés pour réfléchir à l'élaboration d'un nouveau texte.

Vous essayez de gagner du temps et de colmater les brèches. La circulaire UNEDIC du 18 mai 2004 a rétabli, pour les femmes enceintes, la prise en compte du congé de maternité dans le calcul des 507 heures travaillées. Vous avez créé, en juillet de la même année, un fonds provisoire dont la vocation était de réintégrer, au titre de l'année 2004, les 13 000 intermittents sortis du système d'indemnisation du fait de l'entrée en vigueur de l'accord du 26 juin.

Cette initiative s'est malheureusement soldée par un échec puisque, sur les 80 millions d'euros annoncés au titre de ce fonds, seuls 2 millions ont été effectivement distribués à environ 1 600 intermittents.

Pour pallier les lacunes du fonds provisoire, vous avez mis en place, depuis le 1er janvier dernier, un fonds transitoire dont vous voudriez qu'il « préfigure en chacune de ses modalités les éléments d'un système pérenne et marque une étape vers un nouveau système ». Ce sont les termes mêmes du discours que vous avez prononcé lors du dernier Conseil national des professions du spectacle, le 17 décembre dernier.

S'il est vrai que ce fonds a permis d'opérer quelques avancées, dont le rétablissement à douze mois de la période de référence pour effectuer les 507 heures, la logique du protocole du 26 juin 2003 demeure la même, et ce sont chaque jour des dizaines d'intermittents qui continuent de sortir du système d'indemnisation et de s'enfermer dans la précarité.

Toute la philosophie de ce protocole et des aménagements que vous ne cessez d'y apporter pour en limiter les effets pervers demeure axée sur la résorption du déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, par le biais de la limitation des droits sociaux des intermittents.

Ce n'est pas la bonne méthode et vous le savez, monsieur le ministre. Les conclusions du rapport Guillot, dont vous vous êtes largement inspiré afin de déterminer votre programme d'action pour les mois à venir, sont sans équivoque. La réduction du déficit généré par le régime d'assurance chômage des intermittents passe par la mise en oeuvre d'une politique forte en faveur de l'emploi culturel, qui devra s'efforcer de relever la part des emplois permanents et des structures pérennes du secteur.

La durée moyenne de travail annuel rémunéré ainsi que la durée moyenne des contrats des intermittents devront également être augmentées.

Cela ne signifie pas pour autant que les annexes VIII et X de la convention UNEDIC ne doivent pas être réformées, mais cette réforme doit venir en complément de la mise en oeuvre préalable d'une politique de l'emploi culturel, adaptée aux spécificités des pratiques de travail des artistes et des techniciens.

C'est pour cette raison que, conformément aux souhaits exprimés unanimement par l'ensemble des membres du comité de suivi sur la réforme de l'assurance chômage des intermittents, nous demandons l'abrogation du protocole du 26 juin 2003, par souci de cohérence politique et de justice sociale.

Pour mener à bien une politique de l'emploi culturel, il est indispensable que l'Etat cesse de se désengager en la matière, comme il le fait actuellement.

Les collectivités territoriales contribuent aujourd'hui aux deux tiers des financements publics de la culture et ce n'est pas le budget de la culture pour 2005 qui viendra inverser cette tendance.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Il est en augmentation de 6 % !

M. Serge Lagauche. Outre le budget général de votre ministère, qui est passé sous la barre symbolique de 1 % du budget de l'Etat, les crédits affectés à périmètre constant à l'architecture, au patrimoine, à la danse, à la musique et au spectacle sont tous en baisse.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est faux !

M. Serge Lagauche. Une fois de plus, les collectivités territoriales vont être mises à contribution pour compenser ce désengagement chronique de l'Etat, ce qui sera extrêmement difficile compte tenu des charges transférées sans compensation face aux réels besoins. (M. le ministre s'exclame.)

C'est pourquoi la mise en oeuvre par les collectivités locales d'une politique efficace en direction de l'emploi culturel ne pourra se faire sans un soutien financier de l'Etat et sans une réforme structurelle des actions menées aux divers échelons territoriaux.

Comme l'a souligné Michel Françaix à l'Assemblée nationale, la question de la décentralisation de la politique culturelle se pose aujourd'hui avec acuité. Quel rôle joueront les régions et les collectivités locales ?

Le rôle des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, devra être clarifié, tout comme il sera nécessaire de mettre en place un système d'observation et de collecte d'informations sur le spectacle vivant, permettant une meilleure lisibilité des responsabilités des différents partenaires.

D'autres efforts de structuration des secteurs d'activités culturels peuvent également être envisagés. Par exemple, comme le suggère la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, des réseaux reliant plusieurs scènes publiques ou privées pourraient être mis en place. Cela permettrait d'assurer aux oeuvres une garantie de diffusion qui dépasse la moyenne actuelle de neuf représentations, contribuant ainsi à l'élargissement et à la diversification du public.

On pourrait également envisager, comme cela a été suggéré à l'Assemblée nationale, une mutualisation des moyens des micro-entreprises du spectacle.

Voilà, parmi tant d'autres, quelques-unes des pistes qu'il conviendrait d'examiner en profondeur, dans le cadre du lancement de la politique de soutien à l'emploi culturel que vous souhaiteriez matérialiser lors de futurs accords que vous appelez déjà « accords de Valois ».

Votre gouvernement a, par ailleurs, fait part de ses intentions de développer les enseignements artistiques mais, depuis son arrivée aux affaires, il n'a de cesse de revoir à la baisse les crédits et les personnels enseignants affectés au plan Tasca-Lang de revalorisation de l'éducation artistique à l'école. L'accès de tous les jeunes à la connaissance et à l'apprentissage des arts constitue pourtant l'un des fondements de la démocratie culturelle. Il s'agit là d'un enjeu majeur de sensibilisation à l'art et de formation de l'esprit critique de nos jeunes concitoyens.

Il faut encourager fermement la promotion de l'éducation et de la pratique artistique dans les établissements scolaires et universitaires. Malheureusement, M. Fillon ne semble pas vouloir se doter des moyens nécessaires pour parvenir à cet objectif. Les vertus formatrices et pédagogiques de l'éducation artistique et culturelle sont pourtant reconnues comme fondamentales par les enseignants. C'est pourquoi il faut cesser d'opposer les activités artistiques et culturelles aux apprentissages fondamentaux de l'école.

Il est par ailleurs inacceptable que les artistes qui souhaitent participer aux côtés des enseignants aux projets, activités et enseignements artistiques se voient refuser par les organismes sociaux la reconnaissance de la nature artistique de leurs interventions.

Permettez-moi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous lire quelques lignes de l'appel lancé par l'Association nationale de recherche et d'action théâtrale : « Nous demandons que soit reconnue, par l'UNEDIC et les autres partenaires sociaux, la nature artistique du travail des artistes intervenant dans le cadre scolaire. L'essentiel est l'objet du contrat : " prestation artistique " et non " enseignement ". Il s'agit de bien qualifier d'" activité artistique " l'intervention partenariale à l'école. En ce qui concerne les artistes intermittents du spectacle [...], il est demandé que soient prises en compte un minimum de 120 heures, jusqu'à concurrence de 169 heures, sur les 507 heures actuellement requises pour donner accès à l'ouverture des droits de ces artistes à l'assurance chômage. »

Pour conclure, il m'apparaît essentiel d'éveiller le sens artistique non seulement des plus jeunes mais aussi des moins jeunes, par le biais des comités d'entreprises ou des universités inter-âges, qui sont aussi des facteurs de démocratisation de la culture, mais encore et surtout de pérenniser le principe de l'intermittence. Il s'agit là d'une condition fondamentale de la survie de l'exception culturelle française et de notre rayonnement artistique au plan international.

Un sérieux combat est à mener tant au niveau de la France que de l'Europe, étant donnée la menace contenue dans la directive Bolkestein, dont vous devriez être le premier, monsieur le ministre, à appuyer le rejet auprès du Gouvernement et, plus particulièrement, auprès de M. Chirac.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Mais je le suis !

M. Serge Lagauche. Monsieur le ministre, je ne suis pas là pour vous inonder de compliments ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Henri de Raincourt. C'est dommage, car il les mérite !

M. Charles Revet. Vous aviez pourtant bien commencé !

M. Serge Lagauche. Mais vous, mes chers collègues de la majorité, vous le faites suffisamment !

M. Jean-Claude Gaudin. Je vais le faire !

M. Serge Lagauche. N'oublions pas qu'en ce moment même s'élabore, sous l'égide de l'UNESCO, un projet de convention qui tend à la reconnaissance de la spécificité des activités culturelles et de la légitimité de leur traitement particulier.

Je souhaite que cette reconnaissance internationale des objectifs d'intérêt général supérieurs que sont la liberté d'expression, le pluralisme des médias et la diversité culturelle puisse inspirer le ministère de la culture et de la communication dans la redéfinition de ses actions à l'égard du spectacle vivant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin.

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans toute société, la culture est un facteur déterminant. Elle englobe les arts et lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'homme, les systèmes de valeur et, bien sûr, la créativité, la recherche d'identité et l'acceptation de l'autre.

De nos jours, le rôle de la culture en France doit être réaffirmé. En effet, la culture contribue au maintien de l'équilibre entre les différentes communautés installées sur le territoire national et s'inscrit dans le cadre du développement durable en tissant un lien social entre celles-ci. Nous le savons, la culture est un juste et tangible rempart contre les fanatismes.

Monsieur le ministre, je partage et soutiens l'action que vous conduisez avec beaucoup de conviction et de qualités.

Cette action porte, d'une part, sur la mise en oeuvre d'une politique visant à la protection et à la diffusion du patrimoine à la fois monumental, écrit, cinématographique, linguistique ou visuel et, d'autre part, sur la création artistique, par un soutien affirmé aux oeuvres de création et l'encouragement à la diversité culturelle, aux secteurs d'intervention et à la création contemporaine, maintenant ainsi un équilibre nécessaire entre tradition et modernité.

Elle porte aussi sur la démocratisation de la culture, avec l'effort consacré à la répartition des équipements culturels nationaux implantés partout en France, le soutien aux structures, associations et compagnies culturelles, ainsi que la collaboration accrue avec les différentes collectivités pour la délocalisation des équipements nationaux.

De même, monsieur le ministre, vous avez su réagir et adapter l'action ministérielle aux évolutions économiques inévitables que connaît le secteur culturel, en les accompagnant de mesures de longue haleine, courageuses et nécessaires, notamment en faveur des intermittents du spectacle, dont on a beaucoup parlé cet après-midi.

Ainsi, à Marseille, où se tournent environ 120 films par an, courts métrages ou autres, nous accordons toutes les aides et l'assistance que l'on nous demande, à condition que soient embauchés sur ces tournages les intermittents de Marseille et de Provence en général.

Vous avez su renouer les fils du dialogue, répondre aux situations les plus urgentes et construire un nouveau système plus juste, même s'il n'est pas encore parfait.

Monsieur le ministre, des intermittents, vous avez quelquefois « secoué » le MEDEF : vous avez eu raison de le faire et nous vous y avons souvent encouragé !

Vous avez également agi en faveur des institutions culturelles et du patrimoine artistique français, par une ouverture aux initiatives extérieures et aux fonds privés, comme en témoigne la loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations du 2 août 2003, mais aussi en matière de protection des droits d'auteur et de la propriété littéraire et artistique, en faveur des industries culturelles, et sur bien d'autres sujets encore.

D'une manière générale, le ministère de la culture assure un rôle de régulateur et de « veille culturelle » fondamental. Il est un partenaire important et présent. Notre commission des affaires culturelles, en la personne de son éminent président, Jacques Valade, vous le rappelle régulièrement et vous savez nous écouter.

Monsieur le ministre, nous vous remercions pour votre capacité d'écoute et de prise en charge des différentes questions posées par le monde culturel, pour votre présence régulière dans les villes de France, auprès des partenaires et des acteurs culturels, et pour l'énergie que vous déployez à l'occasion de ces différentes missions.

Votre présence, demain, à Marseille, (Exclamations sur les travées de l'UMP) ...

M. Charles Revet. C'est un geste de reconnaissance ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Gaudin. ... montre l'intérêt que vous portez à l'action culturelle de nos cités et, plus particulièrement, à celle de la deuxième ville de France, capitale régionale et euroméditerranéenne. En effet, vous suivez attentivement les actions développées dans la cité phocéenne et votre ministère participe financièrement à de nombreux projets. (M. Serge Lagauche sourit.)

Les financements du ministère de la culture vont aussi bien à nos services culturels municipaux, à l'Opéra, au Conservatoire, à l'Ecole supérieure des beaux-arts, pour leur fonctionnement annuel, qu'aux structures associatives telles que le Théâtre national de la Criée, la scène nationale du Merlan, le Ballet national de Marseille et l'Ecole nationale supérieure de danse et d'autres scènes encore, ainsi que les arts de la rue que vous visiterez demain. Nous avons, en effet, acheté une usine désaffectée que nous leur avons immédiatement donnée. C'est là que vous prononcerez demain un important discours, monsieur le ministre.

La direction des Musées de France a honoré les musées marseillais du prestigieux label « Musées de France » et les aide régulièrement à compléter leurs collections par l'acquisition d'oeuvres, par le transfert de propriété, par des dons, par des dépôts ou par des actes de préemption lors des ventes publiques.

Les financements ministériels ont permis de faire sortir de terre l'équipement majeur de lecture publique qu'est la bibliothèque de l'Alcazar. D'une superficie de vingt mille mètres carrés, elle propose un million d'ouvrages et reçoit chaque jour 10 000 visiteurs, dont les enfants des quartiers. Ils viennent y recevoir une assistance pour les devoirs qu'ils ne peuvent pas trouver chez eux. Cette réalisation, nous vous la montrerons.

