Article 9
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article additionnel après l'article 9

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par MM. Longuet et Cambon, est ainsi libellé :

Après l'article 9, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le dernier alinéa de l'article L. 225-185 du code de commerce, les mots : «, dans les mêmes conditions, » sont supprimés.

La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. En présentant cet amendement, j'ai le sentiment de m'inviter dans un débat qui n'est pas tout à fait le mien, mais qui est cependant l'occasion d'obtenir un éclairage indispensable sur la mise en oeuvre de la loi du 30 décembre 2006, dont une disposition prévoit d'encadrer l'accès des cadres dirigeants de sociétés aux options d'achat d'actions et aux actions gratuites.

Mon amendement tend à modifier le dernier alinéa de l'article L. 225-185 du code de commerce. Cependant, son véritable objet est en réalité de demander que soit précisé un point extrêmement sensible.

À la demande du Gouvernement, nous avons adopté un dispositif d'encadrement des stock-options et actions gratuites octroyées aux dirigeants, dispositif tel que, lors de ces nouvelles attributions d'options par le conseil d'administration ou de surveillance, celui-ci détermine les conditions dans lesquelles les intéressés peuvent ou non lever, avant la cessation de leurs fonctions les actions dont ils sont bénéficiaires. La loi posait le principe de l'obligation de garder les options et les actions gratuites tant que durait l'activité, tout en autorisant le conseil d'administration ou le conseil de surveillance, dans certains cas particuliers, à permettre une levée partielle de ces options et de ces actions gratuites.

Ce dispositif vise les dirigeants des sociétés émettrices d'actions cotées. Or, manifestement, la rédaction de l'article L. 225-185 crée, aux yeux des praticiens, une insécurité juridique quant aux conditions d'attribution aux dirigeants d'une société non cotée d'actions d'une société cotée liée. En d'autres termes, qu'en est-il des dirigeants de filiales ou de sociétés soeurs non cotées qui peuvent bénéficier d'actions de la société mère cotée ? Apparemment, le législateur avait souhaité limiter aux seuls dirigeants des sociétés émettrices le dispositif d'encadrement et d'obligation de détention des options d'actions et des actions gratuites, et ne pas l'imposer aux dirigeants des sociétés filiales non cotées.

Or, en précisant que les sociétés non cotées sont traitées « dans les mêmes conditions », la rédaction nouvelle de l'article L. 225-185 du code de commerce aligne la situation des dirigeants des sociétés non cotées filiales ou soeurs de sociétés cotées sur celle des dirigeants des sociétés émettrices.

Les praticiens nous alertent sur l'ambiguïté de la rédaction que nous avions retenue. Ils ont l'impression que nous avons voulu, à juste titre, empêcher le chat d'être le gardien du bol de crème, mais ils se demandent, en quelque sorte, ce qu'il en est pour le bol de crème du voisin ? En clair, l'application dérogatoire doit être entendue stricto sensu et non pas élargie.

Madame le ministre, l'objet de cet amendement est d'obtenir une clarification, que vous serez sans doute en mesure de nous apporter, sur la volonté qui était celle du Gouvernement lorsqu'il a présenté ce dispositif.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur. La commission espère que la clarification que va certainement nous donner Mme le ministre sera de nature à permettre à notre collègue de retirer son amendement. Si les choses se passent ainsi, nous aurons utilement oeuvré pour apporter à un texte récent quelques précisions nécessaires, et nous pourrons laisser celui que nous examinons en ce moment s'acheminer tranquillement vers son adoption définitive.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre déléguée. Je vais essayer, monsieur Longuet, au bénéfice d'explications que j'espère aussi claires que votre exposé, d'appliquer l'analogie du chat et du pot de crème aux termes « dans les mêmes conditions » dans une situation de groupe où l'on ne souhaite pas appliquer le dispositif en cascade, mais simplement à la tête de pont, et vous me pardonnerez le caractère très spécifique de ma réponse.

Vous présentez un amendement très important pour la bonne compréhension par les entreprises, notamment par les entreprises « en cascade », des modalités d'application de la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié. Vous relevez que le texte gagnerait à être précisé sur la question de l'application du dispositif introduit par la loi aux options attribuées par les sociétés émettrices et non par les sociétés liées. Ce point n'a en effet pas été abordé explicitement par la Haute Assemblée lorsqu'elle a débattu en première lecture de ce texte.

Vous soulignez qu'une lecture erronée de l'article L. 225-185 du code de commerce tel qu'il a été modifié par la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié pourrait conduire à un régime excessivement rigide qui prévoirait des dispositions de blocage non pas seulement à l'égard des dirigeants de la société émettrice, mais également à l'égard des dirigeants de sociétés qui, pour être d'importance mineure dans des structures commerciales de groupes, n'en sont pas moins des filiales ou des sous-filiales de la société émettrice.

Selon cette lecture, le dirigeant d'une filiale non cotée, qui reçoit - comme d'autres salariés du groupe, et bien plus éminents - des stock options entrerait alors dans le dispositif dérogatoire prévu pour les dirigeants.

Je rejoins tout à fait, monsieur Longuet, votre analyse selon laquelle telle n'a pas été l'intention de votre assemblée. Les mots « dans les mêmes conditions » figurant dans le cinquième alinéa de l'article L. 225-185 sur les options attribuées par les sociétés liées se réfèrent à la seule première phrase de l'alinéa précédent, qui prévoit que les dirigeants peuvent se voir attribuer « des options donnant droit à la souscription ou à l'achat d'actions dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-184 », qui sont précisément les conditions d'attribution génériques et pas les dispositions particulières de blocage.

L'introduction, à l'Assemblée nationale, par un deuxième amendement parlementaire, d'un dispositif similaire pour les attributions gratuites d'actions était clairement présentée dans un objectif d'alignement du traitement des mandataires sociaux selon qu'ils reçoivent une option ou une action gratuite. Or la rédaction retenue pour l'article L. 225-197-1, qui s'applique aux actions gratuites, aboutit à ce que les contraintes dérogatoires des conditions génériques d'attribution concernent les actions attribuées aux dirigeants de la seule société émettrice et non pas aux sociétés dites mineures ou filiales.

Je relève en outre, dans le même sens, pour la même interprétation, que l'article L. 225-185 renvoie, au titre des mesures de publicité, au rapport mentionné à l'article L. 225-102-1 sur la rémunération des dirigeants dont les dispositions ne visent que les sociétés cotées ou contrôlées par des sociétés cotées et les dirigeants ayant un mandat de société cotée. En particulier, les dirigeants de sociétés filiales sans mandat de société cotée sont clairement hors du champ d'application de ces dispositions.

Au-delà de considérations purement juridiques, il me semble que nous avons intérêt à avoir un dispositif bien ciblé sur les dirigeants des sociétés qui attribuent les stock options, susceptible d'avoir de l'influence sur l'attribution, afin d'exiger un encadrement « serré » à leur égard, plutôt que de se disperser dans son extension aux filiales au risque de voir ce dispositif se relâcher pour être applicable à un plus grand nombre, ce qui n'était pas l'intention du législateur. C'est donc dans cet esprit que le dispositif a été réservé aux dirigeants et n'est pas appliqué aux salariés.

Sous le bénéfice de cette explication, dont je vous prie de me pardonner le caractère laborieux, j'espère que vous pourrez, monsieur le sénateur, considérer que votre amendement est satisfait par le texte actuel à la lumière des explications que je viens de donner et ainsi procéder à son retrait.

M. le président. Monsieur Longuet, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Gérard Longuet. Madame le ministre, je vous remercie de la clarté de vos explications, qui confortent en effet la volonté du législateur telle qu'elle s'était exprimée à l'occasion du débat et qui avait été sans doute bien involontairement atténuée par les mots « dans les mêmes conditions ».

Par conséquent, monsieur le président, c'est en toute sérénité que je retire l'amendement n° 1, qui n'a plus lieu d'être.

M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.

Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.

Vote sur l'ensemble

Article additionnel après l'article 9
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.

Mme Marie-France Beaufils. M. le rapporteur nous a invités à adopter sans modification le texte voté par l'Assemblée nationale. Cela permet en effet de se dispenser de la réunion d'une commission mixte paritaire, dans la discrétion d'une discussion de fin de session, à peine visible dans le tourbillon électoral que nous traversons - c'est ainsi qu'on le traduira demain dans la presse - et de porter quelques coups aux droits des salariés et à la raison d'être même de la Banque de France.

Nous prenons ce texte comme le signe avant-coureur de la conception du dialogue social et de l'évolution des garanties collectives des salariés telles qu'elles sont conçues par la majorité UMP-UDF de notre assemblée.

La loi vient mettre un terme anticipé à ce qui devrait procéder de la négociation collective. Elle pèse dans le sens des attentes de la seule partie patronale. Quant aux missions de la Banque de France, elles sont étroitement cantonnées aux exigences de la construction européenne, notamment dans la définition du rôle de la Banque centrale européenne.

Ce texte crée une zone de non-droit, au regard du droit du travail comme du statut des agents du secteur public, qui conduit une fois de plus à s'interroger sur l'absolue conformité constitutionnelle des dispositions votées, notamment s'agissant de l'article 5.

N'étant pas des fonctionnaires au sens du statut de la fonction publique instauré en 1945 et renouvelé en 1984, les agents de la Banque de France se retrouvent, avec ce texte, placés dans une situation de droit commun où ils disposent de moins de droits que les salariés d'une PME de soixante-dix personnes !

Limiter l'appel à l'expertise aux seuls cas de mise en oeuvre de plans de licenciement économique, c'est refuser en fait aux agents de la Banque de France d'avoir le moindre pouvoir de regard sur l'évolution de leur institution, d'autant que le recours au droit d'alerte n'a pas été, à dire vrai, souvent utilisé par ces salariés !

Cette proposition de loi n'est donc rien d'autre qu'un texte d'autoritarisme et d'arbitraire.

Les salariés, dans ce pays, ont légitimement le droit de connaître la manière dont l'entreprise où ils travaillent, où ils créent de la richesse, fonctionne, fait des choix stratégiques et les met en oeuvre, par la mobilisation de moyens adéquats.

Vous déniez aux salariés de la Banque de France le droit d'avoir leur mot à dire et, pourtant, ils ont prouvé à maintes reprises dans le passé leur attachement aux missions de service public de l'établissement et leur apport critique aux choix qui remettaient en cause lesdites missions.

Évidemment, compte tenu de cet enjeu qui dépasse quelque peu le seul cas d'espèce, nous ne pouvons que vous inviter, mes chers collègues, à rejeter le texte qui nous est soumis.

M. le président. La parole est à Mme Monique Papon.

Mme Monique Papon. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au-delà des questions de forme, le groupe UMP tient à souligner les raisons de fond qui l'ont amené à soutenir en première lecture la proposition de loi déposée par M. le président de la commission des finances et qui vont nous conduire aujourd'hui à approuver le texte tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale.

Sur le fond, en effet, la suppression du Conseil de la politique monétaire de la Banque de France constitue une nouvelle avancée sur la voie de la réforme de l'État et de la rationalisation des dépenses publiques. Cette mesure de bon sens s'inscrit dans la démarche de performance instaurée par la LOLF et répond à notre souhait d'une gestion rigoureuse des deniers publics. Il y va de notre responsabilité politique vis-à-vis des contribuables d'aujourd'hui, mais aussi des générations futures.

Sur le fond également, nous approuvons l'adaptation du droit du travail au statut particulier de la Banque de France. Il convient, en effet, de tenir compte de la situation spécifique de cette institution, qui n'est pas soumise aux mêmes risques économiques que les autres établissements de crédits.

Sur ce point, l'Assemblée nationale a repris les dispositions que la commission des finances avait proposées en première lecture, mais que le Sénat avait décidé de retirer provisoirement, à la demande du Gouvernement, afin de laisser le temps au gouverneur et aux organisations syndicales de se concerter sur ce sujet. Cette concertation a conduit, depuis, à la signature d'un protocole d'accord relatif à l'amélioration de l'efficacité du dialogue social et à l'évolution de la politique sociale de la Banque de France, ce dont nous nous réjouissons.

Sur le fond toujours, nous approuvons la réforme du droit des sûretés. Une autre procédure législative que celle d'un amendement à la proposition de loi relative à la Banque de France aurait pu être employée pour ratifier l'ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, comme l'a souligné le président de la commission des lois, notre collègue Jean-Jacques Hyest. Mais l'essentiel est, pour nous, l'assouplissement du droit des sûretés au regard de l'évolution des pratiques des entreprises et des particuliers, grâce notamment à la création de l'hypothèque rechargeable et du prêt viager hypothécaire.

Comme l'a très bien rappelé M. le rapporteur, cette branche du droit qui est intimement liée à l'activité économique n'avait pourtant connu aucune réelle réforme d'ensemble depuis 1804.

La réforme souhaitée par le Président de la République et introduite par l'ordonnance du 23 mars 2006 devrait améliorer les conditions d'accès au crédit et ainsi soutenir l'activité économique dans notre pays.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, telles sont les raisons de fond qui vont conduire le groupe UMP du Sénat à voter l'ensemble de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui en deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. -M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?....

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste vote contre.

M. Bernard Vera. Le groupe CRC également.

(La proposition de loi est adoptée définitivement.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions intéressant la Banque de France
 

7

NOMINATION D'un MEMBRE de la délégation du sénat pour l'union européenne

M. le président. Je rappelle que le groupe Union pour un mouvement populaire a proposé une candidature pour la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Pierre Bernard-Reymond membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

8

NOMINATION DE MEMBRES D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE

M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance.

La liste des candidats établie par la commission des lois a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-René Lecerf, Nicolas About, Jean-Patrick Courtois, Philippe Goujon, Jean-Claude Peyronnet et Mme Éliane Assassi.

Suppléants : MM. Nicolas Alfonsi, Laurent Béteille, Yves Détraigne, Bernard Frimat, Patrice Gélard, Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur.

9

 
Dossier législatif : projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs
Discussion générale (suite)

Protection juridique des majeurs

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs
Article 1er

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de la protection juridique des majeurs (nos 172, 212, 213).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons, sous cette législature, profondément réformé notre droit civil familial.

Les lois en vigueur, votées en 1966 et 1968, ne sont plus adaptées à notre société du xxie siècle.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. C'est vrai !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Elles ne permettent plus d'assurer une protection suffisante et effective des 800 000 personnes concernées, soit plus de 1 % de la population.

La protection des personnes vulnérables implique une privation ou une restriction des droits. C'est pourquoi le juge ne doit envisager une mesure de protection qu'en dernier recours et limiter son effet à ce qui est strictement nécessaire.

La protection doit par ailleurs être adaptée et respectueuse de la personne. Elle doit être exercée et contrôlée avec les meilleures garanties.

Je vais vous présenter le contenu du dispositif du droit civil et mon collègue Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, vous présentera dans un instant le dispositif social et financier de cette réforme.

La réforme du droit civil de la protection des majeurs repose sur une nouvelle approche, plus respectueuse du droit des personnes. Elle s'articule autour de quatre grands axes essentiels : une protection juridique qui concerne exclusivement les personnes atteintes d'une altération de leurs facultés ; un dispositif de protection qui redonne sa place à l'exercice de la liberté civile ; des régimes de protection où sont définis et renforcés les droits de la personne ; enfin, des mesures de protection exercées avec plus de vigilance par les professionnels.

Le premier objectif de la réforme est donc de définir plus précisément et de délimiter strictement les personnes concernées par une mesure de protection : seront appliqués les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité.

Il faudra, c'est le fond du débat, mesurer et constater l'altération des facultés personnelles de l'intéressé. Cette altération sera mesurée médicalement et constatée par un médecin expert.

La protection juridique sera recentrée sur les personnes atteintes de troubles et de handicaps mentaux et il devient nécessaire de compléter le champ de l'action sociale.

Ce dispositif social, graduel et progressif, comporte deux volets : un volet administratif relevant des conseils généraux, mis en oeuvre en collaboration avec la personne intéressée, et un volet judiciaire, plus contraignant, intervenant subsidiairement si l'action préalable du département n'a pu aboutir. On commence donc par la mesure sociale et l'on n'ouvre le volet judiciaire qu'après constat de l'altération des facultés personnelles de la personne.

Le dispositif social a principalement une vocation éducative. Son objectif est de permettre à chacun de retrouver le chemin de l'autonomie.

Si ces mesures d'action sociale se révèlent insuffisantes, les services sociaux compétents adresseront un rapport circonstancié au procureur de la République.

La commission des lois du Sénat a compris l'importance de l'enjeu de cette disposition et a adopté un amendement afin de revenir à la rédaction initiale du projet de loi. J'en approuve tous les termes et je veux convaincre la commission des affaires sociales qu'il est nécessaire de se rallier à cette position.

