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Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement
Discussion générale (suite)

Vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement

M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

Avant de donner la parole à M. le Premier ministre, j'indique que les délégations de vote pour le scrutin sur ce texte cesseront d'être enregistrées à seize heures quinze minutes.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai à nouveau l'honneur de proposer à votre approbation une évolution essentielle de notre Constitution, pour cette fois y adosser la Charte de l'environnement.

Inscrire dans notre Constitution le droit à un environnement préservé, c'est engager la France pour elle-même, mais aussi pour les autres nations. Le Président de la République a eu à Johannesburg des mots forts, des mots justes : oui, « la maison brûle ». Oui, la planète se réchauffe dangereusement. Oui, l'érosion de la biodiversité s'accélère. Les exemples sont, hélas ! nombreux : les menaces écologiques s'accumulent. Les Français ne comprendraient pas que nous différions l'adoption de la Charte de l'environnement, étape fondamentale de notre engagement pour le développement durable.

Se préparer à l'adoption de la Constitution européenne, comme vous venez de le faire, était indispensable pour notre engagement européen ; approuver la Charte de l'environnement est tout aussi indispensable pour le rôle pionnier de la France dans le monde. Le Congrès fait preuve de clairvoyance : il examine aujourd'hui deux sujets fondamentaux pour notre devenir.

L'adoption de la Charte est une étape décisive pour l'histoire des droits dans notre pays. Grâce à la volonté indéfectible du Président de la République, la Charte élève le développement durable au plus haut niveau de notre édifice juridique, aux côtés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. Ce texte fondateur n'a rien de partisan. La France devient ainsi le premier pays à consacrer au droit à l'environnement une déclaration constitutionnelle complète. La mission de la France a toujours été de montrer le chemin des principes fondamentaux du progrès humain.

Car le développement durable n'est pas la crainte du progrès, c'est au contraire l'assurance que le développement de nos sociétés sera pérenne, grâce à la prise de conscience du besoin absolu de concilier développement économique, progrès social et protection de l'environnement. Il ne s'agit pas d'une philosophie nouvelle abstraite, mais d'une maxime d'action et d'une volonté d'anticipation. En développant les éco-industries, en favorisant la croissance des énergies non émettrices de gaz à effet de serre, en axant notre effort de recherche vers les transports propres, nous réorientons notre activité économique vers les activités de demain tout en protégeant notre environnement.

La Charte qui vous est proposée aujourd'hui est le fruit d'une longue maturation. Dirigée par le grand paléontologue Yves Coppens, dépourvue de toute influence partisane, la réflexion, coordonnée avec la société civile, a été exemplaire. Les améliorations apportées par vos deux assemblées ont permis d'enrichir et de préciser son contenu, et je veux ici saluer le travail accompli par vos commissions et leurs rapporteurs.

Le premier article de la Charte est emblématique de cette nouvelle conception de l'environnement. En reconnaissant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, nous consacrons l'avènement d'une écologie humaniste, qui n'oppose en rien l'homme à la nature. Protéger l'environnement, c'est protéger l'homme et son enfant. C'est une exigence absolue de nos concitoyens. Il fallait y répondre. C'est l'objet du plan national « santé-environnement » adopté en juin 2004.

Grâce au débat parlementaire, l'article 5 concernant le principe de précaution a été précisé, ce qui incitera probablement le législateur à compléter notre droit positif.

Trop de propos erronés ont été à l'origine tenus sur le sens et la portée de ce principe. Il est défini dorénavant très clairement, ce qui garantira son application et évitera tout risque de mauvaise interprétation.

Le principe de précaution n'est pas une menace, c'est un « principe d'action exceptionnel, pour risques exceptionnels », comme l'écrit Hubert Reeves. Je prendrai pour seul exemple la question du réchauffement climatique. Les scientifiques du monde entier nous annoncent aujourd'hui un réchauffement compris entre un degré et demi et six degrés d'ici à la fin du siècle. Devons-nous attendre qu'ils précisent leurs chiffres pour agir ? Bien évidemment, non !

C'est pourquoi, avec le « plan climat », nous appliquons strictement le protocole de Kyoto. C'est pourquoi nous nous engageons dès maintenant à aller au-delà et à militer pour « Kyoto plus ». Le crédit d'impôts, dès aujourd'hui, pour favoriser les économies d'énergie et l'utilisation d'énergies renouvelables, demain la pile à combustible et la séquestration du carbone ou le photovoltaïque grâce à un effort de recherche sans précédent sont des engagements qui ne peuvent être renvoyés à plus tard. Même si nous ne connaissons pas encore tout de l'intensité du réchauffement, de ses conséquences précises, nous devons agir « sans attendre le stade des certitudes scientifiques ».

Notre génération possède déjà le néfaste pouvoir de condamner les suivantes.

La Charte que je vous invite à adopter aujourd'hui marque donc un engagement définitif pour que la logique de préservation de notre environnement soit présente dans l'ensemble de nos politiques.

Il n'est plus temps de s'interroger sur la question de savoir si nos politiques de recherche, de développement économique, de formation, doivent ou non intégrer la protection de l'environnement. La réponse est claire : c'est oui. Le développement durable doit devenir un levier puissant pour notre développement scientifique, technique et industriel, et donc pour l'emploi.

C'est une exigence que nous devons aux Françaises et aux Français, qui n'acceptent plus que l'on oublie la préservation de l'environnement lorsque l'on améliore les transports, l'habitat ou les activités économiques de demain. Lorsque l'on décide, comme je viens de le faire, de tripler la production de biocarburants, on offre un nouveau débouché aux producteurs agricoles, mais aussi on intègre l'acte de production agricole dans la stratégie de lutte contre l'effet de serre.

Notre engagement pour le développement durable se fait en pleine cohérence avec nos engagements européens et internationaux.

La cohérence est d'abord européenne, puisque le projet de Constitution européenne prévoit pour la première fois l'intégration des exigences de protection de l'environnement et de développement durable. La politique européenne de l'environnement sera fondée sur les principes de précaution, de prévention et de correction. Si vous en décidez ainsi, la France les intégrera dès maintenant dans sa Constitution.

