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NOMINATION D'un MEMBRE D'UN organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein de la Commission centrale de classement des débits de tabac.

La commission des finances a fait connaître qu'elle propose la candidature de M. Auguste Cazalet pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Question préalable

Retour à l'emploi

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Demande de renvoi à la commission

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par MM. Muzeau,  Fischer et  Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 62, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au retour à l'emploi et aux droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (n° 118, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous assistons aujourd'hui à un démantèlement accéléré - sans précédent - du code du travail et des droits des travailleurs, droits acquis au fil de décennies de combats politiques et de luttes sociales.

Historiquement, notre société a ancré sa dynamique de progrès social dans l'amélioration progressive et continue des conditions de vie et de travail.

Or ce gouvernement s'attache à tailler en pièces ces garanties de niveau de vie et de stabilité familiale, sociale et économique, par une politique entièrement axée sur la logique du profit de quelques entrepreneurs et de grands groupes bancaires.

Au début de l'été dernier, le Gouvernement a imposé aux Français, par la voie des ordonnances, le contrat nouvelles embauches. Il ne s'est agi là que de la première étape du bouleversement sans précédent des acquis du monde du travail effectué par M. de Villepin et son gouvernement.

Ce bouleversement se poursuit aujourd'hui avec l'annonce de la création du contrat première embauche, véritable « copier-coller » du contrat nouvelles embauches, destiné à nos jeunes générations rencontrant des difficultés d'intégration dans l'emploi.

Les plus âgés des Français ne seront pas épargnés non plus. La création d'un CDD « vieux » - je le dis avec humanisme, mais ce terme, utilisé par les médias, veut bien dire ce qu'il veut dire, même s'il ne nous convient pas, madame la ministre - mettra en cause la stabilité des travailleurs en fin de carrière, alors que la durée d'activité s'allonge malheureusement toujours un peu plus.

La nouvelle conception du monde du travail mise en oeuvre par le Gouvernement fait de la précarité une règle. Ainsi Mme Laurence Parisot a-t-elle déclaré, le 30 août dernier : « La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? ».

Alors qu'il était une garantie de stabilité, le contrat à durée indéterminée devient, avec le contrat nouvelles embauches, synonyme d'emploi précaire. Aujourd'hui, plus rien ne garantit aux travailleurs des conditions de travail, et donc de vie, relativement stables.

La précarité explose : contrats à durée déterminée de quelques mois, contrats en intérim de quelques jours, contrats nouvelles embauches avec licenciement sans raison motivée, licenciements économiques anticipés, sans recours possible, tel est, madame la ministre, le monde du travail que vous et votre majorité êtes en train de dessiner.

De plus, vous opposez les travailleurs les uns aux autres, les jeunes aux vieux, les femmes avec enfants aux hommes célibataires.

Cette segmentation dangereuse du marché du travail accroît la pression sur les travailleurs, qui sont sans cesse accusés d'être la cause du chômage alors qu'ils en sont victimes du fait du coût trop élevé du travail.

C'est bien de cela qu'il s'agit, madame la ministre, dans le dernier rapport sur le salaire minimum que les services du ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement viennent de rendre public.

Personne n'est dupe : la politique du Gouvernement, qui se veut sociale, ne fait qu'institutionnaliser la pauvreté et l'instabilité sociale, familiale et économique pour toutes les générations, et ce à vie !

Tel est le paysage politique dans lequel nous abordons l'examen de ce projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux. Chacun sait que ce texte n'est que la première étape d'un projet de plus grande ampleur visant à refondre totalement les minima sociaux tels que nous les connaissons aujourd'hui.

La méthode gouvernementale nous inquiète. En effet, alors que, sous la direction de Mme Valérie Létard, un groupe de travail sénatorial, dont je fais partie, réfléchit depuis plusieurs mois à des pistes de réforme des minima sociaux, le présent texte en anticipe les conclusions. Pourquoi un tel empressement ? Quels mauvais coups sont en préparation ?

Par ailleurs, je souligne que la commission des affaires sociales, fait exceptionnel, n'a procédé à aucune audition en préparation de ce texte. Les structures d'aides sociales et les associations qui travaillent chaque jour sur le terrain avec les bénéficiaires des minima sociaux n'ont pas une seule fois été interrogées par la commission !

Je m'inquiète également au sujet d'une proposition de loi sur les minima sociaux que l'on nous a annoncée pour les jours ou les semaines à venir et sur laquelle nous ne disposons pas de la moindre information pour l'instant. Peut-être M. de Raincourt ou Mme Létard pourraient-ils nous renseigner à ce sujet ?

La méthode employée est révélatrice de vos intentions, madame la ministre. Votre volonté de réforme dissimule mal le fait que votre projet est de réduire les aides accordées, ainsi que le champ des publics concernés, afin de réaliser quelques économies sur le dos des plus démunis et de pouvoir afficher des statistiques sur le chômage en baisse à la veille de l'élection présidentielle.