Nous vous ferons découvrir également le pôle « patrimoine », avec les Archives communales, le nouveau Centre de conservation et de gestion des collections muséales et le Centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine, ainsi que d'autres pôles.

Bien évidemment, j'écoutais tout à l'heure notre éminent collègue, Serge Lagauche.

M. Eric Doligé. Deux poids, deux mesures !

M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur Lagauche, comment concevoir que le conseil général des Bouches-du-Rhône ne finance plus l'Opéra, alors que les actions pédagogiques qui y sont développées depuis cinq ans maintenant visent principalement des classes de collégiens ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Quelle horreur !

M. Jean-Claude Gaudin. Comment accepter que le conseil général des Bouches-du-Rhône ne participe pas au financement de l'Ecole supérieure des beaux-arts, le seul établissement d'enseignement artistique du département ? (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Pour eux, ce n'est pas une priorité !

M. Jean-Claude Gaudin. Vous vous plaignez que l'Etat ne vous aide pas, mais le conseil général n'accorde pas un sou pour le Conservatoire national de région ! Heureusement que, dans d'autres départements, les éminents présidents de conseils généraux qui siègent ici ne suivent pas la même politique ! Cela étant, il donne quand même 1 500 euros au titre de la remise des prix de fin d'année, assortis d'une médaille, bien entendu à son effigie ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Monsieur Lagauche, le conseil général ne verse plus de subvention à la Cité de la musique. Il ne verse rien, non plus, au Ballet national de Marseille, pas davantage au festival d'été de Marseille, pourtant largement tourné vers l'autre rive de la Méditerranée.

Comme le disait un ancien maire de Marseille, ancien ministre : « Si l'Etat ne le fait pas, nous, nous le ferons ! » Moi, je dis : « Si les collectivités territoriales ne nous aident pas, nous le ferons quand même, nous, municipalité ! »

Puisqu'on parlait de chiffres, sachez que le budget de la culture a progressé, à Marseille, de 21 % en dix ans. Quant aux investissements, ils sont passés, durant la même période, de 33 millions à 40 millions d'euros.

Les objectifs sont donc multiples et variés. Je sens le président de séance sur le point de me faire comprendre que mon temps de parole va être dépassé. (Non ! sur les travées de l'UMP.)

Je voudrais tout de même rappeler que nous avons obtenu le prix Eurocités en 2002 pour notre politique exemplaire et que nous postulons pour le titre de « capitale européenne de la culture » en 2013.

Je vous remercie, monsieur le ministre, pour votre action et vous donne rendez-vous demain à Marseille pour la fête de la Chandeleur. Comme le sait M. Bret, cela commence par une cérémonie religieuse à six heures du matin, avec l'arrivée au port de Sainte Marie-Jacobé, Sainte Marie-Salomé et Sainte Marie-Madeleine, parties des Saintes-Marie-de-la-Mer en barque.

Vous arriverez un peu plus tard. Afin de venir vous accueillir, pour la première depuis quarante-trois ans que je suis élu à Marseille, je n'assisterai pas à la messe ! Mais je pense qu'on me le pardonnera ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de succéder au brillant maire de Marseille, ancien ministre.

Culture, savoir, science, innovation, création : même démarche, même combat, même nécessité.

M. Ivan Renar. Oh là, là !

M. Pierre Laffitte. Il est naturel pour la commission des affaires culturelles du Sénat d'associer la science et la culture et ce n'est pas un hasard si, parmi les quinze orateurs, se trouvent douze membres de cette commission.

Lorsque je dirigeais l'Ecole des Mines de Paris, j'avais, dès la fin des années soixante, introduit parmi les enseignants plusieurs acteurs. En effet, j'étais conscient de la nécessité pour de futurs ingénieurs de se faire comprendre en ajoutant à l'écrit la parole, le regard et le geste. Cette démarche, tout à fait symbolique, mériterait d'être développé.

Pour fêter les vingt ans de Sophia Antipolis sur le thème Humanisme et modernité, les entreprises installées avaient accepté d'organiser une table ronde sur Art et gestion des entreprises.

Artistes et PDG réunis en ont tiré, outre des enseignements d'une certaine généralité, la certitude  que l'innovation artistique, scientifique et managériale serait, pour une grande part, de même nature. J'en étais personnellement convaincu, comme bon nombre de neurologues, car il semble que ce soit la même zone du cerveau qui soit sollicitée dans ces différents cas.

J'en viens à l'essentiel de mon propos : la précarité se développe chez les intermittents du spectacle, surtout parmi les jeunes troupes.

Comment lutter contre cette précarité ? Je voudrais, monsieur le ministre, explorer des solutions tendant à augmenter l'offre de travail, dimension fondamentale pour des gens au chômage partiel une grande partie de l'année.

Mon caractère pragmatique me pousse à rechercher des solutions dans le domaine qui m'est familier, pour y travailler depuis plus de quarante ans avec un certain succès, notamment en matière d'emplois et de création de richesses ; je veux parler de l'innovation. En effet, dans mon département - je m'exprime sous le contrôle de l'ancien président de région et actuel maire de Marseille - près de la moitié du produit intérieur brut, soit environ deux milliards d'euros par an, proviennent de l'innovation dans les hautes technologies.

Comment faire pour que les zones d'innovation contribuent à apporter un appui aux intermittents du spectacle vivant ? Je crois, pour ma part, que le talent de ces derniers peut, par exemple, être mis au service d'une mobilisation nationale en faveur de l'innovation et de la diffusion de la culture scientifique, au demeurant réclamée par une commission que je présidais et dont deux rapporteurs, M. Ivan Renar et Mme Marie-Christine Blandin, sont aujourd'hui parmi nous.

Poser la question en ces termes, c'est, bien sûr, y répondre : acteurs-nés, les intermittents du spectacle peuvent, grâce à leur adaptabilité, à leurs qualités d'artiste et à leur talent de conviction, contribuer à diffuser les innovations.

De même, les animateurs des milliers d'entreprises innovantes, les milliers de chercheurs qui découvrent de nouveaux procédés et qui doivent exposer leurs produits en vue de les diffuser ont besoin d'une assistance pour apprendre à communiquer. Ce genre de formation suppose des centaines, voire des milliers d'heures de travail.

La France a besoin d'étudiants et d'enseignants plus nombreux, qui connaissent mieux les sciences et les techniques. Encore faut-il qu'ils sachent s'exprimer. Or la communication vivante est plus efficace que les documents, si savants soient-ils ! Elle passe par une chaleur humaine communicative, celles dont ont besoin également les malades des hôpitaux, les enfants des écoles, des lycées et des collèges.

Si l'on considère l'ampleur de ces besoins, la multiplicité des lieux où de telles communications sont nécessaires, il apparaît que, en exploitant ces gisements non satisfaits, on arriverait sans doute à diminuer sensiblement le volume du chômage et le nombre des intermittents. Je vois là un nouveau domaine, certes pas très aisé à explorer, mais rien n'est trop difficile.

L'expérience montre qu'un acteur de théâtre peut être fier à un double titre : non seulement, il est un créateur qui diffuse une culture littéraire, sociale ou musicale, mais il peut aussi aider à faire aimer telle ou telle recherche en histoire ou en physique, telle innovation médicale susceptible de faire jaillir des étincelles d'intérêt chez les jeunes et les moins jeunes.

Ce sont autant d'actions dont l'utilité sociale est considérable et qui donneront à tous les artistes la satisfaction de se savoir aptes à dépasser leur domaine d'action traditionnel pour apporter une aide réelle au développement économique, culturel, industriel et commercial de la nation.

Les deux expériences significatives citées au début de mon propos pourraient être multipliées dans le cadre des services décentralisés de nos provinces. 

Monsieur le ministre, vous qui avez, en particulier, la tutelle de la Cité des sciences, pourquoi ne feriez-vous pas sillonner toute la France par quelques milliers de sciences-bus ? Vous auriez l'appui certain de nombreuses collectivités locales, d'entreprises, de quantités d'associations qui aspirent à participer de façon bénévole à ce genre d'actions.

Les artistes au service de la science et de l'innovation c'est possible ! Je crois donc, monsieur le ministre, qu'il faudrait explorer cette piste. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste).

M. le président. La parole est à M. Marcel Vidal.

M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré la vitalité du spectacle vivant dans notre pays et l'importance du réseau de diffusion existant, la crise profonde, née de la réforme d'assurance chômage des intermittents, qui a remis en cause le statut de l'intermittence, ne peut nous laisser indifférents. Cette crise nous amène à nous interroger sur l'avenir même de la création artistique et culturelle, et implique une refondation de la politique publique de soutien au spectacle vivant.

La signature du protocole d'accord du 26 juin 2003 a été à l'origine de ce conflit sans précédent dans le monde du spectacle.

En effet, l'objectif fixé par ce protocole ne semble pas avoir été atteint : le déficit des annexes VIII et X de la convention UNEDIC, si tant est qu'il puisse être sérieusement chiffré, n'a pu être endigué. Les fraudes et abus au système d'indemnisation de l'assurance-chômage des intermittents demeurent.

De surcroît, les inégalités se sont accrues : la précarité de nombreux intermittents du spectacle s'est aggravée. Chaque jour, depuis le protocole de juin 2003, plusieurs d'entre eux en ont fait les frais.

La conclusion apparaît alors simple et fait l'unanimité parmi les parlementaires de la majorité et de l'opposition : la renégociation d'un nouveau protocole d'accord s'impose d'urgence, c'est-à-dire sans attendre décembre 2005, comme cela avait été initialement prévu.

Plusieurs problèmes accentuent la complexité de la résolution du conflit, qui est, à l'origine, lui-même délicat à résoudre, il nous faut bien le reconnaître.

On peut les répertorier schématiquement en deux catégories. Les premiers se posent déjà depuis longtemps et demeurent toujours, hélas ! Les seconds se poseront dans un avenir proche.

A propos des premiers, on doit déplorer la confusion des chiffres, comme l'absence de statistiques permettant d'avoir des données chiffrées relativement précises et réalistes. Ce défaut «d'objectivité du nombre» ouvre la porte aux critiques erronées du système d'indemnisation chômage qui est remis en cause.

Alors qu'il est reproché au secteur d'avoir un régime fortement déficitaire, nous savons qu'en 2002 les intermittents représentaient 4,9 % de l'ensemble des chômeurs indemnisés, mais ne percevaient que 3,6 % des allocations chômage, ce qui relativise leur responsabilité dans le déficit global de l'UNEDIC.

Il est absolument nécessaire de se donner les moyens d'opérer un croisement complet des fichiers et de mettre un terme à l'opacité des comptes de l'UNEDIC. En effet, nous ne connaissons toujours pas, ce qui est fort étonnant dans notre société adonnée à l'informatique et aux nouvelles technologies, le montant des salaires réels et le nombre des cotisants non indemnisés. Les écarts entre les chiffres avancés par l'UNEDIC, d'une part, et par la Caisse des congés spectacles, d'autre part, perdureront tant qu'aucun croisement sérieux de fichiers n'aura été effectué, comme l'exige la transparence. J'en veux pour preuve l'excellent rapport rédigé par M. Guillot, que la commission des affaires culturelles a eu l'honneur d'accueillir et d'entendre voilà quelques jours.

Un autre problème contribue à la confusion ambiante caractérisant la crise de l'intermittence : celui du contrôle effectif et efficace des abus et des fraudes. Le manque de moyens consacrés à l'augmentation du nombre d'inspecteurs du travail est à déplorer. Pourtant, il est évident qu'un tel investissement financier de la part de l'Etat serait particulièrement efficace pour lutter contre les fraudes en matière d'indemnisation du chômage. Prendre cette mesure urgente concourrait de manière importante à la diminution du déficit.

Ce contrôle doit aller de pair avec une délimitation précise des catégories professionnelles pouvant relever du statut de l'intermittence du spectacle. Procéder à cette délimitation est incontournable si l'on entend assainir le système et le rendre pérenne.

Enfin, il faut reconnaître l'absence de lisibilité des rôles des différents intervenants de ce secteur, à laquelle s'ajoutent une accumulation fréquente des priorités, des conventions, et une fragmentation systématique des décisions. Comment parvenir concrètement à mettre en oeuvre des orientations politiques claires, sans se perdre au quotidien dans des détails de procédure et des subtilités administratives ?

Quant aux difficultés auxquelles il faudra faire face demain, elles sont essentiellement liées à la décentralisation de la gestion culturelle et patrimoniale, de l'Etat en direction des collectivités territoriales. Alors que celles-ci contribuent déjà à hauteur des deux tiers au financement public de la culture, la décentralisation et les nouveaux désengagements financiers de l'Etat, notamment dans le domaine de la restauration des monuments historiques, orienteront les choix budgétaires locaux au détriment du spectacle vivant.

Dans ces conditions, quid, demain, de la diversité culturelle dans notre pays, dont chacun d'entre nous souhaite pourtant voir s'exprimer la richesse, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières hexagonales ?

La flexibilité du travail des employés de la culture est un élément de cette diversité. Elle doit perdurer, mais le nouveau système à mettre en place devra permettre d'éviter la confusion entre flexibilité et précarité. Or, dans la pratique professionnelle, la limite entre flexibilité et précarité est rarement parfaitement respectée. Elle pourra l'être grâce à un plan ambitieux en faveur de l'emploi, conformément d'ailleurs aux recommandations du rapport Guillot. Il faut reconnaître que l'intermittence possède ses rythmes spécifiques : il est nécessaire de consacrer du temps, en amont de la présentation des spectacles, à la prospection, à l'écriture des scénarios ou des partitions. Cela étant, l'emploi doit demeurer la règle et le chômage l'exception. Si la flexibilité permet la diversité, la précarité, en revanche, la dessert.

Si l'emploi doit être l'objectif, l'urgence est l'abrogation de l'actuel protocole et le rétablissement des garanties du système de l'intermittence selon un nouveau protocole d'accord : je pense ici aux diverses mesures approuvées à l'unanimité par le comité de suivi du Parlement, au premier rang desquelles figure la restauration de la règle des 507 heures sur douze mois, avec une date fixe d'anniversaire.

Précisons, comme le fait à juste titre le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les métiers artistiques, que l'activité des intermittents du spectacle, répartis entre les secteurs du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma, engendre un chiffre d'affaires de 22 milliards d'euros, pour 300 000 emplois, soit autant que l'industrie automobile. Comme le souligne le rapporteur de la mission d'information précitée, M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, il s'agit « d'un secteur fort économiquement et en termes de symbole ».

En tout état de cause, monsieur le ministre, comment paraître crédible aux yeux des intermittents du spectacle, dont 80 % perçoivent l'équivalent du SMIC, quand ceux-ci apprennent par la presse, au travers d'un article du Monde du 25 septembre 2004, que l'Etat se donne les moyens de rémunérer deux directeurs de l'Opéra de Paris pendant plus de six mois, seul celui qui a été nommé en juillet dernier occupant effectivement le poste ? La crédibilité politique vacille lorsque la légitimité de l'action publique est fragile.

A chacun de prendre ses responsabilités ; si les partenaires sociaux n'y parviennent pas, il revient au Gouvernement de prendre les siennes, et à nous parlementaires, députés et sénateurs, d'assumer les nôtres. Il n'est pas excessif d'affirmer que la diversité culturelle et le spectacle vivant en dépendent, de même que les hommes et les femmes qui travaillent dans ce secteur, sur scène ou en coulisses.

Monsieur le ministre, en cette fin de période de présentation des voeux, je forme celui que le conflit de l'intermittence trouve rapidement une solution satisfaisante, équitable pour les différents acteurs, réjouissante pour les spectateurs et permettant de garantir notre chère diversité culturelle. A votre ministère, cogestionnaire de cette crise avec celui de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, d'aider les partenaires sociaux à résoudre enfin ce conflit, dans l'intérêt général, sans attendre l'échéance de décembre 2005, ce qui me dispensera d'avoir à renouveler mon voeu au début de l'année prochaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.

M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on dit que, parvenue au bas des marches du grand escalier, au Casino de Paris, lors de la première de la revue Vive Paris, dans les années trente, Cécile Sorel, s'adressant à Mistinguett qui se tenait à l'avant-scène, lança son fameux : « L'ai-je bien descendu ? ». (Sourires.) Il n'est pas interdit d'évoquer ces deux grandes artistes du passé, qui ont fait la gloire de la France, dans un débat consacré au spectacle vivant.

En effet, cette question, à la fois grave et inquiète, il me semblait l'entendre - pardonnez-moi, monsieur le ministre ! - en relisant vos différents bilans et interventions. (M. le ministre rit.) Et la réponse, quand je considère les efforts déployés, les rapports présentés - tous remarquables, qu'ils soient signés Lagrave, Guillot, ou Charpillon -, les projets annoncés, les engagements pris et qui, je l'espère, pourront être tenus, me vient à l'esprit : oui, vous l'avez bien descendu, cet escalier, mais il reste encore une marche.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien ! Attention à la dernière marche !

M. Yann Gaillard. Pourquoi ce débat au Sénat, suivant celui du 9 décembre dernier à l'Assemblée nationale ? Peut-être parce que, entre-temps, il y a eu votre impressionnante communication du 17 décembre devant le Conseil national des professions du spectacle - vous avez alors déclaré mobiliser les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et mettre en place des commissions régionales des professions du spectacle, les COREPS -, plus probablement parce que le Sénat, enté sur les collectivités locales dont il émane, ne peut se désintéresser des festivals, des compagnies, des orchestres, des écoles d'art ou de musique qui animent la vie de nos terroirs. L'angoisse qui a dû vous saisir lorsque vous êtes arrivé rue de Valois, après la grande crise de l'été 2003, lequel d'entre nous, pourvu qu'il exerce quelque responsabilité dans l'organisation d'une animation importante pour son département, ne l'a éprouvée ? Qui n'a craint de voir réduits à néant ses efforts et ceux de son équipe en pensant à son festival, grand ou modeste - pour celui qui vous parle, il s'agissait des Nuits de Champagne, consacré par la ville de Troyes et la communauté d'agglomération à la chanson française ? Et lequel d'entre nous ne vous a été reconnaissant, alors, de pouvoir s'appuyer sur une action ministérielle résolue au moment où, de son côté, il prenait ses assurances pour garantir que tout se passerait bien ?

On ne peut nier non seulement que vous vous êtes multiplié, étant personnellement présent en tous lieux où cela se passait, au point de flirter avec le don d'ubiquité, mais aussi que vous avez procédé pas à pas, mesure par mesure, sans craindre ni les partenaires sociaux ni vos collègues du Gouvernement : mesures sociales, pour remédier à ce qui avait paru trop brutal dans le nouveau protocole, avec l'institution d'un fonds spécifique provisoire, suivi d'un fonds transitoire, pensés tous deux par M. Lagrave, les 507 heures en douze mois au lieu de onze, la prise en compte des congés pour maladie, celle des congés de maternité étant demandée à l'UNEDIC ; contrôle des abus, croisement des fichiers, appel à la conscience supposée des employeurs du secteur de l'audiovisuel, encore que, à mon avis, l'on n'ait pas assez fouillé le dossier, par-delà les chaînes de télévision, des sociétés de production, auxquelles est sous-traitée la réalisation de bien des programmes ; réflexion sur l'organisation d'un système pérenne, confiée à M. Guillot ; redéfinition possible du périmètre de l'intermittence demandée à l'inspecteur général Charpillon. Tous ces rapports remarquables vous ont d'ores et déjà été remis. On a envie de dire que vos missionnaires ont fait diligence !

Cela étant, monsieur le ministre, la meilleure volonté, la plus grande énergie peuvent-elles suffire, dans le secteur culturel comme dans le reste de l'économie nationale, à triompher des lourdeurs, des habitudes et des égoïsmes qui, depuis tant d'années, ont encrassé ce qu'il était convenu d'appeler le modèle français, et contribué à lui faire perdre son éclat ?

J'entends bien que vous êtes habité, depuis que vous avez succédé à Jean-Jacques Aillagon, ministre que beaucoup d'entre nous ont apprécié et qui a su lui aussi obtenir des résultats remarquables, par exemple avec sa loi relative au mécénat, aux associations et aux fondations, par une idée forte. Cette idée, vous y revenez sans cesse, avec chaque fois une modalité différente de l'expression.

Ainsi, à l'Assemblée nationale, le 9 décembre dernier, vous avez affirmé que « la culture a droit de cité, non seulement au coeur des Français, mais au coeur de la représentation nationale », ce qui, bien sûr, nous concerne aussi, nous sénateurs. Vous avez parlé, ce qui un est peu dur, de « démarginaliser le ministère de la culture ». En fait, à votre manière, vous voulez vous inscrire dans la grande lignée d'André Malraux, et mettre la culture au centre de la politique, au coeur de ce pays, la France, sans pour autant verser dans le chauvinisme ou la grandiloquence.

Si tel est votre dessein - il dépasse, bien entendu, le seul chapitre des intermittents du spectacle -, les obstacles ne manqueront pas.

Pour nous en tenir à ce qui fait l'objet de notre débat d'aujourd'hui, il y a bien sûr la situation financière de notre pays, même si vous avez été privilégié au titre du budget pour 2005. Il y a aussi et surtout le terrifiant salmigondis qui fait dépendre la situation des intermittents de l'assurance chômage, donc de la bonne volonté des partenaires sociaux. En effet, que représentent, par rapport aux masses gérées par l'UNEDIC, les « clients » des annexes VIII et X ? Est-il logique que la rémunération des acteurs de la vie culturelle repose sur l'ensemble des salariés ? Je sais bien que cet argument, tant de fois évoqué par le MEDEF, est peu sympathique, mais est-il pour autant dénué de tout fondement ?

Le rapport de M. Guillot va même plus loin dans l'analyse, quand il montre que, par-delà les périodes couvertes par la réforme de l'intermittence, « l'ensemble des acteurs concernés se sont habitués à intégrer les prestations de l'assurance chômage dans la fixation des prix et des rémunérations », faisant jouer à l'UNEDIC un rôle allant bien au-delà de l'assurance chômage.

Voilà une réflexion fondamentale, mais vous ne vous dérobez pas. Au contraire, vaillamment, vous réclamez - c'est la dernière marche de l'escalier - devant le Conseil national des professions du spectacle, le 17 décembre 2004, le remplacement du protocole d'assurance chômage passé avec les partenaires sociaux par un protocole portant sur l'emploi culturel dans toutes ses dimensions, et ce avant le 31 décembre prochain. Vous avez d'ailleurs trouvé un nom éclatant pour ce protocole : les accords de Valois. Dans Le Figaro de ce matin, le président d'un syndicat qui regroupe, paraît-il, « l'essentiel des structures subventionnées » vous répond : chiche ! J'ai envie de vous chuchoter : attention, danger ! Je souhaite pouvoir vous crier, le 31 décembre prochain : salut l'artiste ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avoir organisé ce débat est une initiative louable, mais son calendrier et sa finalité nous amènent à nous interroger.

En effet, il est bien tard pour entendre la représentation parlementaire, qui a, depuis plus d'un an, pu mesurer sur le terrain les dégâts causés par la ratification par le Gouvernement des accords dévastateurs de l'UNEDIC.

En outre, il est curieux de ne pas avoir de perspectives législatives, alors que les mois passent, nous rapprochant de la date fatidique de l'engagement de nouvelles négociations par ces mêmes partenaires sociaux non représentatifs qui avaient « commis » le précédent accord, autant inspiré par de mauvaises informations comptables que motivé par une conception réductrice de la culture.

C'est peut-être par là qu'il faut commencer : quel sens donnons-nous à la culture et quelle est la légitimité de son financement public ?

Alors que l'accès à toutes les formes de culture construit l'individu, l'ouvre, aiguise sa curiosité, lui permet la tolérance et lui donne la liberté de construire une société viable dans un monde durable, on ne peut pas fragiliser les artistes eux-mêmes sans prendre le risque d'avancer à l'aveugle. La complexité, voire le danger de ce qui nous entoure appelle à davantage de culture.

Ils sont nombreux les acteurs économiques qui froncent les sourcils en recensant les subventions culturelles de l'Etat et des collectivités, considérant que seuls le mécénat et les recettes des billetteries devraient financer la culture.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Qui a dit cela ?

Mme Marie-Christine Blandin. Certains se hasardent même à des calculs scabreux : ils comparent la fréquentation des salles de spectacle à celle des stades de football !

Il faut remettre en perspective le financement de chaque activité porteuse d'emplois. Les acteurs culturels n'ont pas à rougir de l'aide que leur apportent les pouvoirs publics, comparée aux milliards de subventions accordés aux entreprises, y compris celles qui délocalisent dans l'année qui suit, aux milliards engloutis par une agriculture sous perfusion, la France préférant l'accumulation des primes au juste prix de la qualité et à la dignité des paysans, ou encore aux milliards d'euros garantis par la COFACE, au risque d'encourager des exportations destructrices pour le Sud.

Non, décidément, ce n'est pas le soutien à la culture qui est contestable. Des pistes existent pour mieux faire et il est urgent de faire en sorte que l'accès du réseau institutionnel ne soit plus réservé à un public socialement favorisé. L'incapacité des structures fossilisées à faire circuler les oeuvres doit être remise en cause.

Comme l'évoque le Syndicat national des arts vivants, le SYNAVI, il faut aussi reconnaître d'autres pratiques, promouvoir les liens multiformes qui unissent l'art et la société, prendre en compte le critère de l'emploi dans les contrats d'objectifs (M. Louis de Broissia applaudit.), ne pas se contenter d'incitations mais se donner les moyens d'un contrôle réel.

Prenons un domaine moins médiatisé que celui des scènes du théâtre ou de la danse : les musiques actuelles. Les groupes de rock, de blues, ou d'autres musiques amplifiées sont pris depuis plusieurs années entre les mâchoires de l'étau.

D'un côté, s'applique la légitime loi sur le bruit, mais aucune aide pour l'insonorisation et la mise aux normes n'est prévue, et, de l'autre côté, il faut résoudre la quadrature du cercle pour que les musiciens d'un groupe soient à la fois correctement et légalement rémunérés. Entre l'insuffisant « coup à boire » du patron - indigne du travail accompli tant en amont que sur place, lors de la soirée d'animation du café - et le « juste prix », versé dans des conditions pouvant laisser soupçonner un salariat illicite, il est urgent de travailler avec les acteurs concernés et les responsables de lieux d'accueil pour restaurer l'expression du tissu musical foisonnant dans nos quartiers. Là aussi, des emplois sont en jeu.

Votre prédécesseur avait évoqué la possibilité d'une contribution des collectivités à la caisse de l' UNEDIC.

C'est non, mais il est superflu de le rappeler, vous l'avez vous-même inscrit dans votre discours, car il ne faut pas mélanger l'argent de la fiscalité locale et l'argent géré par les partenaires sociaux.

C'est non, parce qu'il serait bien imprudent d'abonder un dispositif si opaque que même un expert indépendant et compétent nommé par vos soins, Jean-Paul Guillot, a reconnu que les chiffres restaient inaccessibles ou incohérents avec d'autres sources.

C'est non parce que, en ces temps de décentralisation vue par le Premier ministre, de délocalisation des problèmes du Gouvernement, il est hors de question de charger la barque des dépenses forcées.

En revanche, nous pouvons faire mieux. Nous installons un groupe de travail afin de réfléchir à de meilleurs modes de financement de la culture par les collectivités, à une sorte de commande éthique. Je pense à des financements plus proches du juste prix, à la responsabilité de ne concevoir d'investissement que si l'on a dégagé les moyens du fonctionnement.

A ce sujet, le miel actuel du Louvre à Lens ne se transformera-t-il pas demain en potion amère ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Comment osez-vous ?

Mme Marie-Christine Blandin. Qui paiera le fonctionnement, le concierge, le chauffage, les assurances ?... (M. le ministre s'exclame.)

Je pense aussi à la priorité de l'emploi culturel durable sur le béton, à la priorité de l'épanouissement et de l'émancipation des habitants sur le rayonnement éphémère, riche en dettes du lendemain.

Revenons à la politique nationale. Vous savez comment est né le comité de suivi du nouveau protocole de la couverture chômage des artistes, techniciens et réalisateurs. Il est le fruit d'une initiative de Noël Mamère, de l'engagement de parlementaires de tous les partis, du travail assidu de professionnels, de syndicalistes et de la coordination des intermittents.

Rappelons le choc provoqué par les inacceptables et provocantes paroles du MEDEF, hélas ! relayées par François Fillon, qui distillaient un poison et tentaient d'opposer des gens qui sont à la peine : « N'oublions pas que ce sont les salariés qui payent les artistes à ne rien faire », disaient-ils !

Je sais, monsieur le ministre, que vous n'avez pas suivi cette voie, mais cela méritait d'être rappelé. Eh oui, monsieur le président de la commission, malgré vos recommandations, je remâche le passé, ...

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh bien, remâchez !

Mme Marie-Christine Blandin. ...mais c'est pour mieux construire l'avenir. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Le comité est également né d'une volonté d'expertise d'usage, celle qui, au plus près des réalités de l'emploi, des théâtres, des orchestres, des tournages, des ASSEDIC, du guichet unique pour le spectacle occasionnel, le GUSO, des pratiques opportunistes de l'audiovisuel, même public, permet de pointer les exclusions générées, les privilèges renforcés, les femmes enceintes et les malades oubliés, et toutes les structures fragilisées.

Nous parlions des hommes et des femmes, de leur couverture sociale et, ce faisant, nous touchions à la sève même de la pratique artistique, de la création, de la diffusion.

Nous parlions de droits sociaux et, ce faisant, nous étions au coeur du droit à l'art comme du bonheur et de la nécessité de l'éducation populaire. Les administratifs ne comptaient que les heures sur scène et les artistes levaient pertinemment le rideau sur les écritures, les répétitions, la formation reçue et donnée, qui sont si intimement tissées que les séparer relève de la déchirure de la matière elle-même.

Monsieur le ministre, bien que nous ne boudions pas ce débat - aucune opportunité démocratique ne doit être négligée - nous ressentons comme un fardeau l'absence de réponse globale du Gouvernement.

Le dialogue existe au Conseil national des professions du spectacle, le CNPS, avec la profession, au ministère avec le comité de suivi, avec la commission des affaires culturelles du Sénat, avec le Parlement par le biais de ces débats, à Avignon cet été avec le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, le SYNDEAC, ou même dans la rue.

Mais, aujourd'hui, vous savez ce qui ne sera pas accepté : les fausses solutions d'une caisse particulière, le glissement en catimini vers les annexes de l'intérim, l'usage pervers de nouveaux contrats à sécurité limitée. Votre rôle ne peut plus se limiter à des réparations ponctuelles. Nous avons salué ces petites avancées en leur temps parce qu'elles allaient dans le bon sens. Nous vous avons d'ailleurs alerté sur la mutation dommageable que subissaient vos décisions dès lors qu'elles étaient rédigées sous la plume de l'UNEDIC.

Le temps est venu de passer à l'acte réel et de légiférer en associant le ministère des affaires sociales et celui de l'éducation nationale à un arbitrage motivé par l'intérêt général pour que la mission de service public de la culture sorte de l'incertitude.

Pour notre part, sous des formes traditionnelles ou inhabituelles, nous sommes prêts à prendre notre responsabilité, et nous pensons que le Gouvernement a d'ores et déjà trop attendu pour prendre les siennes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le ministre, vous nous proposez, et nous vous en remercions, de débattre du spectacle vivant et donc de la place de la culture vivante dans la société.

Comme de nombreux parlementaires, comme vous, monsieur le ministre, je partage ma vie culturelle entre Paris et la province, ce mot que je ne renie pas, comme le faisait André Malraux.

Paris offre d'immense possibilités culturelles comme le Louvre, le Palais de Tokyo, le Centre Pompidou, l'Opéra Bastille ou l'Opéra Garnier ; ce sont encore les inventives nuits parisiennes, les spectacles, les cinémas, les concerts.

La province, c'est Dijon, que vous connaissez bien - j'espère vous y accueillir, comme Jean-Claude Gaudin à Marseille - Dijon, capitale des ducs de Bourgogne, princes de l'Europe culturelle avant l'heure, ou les zones rurales discrètes où nous vivons.

Toutes les pratiques culturelles - musique, danse, cinéma, arts plastiques - sont au coeur de l'identité d'un territoire. C'est la raison pour laquelle - je ne suis pas tout à fait d'accord avec certains des intervenants précédents - j'estime que les élus communaux, départementaux, intercommunaux, d'agglomération ou régionaux doivent s'impliquer dans l'éveil et la pratique musicale, théâtrale, littéraire, picturale et patrimoniale.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est évident !

M. Louis de Broissia. Je le fais dans les collèges de Côte-d'Or comme le font Henri de Raincourt dans les collèges de l'Yonne et Jean Puech dans les collèges de l'Aveyron.

Après André Malraux, l'écrivain, le visionnaire, le passeur de civilisations que tout le monde connaît, la politique culturelle d'Etat s'était trop vite rangée sous la règle réductrice et comptable, qui m'a toujours choqué, du 1 % culturel.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je suis d'accord !

M. Louis de Broissia. C'était une affreuse logique financière qui ignorait l'immense effort culturel réalisé par les collectivités territoriales, le mécénat, les associations, les entreprises, ou encore par l'industrie culturelle, et qui méconnaissait l'appétit culturel de nos compatriotes, qui dépasse largement 1 % de leur propre budget.

Depuis deux ans, nous traversons la crise dite « des intermittents », et ce n'est pas fini. Cette crise couvait sous la cendre depuis de nombreuses années, madame Blandin.

Votre mérite, monsieur le ministre, après celui de Jean-Jacques Aillagon, aura été de positiver cette crise pour prendre conscience de la nécessité d'une réflexion d'ensemble sur la création et la diffusion culturelles dans ce pays. C'est le sens de la contribution au débat apportée par Jacques Valade, qui souligne que la création culturelle, si elle reste foisonnante en France, se définit par trois caractéristiques principales.

Tout d'abord, elle est marquée par des incongruités. L'aspect budgétaire et financier reste lancinant, la création est insuffisamment financée et tout le monde note une dérive de l'indemnisation du chômeur culturel, contrairement à ce qui s'est passé pour d'autres catégories de chômeurs.

Ensuite, l'aspect social et même moral qui sublime la création précarise la situation des créateurs et de leurs collaborateurs.

Enfin, le troisième aspect, souligné dans son rapport par Jacques Valade et par certains autres sénateurs, est l'aspect démocratique ; il est sans doute le plus crucial pour nous. En effet, les créateurs ont du mal à trouver leur public.

Je cite une phrase du rapport : « il convient de remettre la population au centre des préoccupations du spectacle vivant. » Si le spectacle vivant rencontre des spectateurs moribonds, il n'y a plus de spectacle. (M. le président de la commission approuve.)

Le spectacle vivant aujourd'hui - parfois, j'ai l'impression d'enfoncer des portes ouvertes, mais nous sommes là pour cela - est un panaché permanent de baladins, de créateurs de génie, ou non, de spectateurs dans les salles ou derrière l'écran de télévision, à l'Opéra Bastille comme au parvis Saint-Jean à Dijon, dans les cinémas d'art et d'essai comme dans les concerts des petites écoles de musique de la Côte d'Or, réunis sur l'initiative du ministre de la culture ou sur celle de l'Association bourguignonne culturelle.

Mes chers collègues, ne pleurons pas sur une diversité culturelle morte ! Pour la quatrième année consécutive, la France a produit plus de 200 films et elle approche les 200 millions de spectateurs dans les salles de cinéma ; Chaque année, la musique française produit plus de 50 000 nouveautés, toutes variétés confondues, alors que 5 000 spectacles différents sont proposés, avec trop peu de spectateurs. Ce sont encore 8 000 ensembles et groupes musicaux, 3 300 compagnies professionnelles de théâtre, de danse ou de cirque.

Nous avons approuvé et encouragé votre projet de budget pour 2005, qui accorde une priorité absolue au spectacle vivant et à la création culturelle, y compris dans l'audiovisuel. Le spectacle vivant d'aujourd'hui doit être rénové et réconforté.

Permettez-moi de faire quelques propositions.

Tout d'abord, il me semble important que le spectacle vivant soit un vecteur d'animation de notre société par le biais de regards, d'écoutes, de sentiments croisés, mais il faut s'affranchir, monsieur le ministre, des trop nombreuses chapelles d'initiés qui caractérisent le milieu culturel français.

A cet égard, permettez-moi de vous donner un exemple. Lorsque j'ai voulu parler d'art contemporain à Dijon, on m'a répondu : c'est réservé à d'autres ! Pourtant, j'ai bien le droit de m'en occuper, d'autant que, lorsque j'étais jeune, j'ai bénéficié des conseils de M. Bernard Dorival, le créateur du musée d'art moderne.

Nous devons également placer la pratique culturelle - je sais que c'est l'une de vos préoccupations, monsieur le ministre - au coeur de la réforme de l'éducation. Ce n'est que jeune que l'on prend les bons réflexes culturels.

Nous voulons aussi que le spectacle vivant irrigue tous nos territoires, nos 4 218 cantons. Nous souhaitons que les Français aient droit à l'égalité des chances culturelles dans les 102 départements et les 22 régions.

Nous désirons en outre que prospèrent, car tout cela découle de ce que je viens de dire, les emplois culturels et que soient confortées les industries, entreprises et associations culturelles qui font vivre notre pays à la télévision, au cinéma, au théâtre, dans les salles de concert, et je n'aurais garde d'oublier de citer l'un de ces lieux.

Enfin, il faut que soit reconnu le rôle éminent des collectivités territoriales au côté de l'Etat.

Les collectivités territoriales, même si elles n'abondent pas le système de l'UNEDIC, sont des acteurs majeurs de l'animation culturelle ; Jean-Claude Gaudin l'a d'ailleurs dit avec beaucoup de talent. Elles sont proches des créateurs et des employés de la culture vivante. Elles sont accessibles aux entreprises et aux associations culturelles.

Il est en effet plus facile d'aller voir le président du conseil général de la Côte-d'Or pour financer le festival international de musique baroque de Beaune que d'obtenir des crédits nationaux. Par parenthèse, j'ai noté que le conseil général des Bouches-du-Rhône offrait 1 500 euros et une médaille. C'est un peu pingre ! (Sourires.) Nous faisons tous beaucoup mieux, mais M. Gaudin l'a dit si plaisamment ... (Nouveaux sourires.)

Ce matin, ce n'est bien évidemment pas un hasard, j'ai lu que le SYNDEAC, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, plaidait pour un « Valois social ».

Je m'inscris dans l'esprit qui est le sien, en particulier lorsqu'il considère qu'il faut adjoindre un nouveau contrat politique - pas simplement social ! - entre les artistes, la nation et les institutions de la République. Il se demande en outre quelle contractualisation devons-nous imaginer entre les tutelles pour mettre en oeuvre une politique nationale décentralisée du spectacle vivant.

Le processus de refondation du spectacle vivant, donc de l'emploi culturel, est engagé. Il l'est dans un esprit nouveau. La crise des intermittents et la gestion intelligente que vous en avez faite, monsieur le ministre - que tout le monde a saluée -, permettront de l'aborder avec la commission des affaires culturelles du Sénat sur le long terme.

A ce « Valois social » et, permettez-moi de le rajouter, populaire, nous voulons être présents sans jamais oublier une double et ardente obligation.

Premièrement, celle d'un engagement pluriannuel - j'ai connu le temps où nous avions des programmes pour le patrimoine, c'était du temps d'autres ministres -, partenarial et conventionnel pour la culture vivante entre Etat, collectivités, entreprises, associations, mécénat, créateurs et diffuseurs culturels.

Deuxièmement, celle d'une volonté affichée - je le répète pour la dernière fois - de populariser les cultures en croisant les pratiques dès le plus âge.

Monsieur le ministre, lorsque vous mettrez de l'air dans la culture française, nous serons à vos côtés. La culture française le mérite ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, l'avenir du spectacle vivant dépend, bien évidemment, des perspectives de la politique culturelle, pas seulement pour les prochaines semaines, mais aussi pour les années à venir !

Votre gouvernement a hérité, en 2002, d'un capital important, envié hors de nos frontières, avec un réseau considérable d'équipements et d'institutions, un vivier remarquable d'artistes, d'animateurs et de très nombreux techniciens professionnels. Ce réseau s'est bâti avec une relative continuité depuis quatre décennies et il a connu un essor renouvelé en 1981.

Ces acquis, vous en avez la responsabilité ! Or on ne sait pas grand-chose du projet culturel global de votre gouvernement. On ne discerne pas assez les perspectives.

Certes, on peut lire ce projet en creux dans les choix budgétaires. Après deux ans de cure d'amaigrissement et de mesures de retardement, on voit bien quelques annonces positives. Je pense à la création d'une chaîne d'information internationale, mais au prix d'un redéploiement des moyens du secteur, ...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Mais non !

Mme Catherine Tasca. ... comme l'a indiqué M. Copé, ou à une certaine priorité donnée au patrimoine, mais au prix de l'assèchement des crédits de paiement.

On constate surtout des reculs : la baisse de la redevance par l'exonération des résidences secondaires, au mépris des développements nouveaux du secteur public - et l'apport de 20 millions d'euros supplémentaires ne la comblera pas ! -, la neutralisation de la Réunion des musées nationaux au profit de l'autonomisation des établissements publics - incités à se reposer de plus en plus sur le mécénat -, le recul de l'éducation artistique à l'école et, enfin, le blocage du dossier des intermittents.

Je commencerai par ce dernier dossier.

L'interrogation sur l'équilibre global de l'UNEDIC et sur la gestion du régime d'indemnisation du chômage dans le secteur culturel ne date, hélas ! pas d'hier. Tout comme n'est pas d'hier l'hostilité du patronat à l'égard de ce régime spécifique, dont on sait pourtant bien qu'il est indispensable à la vitalité des activités artistiques de notre pays et qu'il irrigue très positivement l'économie des territoires. Le maire d'Aix-en-Provence s'en est d'ailleurs rendu compte l'été dernier. C'est pourquoi le gouvernement de Lionel Jospin avait fait adopter une loi le 5 mars 2002 confirmant le maintien des annexes VIII et X jusqu'à accord entre les partenaires sociaux.

Certes, il n'est pas facile de faire aboutir une négociation lorsque l'un des partenaires - le MEDEF - n'en veut absolument pas et s'emploie à discréditer les bénéficiaires. Votre gouvernement, malheureusement, a choisi de lui donner raison en agréant un accord que tout le monde aujourd'hui considère comme injuste et inefficace, à savoir le protocole signé le 26 juin 2003.

Depuis lors, les services de l'UNEDIC et les intermittents sont plongés dans l'incertitude et dans la confusion sur les procédures à suivre. Cette confusion a encore été aggravée, semble-t-il, par la dernière circulaire de décembre 2004. Pendant ce temps, un nombre croissant d'acteurs de la vie culturelle sont en voie d'exclusion du système et des manifestations remarquables sont condamnées.

Les chiffres que vous avez cités prouvent assez que les intermittents ne sont pas des privilégiés. Il est donc temps de sortir du rituel des rencontres et des rapports afin de proposer une issue à ce conflit, qui mine le secteur dont vous avez la charge, en particulier le spectacle vivant.

Si, pour en sortir, vous devez choisir la voie législative, alors faites-le quand il en est encore temps !

La proposition de loi élaborée par le comité de suivi, que vous avez vous-même encouragé, vous en donne l'occasion. Mais il vous faudra aller plus loin : obtenir que l'UNEDIC donne enfin à la négociation des bases chiffrées complètes et fiables, prendre position sur le périmètre légitime de ce régime et, surtout, confirmer son maintien dans la solidarité nationale, et non dans un régime isolé.

Toutefois, j'ai entendu ce soir des propos - mais ils n'émanaient pas de vous, monsieur le ministre - qui confirment mes inquiétudes au sujet du maintien du régime des intermittents dans la solidarité nationale.

Concrètement, quelles mesures allez-vous prendre avec vos collègues du Gouvernement pour sortir de cette impasse ? Dans quels délais ?

Le deuxième point que je veux aborder est celui de la responsabilité de l'Etat à l'égard de la culture, notamment du spectacle vivant.

Dans ce secteur, comme dans tous les secteurs d'intérêt général, l'Etat ne peut s'exonérer de sa responsabilité, et la décentralisation ne saurait justifier son désengagement. Le spectacle vivant peut poursuivre son développement dans le pays, à la condition expresse que demeure un large secteur non marchand, et que celui-ci bénéficie de la double confiance des collectivités locales et de l'Etat.

Les choix artistiques, leur diversité, leur liberté et leur indépendance, ont besoin du soutien ferme et conjoint de l'Etat et des collectivités territoriales. Celles-ci ne peuvent en être les seuls maîtres d'oeuvre. D'abord, parce qu'elles risquent de ne pas en avoir les moyens budgétaires, compte tenu des transferts de charges orchestrés par M. Raffarin. Ensuite, parce qu'elles peuvent être tentées, ou contraintes, sous diverses pressions locales, de restreindre le champ de l'expression artistique.

C'est une question grave, qui touche au pluralisme et à la création artistiques dans la cité La codécision, et donc le cofinancement, demeure le meilleur garant de la liberté artistique, et donc de notre liberté à tous.

Monsieur le ministre, comment allez-vous mettre en oeuvre la décentralisation dans ce secteur ? Il s'agit là non pas « d'arrogance » de l'Etat, pour reprendre le terme qui a été utilisé tout à l'heure, mais tout simplement de responsabilité de l'Etat.

Le troisième sujet qui me tient à coeur est celui de l'éducation artistique, notamment à l'école.

La réussite de nos politiques culturelles réside dans l'extension et la richesse des productions, et donc de l'offre culturelle. Mais afin que celle-ci participe réellement à la démocratisation, à l'égal accès de toutes et de tous à l'art et à la culture, nous avons besoin d'une véritable ambition, d'une vraie politique d'éveil de l'intérêt et des appétits culturels chez tous les jeunes Français, de quelque milieu qu'ils soient, dès le plus jeune âge, et donc nécessairement à l'école.

C'est la voie que nous avions prise en 2001. Aujourd'hui, tout donne malheureusement à penser qu'elle est sacrifiée dans le projet éducatif de votre gouvernement, sinon dans les discours, du moins dans les actes.

Au moment où la culture marchande, la production industrielle de masse, la construction de quasi-monopoles allant de la production à la diffusion envahissent presque tous les domaines artistiques et où le monde virtuel finit par occulter le monde réel, il est vital pour notre société de donner toutes ses chances au spectacle vivant, à son visage humain, à sa diversité, à son renouvellement, à son invention.

Monsieur le ministre, quelles chances d'avenir votre gouvernement donne-t-il à tous ceux qui font vivre le spectacle sur scène, à tous ceux qui, dans les salles, viennent les voir et à tous ceux qui oeuvrent afin que cette rencontre soit riche de découvertes réciproques ? C'est la question à laquelle vous devez répondre dans ce débat. Les mots, souvent justes, nous importent moins que votre capacité à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de la ville d'Avignon depuis plus de vingt ans, que ce soit au sein du conseil municipal ou en tant que conseiller général, il était logique que j'intervienne dans ce débat.

Il faut dire que l'annulation de l'édition 2003 du festival d'Avignon - fait unique dans son histoire - est encore dans toutes les mémoires. Ce véritable traumatisme, conséquence directe de la crise liée à la réforme du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, a laissé des traces durables dans une ville qui a fait de la culture sa principale référence.

II est vrai qu'aucune ville de province de taille équivalente ne peut se prévaloir de posséder, outre l'un des premiers festivals de théâtre du monde et un patrimoine architectural historique remarquable, autant d'activités culturelles toute l'année. Même la ville de Marseille ne peut le faire. (Sourires.)

Malgré tout, les crispations et la situation de blocage autour de l'accord du 26 juin 2003 ont eu au moins deux avantages.

Le premier aura été de démontrer aux esprits chagrins, si besoin en était, l'importance, sur le plan économique, de cette manifestation pour Avignon, le Vaucluse et ses habitants.

Je remarque d'ailleurs, au passage, que le pouvoir d'attraction du festival d'Avignon, ses retombées économiques directes et indirectes, ainsi que son influence sur la renommée de notre ville n'auront jamais été aussi évidents qu'après son annulation.

De ce point de vue, monsieur le ministre, je ne peux que vous rejoindre lorsque vous affirmez, comme devant nos collègues députés, le 9 décembre dernier, qu'il ne faut pas réduire la culture « au loisir intelligent, au supplément d'âme », mais qu'il convient également de prendre en compte ses dimensions sociales et économiques, tout autant que son universalité. Ce qui est vrai pour Avignon l'est également pour le reste du pays. Le rapport Guillot a ainsi démontré le poids économique du secteur du spectacle vivant, de l'audiovisuel et du cinéma.

En termes d'activité, quelques chiffres sont en effet frappants : ce secteur représente 22 milliards d'euros ; sa production correspond à 1,2 % de la production totale de l'économie française ; sa valeur ajoutée est de 11 milliards d'euros, comme l'a dit tout à l'heure le président Valade. C'est vrai qu'il emploie près de 300 000 personnes, ce qui est considérable dans notre pays !

Monsieur le ministre, nous ne pouvons que vous soutenir dans l'action qui est la vôtre d'intégrer et de valoriser ce secteur au sein d'une stratégie globale du Gouvernement d'attractivité du territoire, de lutte contre les délocalisations et, bien sûr, de création d'emplois pérennes.

Ces résultats, ces chiffres, sont le fruit direct du talent et du savoir-faire de nos artistes et de nos techniciens. Aussi, n'oublions jamais le rôle majeur qu'ils jouent dans notre pays. La nation leur doit une véritable reconnaissance, et le débat qui nous réunit en témoigne.

Toutefois, notre reconnaissance ne doit pas se résumer à installer durablement nos artistes dans une logique de complément de salaire venant de l'assurance-chômage. Non ! Notre reconnaissance doit se traduire par la définition d'un nouveau système de financement global qui leur permette de vivre de leur talent, de leur travail en en tirant une juste rémunération.

N'oublions pas non plus que l'existence d'activités culturelles dans nos quartiers, au même titre d'ailleurs que les pratiques sportives, reste une source d'harmonie sociale irremplaçable et la garantie, le plus souvent, d'une intégration réussie.

N'oublions pas, enfin, que le rayonnement de notre pays tient pour beaucoup à la qualité et au foisonnement de sa création culturelle.

J'en viens au second mérite de cette situation de blocage : elle aura été, en quelque sorte, le détonateur, le catalyseur d'une crise plus profonde touchant aux fondements mêmes et à l'avenir de la création culturelle en France, crise qui, de toute façon, aurait fini par éclater au grand jour.

Permettez-moi de noter en la matière que ceux qui nous donnent des leçons aujourd'hui sont les mêmes qui ont laissé la situation se dégrader depuis 1992, année du premier plan Lang-Aubry pour l'emploi dans le spectacle vivant. Un tel plan n'a jamais été mis en oeuvre et, surtout, il n'a jamais obtenu de financement !

Le débat qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit donc dans le souci d'apporter une contribution intéressante et, si possible, décisive à la réflexion collective qui s'est engagée pour redéfinir les modalités du soutien au spectacle vivant et à la création contemporaine dans notre pays.

Monsieur le ministre, grâce à votre ténacité et aux arbitrages du Premier ministre, vous avez répondu, par vos mesures et vos deux budgets successifs, à un grand nombre de propositions contenues dans le rapport de notre groupe de travail sénatorial sur la création artistique.

L'année 2004 a été incontestablement celle du renouveau du dialogue. Vous avez su prendre des mesures d'équité pour ramener tous les acteurs autour d'une même table. Vous avez enfin fait voter des crédits orientés essentiellement vers le développement de l'emploi culturel ; je pense, notamment, à votre politique de relocalisation des tournages.

L'année 2005 sera celle de la transition vers la construction d'un nouveau système. Celui-ci devra être juste et ferme : il devra être juste afin ne pas oublier les plus fragiles de nos artistes et techniciens, et donc reprendre les mesures provisoires et transitoires prises par le Gouvernement ; mais, il devra aussi être ferme en matière de redéfinition du périmètre pour éviter les abus, afin de rendre incontestables aux yeux de nos concitoyens le bénéfice d'un système spécifique et le maintien de la solidarité interprofessionnelle.

Voilà pourquoi, à ce moment de mon intervention, je tenais à vous féliciter sincèrement, monsieur le ministre, de la manière avec laquelle vous avez su prendre à bras- le -corps le dossier et vous remercier de cette initiative qui dénote une volonté forte d'associer la représentation nationale à l'effort de réflexion sur un sujet dont l'importance n'échappe à personne.

Sachez, monsieur le ministre, que l'élu de la ville de culture que je suis apprécie à sa juste valeur votre action à la tête du ministère de la culture et de la communication. Votre sens de l'écoute et votre ténacité constituent autant d'atouts pour mener à bien cette réforme et, au-delà, l'ensemble des chantiers que vous aurez à conduire dans les prochaines semaines.

La diversité des profils des orateurs qui se sont exprimés aujourd'hui à cette tribune démontre bien que vous avez su impulser une dynamique et que vous êtes soutenu au-delà de vos interlocuteurs naturels, au sein de la commission des affaires culturelles en particulier.

Le Sénat, la majorité sénatoriale, inutile de le préciser ici, a pris toute sa part dans cette démarche commune en mettant en place un groupe de réflexion dont nous avons déjà beaucoup parlé ce soir.

Je ne reviendrai donc pas sur les propositions contenues dans le rapport élaboré par ce groupe auquel j'ai participé avec beaucoup d'intérêt, rapport - c'est suffisamment rare pour être souligner - adopté à l'unanimité de ses membres, toutes tendances politiques confondues.

Je me bornerai simplement à rappeler qu'une délégation, constituée de sénateurs membres de ce groupe, de sensibilités politiques tout à fait différentes, conduite par notre président Jacques Valade, a largement contribué, dans le cadre de l'édition 2004 du festival d'Avignon, à la recherche d'une solution avec les partenaires sociaux et les artistes. Il convenait de sortir de cette situation qui risquait, cette fois sans doute de manière définitive, de remettre en cause l'existence même du festival d'Avignon.

J'ai gardé, monsieur le ministre, un excellent souvenir du débat du 8 juillet 2004, qui s'est déroulé dans la magnifique cour du cloître Saint-Louis, en présence de tout ce que notre pays compte de personnalités issues du monde du théâtre. Vous avez démontré, ce jour-là, votre sens du dialogue, votre détermination ainsi que votre courage. L'exercice n'était pas facile ! Comme vous l'avez dit tout à l'heure, il est vrai que « l'air était vif » !

La contribution de la commission des affaires culturelles a été, ce jour-là, d'autant plus appréciée et prise en compte qu'elle constituait l'aboutissement de quinze auditions différentes et de réunions de travail nombreuses ayant permis d'écouter tous les intervenants concernés, directement ou non, par la création culturelle, qu'ils soient artistes, techniciens, représentants des organisations socioprofessionnelles, syndicalistes, directeurs de service au ministère, etc.

Monsieur le ministre, et ce sera ma conclusion, le dialogue étant renoué et le climat devenant incontestablement plus serein, il convient maintenant, sur la base des nombreuses propositions élaborées par les différents acteurs ayant participé au débat, de passer à la phase active de l'ambitieuse refondation de la politique de soutien au spectacle vivant.

A cet égard, j'ai toute confiance en vous pour mener à son terme ce difficile chantier. La méthode choisie est incontestablement la bonne, et vous pourrez compter sur l'aide de la commission des affaires culturelles du Sénat et sur notre soutien le plus total dans cette tâche exaltante. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Monsieur le ministre, avant le débat qui nous réunit aujourd'hui, nous avons rencontré les principales personnes intéressées par la question de l'intermittence. Toutes ont reconnu que ces derniers mois ont été l'objet d'un travail remarqué, utile, auquel vous avez directement participé, ainsi que de nombreux autres acteurs.

Toutefois, nous avons ressenti à nouveau une grande inquiétude face au calendrier. Peut-on raisonnablement penser qu'un accord sera obtenu ? On parle de la date butoir de la fin de l'année 2005. Mais, nous a-t-on dit, c'est plutôt avant l'été qu'il faut essayer de clarifier le sujet. Le calendrier politique est donc plus tendu que le calendrier juridique.

On risque fort de se retrouver dans une situation très difficile. Je vous le signale parce que nous l'avons ressenti, comme vous, monsieur le ministre, j'en suis persuadé Il ne s'agit donc pas d'une observation pessimiste. Vous connaissez suffisamment le dossier pour savoir qu'il vaut mieux être réaliste afin de franchir la dernière marche, comme l'a dit notre collègue Yann Gaillard...

On a beaucoup évoqué l'emploi - et l'on a raison - afin de régler un problème que même le meilleur des accords ne pourrait résoudre. A cet égard, on se tourne beaucoup vers les collectivités locales, et ce à juste titre ; vous avez rappelé les chiffres : un tiers, deux tiers.

Les régions disposent de budgets serrés. Par ailleurs, certains comportements lors des alternances n'ont pas toujours été ce qu'ils auraient dû être dans l'optique de la continuité des actions. (M. Louis de Broissia approuve.)

Si nous souhaitons créer de l'emploi, nous devons admettre que nos politiques nécessitent une vision sur le long terme ; il faut sortir à la fois du saupoudrage et du coup par coup qui peuvent conduire à soutenir telle opération une année, puis telle autre l'année suivante, etc. Il convient d'adopter, avec les collectivités locales, une démarche constructive sur la durée. Monsieur le ministre, vous êtes assez au fait des questions locales pour aller dans ce sens et l'Etat doit nous y aider.

Tel est le point sur lequel je souhaite insister. Les collectivités locales doivent mettre en place une politique structurée. Si tel n'est pas le cas, les DRAC, les régions et les départements risquent de voir affluer de nombreuses demandes, chacun essayant, en ordre dispersé, de négocier son festival, son action, sa structure... Je ne suis pas insensible aux propos des différents acteurs : la DRAC, en tête, réagit, face à cette situation, en invitant les uns et les autres à présenter des projets structurés et cohérents.

Monsieur le ministre, si l'on tient à trouver des marges de manoeuvre du côté de l'emploi culturel en se tournant vers les collectivités locales, on doit tout de même reconnaître que le contexte budgétaire est très dur. Lorsque l'on les sollicite, elles nous indiquent qu'il ne faut pas attendre grand- chose de leur part cette année ! Il est donc absolument nécessaire que l'Etat fournisse à ces secteurs les moyens dont ils ont besoin. Monsieur le ministre, c'est chose faite dans le budget 2005, avez-vous dit ? Tant mieux !

Je souhaite que les missions des DRAC soient bien déterminées afin que de tels moyens soient utilisés de façon à construire des politiques structurées permanentes avec tous les partenaires. Ce n'est pas facile à réaliser, car il faut résister à la pression des uns et des autres.

Une telle démarche s'inscrit dans la logique adoptée par plusieurs de mes collègues qui sont présidents de département : M. Jean Puech évoquait, tout à l'heure, l'école de musique départementale qu'il a créée du temps d'un ancien ministre avec lequel il a pu contractualiser ; mon collègue de Bourgogne a fait état de toutes les actions qu'il mène.

Monsieur le ministre, concernant la construction d'une politique structurée dans la durée, je tiens à insister sur un autre point qui me tient particulièrement à coeur, étant l'élu d'une ville moyenne : il faut absolument pénétrer les territoires en s'appuyant sur les relais que constituent les villes moyennes, et même les petites villes. En effet, il s'agit d'un point d'appui absolument évident ; les départements le comprennent bien, les régions le peuvent aussi.

Vous passez des conventions culturelles avec les grandes agglomérations, et vous avez parfaitement raison ! Toutefois, je souhaiterais que, à travers la structuration de la politique culturelle, vous incitiez également l'ensemble des acteurs à établir des conventions avec les villes moyennes. En effet, avec leurs 50 000 ou 80 000 habitants, elles représentent souvent l'endroit de référence où l'on ouvrira l'école de musique, où l'on pourra travailler sur le théâtre vivant, entraînant ainsi un rayonnement géographique. C'est aussi un lieu privilégié pour parler des arts contemporains ; Dieu sait si c'est important et si le manque est énorme dans ce domaine.

Il est possible de dégager des marges de manoeuvre pour l'emploi culturel, me semble-t-il ; mais cela ne s'improvisera pas. Il ne suffira pas de dire aux collectivités locales : allez-y ! Encore faudra-t-il que l'Etat nous aide à élaborer cette politique dans la durée.

Monsieur le ministre, comme d'autres avant moi, je souhaite évoquer un dernier point : l'enseignement artistique dans les écoles, qui soulève deux problèmes.

Le premier concerne l'éducation nationale. Selon moi, tous les enseignants, quelle que soit leur discipline, ont vocation à participer à la mise en place d'une politique d'enseignement culturel dans les classes.

Celle-ci devrait d'ailleurs faire partie des savoirs fondamentaux évoqués dans la future loi d'orientation sur l'école. Il va immédiatement nous être rétorqué : avec quelles heures ? La réponse à cette question figure-t-elle dans la circulaire interministérielle que vous élaborez avec le ministère de l'éducation nationale, monsieur le ministre ? On me dit que cette circulaire est excellente, mais je n'ai pas lue.

Le second problème a trait à l'intermittence, à la participation des artistes qui se rendent, le plus souvent bénévolement, dans les écoles et les collèges. Leur présence devrait systématiquement être prise en compte dans le calcul des heures requises pour bénéficier du régime d'indemnisation des intermittents.

Encore faut-il que ces artistes soient financés. Je crois savoir que, là aussi, vous disposez d'enveloppes déconcentrées au niveau des DRAC, dont le montant s'élèverait à une quarantaine de millions de francs. Cet argent est-il ciblé ou bien simplement globalisé ? Comment pouvons-nous avoir l'assurance que ces moyens seront bien mis à disposition ? En effet, le cofinancement par les collectivités locales n'est pas exclu ; encore faut-il que l'Etat participe.

C'est un point essentiel, monsieur le ministre, vous en avez conscience. Tous les intervenants l'ont souligné, notamment Mme Tasca, une politique de développement culturel ambitieuse en France passe par l'école. Au-delà des discours, venons-en aux actes !

Je souhaite que la future loi d'orientation aborde le sujet. Vous-même, monsieur le ministre, avec la circulaire que j'ai précédemment évoquée et les moyens qui ont été annoncés, j'espère que vous pourrez définir précisément quel sera le financement des artistes dans leur mission non pas d'enseignement artistique, mais de découverte du monde à travers les oeuvres. Ils ont en effet un rôle spécifique qui n'est pas celui des enseignants, mais qui est fondamental pour l'ambition de notre politique nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le ministre, lorsque, voilà quelques mois, vous êtes arrivé à la tête du ministère de la culture et de la communication, nous étions en pleine crise des intermittents du spectacle, une crise née d'une mauvaise négociation du protocole d'assurance chômage. Mauvaise négociation parce que l'on avait trop tardé à engager les réformes incontournables, dans ce domaine comme dans d'autres ; mauvaise négociation parce que l'analyse des abus était sommaire et les moyens pour les combattre inadaptés faute d'avoir eu le courage de redéfinir les métiers, artistes et techniciens, de la création et de la diffusion culturelles ; mauvaise négociation parce que le diagnostic était erroné sur le rôle et la place de la culture dans nos cités.

Cette crise aura néanmoins eu le mérite de permettre une vraie prise de conscience, dans tout le pays, de l'importance sociale mais aussi économique de ce que l'on appelle les arts vivants. Vivants parce qu'ils produisent les émotions individuelles et collectives dans nos cités, depuis le plus petit village jusqu'à la grande métropole ; vivants parce qu'ils interpellent sans cesse les valeurs et les pratiques qui fondent notre cohésion sociale ; vivants, enfin, parce qu'ils bousculent notre conscience et nos regards sur l'humanité.

Cette prise de conscience, certes payée au prix fort par les villes qui ont vu leur festival annulé, était nécessaire. Vous avez eu le mérite, par votre écoute, votre présence, votre objectivité et vos actes, non seulement de permettre que le dialogue soit renoué, mais aussi et surtout d'avoir su dépasser le strict champ social pour redéfinir, étape après étape, une véritable stratégie de développement de l'emploi culturel.

Vous souhaitez faire du développement des industries culturelles et de l'emploi des instruments essentiels de l'attractivité de notre pays, de l'aménagement du territoire et de notre cohésion nationale. Votre démarche est la bonne, même si le chemin sera long et difficile. Après avoir renoué les fils du dialogue, vous avez eu raison de prendre le temps d'établir un diagnostic partagé et incontestable. De ce point de vue, l'apport du rapport Guillot, largement cité, est considérable.

Néanmoins, après la reprise du dialogue et le diagnostic, encore faut-il définir les bases du nouveau système.

Le protocole du mois de juin 2003 a-t-il atteint les objectifs que les partenaires sociaux s'étaient fixés ? La réponse est claire et sans ambiguïté : non ! L'application, plus peut-être que le protocole lui-même, a donné le sentiment d'une volonté de fragiliser les plus précaires, tout en maintenant les acquis des plus hauts revenus. De même, s'agissant des économies escomptées, nous sommes loin du compte puisque le déficit serait passé, si j'ai bien compris, de 800 millions d'euros à un milliard d'euros en 2004 !

Fallait-il pour autant revenir à l'ancien système ? Là encore, la réponse est négative, ne serait-ce que parce que la communauté nationale faisait reposer le financement de la culture en grande partie sur l'UNEDIC, et donc sur les salariés. Nous avons, de ce point de vue, une responsabilité collective, qu'il s'agisse de l'Etat et des différents gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 ou des collectivités territoriales.

Il convient donc, aujourd'hui, de définir les principes et le champ d'un nouveau protocole qui soit juste et équitable. Bien entendu, il n'est pas question de se substituer aux partenaires sociaux. J'observe toutefois que l'absence d'une branche patronale des employeurs de la culture au sein du MEDEF se fait cruellement sentir.

Néanmoins, il n'est pas interdit au législateur de poser quelques grands principes. En ce qui me concerne, j'en vois au moins trois.

Le premier, c'est le maintien de la solidarité interprofessionnelle et donc de la spécificité des annexes VIII et X. Les artistes et les techniciens ne sauraient être assimilés à des travailleurs saisonniers. Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette position.

Le deuxième principe, c'est la définition d'un périmètre incontesté et incontestable ; nous avons été nombreux à le dire, à cette tribune. C'est là, monsieur le ministre, l'un de vos plus grands défis. En effet, si nous voulons accentuer le soutien des élus et de nos concitoyens au maintien d'un régime spécifique, nous devons le rendre absolument incontestable.

Le troisième principe - l'un ne va pas sans l'autre - c'est la rigueur dans la lutte contre les abus. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez conditionné tous les financements de l'Etat au respect de bonnes pratiques d'emploi. J'aimerais obtenir de votre part davantage de précisions sur les instructions données à vos directions régionales. De même, quel est le bilan de votre action commune avec le ministère du travail s'agissant des contrôles et de la lutte contre les abus, quasi inexistants voilà encore quelques mois ?

Permettez-moi d'aborder à présent un volet qui me tient particulièrement à coeur et qui me paraît décisif pour l'avenir ; je veux évoquer la nécessité de repenser et de réorganiser les partenariats entre l'Etat et les collectivités locales - régions, départements, intercommunalités et communes.

Puisqu'il est maintenant exclu de faire reposer le financement de la création culturelle sur l'UNEDIC, il faut définir un vrai pacte politique national pour la création artistique et l'emploi culturel afin d'additionner de manière cohérente les interventions de tous les partenaires publics.

Le rôle des collectivités territoriales est dès à présent décisif, mais il ira croissant, car les politiques culturelles sont de plus en plus au coeur des projets urbains, du combat contre les fractures sociales et le communautarisme qui minent la cohésion sociale de nos cités, mais également des stratégies de développement économique de nos territoires, et notamment de la compétition que ceux-ci se livrent entre eux.

