M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 63 minutes ;

Groupe socialiste, 40 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 16 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Pierre Laffitte.

M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été écrites sur le développement durable, notamment dans de nombreux rapports du Parlement, au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Ces études représentent des milliers d'heures de travail, sans compter les centaines d'auditions des meilleurs spécialistes mondiaux qui ont été menées.

Au final, tous ces rapports ont souvent donné lieu à des propositions concrètes qui, pour la plupart, n'ont pas encore été appliquées. Rien que de très normal puisque, pour que ces propositions soient mises en oeuvre, il faut une volonté politique forte qui ne peut résulter que d'un très large consensus.

La rupture ne peut être engagée si la société dans son ensemble - c'est-à-dire l'opinion publique, les spécialistes de toute nature, les diverses associations, les entreprises, les collectivités locales, l'État et toutes les parties prenantes - n'y est pas préparée. C'est ce que le Grenelle de l'environnement a réussi à accomplir.

Monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, vous avez pris le risque - mais il est encore plus dangereux de ne rien faire ! - de réunir dans des groupes de travail des participants que tout séparait à l'origine, à l'image des organisations écologistes et des responsables économiques et politiques, y compris locaux.

Même si c'est moins vrai aujourd'hui, les élus locaux ont souvent considéré les militants associatifs comme des gêneurs irresponsables se préoccupant plus des papillons, des grenouilles ou des orchidées que du bonheur de la population. Les hommes politiques estimaient que leurs efforts vertueux maintenaient et développaient la compétitivité, l'emploi, les infrastructures, engendraient des impôts et des cotisations sociales, de la richesse, et donc du bien-être.

De leur côté, les écologistes considéraient comme inconscients ces prétendus responsables, et estimaient que les expertises scientifiques et technologiques - y compris celles de l'Académie des sciences, de l'Académie des technologies, du Centre national de la recherche scientifique, ou des instituts spécialisés - n'avaient pas été menées de façon indépendante. Cela a été dit, répété, et a correspondu à un état d'esprit, à une réalité sociologique.

Le Grenelle de l'environnement a réussi cette difficile gageure de faire d'anciens ennemis des partenaires.

M. Gérard Delfau. C'est vrai !

M. Pierre Laffitte. Monsieur le ministre d'État, il faut souligner cette extraordinaire réussite, qui n'était pas prévisible. Vous avez eu raison de prendre ce grand risque ; désormais, les organisations écologistes parlent à tout le monde : industriels, élus locaux, paysans, et écologistes communiquent et se trouvent des points communs ! Bravo !

Nous avons beaucoup avancé, me semble-t-il, même si tout n'est pas résolu et n'est pas parfait. Il reste encore quelques points de grand désaccord qui n'ont pas été abordés, tels que le nucléaire, les grands équipements ou les biotechnologies.

Avant tout, il faudrait aussi approfondir la diffusion de la culture scientifique et technique, sujet qui n'a pas encore été évoqué ici. Madame Blandin, vous serez certainement d'accord avec moi sur ce point, car nous avons rédigé avec notre ami Ivan Renar un rapport d'information, au nom de la commission des affaires culturelles, sur ce sujet.

La diffusion de la culture scientifique et technologique est une nécessité absolue en France. Pour avancer, nous devons progresser sur ce point, et utiliser tous les moyens nationaux - parmi les meilleurs au monde -, et régionaux - tout ce réseau de petites associations fonctionnant avec des financements très limités - dont nous disposons. Mais, pour l'instant, nous n'avançons pas beaucoup.

Le ministère de l'éducation nationale doit aussi développer les sorties pédagogiques, les études, les visites d'usines de façon que cette culture scientifique, technique et économique puisse être diffusée le plus largement possible.

Pour comprendre cette information, encore faut-il s'appuyer sur une structure de base, qui semble encore malheureusement faire défaut à notre pays. Nous avons énormément d'atouts - cela a déjà été souligné -, mais il nous manque celui-là.

