compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

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PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

désignation d'un sénateur en MISsion

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 26 juin 2006 par laquelle il a fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire auprès du ministre de l'écologie et du développement durable, M. Philippe Richert, sénateur du Bas-Rhin.

Cette mission porte sur la qualité de l'air en France.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
Discussion générale (suite)

Convention relative à la diversité des expressions culturelles

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
Article unique (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (n°s 384, 394, 414).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le 20 octobre 2005, l'UNESCO a inscrit dans le droit international la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, en adoptant la convention que la France et ses partenaires francophones appelaient de leurs voeux dès 2002.

Ce texte constitue une avancée majeure dans la mesure où il garantit le droit souverain des États de décider de leurs politiques culturelles. Il consacre la valeur spécifique des biens et des services culturels et affirme l'importance de la solidarité culturelle internationale.

Il y avait urgence. Je voudrais rappeler ces quelques chiffres : 85 % des places de cinéma vendues dans le monde concernent des films produits à Hollywood ; 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe sont d'origine américaine, cette proportion atteignant même 67 % en Italie ; neuf des dix écrivains les plus traduits dans le monde sont des écrivains de langue anglaise ; 90 % des langues parlées aujourd'hui risquent de disparaître à la fin de ce siècle.

Pour la première fois, le droit international reconnaît donc que les États ont le droit de conserver, d'adopter et de mettre en oeuvre les politiques et les mesures qu'ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. En cela, la convention garantit un droit fondamental aux yeux de la France, celui de permettre à tout État de préserver et de promouvoir sa culture et son patrimoine.

La convention confirme par ailleurs le rôle central des artistes et des créateurs ; elle reconnaît que les biens et services culturels sont porteurs de valeurs et de sens, donc de l'identité même des hommes et des sociétés. Ils ne sauraient de ce fait être soumis aux seules lois du marché.

La convention institue en droit international un régime particulier pour les biens et services culturels, complémentaire du droit de l'Organisation mondiale du commerce, sans subordination d'un corpus juridique à l'autre. En cela, elle affirme un principe défendu depuis longtemps par la France et par la francophonie : la volonté, à l'époque de la mondialisation où tout s'échange et où tout peut devenir objet de commerce, de donner à la culture une place particulière.

La culture n'est pas un bien marchand comme les autres. Elle a sa singularité, elle véhicule une identité, elle est diversité. Soutien mutuel, complémentarité et non-subordination guideront ainsi les relations de la convention avec les autres instruments juridiques internationaux.

Cette convention encouragera les parties à prendre en considération l'objectif de diversité culturelle lors des négociations de leurs obligations commerciales ainsi que pour l'application et l'interprétation des accords auxquels elles sont liées.

L'article 21 prévoit en outre que « les parties s'engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente convention dans d'autres enceintes internationales. » Il conviendra cependant de rester vigilant. En effet, la stratégie de certains États qui n'ont pas adopté la convention vise à multiplier la conclusion d'accords bilatéraux de libéralisation des échanges de biens et de services culturels avec le plus grand nombre d'États, qu'ils soient ou non parties à la convention.

Enfin, celle-ci consacre pour la première fois la dimension culturelle du développement et prévoit de renforcer la coopération internationale dans ce domaine. Elle servira notamment à soutenir la professionnalisation des métiers de la culture dans les pays en développement, à permettre l'émergence d'industries culturelles viables sur leur territoire et à favoriser la mobilité des artistes et des oeuvres.

La France est très attachée à ce volet « solidarité » de la convention, qui lui permettra de conforter les actions déjà menées en matière de coopération culturelle et de continuer à mettre en oeuvre des partenariats avec les pays du Sud. Nous investissons en effet déjà dans des programmes comme « Afrique en créations » - 5,9 millions d'euros sur trois ans -, le Fonds Sud cinéma - doté de 2,2 millions d'euros par an -, ou encore pour l'appui au désenclavement numérique en Afrique subsaharienne - programme ADEN - et pour l'accueil et la formation d'artistes étrangers en France. Depuis 2004, l'Organisation internationale de la francophonie a également inscrit la promotion de la diversité culturelle au titre de ses programmes de coopération.

S'il fallait résumer l'esprit de la convention, je citerais volontiers Léopold Sédar Senghor, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire de la naissance et qui proposait de « s'enrichir de nos différences pour converger vers l'universel ».

L'universel, dans la vision du poète, ne se confond pas ici avec l'uniformisation, ne se substitue pas aux cultures ou aux héritages propres à chaque peuple. Au contraire, il les prolonge et les dépasse. Car, écrivait encore Senghor, « ce qui nous unit, c'est l'esprit de la civilisation, des civilisations, par quoi se définit la culture. C'est l'esprit, qui est raison et imagination, liberté créatrice. »

La convention internationale qui vous est soumise aujourd'hui est la traduction en actes, sur le plan culturel, de cette éthique de la différence. Elle représente un pari humaniste pour que cette différence soit maintenue et valorisée, pour l'enrichissement de tous.

Cette convention est ainsi porteuse de valeurs et de principes défendus de longue date par la France et par ses partenaires de la francophonie. Elle reconnaît l'égalité des cultures, la diversité des identités culturelles et la liberté d'expression des artistes, des créateurs et des peuples.

Le Président de la République a inauguré le 20 juin dernier le musée du quai Branly, entièrement consacré aux arts d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et d'Amérique. Pour le Chef de l'État, « en montrant qu'il existe d'autres rapports au monde, le musée du quai Branly célèbre la luxuriante, fascinante et magnifique variété des oeuvres de l'homme. Il proclame qu'aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n'épuise ni ne résume le génie humain (...). L'ouverture de ce musée réalise en effet une belle ambition : permettre la pluralité des regards et reconnaître la place qu'occupent des civilisations parfois négligées, oubliées voire méprisées. »

C'est par référence à ces valeurs que le Président de la République a entendu conférer une solennité particulière au processus de ratification de cette convention en demandant au Gouvernement de la soumettre au Parlement. L'Assemblée nationale a adopté le projet de loi de ratification à l'unanimité le 8 juin dernier. Tout me laisse à penser qu'il en sera de même au Sénat.

