PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

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éloge funèbre de Jacques Baudot, sénateur de Meurthe-et-Moselle

M. le président. C'est avec beaucoup d'émotion et de tristesse que nous avons appris la mort, le 21 juin dernier, de notre collègue Jacques Baudot, sénateur de Meurthe-et-Moselle. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Après un long et douloureux combat contre un mal implacable, Jacques Baudot a rendu son dernier souffle avec le courage et la sérénité que nous lui connaissions.

Après la suspension de nos travaux, en février dernier, il eut à subir les derniers tourments de la maladie qui l'a terrassé.

Jacques Baudot vit le jour à Nancy en 1936. C'est dans cette cité, à laquelle il s'identifiera toute sa vie, qu'il fit ses études primaires, secondaires puis universitaires.

Docteur en chirurgie dentaire, diplômé de la faculté de médecine de Nancy, il complète sa formation par un doctorat de troisième cycle en sciences odontologiques. C'est dans la cité des ducs de Lorraine qu'il va exercer pendant plus de trente années son activité professionnelle.

Praticien habile et estimé, il avait une connaissance profonde de Nancy, de ses quartiers, mais surtout de ses habitants. Sa notoriété était grande, sans être en rien tapageuse. Elle s'est forgée au fil des années, années au cours desquelles, attentif à chacune et à chacun, Jacques Baudot prodigua avec délicatesse les soins de son art, tout en étant à l'écoute de ses patients, dont il avait ainsi acquis une connaissance intime.

« Le caractère, c'est la destinée ». Cet aphorisme, Jacques Baudot l'a plus que personne illustré. Affable, ouvert aux autres, soucieux de concorde, dévoué, maniant l'humour comme pour mieux savoir prendre du recul, le regard pénétrant, tous ces traits, qui caractérisaient Jacques Baudot, allaient enrichir sa réputation, et bien au-delà de son exercice professionnel.

Une telle personnalité ne pouvait passer inaperçue des édiles nancéens. C'est ainsi tout naturellement que notre ancien collègue Marcel Martin allait le pressentir pour accéder au conseil municipal de sa ville natale lors des élections de 1971. Jacques Baudot y fit aussitôt merveille. Il s'impliqua de plus en plus dans la vie de sa cité, tout en maintenant sa pratique professionnelle, qu'il jugeait consubstantielle à son équilibre.

En 1979, il fut élu pour la première fois conseiller général du canton de Nancy-sud. Il allait constamment être renouvelé dans ce mandat jusqu'en 2004, date à laquelle il renonça à se représenter.

De 1988 à 1998, Jacques Baudot allait présider l'assemblée départementale, y apportant toute la richesse de son tempérament, la force de ses engagements, mais veillant constamment à trouver des solutions consensuelles pour le plus grand bénéfice de son département. M'étant trouvé souvent avec lui dans diverses instances, notamment régionales, pour défendre les intérêts respectifs de nos deux départements, je peux en témoigner personnellement.

Il élargit son horizon électoral à la région de Lorraine quand, en 1986, il fut élu au conseil régional. Il en fut vice-président de 1988 à 1992. Il quitta à regret ce mandat pour faire, en 1992, son entrée au Sénat.

Fort de l'expérience acquise durant vingt-deux ans au conseil municipal, au conseil général, puis au conseil régional, Jacques Baudot nous fit bénéficier durant quinze ans d'une présence et d'un travail assidus. Dans l'exercice de son mandat national, il put notamment manifester son intérêt pour les questions touchant à la défense et plus particulièrement au monde combattant.

Membre de la commission des affaires économiques, puis de la commission des finances, il allait s'avérer un rapporteur spécial du budget des anciens combattants et des victimes de guerre particulièrement éclairé et actif. Officier de réserve, il s'est totalement impliqué dans ces questions qui lui tenaient à coeur.

Au cours de ses interventions brillantes et convaincantes dans cet hémicycle, il a inlassablement plaidé pour l'amélioration de la condition des anciens combattants de toutes les guerres. Il vit avec joie l'attribution de la Légion d'honneur aux derniers survivants de la Grande Guerre, l'amélioration des retraites, la « décristallisation » des pensions pour les vétérans des anciennes colonies. Jusqu'à son dernier souffle, il oeuvra pour que notre pays accorde une juste indemnisation aux incorporés de force, ceux que l'on appelle les « malgré-nous ».

En septembre 2006, en dépit d'un état de santé déclinant, il se rendit en Algérie pour visiter les nécropoles militaires françaises et faire un rapport remarqué et particulièrement émouvant sur l'état d'abandon de nombre d'entre elles. Avec Jacques Baudot, le monde combattant a perdu un avocat compétent, fidèle et zélé.

Mais Jacques Baudot n'était pas homme à s'en tenir à un seul pôle d'intérêt. Tout au long de son mandat sénatorial, il déposera nombre de propositions de loi qui témoignent par elles-mêmes de l'étendue de ses préoccupations, qu'il s'agisse du mode d'élection des sénateurs, des transports - dont le TGV-Est, en faveur duquel il s'est impliqué vigoureusement -, des questions concernant les collectivités locales, bien sûr, mais aussi du droit des personnes, notamment l'institution du mariage, à laquelle il vouait un attachement très fort, ou encore de la défense des enfants - il avait relancé avec Mme Anne-Aymone Giscard d'Estaing du groupement d'intérêt public gérant le service « Allo Enfance Maltraitée », aux destinées duquel il présida de 1994 à 1998.

Homme du centre, Jacques Baudot appartint au MRP, puis au Centre démocrate et à l'UDF. Il avait rejoint l'UMP lors de sa création. Mais, en 2005, durant la campagne sur le traité constitutionnel, il s'était farouchement opposé à son adoption, rejoignant le mouvement Debout la République !, dont il devint l'un des animateurs au côté de Nicolas Dupont-Aignan. Cet homme aux convictions européennes profondément ancrées assumait sans faillir ce qui pouvait passer, aux yeux de certains, pour paradoxal. Ni l'estime de ses pairs ni celle de ses compatriotes n'en furent pour autant affectées.

La foule émue et recueillie, rassemblée dans l'église Saint Joseph, au coeur de ce beau quartier de Nancy qu'il chérissait tant, a montré, s'il en était besoin, la force et l'intensité des liens qui l'unissaient au peuple de Lorraine.