Je ne serais pas étonné si la fameuse proposition de loi que l'on nous annonce pour la fin du mois de février était, entre autres, la traduction législative des vues de MM. Mercier et de Raincourt, qui évoquent clairement, dans le rapport qu'ils ont remis au Gouvernement, la fusion en une seule allocation de certains minima sociaux, c'est-à-dire du revenu minimum d'insertion et de l'allocation de parent isolé.

En fait, sous prétexte de clarifier un système qu'il considère comme trop complexe - neuf minima sociaux !-, le Gouvernement souhaite uniformiser la prise en charge des plus démunis pour aboutir à une allocation unique. Une telle uniformisation se fera au détriment des plus pauvres, mis au ban de la société et stigmatisés comme assistés et fraudeurs en puissance.

L'objectif est clair : aboutir à une allocation unique, sur critère exclusif de revenu, alors que, jusqu'à présent, dans le système en vigueur, le critère d'attribution du revenu a toujours été complété par la prise en compte du statut - femme seule élevant un enfant, handicapé ou chômeur en fin de droit par exemple -, et ce afin de respecter les spécificités de chacun. Ce critère du statut est donc grandement menacé. Ce sont les plus pauvres qui en seront les premières victimes !

L'existence de ces différents statuts ne constitue pas, madame la ministre, une complexité ou une lourdeur administrative inutile. Ils correspondent chacun à des situations et à des parcours de vie différents. Ils évitent des amalgames et des raccourcis qui conduisent à penser que la société a à sa charge une population d'assistés, dépeinte, depuis la loi Fillon, comme une masse d'indigents, informe et sans visage.

Ce texte traduit votre volonté de démanteler les systèmes d'aides et de protection sociale. Ce gouvernement organise une véritable chasse aux pauvres, aux chômeurs et aux assurés sociaux, qui s'accompagne d'une campagne médiatique sans précédent, visant à les présenter comme les seuls responsables de leur sort et comme des fraudeurs potentiels.

M. Guy Fischer. Votre politique aboutit à une destruction nette d'emplois, et, je vous le rappelle, si les chiffres du chômage baissent, c'est parce que la population active est moins nombreuse et non pas parce que le volume d'emplois augmente.

Vous avez durci les conditions d'accès au régime d'assurance chômage, faisant basculer des milliers de personnes vers l'assistance.

Selon l'INSEE, le nombre de demandeurs d'emploi non indemnisés a augmenté de 9 % en 2004 ! De même, le nombre d'allocataires du RMI a augmenté de 5 % en 2003 et de 8,5 % en 2004 ! Et il en sera au moins de même en 2005.

Une autre donnée est très significative de votre politique de l'emploi : alors que le nombre de demandeurs d'emploi de plus de trois ans a diminué entre 1999 et 2003, il a augmenté de 8,8 % cette année, ce qui conduit au maintien du nombre de bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique, alors même que le nombre de bénéficiaires de l'allocation équivalent retraite de remplacement, l'AER, n'a cessé d'augmenter depuis sa création en 2002. Au total, si l'on y inclut les ayants droit, un peu plus de six millions de personnes sont couvertes par les minima sociaux.

Quel avenir, madame la ministre, réservez-vous à ces personnes ?

Cette manière de légiférer, à la hussarde - nous l'avons encore constaté ce matin en commission -, quasiment en catimini et de manière décousue, n'est pas acceptable. Sous des allures de politique sociale, les mesures d'affichage contenues dans ce texte, comme la prime de 1 000 euros ou la prime d'intéressement forfaitaire, réduisent les droits des personnes les plus défavorisées tout en accroissant la complexité des modes de calcul et des critères d'attribution.

Le plus insupportable dans la politique que mène ce gouvernement est la chasse aux fraudeurs parmi les allocataires de l'assurance chômage et les bénéficiaires de minima sociaux, alors qu'ils ne constituent qu'une infime minorité.

Vous renforcez les sanctions pénales contre les plus pauvres alors que ces populations connaissent déjà de grandes difficultés financières. Vous aggravez leur situation par des sanctions administratives. En revanche, les riches bénéficient d'une totale impunité.

Comment justifier un tel acharnement alors que, selon les chiffres de la Caisse nationale des allocations familiales, les fraudes représentent environ 0,004 % des cas traités, autrement dit zéro ?

De même était-il indiqué, dans le rapport Marimbert sur le service public de l'emploi, remis au Gouvernement en janvier 2004, que seul 0,08  % des dossiers de demandeurs d'emploi donnent lieu à poursuites, soit, encore une fois, zéro !

Pourtant, le décret publié le 24 décembre dernier, en guise de cadeau de Noël, qui autorise les agents relevant du ministre chargé de l'emploi à « se faire communiquer par les administrations fiscales, en cas de présomption de fraude, toutes données et documents nécessaires à l'accomplissement de leur mission », laisse entendre, de manière perverse, qu'il y a urgence à agir.

En revanche, bien sûr, les aides astronomiques - leur montant s'élève à plus de 26 milliards d'euros - que l'État octroie aux entreprises ne donnent lieu, elles, à aucun contrôle sur le nombre de créations d'emploi qu'elles ont permis.

Alors que le chômage reste massif en France, l'objectif du Gouvernement est clairement de stigmatiser les chômeurs ou les plus pauvres, en les présentant comme responsables de leur situation, comme des paresseux et des profiteurs.