L'objectif de suppression des utilisations abusives de la protection juridique a conduit le Gouvernement à supprimer la possibilité pour le juge de se saisir d'office sur le simple signalement d'un tiers, intervenant social ou professionnel médical.

Il existe, en effet, pour protéger une personne vulnérable, des solutions juridiques moins contraignantes et moins attentatoires à ces droits que la tutelle ou la curatelle.

Certains de ces moyens sont indépendants de toute intervention judiciaire. Il s'agit de la procuration, du mandat de protection future et de l'accompagnement social.

D'autres outils, en revanche, requièrent l'intervention du juge. Il en est ainsi de la sauvegarde de justice ou des règles d'habilitation propres aux régimes matrimoniaux.

En outre, la subsidiarité implique que, avant de recourir à la collectivité publique, l'on se tourne d'abord vers la famille, lieu naturel de protection.

Le deuxième apport majeur du projet de loi tient à l'affirmation et à la liberté civile de la personne protégée.

Il faut reconnaître une place à l'autonomie de la volonté de la personne, même au sein d'un ordre public de protection. L'avis de la personne sera toujours sollicité, y compris, et c'est un cas très fréquent dans nos familles, lorsqu'on place une personne âgée dans une maison de retraite.

Le mandat de protection future pourra être établi par acte sous seing privé ou par acte notarié et n'aura, selon la forme choisie, pas les mêmes effets en matière patrimoniale.

Le mandat notarié permettra une protection juridique très étendue et pourra couvrir les actes de disposition du patrimoine, la vente du bien par exemple, tandis que le mandat sous seing privé donnera au mandataire les pouvoirs d'un administrateur légal sous contrôle judiciaire et sera limité aux actes conservatoires ou de gestion courante.

Votre rapporteur a souhaité mieux encadrer les conditions de mandat sous seing privé lorsque le mandant n'est pas assisté d'un professionnel. Je puis d'ores et déjà vous indiquer que le Gouvernement se rallie à cette démarche qui vise à sécuriser davantage les modalités d'établissement du mandat. Nous devons toutefois veiller à ne pas trop alourdir les procédures.

Il n'y aura pas lieu à mesure de publicité du mandat. En effet, ce mandat de protection future crée un régime de représentation et il fonctionnera comme une procuration générale donnée par une personne à une autre.

Le troisième objectif de cette réforme est de mieux adapter la protection à la spécificité des besoins de nos concitoyens les plus fragiles.

Pour cela, la réforme affirme le principe de protection de la personne et non plus seulement de son patrimoine. C'est la grande avancée de ce texte : au-delà du patrimoine, on s'intéresse en premier lieu à la personne.

La protection à la personne trouvera son sens dans l'exigence de proportionnalité imposée au juge. Les mesures de protection seront strictement proportionnées à la vulnérabilité et aux besoins de la personne.

La protection à la personne s'imposera dans la mission du tuteur, qu'il s'agisse d'un membre de la famille ou d'un professionnel.

Enfin, les modalités de contrôle de l'exécution de la mesure seront réorganisées et renforcées.

Tout d'abord, les mesures devront être révisées tous les cinq ans, ce qui constitue une innovation. Dans l'actuel régime de protection juridique, les mesures restent valables ad vitam æternam, au sens strict. Demain, elles seront révisées tous les cinq ans. L'instauration de ce contrôle apporte une liberté très importante pour les personnes sous protection juridique.

Les modalités du contrôle annuel, en particulier des comptes de gestion, seront personnalisées et adaptées à la situation de chaque dossier.

Le quatrième grand axe de cette réforme consiste à améliorer le régime juridique qui encadre l'activité tutélaire.

Comme vous le savez, une nouvelle profession, celle des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, est créée par ce texte, mais je laisserai à Philippe Bas le soin de développer ce point.

Au terme de mon propos, je souhaite de nouveau remercier le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et son rapporteur, M. Henri de Richemont, du remarquable travail qu'ils ont effectué. Je remercie également Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, de son implication.

Cette réforme marque une étape essentielle de notre histoire juridique : elle s'inscrit dans la construction d'un droit moderne, attentif aux évolutions de notre société et adapté aux besoins des plus vulnérables d'entre nous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un texte important que M. le garde des sceaux et moi-même avons l'honneur de vous présenter. À cet égard, je voudrais saluer la qualité du travail accompli par la commission des lois et la commission des affaires sociales pour préparer le débat d'aujourd'hui.

Cette réforme était nécessaire. En effet, M. le garde des sceaux l'a rappelé à l'instant, la tutelle est trop souvent utilisée à des fins autres que celles pour lesquelles elle a été créée. Par ailleurs, les textes qui la régissent datent d'une quarantaine d'années.

Aujourd'hui, la tutelle est utilisée à des fins sociales, faute d'instruments mieux adaptés. Privative de droits, sans alternative, elle n'est pratiquement jamais révoquée. Il faut cesser de l'utiliser à des fins d'accompagnement social, en la réservant pour des situations d'altération grave et permanente des facultés mentales. Dans ce dernier cas, l'exercice de la tutelle doit être mieux encadré.

Du fait des dérives actuelles dues à l'absence d'instruments alternatifs destinés à la protection des incapables majeurs, de la poussée démographique - nous savons que le nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans va doubler dans les dix ans à venir, passant de 1,1 million à 1,9 million -, mais aussi de la progression de la maladie d'Alzheimer, le nombre de majeurs protégés est en augmentation constante depuis plusieurs années. Ainsi, 850 000 de nos compatriotes souffrent d'ores et déjà de cette affection. Par conséquent, si nous continuons à utiliser la tutelle pour répondre aux difficultés des personnes atteintes de cette maladie, notre régime des tutelles, qui est d'ores et déjà proche de l'embolie, risque tout simplement la paralysie totale.

À travers cette réforme, le Gouvernement prend trois engagements : créer et développer des alternatives à la tutelle ; adapter la protection des personnes à l'évolution de leurs capacités, en créant, lorsque c'est possible, un véritable parcours d'autonomie ; apporter des garanties nouvelles aux personnes, comme aux familles.

Pour mettre en oeuvre ces engagements, le Gouvernement respectera une exigence fondamentale, celle d'assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, lesquels seront les principaux acteurs pour son volet social. Les départements doivent évidemment pouvoir s'engager dans cette voie en disposant de toutes les assurances nécessaires s'agissant de l'équilibre des financements mobilisés.

Le premier engagement est donc de créer et de développer des alternatives à la tutelle.

Plus du tiers des bénéficiaires adultes de tutelles aux prestations sociales est concerné. Ces personnes sont souvent des blessés de la vie, touchés par la maladie ou la dépression, frappés par le chômage ou la précarité. Elles ne parviennent plus à gérer leur budget, à payer leur loyer, à faire face aux dépenses de la vie courante. Elles risquent de tomber dans l'errance, de compromettre leur santé et de mettre leur vie en danger.

Pour ces personnes, nous proposons de créer une mesure d'accompagnement social personnalisé, qui interviendrait en amont du dispositif judiciaire. Elle prendra la forme d'un contrat passé avec les services sociaux du conseil général et comportera une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social personnalisé. C'est ainsi que nous éviterons l'ouverture de mesures judiciaires non justifiées.

Les familles et les personnes concernées seront associées et entendues à chaque étape de la procédure. S'il en a la capacité, le majeur protégé pourra renouer avec l'autonomie puisqu'un examen périodique de la situation est prévu. Hier, une personne qui se retrouvait sous tutelle n'avait plus « voix au chapitre ». Désormais, elle sera accompagnée, écoutée, mais aussi responsabilisée, car nous ne désespérons pas de la voir recouvrer, après une période de crise aiguë, l'ensemble des attributs de la citoyenneté, de la responsabilité et de l'autonomie. Il s'agit de lui permettre de retrouver son indépendance, parce que la solidarité passe aussi par la responsabilité de celui qui en bénéficie.

Le deuxième engagement du Gouvernement est d'adapter la protection de chaque personne à l'évolution de ses capacités, en créant, lorsque c'est possible, un véritable parcours vers l'autonomie.

Bien sûr, il faut d'abord protéger les intérêts fondamentaux de la personne et sa sécurité : c'est le sens du placement sous protection judiciaire. Mais nous devons aussi prendre en considération ses droits légitimes et lui garantir, autant que possible, l'exercice de ses libertés. Un statut très protecteur, peut-être trop protecteur, comme la tutelle, n'encourage pas la personne protégée à évoluer pour assumer de nouveau ses responsabilités. Nous voulons faire le pari de la confiance, chaque fois qu'il sera réaliste. C'est pourquoi le projet de loi que nous vous soumettons permet à toute personne dont la situation évolue favorablement de reprendre l'exercice de ses droits.

Dans cette optique, tout un éventail de mesures sera déployé, de l'accompagnement social jusqu'à la tutelle et, dans d'autres cas, de la tutelle jusqu'à l'autonomie.

La mesure d'accompagnement social personnalisé constitue le premier niveau d'accompagnement. Si elle échoue, une seconde mesure, plus contraignante, d'accompagnement judiciaire pourra être mise en oeuvre. Bien qu'elle soit de même nature que la mesure d'accompagnement social, elle sera décidée par le juge. Cette contrainte est nécessaire, parce que la personne s'est dérobée au contrat. C'est alors un tiers qui gérera les prestations sociales de la personne protégée, laquelle conservera néanmoins ses droits civiques et ses droits sur son patrimoine. Au fond, nous proposons de ne retirer que les droits ne pouvant réellement plus être exercés, car il ne faut plus passer du tout au rien !

Enfin, la curatelle et la tutelle seront désormais réservées aux personnes les plus vulnérables, qui souffrent d'une altération le plus souvent définitive de leurs facultés mentales.

Je veux m'arrêter à mon tour sur le mandat de protection future, dispositif très important prévu par le projet de loi.

Cette mesure, essentielle pour deux catégories de personnes dont j'ai plus particulièrement la charge, les personnes âgées et les personnes handicapées, a été annoncée lors de la conférence de la famille de 2006.

Là encore, nous privilégions le contrat, qui permettra désormais à chacun d'entre nous d'organiser à l'avance sa prise en charge en cas d'altération mentale. Je pense notamment à la maladie d'Alzheimer. Toute personne pourra désormais choisir celui ou celle qui prendra soin d'elle et de ses biens le jour où ses facultés seront altérées par cette maladie.

Je pense aussi aux parents d'un enfant handicapé majeur, qui se demandent toujours avec angoisse qui s'occupera de leur enfant s'ils viennent à disparaître ou s'ils ne sont plus en mesure d'assumer cette prise en charge. Cette question est devenue leur principal souci, en raison du vieillissement des personnes handicapées. Grâce au mandat prévu par le projet de loi, ils pourront désigner à l'avance celui ou celle qui prendra soin de leur enfant après eux.

Enfin, le troisième engagement du Gouvernement est d'apporter des garanties nouvelles aux familles comme aux personnes protégées.

Les familles, je le rappelle, prennent directement en charge plus de la moitié des tutelles. Je tiens à leur rendre hommage : c'est un bel exemple de solidarité, qui appelle de la part des associations et des acteurs sociaux aide et soutien. Sans les familles, nous ne pourrions pas assumer la responsabilité des personnes les plus vulnérables. L'Assemblée nationale, avec l'appui du Gouvernement, a d'ailleurs décidé de mettre en place un dispositif d'aide et d'information, qui permettra aux familles de trouver plus facilement des solutions aux difficultés qu'elles rencontrent si souvent aujourd'hui.

Madame le rapporteur pour avis, vous soulignez dans votre rapport que le projet de loi redonne la priorité aux familles en matière de protection des majeurs. Les mesures de protection seront en effet confiées en priorité à un proche, pourvu qu'il entretienne des liens étroits avec la personne protégée. Le texte étend ainsi le nombre de celles et de ceux qui pourront assumer cette fonction pour l'un des leurs.

Aujourd'hui, les tutelles, lorsqu'elles ne sont pas assurées par les familles, sont confiées à des associations tutélaires, à des mandataires ou aux établissements qui accueillent des personnes sous tutelle. Si les intervenants, dans leur ensemble, s'acquittent généralement avec dévouement de leurs responsabilités, trop d'abus ou de négligences sont encore constatés.

Nous avons donc voulu que soient à la fois mieux encadrés et mieux formés les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Si l'on ne doit pas réduire une profession à quelques dérives, force est de constater qu'elles existent. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de professionnaliser davantage la fonction de mandataire et de renforcer les contrôles.

Un certificat national de compétence sera ainsi créé. Le mandataire devra être inscrit sur une liste tenue par le préfet, après avis favorable du procureur de la République. L'État assumera la responsabilité de contrôles renforcés.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, pour nos trois engagements.

J'en viens maintenant à l'exigence que j'ai évoquée tout à l'heure : il s'agit d'assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, qui seront les principaux acteurs des changements à venir. Nous leur devons cette garantie.

Les départements constituent, en effet, l'échelon de proximité qui garantit l'efficacité de notre politique sociale. Cette réforme conforte leurs missions actuelles et, donc, la cohérence de l'action sociale.

Certains départements ont exprimé la crainte que cette réforme n'alourdisse leurs dépenses. Je veux leur répondre, afin de dissiper les inquiétudes qui ont pu naître.

Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, le travail mené par le Gouvernement pour s'assurer que le financement de ce dispositif pourrait fonctionner correctement, ce dont je vous remercie.

M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois. « Pourrait » !

M. Philippe Bas, ministre délégué. La réforme du régime de protection juridique des majeurs s'accompagne d'une évaluation de son financement. Le nouveau régime de financement prévu par le projet de loi sera mieux maîtrisé.

Tout d'abord, je tiens à vous dire que, par le biais de ce texte, l'État prend un engagement fort à l'égard des départements. Il assumera en effet la charge financière des tutelles des bénéficiaires des prestations sociales attribuées par les départements - je pense notamment au RMI -, en lieu et place des conseils généraux. C'est une charge normalement assignée aux départements que l'État reprend directement à son compte.

En 2009, les départements économiseront ainsi 77 millions d'euros. En 2013, plus de 92 millions d'euros seront pris en charge par l'État. Et s'il est vrai que les départements assumeront effectivement, en contrepartie, une charge nouvelle liée aux mesures d'accompagnement social personnalisé, cette dépense ne pourra pas excéder les économies réalisées grâce à l'effort de l'État.

L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement apportant une garantie formelle sur ce point, puisqu'il prévoit l'évaluation régulière des dépenses incombant à chacun.

Nous avons également prévu que la réforme s'appliquerait intégralement au 1er janvier 2009. Les départements ont dû en effet absorber beaucoup de nouvelles missions au cours des dernières années. Il faut leur donner le temps de s'organiser et de maîtriser les nouveaux instruments pour leur permettre d'appliquer pleinement la réforme.

Pour autant, les dispositions qui n'affectent pas la charge de travail des départements seront, elles, immédiatement mises en oeuvre, qu'il s'agisse de la professionnalisation des mandataires, du renforcement des contrôles ou du nouveau mandat de protection future. Sur ces différents points, il n'y a en effet aucune raison de faire attendre les familles jusqu'en 2009.

Nous avons par ailleurs voulu laisser aux départements la liberté de s'organiser. Pour mettre en oeuvre les mesures d'accompagnement personnalisé, ils pourront soit s'appuyer directement sur leur service d'action sociale, comme ils peuvent actuellement le faire pour les mesures de tutelle des prestations dont ils ont la charge, soit faire appel à des associations. Ce sera alors le même réseau d'associations qu'aujourd'hui qui continuera d'assurer le suivi des personnes protégées.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les dimensions sociale et financière de cette réforme. Il s'agit d'une réforme de citoyenneté. Elle s'inspire des mêmes principes que ceux qui sont au coeur de la loi du 11 février 2005 relative à l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : s'intéresser d'abord non pas au handicap, aux difficultés, mais aux possibilités de chaque personne, à son potentiel, à ses talents, à sa capacité d'action et d'autonomie, en bref à ses aptitudes. Il s'agit certes de tenir compte de ses difficultés, mais avec l'idée qu'il est possible à chacun de développer la capacité d'assumer de manière autonome les responsabilités de son existence, tout en évitant d'ériger autour de lui un mur qui l'enferme dans un statut d'incapacité définitive.

C'est donc à une véritable révolution des esprits que cette réforme invite, à un pari sur l'homme, sur ses capacités et sur sa dignité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur le banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, j'ai l'honneur de rapporter au nom de la commission des lois ce texte important qui vise à réformer la loi de 1968 relative au droit des incapables majeurs ainsi que la loi de 1966 relative à la tutelle aux prestations sociales.