Elle fait mieux : elle précise et donne une portée concrète à ces principes, afin d'influer dorénavant sur l'ensemble de la législation. Elle y ajoute le principe de réparation des dégradations causées au milieu lui-même, ainsi que le devoir de former et d'informer l'ensemble des Français. Des citoyens éclairés sur les enjeux fondamentaux pour le devenir de la planète, c'est la garantie d'un débat démocratique, rationnel et responsable, à la hauteur de ces enjeux. Nous suivons ici le conseil d'Edgar Morin : « Si on éduque pour le futur, on éduque en même temps le futur, on aide le futur à prendre un chemin qui ne soit pas catastrophique ».

La Charte est également conforme à notre engagement international puisque nous ne gagnerons le combat pour la préservation de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique qu'en mobilisant l'ensemble des pays développés et en aidant les pays moins avancés à se développer de manière plus respectueuse de l'environnement que nous ne l'avons fait nous-mêmes au cours de notre histoire.

Dans cette perspective, nous ajouterons un « fonds carbone » qui, venant compléter notre aide au développement, nous permettra d'agir sur des sites particulièrement émetteurs de gaz carbonique.

En animant le processus international de préservation des forêts du bassin du Congo, en relançant une initiative pour la préservation des récifs coralliens, nous participons à la protection des milieux exceptionnels pour leur biodiversité.

Intégrer la Charte de l'environnement dans notre socle constitutionnel, c'est la marque la plus crédible de l'engagement de la France pour une gouvernance mondiale de l'environnement, pour cette organisation des Nations unies pour l'environnement à la naissance de laquelle nous travaillons. La dynamique internationale est heureusement largement engagée : Rio et Kyoto en sont les preuves tangibles. L'article 10 de la Charte marque la détermination de la France à aller dans cette direction.

Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, ce que je vous propose aujourd'hui, en adossant la Charte de l'environnement à notre Constitution, ce n'est donc pas une réaction de peur devant l'avenir, c'est un acte de responsabilité.

Nous ne pourrons pas dire à nos enfants : « Je ne savais pas ». Deux personnalités, aux compétences écologiques respectées, écrivaient tout récemment : « Voter pour la Charte, c'est ouvrir des possibles. La rejeter, c'est dramatiquement restreindre l'avenir ». Vivons notre responsabilité comme un devoir d'avenir. (Applaudissements.)

Explications de vote

M. le président. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits pour explication de vote, au nom des groupes de chacune des assemblées. Je rappelle que chaque orateur disposera de cinq minutes.

Pour le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, la parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, la Charte de l'environnement n'est pas un texte comme les autres. C'est une réforme constitutionnelle qui revêt une dimension symbolique forte, voulue comme telle par le Président de la République. C'est pourquoi nous ne comprenons pas les conditions dans lesquelles nous examinons ce texte aujourd'hui.

Si l'objectif était de valoriser son adoption, pourquoi l'avoir inscrit en même temps que la révision constitutionnelle sur le traité constitutionnel européen, au risque d'affaiblir la portée de ces deux textes et de semer la confusion ?

D'autant qu'il n'y avait aucun impératif à débattre dans la précipitation de la Charte de l'environnement. Ce sujet méritait à lui seul une réunion du Congrès, qui aurait pu se tenir dans quelques semaines.

Faut-il voir dans ce télescopage les ambiguïtés et les contradictions du Président de la République et de sa majorité en matière d'environnement ? (Exclamations.) Dans ce domaine, monsieur le Premier ministre, vos actes sont rarement en accord avec les intentions que vous affichez. (Nouvelles exclamations.)

Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de renoncer définitivement au gel des crédits de l'Agence de la maîtrise de l'environnement et de l'énergie, et pas seulement cette année.

Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de rétablir les subventions aux associations écologistes.

Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de prendre une position claire et nette de refus des OGM. (Applaudissements.) C'est votre gouvernement qui, actuellement, poursuit devant les tribunaux les présidents de région qui ont pris des arrêtés d'interdiction des OGM. (Murmures.) Telle est la réalité de votre politique en matière d'environnement.

J'en viens maintenant au texte lui-même.

L'introduction du droit à l'environnement dans notre Constitution représente un progrès indéniable que nous approuvons. Elle consacrera le droit à l'environnement comme un droit fondamental au même titre que les droits de l'homme et les droits sociaux.

Certains ont pu s'en étonner ou même s'en offusquer. Mais c'est la même urgence et la même nécessité qui, il y a un peu plus de deux siècles, conduisaient à la reconnaissance des droits de l'homme, qui, il y a soixante ans, consacraient les droits sociaux et qui, aujourd'hui, nous amènent à considérer le droit à l'environnement comme un droit fondamental.

Les menaces qui pèsent sur l'environnement et sur la planète exigent une prise de conscience et une réponse à la hauteur de leur gravité. Elles doivent nous conduire à rompre avec une logique productiviste qui a trop longtemps marqué les esprits.

La constitutionnalisation du droit à l'environnement participera de cette prise de conscience mais elle donnera surtout un fondement et une cohérence juridique à un droit qui, pour l'essentiel, s'est développé par la jurisprudence.

Vous avez, pour cela, monsieur le Premier ministre, choisi une méthode inédite et singulière : celle de l'adossement d'un texte, d'une charte, à la Constitution. Cette méthode donnera une grande latitude au juge constitutionnel. C'est lui qui, en définitive, validera les principes contenus dans la Charte et les interprétera suivant une compétence scientifique qui, à mon sens, reste à démontrer.

Il eut mieux valu, comme le proposait la commission Coppens dans une de ses recommandations, un texte constitutionnel court, complété par une loi organique qui aurait donné toute sa place au législateur, d'autant que les contradictions et les incohérences qui se sont exprimées parfois fortement au sein de la commission Coppens n'ont pas été surmontées dans le texte qui nous est soumis.

La Charte de l'environnement apparaît parfois restrictive, voire en retrait par rapport au droit actuel, et parfois aventureuse.

Restrictive : pourquoi le principe pollueur-payeur ne figure-t-il pas nommément et explicitement dans la Charte ? Est-ce pour ne pas effrayer ceux qui auraient à l'appliquer ? Au moment où les Français découvrent les profits réalisés par Total, alors que cette société a participé a minima à la réparation des dommages qu'elle a causés, l'absence du principe pollueur-payeur dans la Charte est un très mauvais signal.

Aventureuse : comment expliquer l'introduction du principe de précaution comme seul principe d'application directe ? Tous les principes qui figurent dans la Charte sont renvoyés à la loi quant à leur application, à l'exception du principe de précaution qui pourra être invoqué directement devant les tribunaux. Ce seront donc les juges, notamment le juge administratif, qui auront la lourde responsabilité de définir les conditions de son application.