Et au moment où vous ponctionnez l'épargne populaire, votre politique fiscale permet aux 180 000 foyers les plus riches de notre pays de bénéficier d'une baisse d'impôt de 2,5 milliards d'euros !

Il est indécent de vouloir réaliser des économies budgétaires sur les personnes bénéficiant des minima sociaux, qui touchent, je vous le rappelle, 400 euros par mois. De quoi profite-t-on, madame la ministre, avec de tels revenus ? Je vous le demande !

Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous estimons qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion d'un tel texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Dire du présent projet de loi qu'il bouleverse notre système de minima sociaux et qu'il met en péril la solidarité nationale me semble parfaitement excessif.

Au contraire - cela a déjà été souligné -, l'objet de ce texte est limité, ce qui lui a d'ailleurs parfois été reproché : il vise à rendre plus efficaces et plus incitatifs en termes de retour à l'emploi des dispositifs de cumul temporaire entre salaire et minima sociaux qui existent déjà mais restent peu et mal employés.

Il est évident que ce projet de loi ne résoudra pas à lui seul le problème de l'emploi dans notre pays. Telle n'est d'ailleurs pas son ambition. Mais il s'inscrit résolument dans le cadre de la « bataille pour l'emploi » que le Premier ministre s'est engagé à gagner et qui commence d'ailleurs à porter ses fruits, comme le montrent les dernières évolutions des chiffres du chômage.

Compte tenu de l'urgence de la mobilisation pour l'emploi, repousser sans l'examiner un projet de loi qui prévoit des mesures concrètes pour favoriser le retour à l'emploi de ceux qui en sont le plus éloignés, c'est encourir, à mes yeux, le reproche d'irresponsabilité.

C'est pourquoi j'émets un avis défavorable sur cette motion.

Je me permets d'ajouter, puisque des accusations de « chasse aux pauvres » ont été portées, que si le moindre soupçon sur cet aspect des choses, au cours de nos débats, paraissait fondé, je démissionnerais instantanément de ma fonction de rapporteur.

M. Guy Fischer. On en parlera aux présidents de conseils généraux !

M. Éric Doligé. Ils sont à votre disposition à longueur d'année !

M. Guy Fischer. Merci, monsieur Doligé !

M. Roland Muzeau. Ils sont moins nombreux qu'hier à droite de cet hémicycle !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. La discussion générale a bien montré nos divergences de vue.

Très franchement, monsieur Fischer, l'objectif du Gouvernement n'a rien à voir avec les statistiques. Notre volonté est d'aider les femmes et les hommes de notre pays qui sont les plus éloignés de l'emploi à y retourner en utilisant tous les moyens qui permettent de le faire.

D'autres réformes restent à faire, nous le savons tous. Des travaux sont en cours. Avec ce texte, qui traduit concrètement les engagements du Gouvernement, nous franchissons une première étape. Il serait dommage, pour les bénéficiaires, de ne pas le faire dès maintenant.

Telles sont les raisons pour lesquelles je suis défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix la motion n°62, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 79 :

Nombre de votants 296
Nombre de suffrages exprimés 296
Majorité absolue des suffrages exprimés 149
Pour l'adoption 120
Contre 176

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Titre Ier (avant l'article 1er)

Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par Mme Printz, M. Cazeau, Mmes Le Texier,  Demontès et  Schillinger, MM. Desessard,  Godefroy,  Sueur,  Guérini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 38, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux (n° 118, 2005-2006).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à Mme Gisèle Printz, auteur de la motion.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la précarité est un phénomène inquiétant qui ne cesse de progresser dans notre pays.

Les dernières statistiques de décembre 2005 font apparaître une augmentation continue du nombre de bénéficiaires de minima sociaux, notamment du RMI. On en dénombre 1 107 000, soit 22 000 de plus en trois mois et 6,2 % de plus en un an. En outre, 470 000 personnes vivent de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, et 175 000 personnes perçoivent l'allocation de parent isolé, l'API. Avec les ayants droit, cela représente quelque six millions de personnes vivant de minima sociaux.

Cette augmentation peut s'expliquer par la situation très défavorable de la création d'emploi et par l'augmentation du nombre de chômeurs non indemnisés par l'UNEDIC après la réforme de l'assurance chômage intervenue à la fin de 2002. Ainsi, 59,5 % des chômeurs sont aujourd'hui indemnisés par l'UNEDIC, les autres relevant de dispositifs de solidarité. Les récentes négociations n'arrangeront rien, bien au contraire, puisque les conditions d'accès à l'allocation chômage ont été durcies. Ainsi, selon l'office Eurostat, 7,2 millions de personnes vivent aujourd'hui avec moins de 720 euros mensuels en France.

La précarité devient un phénomène durable et concerne particulièrement les jeunes. Un tiers des allocataires du RMI le sont depuis plus de cinq ans ; ils sont donc très loin de l'emploi, en grande difficulté sociale.

Par ailleurs, le nombre de chômeurs de longue durée a augmenté de 9,3 % en un an.