Nous avons, avec ma collègue Bernadette Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, auditionné de nombreuses personnes : des magistrats, des professeurs, des responsables d'associations, des tuteurs. Nous avons ainsi pu mesurer que le présent texte arrivait à temps pour mettre fin aux abus et aux dévoiements qui sont constatés dans l'application des lois existantes.

Aujourd'hui, on dénombre 700 000 tutelles et ces mesures ne correspondent plus à leur destination première, qui est de protéger le majeur dont les facultés mentales sont altérées. On utilise de plus en plus la tutelle comme une « bouée de sauvetage » pour protéger des personnes ayant des problèmes de dettes locatives ou dont le logement est insalubre. Autrement dit, on ne respecte pas actuellement les principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité.

Nous avons observé que, malheureusement, de moins en moins de personnes acceptent d'exercer la fonction de tuteur lorsqu'un membre de leur famille doit être protégé.

Nous avons également constaté un dévoiement en ce qui concerne le financement. En effet, pour assurer le financement des tutelles, on cumulait un régime de tutelle normal avec une tutelle aux prestations sociales, celle-ci étant à la charge des finances publiques, et plus particulièrement celles du département.

L'une des avancées de ce projet de loi réside dans le fait qu'il trace une ligne de partage très claire entre les mesures de protection juridique destinées à protéger les majeurs dont les facultés mentales sont altérées et les mesures d'accompagnement social.

Je ne rappellerai pas, messieurs les ministres, les dispositions du texte, que vous avez vous-mêmes détaillées, mais je formulerai quelques observations concernant le principe de nécessité, qui est ici clairement affirmé.

Le texte supprime l'ouverture d'une protection juridique pour cause de prodigalité, d'intempérance ou d'oisiveté. Lorsque nous avons discuté avec le professeur Philippe Malaurie de cette disposition novatrice - elle peut étonner puisque, jusqu'à présent, quelqu'un qui s'exposait à tomber dans le besoin pouvait être mis sous curatelle -, il a estimé que chacun avait la liberté de se comporter comme un polisson s'il le souhaitait et qu'il n'était pas normal de tomber sous le coup d'une mesure de protection juridique.

Vous avez supprimé, et je m'en félicite également, la saisine d'office, qui pouvait donner lieu à des abus, et vous proposez, ce que je trouve tout à fait judicieux, que la mesure soit révisée tous les cinq ans.

Ce qui me paraît fondamental dans ce texte, c'est qu'il replace la personne au centre de la mesure de protection. Il y est affirmé de manière très nette qu'aucune personne ne pourra être mise sous tutelle sans que le juge ait préalablement procédé à son audition. Celui-ci se prononcera sur la base d'un avis médical émanant d'un expert figurant sur une liste établie par le procureur de la République.

Il y a eu des discussions pour savoir s'il fallait également l'avis du médecin traitant de la personne en question ou celui d'un deuxième expert. Il a finalement été décidé que non : il suffira que le juge dispose d'un certificat médical émanant d'un expert pour qu'il puisse prononcer une mesure de tutelle. Le problème est toutefois de savoir comment financer cet examen médical qui, paraît-il, coûte très cher.

Le texte affirme donc les droits de la personne protégée, en prévoyant que, sauf inaptitude médicalement constatée, elle sera systématiquement entendue, ce qui me paraît essentiel. Je me réjouis en particulier de toutes les dispositions qui tendent à protéger le logement de la personne ou encore à faire en sorte que le tuteur ne puisse pas changer le compte en banque du majeur protégé sans y avoir été autorisé par le juge.

L'avancée la plus importante du texte est le mandat de protection future. Des débats ont eu lieu en commission sur la question de savoir s'il était souhaitable de maintenir deux mandats distincts, le mandat sous seing privé pour les actes d'administration et le mandat authentique pour les actes de disposition.

Nous avons estimé qu'il serait regrettable d'imposer un acte authentique, c'est-à-dire un acte notarié. En revanche, nous pensons que votre texte n'est pas assez protecteur lorsqu'il estime suffisante la seule présence d'un avocat ou celle de deux majeurs venant signer.

Nous pensons que des majeurs ayant le droit d'accompagner une personne devant être protégée pourraient avoir sur elle une influence négative. C'est la raison pour laquelle nous proposons soit la présence d'un avocat, soit l'établissement d'un mandat qui serait conforme à un « texte type » élaboré par décret.

Je suis heureux, monsieur le garde des sceaux, que vous ayez souligné sur ce point l'apport remarquable de la commission des lois.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Eh oui !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Une telle solution est effectivement de nature à garantir l'engagement de la personne qui va souscrire un mandat de protection future. Comme vous le voyez, monsieur le garde des sceaux, quand le Gouvernement mérite d'être félicité, nous le faisons !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Trop rarement ! (Sourires.)

M. Henri de Richemont, rapporteur. Nous avons également eu un débat important en ce qui concerne la mesure d'accompagnement social personnalisé. La question qui se pose est de savoir s'il faut limiter ce contrat aux prestations sociales ou l'étendre à toutes les rémunérations dont bénéficie le majeur devant être placé sous protection juridique.

Madame Dupont en parlera tout à l'heure, mais j'aimerais, messieurs les ministres, attirer dès maintenant votre attention sur ce point. Il est vrai qu'il faut améliorer la gestion des prestations sociales. On a le droit, je le répète, de disposer librement de ses biens. Il n'existe pas de droit à l'héritage, ce qui veut dire que l'on peut faire ce que l'on veut de sa fortune, jusqu'à ce qu'on se trouve finalement dans le besoin et que l'on perçoive alors des prestations sociales.

La question est donc la suivante : ne faudrait-il pas pouvoir éviter que quelqu'un se trouve en situation d'être à la charge de la société ? Tel est l'objet des amendements déposés par Mme Dupont.

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Au nom de la commission des affaires sociales !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Le débat sur ce point est important, monsieur le garde des sceaux. Si la commission des lois a rétabli votre texte, qui avait été modifié par l'Assemblée nationale, ce n'est pas seulement pour vous faire plaisir,...

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est dommage ! (Sourires.)

M. Henri de Richemont, rapporteur.... mais parce que nous avons considéré qu'il ne fallait pas rendre les choses plus compliquées qu'elles ne le sont. Aujourd'hui, concrètement, il est quasiment impossible de placer un majeur sous curatelle sous prétexte qu'il s'expose à sombrer dans le besoin. Toutes les demandes de ce type échouent. Or, aujourd'hui, et je parle sous votre contrôle, monsieur le garde des sceaux, l'idée maîtresse du texte est d'alléger les mesures de tutelle et non de les renforcer.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Bien sûr !

M. Henri de Richemont, rapporteur. Il est donc bien évident que, si nous avions étendu la mesure de protection sociale non seulement aux prestations, mais également à tous les revenus, nous aurions créé un système de coercition ne correspondant pas à la philosophie du texte. Voilà pourquoi la commission des lois a rétabli le texte initial du Gouvernement, bien que nous ayons pris en considération les observations tout à fait fondées de la commission des affaires sociales.

Je voudrais également souligner, monsieur le garde des sceaux, l'importance du rôle du procureur de la République, qui est votre représentant. Il jouera un important rôle de filtrage, dans la mesure où, s'il n'y a plus de saisine directe, c'est lui qui pourra saisir le juge des tutelles et qui établira la liste des médecins experts.

La question est de savoir si la responsabilité du procureur de la République doit être engagée pour faute simple ou pour faute lourde. Il s'agit là d'un point qui fait débat. Nous en discuterons lors de l'examen des amendements que nous avons déposés sur cette question.

Je voudrais enfin attirer votre attention sur le problème des gérants de tutelle travaillant dans les établissements médico-sociaux. Beaucoup d'amendements ont été déposés, monsieur le ministre délégué, qui visent à interdire la possibilité de choisir un gérant de tutelle travaillant dans ce type d'établissements.

La commission des lois a estimé, après moult réflexions et discussions, qu'il fallait faire confiance au juge et que, si aucun membre de la famille ou aucune association n'était disponible pour assurer la tutelle, il fallait laisser la possibilité à l'établissement médico-social accueillant la personne de nommer quelqu'un relevant de lui-même. Nous voulons toutefois - et cela fait l'objet d'un amendement - affirmer l'indépendance de ce gérant de tutelle par rapport à l'établissement où il travaille. Il ne doit avoir de comptes à rendre qu'au juge des tutelles, et en aucune façon à l'établissement qui l'emploie. Nous demandons également qu'il figure sur la liste des gérants de tutelle qui sera établie par le préfet.

Nous soulignons en outre l'avancée majeure que constitue la création d'une véritable profession de mandataire judiciaire pour les personnes protégées et nous nous réjouissons des dispositions visant à assurer une authentique formation à ces personnes qui joueront un rôle majeur. En effet, il s'agit pour elles non seulement d'aider, mais souvent de remplacer la personne dans les dispositions essentielles qu'elle est amenée à prendre.

Voilà les principaux éléments que je voulais évoquer s'agissant de cet important texte de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis, qui va présenter son premier rapport devant notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce texte est le résultat d'un important et long travail de concertation et de réflexion ; nous sommes heureux qu'il nous soit présenté.

C'est l'occasion pour moi de vous remercier, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, et de saluer votre ténacité. Grâce à vous, en effet, cette réforme va aboutir, malgré un calendrier législatif particulièrement chargé.

Cette réforme de la protection juridique des majeurs était attendue de longue date, pour mieux distinguer les besoins de chacun et reconnaître aussi à chacun sa dignité.

L'Assemblée nationale a voté en première lecture un texte de qualité, auquel le Sénat souhaite, à son tour, apporter sa contribution. La commission des lois, par la voix de son rapporteur, M. Henri de Richemont, sera la cheville ouvrière de cette réflexion. Saisie pour avis, la commission des affaires sociales a souhaité y apporter le regard particulier qui est le sien, notamment pour ce qui concerne la dimension humaine et sociale du texte.

M. Paul Blanc. Très bien !

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis. C'est l'honneur des parlementaires que de faire la loi ; c'est celui de chacune des commissions de s'exprimer dans la compétence qui lui est propre.

La première ambition du texte est d'adapter la protection juridique des majeurs aux réalités sociales de notre temps, tout en redonnant vie aux principes fondateurs de la loi du 3  mars 1968.

Les dérives du dispositif de protection juridique des majeurs font l'objet d'un constat très largement partagé : le seul critère légal d'altération des facultés personnelles de l'intéressé a été perdu de vue au fil du temps ; plus de la moitié des mesures de protection juridique sont désormais confiées à des personnes extérieures à la famille, ce qui n'était pas l'inspiration initiale ; enfin, le non-respect de la gradation des mesures conduit souvent à des mesures mal adaptées aux besoins et, par conséquent, ressenties par les intéressés comme étant abusives.

La commission des affaires sociales approuve, d'une façon générale, les réponses apportées par le projet de loi pour mettre un terme à ces dérives.

Elle ne peut d'abord qu'être favorable à la réaffirmation des principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité des mesures de protection.

Il était en effet nécessaire de recentrer les mesures de protection sur les seules personnes dont les facultés mentales présentent des signes caractérisés d'altération médicalement constatés : personnes nées ou devenues handicapées avec une altération irréversible, personnes victimes de troubles mentaux graves, personnes âgées dont les facultés intellectuelles ont décliné, toutes ayant besoin que leurs biens et leur personne soient protégés par la loi.

Dans les autres cas, ces mesures peuvent opportunément être remplacées par des dispositions moins contraignantes, relevant simplement d'un accompagnement social. Pourquoi, en effet, priver de leur capacité juridique des personnes dont les besoins de protection se limitent en réalité à une assistance dans la gestion du quotidien ?

J'émettrai cependant quelques réserves sur certains points précis.

Dans le cas d'une demande de protection juridique, je regrette la disparition de l'obligation, pour le médecin expert, de consulter le médecin traitant. Qui, en effet, est mieux que ce dernier à même d'éclairer l'expertise sur les antécédents du majeur et sur sa situation familiale et sociale ?

Par ailleurs, il me semble que le coût d'établissement du certificat médical - en moyenne 250 euros - peut s'opposer au libre accès de tous les citoyens à la protection juridique. Ce coût ne pourrait-il pas faire l'objet d'une prise en charge pour les personnes aux ressources les plus modestes ?

Notre commission s'est également émue de ce que les personnes établissant leur résidence hors de France se voient privées de toute protection. Cette disposition n'est-elle pas contraire au droit international privé et au code civil, qui prévoient que la protection des personnes relève toujours de leur loi nationale, où qu'elles se trouvent ? Ne revient-il pas au ministère des affaires étrangères, lorsque cela est nécessaire, de se donner les moyens d'assurer le suivi de ces mesures à l'échelon des consulats ?

Enfin, dans un souci de simplification et d'assouplissement du système, dont je comprends l'objectif, le texte limite au strict minimum les cas d'auditions obligatoires par le juge. Pourtant, il me semble que cet entretien est essentiel, car c'est le seul moyen dont dispose le juge pour se rendre compte par lui-même des besoins de la personne protégée et pour adapter au mieux les mesures de protection susceptibles de répondre à ces besoins. Le texte n'est-il pas trop restrictif en ce domaine ?

Le deuxième point sur lequel la commission des affaires sociales rejoint le Gouvernement est la nécessité d'assurer le respect de la priorité familiale dans la prise en charge d'un majeur à protéger.

À cet égard, il est important de noter que, dans le texte, sont reconnues les difficultés que peuvent rencontrer certaines familles pour exercer les mesures de protection et que l'on s'attache à y remédier en mettant en place une information pour les tuteurs familiaux sur leur propre rôle. Je crois que ce service rendu aux familles est constructif et qu'il conviendra de veiller à sa mise en place effective.

Nous saluons ensuite l'extension - conforme à la jurisprudence de la Cour de Cassation - du champ de la protection du seul patrimoine à la personne elle-même. Il s'agit de réaffirmer les droits de la personne protégée et de rechercher, autant que possible, son consentement.

S'agissant de cette reconnaissance de la responsabilité de la personne dans sa propre protection, une mesure nouvelle est emblématique : c'est la création du mandat de protection future. Le mandant peut l'établir pour lui-même, mais il était également attendu des parents d'enfants handicapés, que l'allongement de l'espérance de vie avec un handicap place devant la perspective angoissante de laisser derrière eux un enfant seul et vulnérable.

Les amendements que je vous présenterai, au nom de la commission des affaires sociales, ne remettent pas en cause les principes de ce mandat. Ils visent simplement à faire apparaître, les confusions étant encore fréquentes à ce sujet, que le mandat est bien un régime de procuration et non d'incapacité.

La commission des affaires sociales approuve aussi sans réserve la dernière orientation du texte, qui consiste à assurer une meilleure répartition des rôles entre protection juridique et protection sociale.

Des esprits plus ou moins bien intentionnés voudraient faire croire qu'il ne s'agit que de reporter sur les conseils généraux une charge financière que l'État n'arrive plus à juguler. En réalité, la motivation est tout autre : il s'agit de reconnaître que la vulnérabilité n'est pas nécessairement synonyme d'incapacité et que, parfois, elle appelle un accompagnement social plutôt qu'une protection juridique privant l'intéressé de ses droits civils.

Concrètement, le projet de loi met en place un dispositif gradué pour répondre aux difficultés de ceux qui, par leur incapacité à gérer leur budget, mettent en danger leur propre personne et/ou leur famille.

Cela est raisonnable, mais nous avons observé que, en l'état actuel du texte, l'accompagnement ne s'appliquait qu'aux seules prestations sociales. M. Henri de Richemont l'a dit tout à l'heure, ce point nous soucie et nous aimerions savoir si, dans un certain nombre de cas, le fait de rétablir la situation de l'intéressé n'exigerait pas de prendre en compte l'ensemble du budget familial, non pour gérer celui-ci, mais au moins pour conseiller la personne et lui apprendre, comme le font d'ailleurs souvent les conseillers en économie sociale et familiale, à gérer son budget.

De plus, avec la présentation qui est faite, on rend peut-être cette mesure discriminatoire, puisque ces personnes, que M. de Richemont appelle des « polissons », qui ne touchent aucune prestation, en sont d'emblée exclues. Je crois sincèrement qu'il nous faudrait franchir le pas et affirmer clairement l'extension du dispositif à l'ensemble des ressources des bénéficiaires, de manière que la mesure d'accompagnement social personnalisé, la MASP, soit la plus efficace possible.

M. Alain Vasselle. Très bien !

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis. Le projet de loi fixe également un cadre à l'exercice des mesures de protection par des professionnels extérieurs à la famille.