C'est donc la jurisprudence qui devra répondre aux questions que nous avons posées durant le débat, et que nous continuons de poser, sur l'application d'un tel principe, notamment quant à son champ d'application. Contrairement à ce qui est avancé par le ministre, le drame de l'amiante n'aurait pas été évité, puisque le principe de précaution ne s'applique pas à la santé.

Nul doute que cette jurisprudence se fera dans une grande confusion. Nul doute non plus que le législateur sera tôt ou tard de nouveau saisi pour clarifier et préciser les conditions d'application de ce principe. Il aurait été plus sage de le faire dès aujourd'hui, comme nous le préconisions.

Mais, à aucun moment, le Gouvernement n'a accepté la discussion parlementaire. Ce texte était à prendre ou à laisser. Expédié en une seule lecture, nous l'examinons aujourd'hui, presque en catimini, comme si le Gouvernement avait eu peur des parlementaires et, d'abord, de sa propre majorité. (Exclamations.)

Ce débat est inachevé et nous sommes convaincus qu'il faudra le reprendre. Mais, en responsabilité, nous ne voterons pas contre ce texte afin de ne pas prendre le risque de faire échec à cette réforme constitutionnelle. Nous ne participerons pas au vote. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe Union pour la démocratie française de l'Assemblée nationale, la parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Charte de l'environnement, aujourd'hui devant le Congrès, a suscité à la fois beaucoup d'espoirs et un grand nombre de réserves qui n'ont pas toutes été levées au cours de la discussion, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Nous sommes aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, dans une situation un peu paradoxale. Nous avons le sentiment sur tous les bancs du Congrès qu'il est nécessaire, et ô combien, d'intervenir sur un sujet qui nous concerne tous et qui concerne l'avenir de nos enfants - l'avenir de la planète, c'est la protection de notre environnement - mais, dans le même temps, nous avons également le sentiment que la réponse qui est apportée aujourd'hui n'est probablement pas la meilleure, ou du moins la seule. Au sein de tous les groupes, vous ne l'ignorez pas, monsieur le Premier ministre, le débat a été extrêmement animé.

Il a notamment porté sur le fameux principe de précaution, prévu à l'article 5, qui deviendra d'application directe. Les risques qu'il fait peser sur la recherche et l'innovation ou qu'il comporte quant à la judiciarisation et au développement de l'insécurité juridique ont été maintes fois évoqués non seulement par les parlementaires, au cours d'un débat en quelque sorte convenu, mais également par les constitutionnalistes et les experts ainsi que par tous ceux qui ont contribué à la recherche et à l'avancée technologique.

Les améliorations apportées par voie d'amendements - nous y avons tous participé - n'ont pas apaisé toutes les craintes. D'ailleurs, les votes sur le texte dans chacune de nos deux assemblées ont bien illustré cette forme de gêne, voire cette inquiétude que nous avons éprouvée les uns et les autres. Les votes émis au Congrès en seront probablement, monsieur le Premier ministre, une nouvelle illustration.

Nous ressentons également la crainte de nous trouver placés dans une situation difficile vis-à-vis de nos partenaires européens, ce qui est, là encore, assez paradoxal, l'inscription du Traité constitutionnel et de la Charte de l'environnement nous invitant à rapprocher les deux textes.

Ainsi, le chapitre II du Traité constitutionnel concerne l'environnement. Ce que nous pouvons craindre, c'est que les dispositions de la Charte, notamment son article 5, ne posent un problème de cohérence avec les mesures qui sont et seront en vigueur dans l'ensemble des pays européens, alors que, au travers de la Constitution européenne, nous recherchons la cohérence, la convergence.

Monsieur le Premier ministre, l'UDF - et elle n'est pas la seule - souhaite voir s'instaurer cette cohérence, cette convergence. Une telle cohérence est nécessaire en matière d'environnement, comme en d'autres domaines, notamment la sécurité alimentaire.

La cohérence des mesures que nous prenons sur le plan environnemental est une des clefs de l'appropriation par les citoyens eux-mêmes de l'avenir que nous construisons actuellement. Or, je crains que les distorsions de concurrence ou de situation au sein de l'Europe elle-même ne conduisent à des réactions qui ne seront pas celles que nous souhaitons pour la construction de notre avenir commun. Comme vous l'avez rappelé vous-même, monsieur le Premier ministre, l'avenir c'est l'Europe.

Il convient que nous traitions au sein de l'Union européenne les préoccupations environnementales d'une manière partagée, pour ensuite les porter au sein de l'Organisation mondiale du commerce, où l'Europe n'a chance d'être entendue que si elle se présente unie pour peser face aux grands ensembles nationaux. Il s'agit d'un enjeu majeur.

Ma dernière réflexion concerne la volonté de mettre la Charte de l'environnement sur le même plan juridique que la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946. Un signe très fort a ainsi été donné. Ces deux textes ont en effet placé l'homme au coeur de nos réflexions et de l'action, et son épanouissement au coeur du pacte républicain. Ce modèle continue d'être une référence dans le monde entier, y compris pour des peuples qui, aujourd'hui, n'ont pas accès à nos richesses ou à la démocratie.

Il faut que le développement durable, que nous souhaitons non seulement pour la France, mais également pour le monde et dont nous voulons faire une nouvelle éthique politique et une référence constante inscrite dans la norme supérieure, s'inspire des mêmes principes fondamentaux qui visent à placer l'homme au coeur de la réflexion. L'approche environnementale ne peut ni ne doit ignorer les besoins vitaux des populations qui souffrent de famines et d'exode. Précaution ne doit pas rimer, pour tous ces peuples, avec abandon.

Il faut également entendre tous les ruraux qui, dans nos campagnes, sont désespérés parce qu'ils se sentent délaissés. Il s'agit d'un sentiment profond qui ne doit pas être traité à la légère. Ils craignent de voir leurs terroirs transformés en conservatoires et de se voir eux-mêmes réduits au rôle d'animateurs. Le monde rural a besoin d'activité pour conserver ses hommes et ses femmes.

L'équilibre entre l'activité économique, la recherche et le respect de l'environnement, chacun le sait, est toujours délicat et difficile à trouver. Le risque zéro, il convient de le rappeler à nos compatriotes, n'existe pas : tout progrès passe et passera par une prise de risque qu'il nous faut maîtriser, mais qui ne doit pas conduire à nier l'apport considérable pour demain des biotechnologies et de la science.