La ratification par la France de ce texte par la voie parlementaire sera un signal fort vis-à-vis de nos partenaires qui l'ont adopté en octobre dernier. Trente ratifications sont nécessaires pour que la convention entre en vigueur. À ce jour, deux États - le Canada et l'île Maurice - ont déposé leur instrument de ratification auprès de l'UNESCO, et quatre - le Burkina Faso, Djibouti, la Croatie et la Roumanie - sont sur le point de le faire. Tous ces États sont membres de l'Organisation internationale de la francophonie. Les États et les gouvernements francophones qui ont porté avec détermination cette convention en octobre dernier se sont engagés lors de la conférence ministérielle de Tananarive, à l'automne 2005, à devenir parties au texte avant le sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre prochains.

À cet égard, qu'il me soit permis de rappeler avec force, dans cette enceinte, la contribution majeure de la francophonie et de son secrétaire général, le président Diouf, à notre combat pour la promotion de la diversité culturelle dans le monde.

Mais aussi sur le plan communautaire, l'Union européenne et ses États membres ont su présenter un front uni tout au long de la négociation et ils mènent la ratification de cette convention en parallèle.

En la ratifiant dans un délai bref, la France démontrera qu'elle est fidèle à ses engagements. Elle donnera toutes ses chances à la nouvelle convention d'entrer en vigueur et de s'appliquer. Elle prolongera sur le plan normatif l'action qu'elle mène à travers sa coopération culturelle internationale, afin de préserver le droit de chacun d'être lui-même.

Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions de la convention qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Catherine Tasca, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la convention adoptée à l'UNESCO le 20 octobre 2005 à la quasi-unanimité, seuls les États-Unis et Israël ayant voté contre, constitue pour les cent quarante-huit États signataires un engagement fort et une véritable chance à condition de le vouloir vraiment.

En effet, dans le contexte de la mondialisation croissante, la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sont tout à la fois un enjeu culturel et démocratique, un impératif éthique et un enjeu de politique internationale.

L'uniformité culturelle est un risque réel, déjà à l'oeuvre avec la disparition de nombreuses langues et en raison de la prééminence des États-Unis, pour qui la diffusion des produits cinématographiques, télévisuels et musicaux constitue une source de profit économique et un réel pouvoir d'influence.

Pour être plus qu'une idée, la diversité culturelle doit donc se doter d'instruments juridiques efficaces s'appliquant à un maximum de pays.

Le texte, dont il vous revient d'autoriser la ratification, est le résultat d'un long processus. Dès novembre 2001, l'adoption de la déclaration universelle de l'UNESCO sur la diversité culturelle avait affirmé l'importance d'un engagement international en faveur de « la féconde diversité des cultures » face aux risques d'homogénéisation et de repli identitaire liés à la mondialisation.

La convention de 2005 constitue une étape décisive dans ce processus, car elle instaure un cadre mondial de protection et de promotion de la diversité culturelle. Elle est l'aboutissement de la gestation réussie du nouveau concept de diversité culturelle dans l'ordre juridique international grâce au travail accompli dans diverses instances.

Au tout premier rang, l'Organisation internationale de la francophonie, au sein de laquelle il faut souligner l'engagement personnel de son secrétaire général Abdou Diouf, a développé un véritable plan de sensibilisation des États et gouvernements membres pour accompagner l'avant-projet à l'UNESCO.

Au niveau européen, l'attitude des États membres de l'Union a évolué de façon positive à l'égard de l'adoption de cette convention, ayant pour conséquence une adhésion de l'Union européenne à la convention le 19 mai 2006. Cette décision est un feu vert pour son adoption par chaque État membre.

À l'échelon national, il faut souligner le rôle moteur de certains États. Le Canada et le Québec ont été pionniers avec la création du réseau international des politiques culturelles. Le Canada a été le premier pays à ratifier la convention pour la diversité culturelle, le 23 novembre 2005.

Les Français, quant à eux, ont, les premiers, introduit la notion d'exception culturelle dans les relations internationales, notion qui a déterminé dans notre pays des politiques publiques volontaristes et caractérisées par une remarquable continuité à travers les alternances politiques. Il a fallu bien sûr dépasser le débat sémantique entre « exception culturelle » et « diversité culturelle », les termes de diversité culturelle recueillant à l'évidence une plus large adhésion, dont on avait bien besoin pour imposer l'idée d'une convention.

Aujourd'hui, pour tous, la diversité culturelle est l'affirmation que le champ culturel doit faire l'objet d'un traitement spécifique dans le cadre des négociations internationales.

Les apports de la convention sont multiples : sa portée n'est pas seulement symbolique, même si cette dimension est fondamentale ; elle est surtout juridique et doit se traduire dans les faits sur le plan politique.

La convention consiste pour l'essentiel en une permission donnée aux gouvernements d'agir sans se voir opposer les règles du commerce international, pour défendre, s'ils le souhaitent, la diversité culturelle. Elle est aussi une incitation pour les États à ne pas se refermer sur eux-mêmes, à confronter et échanger avec les autres pays.

La coopération internationale, en particulier avec les pays en voie de développement, est essentielle, car elle compense l'aspect « protectionniste » que pourrait, aux yeux de certains, revêtir cette convention. L'articulation de la convention avec les autres instruments juridiques internationaux a été l'un des sujets les plus difficiles au cours des négociations.

Cela a abouti à l'article 20, qui pose clairement le principe selon lequel cette convention n'est pas subordonnée aux autres traités. Les États s'engagent à en tenir compte dans les autres accords auxquels ils sont ou seront parties.

C'est une véritable avancée en droit international, même si cela n'évite pas une certaine ambiguïté avec le paragraphe 2 de l'article 20. Ainsi, s'agissant de l'OMC, la convention ne préjuge pas l'inclusion ou l'exclusion des biens et services culturels dans les futurs accords commerciaux.

Autre avancée significative : le règlement des différends amènera les États à soumettre leurs litiges à un mécanisme spécialement prévu pour que les considérations culturelles, et non seulement commerciales, soient prises en compte. Le poids de la convention sera donc réel dans les négociations internationales.