Notre commission approuve la réforme proposée, qui crée un véritable statut professionnel de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et encadre l'exercice de cette profession. Nous en attendons plus de cohérence et de transparence pour le système de protection juridique et la garantie d'une compétence reconnue des différents intervenants, notamment grâce aux listes départementales des opérateurs habilités à exercer.

Cela étant, pourquoi ne pas établir, parallèlement, une liste nationale des mandataires judiciaires interdits d'exercice, pour mieux contrôler le dispositif d'ensemble ? Monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre délégué, je vous demande d'être attentifs à ce problème de liste nationale, car il semble que certaines personnes interdites d'exercer aient la possibilité de proposer leur candidature dans d'autres départements.

J'en reviens à la liste sur laquelle trois types d'opérateurs pourront être inscrits : les gérants de tutelle privés, les associations tutélaires - qui auront désormais la qualité de services sociaux et médico-sociaux - et les préposés des établissements sanitaires et sociaux.

À mon sens, cette dernière catégorie soulève une grave interrogation. À plusieurs reprises, la commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux et les moyens de la prévenir ou, plus récemment, lors de l'examen de la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la commission des affaires sociales, particulièrement par la voix de notre collègue Paul Blanc, a eu l'occasion de souligner les risques de dérives liées à des mesures de protection juridique confiées à des salariés d'établissements médico-sociaux.

De cette situation il ressort un évident risque de conflits d'intérêt. Comment garantir en effet l'impartialité du mandataire dans la relation qu'entretient la personne protégée avec son établissement d'accueil si le préposé est à la fois juge et partie ? Cette question se pose avec plus d'acuité encore lorsqu'il s'agit de défendre les droits de la personne protégée en matière de participation financière aux frais d'hébergement ou de prise en charge médicale et sociale.

Le risque existe tout particulièrement dans le cas des adultes mentalement handicapés, que l'on a souvent la tentation d'assimiler aux personnes âgées dépendantes. Or leur situation est totalement différente. En général, ils arrivent jeunes en établissement médico-social ; ils ont alors, comme les autres jeunes de la planète, besoin de loisirs, d'activités stimulantes, notamment sportives, ils ont aussi, particulièrement les filles, envie de porter les vêtements à la mode, etc. Je ne pense pas que le préposé d'un établissement ait le temps de veiller à tout cela ! Un regard extérieur est indispensable à l'impartialité nécessaire au bien-être de la personne protégée. À moins qu'il y ait d'autres possibilités, il est important que la tutelle des adultes handicapés mentaux hébergés en établissement ne soit pas confiée à un membre de ce même établissement.

MM. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et Paul Blanc. Très bien !

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis. C'est surtout en pensant à ces derniers que la commission des affaires sociales a fait de la suppression de cette faculté accordée aux établissements médico-sociaux une question de principe, considérant que le souci de proximité, que l'on pourrait considérer comme légitime, ne doit pas conduire à un amalgame malencontreux.

Nous ne pouvons évidemment pas ignorer que 28 000 mesures sont aujourd'hui confiées aux préposés des établissements concernés. Pourtant, en la matière, nous ne pouvons pas raisonner seulement en termes de moyens ou de protection des intérêts de telle ou telle catégorie de tuteurs. La compétence de ces derniers n'est absolument pas en cause ; seul l'enjeu humain du rapport entre le mandant protégé et le mandataire est important.

C'est pourquoi, ferme sur le principe, mais consciente des contraintes matérielles, la commission des affaires sociales a estimé raisonnable de prévoir une période transitoire de cinq ans, afin de laisser le temps aux juges des tutelles de réaffecter l'ensemble de ces mesures à des mandataires indépendants de ces établissements.

Enfin, concernant le financement de la protection des majeurs, les évolutions proposées dans le projet de loi vont, semble-t-il, dans le bon sens.

Dans la mesure où le montant est calculé en fonction des ressources, la participation systématique des personnes protégées au financement des mesures de protection me paraît être équitable et équilibrée. Ainsi, les personnes bénéficiaires du minimum vieillesse ou de l'allocation aux adultes handicapés, AAH, en seront exonérées.

De même, nous nous félicitons que l'Assemblée nationale ait supprimé la possibilité de récupération des participations financières publiques sur la succession du majeur protégé lorsque celui-ci n'a pas eu les moyens de participer financièrement à sa protection.

S'agissant précisément des financements publics complémentaires, le passage du système du « mois mesure » au système éprouvé de la dotation globale est également une bonne chose. En effet, cela devrait permettre de rompre avec la spirale inflationniste actuelle et de produire des économies pour les collectivités publiques. Le fait que le financement de ces dotations sera partagé entre l'État, les départements et les organismes de sécurité sociale, selon une clé de répartition qui avantagera visiblement les départements, est une juste compensation du coût probable qui devrait résulter, pour ces derniers, de la mise en place de la mesure d'accompagnement social personnalisé.

Vous l'avez compris, ce texte nous donne globalement satisfaction. Incontestablement, le dispositif actuel de protection juridique des majeurs, vieux de quarante ans, devait être adapté et modernisé. C'est ce à quoi tend ce projet de loi. Il convient maintenant de lui donner les moyens de porter tous ses fruits. Il ne devra donc pas exclure un accroissement du nombre de juges des tutelles et un renforcement de leurs équipes, greffiers en chef et greffiers.

Il serait en effet illusoire de penser que la diminution attendue du nombre de majeurs protégés puisse conduire à faire l'économie de ces recrutements. Les tribunaux d'instance ont notoirement besoin d'être renforcés.

Sous le bénéfice de ces observations, sous réserve des amendements qu'elle présente, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur l'adoption de ce projet de loi, qui encadre, dans le respect de la dignité des personnes les plus faibles ou en difficulté sociale, la meilleure protection que la société se doit de leur apporter. La personne à protéger doit être au coeur de ces débats. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 48 minutes ;

Groupe socialiste, 31 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui, en cette fin de session parlementaire, le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs.

Cette réforme était attendue depuis une décennie, voire davantage. Le système actuel est régi par la loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, dont les dispositions ont été insérées dans le code civil, et par la loi du 18 octobre 1966 relative à la tutelle aux prestations sociales, dont les dispositions ont été insérées dans le code de la sécurité sociale.

Ce système, prévu au départ pour quelques milliers de personnes incapables de gérer leurs biens, est maintenant au bord de l'implosion.

Quelque 700 000 personnes sont aujourd'hui concernées par la tutelle, auxquelles il faut ajouter près de 60 000 personnes bénéficiant d'une tutelle aux prestations sociales. Elles seront environ 1 million en 2010. Sont en cause l'allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population, mais également la maladie d'Alzheimer, dont on recense près de 200 000 nouveaux cas chaque année.

Un autre facteur, et non des moindres, est à prendre en compte dans cette augmentation des mesures de tutelle. La montée de la précarité et de l'exclusion a eu pour effet que des mesures de tutelles ont été prononcées à l'encontre de personnes ne présentant aucun trouble mental ni aucun handicap, mais « seulement », si je puis dire, victimes d'exclusion et dont le traitement des difficultés devrait relever de l'aide sociale.

Nous observons donc, depuis une dizaine d'années, une augmentation exponentielle des mesures de tutelle, jusqu'à un dévoiement de celles-ci. De nombreux abus ont été commis à l'encontre des personnes en situation d'exclusion.

Ces abus ont pu être commis notamment parce que le nombre de juges des tutelles est insuffisant. Pour régler ces situations souvent délicates, toujours difficiles, seuls 80 juges des tutelles et leurs greffiers sont en mesure de se prononcer sur les mesures de protection. L'insuffisance de contrôle des mesures engendre inévitablement des dérives.

En 1996, le Médiateur de la République préconisait une « réforme humanisée » du dispositif juridique en vigueur et, en 1998, un rapport de l'inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, de l'inspection générale des finances, l'IGF, et de l'inspection générale des services judiciaires, l'IGSJ, mettait l'accent sur les nombreux dysfonctionnements en matière de protection des majeurs en France.

Le contrôle des tutelles ne doit pas se limiter au simple enregistrement des dossiers. Des comportements frauduleux ont été constatés, mais aussi des cas de maltraitance aux dépens de personnes particulièrement fragiles.

L'objectif, aujourd'hui, doit être de favoriser autant que possible l'autonomie de la personne protégée. La liberté individuelle est réduite à sa plus simple expression dans le cas de la tutelle. La personne perd tous ses droits. La tutelle est un dispositif particulièrement contraignant et attentatoire aux droits de la personne. Dès que la personne est protégée, tout relève de son tuteur et son autonomie est tout simplement inexistante.

Le projet de loi vise à redonner toute leur effectivité aux principes fondateurs de la loi du 3 janvier 1968 : la nécessité, la subsidiarité et la proportionnalité des mesures de protection. Il était urgent, en effet, de réaffirmer que les incapacités ne peuvent avoir qu'un caractère exceptionnel et que seules doivent être prises les mesures d'encadrement strictement nécessaires eu égard à la situation. Il s'agit de restreindre la liberté individuelle dans le cadre de ce qui est strictement nécessaire à la protection de la personne.

Placer la personne au coeur du dispositif, notamment par une meilleure prise en compte de ses intérêts, passe par la recherche de son adhésion au régime de protection qui lui est appliqué, par l'individualisation de la mesure en fonction de son degré d'incapacité ou de capacité et, enfin, par la nécessité de respecter sa volonté chaque fois que cela est possible.

Le projet de loi recentre les tutelles sur les seules personnes dont les facultés mentales sont réellement altérées. Pour les autres, une mesure d'accompagnement social personnalisé est créée en amont. La mise sous tutelle pour cause de prodigalité, d'intempérance ou d'oisiveté est enfin supprimée - ce que je ne peux qu'approuver.

Le projet de loi organise donc une meilleure lisibilité des mesures de protection tout en prévoyant une meilleure identification des rôles respectifs de la famille, des professionnels et des associations en charge de la gestion des tutelles.

Il scinde ainsi la protection juridique en deux domaines distincts : d'une part, les tutelles et curatelles, sous la responsabilité du juge, d'autre part, la mesure d'accompagnement social personnalisé, sous l'égide du département.

Le régime des tutelles et des curatelles est simplifié en même temps qu'est garanti le respect des droits fondamentaux de la personne protégée.

L'évaluation de la situation de la personne vulnérable sera systématique : une mesure de protection juridique ne pourra être ouverte que lorsqu'une personne se trouvera dans l'impossibilité de veiller seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles, altération de nature à empêcher l'expression de sa volonté.

Cette altération doit être constatée par un médecin spécialiste inscrit sur une liste établie chaque année par le procureur de la République. L'absence de certificat médical circonstancié rend irrecevable la demande d'ouverture de la mesure de protection.

Sur ce point, je tiens à préciser que le coût de ce certificat médical est particulièrement élevé puisqu'il avoisine 200 euros. Il serait donc regrettable qu'un tel coût représente un obstacle à l'ouverture d'une mesure de protection pour des personnes qui en ont pourtant besoin. Nous souhaitons par conséquent que les frais d'établissement de ce certificat médical puissent être pris en charge au titre de l'aide juridictionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi organise la procédure judiciaire préalable au prononcé de la mesure de protection.

D'une part, il supprime la possibilité offerte au juge des tutelles de se saisir d'office, possibilité qui est non seulement contraire à la convention européenne des droits de l'homme, mais qui traduisait aussi un certain abandon des familles.

D'autre part, il fait obligation au juge d'entendre systématiquement la personne qui va faire l'objet d'une mesure de protection. Aujourd'hui, seulement une personne sur trois est auditionnée. En raison de l'encombrement de leur cabinet, les juges préfèrent souvent faire envoyer un questionnaire pour obtenir certains renseignements. De telles pratiques étaient bien évidemment insatisfaisantes, notamment du point de vue du respect des droits de la personne, l'intéressé risquant de voir prononcer à son encontre une mesure de protection totalement incapacitante.

Avec la présente réforme, l'audition est une formalité substantielle qui ne peut être écartée qu'en cas de contre-indication médicale. Cependant, l'une des contre-indications prévues par le texte semble poser problème. Il s'agit de celle qui permet au juge de ne pas entendre une personne si l'état de celle-ci ne lui permet pas de comprendre la portée de son audition - nous avons eu ce matin une discussion à ce sujet en commission des lois. Le risque existe qu'avec une telle formulation, le juge n'auditionne jamais les personnes handicapées mentales.

Néanmoins, malgré ces quelques remarques, force est de constater que cette réforme de la procédure de protection juridique permet un plus grand respect des libertés individuelles. Le fait que la tutelle à vie disparaisse constitue de ce point de vue une véritable avancée. Le juge devra réexaminer le dossier de protection juridique tous les cinq ans. Cette périodicité est un excellent moyen de vérifier l'opportunité d'une mesure de protection et de dresser un bilan de l'action exercée.

Dans ce même esprit, et grâce à nos collègues députés, le juge devra consulter la personne chargée de la mesure de protection avant d'y mettre fin, de la modifier ou de lui substituer une autre mesure.

Je tiens à saluer également l'introduction dans notre droit du mandat de protection future, qui permettra à chacun d'organiser son propre avenir en prévision d'une maladie incapacitante ou du vieillissement, ou d'anticiper sur le devenir d'un enfant handicapé.

Ce nouveau dispositif, qui est l'un des axes majeurs de cette réforme, devrait permettre à toute personne, alors qu'elle est en possession de ses moyens, de désigner un mandataire pour agir en son nom et pour son compte dans le cas où elle deviendrait inapte.

Il pourra également s'agir des parents d'un enfant handicapé qui désigneront la personne qui s'en occupera quand ils ne seront plus eux-mêmes en capacité de le faire ou après leur décès.

Ce dispositif permet ainsi, quel que soit le cas de figure, d'éviter l'ouverture d'une mesure judiciaire de protection.

Ce mandat de protection future peut être donné par acte notarié ou sous seing privé : nous souhaitons cependant que toutes les garanties soient apportées si l'option de l'acte sous seing privé est retenue.

Il faut néanmoins se féliciter de l'adoption d'un tel mandat, attendu depuis très longtemps par les familles.

Le projet de loi renforce la place de la famille dans le dispositif de protection juridique. Aujourd'hui, la famille a parfois du mal à assumer son rôle dans ce dispositif : les multiples configurations familiales et l'éclatement géographique ne favorisent pas le volontariat familial pour ce type de responsabilité. Les tuteurs familiaux ne disposent pas, le plus souvent, d'aide véritablement organisée. Il est donc primordial que ceux-ci puissent bénéficier d'un soutien organisé pour leur permettre de bénéficier de conseils, d'informations et pour que soient facilités les échanges.

De même, les professionnels des associations tutélaires doivent se voir reconnaître un véritable statut avec des mesures de qualification et de formation. Nous souhaitons par conséquent compléter le projet de loi, qui ne prévoit pas de réel diplôme, et permettre ainsi une homogénéisation des pratiques professionnelles.

J'en viens maintenant à la mesure d'accompagnement social personnalisé. Si nous nous félicitons de la séparation effectuée par le projet de loi entre les mesures de protection juridique et les mesures d'accompagnement social, nous ne pouvons que regretter l'absence de financement de ces dernières.

Le texte s'inscrit tout naturellement dans la logique des compétences sociales des départements. Mais la mesure d'accompagnement social vient s'ajouter à des transferts de compétences récents, tels l'APA et le RMI, pour lesquels les compensations financières sont loin d'être suffisantes. Vous comprendrez par conséquent notre scepticisme lorsque le Gouvernement nous assure que cette nouvelle charge sera intégralement compensée pour les départements, charge évaluée par le Conseil économique et social à quelque 33 millions d'euros.

En conclusion, nous approuvons l'esprit de ce projet de loi qui vise à redonner une dimension humaine à la protection juridique des majeurs. Le respect de la dignité de la personne et l'encadrement plus strict du placement sous protection juridique emportent bien évidemment notre adhésion. Destiné à mieux protéger les majeurs vulnérables, en nombre croissant du fait du vieillissement de la population, et à mettre fin à de nombreux abus, ce texte est certes positif. Néanmoins, il ne peut susciter une approbation pleine et entière de notre part compte tenu des problèmes de financement que soulève ce nouveau transfert de charges aux départements et du nécessaire recrutement de juges des tutelles et de greffiers pour une totale application des nouveaux dispositifs.

Il est donc fort probable que le groupe communiste, républicain et citoyen s'abstiendra sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réforme de la loi du 3 janvier 1968 instituant le régime des tutelles et curatelles nécessitait de toute évidence une réforme du fait des dysfonctionnements, voire des dérives évoqués au fil des années dans de nombreux rapports, sans compter un certain nombre d'affaires ayant eu des retentissements médiatiques non négligeables.