Mais le plus grave, comme le montre la dernière enquête du Secours catholique, est que les personnes en situation de grande précarité subissent en outre une perte de pouvoir d'achat. Celle-ci a été de 1,5 % en moyenne pour les personnes secourues entre 2003 et 2004.

Cette situation invraisemblable est à mettre en rapport avec les effets des dernières lois de finances en faveur des redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune, des détenteurs de portefeuilles d'actions, des bénéficiaires de niches fiscales. On prend aux pauvres pour donner aux riches, en quelque sorte.

De la précarité découle le problème du logement. Selon la Fondation Abbé Pierre, 3 millions de personnes sont aujourd'hui mal logées : SDF, habitat provisoire ou insalubre, squats, etc. Par ailleurs, 1,3 million de personnes sont officiellement en attente d'un logement social. Le « reste à vivre mensuel » des personnes en logement précaire - hôtels, caravanes, centres d'hébergement... - est ainsi tombé de 304 euros en 2002 à 261 euros en 2004.

Être sans emploi dans notre société est tellement dévalorisant que cela entraîne un repli sur soi, une perte de confiance, des soucis de santé et des problèmes familiaux.

Dans ce contexte de généralisation progressive de la précarité et d'accroissement des inégalités, et après les graves événements des banlieues, le Gouvernement semble décidé à réagir. C'est pourquoi nous examinons aujourd'hui ce projet de loi sur le retour à l'emploi, au titre très ambitieux eu égard aux mesures qui nous sont proposées. Celles-ci relèvent davantage de l'effet d'annonce que d'une volonté réelle de mettre fin à l'exclusion.

Pourtant, de nombreux rapport ont révélé des pistes de réflexion intéressantes.

Il y a eu tout d'abord le rapport du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le CERC, présidé par Jacques Delors, puis celui de Martin Hirsch, président d'Emmaüs France, puis les rapports parlementaires établis par Michel Mercier, au nom de l'Observatoire de la décentralisation du Sénat, celui de Valérie Létard sur les minima sociaux et, enfin, celui de nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt, adressé au Premier ministre.

Pour ce qui est de ce dernier rapport, le Gouvernement n'a même pas attendu ses conclusions. Sa volonté de se désengager le plus rapidement possible de l'action sociale, au détriment des collectivités territoriales, a prévalu sur la réflexion et la qualité des propositions.

Ainsi, malgré tous ces rapports, nous nous trouvons face à un texte rédigé dans la précipitation et sans concertation en amont avec les acteurs de terrain.

Pourquoi ne pas avoir travaillé avec les grandes associations ? La Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux, l'UNIOPSS, les conseils généraux, les mouvements de chômeurs auraient eu beaucoup d'observations à formuler sur ce sujet. Mais aucune d'entre elles n'a été consultée, ce qui, malheureusement, semble être devenu une habitude depuis la création du RMA. On décide sans écouter l'avis des principaux intéressés, ce qui est à déplorer.

En conséquence, nous examinons aujourd'hui un texte qui, au lieu de l'aider, stigmatise une partie de la population, puisque le non-respect des contraintes qu'il prévoit peut entraîner des radiations. En d'autres termes, il punit les chômeurs qui ne parviennent pas à retrouver un emploi, alors qu'il existe peu d'emplois disponibles sur le marché du travail.

Le volet « sanction » du texte, inséré par amendements à l'Assemblée nationale, est totalement disproportionné, et inapplicable ; il risque de provoquer un endettement à vie des personnes en difficultés. De nos jours, le chômeur, le bénéficiaire de minima sociaux est rendu responsable de son état et mis en accusation.

On peut se demander si le fait de culpabiliser ces populations n'est pas une diversion pour tenter de faire oublier l'échec du Gouvernement en matière de mise en oeuvre d'une politique créatrice de croissance et d'emplois apte à diminuer le nombre d'allocataires du RMI, comme celle qui fut mise en place en 2000 et 2001 sous le gouvernement Jospin. Il faut être honnête, notre société n'est pas créatrice de vrais emplois.

Par ailleurs, ce texte, purement technique, ne constitue pas une réponse globale au problème de la précarité. Les mesures proposées sont insignifiantes. Ce gouvernement à tendance à ne traiter les problèmes de notre société qu'à la marge, sans aller au fond des choses, à faire du « rafistolage » en quelque sorte. (M. Éric Doligé s'exclame.)

Ainsi, le seuil de 78 heures n'est pas adapté aux personnes les plus éloignées de l'emploi, qui se trouvent dans des situations de détresse extrême. Après plusieurs mois passés dans la rue, effectuer ce nombre d'heures de travail représente pour elles le même effort qu'un travail à temps plein. C'est l'activité qui doit s'adapter à la personne et non l'inverse. On doit davantage prendre en compte le problème de la personne et son itinéraire.

Le texte ne résout pas non plus les problèmes liés aux effets de rupture de soins et à la malnutrition. La question de la garde des enfants n'est abordée que de manière marginale, à travers une priorité ou un quota de places réservées dans les structures existantes, c'est-à-dire à la charge des communes et des conseils généraux. On sait pourtant combien la question de la garde d'enfants est essentielle, dans un contexte où l'API, les bas salaires et le travail à temps partiel concernent essentiellement les femmes.