L'enjeu de la ratification française sur la scène internationale est grand : cette convention doit être renforcée par une mobilisation internationale, largement portée jusqu'ici, aux côtés des États, par la société civile et les coalitions pour la diversité culturelle. Il est indispensable que le nombre d'États ayant ratifié ce texte dépasse rapidement la trentaine, afin de lui conférer une autorité politique internationale. Or les États-Unis font campagne contre cette ratification, ce qui fait hésiter nombre de pays en difficulté sur le plan économique.

Dans ce contexte, madame la ministre, nous attendons du Gouvernement qu'il soit très actif pour obtenir un maximum de ratifications, en mobilisant tous ses réseaux et, en particulier, celui de la francophonie, qui regroupe un quart des États de la planète.

Au moment où Assia Djebar entre à l'Académie française et où s'ouvre à Paris le musée des Arts premiers, la France doit continuer de jouer un rôle moteur dans cette bataille pour la diversité culturelle. Elle sera d'autant plus crédible dans ce rôle qu'elle saura conforter sa propre politique de promotion de la diversité au niveau national et qu'elle sera vigilante, à l'échelon européen, pour que l'Union tire toutes les conséquences de cette convention dans ses décisions concernant la directive Télévision sans frontières, le programme Média, la directive services.

La France doit être en mesure de prouver son engagement et de donner un signal fort, en ratifiant cette convention avant le Sommet de la Francophonie de Bucarest, en septembre 2006. Cette ratification aurait force d'entraînement auprès de pays qui peuvent aujourd'hui être hésitants.

C'est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d'adopter sans réserve le présent projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jacques Legendre, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me réjouir à la fois que le Gouvernement ait fait le choix, qui ne s'imposait pas juridiquement, d'une ratification de cette convention par la voie parlementaire et de la saisine pour avis de notre commission sur ce texte, ce qui est exceptionnel s'agissant d'une convention.

Cette saisine se justifie naturellement par l'importance de ce texte et son impact dans tous les domaines du champ de la culture.

Je commencerai par répondre à deux questions, afin de mettre en exergue la réussite que représente cette convention, qui est aussi, madame le ministre, un succès pour la diplomatie française et, plus largement, pour celle des pays francophones.

En premier lieu, pourquoi faut-il protéger et promouvoir la diversité culturelle ? En second lieu, quelles avancées représente la convention dans le droit juridique international ?

Les enjeux sont à la fois culturels et économiques, les deux étant liés. En effet, la mondialisation de l'économie et les progrès des technologies de l'information et de la communication facilitent la circulation des biens et services culturels, mais les mécanismes en vigueur ne jouent pas nécessairement en faveur de relations culturelles équilibrées. Avec la concentration des entreprises et la production de biens et services uniformisés, nous sommes confrontés à un risque à la fois de domination et d'appauvrissement culturels. Nous savons que, compte tenu de la spécificité des biens et services culturels, c'est l'avenir du pluralisme culturel, y compris linguistique, qui est en jeu.

Le défi est donc politique ; il est aussi économique. La part des industries créatives et culturelles dans le produit intérieur brut mondial et dans les échanges mondiaux ne cesse de croître et leur impact est donc considérable sur les économies.

Le seul secteur audiovisuel représente plus d'un million d'emplois pour l'Union européenne, pour un chiffre d'affaires de 88 milliards d'euros en 2003, dont 81 % pour la télévision et 19 % pour le cinéma.

Cette réalité explique sans doute le fort engagement des Américains en vue d'une libéralisation de ces échanges et, parallèlement, leur faible enthousiasme - c'est un euphémisme ! - à l'occasion des négociations.

La convention de l'UNESCO représente des avancées incontestables puisque, pour la première fois, la culture se trouve intégrée en tant que telle dans le droit international.

Mme le ministre et Mme le rapporteur de la commission des affaires étrangères l'ont dit avant moi, la convention reconnaît la double nature, économique et culturelle, des activités, biens et services culturels.

La convention concerne la diversité des « expressions culturelles » et autorise les parties à prendre des mesures appropriées destinées à les promouvoir ou à les protéger lorsqu'elles sont soumises à un risque d'extinction ou à une menace grave. Ces mesures peuvent concerner, par exemple, des aides financières publiques, l'encouragement et le soutien d'institutions ou d'artistes, ainsi que la promotion de « la diversité des médias ».

Sont visées à la fois la création, la production, la diffusion et la distribution des expressions culturelles, mais aussi la faculté pour les individus et les groupes sociaux d'avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du monde.

Elle incite également les parties à reconnaître l'importante contribution des artistes et de tous ceux qui sont impliqués dans le processus créateur, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Le texte encourage les États à mettre en place des programmes d'éducation, de formations et d'échanges dans le domaine des industries culturelles.

Je m'étonne cependant que les mesures relatives à la langue ne figurent dans le texte que de façon incidente, alors qu'il s'agit là d'un volet essentiel du concept de diversité culturelle. Mais il convient de replacer ce texte dans le cadre plus général du corpus juridique existant, qu'il vient ainsi compléter. Je pense, en particulier, à la convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel, dont nous allons débattre dans quelques instants et qui concerne aussi les langues, en tant que facteurs indispensables à la transmission de ce patrimoine.

Je crois, et j'espère, que la convention que nous examinons aujourd'hui renforcera la prise de conscience et la motivation des États, pour à la fois défendre l'usage de leur langue et encourager la diversité linguistique.

Enfin, je me réjouis que cette convention comporte un important volet en faveur de la coopération internationale. À ce titre, par exemple, la conclusion d'accords de coproduction et de codistribution est encouragée.

Je n'irais toutefois pas jusqu'à dire que ce texte reprend complètement les souhaits émis par notre pays puisque, comme tout compromis, il comporte aussi des limites.

On peut ainsi regretter, comme il a été dit précédemment, que soit fixé un statut juridique en réalité peu contraignant : en premier lieu, en raison de la délicate articulation entre cette convention et les autres instruments juridiques internationaux - le texte consacre le principe de non-subordination de la convention aux autres traités, mais sa rédaction sibylline n'est pas sans ambiguïté - ; en second lieu, à cause de la faiblesse du mécanisme de règlement des différends, qui n'est assorti d'aucune clause contraignante ni de sanctions.