L'évolution de la situation actuelle des majeurs vulnérables ne peut que nous amener aux constatations que nous faisons tous aujourd'hui.

Un juge des tutelles en équivalent temps plein gère en moyenne plus de 8 750 personnes concernées par l'une des mesures de protection. Les gérants des tutelles n'ont ni statut ni rémunération clairement établis. Les tribunaux sont assaillis, les psychiatres, les gérontologues trop peu nombreux, et les magistrats, en nombre insuffisant, monsieur le garde des sceaux, ne sont pas en mesure de contrôler réellement la gestion des comptes.

Messieurs les ministres, mon intention n'est pas de reprendre devant vous les arguments juridiques qui vous seront présentés par les orateurs de la commission de lois, mais d'aborder plutôt la question du cadre médico-social, à l'égard duquel les départements expriment un certain nombre d'inquiétudes.

Notre interrogation se cristallise autour du financement, sans lequel les personnels nécessaires à la délégation des compétences tutélaires aux départements ne pourront pas être déployés.

En effet, aujourd'hui, le département constitue légitimement l'échelon de gestion de l'aide sociale et de l'accompagnement aux personnes. Nous ne pouvons donc qu'approuver l'orientation essentielle du texte, qui consiste à distinguer les mesures d'accompagnement social, d'un côté, et les règles de protection juridique, de l'autre.

Mais soyons lucides. Les missions qui ont été dévolues aux conseils généraux au titre de l'APA ou du RMI sont de nature assez distincte de celles qui résulteront du présent texte. Les personnels chargés de cette nouvelle mission devront détenir une qualification spécifique - je dirai même une double compétence -, c'est-à-dire disposer d'une approche à la fois sociale et comptable. Ce n'est pas le profil de nos personnels travailleurs sociaux qui vont être destinés à la gestion de la mesure d'accompagnement social personnalisé, ou MASP.

Il faudra donc à la fois recruter et former afin de se donner les moyens de réussir cette action. Ce sera long et coûteux.

Le Gouvernement nous assure que cette nouvelle charge pesant sur les départements sera intégralement compensée. Il va même plus loin, en nous promettant de faire gagner de l'argent ! Est-ce du cynisme ou, à cette époque particulière, une promesse électorale ?

Malheureusement, ces déclarations déjà éprouvées dans le passé, notamment en matière de RMI, nous laissent sceptiques. Puisque la réforme se fonde sur le transfert aux départements du suivi de dizaines de milliers de personnes, il apparaît peu acceptable que le Gouvernement décentralise cette compétence sans une prise en compte plus précise des conséquences financières engendrées, « à l'euro près », selon l'expression consacrée.

Le coût des mesures de tutelle et de curatelle est évalué à environ 400 millions d'euros par an aujourd'hui et atteindrait 600 millions d'euros dans cinq ans. Nous le savons tous, la solidarité a un coût. Elle requiert des investissements lourds, chaque personne protégée nécessitant, comme je l'ai dit, un suivi comptable et une aide psychologique et sociale. L'attractivité des nouveaux métiers d'aide à la personne, le maintien des structures sur l'ensemble du territoire imposent des lignes budgétaires pérennes.

On peut naturellement s'interroger sur le chiffre de 35 millions d'euros par an que vous aviez annoncé, monsieur le ministre délégué, devant le Congrès des notaires, le 24 mai 2006. Cette somme nous paraît minorée et est largement contestée par l'Assemblée des départements de France.

Ma dernière interrogation concerne l'avenir de ce projet de loi.

En effet, la population visée par les mesures de protection apparaît hétérogène. Certes, nous savons que le nombre de ceux qui la compose s'accroît très fortement et que, si ces mesures concernent aujourd'hui 600 000 personnes, le chiffre de 1 million en 2010 est régulièrement pronostiqué. Mais, en réalité, sur les conséquences de la réforme, notamment sur le nombre de personnes qui relèveront désormais de la mesure d'accompagnement social, les estimations varient, selon les interlocuteurs, et parfois dans de très fortes proportions.

C'est l'un des problèmes auxquels se heurte la réforme : nous ne connaissons pas exactement le nombre de personnes concernées. Certaines associations parlent d'une centaine de milliers de dossiers qui, de facto, se retrouveront sous la responsabilité du conseil général et ne relèveront plus d'un dispositif de protection juridique.

Voilà qui pose une sérieuse difficulté quant à l'objectivité ou à la réalité des estimations financières que vous nous présentez.

Il était temps, messieurs les ministres, de réactualiser ce dispositif de protection juridique et de lui donner une dimension sociale différente de celle qui est héritée du XIXe siècle. En ce sens, la démarche nous paraît parfaitement justifiée.

Cependant, il ne suffit pas de vouloir faire évoluer les choses et de passer le témoin en se réfugiant dans l'esprit de la décentralisation. Encore faut-il que cette volonté de réussite se matérialise à travers des financements aujourd'hui justifiés à deux niveaux : ceux des besoins de la justice, notamment pour la tutelle - ils sont actuellement insuffisants -, et ceux de l'application sociale sur le terrain.

Faute d'une certitude, nous nous abstiendrons lors du vote sur ce texte.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est très attendu : le dispositif actuel date de 1968 et, depuis plus de dix ans, de nombreux rapports ont démontré la nécessité de réformer la protection juridique des majeurs, qui s'écarte malheureusement de plus en plus de sa finalité initiale.

Si je regrette que ce projet de loi soit inscrit à l'ordre de jour si tardivement, d'où la déclaration d'urgence, je félicite toutefois les rapporteurs de la commission des lois et de la commission des affaires sociales de ne pas avoir cédé aux sirènes du vote conforme et de nous proposer tous deux un travail de fond sur ce texte, même si leurs vues divergent parfois.

C'est une réforme attendue. Aujourd'hui, en excluant les tutelles aux prestations sociales, 1 % de la population française se trouve sous un régime de protection juridique ; le coût total du dispositif est estimé à 450 millions d'euros et le nombre de mesures prononcées croît de façon régulière du fait du vieillissement de la population française et d'une interprétation trop large de la loi existante.

Nous ne pouvons qu'approuver les objectifs principaux qui sont visés par ce projet de loi : limiter la mise en oeuvre de la protection juridique aux personnes qui en ont réellement besoin, placer la personne protégée au centre du régime de protection et réorganiser les conditions d'activités des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille.

Je souhaiterais dire un mot sur deux mesures prévues dans le projet de loi : le régime d'accompagnement social spécifique et le mandat de protection future.

Afin d'accompagner les personnes en situation de détresse sociale, vous proposez, messieurs les ministres, de distinguer l'accompagnement social de l'altération éventuelle des facultés mentales de l'intéressé. L'instauration d'un dispositif d'intervention gradué, dans lequel le juge des tutelles ne serait saisi qu'en cas de recours ultime, va dans le bon sens. Le principe de subsidiarité doit s'appliquer chaque fois qu'il est possible et la mise en place d'un régime d'accompagnement social spécifique, au sein du système de protection des majeurs, permettra de mettre en oeuvre un dispositif de gestion budgétaire de la personne en détresse sociale sans entraîner pour autant son incapacité juridique.

Reste à cadrer très sérieusement, d'un point de vue financier, ce nouvel accompagnement social en pleine concertation avec les conseils généraux. Ce dispositif ne doit en effet se traduire ni par un désengagement de l'État envers les personnes en détresse sociale ni par un nouveau transfert de charges en direction des collectivités locales.

L'instauration du « mandat de protection future », qui permettra à chacun de désigner à l'avance un tiers chargé de veiller sur ses intérêts et sur sa personne pour le jour où l'âge ou la maladie nécessiteront sa protection, est également une bonne mesure. Il sera mis en oeuvre lorsque l'altération des facultés aura été constatée, sans nécessiter l'intervention du juge. Nous ne pouvons qu'approuver cette disposition.

De même, les parents ayant à charge un enfant handicapé pourront organiser sa protection juridique à l'avance pour le jour où ils ne seront plus capables de s'occuper de lui. C'est une mesure très attendue, qui soulagera les parents en leur permettant de prévoir la protection de leur enfant, de l'anticiper, et de désigner la ou les personnes de confiance chargées de l'assumer.

Rappelons toutefois que la solidarité nationale est essentielle et que les parents ne doivent pas se retrouver isolés après avoir opté pour cette mesure en faveur de leur enfant handicapé.

Étant rapporteur pour avis, au nom de la commission des lois, des crédits alloués aux services judiciaires et à l'accès au droit, je souhaite également intervenir sur deux points qui me tiennent particulièrement à coeur : la surcharge des greffes et le coût des certificats médicaux.

Monsieur le garde des sceaux, vous le savez, l'augmentation constante du nombre des dossiers de protection juridique des majeurs ne fait que souligner l'insuffisance des effectifs dans les tribunaux. Les juges des tutelles sont débordés, les dossiers prennent du retard, les comptes de gestion et les récapitulatifs des décisions prises par les tuteurs ne sont plus toujours examinés dans des conditions optimales. Cela favorise malheureusement les escroqueries de tuteurs mal intentionnés et empêche la révision nécessaire des dossiers. En cela, les nouvelles modalités de contrôle introduites, notamment par l'article 511 du code civil, vont dans le bon sens.

Mais ces mesures « d'allégement » ne doivent occulter ni le manque de moyens assignés à la mise en oeuvre de la protection juridique des majeurs ni l'engorgement des tribunaux.

Je sais également que la commission des affaires sociales, inquiète du coût de l'expertise pour les familles, propose que cette dépense afférente à une procédure en justice soit prise en charge dans le cadre de l'aide juridictionnelle.

Mme Bernadette Dupont, rapporteur pour avis. Non, par la sécurité sociale !

M. Yves Détraigne. Soit ! Ce coût est effectivement trop lourd pour les familles, mais je serais resté réservé sur cette possibilité de prise en charge dans le cadre de l'aide juridictionnelle et j'en aurais appelé à la sagesse de notre Haute Assemblée. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, nous avons longuement débattu de la question de l'aide juridictionnelle, dont le montant global a augmenté de 63 % entre 1998 et 2006.

Une large concertation a été engagée par M. le garde des sceaux sur le thème de l'accès au droit des plus démunis. Nous sommes satisfaits de cette volonté affichée.

Aussi, au moment où il nous faut réfléchir aux conditions d'admission à l'aide juridictionnelle, je crois qu'il n'aurait pas été opportun d'étendre encore son champ à de nouvelles missions d'assistance. Laissons la réflexion engagée conjointement avec les professionnels du droit, le ministère de la justice et le ministère de l'économie et des finances suivre son cours, avant de décider du mode de financement de cette mesure.

Je tiens à vous présenter quelques-uns des amendements que je défendrai au nom du groupe UC-UDF.

Nous proposons de prévoir une exception au principe de la nécessité du certificat médical avant de mettre en place une mesure de sauvegarde de justice, dans les situations très concrètes qui exigent une solution d'urgence, afin de ne pas laisser un majeur sans protection au moment où il en aurait le plus besoin.

Nous demandons également la création d'un diplôme d'État afin que soit reconnu le métier de mandataire à la protection juridique des majeurs. Cette proposition va dans le sens de la réorganisation des conditions d'activités des tuteurs et curateurs, telle qu'elle est souhaitée par le Gouvernement. Dans le même ordre d'idée, s'agissant des tuteurs familiaux, nous souhaitons qu'ils bénéficient non seulement d'une information sur les conditions d'exercice de leur mission, mais également de conseils.

Enfin, plusieurs de nos amendements prévoient une application immédiate de certaines dispositions, notamment sur les questions de la rémunération des mandataires et de la protection des comptes du majeur protégé. En effet, sur ces points, il nous paraît délicat d'attendre le 1er janvier 2009 pour mettre fin à certains abus dénoncés depuis de nombreuses années.

Tels sont, messieurs les ministres, les quelques points sur lesquels je souhaitais intervenir aujourd'hui. Le groupe UC-UDF aborde ce texte de façon positive et souhaite que les débats permettent d'améliorer encore une réforme importante. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est parce que, dans certaines situations, la liberté opprime que la loi, qui affranchit, est nécessaire.

C'est en vertu de ce principe que le législateur est intervenu, dès 1966, pour instituer la tutelle aux prestations sociales servies aux adultes et qu'il a défini et organisé, deux ans plus tard, les mesures de protection juridique que constituent la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle.

Sous l'empire de ce cadre légal, le nombre des personnes protégées est passé de 85 000 en 1975 à 700 000 aujourd'hui.

Si le nombre des mesures de protection a augmenté de la sorte, c'est en partie parce que le nombre des personnes ayant besoin que leurs biens et leur personne soient protégés a également progressé. Mais c'est aussi, et surtout, parce que les procédures ont été très souvent dévoyées.

Le dispositif en vigueur, initialement destiné à protéger les majeurs souffrant d'une altération de leurs facultés mentales, est trop souvent utilisé pour des personnes en grande difficulté sociale.

De ce point de vue, l'application du régime de protection des majeurs peut être rapprochée de celle des procédures de surendettement des personnes physiques prévues par le code de la consommation.

Le rapport de 1998 des trois inspections générales, respectivement des services judiciaires, des finances et des affaires sociales, mettait en lumière la qualification extensive de la prodigalité, qui permettait de justifier une cause de placement sur cinq.

De plus, le principe de la gradation des mesures n'est pas plus respecté que celui de la priorité familiale. On ne peut également que déplorer l'absence d'un statut uniforme pour l'ensemble des personnes exerçant des mesures de protection, personnes qui sont souvent des gérants de tutelle.

Enfin, les modes de financement se caractérisent par leur multiplicité et par leur inégalité, le tout pesant de plus en plus lourdement sur les finances publiques, en particulier au titre de la rémunération complémentaire.

À cet égard, la perspective d'un coût prévisionnel pour les financeurs publics de 650 millions d'euros en 2013, par rapport au coût actuel de 400 millions d'euros, ne peut laisser indifférent.

Dans ces conditions, il est indéniable que cette réforme était vivement souhaitable, les moyens engagés ne répondant plus aux objectifs initiaux.

Cette réforme s'imposait d'autant plus que les pays voisins, tels l'Allemagne et l'Italie, ont été à l'origine d'un mouvement ces dernières années ; ils ont fait prévaloir des principes et des modalités qui méritent largement d'être retenus, qu'il s'agisse de l'adaptation des mesures aux besoins des majeurs ou de la possibilité d'anticiper l'organisation de sa propre protection.

La réforme qui nous est aujourd'hui soumise fait l'objet d'un large consensus. Elle est en effet ambitieuse et pragmatique.

Elle trace une ligne de partage claire entre les mesures de protection juridique et les mesures d'accompagnement social ; elle réaffirme les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique ; elle replace la personne au centre des régimes ; elle met en place un régime d'accompagnement social spécifique ; elle renforce les acteurs de la protection et devrait améliorer les financements.

Ces orientations ayant été très bien détaillées par les rapporteurs, je concentrerai mon propos sur la protection de la personne et sur l'implication des départements, non sans avoir préalablement salué le remarquable travail accompli par le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, qui a placé notre assemblée à la pointe de ce combat.

La protection de la personne est au coeur de la réforme, et c'est essentiel.

Cette protection se manifeste aussi bien dans la définition des personnes autorisées à demander l'ouverture d'une mesure judiciaire de protection que dans le choix du protecteur.

Désormais, la communauté de vie et la cohabitation deviennent l'élément majeur permettant d'être requérant, donc partie à la procédure. La loi se met ainsi en conformité avec les moeurs, qui évoluent, et élargit la famille traditionnelle au partenaire du PACS ou au concubin.

Il sera également possible de désigner toute personne qui s'intéresse au majeur comme curateur, ou même comme tuteur, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Il s'agit là d'un très grand progrès. Pour gérer leurs affaires, de nombreuses personnes isolées et sans famille ont choisi l'enfant de leur ami de coeur, leur « filleul » sans lien de parenté, pour garder des liens affectifs souvent plus soutenus que ceux qui les rattachent à des neveux éloignés. Or, actuellement, cette personne si proche par choix ne peut être désignée comme tuteur, ce qui contraint de nommer un tuteur professionnel dans des circonstances où l'affection n'a pas besoin de liens familiaux.

Ce sera également un bon moyen de prévenir les abus de certains mandataires soucieux d'assurer leur enrichissement personnel grâce à la gestion des biens du majeur qui leur est confié.

Dans cet esprit, il me paraît également logique de lever toute immunité familiale afin que le principe de la charge familiale prioritaire, qui est toujours rappelé par la Cour de cassation, ne puisse pas donner prise à des malversations qui restent impunies.