Pour ce qui est de la prime de retour à l'emploi, il s'agit avant tout d'un effet d'annonce puisqu'elle existe déjà. En effet, le décret n°2005-1054 du 29 août 2005 pris en application de l'ordonnance du 2 août 2005 créait une prime exceptionnelle de retour à l'emploi d'un montant de 1 000 euros pour certains bénéficiaires de minima sociaux, versée après quatre mois de travail et pour un contrat d'au moins 78 heures par mois. Rien de très nouveau, donc ! En revanche, cette prime suscite de nombreuses interrogations liées à la complexité d'un nouveau dispositif mettant en scène une multiplicité d'acteurs.

Et comment la personne concernée fera-t-elle face aux frais inhérents au retour à l'emploi pendant les quatre premiers mois, en matière notamment de garde d'enfants et de transports ? A-t-on envisagé le maintien des droits connexes : la CMU complémentaire, l'APL à taux plein, l'exonération des impôts locaux ? Si la personne perd son emploi au bout de deux mois et demi pour quelque raison que ce soit, que percevra-t-elle ?

Est-ce uniquement un hasard si le seuil retenu par le Gouvernement, pour le versement de la prime, est de 78 heures travaillées dans le mois, horaire au-delà duquel les demandeurs d'emploi ne peuvent plus être inscrits en catégorie 1, seule prise en compte dans les statistiques officielles du chômage ? Qu'en est-il, en outre, de la formation ? Nous souhaitons des réponses précises à ces questions.

Devant les nombreuses interrogations suscitées par ce texte, et pour toutes les raisons évoquées, nous vous demandons, madame la ministre, de reprendre ce travail à la lumière des rapports qui vous ont été remis et des réflexions qui ont été menées par les grandes associations.

En l'état, votre texte exprime davantage une suspicion à l'encontre des bénéficiaires des minima sociaux qu'une volonté de traiter la précarité dont ils sont victimes. Il n'ouvre pas de perspectives d'avenir pour les jeunes en difficulté. C'est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette motion tendant au renvoi du projet de loi à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur. Vous estimez, madame Printz, que le Sénat n'est pas suffisamment informé pour pouvoir délibérer de ce projet de loi.

Pourtant, depuis le mois de mars dernier, la commission des affaires sociales travaille sur la question des minima sociaux. À la suite de la publication du rapport de Valérie Létard, en mai dernier, nous avons même mis en place un groupe de travail sur ce sujet, qui a procédé à nombre d'auditions et de déplacements sur le terrain. Dans ce cadre, les principales associations oeuvrant dans le secteur de la lutte contre les exclusions ont pu être entendues, et elles n'ont pas manqué de faire part de leurs observations sur le projet de loi. Il me semble donc que notre assemblée est tout à fait en mesure de se prononcer en connaissance de cause sur les mesures présentées.

Sur le fond, le rapport de Valérie Létard a mis en lumière la faible efficacité de l'intéressement actuel et le frein au retour à l'emploi que constitue la complexité extrême des règles permettant la combinaison des prestations entre elles et avec un revenu d'activité. Le présent texte vise à simplifier et à rendre plus attrayants ces dispositifs : il serait donc très dommage de le rejeter.

Par ailleurs, vous déplorez, ma chère collègue, le caractère parcellaire de ce projet de loi. La commission aurait, il est vrai, souhaité examiner un texte d'ensemble sur les minima sociaux ; elle ne s'en est pas cachée. Cela étant, le présent projet de loi n'est qu'une première étape : deux propositions de loi, examinées conjointement par la commission des affaires sociales, devraient être prochainement déposées sur le bureau du Sénat. L'une est issue des réflexions de notre groupe de travail, l'autre résulte de l'étude menée par nos collègues Michel Mercier et Henri de Raincourt. Nous aurons donc très bientôt le débat d'ensemble que vous appelez de vos voeux.

Cependant, je voudrais insister sur le point suivant : il serait illusoire d'attendre d'un texte, si complet soit-il, la résolution de l'intégralité des problèmes mis en exergue dans ce domaine. Il était urgent d'oeuvrer pour le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux, et une partie des mesures présentées étaient déjà expérimentées depuis août dernier. Par conséquent, pourquoi attendre ?

J'évoquerai maintenant - modestement, mais je ne peux tout de même pas m'en dispenser -, le rapport que j'ai remis au Premier ministre en juillet 2003 et qui montrait précisément, s'agissant de cette question de l'intéressement, que le calcul des ressources était impossible et qu'il était urgent de simplifier le dispositif. J'avais procédé personnellement, à l'époque, à plus d'une centaine d'auditions avant d'aboutir à ce constat, et j'espère répondre ainsi à vos interrogations, madame Printz.