Je crois néanmoins que nous ne devons pas sous-estimer l'intérêt d'un tel mécanisme, dont le caractère incitatif n'en sera pas moins réel.

La convention vient d'ailleurs d'ores et déjà conforter les politiques culturelles françaises et européennes. Elle constitue une référence incontournable et l'on peut déjà mesurer son impact concret, que ce soit dans le nouveau programme européen « Culture 2007-2013 », qui inclut désormais des industries culturelles non audiovisuelles, dans la nouvelle proposition de directive Télévision sans frontières ou dans le secteur du cinéma.

On peut penser que le processus d'adoption de la convention a pesé dans la récente décision de la Commission européenne d'approuver, sous conditions, le dispositif français de soutien à la production et à la diffusion cinématographique.

Nos politiques culturelles se voient ainsi confortées par la convention. Il nous faudra néanmoins, ne nous y trompons pas, faire preuve de vigilance et de volonté politique pour que cette dernière ait un impact réel, notamment dans le cadre des négociations commerciales internationales de l'OMC. Nous pouvons compter sur les États-Unis pour poursuivre leur stratégie de contournement, qui consiste à multiplier les accords bilatéraux comportant des clauses culturelles, avec des États parties à la convention.

Il est donc souhaitable à la fois d'atteindre dès que possible l'objectif des trente ratifications, condition de l'entrée en vigueur du texte, mais aussi d'aller au-delà, afin de renforcer sa portée. J'espère que cet objectif sera en passe d'être atteint pour le onzième Sommet de la Francophonie, qui se tiendra à Bucarest du 25 au 29 septembre prochain. Nous aurions là un motif de satisfaction réelle pour fêter le vingtième anniversaire des Sommets de la Francophonie.

Dans cette perspective, nous pouvons nous réjouir de la forte mobilisation d'institutions internationales telles que le Conseil de l'Europe ou l'Assemblée parlementaire de la francophonie, qui se réunira en assemblée générale à Rabat à la fin de la semaine. Il sera demandé à tous les États de la francophonie de faire diligence.

Je pense aussi à la trentaine de « coalitions européennes pour la diversité culturelle », qui rassemblent plus de 500 organisations professionnelles de la culture.

Je propose aussi, mes chers collègues, que les uns et les autres, dans le cadre des groupes interparlementaires d'amitié que nous présidons ou dont nous sommes membres, nous exposions à nos collègues étrangers les enjeux de cette convention et l'intérêt qu'il y aurait pour leur pays de procéder rapidement à sa ratification. Vous recevrez bientôt, mes chers collègues, une lettre en ce sens.

Mobilisation et vigilance sont à l'ordre du jour. Nous pouvons cependant nous réjouir aujourd'hui, dans notre vie politique qui n'est pas toujours exaltante, de voir des signes qui, eux, peuvent au contraire nous rassembler et qui représentent la concrétisation d'une grande idée à laquelle nous sommes tous attachés, sur l'ensemble de ces travées.

Je pense, tout d'abord, à l'Algérienne Assia Djebar, écrivain, qui vient d'entrer à l'Académie française. Ce fut, pour ceux qui ont entendu les discours de réception, un grand moment de notre histoire et dans nos rapports avec un pays qui nous est encore si proche.

Je pense également à l'inauguration du musée du quai Branly. La proclamation qui a été faite de l'égalité des oeuvres de l'art s'incarne maintenant sur les bords de la Seine.

Je pense aussi au colloque important consacré à la pensée et à l'action politique de Léopold Sédar Senghor, qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, sur l'initiative de l'Assemblée parlementaire de la francophonie.

Enfin, aujourd'hui, le Sénat examine le projet de loi autorisant l'approbation de la présente convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, qui constitue la mise en oeuvre législative de la pensée guidant tous ces actes.

Mes chers collègues, la commission des affaires culturelles, à l'unanimité, vous invite à adopter, sans modification, le présent projet de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l'évidence, cet événement est unique dans l'histoire de l'UNESCO puisque aucune convention n'a été adoptée à une majorité aussi forte.

Ces votes traduisent un moment politique fort qui a été ressenti au sein de l'UNESCO. Tous ceux qui ont suivi cette longue marche - assez rapide au demeurant : quatre années de préparation et deux ans de négociation - peuvent en témoigner. Les raisons tiennent à une autre façon de voir la mondialisation et d'aborder les problèmes du développement, notamment dans le tiers monde.

Permettez-moi de revenir un instant sur la méthode. La France a quelquefois joué trop seule. Là, au contraire, elle a su créer un réseau d'alliances sur une vision qui n'était pas défensive - à un moment donné, nous étions sur un concept qui ne permettait pas de gagner - et qui présentait la culture comme un élément essentiel du développement.

Ce thème fédérateur a permis non seulement de rassembler tous les réseaux politiques qui ont été évoqués, mais aussi de conclure des alliances avec les milieux professionnels. De ce point de vue, la société civile doit rester un des éléments décisifs du succès politique qu'il faut obtenir.

À cet instant, madame la ministre, je tiens à rendre hommage à l'immense professionnalisme dont ont fait preuve les diplomates français de l'UNESCO, MM. Musitelli et Guéguinou, soutenus par le Président de la République et les Premiers ministres successifs.

La démarche qui a été suivie pourrait être utilisée au sein d'autres instances internationales, où la France n'a pas été toujours suffisamment présente non pas seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan du concept, des idées, du rayonnement culturel. Pour avoir souvent travaillé avec l'UNESCO, je dois dire qu'à une époque j'étais désespéré de constater l'absence de la France. Pourtant, après la guerre, elle avait revendiqué l'installation de cet organisme à Paris. Mais, une fois l'édifice construit, elle s'en est désintéressée.

Madame la ministre, il importera de se montrer très attentif au choix des représentants de la France dans les institutions internationales, notamment celle-ci.

Bien entendu, il n'est pas dans mon intention de critiquer certains ambassadeurs. Mais il est insoutenable de constater notre absence dans des lieux et des débats essentiels au regard des prétentions que nous affichons.