Soucieux de sa conformité à la Convention européenne des droits de l'homme, le projet de loi supprime la possibilité offerte au juge des tutelles de se saisir d'office, ce qui constitue, à mes yeux, un progrès certain.

Je crois néanmoins qu'il serait nécessaire d'aller plus loin pour éviter que le placement sous protection judiciaire ne cause un grave préjudice au justiciable. À cet effet, il faudrait peut-être prendre le réflexe de faire usage de l'article 1261 du nouveau code de procédure civile afin de demander au bâtonnier de commettre un avocat d'office pour assister la personne à protéger dans tous les cas et pour la représenter dans l'hypothèse où son état de santé ne lui permet pas d'être entendue par le juge.

C'est pourquoi j'approuve sans réserve l'amendement de notre collègue Henri de Richemont tendant à modifier l'article 432 du code civil pour permettre au juge de s'opposer à la présence d'un accompagnateur qui ne serait pas avocat.

Enfin, messieurs les ministres, je ne peux conclure sans parler de l'implication des départements et de ses conséquences financières.

Tout à l'heure, l'un de nos collègues membre du groupe socialiste évoquait les conséquences financières de la décentralisation. En tant qu'élu d'un conseil général depuis un certain nombre d'années, je peux vous assurer que le problème n'est pas nouveau, quelles que soient les mesures de décentralisation adoptées. (M. Charles Gautier s'esclaffe.)

En l'occurrence, la situation n'est pas tout à fait identique. Les départements devront assumer la charge matérielle et financière de l'accompagnement social non judiciaire. Ils mettront en oeuvre la mesure d'accompagnement contractuelle, ce qui nécessitera la création d'un certain nombre de postes de travailleurs sociaux. Il importe donc de tout faire pour maîtriser, s'agissant des départements, le coût des mesures de protection, que ce soit au titre du dispositif social spécifique ou de l'accompagnement judiciaire.

L'impact financier global est estimé jusqu'en 2013. À ce moment-là, il faudra procéder à une évaluation complète de la réforme.

Cela étant, le projet de loi que vous nous présentez, messieurs les ministres, mérite d'être largement approuvé. Les membres du groupe UMP le voteront et forment le voeu qu'il soit adopté à l'unanimité par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il était temps ! Voilà maintenant dix ans que cette réforme était attendue. La déclaration d'urgence, qui n'est pas vraiment justifiée pour un sujet somme toute assez banal, permet au Gouvernement de faire « passer » cette réforme in extremis, alors que le Parlement va suspendre ses travaux en raison des prochaines échéances électorales.

Le sujet pourrait sembler peu important. Pourtant, il touche plus de 700 000 personnes aujourd'hui, comme l'ont rappelé certains orateurs. Et, si l'on se projette dans l'avenir, il est probable que, très rapidement, en tout cas avant l'année 2010, un million de personnes seront concernées.

La protection juridique des majeurs est donc un sujet important. En effet, elle concerne de nombreuses personnes. De surcroît, elle touche les plus fragiles de nos concitoyens. Il s'agit d'abord des malades, incapables de vivre seuls et aussi aujourd'hui, de plus en plus, des personnes se retrouvant dans un dénuement matériel et moral après avoir connu des difficultés d'ordre social.

Le système existant, qui était satisfaisant en 1968, lors de sa création, avait cessé de l'être pour les malades en raison, notamment, de l'allongement de la durée de la vie ; il devait donc être amélioré.

Le système actuel est aussi tout à fait insatisfaisant pour les personnes présentant plus de difficultés sociales que mentales. Il était donc urgent de trouver un système plus adapté pour nos compatriotes en situation de grande exclusion.

Le projet de loi dont nous commençons la discussion aujourd'hui modernise donc les régimes existants de protection juridique des majeurs. Il recentre tout d'abord les tutelles sur les seules personnes atteintes d'une altération mentale. Il renvoie les cas d'exclusion sociale au département, par transfert de compétence, et prévoit un accompagnement social personnalisé ainsi qu'une mesure d'assistance judiciaire.

Ensuite, ce projet de loi privilégie la tutelle familiale et limite au strict nécessaire la mise sous protection judiciaire. Il professionnalise et moralise le secteur des mandataires privés, notamment avec la constitution d'une liste d'agrément.

Enfin, il crée un « mandat de protection future » qui permettra à toute personne de désigner un mandataire pour le jour éventuel où elle ne sera plus autonome, par exemple si elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Ce mandat pourra aussi être utilisé par les parents d'enfants handicapés, ce qui répondra à l'angoisse profonde de ces familles.

À l'Assemblée nationale, la discussion s'est déroulée dans un relatif consensus, comme l'indique le rapport de la commission. Consensus, parce que ce texte est très attendu par les familles et par les professionnels du secteur depuis plus de dix ans, comme je l'ai déjà mentionné. Il est donc question de construire un système efficace et de répondre aux besoins. Mais ce consensus est tout de même relatif puisque plus de 400 amendements ont été déposés sur ce projet de loi lors de son examen au Palais-Bourbon, et que nombre d'entre eux ont été adoptés contre l'avis du Gouvernement. De plus, il reste de nombreux points sur lesquels nous souhaiterions avoir plus d'informations, de garanties ou d'avancées.

Je me félicite, à cette occasion, des progrès qu'ont réussi à obtenir nos amis députés. Gageons que le Sénat ne sera pas en reste.

En effet, messieurs les ministres, nous déterminerons notre position finale en fonction des réponses que vous nous apporterez, notamment sur le délicat problème des transferts de compétences vers les départements. (Sourires sur le banc des commissions) Je constate une certaine réaction. Chacun comprend aisément que ce point mérite clarification.

À ce jour, aucune évaluation de l'impact de la réforme n'a été transmise aux départements et le texte ne mentionne aucune éventuelle compensation financière pour financer ces charges supplémentaires, malgré certains propos tenus tout à l'heure.

L'Assemblée des départements de France est d'ailleurs très réservée à l'égard de ce texte, en raison non pas des mesures de fond, mais de l'absence de toute garantie de financement des dispositions qu'il contient. D'autant que l'on ignore, je le répète, le nombre de personnes qui seront finalement concernées par ces nouvelles mesures.

Certaines réponses qui nous ont été apportées en commission des lois étaient particulièrement singulières. En effet, on nous a assuré que ces mesures ne coûteraient rien, et cette affirmation a d'ailleurs été répétée tout à l'heure. Mais comme cela n'a pas suffi, on nous a aussi indiqué que, de surcroît, ces dispositions feraient gagner de l'argent. Telle est la trouvaille ! Malheureusement, aucun chiffre n'est venu étayer cette affirmation, qui n'était, par conséquent, pas convaincante. Je constate d'ailleurs que personne ne semble convaincu sur les différentes travées de notre assemblée. Aussi sommes-nous relativement inquiets quant à l'impact de ces mesures sur les finances départementales. Mon collègue Bernard Cazeau en a fait la magistrale démonstration tout à l'heure et nous serons attentifs aux réponses que vous ne manquerez pas de nous apporter, messieurs les ministres.

Notre position sur ce texte dépendra donc, en grande partie, de ces réponses.

Nous devons également nous attarder sur un deuxième point, qui doit être éclairé.

En effet, le texte tend à mettre en place un système permettant à un adulte d'organiser et de prévoir le moment où il aura besoin d'une protection juridique. Il s'agit du mandat de protection future.

C'est une excellente initiative. Cette disposition peut permettre d'éviter d'éventuels conflits au sein des familles et constitue un droit nouveau tout à fait utile à l'évolution de notre société. Grâce à elle, les personnes âgées, qui sont de plus en plus nombreuses, pourront organiser leur avenir en cas de dépendance. On sait qu'aujourd'hui les familles sont bien souvent démunies face à leurs parents et grands-parents en situation de dépendance, alors qu'elles ont elles-mêmes des enfants à charge et que leur situation financière n'est pas toujours très stable.

De plus, le fait d'avoir étendu cette mesure aux parents d'enfants handicapés permet de rassurer ces parents sur la situation de leur enfant lorsqu'ils seront décédés.

Pour le moment, cette disposition peut prendre la forme d'un acte sous seing privé.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas toujours !

M. Charles Gautier. Le débat permettra de déterminer si nous devons, ou non, améliorer cette nouvelle disposition : il me semble que l'acte authentique assurerait une plus grande transparence et éviterait ainsi d'éventuels conflits au sein des familles. Il serait donc pertinent de favoriser cette formule. Nous en reparlerons lors de l'examen des amendements.

Il est un dernier point sur lequel je tiens à attirer votre attention, messieurs les ministres : les amendements déposés par le Gouvernement à la dernière minute, qui sont, comme souvent, de purs cavaliers législatifs. Il s'agit des amendements nos 272, 307, 308 et 309, qui justifieraient à eux seuls un recours devant le Conseil constitutionnel. Dois-je vous rappeler les dispositions relatives à l'hospitalisation d'office - elles ont connu d'ailleurs de nouvelles péripéties hier - qui ont valu au Gouvernement une censure dans la loi ratifiant l'ordonnance relative à certaines professions de santé ? Il serait bon d'en finir avec de telles pratiques. À cet égard, un véritable consensus se dessine, cette fois, sur toutes les travées de notre assemblée.

Messieurs les ministres, vous avez là nos arguments, tout est maintenant entre vos mains pour que nous réussissions, dans un relatif consensus, à contenter et les familles et les professionnels confrontés aux personnes majeures dépendantes.

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les dérives de la tutelle ne datent pas d'hier. Charles Baudelaire lui-même en fut la victime.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Bravo !

M. Nicolas About. Héritier de son père, menant une vie de dandy invétéré, il fut, jeune homme, mis sous tutelle judiciaire à la demande de sa mère et de son beau-père, qui craignaient certainement de le voir dilapider toute sa fortune.

Il y restera toute sa vie et n'aura de cesse de dénoncer la privation des droits à laquelle cette mesure le condamnait. L'auteur des Fleurs du Mal restera brisé par cette « mort civique ».

M. Philippe Bas, ministre délégué. Très bien !

M. Nicolas About. Au-delà de l'anecdote littéraire, cet exemple illustre à quel point une mesure de tutelle crée, chez les personnes qui en sont l'objet, une souffrance morale et sociale que l'on n'imagine pas.

Outre le fait que l'on confie à un tiers la gestion de ses biens, la personne placée sous tutelle se voit privée de la plupart de ses droits : celui de se marier, de divorcer ou de conclure un PACS, de choisir ses fréquentations si celles-ci affectent son état, de décider de subir une opération chirurgicale ou tout simplement de recevoir des soins dentaires, d'exercer son droit de vote, d'ouvrir un compte bancaire, de conclure ou de résilier un bail, de vendre ses meubles, d'agir en justice, de rédiger un testament ou de faire une donation.

La décision de mise sous tutelle, comme, d'ailleurs, celle de mise sous curatelle ou de sauvegarde de justice, est une décision grave, qui doit être prise par le juge avec retenue et prudence, car, au-delà de la protection du patrimoine, elle engage toute la vie d'une femme ou d'un homme.

Notre devoir de législateur est de veiller à ce que cette décision ultime ne vienne pas porter atteinte aux droits fondamentaux et à la dignité de la personne, d'autant que celle-ci est vulnérable.

C'est un bon projet de loi que nous propose aujourd'hui le Gouvernement, je le dis sans ambages, et je ne reviendrai pas sur les orientations de ce texte, car elles correspondent pleinement à celles que j'avais moi-même fixées, sans vouloir être exhaustif, dans ma proposition de loi.

Recentrer le régime des tutelles sur la protection de la personne et non plus seulement sur celle du patrimoine ? Oui ! J'écrivais même que « la protection patrimoniale ne devait être qu'une conséquence de celle de la personne et non un préalable ».

Donner la priorité à la famille et aux proches ? Oui, sauf si ceux-ci sont défaillants, le recours aux associations tutélaires, ou aux tuteurs privés, devant rester subsidiaire.

Enfin, est prévue la création d'un mandat de protection future permettant à chacun de nous de préparer l'avenir et de désigner par avance la personne de confiance qui sera chargée de nous représenter, en cas d'incapacité ou d'altération grave de nos facultés mentales.

À mon sens, ce dispositif doit être en priorité proposé aux parents ou aux proches d'un enfant handicapé devenu majeur, afin de soulager, autant que possible, l'angoisse qui, tout naturellement, taraude ces personnes lorsqu'elles songent à l'avenir de leur enfant après leur mort, ou si, par malheur, elles devaient elles-mêmes se trouver un jour dans l'incapacité de pouvoir assumer cette responsabilité.

Je vous remercie, messieurs les ministres, d'en avoir compris toute la portée. J'adresse aussi mes remerciements à M. le rapporteur et à Mme le rapporteur pour avis, je salue l'excellence du travail que tous deux, ainsi que les commissions, ont accompli, et je ne veux insister que sur les points qui me paraissent devoir encore être améliorés.

S'agissant du respect des droits de la personne, il me semble que, précisément pour respecter sa dignité et ses droits fondamentaux, cette attention première portée à la personne doit se manifester aussi à chaque étape de la procédure judiciaire de mise sous protection juridique.

Être informé, pouvoir être entendu par le juge - près d'un majeur protégé sur trois n'est pas entendu -, bénéficier d'un recours possible, être défendu sont autant de droits qui doivent se généraliser.

Une mesure de protection sera d'autant mieux vécue et acceptée par la personne à protéger que celle-ci sera davantage associée, dans la mesure du possible, aux décisions la concernant. Comme le texte du Gouvernement le prévoit fort bien, celle-ci doit pouvoir bénéficier, à intervalles courts et réguliers, du réexamen de la mesure par le juge et obtenir plus aisément, si les conditions médicales sont réunies, la révision de son dossier.

Je sais bien que beaucoup de ces mesures relèvent du nouveau code de procédure civile, et qu'il n'appartient pas au législateur d'intervenir dans ce domaine, qui relève pour l'essentiel du pouvoir réglementaire. Néanmoins, je souhaite que nos débats soient l'occasion pour les ministres de prendre l'engagement solennel, devant la représentation nationale, que ces questions seront traitées rapidement par décret.

Le principe de subsidiarité commande aussi de se tourner en priorité vers les familles. Ce sont en effet les familles qui sont les premières à être confrontées à la vulnérabilité de leur proche et ce sont elles qui, la plupart du temps, assument et organisent sa protection. Je rappelle que dans plus de 50 % des cas, c'est la famille qui reçoit la tutelle.

Le projet de loi tend à confirmer cette place prépondérante. Toutefois, il ne prend pas, corrélativement, la mesure de l'aide qu'il faut apporter aux tuteurs familiaux. On ne peut, d'un côté, prôner la professionnalisation des tuteurs extérieurs, renforcer les exigences en termes de formation, de qualification et d'expérience professionnelle des délégués à la tutelle et, de l'autre, négliger les familles, les laisser se débrouiller avec les règles de procédure et de contrôle, les droits et les obligations attachés à la charge tutélaire que le juge leur confie.

Je prône, pour ma part, un droit à l'information et à la formation minimum des familles, dès la procédure d'ouverture d'une tutelle.

Le contrôle ne saurait non plus être absent, car la présence de la famille ou d'un proche ne saurait écarter a priori les risques d'abus ou de dérives.

La maltraitance d'une personne handicapée ou âgée peut provenir, malheureusement, des membres de la famille eux-mêmes. En matière de tutelle, les escroqueries familiales sont plus difficilement sanctionnées pénalement, sauf à faire condamner le parent en tant que tuteur, mais il faut un dépôt de plainte. On voit la difficulté.

Je termine mon propos sur une proposition qui me tient particulièrement à coeur et dont nous avons déjà débattu ensemble lors de l'examen du projet de loi sur le handicap, monsieur Philippe Bas.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Oui !

M. Nicolas About. À l'époque, vous m'aviez demandé d'attendre le futur projet de loi sur les tutelles : nous y sommes ! Il s'agit de la question du droit de vote.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Ah !

M. Nicolas About. Selon les termes mêmes de la Constitution, le droit de vote est - faut-il le rappeler ? - universel. Or, vous le savez, mes chers collègues, 700 000 de nos concitoyens sont actuellement privés de leurs droits électoraux (M. le président de la commission des lois s'exclame), non pas parce qu'ils ont commis un crime ou un délit, non pas parce qu'ils sont des délinquants, mais parce qu'ils ont été placés sous tutelle. Et ce chiffre augmente de 10 % par an. Cette situation est absolument inédite en Europe : la France détient ce triste record.

Pourtant, revenons aux sources de la loi de 1968. Le critère de mise en oeuvre des régimes de tutelle, c'est l'incapacité du majeur à défendre ses intérêts patrimoniaux personnels. Or, exprimer un vote, c'est participer à la délibération collective, et cela n'a rien à voir avec la gestion des intérêts strictement personnels.

Le parallèle sur lequel repose la loi actuelle entre intérêts privés et vie collective est absolument vide de sens. Sur le plan démocratique, tout citoyen a le droit de participer à la désignation collective de ceux qui le représentent.

Y aurait-il danger, pour un adulte protégé, de voter ? Danger, peut-être, d'être trompé par des promesses abusives ou mensongères ?

M. Charles Gautier. C'est possible !

M. Nicolas About. Danger, peut-être, de n'être pas capable de chiffrer le programme des candidats ? (Sourires sur les travées de l'UMP.) Je n'arrive pas à le croire ! Tout autant que, malheureusement, beaucoup de Français, il peut à la fois se laisser berner par des promesses abusives et ne pas savoir chiffrer le programme des candidats. (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Alain Vasselle. C'est d'actualité !

M. Nicolas About. C'est pourquoi je défendrai un amendement « inversé », qui vise à rétablir le droit de vote des majeurs sous tutelle, comme dans la plupart des pays, faisant de cette privation de droits civiques non plus la règle, mais l'exception.

En effet, reprenant le principe de subsidiarité, il faut conserver au juge la possibilité d'interdire l'inscription d'un majeur protégé sur les listes électorales, mais uniquement en cas d'« incapacité absolue ». Dans ce cas précis, le majeur doit toutefois conserver le droit d'être représenté pour voter.

Aujourd'hui, la loi nous permet déjà de désigner une personne de confiance pour effectuer à notre place des choix thérapeutiques majeurs, lorsque nous serons hors d'état d'exprimer notre volonté : c'est la loi sur la fin de vie. Il sera également possible, si le présent texte est adopté, de choisir la personne qui nous représentera dans les actes de la vie civile, au cas où nous serions dans l'incapacité mentale de le faire : c'est le mandat de protection future. Pourquoi ne pourrions-nous pas, dans ces conditions, désigner à l'avance la personne chargée de nous représenter pour voter ?

Le droit de vote par procuration est prévu quand un électeur part en vacances. Être placé sous protection constitue-t-il une faute plus grave que de partir en vacances en période électorale ? Je pense le contraire.

Cette privation de droit est - disons-le - une véritable injure à l'égard d'une personne placée sous tutelle. Cette injustice légale, qui légitime une désocialisation, est contraire aux droits fondamentaux et se révèle, de plus, anti-thérapeutique. L'objectif de la loi doit être non pas de faire définitivement de la personne un « incapable », mais bien de l'aider à retrouver un jour ses capacités.

Je vous remercie par avance, mes chers collègues, de tenir compte de mes arguments lors de vos votes. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Il est difficile de s'exprimer après les brillants exposés de M. About, de Mme et M. les rapporteurs et de MM. les ministres.

Pour ma part, je n'apporterai qu'une modeste contribution à ce débat, pour tenter simplement d'obtenir un éclairage de la part du Gouvernement sur certains points du texte.

Au préalable, je voudrais dire combien j'ai été impressionné par la grande qualité des rapports de Mme Bernadette Dupont, au nom de la commission des affaires sociales, et de M. Henri de Richemont, au nom de la commission des lois. J'ai d'ailleurs pu admirer tout à l'heure dans leurs interventions la manière dont ils ont exposé, avec beaucoup de clarté et de pédagogie, les tenants et les aboutissants d'un texte tout de même très complexe.

Pour maîtriser un tel sujet, il faut en effet être un vrai initié. Mme Bernadette Dupont l'a rappelé, aujourd'hui, force est de reconnaître que nombre de tuteurs, l'un des parents la plupart du temps, au-delà du simple lien affectif ou du lien de proximité qui les unissent au mineur ou au majeur placé sous protection, n'ont pas la formation requise pour connaître toutes les arcanes de la justice et se familiariser avec la complexité du règlement et de la loi.

Il est heureux que nous puissions progresser sur ce sujet. M. About a insisté à juste titre sur l'intérêt et la nécessité de prévoir une formation juridique, économique et sociale pour les tuteurs, familiaux ou non, afin qu'ils puissent défendre au mieux les intérêts des majeurs ou des mineurs.

Je tiens, en écho aux derniers propos de M. About, à revenir sur le droit de vote. Ses remarques m'ont interpellé car c'est une question à laquelle je pense depuis longtemps. Je connais ainsi de très près la situation d'une jeune handicapée mentale, qui, pendant un temps, a pu voter.

M. Nicolas About. Eh oui ! Comme cela se fait dans tous les autres pays d'Europe !

M. Alain Vasselle. Or, le père a un jour fait spontanément la démarche auprès du tribunal pour demander sa mise sous tutelle, en vue, bien entendu, de préparer son avenir et de la protéger. Le fait d'avoir saisi le juge des tutelles a eu une conséquence immédiate : cette jeune fille a perdu son droit de vote !

M. Nicolas About. Eh voilà ! Il n'y a qu'en France que cela arrive !

M. Alain Vasselle. Cet exemple devrait tous nous interpeller. Toutes ces personnes ne devraient-elles pas avoir le pouvoir de s'exprimer lors des grandes consultations ? À mon avis, cela mérite que nous y réfléchissions.

Peut-être allons-nous nous heurter à des problèmes fondamentaux d'ordre juridique. N'étant pas juriste de formation, j'ai appris le droit lorsque je suis devenu parlementaire, en essayant de m'y familiariser au fil du temps. J'ai du reste encore beaucoup à apprendre non seulement du président de la commission des lois, qui est un orfèvre en la matière,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Merci, monsieur Vasselle !

M. Alain Vasselle. ...mais aussi de mes collègues. Je m'efforce donc d'apporter ma modeste contribution sur tous ces sujets, quitte à parfois recueillir les foudres du président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh !

M. Alain Vasselle. Mais je me réjouis que le Parlement fasse preuve de bon sens, en faisant parfois passer des amendements contre la volonté du président de la commission des lois, du rapporteur et du Gouvernement, tout simplement parce que leur adoption permet de répondre à des besoins précis.

Malgré tout, nous le savons bien, nous n'avons pas toujours le dernier mot, et la commission mixte paritaire sait remettre bon ordre à tout cela, n'est-il pas, monsieur Hyest ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous prenez d'utiles précautions, mon cher collègue !

M. Alain Vasselle. Au demeurant, ne l'oublions pas, lorsque nous nous exprimons ici, depuis ces travées, nous ne le faisons pas forcément toujours à titre personnel, au vu de l'expérience qui est la nôtre, mais nous nous faisons également l'écho de ce que nous entendons sur le terrain de la part de nos concitoyens. Il est de notre devoir d'agir ainsi et d'appeler l'attention de nos gouvernants sur ces différents points.

Cela étant dit, messieurs les ministres, je voudrais vous saluer et, à travers vous, l'ensemble du Gouvernement, qui a effectué un travail très important au cours des cinq dernières années.

Rappelez-vous, mes chers collègues, tous les textes qui ont été adoptés pendant cette période : loi relative à la modernisation sociale ; loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ; loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ; loi relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. En outre, le Parlement est en train d'examiner le projet de loi réformant la protection de l'enfance.

Ce sont autant de textes qui traduisent notre volonté d'agir pour renforcer les droits et la participation de nos concitoyens les plus vulnérables.

Le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, qui clôt cette législature, vient donc compléter cette longue liste. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car l'actuel dispositif de protection juridique des majeurs, totalement inadapté, dévié de son objectif initial et bien souvent injuste, nécessitait une profonde remise à plat. Nous y voilà !

Établir une ligne de partage claire entre ce qui relève de la protection juridique et ce qui dépend de la protection sociale, réaffirmer les principes fondamentaux de la protection, placer la personne vulnérable au centre de sa protection, rénover l'activité des tuteurs professionnels, confirmer le rôle primordial de la famille, tels sont les objectifs louables de ce texte.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, comme je le disais au début de mon propos, je voudrais simplement appeler votre attention sur quelques points.

Je commencerai ainsi par la famille.

Avec le renforcement du principe de priorité familiale, je constate que la famille est replacée au coeur de cette réforme. C'était indispensable, car, dans une société où les liens se délitent, où la solidarité familiale tend à se perdre, il était important de réaffirmer le rôle des proches.

De surcroît, nombre de familles souffraient de ne pas être davantage associées aux procédures judiciaires. Elles le seront désormais : la tutelle familiale sera encouragée, et je souhaite qu'elle puisse être accompagnée.

Monsieur le garde des sceaux, je me permets d'appeler plus particulièrement votre attention sur l'article 398 du code civil, lequel dispose que la tutelle des mineurs est toujours organisée avec un conseil de famille, même en présence d'un tuteur testamentaire. Une exception est néanmoins prévue, celle de la vacance de la tutelle. Or cet article se distingue des dispositions prévues pour les majeurs au nouvel article 456 du même code, qui ne prévoit pas de caractère systématique à la mise en place d'un conseil de famille.

La « systématicité » de l'existence de cet organe tutélaire est contestée par certains, qui y voient une source de lourdeurs et de conflits dans le cas des tutelles de mineurs disposant d'un faible patrimoine. Je considère, pour ma part, qu'elle se justifie pleinement, et ce même en cas de vacance de la charge tutélaire, c'est-à-dire l'impossibilité pour le juge de confier la tutelle à un des membres de la famille.

Le transfert de la charge tutélaire à la collectivité publique, c'est-à-dire le département, ne doit pas priver l'enfant d'un conseil de famille dans lequel peut siéger, outre les membres de sa famille, toute personne qui manifeste un intérêt pour lui. Ce peut être un voisin ou un ami, c'est en tout cas un proche dont le rôle peut s'avérer utile dans l'accompagnement et la protection du mineur.

Puisque de tels liens ne doivent pas, selon moi, être négligés, j'ai déposé deux amendements en ce sens, portant notamment sur l'article 411 du code civil. J'espère qu'ils retiendront votre attention.

Le deuxième point que je souhaitais aborder concerne les conditions d'ouverture de la mesure de protection judiciaire.

À cet égard, l'article 430 du code civil précise la liste des personnes pouvant saisir le juge d'une demande d'ouverture d'une mesure judiciaire de protection.

Sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'Assemblée nationale a permis à toute personne entretenant avec le majeur des liens étroits et stables de demander au juge des tutelles l'ouverture d'une mesure de protection, même lorsque cette personne ne réside pas avec le majeur. M. Guy Geoffroy a d'ailleurs indiqué que cette disposition permettrait, par exemple, « aux voisins d'une personne vivant dans des foyers-résidences de demander une mesure de protection en faveur de cette personne, ce qui peut être utile lorsque la personne en question n'est pas entourée par sa famille ». Soit !

Mais la requête est un acte fort, c'est une prérogative importante, loin d'être anodine. Aussi cette expression « liens étroits et stables » suscite-t-elle ici une interrogation de ma part. Existe-t-il en effet une définition juridique de cette notion ? Qu'entend-t-on exactement par « lien étroit et stable » ? Quels en sont les critères ? Que dit la jurisprudence sur ce point ? Il me serait donc agréable d'être éclairé sur cette notion de stabilité et de connaître la manière dont les juges interprètent le droit en la matière.

Le troisième point sur lequel je me suis interrogé porte sur l'accompagnement social des familles.

Destiné à venir en aide aux personnes en situation de détresse sociale, le système d'accompagnement mis en place constitue l'une des grandes avancées de cette réforme, et ce pour deux raisons. D'une part, parce qu'il permet d'établir une ligne de partage claire entre la protection juridique et la protection sociale. D'autre part, parce qu'il est la traduction concrète du principe de subsidiarité dans le prononcé des mesures.

Ainsi, toute personne majeure dont la santé ou la sécurité risque d'être compromise du fait de ses difficultés à assurer seule la gestion de ses ressources se verra aidée dans son parcours et dans la gestion de ses revenus. À chaque situation, la réponse la plus adaptée sera donc désormais fournie.

Le fait de diminuer ou de supprimer la capacité juridique pour des considérations essentiellement sociales relevait, il est vrai, d'un système dévié et injuste, et il était temps d'y remédier.

Toutefois, sur ce sujet, je me permets de formuler deux remarques plus précises.

Premièrement, s'agissant de l'aide à la gestion des ressources, je rejoins les observations faites par Mme le rapporteur pour avis. Je considère en effet que l'aide apportée par le conseil général dans la gestion des revenus ne doit pas se limiter aux seules prestations sociales.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah !

M. Alain Vasselle. Certes, le revenu du public concerné par ces mesures sera essentiellement composé des prestations sociales. Mais « essentiellement » ne signifie pas « totalement » : il faut donc tenir compte des éventuelles autres ressources. C'est dans l'intérêt du majeur, c'est dans l'intérêt de la famille.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Alain Vasselle. Bien sûr, le conseil général n'a pas vocation à gérer les ressources autres que sociales. Mais les revenus forment un tout, et c'est ce tout qui garantit la sécurité et la santé des individus.

Telles sont les motivations qui ont présidé au dépôt de mes amendements en la matière, dont l'objet rejoint d'ailleurs celui des amendements de la commission des affaires sociales.

Deuxièmement, dans certaines situations, le simple accompagnement social ne me paraît pas être suffisant. Si cette question n'est peut-être pas du ressort du présent texte, j'aimerais cependant avoir des éclaircissements afin d'apaiser mes inquiétudes.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi donc d'évoquer ces situations, car elles ne sont pas rares et ne sont pas sans poser de graves difficultés aux élus que nous sommes, en tout cas, à l'élu que je suis.

J'en fais en effet l'expérience dans ma commune, ou plutôt dans ma toute petite commune puisque celle-ci ne compte que 184 habitants.

M. Philippe Bas, ministre délégué. Je la connais !

M. Alain Vasselle. Toutefois, ce n'est pas dans les plus petites communes qu'il y a le moins de problèmes. Car nous y sommes très proches de nos concitoyens et nous y vivons les difficultés qu'ils rencontrent au quotidien.

Or il est des personnes dont la santé et la sécurité sont compromises du fait d'une difficulté à assurer la gestion de leurs ressources, mais cette difficulté n'est malheureusement pas toujours de leur fait.

En effet, il est des mineurs ou des majeurs qui, de par leur comportement, sont considérés comme des asociaux. M. le rapporteur de la commission des lois a d'ailleurs utilisé un terme quelque peu diplomatique en les qualifiant de « polissons ». Ces individus, tombés dans la délinquance, dévient les ressources de la famille à leur profit, pour financer des dépenses incompatibles avec les besoins fondamentaux de ladite famille.

Je pourrais vous citer des exemples concrets que je connais dans ma commune, sous couvert, bien sûr, de l'anonymat, car il est de mon devoir de protéger les noms de ces personnes.

Les maires confrontés à ces problèmes sont dans l'incapacité d'y apporter des réponses efficaces. Face à de telles situations, je considère que l'accompagnement social individuel ne suffit pas. L'accompagnement judiciaire me paraît ici nécessaire : le maire devrait ainsi pouvoir saisir le juge à cette fin.

Monsieur le garde des sceaux, j'aimerais avoir des éléments de réponse sur ce point. Y aura-t-il d'autres textes qui permettront de répondre à ces questions, et, si oui, dans quelle mesure ? Si tel était le cas, je serais rassuré ; en tout état de cause, j'ai besoin d'être informé.

J'évoquerai maintenant le financement du dispositif, lequel, d'après le texte, est partagé entre l'État, les conseils généraux et la sécurité sociale. Du reste, monsieur Philippe Bas, vous ne vous étonnerez pas que je m'intéresse à la charge qui risque d'échoir à la sécurité sociale pour des dépenses qui se rapprochent des dépenses à caractère social.

Pourriez-vous donc m'indiquer la clé de répartition entre les trois « financeurs » prévus ? Quel sera le montant exact des recettes transférées à la sécurité sociale pour financer ce dispositif ? Si, jusqu'à présent, vous avez surtout entendu des présidents de conseil général s'inquiéter de la charge qui retombera sur les départements, permettez-moi de m'inquiéter de celle qui en résultera pour la sécurité sociale !

M. Nicolas About. Très bien !

M. Alain Vasselle. Pour finir, je souhaiterais simplement être rassuré sur deux points, qui sont à tort considérés comme des points de détail.

Il s'agit, d'abord, de l'indemnisation des personnes physiques chargées de mesures de protection, même lorsqu'elles ont un lien familial très proche avec le protégé.

Il s'agit, ensuite, de la nature des ressources prises en compte pour le calcul des frais de gestion des mesures de protection. J'aimerais avoir la confirmation que l'APL, l'aide personnalisée au logement, en est bien exclue.

Monsieur le ministre, vous connaissez bien le sujet, et sûrement aussi M. le garde des sceaux, puisqu'il a été député. Nous le savons tous, lorsque le gouvernement précédent a créé la CMUC, la couverture maladie universelle complémentaire, il a prévu un plafond de ressources.

À l'époque, nous autres, nous nous étions inquiétés d'un tel plafond, car il excluait du bénéfice de la CMUC tous ceux qui bénéficiaient des minima sociaux, le minimum vieillesse et l'AAH, l'allocation aux adultes handicapés.

M. Nicolas About. C'est fait exprès !

M. Alain Vasselle. Eu égard aux demandes, il y a eu une revalorisation au fil du temps, à la fois des différents plafonds et des ressources.

Prenons le cas d'un jeune handicapé hébergé dans une structure d'accueil et bénéficiant de l'APL pour son logement. Tenez-vous bien : l'APL entre dans le calcul de ses ressources pour l'accès au bénéfice de la CMUC ! C'est scandaleux et inadmissible !

Par conséquent, je ne voudrais pas qu'il en soit également ainsi pour ce qui concerne la participation financière aux frais de gestion de la tutelle. J'ai donc besoin d'être rassuré sur ce point.

Messieurs les ministres, sous le bénéfice des amendements que vous accepterez, qu'ils émanent de notre initiative, de celle de la commission des lois ou de celle de la commission des affaires sociales, le groupe UMP, et je rejoins ainsi la position exprimée par notre collègue Alain Fouché, vous apportera son soutien et votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais répondre, en quelques mots, sur certains points que vous avez soulevés, tout en m'excusant, par avance, de ne pas être exhaustif. Mais il est bien entendu que, lors de la discussion des articles, tant Philippe Bas que moi-même tenterons de répondre à l'ensemble de vos interrogations.

Monsieur de Richemont, je tiens de nouveau à vous remercier pour le travail que vous avez accompli et pour les améliorations que vous proposez d'apporter au texte du Gouvernement, amendé par l'Assemblée nationale, qui nous permettront de parvenir à des solutions équilibrées et pragmatiques préservant l'économie générale de cette réforme, laquelle est marquée par l'affirmation des principes de proportionnalité et de subsidiarité de la protection judiciaire, ainsi que par la consécration de la liberté civile, avec l'instauration du mandat de protection future.

Madame Dupont, vous avez évoqué la question des personnes sous tutelle qui partent vivre à l'étranger. Je partage votre préoccupation et votre souci de trouver une solution adaptée. Un amendement opportun de la commission des lois me semble satisfaire votre demande. Son objectif est clair : il s'agit de ne pas rendre automatique la fin d'une mesure de tutelle en France en cas de départ à l'étranger et d'ouvrir cette possibilité, en cas d'accord de la personne, lorsque le suivi de la personne n'est plus possible par le juge des tutelles français. Nous reviendrons sur cette question à l'occasion de l'examen de cet amendement.

Madame Mathon-Poinat, vous avez souhaité que le fonctionnement pratique du nouveau dispositif soit amélioré, en évoquant notamment trois points.

S'agissant du coût du certificat médical, préoccupation que vous partagez avec M. Détraigne, je voudrais vous rassurer : le Gouvernement a souhaité prendre en compte la situation des plus défavorisés, en prévoyant une tarification de ce certificat médical selon un décret pris en Conseil d'État.

Concernant l'audition de la personne protégée, je partage votre préoccupation d'organiser cette audition dans les meilleures conditions et le plus souvent possible. La question sera évoquée au cours de la discussion des articles et trouvera, j'en suis certain, une réponse équilibrée.

Quant au mandat de protection future sous seing privé, je peux d'ores et déjà vous dire que, grâce à votre commission des lois, une solution équilibrée a été trouvée, qui permet d'avoir recours à un modèle type, élaboré par décret en Conseil d'État.

MM. Cazeau et Détraigne m'ont tous deux interrogé sur les moyens consacrés à cette réforme.

Comme vous le savez, il existe, actuellement, environ 80 équivalents temps plein de juges des tutelles. Il est prévu une importante augmentation des effectifs de magistrats et de fonctionnaires au service de cette réforme. Ainsi seront créés, en équivalents temps plein, 22 postes de juges des tutelles, 7 postes de magistrats du parquet, 51 postes de greffiers et 5 postes de greffiers en chef.

Monsieur Détraigne, vous avez souligné l'importance du mandat de protection future, notamment pour les parents d'enfants handicapés, afin de permettre à ces parents d'organiser à l'avance la prise en charge de leur enfant le jour où ils ne pourront plus l'assumer eux-mêmes, en la confiant à un proche ou à un tiers digne de confiance. Cet outil, importé du Québec et d'Allemagne, permettra de répondre, avec humanité, à des situations concrètes comme celles que vous avez évoquées et c'est pourquoi le Gouvernement a souhaité l'introduire enfin dans notre droit positif. Ces mandats pourront être conclus dès la promulgation de la loi.

Monsieur Fouché, vous vous êtes félicité, à juste titre, de la suppression de la saisine d'office du juge. Comme vous, je crois nécessaire de mettre en place un filtre, rôle qui, compte tenu de l'augmentation du nombre de substituts, sera dorénavant confié au parquet. La réforme permettra ainsi d'éviter un recours trop rapide à une mesure de protection judiciaire non justifiée.

Monsieur Gautier, vous avez parlé d'un consensus prudent sur cette réforme : cela signifie que vous en approuvez totalement la finalité (M. Nicolas About sourit), et je m'en réjouis.

S'agissant du mandat de protection future, je le répète, le Gouvernement est très attaché aux deux types de mandats créés, qui correspondent à des situations très différentes.

Le mandat sous seing privé, qui sera amélioré grâce à un amendement de votre commission des lois, a pour finalité de répondre aux situations les moins lourdes, en permettant des actes de gestion courants ou de conservation. Quant au mandat notarié, qui constitue la deuxième solution, il sera étendu aux actes de disposition. Là encore, c'est un souci d'équilibre et de pragmatisme qui a inspiré la volonté du Gouvernement.

Monsieur About, vous avez souligné la nécessité d'entendre systématiquement la personne mise sous tutelle, afin d'assurer la sauvegarde de ses droits fondamentaux. Le Gouvernement veillera, au travers des mesures règlementaires qu'il prendra, à la satisfaction de cet impératif.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur Vasselle, au cours de votre intervention, après avoir fait acte de modestie pendant un long moment (Sourires), vous avez rappelé la nécessité d'associer plus étroitement la famille aux mesures de protection. C'est également la volonté du Gouvernement, et nombre de dispositions du projet de loi le permettent. Force est cependant de constater que, dans certains cas, la famille est absente ou inexistante. Je m'efforcerai de répondre à vos interrogations dans la mesure du possible lors de l'examen des amendements que vous avez déposés sur cette question.

Voilà les quelques éléments de réponse que je souhaitais vous apporter. C'est avec bonheur que je laisse la parole à mon collègue Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Philippe Bas, ministre délégué. C'est également avec bonheur que j'ai écouté M. le garde des sceaux ! (Sourires.)

Je souhaite tout d'abord remercier les deux rapporteurs pour leur analyse de cette réforme. Ils se sont d'ailleurs exprimés, l'un et l'autre, en des termes comparables sur un certain nombre de points. Ce que nous souhaitons établir avec vous, M. le garde des sceaux et moi-même, c'est une ligne de partage claire entre la protection juridique et l'accompagnement social. Nous estimons, nous aussi, qu'il est très important de prévoir une révision quinquennale des mesures de tutelle.

Nous aurons bien sûr des débats sur d'autres points, notamment sur la question de l'extension, ou non, à l'ensemble des ressources de la mesure d'accompagnement social. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a adopté sur ce sujet une position très claire, fondée sur une philosophie simple. Pour nous, il s'agit de mobiliser les moyens d'accompagnement pour faire en sorte qu'une personne puisse survivre, non pas grâce à une mesure de tutelle, mais grâce à une mesure d'accompagnement social. Il n'est nul besoin, pour cela, de connaître toute l'étendue de ses ressources. Il faut simplement veiller à ce que les ressources minimales, provenant, par exemple, du RMI, soient bien utilisées pour la personne.

On pourrait être exhaustif. Mais le mieux est parfois l'ennemi du bien. En l'occurrence, il créerait une charge supplémentaire pour ceux qui devront s'occuper de la personne. Or l'objectif est non pas une bonne gestion de l'ensemble des biens, mais que cette personne puisse survivre dans de bonnes conditions matérielles avec le revenu qu'elle tire d'un minimum social.

Vous avez également soulevé, madame, monsieur les rapporteurs, la question des préposés travaillant dans les établissements médico-sociaux. Ce débat mérite d'avoir lieu et nous l'approfondirons dans la suite de la discussion.

Comme l'a souligné Mme Dupont, le renforcement de l'aide aux familles est un point important de cette réforme. On aurait en effet tendance à oublier que les familles sont, dans notre pays, les principales responsables des tutelles, puisqu'elles exercent directement plus de 50 % des tutelles. Il faut donc leur rendre hommage. Si les familles ne faisaient pas ce travail « en nature », avec toute l'affection et le sérieux dont elles font preuve, nous ne pourrions pas, aujourd'hui, faire face à toutes ces tutelles et il faudrait, en quelque sorte, les collectiviser.

Vous avez insisté, madame le rapporteur, sur la nécessité de mettre en place une liste nationale afin d'éviter que les mandataires interdits dans un département ne s'inscrivent dans un autre département. Nous en avions déjà débattu et, après réflexion, je vous indique que je suivrai votre avis sur ce point.

La question de la récupération sur succession est délicate. À partir du moment où l'on admet que, par principe, les frais de la tutelle sont financés à partir des ressources de la personne sous tutelle, on peut s'interroger sur la légitimité de ne pas récupérer cette somme sur la succession. En effet, si cette somme n'est pas récupérée sur la succession, alors même que la famille avait les moyens, liés aux ressources de la personne sous tutelle, de financer les frais de tutelle, cela signifie que ce sont d'autres familles qui paient à sa place.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

M. Nicolas About. C'est pareil pour le RMI !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Recourir à la solidarité collective plutôt qu'à la solidarité familiale, c'est un choix. Mais il faut le poser clairement et l'assumer. Le débat que nous aurons lors de la discussion des articles sera, à cet égard, fort utile.

MM. Gautier et Cazeau se sont inquiétés des dispositions financières de la réforme. Nous avons mené un travail très approfondi avec l'Assemblée des départements de France. Nous ne sommes pas en désaccord avec elle sur les évaluations chiffrées. Cependant, comme nous sommes, les uns et les autres, prudents, nous avons prévu, à l'article 27 du projet de loi, qu'il sera procédé, à partir de 2010 et jusqu'en 2015, à une évaluation annuelle du solde de la balance entre les économies réalisées par le département, qui seront très importantes, comme M. le garde des sceaux le sait, et les dépenses supplémentaires liées aux mesures d'accompagnement social.

Je souhaite rappeler les règles, très simples, qui s'appliquent en la matière.

Le principe, qui n'a pas changé, est la suivant : la personne sous tutelle paie, avec ses propres ressources, les frais de tutelle.

Mais lorsque les ressources de la personne sont très faibles et c'est le cas quand il s'agit d'un minimum social, comme le RMI, par exception à la règle de base, c'est la collectivité versant ce revenu de subsistance qui paie les frais de tutelle. L'application de cette règle engendre des charges importantes pour le département, car il verse non seulement le RMI, mais aussi d'autres prestations.

M. Nicolas About. Il faut récupérer auprès des familles !

M. Philippe Bas, ministre délégué. C'est précisément pour lui éviter d'avoir à supporter de telles charges que M. le garde des sceaux et moi-même, après nous être particulièrement appesantis sur ce point, avons inscrit dans le projet de loi que, par exception, le département ne paiera pas les frais de tutelle pour les prestations qu'il sert aux allocataires. Et puisqu'il ne les paiera pas, c'est l'État qui assumera cette charge. D'où cette évaluation, non démentie, selon laquelle, sur le plan national, le montant total annuel des économies ainsi réalisées par les départements s'élèvera, en 2009, à 73 millions d'euros.

Certes, à côté de cette économie, les départements devront faire face à une certaine dépense, mais il s'agit d'une implication nécessaire de la réforme. Lorsqu'on agit par le truchement de l'action sociale là où la justice intervenait auparavant, par le biais de mesures judiciaires, c'est la collectivité responsable de l'action sociale qui doit assumer cette action.

Nous espérons que la charge sera réelle puisque nous voulons éviter que la justice n'intervienne dans un certain nombre de cas où cela n'est pas nécessaire, préférant, quant à nous, l'intervention de l'action sociale des départements. C'est donc le solde entre cette charge et cette économie - charge hypothétique, économie certaine - qui conduira, pour les départements, soit à une neutralité financière, comme nous pouvons le penser à travers nos évaluations, soit, si nous nous sommes trompés, à un gain ou une dépense. Et parce que nous voulons en avoir le coeur net et que nous ne nous contentons pas de projections, compte tenu des aléas inhérents à celles-ci comme à toute projection, nous avons prévu une clause de revoyure, de manière que l'État et les départements puissent suivre année après année les effets financiers de la réforme.

Il s'agit là d'un point sur lequel beaucoup d'entre vous ont exprimé des inquiétudes et à propos duquel je tenais à apporter un certain nombre de précisions.

Mme Mathon-Poinat a évoqué l'insuffisance du nombre de contrôles. Je partage cette opinion et c'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit le développement de ces contrôles. Cette mesure était tout à fait indispensable.

Monsieur Détraigne, je crois avoir répondu à la préoccupation que vous avez formulée concernant les transferts de charges.

Vous suggérez d'instituer un diplôme national pour les mandataires. Il s'agit d'une question très délicate. En effet, si notre objectif est, certes, de professionnaliser, il reste que les origines professionnelles des mandataires sont aujourd'hui très variées, et nous ne voulons pas mettre fin à cette variété. Autant le certificat de compétence que nous instituons nous paraît utile et adapté, autant la mise en place d'une véritable profession de mandataire avec un cursus universitaire spécifique nous semble excessive.

Monsieur Fouché, je suis d'accord avec vous : il était essentiel que les personnes soient au coeur de la réforme. À cet égard, la désignation d'un proche comme tuteur, ainsi que vous l'avez fort bien dit, prend en compte un certain nombre d'évolutions sociales de manière positive.

Je voudrais maintenant répondre à M. Vasselle au sujet de la sécurité sociale.

En l'absence de réforme, la sécurité sociale débourserait, en 2008, 174 millions d'euros pour la prise en charge des frais de tutelle, pour les prestations qu'elle sert, qu'il s'agisse de l'allocation aux adultes handicapés, des pensions de retraite ou des prestations familiales, la même règle, que j'ai rappelée tout à l'heure, s'appliquant à tous les financeurs.

Enfin, je m'adresserai à M. About qui nous a abondamment entretenus d'une question très grave, celle du droit de vote.

Vous avez dit, monsieur About, que nos régimes de tutelle ont le souci protéger les personnes et que cette aspiration de devait pas emporter, comme si cela allait de soi, privation de l'exercice de droits civiques et, en particulier, du droit de vote.

La règle, aujourd'hui, est la suivante : toute personne handicapée mentale placée sous tutelle est effectivement privée de son droit de vote. Cependant, le juge peut la relever de cette privation L'expérience nous en offre d'ailleurs de nombreux exemples. C'est ainsi qu'une personne trisomique peut se prononcer sur les choix politiques fondamentaux. En effet, nous ne sommes plus au temps du suffrage censitaire et on ne vérifie pas les qualifications intellectuelles de chacun de nos compatriotes avant de lui reconnaître le droit de vote.

M. Nicolas About. Heureusement !

M. Philippe Bas, ministre délégué. Par conséquent, les différences existant en matière de capacités intellectuelles ne doivent pas, de facto, - je vous rejoins sur ce point, monsieur About - entraîner une quelconque différenciation du point de vue de l'exercice des droits civiques.

Bien sûr, l'on peut se demander quelle est la meilleure formule : faut-il poser comme principe que le droit de vote est suspendu pour la personne sous tutelle et permettre son rétablissement par décision du juge, ou faut-il poser comme principe que le droit de vote continue à s'exercer sauf décision contraire du juge ? Il s'agit là d'un débat qui, à mes yeux, est pleinement justifié et sur lequel nous aurons l'occasion de revenir au cours de la discussion des articles. En tout cas, monsieur About, je vous remercie d'avoir soulevé cette question.

M. Nicolas About. Ces personnes ne sont pas des délinquants !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE CIVIL