La Charte marque incontestablement une volonté d'affronter les risques et de parer aux drames auxquels ils peuvent conduire. Mais la protection de l'environnement ne se paiera pas seulement de mots. C'est une exigence qui relève de notre responsabilité et qui doit nous engager à l'action. Il ne faudrait pas croire qu'en raison de l'adoption de ce texte nous en serions quittes avec la protection de notre environnement. Nous devrons être encore plus audacieux en matière de carburants d'origine agricole, de développement du ferroutage ou d'investissement en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre - là aussi, il y a urgence.

Une majorité du groupe UDF de l'Assemblée nationale empruntera le chemin ouvert par la Charte en vue de participer à la protection de la planète et votera le texte, en dépit de toutes les réserves que j'ai exprimées. Certains de mes collègues, comme d'autres, dans tous les groupes, n'emprunteront pas cette voie et il faut les entendre et les comprendre, parce qu'ils expriment une véritable sensibilité. Sans doute la méthode choisie n'était-elle pas la meilleure, mais l'important, c'est que, grâce à une prise de conscience, l'avenir de nos enfants soit assuré. Nous devons veiller à leur laisser un patrimoine naturel et environnemental au sein duquel ils puissent construire leur avenir. Il nous appartient, mes chers collègues, d'y contribuer ensemble. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire de l'Assemblée nationale, la parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, trente ans ont passé depuis les premières initiatives prises en faveur d'une constitutionnalisation du droit à l'environnement. Plus de trente ans ont été nécessaires pour parvenir à ce jour de Congrès, à cet instant de sacralisation d'un droit écologique et à sa reconnaissance constitutionnelle.

La Charte que tous les parlementaires de la nation sont appelés à voter ensemble solennellement ouvre la troisième étape de la construction de notre architecture constitutionnelle et constitue le troisième pilier de notre bloc de constitutionnalité. Elle s'inscrit dans la suite de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de celle des droits économiques et sociaux de 1946.

L'objectif avait été clairement fixé par le Président de la République dès le 3 mai 2001 à Orléans : « Le droit à un environnement protégé et préservé doit être considéré à l'égal des libertés publiques [...] Je souhaite que cet engagement public soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'environnement adossée à la Constitution et qui consacrerait les principes fondamentaux, comme ce fut le cas pour le préambule de la Constitution ou la Déclaration des droits de l'homme ».

Le présent projet de loi constitutionnelle est la traduction fidèle de cet engagement pris devant les Français. C'est un texte historique ; ce devrait être un grand texte d'union. De Georges Pompidou à Jacques Chirac, et sur tous les bancs de nos assemblées, que ce soit parmi nos anciens ou parmi les parlementaires ici réunis, nombreux ont été ceux qui ont voulu conférer à un tel droit le caractère de liberté publique, constitutionnellement garanti. Jean Foyer, Gaston Defferre, Edgar Faure, Jean Lecanuet, Laurent Fabius, Ségolène Royal, Édouard Balladur, Noël Mamère, Roselyne Bachelot, Yves Cochet, Julien Dray, Christine Boutin, André Santini ou encore Michel Barnier, tous, peu ou prou, ont présenté une initiative ou déposé une proposition de loi allant dans le sens de la constitutionnalisation.

Au-delà des prises de position, parfois tactiques, une telle charte est indispensable. Elle répond aux grands impératifs écologiques. C'est pourquoi nous ne pouvons rater ce rendez-vous, qui est celui de la lutte contre l'effet de serre, contre la perte de la biodiversité et contre les pollutions multiples dont l'impact sur notre santé est de plus en plus reconnu.

Par-dessus tout, l'inscription constitutionnelle du droit à l'environnement, c'est le droit des générations futures enfin affirmé. Il existe aujourd'hui plusieurs vides juridiques. Si nous ne manquons pas de grandes lois et de politiques sectorielles, leur portée normative est beaucoup trop faible. L'environnement est curieusement absent des matières énumérées à l'article 34 de la Constitution. Le texte qui nous est soumis, modifié en ce sens à l'initiative de nos assemblées, corrige cet anachronisme.

La révision constitutionnelle qui nous est proposée s'inscrit dans un vaste mouvement de prise de conscience. Ce 28 février commence l'an I d'un siècle qui sera confronté à d'immenses enjeux environnementaux. Les associations l'ont compris et ont joué ces dernières années un rôle déclencheur. Les experts ont été consultés. Sous votre impulsion, monsieur le Premier ministre, depuis trois ans, un travail considérable d'écoute, d'évaluation et de proposition a été accompli. Le texte a d'ailleurs été amendé lors de la procédure législative.

Tous ces échanges ont finalement renforcé l'originalité de la Charte : l'idée de son adossement à la Constitution, sa concision et sa clarté, le juste partage entre un principe de valeur constitutionnelle - le principe de précaution -, directement applicable et invocable par les citoyens devant le juge, et des objectifs de valeur constitutionnelle qui, bien que s'imposant au législateur, réclament son intervention. Ces dispositions ne figurent réellement dans aucune constitution étrangère. Elles constituent donc une novation juridique considérable.

De plus, la Charte permet de sortir des incertitudes jurisprudentielles actuelles et devient garante d'une sécurité juridique nouvelle. Elle permet de repenser le progrès en reconnaissant l'incertitude, l'indétermination et l'imprévisibilité. Elle affirme une nouvelle façon d'appréhender la responsabilité, qui est l'un des enjeux principaux du droit moderne et de la politique contemporaine.

La Charte répond enfin à l'ambition du Président de la République de replacer la France en position d'avant-garde dans le monde. Cette capacité d'imposer des grands principes constituants, organisant les valeurs démocratiques et républicaines dont la France assure l'initiative et la garantie dans l'histoire moderne, est encore plus importante aujourd'hui qu'hier. Nos sociétés sont traversées par des conflits insensibles, difficiles à appréhender, mais qui mettent en cause chaque jour notre modèle juridique. La Charte de l'environnement confirme l'imagination et la détermination dont nous savons faire preuve sur ce point. Aucun pays ne doit nous imposer par le droit, selon des modalités unilatérales, des codes nouveaux.

C'est pourquoi cette charte qui traite de l'environnement, c'est-à-dire rien moins que la question de notre survie, va s'imposer comme une référence mondiale. C'est cette ambition qu'on nous propose aujourd'hui de partager. Le groupe de l'UMP de l'Assemblée nationale la soutient avec force et conviction. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen du Sénat, la parole est à M. François Fortassin.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, à l'évidence, l'impératif de protection de l'environnement est partagé par un très grand nombre de nos concitoyens. Étant l'élu d'un département où la richesse principale repose sur le patrimoine naturel, je ne peux qu'être très favorable à cette notion de défense du milieu naturel.