C'est d'ailleurs également le cas au sein d'autres instances, notamment de l'Union internationale pour la conservation de la nature, l'UICN, grande organisation non gouvernementale internationale, où la France est complètement écrasée par le monde anglo-saxon. Ainsi, lors des assemblées générales auxquelles j'ai pu assister et qui rassemblent des milliers de participants venant du monde entier, j'ai pu observer qu'aucun texte n'est écrit en français, aucune intervention en séance plénière n'est formulée en français.

Dès lors, je m'interroge : comment pouvons-nous défendre les causes qui nous sont si chères ?

Nous devons faire une révolution culturelle chez nous, poursuivre dans la voie qui nous a conduits à ce succès diplomatique et mettre les moyens suffisants dans les organisations internationales partout dans le monde.

Vous l'avez tous dit, la base juridique est bonne, même si elle fait l'objet de critiques. Nous aurions pu nous trouver en situation de subordination ; nous sommes à égalité. Mais il nous faut rester attentifs à la jurisprudence qui sera déterminante.

Nous devons suivre l'exemple de la convention de Rio, de 1992, à partir de laquelle s'est créée une jurisprudence, où comme dans des domaines similaires, les décisions des juges ont tenu compte des questions environnementales. Il nous faut accompagner cette évolution juridique avec une grande attention. À l'évidence, un combat politique est à mener, à l'intérieur même de l'UNESCO.

Ceux qui connaissent bien la maison le savent, les États-Unis imposent une pression énorme, accompagnant systématiquement toutes les informations montant à la direction générale de leurs commentaires, critiques, remises en cause, ce qui crée une espèce de double pouvoir au sein de l'organe. Cette situation est liée à une vision politique de l'instant. Je fais d'ailleurs une distinction entre cette machine politique qui veut prendre le pouvoir partout et l'esprit créatif, le rayonnement politique des Américains dans le monde, que chacun est prêt à reconnaître et à soutenir.

Il faut donc que nous commencions à anticiper, comme nous l'avons fait tout au long de ce processus, et que nous nous interrogions sur le dispositif interne qui se doit se mettre en place à l'automne 2007, selon le calendrier fixé. Selon toute vraisemblance, tout se jouera à ce moment. J'espère que d'ici là le seuil des trente ratifications sera atteint, voire dépassé.

Une Conférence des parties aura lieu ; un comité technique sera mis en place. La France interviendra-t-elle afin d'anticiper sur la préfiguration du dispositif ? Le secrétariat ne sera-t-il qu'un embryon résultant de la volonté forte de certains de le réduire au minimum ou parviendra-t-on à constituer une équipe puissante, à l'instar du comité du patrimoine mondial, créé à l'époque grâce à M. Mayor, dans le cadre de la convention de 1972, que l'on peut comparer avec la convention qui nous est soumise aujourd'hui ? La France apporte d'ailleurs un soutien constant au fonctionnement de ce comité.

L'organisation de ces structures ne s'improvisera pas, d'où la nécessité d'anticiper.

Il importe de réfléchir aux politiques à mener. Se contenter d'adopter une position d'observateur, de compter les points et de prendre connaissance d'un rapport bisannuel est très décevant.

La France doit absolument garder la même stratégie d'anticipation, en s'appuyant sur ses réseaux, pour envisager une politique dès maintenant, avant même que cette convention soit ratifiée, car elle aura un poids politique et psychologique considérable dans le monde. Elle ne doit pas baisser la garde !

À l'extérieur de l'UNESCO, nous disposons d'un réseau mondial puissant dans le domaine culturel, comprenant plus de mille alliances.

Nous avons également cent cinquante centres culturels, mais, comme nous le savons tous, madame la ministre, ce réseau ne va pas bien du tout.

M. Jack Ralite. Eh oui !

M. Yves Dauge. Ce sujet a d'ailleurs fait l'objet de rapports. Je ne veux pas me montrer trop pessimiste, mais je tiens à attirer votre attention sur le fait qu'il est très difficile de faire vivre ce réseau avec les moyens budgétaires qui lui sont affectés actuellement. De nombreux centres avec lesquels je suis en contact n'ont plus les ressources financières suffisantes pour fonctionner, voire pour payer les salaires de leurs effectifs. Faute de crédits, les actions ne peuvent plus être menées et les partenariats deviennent impossibles.

Si l'on peut comprendre, par ailleurs, certains choix budgétaires, il ne faut pas oublier l'importance de la voix de la France ! Nous devons veiller à rester cohérents avec nous-mêmes, car nous avons créé une attente considérable dans le monde.

Un des outils de la France pour promouvoir sa vision de la diversité culturelle est précisément le réseau culturel français. Il importe donc de le mettre au coeur de notre action.

Les réseaux culturels ont une mission de professionnalisation à accomplir, en aidant les pays à révéler leurs talents, à créer des industries culturelles. Ils ne peuvent plus se contenter d'une représentation de nos artistes. Notre politique culturelle doit aller au-delà de nos propres talents. Nombre de réseaux s'y emploient déjà, mais il faut renforcer leurs moyens. C'est tout l'esprit de la présente convention et c'est aussi notre travail.

J'insiste sur ce point, madame la ministre, car ses incidences budgétaires soulèvent le problème de la cohérence de nos décisions par rapport à la belle victoire que représente cette convention. Aussi, je vous pose très clairement la question de savoir si des crédits seront bien ouverts, dans le projet de loi pour 2007, en faveur du fonds international pour la diversité culturelle prévu par la convention, sauf à mettre en cause notre crédibilité.

Une réflexion est à mener à cet égard, notamment sur le montant des crédits, avec le soutien probable du président de la commission des finances.

À l'automne, il faut qu'ait lieu une grande manifestation, comme l'ont laissé entendre d'ailleurs les rapporteurs, autour de la ratification de la convention par la France afin de lancer la dynamique

Enfin, s'agissant du Fonds européen de développement, il me paraît important qu'une ligne budgétaire pour la diversité culturelle soit inscrite dans le cadre de l'aide apportée aux pays d'Afrique sub-saharienne, des Caraïbes et du Pacifique, ACP. Ce fonds, qui dispose de moyens considérables, est alimenté à hauteur de 25 % par la France. Est-il normal de ne pas retrouver dans les actions quotidiennes un soutien financier européen puissant, puisque l'Europe nous a suivis dans cette affaire ?