Il est urgent de traiter certaines priorités liées au changement climatique. Il faudra déjà beaucoup d'argent, mais il en faudra encore plus si nous attendons trop. Dans un rapport fait l'année dernière au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Claude Saunier et moi-même avions avancé des prévisions chiffrées en termes de coût, lesquelles se sont révélées identiques aux hypothèses avancées par un prix Nobel un an plus tard.... Pour être entendus, il nous aurait fallu avoir son titre !

Ces chiffres le démontrent, si nous ne faisons pas tout de suite les efforts nécessaires, il nous faudra en déployer de beaucoup plus importants par la suite. Ce sera catastrophique, car il sera trop tard. Il fallait tout de même le souligner.

D'ailleurs, ces efforts seront dans le même temps une source de croissance riche en emplois. En effet, il y a beaucoup de travail à réaliser dans le développement d'innovations dans le domaine de l'énergie, de la biotechnologie et de l'urbanisme. Dans ce dernier secteur en particulier, les études sont capitales, car la consommation d'espace qui résulte du développement quelque peu anarchique de l'urbanisation autour des villes, préjudiciable à la biodiversité, deviendra de plus en plus insupportable.

Monsieur le ministre d'État, en conclusion, je tiens à vous féliciter, et à vous encourager à poursuivre votre ouvrage ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP. - M. Claude Saunier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.

M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, en 2001, dans mon rapport sur l'ampleur des changements climatiques et de leurs causes, j'appelais déjà de mes voeux l'ouverture, au-delà du cercle des divers spécialistes, d'un vaste débat public seul capable, à mon sens, de susciter une prise de conscience pouvant entraîner les actions de très grande ampleur qui sont toujours indispensables pour enrayer le réchauffement climatique.

Je me réjouis donc de la tenue du Grenelle de l'environnement, où tous - associations, représentants du monde économique, collectivités locales, parlementaires, mais également citoyens - ont pu apporter leurs contributions, leurs propositions.

Depuis le pacte écologique de Nicolas Hulot, signé par les candidats à l'élection présidentielle, on peut même parler de prise de conscience écologique à l'échelle de la nation. La preuve en est que, pour la première fois, l'environnement figure parmi les trois préoccupations majeures des Français, après le chômage et la pauvreté, selon un sondage BVA réalisé en septembre dernier.

Nous sommes parvenus la semaine dernière à clore la première phase du Grenelle de l'environnement, avec la présentation des propositions des groupes de travail. Premier point positif, il y a désormais un consensus sur le constat suivant : le climat de la planète va probablement changer de manière assez sensible au cours du présent siècle, et ce en grande partie du fait des activités humaines et des retombées de la civilisation actuelle. Cela va inéluctablement modifier la situation d'individus, de régions, de pays et même de continents.

Autre avancée, il y a également un accord sur la nécessité de prendre des mesures structurelles et de modifier durablement nos comportements de consommation.

Enfin, nous sommes tous conscients de la nécessité d'agir vite et dans l'ensemble des secteurs de la vie économique. Tout cela est donc extrêmement positif.

Pour revenir sur les propositions des différents groupes de travail, celles-ci sont de deux types : des mesures visant à modifier nos comportements quotidiens, telles la réduction de dix kilomètres par heure de la vitesse maximale sur la route ou encore l'interdiction des ampoules à incandescence, et d'autres mesures que je qualifierai de structurelles, qui vont nécessiter un engagement financier important et un suivi de l'État.

C'est le cas notamment en ce qui concerne les infrastructures de transports. Nous sommes tous d'accord pour promouvoir un mode de transport durable, notamment pour le fret. Mais, pour cela, il est nécessaire de réorienter nos infrastructures de la route vers le rail, le transport fluvial et le cabotage. À cette fin, il est nécessaire de mettre en oeuvre une véritable politique de mise au gabarit de nos canaux, et de mener à bout des grands projets actuellement en cours.

De même, il est indispensable de repenser notre politique portuaire. Alors que notre pays possède l'une des façades maritimes les plus importantes d'Europe, nous n'arrivons pas à la valoriser.

C'est à l'aune de cette réorientation de nos politiques d'infrastructures de transports que sera jugée notre volonté réelle de lutter contre le réchauffement climatique. C'est à nous, parlementaires, de veiller à ce que ces orientations soient respectées dans les divers projets de loi qui nous seront soumis, à commencer par le prochain projet de loi de finances.

J'ajouterai que nombre des propositions qui ont été retenues sont connues depuis longtemps. Certaines d'entre elles étaient déjà présentes dans mon rapport de 2001. De plus, en ce qui concerne l'efficacité énergétique des bâtiments, j'avais proposé, lors de l'examen de la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, d'instaurer un plan de réhabilitation énergétique du parc de bâtiments existants, proposition qui avait alors été repoussée. Que de temps perdu, alors qu'il y avait urgence à agir !

Cependant, je veux évoquer les quatre points d'achoppement majeurs qui demeurent : la place du parc nucléaire, l'utilisation des pesticides, un moratoire sur les OGM et, enfin, la place des incinérateurs, sur lesquels aucun consensus n'a pu être trouvé.

En ce qui concerne le nucléaire, il est important de rappeler que la France n'est pas mal placée en ce qui concerne les émissions de gaz, et ce grâce à l'importance de notre parc nucléaire. La France émet 40 % de moins de C02 que l'Allemagne, qui utilise fortement le charbon, et 35 % de moins que la Grande-Bretagne, qui se sert plutôt du gaz.

À cet égard, la France est un pays vertueux, qui fait preuve d'une certaine avance. Remettre en cause notre parc nucléaire serait donc irresponsable au regard du réchauffement climatique. L'énergie nucléaire est nécessaire pour que l'on puisse remplir nos engagements en matière de gaz à effet de serre. Pour autant, le nucléaire ne doit être qu'une énergie parmi d'autres. Il faut recentrer la production d'électricité d'origine nucléaire vers la demande de base, là où elle est imbattable. Parallèlement, il est primordial d'encourager les énergies renouvelables et de respecter nos engagements européens en la matière.

Concernant les OGM, la France ne doit pas adopter une position de repli et refuser tout ce qui y a trait.

D'une part, pour connaître les risques réels qu'ils présentent, il faut pouvoir les expérimenter. À cet égard, je déplore tous les actes visant à empêcher les chercheurs de faire de la recherche appliquée. D'autre part, un encadrement strict, une information publique, ainsi que des mesures d'isolement efficaces sont les éléments indispensables pour que des essais puissent avoir lieu et que des autorisations de mise en culture soient données.

En termes de rendement, d'utilisation d'intrants, de gestion de l'eau, les OGM pourront certainement apporter des réponses dans l'avenir, au même titre que les semences hybrides dans le passé. Laissons donc aux chercheurs la possibilité de faire leur travail !

Par la suite, il sera indispensable de garantir la coexistence des cultures. Chaque culture, qu'elle soit traditionnelle, biologique ou OGM, a sa place et doit la conserver. Telle est la position que les sénateurs de l'Union centriste-UDF avaient défendue lors de l'examen du projet de loi relatif aux OGM et à laquelle ils restent attachés. Il faut permettre à chaque forme agriculture de vivre, à chaque agriculteur de choisir le type d'agriculture qu'il souhaite développer sur son exploitation, sachant que la liberté de chacun s'arrête là où commence celle de son voisin.

Aujourd'hui, les mesures préventives visant à assurer la survie de l'agriculture traditionnelle et biologique sont trop modestes. Il faut agir sur deux points : d'une part, les mesures d'isolement doivent permettre de mieux lutter contre les disséminations possibles ; d'autre part, à l'exemple de ce qu'une loi avait prévu pour la production de semences de maïs, pourquoi ne pas envisager la création de zones protégées où il ne serait pas possible de produire des OGM ?

Pour aller plus loin, il est sans doute nécessaire de prévoir des mesures contraignantes afin que les disséminations soient limitées sur les étapes en aval, à savoir la récolte, le stockage et le transport.

Plus succinctement, il faut reconnaître que, en ce qui concerne les pesticides, les agriculteurs ont fait des progrès considérables. Ce mouvement doit se poursuivre. Pour cela, il est nécessaire d'encourager les recherches en cours. Cependant, les effets de la diminution de la consommation des pesticides ne seront visibles sur la qualité des nappes phréatiques que dans l'avenir.

En ce qui concerne le traitement des déchets, l'enfouissement n'est pas une solution réaliste, à moins de vouloir faire une « archéologie des déchets ». Il est nécessaire de responsabiliser nos concitoyens, au besoin à l'aide de mesures fiscales, et de leur faire prendre conscience de l'importance du tri sélectif.

Par ailleurs, les nouvelles générations d'incinérateurs permettent de contrôler en temps réel les rejets dans l'atmosphère. Selon moi, il n'y a pas de raison de s'opposer à une incinération des déchets lorsqu'elle est contrôlée.

Monsieur le ministre d'État, il est nécessaire de mettre en place des mesures pratiques, afin que tout un chacun se sente partie prenante dans la préservation de notre planète. Les propositions faites par les groupes de travail, qui vont encore s'enrichir lors du débat à venir, vont dans le bon sens. Mais vous ne ferez pas l'économie d'une modification en profondeur de la façon dont les politiques publiques sont conçues. À cet égard, je pense, par exemple, au rôle du Conseil économique et social.

Il est également indispensable, monsieur le ministre d'État, que vous encouragiez la recherche tant sur les énergies renouvelables que sur les moteurs propres ou encore sur la séquestration du C02, domaine dans lequel beaucoup reste à faire.

J'attire également votre attention sur un secteur qui me tient particulièrement à coeur : la recherche océanographique. Nous ne connaissons pas les océans, alors qu'ils jouent un rôle déterminant dans l'évolution du climat.

Les années à venir vont nous conduire à revoir nombre de comportements dans nos modes de consommation. Le rapport Stern a sensibilisé la sphère économique aux conséquences possibles suivant les scénarios. Il contribue à la prise de conscience des décideurs économiques, voire financiers, qui bougent. Par contagion, les décideurs politiques commencent à raisonner autrement.

Il faut redire, parce que c'est la vérité, monsieur le ministre, que, malgré les fortes préoccupations environnementales, l'avenir n'est pas la croissance zéro. Si nous relevons le défi des nouveaux besoins et des nouvelles technologies, entre 300 000 et 350 000 emplois pourraient être créés, selon plusieurs études, à condition de faire les bons investissements. Ceux-ci devront être financés, par le privé, bien sûr, mais aussi grâce à des incitations publiques.

Permettez-moi de vous soumettre une idée, monsieur le ministre. J'habite le département de la Somme, où sont créées de nombreuses fermes éoliennes. Je me suis aperçu que, en dehors des campagnes de sensibilisation et des enquêtes réglementaires de toutes natures, l'acceptation sociétale de ces grandes machines dans le paysage était plus rapide sur les sites où les populations avaient pu participer financièrement aux coopératives créées pour la circonstance. Cela s'est fait dans plusieurs endroits et cela fonctionne. Il faut donc prendre des dispositions pour favoriser ce type de structures.

Je connais un peu le monde bancaire. À ce titre, j'attire votre attention sur une forme d'épargne socialement responsable dans les modes de consommation durable : l'investissement socialement responsable. Ce produit existe déjà et se développe vite. C'est la jonction logique pour passer des modes de production durable à des modes de consommation durable. De plus, c'est un axe de communication et de formation pour le grand public.

Vous ne manquez pas d'imagination, monsieur le ministre. Je souhaite donc que vous facilitiez le développement de ce type de flux financiers. Il s'agit aussi d'un mode de consommation intelligent d'un produit qui peut être efficace : l'épargne. En outre, cela peut aider la France à atteindre les objectifs de développement durable que nous souhaitons qu'elle se fixe rapidement. (Applaudissements les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

M. Philippe Darniche. Monsieur le ministre d'État, vous avez ouvert, sur l'initiative du Président de la République, un débat essentiel pour notre pays et pour la planète. Je vous en sais gré, car il est essentiel pour notre assemblée de pouvoir débattre de ce sujet.

Comme toute bonne idée, le Grenelle de l'environnement doit éviter un écueil de taille : il ne doit pas être un simple cahier des doléances écologiques et finir en testament des causes perdues ! Bien au contraire, il doit constituer une véritable force de propositions et d'actions collectives lisibles, viables et durables.

Je limiterai mon intervention à un thème, car le sujet est vaste, à savoir le problème de la gestion des OGM.

Les inquiétudes à ce sujet sont très grandes et d'autant plus fondées que le vivant est désormais la propriété de multinationales, que la lutte contre la faim dans le monde pourrait n'être qu'un prétexte fallacieux pour avoir recours aux OGM et que leur utilisation s'effectue aujourd'hui dans une totale opacité, qui interdit de connaître la localisation des surfaces cultivées, ainsi que les conséquences sur l'environnement de la dissémination de ces substances.

Dans un contexte international de mondialisation de l'économie, de recherche de rentabilité à tout prix et de profits faciles, je m'oppose, avec conviction et détermination, sans concession, aux manipulations et aux modifications génétiques du vivant, qu'elles concernent l'humanité tout entière ou notre environnement naturel.

Opposé depuis de nombreuses années à toute brevetabilité du vivant - il appartient au patrimoine inaliénable de l'humanité -, je considère que tant que la preuve scientifique et technique de la non-toxicité des OGM n'aura pas été faite à court terme, compte tenu des conséquences sanitaires qu'ils pourraient entraîner à long terme, il est urgent d'interdire toute manipulation transgénique, sauf, naturellement, dans le cadre de la recherche fondamentale. Ce n'est pas lorsque des désordres sanitaires et des dangers, pour l'heure insoupçonnés, résultant de maladies provoquées par des OGM, se développeront dans une ou deux générations, que l'on pourra faire marche arrière.

J'estime à cet égard que le Grenelle de l'environnement doit être l'occasion de rappeler les limites éthiques du développement des biotechnologies en matière agrochimique.

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, la nature est généreuse. L'homme en a toujours tiré plus de profits, grâce aux progrès liés aux investigations techniques.

Combien d'alcaloïdes, d'hétérosides ou autres substances issues du monde animal et végétal ont-ils permis de soulager ou de guérir les affections les plus graves ?

Je le répète : la nature est généreuse, mais elle n'aime pas être violée. Quand l'homme ne la respecte plus, elle organise sa propre défense. Quand l'homme imagine de nourrir des herbivores avec des farines animales, on sait ce qu'il advient.

Quand l'homme met au point chimiquement certains pesticides ou herbicides sans prendre la précaution d'effectuer des recherches approfondies sur leur innocuité, il favorise des accidents de reproduction cellulaire, dont on connaît les conséquences.

Alors ne jouons pas de nouveau les apprentis sorciers au motif qu'il s'agit de plantes et non d'humains et d'animaux ! Consacrons tous nos efforts à la recherche fondamentale, mais dans des conditions optimales de sécurité.

Pour ces raisons, je considère que les efforts financiers pour donner à la recherche fondamentale les moyens de s'intensifier doivent être aujourd'hui prioritaires.

À l'instar des recherches sur les virus endémiques, les recherches agronomiques sur les OGM doivent être réalisées spécifiquement en laboratoire, dans la plus parfaite sécurité des installations et des manipulations, afin de réduire au maximum les risques à la fois pour l'environnement et pour les personnes impliquées dans les processus de recherche.

En conclusion, je rappellerai quatre exigences qui doivent impérativement être satisfaites pour répondre à l'hostilité de quatre Français sur cinq - selon un sondage - à la commercialisation d'OGM sur notre territoire, commercialisation que Bruxelles vient d'autoriser.

Il faut d'abord imposer, dans les plus brefs délais, un moratoire sur les cultures en plein champ, impliquant l'interdiction de toute culture à l'air libre et de tout essai d'OGM en milieu ouvert.

Ensuite, l'utilisation des OGM doit être réservée à la culture en milieu confiné aux seules fins de la recherche fondamentale.

Par ailleurs, il faut réclamer que le contrôle des OGM soit confié à des laboratoires indépendants des multinationales. Je rentre d'une mission sénatoriale au Brésil. Nous n'avons pas, sur ce point, obtenu les renseignements et les apaisements que nous attendions.

Enfin, considérant que nous subissons déjà la présence de substances transgéniques dans notre alimentation, il faut exiger l'amélioration de la traçabilité des aliments grâce à l'étiquetage obligatoire de l'ensemble des produits alimentaires. Les consommateurs doivent être informés lisiblement de la présence d'OGM dans leurs aliments à base de lait, d'oeufs, de viande ou de produits dérivés, provenant d'animaux d'élevage nourris au soja ou au maïs transgéniques.

En effet, nos concitoyens ont le droit de savoir ce qu'ils ont dans leur assiette dès lors que plus de 20 millions de tonnes d'OGM entrent chaque année dans la chaîne alimentaire européenne, via l'alimentation animale.

Monsieur le ministre d'État, le Grenelle de l'environnement que vous avez appelé de vos voeux, avec le Président de la République, nous permettra de revisiter tous ensemble le « contrat naturel » si cher à Michel Serres. Comme tous nos compatriotes, j'en attends beaucoup.

À la puissance publique maintenant de jouer pleinement son rôle de garant écologique et de régulateur économique ! (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Saunier.

M. Claude Saunier. Monsieur le ministre d'État, intervenant au nom du groupe socialiste, j'aborderai ce débat à la fois avec détermination, gravité, lucidité et humilité. Je pense d'ailleurs que cette attitude est assez largement partagée, comme en a témoigné votre propos introductif.

Les circonstances m'ont conduit à travailler sur la problématique du développement durable avec deux collègues, Joseph Kergueris, à l'occasion d'un rapport sur le pétrole demandé par la commission des affaires économiques, et Pierre Laffitte, avec qui je continue de travailler encore aujourd'hui. Nous nous sommes intéressés à cette problématique en nous interrogeant sur l'importance, l'enjeu et la réalité de la question.

Ayant d'abord travaillé sur le climat et l'énergie, puis sur la biodiversité, nous avons acquis, à l'issue de multiples rencontres, la conviction que, en effet, la situation est plus rude et plus grave, sa détérioration plus rapide, plus forte et plus importante qu'on ne pouvait l'imaginer il y a encore deux ou trois ans, lorsque nous avons engagé les débats.

Et, si Pierre Laffitte et moi-même avons pris cette initiative, c'était pour qu'une question d'une telle importance soit effectivement placée au coeur du débat présidentiel. À cet égard, du fait des circonstances - je ne pense pas seulement à la qualité de nos rapports, qui est évidente (Sourires) - et de quelques initiatives médiatiquement très fortes, nos espérances ont été dépassées.

Pour avoir participé pendant deux jours aux travaux, je sais que l'interrogation politique, publique et collective sur l'avenir de la planète est aujourd'hui largement partagée.

Ainsi, lundi et mardi derniers, sur l'initiative du Parlement européen et de la Commission européenne, j'ai pris part à la première Rencontre parlementaire sur le changement climatique.

Comme tous les participants, j'ai été très satisfait de constater que des préoccupations jadis individuelles étaient désormais largement partagées. Il y a une véritable prise de conscience politique, chez nous comme dans l'ensemble de l'Europe. D'ailleurs, il s'agit peut-être d'un rattrapage du monde politique par rapport à nos concitoyens, qui étaient, me semble-t-il, un peu en avance sur nous au cours des derniers mois.

Les différents acteurs de ce dossier sont désormais d'accord pour considérer qu'il y a une crise environnementale majeure, qu'elle est très grave et très brutale et que son origine est entropique. De ce point de vue, les travaux du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, et le fait que la communauté scientifique internationale reconnaisse à plus de 90 % cette origine ont été des éléments déclencheurs dans la prise de conscience de nos concitoyens.

Toutefois, il reste une interrogation, que nous n'abordons pas encore très clairement, sur notre développement et sur la nature même de notre civilisation.

En effet, depuis la révolution industrielle, la civilisation moderne est fondée sur une aberration : en trois siècles, nous consommerons l'énergie fossile qui s'est accumulée depuis 600 millions d'années. Et certains s'étonnent encore que la « machine planétaire » subisse quelques difficultés !

Cette situation extrêmement grave nous amène donc à aborder de telles questions avec beaucoup de sérieux, de lucidité et d'honnêteté.

À ce sujet, permettez-moi d'exprimer mon point de vue sur le Grenelle de l'environnement avec franchise. Je tiens à rappeler, sans esprit polémique, qu'une telle initiative avait été proposée par les associations de défense de l'environnement, les organisations non gouvernementales - vous l'avez d'ailleurs mentionné, monsieur le ministre d'État - et que le principe en avait été accepté par la quasi-totalité des principaux candidats à l'élection présidentielle. Dans cette perspective, le Président de la République donne suite à un engagement qu'il avait pris à cette époque, ce qui est normal.

En France, nous avons peut-être parfois tendance à nous intéresser seulement à ce qui se passe chez nous. Or, pour avoir pris part pendant deux jours à des échanges au niveau européen, je pense que nous devons faire preuve d'un peu d'humilité. Si notre équipement, notamment le parc nucléaire, nous permet d'obtenir de bons résultats dans certains domaines - je pense également à la lutte contre les émissions de dioxyde de carbone -, nous avons encore d'importants progrès à accomplir en matière de normes d'habitat ou de récupération des déchets.

Cela dit, ayant moi-même participé de manière assez active au groupe de travail n° 2 du Grenelle de l'environnement, j'ai pu constater les incontestables aspects positifs de cette initiative.

D'abord, et cela a été évoqué, la démarche a permis l'instauration d'un véritable dialogue. Ainsi, j'ai vu des représentants de la Ligue pour la protection des oiseaux et des chasseurs siéger autour de la même table sans se tirer dessus ! (Sourires.) Cela n'aurait peut-être pas forcement été possible dans un passé encore récent.

Ensuite, le diagnostic a fait l'objet d'un consensus immédiat. Il en a été de même de l'idée que la science ne pouvait pas tout régler. Certes, celle-ci peut nous apporter des éléments de réponse, mais la crise environnementale renvoie également à des interrogations sur notre organisation sociale et notre mode de fonctionnement. Il faudra donc associer sciences humaines et sciences dures pour faire évoluer la société.

Les différents participants ont donc affiché un véritable volontarisme et manifesté une prise de conscience des enjeux. Malgré certaines difficultés, notamment celles qui tenaient au calendrier - nombre de rencontres avaient lieu pendant les vacances -, la participation des acteurs concernés a été active. Des centaines de propositions ont pu être débattues.

En outre, et ce n'est pas secondaire, l'initiative a bénéficié d'une focalisation médiatique, ce qui a permis à nos concitoyens de mieux en appréhender les enjeux.

Toutefois, en dépit de ces aspects positifs, nombre d'insuffisances ont également été constatées. D'ailleurs, vous les avez vous-mêmes soulignées, monsieur le ministre d'État. (M. le ministre d'État acquiesce.)

J'évoquerai d'abord les problèmes de forme.

D'une part, nous avons tout de même eu du mal à nous y retrouver. Il a fallu attendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant que les règles du jeu ne soient définies, ce qui a dérouté les participants.

D'autre part, le rythme de travail imposé, surtout pendant la période estivale, a permis à des lobbies bien structurés et organisés d'entrer plus facilement dans la problématique, et ce au détriment d'un certain nombre d'autres acteurs, notamment institutionnels. Ainsi, l'Association des régions de France a éprouvé quelques difficultés à entrer dans cette mécanique.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre d'État, quelles que soient la qualité des travaux et la force des propositions du Gouvernement, l'enjeu est tel que l'implication de tous les partenaires sera indispensable pour faire bouger la société. Cela suppose donc de se rendre sur le terrain. Il faudra travailler au niveau local avec une vision globale. Il sera donc nécessaire de trouver les voies et les moyens pour associer étroitement les collectivités territoriales à la démarche.

Je voudrais à présent aborder les insuffisances sur le fond.

Tout d'abord, il est, me semble-t-il, nécessaire de clarifier le concept même de développement durable. Il y a un peu de philosophie à introduire dans la réflexion. Je ne suis pas sûr que tout le monde considère cette notion comme essentielle pour l'avenir de l'humanité. Je propose donc que l'on se réfère à la définition que donnait Mme Brundtland en 1987. Pour elle, le développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » L'humanité doit être et demeurer au centre de notre préoccupation.

Ensuite, et une telle insuffisance est d'autant plus lourde que nous nous sommes tous focalisés sur les aspects techniques ou économiques de la question, je voudrais mentionner les conséquences sociales, de la crise environnementale, d'une part, et de la mise en oeuvre de telle ou telle mesure destinée à améliorer la situation en matière d'environnement, d'autre part.

De ce point de vue, même si le dialogue qui semble se nouer entre les environnementalistes et les représentants du monde économique constitue un point positif, certains n'ont pas encore bien compris que la résolution de la crise environnementale pouvait représenter une chance pour notre économie. En effet, c'est l'occasion pour notre appareil industriel et agricole de trouver un nouveau souffle. C'est l'idée d'une « nouvelle frontière ». Or cela n'est pas encore évident pour tout le monde. À mon sens, le débat doit donc continuer.

Par ailleurs, j'ai eu le sentiment, et c'est une critique qui est collective, que la discussion était dominée par des préoccupations trop hexagonales. Or la crise de l'environnement est, à l'évidence, une crise planétaire. Elle ne peut donc trouver de réponse qu'au niveau planétaire, même si cela n'interdit nullement de prendre des initiatives à l'échelon local. Il y aura donc une nouvelle dimension à prendre en compte.

En outre, monsieur le ministre d'État, au cours de ces quelques semaines, la voix de l'État m'a semblé parfois fluctuante. Ainsi, pendant les réunions des groupes de travail, ses représentants avaient parfois tendance à vouloir freiner les initiatives, alors même que vous nous invitiez à l'« ouverture » et à la « rupture ». Il y a là une contradiction.

De surcroît, et je le dis très sereinement, il était tout de même curieux de fermer les gares de fret au moment où l'on nous demandait de réfléchir sur l'avenir de la planète et sur un nouveau mode économique.

M. Claude Saunier. En l'occurrence, le message politique était plus que douteux.

Pour terminer, vous me permettrez d'émettre quelques propositions très simples, afin que nous puissions trouver collectivement un nouveau souffle à la démarche.

Premièrement, nous devons véritablement nous appuyer sur les collectivités territoriales. À cet égard, la notion de contrat fondé sur la « conditionnalité environnementale » me semble une piste tout à fait utile. En effet, il faudra que l'État et les collectivités territoriales trouvent les modalités d'une association claire. Certes, chacun gardera sa liberté, mais devra également prendre part à ce qui relève d'un impératif national.