Pour autant, si je prends acte de la volonté du Président de la République et du Gouvernement d'adosser cette charte à la Constitution, je suis relativement circonspect, voire dubitatif. (Murmures) À mes yeux, ce texte présente une emphase inutile, un lyrisme quelquefois superfétatoire et, pour tout dire, une incantation normative qui n'était pas forcément de mise. (Sourires.) Je reste donc perplexe face à cet assemblage hétéroclite de bons sentiments scientifiques et de considérations philosophiques qu'on voudrait aujourd'hui nous faire voter.

La loi Lepage de 1996, qui stipulait notamment que chacun a le droit de respirer un air qui ne nuit pas à sa santé, constituait déjà un élément positif ! (Rires.) La loi montagne, la loi littoral et la loi Barnier étaient des instruments qui pouvaient fonder une solide défense de l'environnement, sous réserve, bien entendu, qu'elles soient appliquées. On a voulu aller plus loin : je me garderai pour ma part d'y voir un coup médiatique, mais il n'est pas interdit de se poser la question. (Rires.)

M. François Hollande. Quelle perspicacité !

M. François Fortassin. Il existe un décalage très fort entre, d'une part, la volonté affichée du Président de la République et du Gouvernement de faire de la protection de l'environnement un des chantiers majeurs de la législature et, d'autre part, la relative faiblesse de ce texte.

La Charte est appelée à s'intégrer à la matrice de nos droits fondamentaux, à côté de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du préambule de la Constitution de 1946. Or la flamboyante Déclaration de 1789, qui est inscrite au fronton de nos édifices publics, et le préambule de 1946, sur lequel se fonde tout le progrès social de la deuxième moitié du xxe siècle, me paraissent être un peu supérieurs au texte actuel. (Rires.) Mais ce n'est qu'une appréciation personnelle. D'aucuns pourraient y voir un peu d'arrogance de ma part, mais ce n'est pas le cas : je ne veux pas être accusé de partialité !

Cela dit, mon hostilité, ou tout au moins mon opposition, est provoquée par l'article 5 : le principe de précaution, même s'il est philosophiquement tout à fait audible, peut se révéler assez dangereux. Tout groupe social trouve ses fondations dans quelques principes, tels le droit à l'écoute, le droit à la différence,...

M. le président. Il faut conclure, monsieur Fortassin...

M. François Fortassin. ...ou le droit à la libre expression, monsieur le président. (Rires et applaudissements.)

M. le président. Votre talent est très grand, mon cher collègue, mais vous êtes précisément arrivé au terme de votre liberté d'expression.

M. François Fortassin. J'en ai presque terminé, monsieur le président : ce sont mes collègues qui m'empêchent de m'exprimer avec la célérité que je souhaiterais ! (Exclamations et rires.)

Je regrette solennellement que l'on se dirige, avec ce texte, vers une judiciarisation de la vie publique. On risque une multiplication des contentieux, c'est-à-dire tout le contraire du lien social que nous devons tous, quelles que soient nos sensibilités, rechercher.

Ne voulant pas faire de peine à M. le président, je terminerai mon propos en indiquant que je ne voterai pas ce projet de loi constitutionnelle. Toutefois, mon groupe pratiquera un vote citoyen : certains s'abstiendront, certains voteront contre, d'autres voteront pour.

M. le président. Merci, mon cher collègue, pour ces explications lumineuses. (Sourires.)

M. François Fortassin. J'ajoute enfin, monsieur le Premier ministre, qu'au moment même où ce texte nous est soumis, on a tendance à réduire les crédits de l'ADEME. De même, le transport des marchandises par rail connaît, année après année, une baisse dramatique. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire du Sénat, la parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Charte de l'environnement va sans doute prendre place ce soir aux côtés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946. Cette innovation constitutionnelle est la bienvenue, même si certains sont en droit d'estimer que l'on aurait pu se dispenser de la proclamation liminaire de l'article 2, dépourvue de valeur juridique : cette déclaration tout à la fois scientifique et philosophique n'a sans doute pas sa place dans le texte constitutionnel.

La Charte s'imposait non seulement en raison de nos engagements européens et internationaux, mais aussi pour clarifier l'état de notre droit en matière d'environnement. Il fallait intégrer dans notre corpus constitutionnel les droits de l'homme de la troisième génération, comme l'ont déjà fait de nombreux États aux Constitutions récentes. Compte tenu de la structure de notre bloc de constitutionnalité, il était nécessaire d'adopter un texte qui fût différent du texte de la Constitution proprement dit : il s'agit donc d'un texte annexe auquel renvoie le préambule, comme c'est déjà le cas pour le texte de 1789 et celui de 1946. Il importait en effet de se doter d'une nouvelle déclaration de droits dans le respect de notre tradition constitutionnelle.

Cette charte ne crée pas de principes nouveaux : on sait déjà ce que signifie le droit à l'environnement. Mais le texte a l'avantage de définir, sous la forme d'objectifs constitutionnels, des droits et des devoirs qui méritaient d'être constitutionnellement garantis et être juridiquement clarifiés : ainsi en est-il du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, du droit d'accès aux informations sur l'environnement ou du droit de participer à l'élaboration des décisions publiques qui lui sont relatives. En contrepartie de ces droits, de nouveaux devoirs sont définis, comme celui de participer à la préservation de l'environnement, celui de prévenir les atteintes qui pourraient lui être portées ou d'en limiter les conséquences, et celui de répondre des dommages causés.

Mais il y a plus intéressant. Les autorités publiques sont dorénavant investies d'une mission spécifique : elles doivent assurer le respect du principe de précaution face aux risques hypothétiques, non encore confirmés scientifiquement mais qui peuvent être identifiés à partir des connaissances empiriques et scientifiques du moment. Cette responsabilité impose aux autorités de stimuler la recherche scientifique et de prendre des mesures provisoires et proportionnées pour faire face aux risques éventuels. Elles sont aussi responsables du développement durable, qui vise à concilier protection de l'environnement et développement économique et social.