Elle devrait donner, elle aussi, des preuves concrètes en soutenant cette politique. Il me paraît absolument fondamental qu'elle s'engage aux côtés de la France, que nous soyons à la pointe des décisions financières en Europe, afin de montrer que nous sommes cohérents avec nos idées.

Monsieur le président, je m'adresse à vous qui êtes président de la délégation du Bureau du Sénat à la coopération décentralisée. La France voit se développer depuis longtemps une grande politique de coopération décentralisée. Il m'importe que la dimension culturelle soit de plus en plus présente dans ce cadre.

Je rappelle, à cet égard, que le Sénat a participé au sommet Africité qui s'est tenu à Yaoundé voilà deux ans. En outre, le lancement officiel de la cérémonie des Africités 2006 aura lieu au mois de septembre, à Nairobi, en Afrique anglophone. La France sera présente, notamment le Sénat, comme vous le savez, monsieur le président. Cet événement nous fournira l'occasion de développer ce thème porteur devant cette assemblée de toutes les villes d'Afrique et de prouver que nous continuerons à nous mobiliser. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au risque de décevoir certains, j'exprime un certain malaise au moment de ce vote - que j'émettrai positivement, et que le groupe auquel j'appartiens émettra positivement. Mais on est obligé, dès le départ, d'avoir dans sa musette des engagements de vigilance, des engagements d'initiative, des engagements d'action.

Catherine Tasca a évoqué tout à l'heure diversité et exception. Je veux y revenir, non pas pour faire de l'histoire, mais pour placer le problème sur ses bases de départ.

J'ajouterai tout de suite que le travail tant de Catherine Tasca que de Jacques Legendre, pour les deux commissions dont ils sont les rapporteurs, me convient. Je vais néanmoins apporter une note un peu grave.

La diversité culturelle a succédé à l'exception culturelle, concept qui, je le rappelle, pendant plus de dix ans a rallié des forces telles qu'avec lui nous avons gagné alors tous les combats. Il y eut celui de la directive « Télévision sans frontières » ; puis, au moment du GATT, celui de la mise de côté, qui, sans être totale, fut néanmoins intéressante, de nombreux domaines de la culture. Il y eut encore celui du rejet de l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI - je m'en souviens, ayant présidé au Sénat même la première conférence de presse sur la question : certes, un seul journal, Le Film français, était présent, mais les professionnels étaient nombreux. Il y eut enfin Seattle. L'exception culturelle n'était donc pas de l'eau, c'était un carburant fort efficace dès l'instant qu'on le faisait vivre.

J'ai depuis participé à toutes les actions, à tous les débats sur les questions qui nous réunissent aujourd'hui. Les États-Unis ont vécu tout cela comme un échec retentissant et ont publié à l'époque des documents explicitant leur réaction programmée, leur réaction stratégique : ils l'ont mise en route et continuent de la mener, de la façon lourdaude mais souvent efficace qu'ils ont.

Un certain jour d'octobre 1999 s'est produite cette fameuse substitution de vocabulaire : les treize représentants des pays qui alors constituaient l'Europe se sont réunis pour discuter de l'exception culturelle et se sont séparés en ayant accepté unanimement la diversité culturelle. Tout de suite, aux États-Unis, un monsieur qui, alors, croyait pouvoir parler très fort, à savoir Jean-Marie Messier, a crié bravo à la modernité de la diversité culturelle, hourra à la chute de l'archaïque exception culturelle, qu'il appelait, dans une déformation réductrice, « l'exception française ».

Dans l'exception culturelle, la prise en compte de la culture comme marchandise différente des autres était nette, précise. Elle court-circuitait dans certaines circonstances le capital. La diversité ignore le capital ; elle peut vouloir dire « tous les grains d'une même grappe de raisin » et non « tous les fruits du monde ».

Je le dis comme je le pense, je me suis tout de suite méfié : quand tant de gens se sont déclarés satisfaits, je me suis dit que, tout de même, quelques-uns devaient pactiser, pour parler comme René Char.

Je ne ferai aucune réserve négative sur la potentialité de la convention de l'UNESCO, que Catherine Tasca a si justement évoquée, en la considérant comme une véritable chance ; mais je ne peux oublier la bataille qu'il a fallu mener. Jacques Legendre a rappelé les trente coalitions et les cinq cents organisations professionnelles ; comme Catherine Tasca, il a évoqué la francophonie. Des colloques importants se sont tenus en France, dont l'un, organisé au musée du Louvre sur l'initiative de ce qui n'était pas encore la coalition française, s'est conclu par une réception importante, et intéressante, et positive, donnée par le Président de la République à l'Élysée. Je peux aussi rappeler le colloque « Diversité culturelle, mondialisation et globalisation » à La Villette les 4, 5 et 6 juin 2003, dont j'ai prononcé le discours d'ouverture.

L'action a donc été énorme, et c'est elle qui a été l'auteur de la partie « réussite » du document. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que l'UNESCO a adopté la résolution à l'unanimité moins deux voix, cela a été évoqué. J'ai assisté au vote : c'est un moment qui faisait battre le coeur. Les États-Unis - qui étaient représentés par une dame - n'étaient pas fiers, Israël non plus ; les autres applaudissaient, pas frénétiquement, non, mais tout de même, comme dans un meeting populaire, ce qui est bien !

Donc, vous le constatez, je ne suis pas négativiste, pas du tout. Pour autant, il demeure que trois points minent et mineront la convention. Certes, l'article 21 précise : « Les parties s'engagent à promouvoir les objectifs et principes de la présente convention » ; mais l'article 20 pose que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des parties au titre d'autres traités ». Quels sont les traités visés ? En premier lieu, celui de l'OMC, où le commerce sans rivages et « l'esprit des lois » nouvelle manière concurrencent la convention et règnent sans partage, et qui, pour le moment, ne fut jamais mis en échec.