En tout cas, pour ce qui me concerne, je pense, en conscience, que la mesure est d'une portée très restreinte mais qu'elle se révélera efficace. Or, depuis des années, la conviction unanime est qu'il faut parvenir à calculer, par anticipation, les revenus à attendre du dispositif d'intéressement. Dans ces conditions, il est difficile, et même impossible à mes yeux, de repousser ce texte.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à cette motion, notamment pour toutes les raisons que vient d'exposer M. le rapporteur.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 38, tendant au renvoi à la commission.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 80 :

Nombre de votants 329
Nombre de suffrages exprimés 321
Majorité absolue des suffrages exprimés 161
Pour l'adoption 120
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Demande de renvoi à la commission
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Articles additionnels avant l'article 1er

Titre Ier (avant l'article 1er)

M. le président. L'amendement n° 98, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet, est ainsi libellé :

Dans l'intitulé de cette division, remplacer le mot :

Incitations

par le mot :

Aides

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Les demandeurs d'emploi non indemnisés par l'assurance chômage et bénéficiaires de minima sociaux ne choisissent pas d'être privés d'emploi. Or le terme « incitations » laisse supposer une réticence à la reprise d'emploi, que toutes les études démentent.

Dans cette perspective, les dispositifs prévoyant le cumul d'allocations et de rémunérations liées à une reprise d'activité ont pour objet d'apporter une aide aux personnes fragiles concernées, afin d'éviter que celles-ci ne perdent leurs droits aux minima sociaux et les droits connexes avant d'être assurées d'avoir retrouvé un emploi durable, ce qui transformerait leurs démarches en cauchemar administratif.

Il s'agit ici d'un amendement idéologique. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) En effet, ce sont des aides qu'il faut apporter, et non pas des incitations, comme si le chômeur refusait de reprendre un emploi.

Je profiterai de la présentation de cet amendement pour revenir sur des propos tenus tout à l'heure par Mme la ministre, qui a dit qu'il faut tout faire pour créer de l'emploi. Eh bien, madame la ministre, s'il s'agit, sous prétexte de créer des emplois, d'abaisser le niveau des prestations sociales et d'instaurer des salaires très faibles pour rivaliser avec ceux qui sont pratiqués en Asie, nous ne pouvons pas être d'accord ! Il faut tout faire, certes, pour développer l'emploi, mais dans le cadre légal du contrat de travail aujourd'hui en vigueur et avec un objectif de lutte contre la précarité.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur. L'adoption de cet amendement créerait un risque de confusion avec un autre dispositif, celui de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, qui concerne le régime de l'assurance chômage.

C'est pourquoi je suis conduit à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Le Gouvernement est très sensible au risque de confusion évoqué par M. le rapporteur. C'est la raison pour laquelle il est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 98.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Titre Ier (avant l'article 1er)
Dossier législatif : projet de loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux
Articles additionnels avant l'article 1er ou après l'article 9

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 100, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le deuxième alinéa du I de l'article L. 322-4-8 du code du travail, les mots : « peuvent prévoir » sont remplacés par le mot : « prévoient ».

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Ce projet de loi vise à favoriser le retour à l'emploi durable. Dans cette optique, les conventions de l'État ouvrant droit aux contrats initiative-emploi doivent prévoir - et non « peuvent prévoir » - des actions d'orientation, de formation, de validation des acquis de l'expérience, ainsi que des mesures d'accompagnement professionnel.

C'est une obligation qu'il est proposé ici d'inscrire dans la loi.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur. L'adoption de cet amendement susciterait une rigidité supplémentaire, peu compatible avec une gestion convenable du dispositif du contrat initiative-emploi.

La commission a donc émis un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Les salariés embauchés dans le cadre des contrats initiative-emploi ont accès aux dispositifs d'accompagnement et de formation de droit commun tels qu'ils sont notamment définis dans la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

Des actions d'orientation, de formation professionnelle, de validation des acquis de l'expérience ou des mesures d'accompagnement professionnel sont prévues lorsqu'elles s'avèrent nécessaires à l'insertion professionnelle durable du salarié et sont de nature à faciliter la réalisation du projet professionnel du bénéficiaire du contrat initiative-emploi.

Dans ce cas, les actions sont mentionnées dans la convention conclue entre l'employeur et l'ANPE qui accompagne le contrat initiative-emploi. Ces actions peuvent être prises en compte pour la détermination du niveau de l'aide perçue par l'employeur.

Enfin, dans le cadre du dispositif du contrat initiative-emploi, les salariés peuvent également bénéficier des actions d'accompagnement ou de formation mises en oeuvre par le service public, notamment par l'ANPE et l'AFPA, l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 100.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 99, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin,  Boumediene-Thiery et  Voynet, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

La seconde phrase du premier alinéa du III de l'article L. 322-4-8 du code du travail est supprimée.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. La suppression du nombre maximal de renouvellements possibles des CIE à durée déterminée, sans même qu'un minimum soit fixé pour celle-ci, fait du CIE un contrat particulièrement précaire, pouvant être renouvelé - ou non - au gré de l'employeur, y compris pour de très courtes durées. Il n'y a pas lieu de favoriser la précarité des contrats, s'agissant des CIE qui sont conclus dans le secteur marchand.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur. Dans le cadre des CIE, les besoins ou les caractéristiques propres au demandeur d'emploi sont pris en compte. Je ne crois pas souhaitable de rigidifier le dispositif et de rendre plus difficile le recours à ce dernier. Il me semble au contraire préférable de favoriser la signature de CIE, fussent-ils précaires, c'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Je crois important de rappeler que, dans le plan de cohésion sociale, le contrat initiative-emploi, le CIE, est finalement le seul contrat aidé à permettre de contracter un contrat à durée indéterminée, puisqu'il offre une double possibilité.

Avec le recul, nous savons que plus de 80  % des personnes embauchées dans le cadre d'un CIE ont conclu un contrat à durée indéterminée. Cette mesure est donc clairement de nature à permettre le retour à un emploi durable de ses bénéficiaires en favorisant leur reprise d'activité dans des conditions aussi proches que possible du marché du travail.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est tout à fait défavorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 99.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 40, présenté par M. Cazeau, Mmes Printz,  Le Texier,  Demontès et  Schillinger, MM. Desessard,  Godefroy,  Sueur,  Guérini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

L'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches » est abrogée.

La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Nous nous trouvons de nouveau ici devant un problème de cohérence.

Le projet de loi qui nous est présenté prétend favoriser la réinsertion des allocataires de minima sociaux. Qu'entend-on par réinsertion ? Et réinsertion dans quoi, au demeurant ?

La réinsertion dans l'emploi, qui semble être celle que vous visez, suppose, à notre sens, un minimum de stabilité. Les allocataires du RMI et de l'ASS sont des chômeurs de longue durée, et les allocataires de l'API sont en général des femmes dépourvues de qualification professionnelle, qui n'ont parfois jamais connu d'emploi.

Que vont-elles se voir proposer avec ce texte ? Un emploi, avec une prime de 1000 euros et une prime mensuelle forfaitaire. Sur quel type de contrat ? S'il s'agit d'un contrat aidé, ce contrat a au moins une date de début et une date de fin, avec, sauf pour le CIE dans le secteur marchand, un dispositif d'accompagnement ou de formation. S'il s'agit d'un CNE, il a une date de début, et rien d'autre !

Le mot « rien » est ici particulièrement adapté, puisque le salarié sait qu'il a aujourd'hui un emploi et un salaire, mais qu'il n'aura peut-être plus rien demain. Il sait aussi qu'il ne peut pas se loger dans ces conditions, sauf à être hébergé, qu'il ne peut pas obtenir le moindre crédit, qu'il ne peut pas faire de projet exigeant quelque investissement financier.

Le problème que pose ce texte, comme toutes les mesures que vous annoncez depuis quelques mois, c'est que vous condamnez une grande partie de nos concitoyens à une vie immédiate et sans projet.

Ce n'est pas tant dans le fait que des personnes occupent des emplois de services auprès de plusieurs employeurs que réside le problème - ces emplois sont utiles à la société et nous soutenons leur développement - que dans l'état d'insécurité permanente dans laquelle sont maintenus un nombre de plus grand de nos concitoyens, qu'ils aient un ou plusieurs employeurs.

Sans doute cette insécurité permet-elle de tenir les salaires à la baisse et d'empêcher les revendications, mais elle n'est pas un facteur de cohésion sociale. Au-delà d'un certain niveau, elle devient inacceptable, voire dangereuse pour l'économie. Plusieurs signaux devraient vous alerter. Le dernier en date est la brutale et stupéfiante baisse de la consommation en décembre. Les chiffres de novembre vont d'ailleurs être revus à la baisse, d'après le Figaro Économie.

Ce phénomène n'est pas tout à fait nouveau. Des salariés que l'on contraint à l'incertitude permanente du lendemain, dans un contexte de bas salaires, d'inquiétude sur les conditions de leur vieillesse et sur l'avenir de leurs enfants, ne sont pas enclins à soutenir l'économie par la consommation. Mais on va demander en plus, au bénéficiaire d'un CNE de s'investir dans son travail, alors qu'il sera dans une situation de précarité absolue pendant deux ans,... s'il a la chance d'être gardé par son employeur pendant au moins 23 mois. Il - ou elle - va connaître cette incertitude permanente alors qu'il vient d'être rejeté par le monde de l'entreprise et qu'il est, de ce fait, déstabilisé sur le plan personnel et familial.

Mais de quelle insertion dans la société parle-t-on ? Pour la presque totalité de la population, c'est le travail qui structure la vie et qui insère dans la société. Toutefois, pour que le travail soit un facteur d'insertion, encore faut-il qu'il ne détruise pas le peu qui reste de qualité de vie aux plus démunis d'entre nous. Il doit les aider à sortir de la fragile sécurité que procure, par exemple, le RMI et à passer à une plus grande sécurité, à davantage de bien-être et de dignité.

Quel degré de sécurité peut procurer un emploi d'une précarité absolue ? Quelle avancée dans la dignité peut-on attendre de l'absence totale de droits qui en découle pour le salarié ?

De notre point de vue, l'insertion professionnelle, qui conditionne l'insertion dans la société, consiste à redonner un avenir à ceux qui ont le sentiment de ne plus en avoir.

Il n'y a pas de déclin, mais le monde du travail est de plus en plus largement dominé par l'angoisse du lendemain et la recherche d'un peu de sécurité, une sécurité qui se dérobe partout par le fait d'une politique qui organise délibérément la suppression de tous les droits des salariés.

S'il y a une cohérence dans les mesures que vous prenez, elle n'est qu'immédiate et ne profite qu'à une petite minorité.

Ce n'est pas à la cohésion sociale, mais, au contraire, à la déstructuration sociale que l'on assiste. Il y aura, ainsi, une caste de privilégiés, puis une catégorie de prestataires de services et de salariés qualifiés sous contrat précaire, mais encore relativement protégés par leur qualification, et enfin, une large catégorie de personnes peu qualifiées, qui vivront tantôt de petits boulots totalement précarisés et sous-payés, tantôt d'allocations. S'agissant de ces dernières, vous avez d'ailleurs prévu, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, en déposant un amendement qui nous laisse un goût d'amertume, qu'elles pourront assurer quelques heures d'intérim pour compléter leur revenus.

Nous sommes en total désaccord avec ces orientations, indéfendables socialement et dangereuses économiquement. C'est pourquoi nous demandons que le Sénat se prononce, par scrutin public, sur le maintien ou non du CNE.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Bernard Seillier, rapporteur. Cet amendement propose de supprimer le contrat nouvelles embauches alors que celui-ci connaît un indéniable succès auprès des petites entreprises, puisqu'il semblerait que 280 000 contrats de ce type ont été signés depuis le mois d'août.

M. Bernard Cazeau. On n'en est même pas sûr !

M. Bernard Seillier, rapporteur. La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Il est clair, monsieur le sénateur, que nous ne faisons pas la même analyse de la situation.

Je constate, d'un côté - et jusque là, je pense que nous sommes d'accord - que la situation de l'emploi dans notre pays est extrêmement difficile...

M. Roland Muzeau. A qui la faute ?

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. ...et, de l'autre côté, ce qui est moins évident, que 70 % des contrats signés dans notre pays sont des contrats précaires.

Or, parler de « contrat de travail », c'est parler du marché de l'emploi et parler du « marché de l'emploi », c'est évoquer les besoins des entreprises.

Il est bien clair pour nous tous que les entreprises avaient besoin d'un outil qui soit plus souple. C'est pourquoi nous avons instauré un contrat qui, je vous le rappelle, n'est pas précaire dans son principe, mais qui, novation essentielle, peut être rompu au cours des deux premières années. Est prévu, en outre, un dispositif d'accompagnement du bénéficiaire dans sa recherche d'un nouvel emploi si, d'aventure, son contrat vient à être rompu.

Il s'agit bien de cette fameuse « flexi-sécurité » qui, outre l'accompagnement du salarié qu'elle prévoit, permet à celui-ci d'accumuler une expérience professionnelle et, surtout, répond aux besoins du marché. Comme vient de le dire excellemment M. le rapporteur, depuis l'instauration de cette formule, en août dernier, plus de 280 000 contrats de ce type ont été signés.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est résolument défavorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Mme la ministre vient de présenter le CNE comme un contrat de flexibilité...

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Et de sécurité.

M. Jean Desessard. Je vous remercie de le préciser, madame, car c'est cet aspect «  sécurité » qui m'intéresse.

S'agissant de la flexibilité, on comprend très bien que les entreprises préfèrent utiliser ce contrat qu'un contrat à durée indéterminée, compte tenu des difficultés qu'elles ont à licencier. Il fut une époque où l'on embauchait les salariés à l'heure, quand le travail se présentait. Les salariés ne bénéficiaient alors d'aucun avantage social, et c'est par les luttes syndicales, sanctionnées par le droit du travail, que des avancées en faveur du salarié ont été obtenues.

Aujourd'hui, le Gouvernement bafoue le droit du travail en remettant en cause les acquis qu'ont obtenus les salariés au cours du siècle dernier.

Cela dit, madame la ministre, comment pouvez-vous parler à la fois de sécurité et de flexibilité ?

On pourrait certes adopter une logique consistant à favoriser la flexibilité au niveau des entreprises, tout en assurant la sécurité à l'échelle nationale. Ainsi, l'État pourrait, par exemple, garantir à ceux qui auraient des difficultés à obtenir une caution pour trouver un logement une couverture logement universelle. Or, après avoir été débattue ici, cette proposition a été repoussée par le Gouvernement, par le Sénat, comme elle l'aura été sans nul doute par l'Assemblée nationale.

En fait, comment peut-on obtenir une caution, des garanties pour accéder à un logement en ne jouissant que d'un contrat précaire, c'est-à-dire susceptible de s'arrêter à tout moment ?

Comment parler de sécurité alors que les garanties des ASSEDIC diminuent et que les minima sociaux sont insuffisants pour vivre ?

Vous auriez pu parler de sécurité si était prévu un minimum social garanti, quasiment égal au SMIC, pour toutes les situations, si les personnes ayant travaillé pendant quelques années pouvaient bénéficier d'allocations chômage d'un montant décent et pendant une durée non déterminée à l'avance.

En l'occurrence, la sécurité ne vaut pas pour les salariés, elle ne vaut que pour certains chefs d'entreprise.

(M. Guy Fischer remplace M. Roland du Luart au fauteuil de la présidence.)