La Charte innove également en insistant sur le devoir d'éducation et de formation et sur la nécessité d'inciter au développement de la recherche et de l'innovation appelées à concourir à la sauvegarde de l'environnement. Elle affirme donc clairement la volonté des générations actuelles de préparer l'avenir des générations futures en s'efforçant de sauvegarder les équilibres de notre planète et en responsabilisant les décideurs et les usagers. En cela, nous agissons pour le mieux-être de nos populations.

La ratification de cette charte implique aussi de nouvelles responsabilités pour le Parlement. Désormais, investi du rôle consistant à adopter des principes fondamentaux en matière de préservation de l'environnement, il doit être le garant de l'application de la Charte.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union pour un mouvement populaire du Sénat, dans son immense majorité, votera la Charte de l'environnement. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains de l'Assemblée nationale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers collègues, notre bonne vieille Terre est malade ! Et nous en avons à peine conscience...

Oui, nos sociétés sont en train de détruire notre planète. II est urgent de réagir !

Pourtant, les difficultés rencontrées dans le monde pour ratifier le protocole de Kyoto attestent des réticences à appréhender la gravité de la situation. Et comment ne pas rappeler les coups portés à l'environnement par le capital financier (Exclamations), des pollueurs pétroliers aux pourvoyeurs de l'amiante, des lobbies anti-ferroviaires aux destructeurs du littoral ?

Ce constat confirme la nécessité d'intégrer, au plus haut de la hiérarchie des normes, les problématiques liées à la protection de l'environnement.

C'est bien dans ce contexte que s'inscrit le vote que nous allons émettre sur ce projet de loi constitutionnelle.

Faut-il rappeler que les constitutions, et notre Constitution, proclament les valeurs qui fondent l'organisation de nos sociétés ? Ces valeurs sont évidemment évolutives. C'est pourquoi, en 1946, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, malgré sa brûlante actualité, a été complétée par la proclamation de droits économiques et sociaux en préambule de la Constitution de la IVe République.

Conscients de l'urgence et de notre responsabilité en ce domaine, nous ressentons la nécessité d'intégrer notre attachement à la protection de l'environnement dans notre corpus constitutionnel, parmi les valeurs qui donnent sens au pacte républicain.

Cette charte aurait pu faire consensus si elle n'avait pas été aussi verrouillée. Le procédé utilisé par l'exécutif pour l'imposer quasiment en l'état n'est d'ailleurs pas sans rappeler, en ce château de Versailles, l'époque où les rois octroyaient généreusement des chartes constitutionnelles. (Exclamations.)

Logiquement, inéluctablement, ce fait du prince ne pouvait qu'engendrer les carences du texte qui nous est soumis.

Son préambule relève ainsi, pour l'essentiel, de considérations trop générales, voire réductrices. L'absence de toute référence concrète à l'épuisement des ressources naturelles traduit la volonté de refuser de s'interroger sur la viabilité d'un système économique qui repose aujourd'hui sur le pillage de notre planète, au nom de la seule satisfaction d'intérêts privés immédiats et de principes conduisant à la marchandisation de toute la vie.

Cette question, pourtant fondamentale, est en fait éludée par la seule référence au « développement durable », sans préciser ni la signification de cette notion bien trop galvaudée, ni les contours virtuels d'un modèle alternatif de développement.

Quant à la définition et aux modalités de mise en oeuvre du principe de précaution, elles pâtissent d'une opacité fâcheuse pour un texte juridique, a fortiori pour un texte constitutionnel. En effet, l'article 5, objet de tant de débats, d'articles, de controverses, ce fameux article 5 reste empreint d'une grande méfiance à l'égard du progrès des sciences et des techniques et pourrait conduire au blocage d'avancées importantes pour le devenir de l'humanité,

N'oublions pas que le dévoiement de l'esprit scientifique, à l'origine de tant de dérives, n'est pas le fait de la science elle-même, mais bien plutôt de ce que Condorcet appelait un « système social combiné pour la vanité » !

Mais cet article nous préoccupe surtout parce que, d'application directe, il ne permettra pas de dissiper l'incertitude juridique actuelle. Le refus de la majorité de renvoyer formellement à la loi ses modalités d'application ne pourra qu'engendrer des contentieux et des jurisprudences multiples.

Seule une loi pourrait définir le seuil à partir duquel un risque de dommage justifie la mise en oeuvre de ce principe de précaution. Elle pourrait aussi définir la nature de l'intervention démocratique, souligner l'importance de la recherche et préciser quelles seront les personnes compétentes pour apprécier la réalité des risques et donc déclencher la procédure.

Enfin, comment ne pas s'interroger sur la capacité du Gouvernement à faire vivre concrètement les principes proclamés dans cette charte ?

Nous ne pouvons qu'être interpellés par le fait que l'on nous fasse intégrer cette charte dans notre Constitution le jour même où cette dernière est soumise à la Constitution européenne ! En institutionnalisant en parallèle le libéralisme européen destructeur d'environnement, comment ce texte pourrait-il permettre une réorientation écologique de la politique économique de la France ?

Quelle contradiction fondamentale que d'intégrer, fort justement, dans la Constitution les valeurs de protection de l'environnement, au moment où vous applaudissez les profits faramineux de Total, où vous autorisez des entorses à la loi littoral ou le développement des pavillons de complaisance, où vous réduisez comme peau de chagrin le budget du ministère chargé de l'écologie !

Mme Janine Jambu. Très juste !

M. André Chassaigne. Cette charte de l'environnement était, certes, nécessaire. Placée en préambule de notre Constitution, elle aurait pu être un signal fort.

M. André Chassaigne. Mais au regard des imperfections du texte et des conditions dans lesquelles il nous est soumis, les députés communistes et républicains sont conduits à s'abstenir. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe socialiste du Sénat, la parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le président du Congrès, monsieur le Président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, modifier la loi fondamentale de la République est un acte grave. Il y faut de la clarté. Or, en décidant d'ajouter à l'ordre du jour de ce congrès la question de la Charte de l'environnement, le Président de la République a choisi la confusion.

Aux yeux de tous, ce congrès devait en effet être initialement consacré en exclusivité à la modification du titre XV de la Constitution, préalable à la ratification du Traité constitutionnel européen. Nous avons soutenu cette révision et nous nous réjouissons de son adoption, qui ouvre la voie à la consultation des Français par référendum.

Mais il n'est pas acceptable de confondre les enjeux, ni de vouloir passer en force. Monsieur le Premier ministre, le projet de charte de l'environnement n'est pas un texte satisfaisant. Même les Verts, auxquels le règlement du Sénat ne permet pas de s'exprimer au Congrès, et qui voteront oui, ne sont pas dupes de la « frilosité » du texte et des « méfaits de l'action gouvernementale ».