Par ailleurs, l'article 25, qui traite des différends, ne prévoit aucune clause contraignante, aucune sanction. En cas de désaccord, il faut chercher une solution ; si l'échec survient, on se débrouillera pour trouver un tiers qui organisera la conciliation ; mais, s'il la trouve, les parties pourront la récuser. Il me semble que, là, quelque chose ne va pas ! On a l'impression de s'entendre dire : vous avez le droit à la culture, mais moi j'ai le droit au commerce, et mon droit est fort, tandis que le vôtre est faible.

Enfin, l'OMC, c'est l'état-major impitoyable de la « sensure », alors qu'à l'UNESCO c'est le sens !

Je sais bien qu'il est difficile de rappeler tout cela le jour même où l'on va voter, et où je vais voter. Mais il faut le dire, parce que cela implique des engagements - et je souscris totalement aux propositions d'Yves Dauge - qui sont sans commune mesure avec hier. D'ailleurs, c'est de plus en plus net : les lois sont votées, les décrets sont publiés, mais, déjà à l'échelon national, rien ne s'applique ; qu'attendre, dès lors, de l'échelon international ! Le travail qui reste à fournir est énorme ! Certes, des embryons de lois internationales ont vu le jour, à l'UNESCO même ; il n'est que de citer des noms comme Florence, en 1950, ou Nairobi, en 1976, pour se rappeler que, déjà, il était prévu, sur l'initiative des États-Unis, qu'un État qui était en difficulté pouvait prendre des mesures particulières. Mais quel fut le résultat ?

La convention est donc un tremplin. Mais, autant la culture est un tremplin inusable, autant celui-ci peut s'user : on a donc besoin, si je puis dire, de femmes de ménage et d'hommes de ménage ; encore faut-il balayer là où c'est nécessaire !

Ce n'est pas étonnant, quand l'un des objectifs de la convention pose une double nature des services culturels ! Moi, je ne peux pas accepter cela, et je ne l'accepterai jamais.

La culture, c'est la culture. Que l'industrie s'en occupe, c'est son droit ; mais quand un homme crée, il ne pense pas à ce que l'industrie fera : il crée, et cette création est humaine, privée, bien public, bien personnel, elle n'a pas de double nature. Malraux disait : « N'oubliez pas que le cinéma est aussi une industrie » ; aujourd'hui, on nous explique que le cinéma, en quelque sorte, a une double nature. Ici, la sémantique compte, et il faut avoir son dictionnaire - y compris le Dictionnaire culturel récemment publié.

Nous sommes aujourd'hui quelque peu éloignés de la culture qui n'est pas une marchandise comme les autres, comme l'avait définie Jacques Delors à la Défense, à l'occasion des discussions qui entouraient la directive « Télévision sans frontières ». Qui plus est, chacun sait bien qu'actuellement la culture n'est pas une préoccupation première. Moi qui me bats dans ce milieu-là depuis tellement longtemps, je me souviens de moments très forts ; mais je sens bien qu'en ce moment ce n'est pas une préoccupation particulière. Il n'est plus naturel de parler de culture au moment où le marché est totalement naturalisé, c'est-à-dire falsifié dans ses origines historiques. Car le marché a été inventé par les hommes pour qu'ils s'en servent, alors que c'est maintenant le marché qui se sert des hommes : c'est cela, la naturalisation. Mais la culture, elle, n'est pas naturalisée !

Comme j'aime bien, la veille d'un débat, le faire, j'ai téléphoné hier à des fonctionnaires de Bruxelles. Je les ai trouvés beaucoup plus pessimistes que d'habitude. Ils ont souligné à quel point c'était dur en ce moment, car ils ne sont écoutés nulle part : ni à la Commission, ni au conseil des ministres, ni au Parlement, qui zozote un peu sur cette question.

J'ai de l'émotion, parce que c'est grave. Je vais voter ce projet de loi, mais je mets dans ce vote tout un poids d'histoire et d'avenir, et je suis sûr que beaucoup ici le feront dans les mêmes conditions. Mais il faut le dire, car on sait bien ce qui va mal à ce sujet !

J'ai rencontré à l'occasion du débat sur le droit d'auteur de nombreux juristes, en Allemagne, à Bruxelles, mais aussi en France. J'ai discuté avec eux du projet de loi qui nous occupe aujourd'hui : ils lui dénient tout caractère juridique. Moi qui, tout de même, y croyais un peu... Ils m'ont promis d'écrire des articles sur le sujet.

Il est indéniable qu'il y a un mouvement. Mais, fondamentalement, rien n'est écrit, et tout dépendra de nos actions.

La concentration et la financiarisation augmentent dans les industries culturelles, et l'Amérique bilatéralise dans un sens contraire à celui de la convention : il n'est que de voir ce qui s'est passé en Corée ! Il a fallu que, à Cannes, soit organisée une manifestation pour aider les Coréens. Ils étaient en furie, et on les comprend !

L'Europe tergiverse comme jamais. Certes, Mme Reding insiste sur le fait que les services non linéaires ont été inclus dans le champ de la diversité culturelle. Mais il aura fallu du temps, et nous ne sommes pas pour autant certains du sort de la directive « Télévision sans frontières » ! De plus, certains textes en préparation sont prometteurs !

Yves Dauge a rappelé que la convention prévoit la création d'un fonds ; mais, dans sa définition même, sa pépie est organisée. Alors, oui, il faut que la France y mette ses deniers ! La présidente du MEDEF a annoncé que celui-ci, au cours de son université d'été - tout le monde organise son université d'été, et c'est bien ! - devrait discuter de l'universel et du diversel. J'ai regardé dans le dictionnaire d'où venait ce mot, « diversel » : c'est un mot créole. Mais elle le détourne ! Elle fait de l'universel une modernité homogénéisante et du diversel une postmodernité hétérogénéisante.

Certains débats montrent bien que tout n'est pas clos. Dans le cadre des accords de Doha, les questions ne sont pas réglées, et la rencontre de Hongkong a été le théâtre d'une offensive sur la culture et l'audiovisuel à laquelle je ne suis pas sûr que la résistance sera suffisante.