L'homme qui avait été à l'origine de tant de fêtes et de manifestations joyeuses, en sa qualité de président du comité des fêtes de la ville et du comité de la foire et des salons internationaux de Nancy, rassemblait pour la première fois autour de lui un cortège triste et douloureux.

Ses concitoyens honoraient la mémoire d'un homme généreux, soucieux du bien commun et attentif aux détresses humaines, qui savait aussi être un meneur d'hommes et -sur bien des questions - un visionnaire. J'eus l'honneur d'exprimer devant sa dépouille mortelle l'émotion du Sénat de la République, et, plus particulièrement, celle de son président, mais aussi celle de l'ami, du voisin.

Il franchissait parfois les frontières de la Meurthe-et-Moselle pour venir dans les Vosges pratiquer la pêche ou se promener en forêt. Peut-être y trouvait-il des lieux propices à la réflexion, dans un cadre pastoral préservé. Sans doute y puisait-il des instants de détente, voire de plénitude. Car cet homme de la ville était aussi un amoureux de la nature et des animaux, aimant à se ressourcer au bord d'un cours d'eau ou d'un chemin forestier.

Ainsi fut Jacques Baudot.

À ses collègues du groupe UMP, j'exprime ma très vive sympathie. Aux membres de la commission des finances, qui perdent en lui un rapporteur spécial distingué, j'adresse mes plus sincères condoléances. À sa famille, à son épouse, à son fils et ses deux filles, à ses proches frappés par la douleur d'une séparation prématurée, j'exprime la compassion du Sénat tout entier. Qu'ils soient assurés que le Palais du Luxembourg gardera longtemps la mémoire de Jacques Baudot.

Je vous invite maintenant, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d'observer une minute de silence, en mémoire de notre collègue. (M. le secrétaire d'État, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement tient naturellement à s'associer à l'hommage que le Sénat rend aujourd'hui à Jacques Baudot, sénateur de Meurthe-et-Moselle.

En frappant Jacques Baudot, la mort a emporté un homme dont la carrière particulièrement riche dit mieux qu'aucun discours l'esprit de service qui l'animait.

Dentiste de profession, Jacques Baudot s'était très vite engagé en politique, devenant à trente-quatre ans conseiller municipal de Nancy. Doté d'une énergie indomptable, il continuera à exercer sa profession parallèlement à ses activités politiques, alors même qu'il devient conseiller général de Nancy-Sud, vice-président du conseil régional, puis, à partir de 1988, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle.

Ce n'est qu'en 1992, quand il est élu sénateur de Meurthe-et-Moselle, que Jacques Baudot se consacre à plein-temps à ses mandats, sans d'ailleurs qu'à aucun moment la poursuite de son activité professionnelle ait pu donner l'impression qu'il négligeait ses devoirs d'élu.

Dès le début de sa carrière en politique, il fera preuve d'un engagement inlassable au service de ses concitoyens. Il ne savait pas se ménager quand il s'agissait de se battre pour sa chère ville de Nancy et le département de Meurthe-et-Moselle, qu'il aimait tant. En plus de trente années de vie publique, il avait acquis une connaissance intime de cette terre, connaissance qui venait s'ajouter à la profonde affection qu'il lui portait naturellement en tant qu'enfant du pays. De nombreux témoignages ont prouvé et prouvent encore que cette affection d'un élu pour ses concitoyens était réciproque.

Ceux qui, comme moi et beaucoup d'autres ici, ont bien connu le sénateur Jacques Baudot se souviennent d'un homme toujours élégant et plein d'humour, au regard franc et chaleureux. Chacun savait en l'entendant qu'il parlait avec son coeur, directement, préférant toujours la vérité, quelle qu'elle soit, aux calculs.

Tout élu, sans doute, a l'ambition et la vocation d'améliorer le monde dans lequel il vit. Plus qu'aucun autre, le sénateur Jacques Baudot aura été un humaniste engagé dans cette lutte au service des autres. Vous l'avez dit, monsieur le président, c'est dans cet esprit qu'il avait relancé et développé le service Allo Enfance Maltraitée, dont il assura la présidence de 1994 à 1998 ; c'est dans cet esprit qu'il a lutté pour la protection du monde rural ; c'est dans cet esprit aussi qu'il a plaidé pour que l'on remédie à l'état de déréliction des cimetières français d'Algérie.

Conservant toujours une attention toute particulière pour sa région, Jacques Baudot ne manquera jamais une occasion de soutenir la Lorraine et d'en développer les activités. En élu local conscient que le dynamisme économique d'un territoire est la clé de bien des problèmes, il s'employa avec talent à promouvoir la foire de Nancy, et la transforma en une manifestation commerciale de tout premier plan.

Jacques Baudot était aussi un homme de conviction qui n'hésitait pas à s'opposer lorsque les valeurs en lesquelles il croyait paraissaient menacées. Combien de souvenirs de réunions de groupe me reviennent en mémoire ! Sans dogmatisme, mais avec fermeté, il savait alors entrer dans un dialogue franc et débattre avec ses adversaires.

Avec sa disparition, le Sénat perd l'une de ses plus remarquables figures et l'État, l'un de ses plus dignes serviteurs.

À sa famille, à Huguette, son épouse, à ses enfants, Anne, Marie-Christine et Patrick, à ses collègues de la commission des finances, à ses collègues du groupe UMP, et à l'ensemble de ses amis du Sénat, j'exprime, au nom du Gouvernement, nos condoléances très sincères.

M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de vous associer, au nom du Gouvernement, à notre peine.

Mes chers collègues, conformément à notre tradition, en signe de deuil, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

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Demande de discussion immédiate d'une proposition de résolution

M. le président. En application de l'article 30 du règlement, M. Jean-Pierre Bel et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat demandent la discussion immédiate de la proposition de résolution de M. Jean-Pierre Bel et des membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le rôle de l'État vis-à-vis du groupe EADS en 2006.

Conformément au souhait de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, je note que le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de résolution allant dans le même sens.

La demande de M. Jean-Pierre Bel et de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat est signée par au moins trente sénateurs.

Conformément au quatrième alinéa de l'article 30 du règlement, il va être procédé à l'appel nominal des signataires.

Huissiers veuillez procéder à l'appel nominal.

(L'appel nominal a lieu.)

M. le président. Ont signé cette demande et répondu à l'appel de leur nom : MM. Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat, Mme Catherine Tasca, M. Gérard Miquel, Mmes Michèle André, Christiane Demontès, MM. Jean-François Picheral, Mme Bariza Khiari, M. André Lejeune, Mmes Yolande Boyer, Gisèle Printz, MM. Jean-Marc Todeschini, Bernard Angels, Roland Courteau, Daniel Raoul, Marc Massion, Mmes Raymonde Le Texier, Claire-Lise Campion, MM. André Vantomme, Bernard Dussaut, Jean-Pierre Godefroy, Daniel Reiner, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, MM. Jean-Marc Pastor, Michel Moreigne, Mme Nicole Bricq, MM. Bernard Piras, Richard Yung, Jacques Siffre, François Marc, Robert Tropeano, Mme Odette Herviaux, MM. Jean Desessard, Serge Lagauche, Roland Ries, Bernard Cazeau, Serge Larcher, Marcel Rainaud, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Josette Durrieu, Nicole Borvo, M. Guy Fischer, Mme Eliane Assassi, Mme Marie-France Beaufils, M. Robert Bret, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Evelyne Didier, M. Thierry Foucaud, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Gérard Le Cam, Jack Ralite, Ivan Renar, Bernard Vera et François Voguet.

La présence d'au moins trente signataires ayant été constatée, il va être procédé à l'affichage de la demande de discussion immédiate sur laquelle le Sénat sera appelé à statuer, conformément à l'article 30 du règlement, au cours de la présente séance, après l'expiration du délai minimum d'une heure et après la fin de l'examen du dernier texte inscrit par priorité à l'ordre du jour.

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Dépôt d'un rapport du Gouvernement

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 41 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, le rapport sur le bilan de cette loi et des mesures en faveur du littoral.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.

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Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre lui a demandé de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires.

La commission des affaires économiques a fait connaître qu'elle propose la candidature de :

- MM. François Gerbaud et Daniel Reiner, pour siéger respectivement comme membre titulaire et comme membre suppléant au sein du Conseil supérieur de l'aviation marchande ;

- M. Jacques Blanc, pour siéger au sein du Conseil d'administration de l'établissement public des parcs nationaux de France ;

- MM. Bruno Retailleau et Pierre Hérisson, pour siéger au sein de la Commission du dividende numérique.

Par ailleurs, la commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose la candidature de MM. Louis de Broissia et David Assouline pour siéger au sein de la Commission du dividende numérique.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition, à l'expiration du délai d'une heure.

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Application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens [nos 474 (2006-2007), 4, 12 et 5].

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a décidé de soumettre à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de Londres, relatif à l'application de l'article 65 de la Convention sur la délivrance de brevets européens.

Voilà plusieurs années que cet accord suscite des débats, souvent passionnés. Malgré les rapports de MM. Vianès et Grignon en 2001, nous en avons repoussé la ratification. Du fait de ces atermoiements, la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne est restée incomplète. J'accorde d'autant plus d'importance à la relance de cette stratégie, qui sera rénovée par la présidence portugaise de l'Union européenne, qu'il appartiendra à la présidence française de la mettre en oeuvre à partir du 1er juillet prochain.

Le Gouvernement a écouté les arguments des uns et des autres, à la lumière notamment du rapport qui a été établi en 2006 par votre délégation à l'Union européenne. Il en a conclu que le bilan était largement en faveur du protocole de Londres.

Il appartient désormais à la Haute Assemblée de se prononcer.

Revenons brièvement sur les principaux enjeux de ce protocole.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez, de façon légitime, soulevé la question de son incidence sur l'usage de la langue française. À cet égard, je veux apaiser vos craintes.

Tout d'abord, comme vous le savez, l'accord de Londres porte mal son nom, car il a été négocié à Paris, en 1999.

Ensuite, cet accord représente une chance pour nous aujourd'hui : celle de conforter la langue française comme l'une des trois langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe. C'est la meilleure parade au « tout-anglais » que recommandaient certains États, qui ont finalement accepté le régime équilibré qu'il propose.

En effet, le protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevet en Europe. En privilégiant trois langues -  l'allemand, l'anglais et le français -, il sécurise la possibilité pour toute entreprise de déposer ses brevets dans ces trois langues.

Aujourd'hui, 90 % des entreprises françaises déposent leurs brevets à l'Institut national de la propriété industrielle, donc en français, ce qui leur permet de bénéficier de coûts réduits - notamment pour les PME -, d'une facturation avantageuse du rapport d'antériorité et d'une délivrance plus rapide des brevets.

Désormais, ces entreprises pourront déposer leurs brevets auprès de cet institut dans des conditions facilitées. Les revendications des brevets seront toujours traduites en français. C'est là une garantie essentielle, car les revendications constituent le coeur du brevet : c'est d'elles qu'il tire sa véritable force juridique du brevet ; ce sont elles qui définissent, comme leur nom l'indique, la portée de la protection de l'invention devant le juge et à l'égard des tiers.

Le protocole de Londres allège également les obligations de traduction puisqu'il dispense les déposants, c'est-à-dire nos chercheurs et nos entreprises, de traduire la partie technique du brevet, dénommée description, dans toutes les langues officielles, soit vingt-deux langues pour trente-deux États parties à la convention européenne sur les brevets.

Ainsi, demain, un brevet déposé en français sera valable, sur les territoires de langues anglaise et allemande, sans traduction en anglais des descriptions. Le français deviendra donc une langue de l'innovation à part entière.

M. Francis Grignon, rapporteur pour avis de votre commission des affaires économiques, estime qu'il en résultera une économie de 300 millions d'euros pour les entreprises européennes.

Qu'il n'y ait pas de malentendu : le protocole n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues pour les revendications. Le risque de voir les brevets européens libellés uniquement en anglais disparaît. L'accord ne sert pas à dresser un paravent pudique devant le monopole de l'anglais, mais il rend obligatoire l'utilisation des deux autres langues.

Le choix entre les trois langues ne sera possible que pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire essentiellement les schémas et les légendes. Cela n'emporte aucune conséquence sur l'avenir de la langue française puisque ces parties sont peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique. M. Hubert Haenel, rapporteur de la commission des affaires étrangères, et M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, l'ont remarquablement démontré dans leur rapport.

Ce sont les revendications, toujours disponibles en français, qui feront apparaître tous les nouveaux termes qui seront utilisés dans les domaines scientifique, juridique ou technologique.

Ainsi, le français sera présent dans toutes les banques de données recensant les nouveaux procédés et les nouvelles découvertes. D'ailleurs, les entreprises ne s'y trompent pas : seulement 1,7 % des descriptions disponibles en français sont aujourd'hui consultées.

Ces descriptions sont surtout utiles en cas de litige. Mais on ne compte en moyenne qu'un litige pour 2 000 brevets opposables en France. Lorsqu'un litige se produit, le protocole de Londres impose une traduction intégrale du brevet aux frais de son détenteur, et non aux frais de celui ou de celle qui est accusé de contrefaçon, c'est-à-dire le plus souvent une petite entreprise.

Le Conseil constitutionnel, gardien de nos principes républicains fondamentaux, a rendu en septembre 2006 une décision concluant à la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution, qui dispose que la langue de la République est le français.

Il faut permettre à nos entreprises et à nos grands instituts de recherche de réaliser des économies pour stimuler l'innovation et l'emploi en France. Comme l'a souligné M. Grignon, seule une PME sur quatre dépose des brevets en France. Le brevet européen coûte quatre à cinq fois plus cher qu'aux États-Unis et trois fois plus cher qu'au Japon. Or le dépôt d'un brevet par une PME se traduit dans les cinq ans par un doublement du nombre des emplois.

C'est la raison pour laquelle nous devons agir. C'est la raison pour laquelle l'Académie des sciences, l'Académie des technologies, les associations d'inventeurs, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises et le Mouvement des entreprises de France demandent depuis sept ans la ratification de l'accord de Londres pour qu'il soit répondu aux attentes de leurs adhérents.

Je trouve singulier que les opposants au protocole de Londres représentent des professions et des groupes qui ne déposent pas de brevet, qui ne pratiquent pas la propriété intellectuelle et qui ne font pas de différence entre ce qui est fondamental pour notre langue - les revendications - et ce qui est accessoire - les descriptions.

Je suis intimement persuadé que le refus de ratifier le protocole de Londres ne servirait pas le français. Nous maintiendrions un verrou illusoire puisque les descriptions en français ne sont que très peu consultées. Sa ratification, a contrario, n'entraînerait pas davantage un risque de contrefaçon de bonne foi puisque celle-ci ne peut être démontrée que sur la base des revendications, toujours disponibles en français. Le statu quo ne présente donc aucun avantage concret. De surcroît, il entraîne des surcoûts.

La non-ratification de l'accord aurait en revanche un coût politique très important puisqu'elle aurait pour conséquence de bloquer son entrée en vigueur, alors même que nous l'avons négocié à notre avantage en évitant le « tout-anglais » que préconisaient certains pays, y compris ceux qui nous sont le plus proches géographiquement et linguistiquement.

Notre refus conduirait de fait les treize pays qui ont engagé ou achevé la procédure de ratification à négocier entre eux un régime anglais.

Sept ans après l'avoir signé, nos amis allemands ont dressé un bilan du protocole de Londres. Ainsi, le nombre de brevets déposés en allemand auprès de l'OEB, l'Office européen des brevets est trois à quatre fois supérieur à celui des brevets déposés en français. En dépit de l'intérêt majeur qu'ils ont dans ces domaines, les Allemands n'ont pas hésité à ratifier le protocole, bien qu'ils soient aussi attachés à l'utilisation de la langue allemande que nous le sommes à celle de la langue française.

Une attitude de repli ne nous serait pas favorable. Pis, notre renonciation aurait pour conséquence irrémédiable de nous conduire au « tout-anglais ». Nous obtiendrions l'effet inverse de celui que nous recherchons.

Au contraire, la ratification du protocole de Londres serait un puissant levier de stimulation de l'innovation.

Certains font valoir qu'il n'est pas encore ratifié par tous les États membres. Mais il faut voir plus loin, il faut avoir confiance en nous, en notre capacité d'entraînement et d'influence sur nos partenaires, dans ce domaine comme dans d'autres.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les enjeux européens de cette ratification sont également importants.

M. Hubert Haenel, rapporteur de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Le rapport qu'a rendu de M. Haenel, très complet sur ce sujet, les met clairement en évidence.

Depuis près de trente ans, les États membres de l'Union européenne cherchent à améliorer le système des brevets pour favoriser le développement de la recherche européenne, qui souffre d'un retard par rapport à la recherche américaine.

Depuis 2000, nous nous efforçons, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, de définir une politique coordonnée des brevets au niveau européen. Les discussions sont gelées depuis 2004. L'annonce de la ratification du protocole de Londres par la France coïncide précisément avec la relance des discussions à l'échelon communautaire, sous présidence portugaise, de ces dispositifs.

Si les discussions continuent de progresser, nous disposerons bientôt d'une juridiction communautaire...

M. Hubert Haenel, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ...alliant efficacité - avec une harmonisation de la jurisprudence - et proximité - avec une juridiction par État membre chargée de traiter les litiges portant sur les brevets européens et communautaires.

Une fois cette juridiction établie, nous aurons besoin d'un vrai brevet communautaire, à savoir un brevet qui sera toujours délivré par l'Office européen des brevets, comme c'est le cas actuellement, mais qui, une fois délivré, aura les mêmes effets juridiques dans tous les pays européens.

Aujourd'hui, un même brevet peut être maintenu en vigueur dans un pays et invalidé dans un autre. Le régime communautaire du brevet européen mettra fin à l'insécurité juridique que connaissent toutes les entreprises, quelle que soit leur dimension.

Il est vrai que, aujourd'hui, chaque État demeure libre de ratifier ou non le protocole de Londres et que la question linguistique risque de ressurgir. Mais il nous faut nous projeter dans l'avenir, et l'avenir, c'est un nouveau traité qui devrait être signé d'ici à la fin de l'année.

Lorsque le brevet communautaire sera mis en oeuvre, on peut espérer que le nouveau traité, avec le passage à la majorité qualifiée, encouragera les uns et les autres à « communautariser » l'accord de Londres et à l'intégrer dans le brevet communautaire.

M. Hubert Haenel, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Une fois de plus, nous sommes placés devant le choix suivant : ou nous préservons des faux-semblants ou nous conduisons une politique offensive en faveur, notamment, de nos PME.

Quel est notre véritable objectif ? Il est de faciliter le dépôt des brevets par les entreprises, quelle que soit leur taille, et non de faciliter les traductions pour que nos PME imitent des procédés inventés par d'autres.

Nous souhaitons que nos entreprises innovent et que leurs inventions soient connues à l'étranger. Plus largement, la France doit devenir, à l'instar d'autres pays, une terre de dépôt de brevets.

Pour qu'il en soit ainsi, la ratification de ce protocole et la réduction du coût des brevets qu'elle entraîne sont indispensables.

Mesdames, messieurs les sénateurs, grâce au protocole de Londres, la France peut être à l'avant-garde de l'innovation, et ce avant qu'elle assure la présidence de l'Union européenne. Avec la ratification de ce protocole, nous adressons un message fort à nos partenaires européens.

Une langue est vivante lorsque le pays qui la pratique fait preuve de son dynamisme. C'est en ayant des entreprises fortes sur le plan international, d'un point de vue tant scientifique que technologique, que nous défendrons au mieux le français.

Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les raisons pour lesquelles nous vous appelons à approuver ce projet de loi de ratification, important non seulement pour notre influence économique, mais également pour notre rayonnement scientifique et culturel. ((Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le disait à l'instant Jean-Pierre Jouyet, voilà maintenant sept ans que nous débattons de l'accord de Londres.

Chacun a pu faire valoir ses arguments, y compris à l'extérieur du Parlement. L'heure est venue pour le Gouvernement de soumettre à votre approbation le projet de loi autorisant la ratification de cet accord.

Je souhaite tout d'abord rendre hommage au travail de grande qualité réalisé par le président Haenel en tant que rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Je souhaite également saluer le travail des commissions saisies pour avis, celui du rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jean-Léonce Dupont, et celui du rapporteur de la commission des affaires économiques, Francis Grignon.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord de Londres est relatif au régime de traduction des brevets européens. Il conforte le statut des trois langues officielles de l'Office européen des brevets, dont le français. Il sécurise la possibilité, pour les entreprises, de déposer leurs brevets dans ces mêmes trois langues officielles. Surtout, cet accord allège les obligations de traduction des déposants, des entreprises et des chercheurs en leur permettant de ne pas traduire la partie technique du brevet dans la langue des trente-deux États parties à la convention sur le brevet européen.

Jean-Pierre Jouyet a développé devant vous les raisons qui justifient la ratification de l'accord de Londres. Je souhaiterais, pour ma part, vous montrer comment cette ratification participe de l'ambition globale du Gouvernement en faveur de l'innovation.

L'innovation est aujourd'hui la différence qui assure la compétitivité d'une économie, qui lui permet de conquérir de nouveaux marchés à travers la création de nouveaux produits, de nouveaux services, de nouveaux processus, bref, d'une nouvelle offre.

C'est bien le progrès technologique, en effet, qui est devenu le moteur de la croissance économique, des gains de productivité et de l'élévation des niveaux de vie à long terme.

Je suis convaincu que l'innovation est un impératif pour notre économie : un pays qui n'innove pas verra indiscutablement, dans les années à venir, sa croissance se ralentir.

Or la protection de la propriété intellectuelle constitue désormais le fondement économique et juridique de l'innovation.

Elle en constitue le fondement économique, car elle est le levier du développement des entreprises et de la création des emplois. Elle favorise les partenariats technologiques et représente la plus grande partie des actifs immatériels des entreprises.

Elle en constitue également le fondement juridique, car la propriété industrielle protège et valorise les avantages compétitifs des entreprises innovantes.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a présenté par ma voix devant la Haute Assemblée, le 19 septembre dernier, et devant l'Assemblée nationale, la semaine dernière, un projet de loi de lutte contre la contrefaçon, dont l'objet est de permettre aux entreprises de défendre leurs titres de propriété industrielle avec la meilleure sécurité juridique possible.

Je me félicite que ce texte ait pu, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, être adopté avec un large consensus. Les débats que nous avons eus à cette occasion ont bien montré que lutter contre la contrefaçon n'est rien d'autre que de favoriser l'effort de recherche et d'innovation de notre pays.

Il existe un lien très fort, lorsqu'il s'agit de défendre la propriété intellectuelle, entre la lutte contre la contrefaçon, qui en est la négation, et le soutien au dépôt de brevets, qui sont, eux, la concrétisation de ces droits de propriété intellectuelle, caractéristiques des économies compétitives d'aujourd'hui. À l'évidence, ce soutien passe par la diminution du coût des brevets.

Je voudrais vous montrer, à l'aide d'un exemple, combien les économies des différents pays peuvent être touchées lorsqu'ils ne défendent pas suffisamment les droits de propriété intellectuelle.

La Chine, aujourd'hui à la cinquième place en matière de dépenses de recherche et développement, est un pays qui innove peu, tout simplement parce que la défense des droits de propriété intellectuelle y est mal assurée.

Il existe donc une relation entre défense des droits de propriété intellectuelle, et donc dépôt de brevets, et lutte contre la contrefaçon. En présentant ce projet, avec mes collègues du Gouvernement, j'ai le sentiment de participer à cette nécessaire lutte pour faire de l'innovation un véritable combat, afin de faire gagner notre pays dans la compétition économique mondiale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez voté en première lecture le projet de loi de lutte contre la contrefaçon pour développer un environnement juridique favorable à l'innovation et à la recherche. Je vous engage donc, pour les mêmes raisons, à ratifier le protocole de Londres, qui renforcera la situation de la France et de l'Europe dans le domaine stratégique des brevets, et qui augmentera la compétitivité de nos entreprises en favorisant l'accès au brevet européen à moindres frais.

Le coût du brevet européen est en effet un réel obstacle, qui réduit le nombre des dépôts de brevets par les entreprises et les centres de recherche. Ce coût constitue, en définitive, un frein à la création d'emplois fondée sur l'innovation.

L'accord de Londres apporte une réponse à ce problème en permettant de diminuer les frais de traduction du brevet européen de 25 % à 30 % selon les États désignés. Ce faisant, il facilite la commercialisation des produits et services sur l'ensemble du marché européen. Et c'est d'abord pour les entreprises françaises et européennes que le marché européen est important ; c'est pour nos entreprises que la protection des inventions sur le marché européen est essentielle et que le coût du dépôt peut s'avérer dissuasif.

Il ne faut donc pas, au seul motif que l'on craindrait un effet d'aubaine théorique pour les multinationales japonaises et américaines, rejeter un accord favorable avant tout à nos PME, à nos inventeurs et à nos chercheurs.

J'en suis convaincu, la diminution des coûts du brevet européen entraînera un accroissement de la capacité des entreprises en termes de dépenses d'innovation. Les entreprises pourront affecter les économies de traduction à leur programme de recherche et développement. Les PME, notamment, pourront développer une stratégie offensive de commercialisation sur le marché européen, ce qui leur permettra de mieux amortir les investissements nécessaires et de compenser les risques.

L'accord de Londres permet d'ailleurs aux entreprises françaises d'exercer pleinement leur activité de veille. En effet, j'attire votre attention sur ce point, les traductions intégrales des brevets délivrés ne sont aujourd'hui disponibles qu'à l'issue d'une période de cinq à sept ans, soit à une date de toute façon trop tardive pour permettre une veille technologique efficace.

En revanche, les entreprises pourront continuer à tirer profit de la connaissance des abrégés de brevets publiés par L'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, c'est-à-dire des résumés du texte complet du brevet, disponibles en français au plus tard vingt et un mois après le dépôt de la demande de brevet européen. Ces abrégés permettent aux entreprises d'appréhender les principales caractéristiques d'une invention couverte par un brevet. Les PME françaises ne seront donc pas en situation de désavantage par rapport à leurs concurrents étrangers.

De la même manière, l'accord de Londres garantit le maintien de leurs pratiques de dépôt pour les entreprises françaises. Aujourd'hui, 90 % d'entre elles déposent des brevets en français auprès de l'INPI, et 50 % de ces brevets font l'objet d'une demande de protection européenne. Avec l'accord de Londres, les entreprises pourront continuer à bénéficier de coûts réduits pour déposer leurs brevets en français auprès de l'INPI et les faire valoir dans d'autres États européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cette intervention, je souhaite vous indiquer combien cette ratification me semble cohérente avec les mesures que nous avons déjà engagées, dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de lutte contre la contrefaçon, en matière d'innovation et de propriété intellectuelle.

Comme vous le savez, nous avons entamé une réforme ambitieuse du crédit d'impôt recherche, ainsi qu'un allégement de la fiscalité relative à la propriété intellectuelle. Nous allons également réduire les redevances de dépôt de brevet pour les PME.

Vous le voyez, le Gouvernement souhaite mettre en place un ensemble cohérent de mesures en matière d'innovation et de propriété intellectuelle, en concentrant ses efforts sur les entreprises petites et moyennes. Il serait illogique de notre part d'alléger la redevance, ce qui inciterait les entreprises à déposer un brevet, tout en maintenant des charges financières dissuasives lors de sa délivrance.

En conclusion, c'est avec une profonde conviction que je vous engage à autoriser la ratification de l'accord de Londres, dans l'intérêt de nos entreprises, petites et moyennes, et de nos emplois. Cet accord, j'en suis absolument persuadé, permettra d'améliorer et de rendre plus compétitif le système européen de brevets. Plus encore, il favorisera l'effort de recherche et d'innovation dans notre pays et contribuera à lui donner le point de croissance supplémentaire dont il a impérativement besoin pour relever les défis qui sont devant lui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous parler avec une grande franchise : c'est une chance incontestable qui nous est offerte aujourd'hui, celle de consacrer la langue française comme l'une des trois langues du progrès technologique et de l'innovation en Europe.

M. Hubert Haenel, rapporteur. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Nous ne pouvons pas laisser passer une telle chance, qui sera sans doute la dernière.

Déjà, au cours de la négociation du protocole de Londres, le mal nommé, des voix se sont élevées pour demander le passage au « tout-anglais ».

Si, demain, la France se refusait à ratifier ce texte qui ne peut entrer en vigueur sans elle, nul doute qu'elle serait en position de faiblesse pour défendre dans les négociations à venir la diversité des langues, nul doute que nous ne pourrions plus échapper, à court ou à moyen terme, à des concessions douloureuses en matière linguistique.

Cet accord est une occasion unique de renforcer la recherche française et de franchir un nouveau pas dans le développement de cette société de la connaissance que nous appelons de nos voeux.

Cette conviction, le Gouvernement la partage avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Serge Vinçon, ainsi qu'avec son rapporteur, Hubert Haenel, dont je voudrais saluer ici le travail remarquable. Il la partage également avec les présidents des commissions saisies pour avis, Jacques Valade et Jean-Paul Emorine, et leurs rapporteurs, Jean-Léonce Dupont et Francis Grignon. Je me réjouis de savoir que le Sénat pourra également s'appuyer, aujourd'hui, sur leurs analyses de très grande qualité.

Cette conviction, le Gouvernement la partage enfin avec tous ceux d'entre vous qui se sont penchés sur le protocole.

Rappelons les faits : il y a plus d'un an, la commission des finances de l'Assemblée nationale avait adopté un amendement du député Jean-Michel Fourgous autorisant la ratification du protocole. Le Gouvernement avait alors voulu offrir à tous le temps de la réflexion ; ce temps a été particulièrement bien employé, puisqu'il a permis à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, aux délégations pour l'Union européenne des deux chambres, à leurs commissions ainsi qu'au Conseil constitutionnel d'examiner avec une grande attention ce protocole, d'en peser toutes les conséquences, pour se prononcer finalement en faveur de sa ratification.

C'est donc, à n'en pas douter, un accord bénéfique pour la langue française, pour la recherche et l'innovation en France et, au-delà, pour le rayonnement de notre pays qui vous est soumis aujourd'hui.

Cet accord est tout d'abord favorable à la langue française.

De nombreuses inquiétudes se sont exprimées sur ce point essentiel. Mes collègues du Gouvernement qui m'ont précédée à cette tribune les ont évoquées. Je veux à mon tour y répondre très clairement, afin d'apaiser toutes les craintes qui se font jour chaque fois que l'avenir de notre langue est en cause.

Le protocole de Londres simplifie le régime linguistique des dépôts de brevet en Europe, et ce au bénéfice de trois langues : l'allemand, l'anglais et le français. Très concrètement, cela signifie que c'est dans chacune de ces trois langues que devront être traduites les revendications des brevets. C'est là une garantie essentielle pour les déposants francophones : les revendications sont le coeur du brevet, car ce sont elles qui définissent la portée de la protection juridique qu'il confère. Des revendications mal rédigées, ce sont des inventions mal protégées, et donc des brevets inutiles.

En faisant du français l'une des trois langues dans lesquelles les revendications des brevets doivent être obligatoirement rédigées, le protocole de Londres garantit que la partie fondamentale de chaque brevet sera nécessairement disponible en français.

Je veux insister sur ce point, qui a été la source de bien des malentendus : le protocole de Londres, je le répète, n'autorise en rien les déposants à choisir parmi ces trois langues, mais il oblige à rédiger les revendications du brevet dans chacune des trois langues.

II n'y a donc aucun risque que les brevets européens ne soient plus libellés qu'en anglais. L'accord ne mentionne pas trois langues afin de dresser une sorte de paravent pudique devant la reconnaissance du monopole de l'anglais ; bien au contraire, il impose tout simplement d'utiliser chacune des trois langues.

C'est pour les parties techniques du brevet, c'est-à-dire pour l'essentiel des schémas et des légendes, et pour ces parties seulement, que le choix entre ces trois langues sera possible. Cela n'emporte aucune conséquence pour l'avenir de la langue française, puisque ces parties techniques ne sont que peu rédigées et n'ont pas de réelle portée juridique. Il était donc légitime, dans un souci de simplification, d'autoriser leur rédaction dans l'une des trois langues officielles de l'Office européen des brevets.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le protocole de Londres ne menace en rien le français, bien au contraire puisqu'il en fait l'une des trois langues officielles de l'innovation en Europe. C'est ce que le Conseil constitutionnel a reconnu en déclarant le protocole conforme à notre Constitution, qui consacre le français comme langue de la République.

Pourtant, je le sais, certains ne sont toujours pas convaincus des bénéfices que la France tirera du protocole de Londres. C'est pourquoi je veux le dire aujourd'hui devant vous : cet accord n'est pas seulement favorable à la langue française, il est aussi profitable à la recherche française et à chacune des entreprises innovantes que compte notre pays.

Si les États membres de l'Office européen des brevets se sont engagés dans une simplification du régime linguistique des brevets européens, c'est avant tout pour stimuler l'innovation en Europe. En effet, chacun de nous le sait, c'est de l'innovation que dépend désormais la croissance future de nos pays. C'est de notre connaissance et de notre capacité à la mettre en valeur que dépend notre avenir.

Le temps où il suffisait de suivre à notre rythme les pays innovants pour développer notre économie est désormais révolu. Ni la France ni l'Europe ne peuvent plus se permettre d'être à la pointe dans certains domaines et de laisser les autres aux États-Unis ou au Japon. Nous rivalisons aujourd'hui non plus seulement avec eux, mais aussi avec la Chine, l'Inde et l'ensemble des pays émergents, qui ont compris que l'intelligence était la plus grande de toutes les richesses humaines, la source unique dont découlent la paix, la prospérité et le progrès pour tous.

La France, qui a été de toutes les révolutions et de toutes les audaces, la France, dont sont sorties les Lumières qui ont éclairé l'Europe entière, n'a rien à craindre de la compétition mondiale des intelligences, et pour peu qu'elle s'y engage pleinement, elle y tiendra son rang.

Nous devons donc donner à nos chercheurs, à nos inventeurs les moyens de lutter à armes égales avec les chercheurs et les inventeurs des autres nations de ce monde. Le peuvent-ils, quand le dépôt d'un brevet est deux à trois fois plus coûteux en Europe qu'au Japon ou aux États-Unis ? Le peuvent-ils quand il faut traduire intégralement un brevet dans les vingt-trois langues de trente-deux pays ?

Je le sais, certains trouveront déplacé de parler d'argent lorsque l'on s'entretient de science, de savoir et de découverte. Mais les plus grands esprits eux-mêmes doivent bien vivre, et la moindre des choses, à mes yeux, est qu'ils puissent vivre des fruits de leur intelligence.

Dans ses premières années, une PME innovante n'a qu'une seule richesse : le brevet qu'elle a déposé et sans lequel elle ne pourra se développer. Sans ce brevet, nul moyen de lever des fonds et d'emprunter auprès des banques. Les États-Unis l'ont bien compris ; ils modifient en ce moment même leur propre système des brevets afin de le rendre encore plus efficace et moins coûteux pour les entreprises innovantes.

Voilà pourquoi il nous faut réagir, en ratifiant le protocole de Londres, mais aussi en formant nos jeunes ingénieurs et nos jeunes doctorants au dépôt de brevet.

M. Hubert Haenel, rapporteur. Tout à fait !

Mme Valérie Pécresse, ministre. Dans certains établissements, cela se fait déjà. Je souhaite que, demain, chaque école doctorale, chaque école d'ingénieur, chaque université offre à ses étudiants une formation au dépôt de brevet. Et je veux également que les mastères en droit de la propriété intellectuelle deviennent plus nombreux qu'aujourd'hui : dans un domaine aussi stratégique, nous ne pouvons pas laisser les cabinets américains et allemands prendre toujours plus d'avance sur les cabinets d'avocats français.

Il est essentiel que tous nos découvreurs puissent protéger leurs inventions à moindre coût. Si 26 000 euros ne représentent rien pour une entreprise de taille mondiale, c'est une somme énorme pour une jeune entreprise lancée par de jeunes talents.

Il n'y a donc aucun risque de voir des entreprises mondiales inonder l'Europe de brevets : si elles avaient voulu ou pu le faire, elles l'auraient déjà fait.

Permettez-moi de le redire, mesdames, messieurs les sénateurs, ni le coût financier ni les complexités juridiques n'ont jamais constitué un obstacle pour une multinationale.

Le seul risque lié au protocole de Londres, c'est celui que son absence de ratification ferait courir aux laboratoires de recherche et aux entreprises innovantes de notre pays, à nos PME.

Car, grâce à ce protocole, nous allons aider nos inventeurs à faire valoir à moindres frais le fruit de leur intelligence. Aujourd'hui, seule une PME européenne sur quatre dépose un brevet au cours de sa vie, alors que c'est le cas d'une PME américaine sur deux.

Voilà le secret de la croissance américaine, voilà la source du rayonnement technologique des États-Unis. Il n'a rien d'obscur, il n'est pas hors de notre portée, il nous suffit de le vouloir pour le partager. C'est l'objectif même de la stratégie de Lisbonne, au coeur de laquelle prennent place les discussions sur le brevet communautaire.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons en être pleinement conscients, ces discussions ne progresseront pas si la France ne ratifie pas le protocole de Londres.

Le brevet communautaire sera délivré par l'Office européen des brevets, celui-là même dont il est question aujourd'hui, et il ne sera pas autre chose qu'un brevet européen qui concernera l'ensemble du territoire de l'Union, et non plus tel ou tel État membre. Il garantira ainsi une protection uniforme des fruits de la recherche et de l'innovation dans l'ensemble des pays de l'Union.

Le brevet communautaire ne se substituera donc pas au brevet européen : ce sont deux systèmes enchâssés ou greffés l'un sur l'autre. Si nous voulons avancer sur le brevet communautaire, nous devrons par conséquent d'abord améliorer le fonctionnement du brevet européen, notamment en le rendant plus accessible. C'est l'objet même du protocole de Londres.

C'est pourquoi je vous demande aujourd'hui d'autoriser le Gouvernement à le ratifier. Les Français ne comprendraient pas que la Haute Assemblée hésite un instant à faire ce pas essentiel vers la société de la connaissance et de l'innovation. Les grands organismes de recherche de notre pays ne le comprendraient pas davantage. Ce pas, c'est le Centre national de la recherche scientifique, c'est L'Institut national de la santé et de la recherche médicale, c'est le Commissariat à l'énergie atomique, c'est l'Institut français du pétrole qui nous invitent à le faire.

Ce sera un pas décisif, mais ce ne sera pas le seul.

Vous le savez mieux que personne, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'est engagé, avec votre aide et votre soutien, dans la construction de cette nouvelle société fondée sur le savoir et sur l'intelligence.

II l'a fait en refondant le crédit impôt recherche, qui soutiendra désormais pleinement l'effort de recherche des entreprises innovantes dont nous bénéficions tous.

II l'a fait en refondant les universités autour de ces deux valeurs cardinales que sont la liberté et la responsabilité, afin de donner à notre enseignement supérieur les moyens de rayonner. Et c'est dans cette nouvelle université que pourront se développer demain les jeunes entreprises universitaires, qui recevront le même soutien des pouvoirs publics que celui qu'ils apportent aux jeunes entreprises innovantes.

Ce sont toutes ces nouvelles entreprises qui feront la croissance future de notre économie.

C'est à elles que s'adresse le protocole de Londres, et à toutes les sociétés innovantes qui feront le choix, demain, de s'installer en France.

Elles y trouveront des universités fortes, une recherche dynamique et des talents prêts à les rejoindre.

Elles y trouveront des pouvoirs publics mobilisés pour les aider à grandir.

Voilà ce qui est en jeu aujourd'hui : renforcer l'attraction qu'exerce l'Europe sur les inventeurs de demain en ratifiant le protocole de Londres, c'est se donner toutes les chances de les voir s'établir en France, dans un pays où elles bénéficieront d'un environnement intellectuel et scientifique exceptionnel ainsi que de toute l'aide dont ils ont besoin.

Alors, ne nous refusons pas à livrer la bataille de l'intelligence, ne décidons pas de tout perdre quand nous pourrions tout gagner. Car, en nous retirant sans livrer bataille, nous ferions le sacrifice de ce que nous avons de plus précieux : notre langue.

C'est en effet le rayonnement d'une culture qui fait le rayonnement de la langue, et non l'inverse.

Nous en avons eu tout récemment une très belle illustration, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque la télévision chinoise vient de créer une chaîne d'information continue intégralement diffusée en français. Ce choix, la Chine ne l'a pas fait par amour de la langue française, elle l'a fait parce qu'elle reconnaissait la vitalité de la culture française et de toutes les cultures francophones, elle l'a fait au nom d'une seule conviction, très simple : pour faire rayonner la culture chinoise, il était bon aussi de lui permettre de se faire entendre en français.

Il ne suffit donc pas d'aimer et de défendre le français pour le faire vivre, il faut aussi l'illustrer : chercher, créer, inventer et diffuser nos découvertes à travers le monde. Car c'est le prestige international de la recherche française qui attirera demain dans notre pays les jeunes scientifiques étrangers qui y apprendront, tout naturellement, le français.

Permettez-moi, à cette occasion et à titre d'illustration, de féliciter encore Albert Fert, professeur à l'université Paris XI et chercheur au CNRS, à qui le prix Nobel de physique a été décerné ce matin. Voilà comment notre recherche se fait connaître à l'étranger ! (Applaudissements.)

Et c'est ainsi qu'en retour, les scientifiques étrangers noueront avec la France et sa langue des liens qui les rendront plus fortes encore.

C'est ainsi que la culture française rayonnera à travers le talent de ces étrangers, qui la choisiront comme l'a choisie hier une toute jeune Polonaise nommée Marie Curie ou ce jeune Irlandais appelé Samuel Beckett, et comme la choisissent aujourd'hui des écrivains aussi prometteurs que Jonathan Little ou Nancy Huston.

Voilà pourquoi nous avons le devoir de donner à l'intelligence française les moyens de s'illustrer encore.

Voilà pourquoi nous devons ratifier le protocole de Londres : afin de ne pas laisser s'éteindre la voix de la France, tout simplement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UC-UDF, du RDSE et du groupe socialiste.)

(Mme Michèle André remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)