La protection de l'environnement et la défense du développement durable figurent au coeur de nos idéaux socialistes : pour nous, tout homme a droit à un environnement de qualité et il faut préserver les générations futures des risques en la matière. Mais s'il est utile de faire entrer dans la Constitution - et pas seulement de l'adosser - le droit à l'environnement, nous considérons que le texte qui nous est proposé aujourd'hui dessert ses objectifs proclamés.

D'abord, il manque d'ambition. Le principe de précaution énoncé dans le projet de loi ne s'applique pas aux personnes privées et exclut donc les entreprises. Pourtant, elles sont bien souvent à l'origine de la pollution.

Ensuite, le principe pollueur-payeur, essentiel à nos yeux et réclamé depuis longtemps par toutes les associations de défense de l'environnement, n'y figure pas explicitement, les entreprises ne pouvant être sanctionnées qu'au titre de la « contribution à réparation ».

Par ailleurs, ce texte, mal rédigé et d'une certaine confusion philosophique, accroît l'insécurité juridique dans le domaine de la protection de l'environnement. Ainsi, l'article 5 de la Charte, consacré au principe de précaution, applicable aux seules personnes publiques, n'est limité ni dans le temps, ni dans l'espace, ce qui crée un risque de mise en cause systématique de l'État et des collectivités locales et dépouille le Parlement au profit du juge. On peut aussi s'interroger sur les conséquences de cette « précaution » en matière de recherche scientifique et d'innovation.

Mes chers collègues, nous sommes partisans d'une opposition constructive. Si les droits et les prérogatives du Parlement avaient été mieux respectés, si nous avions eu un débat plus complet, nous aurions pu parvenir à un large compromis, incluant l'extension du principe de précaution aux entreprises, la reconnaissance explicite du principe pollueur-payeur et la définition des conditions d'application du principe de précaution.

Mais comment croire à la sincérité du Gouvernement quand il prétend défendre l'environnement, lorsque l'on voit la réalité de sa politique ? Ainsi, les crédits de la recherche diminuent, alors qu'il y a dans ce domaine tout particulièrement nécessité d'une recherche fondamentale publique forte et indépendante des intérêts financiers des industriels. De même, le manque de volonté du Gouvernement de lutter efficacement contre les effets désastreux de la pollution automobile constitue un autre exemple édifiant de ce décalage constant entre le discours et les actes. Nous ne cautionnerons pas ce double langage.

L'inscription de la défense de l'environnement comme principe essentiel de notre loi fondamentale aurait mérité mieux que ce texte approximatif, qu'il faudra bien un jour préciser, consolider et faire passer dans la réalité.

Pour autant, les socialistes estiment que la cause de l'environnement ne doit pas payer les inconséquences de l'action gouvernementale. Nous ne ferons donc pas obstacle à l'inscription de cette charte dans l'ordre constitutionnel. Mais pour toutes les raisons d'insatisfaction que je viens d'exprimer, les membres du groupe socialiste du Sénat ne prendront pas part au vote. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, la parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, née de la prise de conscience d'experts scientifiques et de citoyens avertis, voulue par le Président de la République, proposée par la commission Coppens et amendée par le Parlement, la Charte de l'environnement viendra, s'il en est décidé ainsi, compléter les textes fondamentaux qui gouvernent le droit français.

Comment ne pas souscrire à une telle démarche ? Pourtant...

En effet, pour nous, le respect de l'environnement est indissociable du respect des droits de l'homme. C'est pourquoi nous défendons un développement durable, humain et solidaire qui nécessite une révolution de nos systèmes de valeurs.

Le débat sur le texte lui-même est clos. Je n'y reviendrai donc pas. Je veux indiquer toutefois que notre abstention lors du vote au Sénat fut notamment motivée par la réduction de la portée du principe de précaution et par la demande de vote conforme, présentée par le Gouvernement.

Nos réserves tenaient aussi - et tiennent encore - à l'attitude paradoxale de cette majorité qui veut ouvrir des droits nouveaux, alors qu'elle s'attaque systématiquement à tous les droits fondamentaux existants : droit au travail, à la santé, à l'éducation, au logement ; cette majorité qui, à chaque occasion, réduit la portée des lois adoptées antérieurement, notamment en matière d'environnement -loi littoral, loi SRU, loi sur les territoires ruraux ; cette majorité qui invoque le peuple français et le prive d'un référendum ; cette majorité qui adopte cette charte sans enthousiasme, sans donner à l'événement tout l'élan qui conviendrait, plus contrainte que convaincue par la pertinence de cette démarche.

Alors oui, nous nous appuierons sur ce texte - s'il est adopté - pour défendre le droit des citoyens de vivre dans un environnement équilibré, respectueux de la santé. Est-ce donc anormal de demander que la santé des salariés ne soit pas mise en danger par les produits qu'ils manipulent, tels l'amiante ou les éthers de glycol ?

Oui, nous demanderons aux industriels, avec les populations concernées, de prévenir les atteintes à l'environnement et, en cas de nécessité, de réparer tous les dégâts causés.

Est-ce donc si aberrant de demander à des entreprises, comme Metaleurop ou Métal Blanc, de ne pas empoisonner le milieu dans lequel elles sont implantées ou de demander à Total, qui vient d'annoncer des bénéfices historiques, de financer une meilleure sécurisation de ses activités maritimes ?

Oui, nous défendrons la recherche afin qu'on lui donne les moyens d'accroître nos connaissances en matière de risques.

Oui, nous veillerons à ce que le progrès social et la protection de l'environnement ne soient pas les oubliés du développement.

Oui, nous inviterons les citoyens à ne pas être seulement des consommateurs, mais plutôt des acteurs de leur propre vie.

Oui, nous défendrons l'idée d'une Europe solidaire, une Europe des peuples qui prépare et préserve l'avenir des générations futures, une Europe qui donne un sens au progrès.

Le projet de loi constitutionnelle n'est pas, nous le voyons bien, exempt de critiques et nous sommes bien conscients que tout reste à faire. Il faudra notamment des lois, des moyens et une politique volontariste qui ne soit pas le parent pauvre du budget de la nation.

De ce point de vue, le projet de loi sur l'eau et les milieux aquatiques sera, pour nous, une première occasion de vérifier si cette charte constitue pour la majorité le premier pas d'une conversion sincère. En tout état de cause, vous pouvez compter sur notre groupe pour demander son application.