Des problèmes subsistent donc. J'ai évoqué le MEDEF, non pas du tout dans le souci de tirer sur lui, mais parce que, dans la situation présente, en France, c'est lui qui s'occupe de l'intermittence et qui, finalement, a le dernier mot jusqu'ici. C'est donc que, lorsqu'il parle, il y a des oreilles pour l'écouter. Je ne dis pas qu'il ne faut pas l'entendre, mais il ne faut pas faire le petit soldat devant lui.

Comme cela a été relevé, seuls trois États ont ratifié la convention : le Canada, l'île Maurice et le Burkina-Faso. Ce n'est pas assez, il en faudrait au moins trente.

J'ai rencontré beaucoup de monde ; avec les coalitions, c'est obligé. Eh bien, un problème revient de plus en plus dans la bouche notamment des fonctionnaires qui représentent certains États, et cela me fait de la peine. Il y a la lenteur des ratifications, c'est un véritable marais sur le plan des idées, mais je vois poindre une nouvelle source d'inquiétude dont m'ont fait part au moins cinq ou six représentants. Oui, madame la ministre déléguée, l'idée circule en ce moment que « les articles 20 et 21 ne sont peut-être pas aussi bien qu'on le dit ». Cela signifie que nous devons nous battre.

Vigilance, exigence, bataille, initiative combative doivent être notre loi et notre pratique.

En vérité, il faut faire triompher l'idée que la culture est un bien public. Alors serait marquée la différence entre les biens publics et les biens marchands.

M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur Ralite.

M. Jack Ralite. Permettez-moi, pour terminer, de vous citer quelques extraits d'une intervention prononcée devant 3 500 personnes par Monique Chemillier-Gendreau, juriste internationale, lors d'une réunion des états généraux de la culture, le 12 octobre 2003 au Zénith, ayant pour thème au départ les intermittents du spectacle.

« Affirmer qu'une chose est bien public, c'est rappeler d'abord que les biens publics et les biens marchands n'ouvrent pas le même type de relations entre les humains. Sans doute l'argent est-il nécessaire dans tous les cas. Mais il ne joue pas le même rôle. Pour les biens marchands, il est un profit, souvent très supérieur aux coûts de production et il sert un intérêt individuel. Pour les biens publics, l'argent provient d'un effort de la collectivité pour produire, protéger, sauver quelque chose d'essentiel à cette collectivité. Sans cela, le libre marché attaque certains biens, par exemple la culture, dans sa vérité qui est la liberté et la diversité. Le marché est articulé à la demande solvable. Le régime de bien public est la garantie que quelque chose puisse exister même là où il n'y a pas de demande solvable. »

Voilà une démarche intéressante, madame la ministre déléguée.

Mme Chemillier-Gendreau ajoute qu'à l'intérieur de la catégorie des biens publics, il est toujours possible de réintroduire des formes de marché, limitées et encadrées. Et les mesures de partage équitable seront différentes selon la rareté du bien et son caractère renouvelable ou épuisable.

« La culture, l'éducation, le savoir sont les seuls biens qui ne diminuent pas lorsqu'on les partage. » Cette notion est fondamentale et, en l'introduisant dans le débat, Mme Chemillier-Gendreau nous invite à nous préoccuper de cette dimension.

Mais j'achève ma citation : « La culture, par essence, ne peut être ni privatisée, ni marchandisée, ni nationalisée. Toutes ces hypothèses sont des négations de la culture. L'on tente de la réduire à un échange sordide : j'ai produit, tu achètes. Mais la culture se décline sur le mode : nous nous rencontrons, nous échangeons autour de la création de quelques-uns, nous mettons en mouvement nos sensibilités, nos imaginations, nos intelligences, nos disponibilités. Car la culture n'est rien d'autre que le Nous extensible à l'infini des humains. Et c'est bien cela qui aujourd'hui se trouve en danger, et requiert notre mobilisation. »

Je suis, comme tout le monde, heureux de la création du musée des Arts premiers - on discute sur le nom, mais là n'est pas la question - comme j'ai été heureux de la création de l'Institut du monde arabe. Il y a là une filiation française qu'il faut poursuivre et développer. Mais il faut une troisième création, qui ne serait pas matérialisée par un monument en pierre, non, car ce serait en quelque sorte un monument humain. Comme l'a dit Yves Dauge, il faut organiser une fête-colloque, ou une féria si vous voulez, un peu comme l'a fait Ariane Mnouchkine pour 1789, une fête-colloque à laquelle la France - si elle peut le faire avec d'autres, tant mieux - convoquerait les coalitions et les États. Et nous aurions là un travail commun croisé sur une convention dont nous serons tout de même peu nombreux aujourd'hui à autoriser l'approbation, probablement en raison de la fin de la session.

Ce serait une initiative tout à fait importante et les défauts du texte seraient lus à la lumière de Michaux : « La pensée avant d'être une oeuvre est trajet ». Nous y sommes, et nous avons besoin, ô combien, de cantonniers intelligents. (Sourires.)

La convention à laquelle on nous demande d'autoriser l'adhésion est, en vérité, un texte inaccompli, mais il « bourdonne d'essentiel », comme dirait René Char. Alors, faisons-le bourdonner ! (Applaudissements.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée à Paris le 20 octobre 2005, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée. Je remercie l'ensemble du Sénat de ce vote à l'unanimité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à apaiser certaines des inquiétudes dont vous vous êtes fait l'écho.

Cette convention n'est qu'un point de départ ; le combat, qui est celui de toute la francophonie, et pas seulement celui de la France, doit être poursuivi.

Mais ce qui me réjouit aujourd'hui, c'est de constater que la francophonie, loin d'être une idée ringarde, une idée du passé, est au contraire une idée moderne, dynamique, attractive, une force qui permet de mener des combats jusqu'à la victoire, et nous en remporterons d'autres.

Certains ont évoqué l'environnement. La francophonie est à la pointe du combat pour défendre une belle idée française : l'organisation des Nations unies pour l'environnement.

Nous avons donc encore beaucoup de choses à faire avec tous nos amis de la francophonie. Nous avons obtenu une belle victoire grâce à cette convention, mais je le répète, ce n'est que le début d'un combat que nous allons continuer à mener tous ensemble.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre unanimité et je souhaite que nous puissions continuer à travailler dans le même esprit. (Applaudissements.)

Article unique (début)
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