Encore faut-il qu'à tous les niveaux de responsabilité où les électeurs nous ont placés, quelles que soient nos sensibilités politiques, nous acceptions d'organiser les partenariats afin d'additionner nos moyens et, surtout, d'assurer la continuité des actions, des équipes et des équipements structurants, ceux sur lesquels reposent la création, l'enseignement, la formation et la diffusion culturelle.

Le rôle de l'Etat va être essentiel- Mme Tasca l'évoquait précédemment -, car c'est lui qui devra veiller à ce que les autoritarismes sectaires ne viennent ici ou là briser, vassaliser, instrumentaliser la création culturelle et sa diffusion.

Permettez, monsieur le ministre, que je saisisse l'occasion de cette tribune pour dénoncer ce que j'appelle « la casse culturelle » en Languedoc-Roussillon.

Vous êtes venu à plusieurs reprises dans notre région pour constater la brutalité des attaques contre des institutions et des manifestations qui avaient le malheur de déplaire au nouveau prince, je devrais même dire au nouveau consul puisque la région a été rebaptisée « Septimanie » dans les documents officiels ! La situation pourrait prêter à sourire si elle n'était si grave.

Que ce soit la fermeture brutale du Centre régional des lettres, les annulations unilatérales de subventions comme à Nîmes, les menaces qui pèsent sur le festival « Visa pour l'image », véritable rendez-vous mondial du photojournalisme, ou encore sur l'orchestre de Perpignan, il ne se passe malheureusement pas un jour qui n'apporte son lot de démantèlement de l'action culturelle, et ce, sans le moindre respect pour le travail accompli, au fil des années, par les élus, les bénévoles et les nombreux professionnels, pour faire vivre la culture dans nos territoires.

Dès lors, monsieur le ministre, il est primordial que l'Etat soit le garant de la continuité et de l'équité des financements sur l'ensemble des territoires. Je sais que vous êtes très attentif à ces dérives, mais il faudra des actions fortes. Je ne vois pas, quant à moi, d'autre voie que celle de la négociation de conventions pluriannuelles sur chaque agglomération, où soit engagé et donc lié, aux côtés de l'Etat, l'ensemble des collectivités territoriales.

Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi de vous témoigner à la fois mon soutien et mon admiration...

M. Charles Revet. Très bien !

M. Jean-Paul Alduy. ...pour avoir su, en si peu de mois, renouer les fils du dialogue par votre présence et votre écoute, prendre les mesures d'urgence pour soutenir les artistes et les techniciens les plus précaires, obtenir un budget en forte hausse pour le spectacle vivant - ce n'était pas simple -, faire voter des mesures décisives pour éviter en particulier les délocalisations de tournages dans l'audiovisuel et, surtout, définir une nouvelle approche qui mobilisera, j'en suis certain, toutes les collectivités territoriales.

Ainsi, parce que vous avez eu la clairvoyance de reconnaître la part essentielle apportée par les arts vivants dans le développement économique et le rayonnement de nos territoires, l'Etat, dans ce domaine, retrouve son vrai rôle de stratège et de partenaire, mais aussi de garant des valeurs qui nous rassemblent. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai le plus brièvement possible, afin que vous puissiez, les uns et les autres, honorer vos rendez-vous.

Je voudrais très simplement, non pas en mon nom personnel mais au nom des artistes et des techniciens dont nous devons être, dans la répartition de nos responsabilités, les serviteurs, vous remercier de votre présence nombreuse et de très grande qualité. Je vois un symbole dans l'ouverture de cette séance par le président du Sénat et dans le fait que les vice-présidents, les présidents de groupes et soixante-dix sénateurs se soient aujourd'hui rassemblés autour du spectacle vivant.

C'est, je le crois, très important. Il s'agit peut-être tout simplement de l'hommage légitime que nous devons rendre à ceux qui font la fierté de notre pays, à ceux qui permettent à nombre de nos concitoyens de dépasser leurs limites, leurs rancoeurs, leurs haines, à ceux qui sortent le meilleur d'eux-mêmes pour donner de notre pays la plus belle des images.

Certes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis un homme de dialogue et d'écoute ; néanmoins, je ne laisserai pas caricaturer la situation : nous agissons !

Aujourd'hui a été publiée et signée la convention entre le ministère de la culture, le ministère des affaires sociales et le ministère de l'économie et des finances pour que le fonds de transition applicable en 2005 voie le jour et pour que nous puissions, heure par heure, jour après jour, en suivre l'exécution au sein de l'UNEDIC, tel que cela est prévu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sans vouloir afficher une autosatisfaction prématurée et en complet décalage avec la réalité telle que je la perçois, je dirai que cette convention est très importante dans la mesure où il faut, au-delà de vos travées, que les artistes et les techniciens sachent à quoi ils ont droit dans notre pays.

Ils ont droit, s'ils ont accompli 507 heures de travail en douze mois, à être indemnisés ; ils ont droit - c'est une mesure nouvelle - à la prise en compte de leurs arrêts maladie pour les maladies remboursées à 100 % par la sécurité sociale ; les congés de maternités sont maintenant intégrés dans le calcul, ce qui est très important ; par ailleurs - et c'est ma manière de participer à la politique de renforcement de l'éducation artistique -, le contingent du nombre d'heures éligibles passe de 55 heures à 120 heures pour les artistes se livrant à des actions d'éducation artistique au sein de l'univers scolaire.

Je l'indique, évidemment, pour que les artistes et les techniciens le sachent et qu'ils puissent en bénéficier. Cependant, je ne considère pas, disant cela, que tout est réglé ; je m'assurerai moi-même, par ma présence dans un certain nombre d'antennes, de la large diffusion de cette information.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons été amenés à évoquer aujourd'hui - cela est bien évidemment normal - les conditions économiques et sociales du travail des artistes et des techniciens. Néanmoins, il ne faut pas oublier la magie dont ils sont capables et le fait que, à côté du talent, il y a le travail.

Ce double rappel est nécessaire : parler du spectacle vivant, des artistes, des techniciens, du cinéma, de l'audiovisuel, ce n'est pas parler uniquement des agents économiques que les uns et les autres peuvent être ; c'est également parler de personnalités particulièrement remarquables de notre pays.

Je suis venu aujourd'hui devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avec un triple souci.

Premièrement, je veux créer une synergie entre l'Etat et des collectivités territoriales. Vous l'avez évoquée les uns et les autres, et c'est un point important.

L'aspect positif de notre rencontre d'aujourd'hui est de voir les responsabilités des uns et des autres et de bien les délimiter. Je l'avais compris, je l'ai réaffirmé devant vous et vous l'avez exprimé de nouveau comme un souhait fondamental et formel : les collectivités territoriales n'ont pas vocation à participer directement à l'indemnisation du chômage.

Néanmoins, nous avons tous vocation à soutenir l'activité culturelle et artistique dans notre pays. De ce point de vue, certains orateurs, à juste titre, ont dénoncé un certain nombre de ruptures unilatérales de coopération autour de l'action culturelle.

Je me suis rendu vendredi dernier à Nîmes pour assister à une représentation de l'Enlèvement au sérail, l'Etat ayant été amené - cela ne peut évidemment se faire que de manière très exceptionnelle - à pallier une suppression de subvention de la région et donc, pour que le spectacle ait lieu, à apporter directement une contribution supérieure à ce qui lui incombe naturellement. Si j'avais un esprit polémique, mesdames, messieurs les sénateurs, je pourrais vous citer encore bien d'autres exemples, touchant l'ensemble des secteurs de mon ministère.

Il est véritablement urgent et nécessaire que cette synergie entre l'Etat et les collectivités territoriales se fasse sur des bases justes. Il n'y a pas de désengagement de la part de l'Etat ; je ne fais pas aux collectivités territoriales, qu'elles soient gérées par un exécutif de droite ou de gauche, le procès du désengagement. Chacun a ses priorités, et il est urgentissime que l'on se mette autour d'une table, région par région, pour effectuer l'addition des énergies.

Quoi qu'il en soit, c'est de la désinformation que de dire, secteur par secteur, que l'Etat se désengage. Cette allégation est tout simplement non vérifiée.

Deuxièmement, j'appelle de mes voeux la synergie entre mes deux « casquettes », la culture et la communication - les uns et les autres, vous y avez fait allusion. En effet, l'une et l'autre vont de pair.

J'ai assisté, hier, à une réunion sur les problèmes de captation à la télévision de toutes les formes de spectacles vivants. J'y attache énormément d'importance. Il faut ouvrir l'accès des spectacles aux nombreux publics qui n'en ont malheureusement pas l'habitude, en raison de précautions, de craintes, d'un coût trop élevé ou tout simplement faute d'en avoir reçu la culture.

Par conséquent, j'attache la plus extrême importance au contenu de l'offre télévisuelle de qualité, notamment dans le domaine culturel. Je fonde des espoirs raisonnables sur la multiplication des chaînes. De nouvelles chaînes publiques et privées gratuites verront le jour à la faveur de la télévision numérique terrestre.

L'Etat, grâce aux arbitrages récents du Premier ministre, a donné des moyens supplémentaires à l'audiovisuel public. Il s'agit de moyens fléchés, et non d'une nouvelle sorte de dotation globale de fonctionnement. Il y a des impératifs précis, et je ne peux pas non plus laisser dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'audiovisuel public est sans ressources : premièrement, les ressources affectées à la chaîne d'information internationale, dont chacun voit bien la nécessité, sont des recettes nouvelles et ne sont pas dues au redéploiement ; deuxièmement, en 2005, les crédits de l'audiovisuel public augmenteront de 3,2 %.

Tout cela est, selon moi, nécessaire et impératif, car il faut avoir le souci des rapports entre les uns et les autres. Je ne pense pas, par exemple, que le fait d'avoir rétabli les Molières, avec un accord entre le théâtre public et le théâtre privé, sauvera la politique du théâtre en France ; je pense simplement qu'il s'agit des différents éléments d'une stratégie tout à fait résolue de ma part.

De la même manière, en ce qui concerne la relocalisation d'un certain nombre de tournages, je suis très précis dans ma manière de conduire et de remplir ma fonction. Cela fait réagir, mais j'y suis complètement indifférent dans la mesure où je suis animé par la volonté de soutenir les artistes et les techniciens afin de parvenir à de vrais résultats.

Par ailleurs, la répartition des responsabilités entre l'Etat et les partenaires sociaux est, évidemment, très importante. Mon objectif politique, je l'avoue, est qu'il n'y ait ni vainqueur ni vaincu ; je veux faire en sorte, mesdames, messieurs les sénateurs, que les partenaires sociaux dans leur intégralité, qu'ils aient ou non signés le protocole de 2003, se réunissent en 2005 et parviennent à un accord pérenne et équitable au sujet de l'indemnisation du chômage.

J'ai indiqué devant le Conseil national des professions du spectacle, le CNPS, et je le redis officiellement devant vous, parlementaires de la République : deux fois de suite, l'Etat s'est engagé.

L'Etat flèche le contenu des futures négociations dans un certain nombre de domaines. Je ne me vois pas, mesdames, messieurs les sénateurs, sauf s'il y avait unanimité au moment de la conclusion d'un nouvel accord, considérer, par exemple, que la date de douze mois n'a jamais existé dans mon esprit ou dans celui du Premier ministre, sous l'autorité duquel j'ai l'honneur de travailler.

Par conséquent, les mesures de transition prises pour 2005 définissent un certain nombre d'éléments du contenu des futurs accords.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'attire votre attention sur le fait que 2005 sera l'année de la révision globale de la convention d'assurance chômage pour l'ensemble de nos concitoyens. Je serai d'une extrême vigilance afin que la spécificité des artistes et des techniciens, dans notre pays, soit confortée, confirmée, au sein de la solidarité interprofessionnelle. Il n'y a pas la moindre ambiguïté sur ce point.

Cela suppose, comme Louis de Broissia, Alain Dufaut et Yann Gaillard, notamment, l'ont souligné, que le périmètre soit absolument incontestable.

J'ai évoqué à de nombreuses reprises les craintes de l'opinion publique, et je vous ai fait part de la nécessité dans laquelle je me trouvais d'expliquer en permanence, aux uns et aux autres, les spécificités du système.

Troisièmement - et je ne voudrais pas que ce souci soit caricaturé -, je souhaite initier une dialectique de l'écoute et de l'action.

Le dialogue, mesdames, messieurs les sénateurs, est une valeur absolument fondamentale et nécessaire, dans tous les domaines dont j'ai la responsabilité. Je découvre parfois avec stupéfaction - je vous le dis avec franchise - que les principaux acteurs d'un grand nombre de secteurs sous ma responsabilité n'ont pas l'habitude de travailler ensemble.

Faire en sorte que les points de vue s'échangent n'est pas une manoeuvre dilatoire de ma part : je veux tout simplement partir d'un socle de réalité pour construire ensuite sur des éléments solides.

J'ai pris des décisions. Je bénéficie régulièrement sur ce sujet - je veux l'en remercier publiquement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs - des arbitrages du Premier ministre. Il n'est en effet pas facile, dans une conjoncture budgétaire et financière difficile, de faire de la culture et de la communication des priorités stratégiques. C'est pourtant le cas.

Mesure après mesure, sur le patrimoine, sur les crédits d'impôt, sur le soutien à l'éducation artistique, au spectacle vivant, bref, dans chacun des grands domaines de l'action de mon ministère, le gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir agit. Que ce soit en faveur de l'audiovisuel public, par une décision du Premier ministre prise à la fin de l'automne, ou de la chaîne d'information internationale - cela nous éloigne quelque peu du spectacle vivant, mais c'est une grande responsabilité publique -, le Gouvernement agit.

Je reviendrai très rapidement, mesdames, messieurs les sénateurs, sur les différents points que les uns et les autres ont évoqués.

Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, je vous remercie tout d'abord une fois de plus du travail que vous accomplissez et de l'intelligence avec laquelle vous intervenez partout. Il n'est en effet pas facile de renouer les fils du dialogue, et il se peut que, de temps en temps, le ministre se sente un peu seul. En tout cas, j'ai bénéficié de votre concours.

Je n'ai pas non plus honte de reconnaître, même s'il est normal d'assumer sa responsabilité, que le concours de Jack Ralite, par exemple, a pu être, à certains moments, très important, pour dépasser les clivages et les caricatures.

Les contrôles que vous appelez de vos voeux, monsieur le président de la commission, afin que le système soit correctement perçu par nos concitoyens, fonctionnent. Par ailleurs, trente emplois supplémentaires d'inspecteur du travail sont prévus. Ces inspecteurs seront formés pour remplir leurs missions telles qu'elles ont été définies par le ministre des affaires sociales et par moi-même. Nous souhaitons qu'il y ait des priorités dans le champ des contrôles. C'est tout à fait important.

Vous avez également évoqué la nécessité que les décisions de l'Etat et du Parlement soient correctement appliquées par l'UNEDIC et par les ASSEDIC. C'est effectivement essentiel. J'y veille, dans un climat de confiance, car le travail de ces organismes n'est pas facile. Les situations sont complexes et je serai particulièrement vigilant quant à la mise en oeuvre des nouvelles mesures.

J'ai prolongé la mission de Michel Lagrave au-delà de la conception du fonds provisoire puis du fonds de transition afin qu'il effectue les réglages parfois nécessaires entre l'Etat et les partenaires sociaux, que les mesures de transition entrent en vigueur et que l'application se fasse dans les meilleures conditions. Cela signifie que vous devrez nous faire part des dysfonctionnements que vous constaterez, pour que nous puissions y remédier.

Vous avez évoqué, monsieur Valade, la question de la mise en place des COREPS. J'attache beaucoup d'importance à ce que tous soient installés, dans chacune des régions. Ce sera quasiment le cas dans le mois qui vient ; certains d'entre eux ont d'ores et déjà constitué de vraies commissions de travail et fonctionnent remarquablement bien.

Madame Catherine Morin-Desailly, vous avez évoqué, avec toute votre expérience, car la politique culturelle est particulièrement active à Rouen, le souci de l'éducation artistique. C'est également le mien.

Avec François Fillon, nous avions parfaitement compris que l'on était en train de nous faire le énième procès de la guerre à l'intelligence, comme si la majorité présidentielle et le gouvernement auquel nous appartenons voulaient renoncer à l'éducation artistique ! Tout au contraire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes totalement mobilisés pour que les plus jeunes de nos concitoyens apprennent à dépasser leur violence et deviennent de futurs spectateurs, épanouis et libres dans leurs têtes.

Cette action que vous avez évoquée, madame la sénatrice, est donc très importante ; François Fillon et moi-même la menons, et il n'y a aucun désengagement de l'Etat à cet égard, comme vous pourrez le constater à la lecture de la circulaire portant sur ce sujet que nous avons fait parvenir aux recteurs et aux directeurs régionaux des affaires culturelles, que nous avons réunis.

Monsieur Ralite, je ne peux pas revenir sur tous vos propos. D'un mot, je voudrais vous indiquer en tout cas que la diversité culturelle, les débats qui vont jalonner l'année en vue de la préparation de la convention à l'UNESCO sont pour nous absolument fondamentaux, essentiels et emblématiques. Je ne ménagerai aucune peine ni aucune énergie, étant sur ce sujet non seulement soutenu mais encore surveillé par le Président de la République. (Sourires.) C'est pour nous un enjeu majeur. Nos concitoyens doivent comprendre que, à travers les sigles et les articles complexes, il ne s'agit ni plus ni moins de respecter le pluralisme, les identités et la culture de chacun ainsi que la légitimité de chaque Etat à soutenir sa propre politique culturelle. Ce n'est pas du protectionnisme, cela ne signifie pas que les oeuvres ne circuleront plus ou ne seront plus échangées. Cependant, pour permettre ces échanges, chacun doit pouvoir exister.

De ce point de vue, je fonde de véritables espoirs dans les contacts que j'ai récemment eus avec le nouveau président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Il est véritablement résolu, me semble-t-il, à faire de la culture une priorité stratégique pour l'Europe.

Michel Thiollière, avec raison, accorde une importance majeure au rôle des télévisions publiques dans la diffusion du spectacle vivant, tant par le biais de l'information que par la promotion de toutes les formes d'expression culturelle et artistique. Nous agissons aussi dans ce domaine. On peut toujours nous reprocher de parler, d'être habiles et de ne pas agir. La nuit de la chanson française, qui, le soir de sa diffusion, a battu de douze points d'autres chaînes traditionnellement concurrentes du service public, n'est pas née du hasard. C'est moi-même qui ai demandé qu'elle soit organisée et qui ai veillé à son financement. Je crois en la multiplication de ce genre d'initiatives.

Je fonde de grands espoirs dans la nouvelle chaîne France 4, ex-Festival, qui sera accessible grâce à la télévision numérique terrestre, dans la diffusion vingt-quatre heures sur vingt-quatre de France 5, d'Arte, etc. Je souhaite que l'on puisse avancer, parce c'est très important. Je rendrai publique chaque trimestre - les modalités sont en voie d'être définies - la manière dont les sujets culturels sont traités dans l'ensemble des journaux d'information télévisés. Il s'ensuivra une véritable émulation, et nous verrons quelle chaîne sera gagnante. Vous me demanderez sans doute de définir ce qu'est un sujet culturel. Même si cela peut être très complexe, nous trouverons le moyen de le définir, car je crois que culture et communication doivent aller de pair.

J'en viens aux propos qu'ont tenus un certain nombre d'orateurs de l'opposition. Ils sont évidemment libres d'exprimer le fond de leur conviction ainsi que leurs désaccords. Nous sommes en démocratie. Peut-être les chiffres n'ont-ils pas été suffisamment diffusés ; aussi, sachez que 4,5 millions d'euros ont été dépensés en 2004 à travers le fonds spécifique provisoire pour les professionnels du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel. Je n'ai jamais fixé d'objectif quantitatif définitif. Nous souhaitons que les artistes et les techniciens bénéficient des mesures qui ont été prises en leur faveur, en fonction de critères donnés. L'Etat fait face à ses responsabilités.

Vous souhaitez que le protocole soit abrogé avant la négociation. Certes, c'est une possibilité ; mais alors quelle sera la situation pendant la période de négociation ? Je souhaite pour ma part que, dans l'attente d'un système définitif, pérenne et équitable, artistes et techniciens soient indemnisés sur des bases claires. L'Etat prend à sa charge le financement de ces mesures.

L'on nous parle du désengagement de l'Etat, d'un budget en baisse, etc. Nous sommes habitués ! Cela figure dans tous les propos qui sont tenus en permanence, tant sur le patrimoine que sur le spectacle vivant ! Je demande des preuves. Mais il est inutile que je les attende dans la mesure où elles n'existent pas ! Cela fait partie du débat politique.

En revanche, vous avez raison de souligner la nécessité d'étudier les chiffres et les réalités. C'est très important. Je souhaite que se mette en place dans chaque région une sorte d'observatoire de la réalité des politiques culturelles, des chiffres et des statistiques, pour permettre ensuite d'utiles négociations.

En ce qui concerne la directive « services », nous sommes à la manoeuvre. Le Président de la République lui-même s'est exprimé. La culture et les biens culturels ne sont pas des marchandises comme les autres, et nous cherchons à le faire savoir au niveau européen.

J'en viens aux propos tenus par Jean-Claude Gaudin. Je serai effectivement demain dans sa ville. Depuis neuf mois, je me suis rendu dans cinquante-quatre départements différents et ai effectué plus de cent déplacements. Un certain nombre de départements ou de régions ont plus d'activités ou de festivals que d'autres. J'essaie ensuite de me faire le propagateur ou le défenseur résolu d'un certain nombre d'artistes que j'ai eu la chance d'admirer.

Ainsi, à ce jour, deux projets à destination notamment de nos concitoyens les plus jeunes me semblent particulièrement importants. En effet, certains spectacles permettent l'éveil aux réalités ou la prise de conscience face aux drames du passé. Je dis cela à quelques jours de la commémoration de la libération des camps. Or deux spectacles extraordinaires - Nathan le sage et Kaddish pour un enfant qui ne naîtra pas - traitent de la déportation, de la guerre, de la barbarie, du nazisme. Je souhaite qu'ils soient captés pour être par la suite diffusés dans les écoles. Le travail des artistes peut en effet conduire à une prise de conscience politique, parfois nécessaire.

Pierre Laffitte, comme à son habitude, a insisté à juste raison sur ce que la technologie et la science peuvent apporter au spectacle vivant. Effectivement, certaines formes d'expression artistique sont liées à la capacité, à l'expertise et à la culture scientifique. Il a raison de le rappeler, avec sa flamme habituelle.

Marcel Vidal parle du désengagement de l'Etat, notamment en ce qui concerne les monuments historiques. Ce n'est pas le débat qui nous occupe aujourd'hui. Sincèrement, ce désengagement n'est pas avéré. Pour autant, la situation n'est pas facile. Je souhaite trouver des moyens supplémentaires pour le patrimoine, car nous sommes confrontés à des situations urgentes. Y faire face est évidemment très difficile.

En ce qui concerne les marches du festival et les marches tout court, il faut reconnaître, cher Yann Gaillard, que nous n'en aurons jamais fini. Plus on avance, plus on mesure la complexité des situations que nous devons régler, en raison de leur extrême diversité. Paradoxalement, un certain nombre d'artistes ou de compagnies s'opposent à la transformation d'emplois précaires en emplois permanents, considérant que leur forme d'expression artistique est liée à tel ou tel système, et refusent de ce fait tout contrôle. L'on me reproche alors de vouloir « bousiller » le court-métrage en France - c'est de cela qu'il s'agit. Il faut faire preuve de finesse tout en édictant quelques principes forts. J'espère en tout cas que les voeux que vous avez formulés seront exaucés.

Marie-Christine Blandin, je voudrais revenir d'un mot sur ce que vous avez dit du transfert à Lens d'une antenne du Louvre. C''est un comble ! Le choix de cette implantation est légitime. En effet, nous avons voulu tourner la page de la crise industrielle et en effacer les cicatrices dans une ville qui avait été particulièrement marquée. Au-delà de ce choix positif, il faut aussi saluer l'intelligence dont la majorité présidentielle a fait preuve  - j'espère que chacun aurait agi de la sorte - en décidant de ne pas attribuer ce joyau à l'une des deux villes dirigées par un ministre du Gouvernement ; Valenciennes et Amiens présentaient en effet toutes deux un magnifique projet. Chacun avait toutes les clés en main. La région a pris ses responsabilités. Une convention liant cette dernière, les collectivités territoriales et l'Etat sera très prochainement signée. Ne donnez pas à penser que vous renoncez à ces engagements, sinon l'Etat ne signera pas la convention. Tout a été clair depuis le début. Il ne faut donc pas qu'il y ait de double jeu sur cette question. Si la donne devait changer, cela remettrait en cause la décision de l'Etat, ce que je ne souhaite pas.

Mme Marie-Christine Blandin. Rassurez-vous, monsieur le ministre, je n'ai aucun pouvoir de décision au niveau local !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Je ne le souhaite pas, je le répète, car nous avons justement réussi sur ce sujet à franchir de nombreuses frontières.

Louis de Broissia a raison d'insister sur la nécessité d'une culture qui soit véritablement populaire, pour faire en sorte qu'elle rassemble le plus grand nombre et le plus large public. A juste titre, il veut qu'on mette un terme à cette espèce d'antagonisme périmé entre la qualité et le grand nombre. Ce serait en effet très méprisant à l'égard de nos concitoyens que de penser que les spectacles de qualité sont inaccessibles au plus grand nombre. C'est aussi une question d'éducation, d'ouverture d'esprit, d'éveil et de formation.

Catherine Tasca ne m'a pas épargné dans ses propos. C'est sa liberté. Je ne répondrai pas directement à des questions qui n'ont pas trait au sujet de ce soir, tels la RMN, le mécénat, les désengagements divers et variés, les manifestations condamnées - j'ignore ce à quoi elle faisait allusion. Je serai toujours attentif à ce qu'il n'y ait pas de manifestations condamnées de mon fait. Je souhaite qu'elle soit attentive également aux manifestations condamnées en raison de l'action d'un certain nombre d'exécutifs régionaux. Tout cela permettra d'agir ensuite.

Alain Dufaut était particulièrement concerné par ce qui s'est passé à Avignon, par le drame et le gâchis que nous avons ressentis les uns et les autres. L'attractivité de nos villes et celle de la France reposent évidemment sur tous les spectacles qui y sont organisés.

Je partage l'inquiétude de Jean-Paul Alduy s'agissant du festival Visa pour l'image. Un partenariat entre l'Etat, la région, le département et les villes est nécessaire. Surtout, s'agissant de Perpignan, ne croyez-vous pas que Barcelone fera des offres de services afin d'accueillir chez elle ce joyau et cet emblème de nos activités culturelles et artistiques ?

Je souhaite que notre débat permette aux artistes et techniciens de se sentir épaulés et soutenus. Nous avons beaucoup de travail. Les partenaires sociaux doivent engager une négociation sur l'indemnisation du chômage. Evidemment, le Gouvernement prendra ses responsabilités chaque fois qu'il le faudra. De plus, l'Etat et les collectivités territoriales doivent soutenir ensemble l'action culturelle et artistique. Vous l'avez souhaité, chacun à votre manière. J'espère en tout cas que notre mobilisation commune donnera espoir et confiance aux artistes et aux techniciens de notre pays, parce qu'ils le méritent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 166 et distribuée.