Afin de dénoncer le hiatus entre ce texte fondamental et le sort réservé aux droits de l'homme et à l'environnement par le Gouvernement, et compte tenu des circonstances dans lesquelles nous avons été amenés à nous prononcer, le groupe communiste, républicain et citoyen du Sénat, dans sa grande majorité, s'abstiendra, dans le prolongement du vote émis au Sénat sur le texte même de la Charte. (Applaudissements.)

M. le président. Pour le groupe de l'Union centriste-UDF du Sénat, la parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, après un premier vote qui vient d'introduire dans notre Constitution des dispositions qui avaient fait l'objet d'un vote conforme au Sénat, nous allons maintenant nous prononcer sur la Charte de l'environnement, qui, elle aussi, a fait l'objet d'un vote conforme à la Haute assemblée. Si le vote conforme est une procédure difficile à admettre en temps ordinaire, elle l'est plus encore s'agissant de lois constitutionnelles, même si la révision de la Constitution est, hélas ! devenue chose courante dans notre pays. Comment admettre, en effet, que l'on puisse inscrire dans notre loi fondamentale des dispositions que l'on a sciemment refusé d'enrichir et de préciser là où elles pouvaient l'être ?

Quoi qu'il en soit, même si cette procédure peut laisser un goût amer, on ne peut cependant pas être contre un texte qui inscrit le droit à un environnement sauvegardé au rang de nos principes constitutionnels. Face aux risques que font courir à notre environnement et aux générations futures le réchauffement de la planète et l'épuisement des ressources naturelles, nous n'avons pas le droit de rester indifférents aux questions écologiques. Il nous appartient donc de faire le maximum pour concilier au mieux développement économique et préservation de l'environnement.

On ne peut donc qu'être d'accord avec le considérant de la Charte selon lequel « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation », ou encore avec son article 6, qui dispose que « les politiques publiques concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social », même si l'on peut considérer que ces dispositions ont plus valeur déclarative que normative.

Certes, au travers de la notion de développement durable, qui est aujourd'hui largement partagée par nos concitoyens, un certain nombre de principes figurant dans la Charte sont déjà intégrés dans la prise de décision, tant par les responsables publics que par les entrepreneurs privés. Aussi, l'inscription de la Charte de l'environnement dans le préambule de la Constitution ne révolutionnera pas le droit applicable en France. En revanche, on peut espérer qu'elle jouera un rôle d'accélérateur dans la prise en compte des impératifs environnementaux et aidera à anticiper et prévenir les problèmes écologiques de demain.

Vous n'ignorez pas, cependant, que ce texte soulève un certain nombre de problèmes. S'il satisfait ceux qui pensent que la France a vocation à éclairer le monde, il contient, en revanche, des dispositions qui risquent de créer des difficultés dont nous aurions pu nous passer au regard de l'état actuel de notre économie.

Ainsi, a-t-on bien mesuré les conséquences de l'article 5 de la charte, relatif au principe de précaution ? En introduisant dans la Constitution ce principe, qui sera d'application directe, on risque d'encourager la contestation de décisions relatives, par exemple, au lancement de recherches dans des domaines encore mal connus ou à la mise en place de projets pilotes destinés à tester de nouveaux process industriels.

Quand on sait que les procédures préalables à la création d'entreprises, notamment celles qui sont soumises à déclaration ou à autorisation, sont de plus en plus lourdes et contraignantes, on peut s'interroger sur l'opportunité d'inscrire dans notre Constitution - c'est-à-dire au sommet de notre ordre juridique - un principe qui risque de donner lieu à des procédures dilatoires, qui rendront plus compliquées encore l'innovation et la création d'entreprises en France, où cela est déjà pourtant plus difficile que dans la majorité des autres pays de l'Union européenne. Quant à la recherche, ne risque-t-elle pas de quitter notre pays ?

II est donc à craindre que nous adressions, avec ce texte, un signal négatif à ceux qui veulent entreprendre et que, en voulant être des précurseurs, nous affaiblissions la compétitivité de notre pays. En réalité, c'est dans un cadre européen - au minimum - que le principe de précaution, qui est seulement cité dans le Traité constitutionnel, aurait dû être défini.

Par ailleurs, alors que de nombreux décideurs - notamment les élus que nous sommes - se plaignent de la judiciarisation croissante de notre société, on peut se demander si nous ne favorisons pas, avec l'article 5 de la Charte, cette regrettable évolution.

Certes, le principe de précaution est déjà inscrit dans le code de l'environnement et, si l'on en croit ses plus fervents partisans, il sera désormais mieux encadré, ce qui évitera de voir se développer des contentieux à l'issue incertaine. Permettez-moi de rester sceptique face à cet argument car en fait, lorsque la communauté scientifique sera divisée, le texte qui nous est soumis laissera au juge le soin de trancher entre ceux qui pensent qu'un dommage peut affecter de manière grave et irréversible l'environnement et ceux qui pensent le contraire. Je ne suis pas sûr que le Parlement puisse s'en réjouir.

Parce que l'environnement est une valeur à laquelle nous sommes attachés, la majorité du groupe de l'Union centriste votera la Charte de l'environnement. Cependant, parce que ce texte donne le sentiment de traduire surtout un effet d'annonce et reste trop flou sur le plan juridique, avec tous les risques que cela fait peser sur notre économie, une partie du groupe, dont je suis, ne le votera pas.

En tout état de cause, que l'on soit pour ou que l'on soit contre, il faudra être vigilant et veiller à ce que l'interprétation qui sera faite de la Charte n'entraîne pas un passage du « tout économique », qui a été justement décrié, à un « tout environnemental », qui le serait tout autant et qui pourrait causer des dommages irréversibles à notre économie. (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, nous avons terminé les explications de vote.

Vote

M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

Le scrutin se déroulera dans les mêmes conditions que le vote précédent.

Le scrutin est ouvert.

Je vais maintenant suspendre la séance. Elle sera reprise vers dix-sept heures trente-cinq.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnel :

Nombre de votants 665
Nombre de suffrages exprimés 554
Majorité requise pour l'adoption du projet de loi constitutionnel, soit les trois cinquièmes des suffrages exprimés 333
Pour l'adoption 531
Contre 23

Le Congrès a adopté (Applaudissements )

Le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, sera transmis à M. le Président de la République.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement