M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Jacques Valade. Disons qu'il s'agit d'un cadre réglementaire, dont il faut tenir compte. Le cas échéant, la tentation sera grande, pour les uns ou pour les autres, de l'utiliser.

Mais, monsieur le secrétaire d'État, de nombreux éléments manquent aujourd'hui pour définir la taille et les caractéristiques techniques d'une éventuelle sous-bande.

Pour mémoire, je citerai, d'une part, les résultats de la consultation de l'ARCEP, qui s'est achevée le 26 septembre, ainsi que les travaux de la Commission consultative des radiocommunications, d'autre part, les résultats de l'étude conjointe CSA-ANFR sur les effets sur les réseaux cibles de la TNT, attendus pour mi-décembre, et, enfin, l'impact sur les systèmes FÉLIN, fantassin à équipements et liaisons intégrées, de la défense, estimé, sous réserve des résultats d'études à venir, à près de 100 millions d'euros.

Dans ces conditions, comme la grande majorité de nos partenaires - seuls le Royaume-Uni, la Finlande et la Suède soutiennent l'identification immédiate de cette sous-bande -, il me semble que nous devrions adopter en ce domaine une approche pragmatique, attendre de bénéficier des conclusions des études en cours et envisager de mener des études approfondies et sereines sur l'utilisation éventuelle de la bande UHF pour des services innovants de téléphonie mobile, en vue d'inscrire, le cas échéant, ce point à l'ordre du jour de la Conférence mondiale des radiocommunications de 2011 avec une bonne définition des objectifs visés.

Quelle que soit l'issue des négociations, il me paraît en tout cas indispensable de préserver l'ensemble du champ des possibles concernant l'utilisation de cette sous-bande à l'issue de la CMR de 2007.

M. Bruno Retailleau. Bien sûr !

M. Jacques Valade. Cette sous-bande doit pouvoir, à terme, « être utilisée tant par l'audiovisuel que par les services de télécommunication mobiles. »

M. Bruno Retailleau. Exactement !

M. Jacques Valade. Il serait absurde de développer une querelle qui ne correspondrait pas à notre éventuel souci d'arbitrage. La définition de cette sous-bande ne doit pas nous lier les mains et nous contraindre à privilégier tel ou tel service en l'état actuel de nos connaissances quant au potentiel réel de la bande UHF. L'évolution actuelle très rapide des technologies doit nous inciter à une approche très réaliste de l'avenir.

Il me paraît aussi et surtout indispensable de garantir le développement de l'ensemble des services audiovisuels prévus par la loi. Sinon, à quoi servirait-elle ?

Dans la mesure où il est probable que l'on aura besoin de canaux dans la sous-bande, par exemple, pour diffuser la TNT dans certaines régions frontalières, comme c'est le cas aujourd'hui en Alsace ou en Savoie, et que de nouveaux canaux devront être utilisés pour garantir à tous l'accès aux nouveaux services audiovisuels - HD et TMP -, il convient de mesurer précisément la portée de toute préaffectation de ce dividende afin d'éviter de créer une nouvelle fracture audiovisuelle.

En conclusion, il s'agit non pas d'opposer deux secteurs, mais bien d'optimiser l'usage d'une ressource rare qui assure, il faut s'en souvenir, la gratuité et l'égalité de l'accès de nos concitoyens aux services distribués par cette voie.

Pour optimiser la gestion du spectre, laissons d'abord le temps au CSA d'approfondir sa planification concernant le basculement vers le numérique, mais aussi le déploiement des nouveaux services. Meilleure sera la planification, plus important sera le dividende et plus assurée sera la vision de l'avenir.

Si, le moment venu, il apparaît que l'on doive déplacer le curseur entre fréquences audiovisuelles et fréquences de télécommunications, alors, dans l'intérêt de tous, et dans le cadre de la « commission du dividende numérique », nous le ferons. Cela me semble préférable à une excessive anticipation d'affectation des fréquences au profit de tel ou tel secteur. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.

M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'objet du débat d'aujourd'hui sur le dividende numérique est très important. Je regrette toutefois qu'il ne fasse l'objet d'aucun vote.

Cette importante question a un environnement qui doit nous faire réfléchir.

Premièrement, le rapport que MM. Lévy et Jouyet ont rendu en novembre 2006 sur l'économie de l'immatériel consacre une large place au dividende numérique.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Très bien !

M. Jack Ralite. À la page 94, il est écrit ceci : « Le dividende numérique constitue une opportunité historique à saisir pour soutenir l'innovation. » À la page 100, les auteurs recommandent de recourir pour la privatisation des fréquences hertziennes à la « procédure d'enchères comme mode d'attribution du droit d'accès aux ressources collectives. » À la page 130, il est écrit que « s'ajoute un autre impératif : la prise en compte de la convergence entre le secteur des télécommunications et de l'audiovisuel ».

J'ai retenu aussi les deux idées suivantes : « la convergence entre contenu et diffusion », à la page 17, et la nécessité d'« affecter mieux qu'aujourd'hui les fréquences en fonction de leur utilité économique », à la page 131.

Ce rapport a commencé à être appliqué pour les musées et il commence à l'être pour le numérique.

Deuxièmement, avant-hier, lors de l'ouverture du MIPCOM, Mme la ministre de la culture a annoncé le dépôt d'un projet de loi global qui devrait être présenté à la fin du premier trimestre de 2008.

« Tout est positif dans ce projet de réglementation : la hausse des volumes publicitaires, l'assouplissement des obligations de production et la levée des seuils anti-concentration », a déclaré un courtier à la bourse quand il l'eut entendue. L'action de TF 1 a augmenté le même jour de 12,76 %, celle de M 6 de 8,25 %, celle de Canal + de 7,87 %.

Troisièmement, le groupe issu de la fusion en 2006 de l'équipementier des télécommunications Alcatel et de l'américain Lucent Technologies en est à son troisième avertissement sur ses objectifs financiers, avec des licenciements à la clé.

Quatrièmement, dans la lettre de mission qu'il a adressée à la ministre de la culture, le Président de la République lui demande de veiller « à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant à l'attente du public ». Il précise pour France télévisions : « Un certain nombre de synergies importantes, qui n'ont été que trop longtemps différées, doivent être mises en oeuvre. Pour les permettre, vous expertiserez et nous proposerez les modifications souhaitables de structure. »

Ces quatre évocations indiquent que « l'esprit des affaires prétend s'imposer aux affaires de l'esprit ». La tâche qu'a confiée l'Élysée à Mme la garde des sceaux, Rachida Dati, non seulement d'alléger, mais surtout de dépénaliser le droit des affaires constitue un encouragement dans cette voie.

En vérité, le droit des affaires en est à une étape où la convergence MEDEF-Gouvernement « invente le réel ». Cela me fait penser au temps où Robert Hersant, grand patron de presse, disait fièrement : « J'ai une loi d'avance ».

C'est à cela qu'aboutissent les lobbies, qui deviennent de plus en plus entreprenants et influents. Songez au lobby des trois grands opérateurs de télécoms ! Orange, filiale de France Télécom, SFR, filiale de Vivendi, et donc très proche de Canal +, Bouygues Télécom, filiale du groupe du même nom, intimement lié à TF1, ont obtenu, grâce à la loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, le marché de la télévision mobile personnelle - ce qui représente 50 millions d'usagers -, bien qu'ils aient été condamnés un an auparavant pour entente illicite par le conseil de la concurrence.

Je dis et redirai inlassablement cela jusqu'à ce que ce système soit remis en cause. Actuellement, ce mélange technologies - économie apparaît comme victorieux, comme une utopie qui a réussi - Jules Verne dans la vie, en quelque sorte -, alors que l'utopie sociale s'est écroulée. Il faut démystifier ce phénomène, rejeter cette prétendue causalité fatale, cette sorte de destin à accomplir, cette technique instrumentalisée comme un fatum, comme si elle était extérieure à la société qui l'engendre. Il faut rendre à chaque être ce que crie actuellement au théâtre des Bouffes du Nord une femme dans la pièce Je tremble (1), de Joël Pommerat : « Je veux mon avenir ! Je veux qu'on me donne mon avenir ! »

Quand je pense que, au Sénat, il y a quelques années, M. Madelin, lors d'un colloque sur les nouvelles technologies, avait déclaré sans rire ceci : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravitation universelle. »

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Tout à fait !

M. Jack Ralite. Ce faisant, il les naturalisait et transformait les hommes et les femmes qui les avaient inventées en des êtres subsidiaires, en des invités de raccroc.

Mes chers collègues, le débat de ce matin est un débat de société. Il a une dimension éthique. Ne laissons pas préempter les technologies par des forces financières prédatrices. Ce serait une sous-traitance de nos imaginaires, de nos intimités, par la combinaison de la fatalité de la technologie avec celle de la financiarisation du monde.

À cet instant, je voudrais dire à notre collègue Bruno Retailleau - et je l'aurais dit à Mme la ministre de la culture si, comme cela me semblait nécessaire, elle avait été présente ce matin - de penser fortement et efficacement aux développements que je viens de faire quand il participera aux « premières assises de la convergence audiovisuelle » qui se tiendront ici même, au Palais du Luxembourg, salle Monnerville, le mardi 23 octobre.

Ma convergence, ma combinaison, mon utopie à moi- et quand je dis à moi, je suis bien présomptueux : c'est celle de Vilar, de Vitez, et, au temps des Lumières, c'était celle de l'immense Diderot -, c'est l'alliance à construire des forces du travail et des forces de la création artistique, scientifique et technologique.

Je pourrais aller plus loin sur cette question de la gestion des fréquences hertziennes conformément aux attentes de la commission européenne. Ce bien public rare devrait être privatisé et mis aux enchères, notamment pour favoriser le marché de la télévision sur téléphone mobile.

À la page 92 du rapport de MM. Lévy et Jouyet - j'y reviens et y reviendrai toujours car il est maintenant la ligne de direction et de stratégie du Gouvernement -, je lis : « Cette capacité à rebattre régulièrement les cartes est en effet une exigence économique pour que le développement de technologies innovantes et prometteuses ne soit pas compromis par une protection excessive des situations acquises. »

Cette proposition est soutenue - toujours à la page 99 du rapport - malgré l'échec retentissant de la mise aux enchères des licences UMTS en Europe, qui a fait partir en fumée sur le marché financier 300 milliards d'euros, soit l'équivalent du coût d'un réseau à haut débit à fibres optiques complet en Europe.

Le rapport de Jean-Pierre Jouyet et de Maurice Lévy - je rappelle que le premier était chef de l'Inspection des finances et le second président du directoire de Publicis - affirme tranquillement : « L'expérience de l'UMTS ne doit pas conduire à exclure le bien-fondé de la procédure d'enchères comme mode d'attribution de droit d'accès à des ressources collectives. » J'ai presque envie de dire : « Reprenez donc une dose de poison pour vous guérir de votre mal ! ».

Tout cela, qui est su et bien su, est très grave - même si cela s'applique aux États-Unis -, mais ne dit pas tout sur les dix ans passés qui ont connu d'autres déboires. J'allume juste quelques projecteurs, dont il faut se souvenir. France Télécom et Vivendi, du temps de Michel Bon et de Jean-Marie Messier, ont failli faire faillite en 2001 et 2002. Leurs dettes cumulées ont atteint 110 milliards d'euros : 70 milliards d'euros pour France Télécom et 40 milliards d'euros pour Vivendi. Ces deux grands champions ont connu un recul de leurs investissements pour l'emploi, la production et l'innovation. De 1995 à 2005, l'investissement productif est passé de 2,8 milliards d'euros à 2,2 milliards d'euros. Et, dans le même temps, l'investissement dans l'innovation est passé de 3,7 % à 1,7 % du chiffre d'affaires.

Le rapport d'information de notre collègue Retailleau indique d'ailleurs tous ces chiffres. Ces champions - notamment Vivendi - ne tiennent que par la vente des bijoux de famille, et tout cela malgré le développement des mobiles. Sans doute vous rappelez-vous mes très nombreuses interventions sur Vivendi dans cet hémicycle. À l'époque, la majorité a tout écarté, notamment la création d'une commission d'enquête, comme elle l'a fait avant-hier pour la commission d'enquête sur le groupe EADS. Vous souteniez les deux champions et aujourd'hui, malgré l'expérience, vous voilà repartis pour le soutien aux champions !

Après ce tableau de la vraie réalité, qui est noire, je ferai quelques propositions en ayant à l'esprit une pensée de Camus, qui écrivait dans L'homme révolté : « Au bout de ces ténèbres, une lumière, pourtant est inévitable, que nous devinons déjà et dont nous avons seulement à lutter pour qu'elle soit ».

Premièrement, il est proposé un commissariat au numérique rattaché au Premier ministre. Il existe 150 structures de ce type ; il y en aurait donc 151. Pour réformer l'État, on fait mieux ! En fait, cette structure serait un interlocuteur unique pour les lobbies des téléphones mobiles. Nous, nous voulons garder des instruments existants, mais en les démocratisant. Nous ne sommes pas favorables à la fusion du CSA et de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'ARCEP : elle pourrait sembler rationnellement justifiée, surtout par la convergence des contenus et des réseaux, mais elle permettrait en réalité de marginaliser les contenus.

Deuxièmement, je l'avais déjà dit lors du débat sur la télévision du futur, mais je tiens à le répéter, nous proposons une charte du numérique établissant des droits d'accès au numérique, une solidarité numérique, une éthique du numérique, une responsabilité numérique, un projet éducatif au numérique. Cette charte ferait largement place aux créations originales utilisant la diversité des outils désormais disponibles.

Tout cela nécessite un trajet d'élaboration à travers des assises n'ignorant aucun acteur, public ou privé, s'élargissant au monde, et d'abord à l'Europe, garantissant toute leur place à une information pluraliste et critique ainsi qu'au mariage de la « belle numérique » et de la « bête fabuleuse », selon l'expression d'André Breton relative aux créations.

C'est ainsi que l'on donnera un sens au passage au numérique dans une société qui se « compromet » avec la personne humaine et qui respecte la dignité de chacune et de chacun. Il faut une ambition qui se réalise en dépassant la seule vision experte. Il faut, peut-on dire, infléchir le devenir technoscientifique du monde, car ce devenir ne suffit pas à faire un monde humanisé enfin capable d'être moins un générateur de puissance qu'un producteur de civilisation.

Troisièmement, il est important de relancer l'investissement, notamment dans la culture, dans l'industrie culturelle - vous le voyez, j'emploie le terme « industrie » et non ceux de « finances » et « financiers » -, dans la création artistique et la recherche scientifique.

Quatrièmement, les fréquences hertziennes doivent être traitées comme un bien public rare, dans le cadre d'un service public, au lieu d'être privatisées et vendues selon la loi de la télévision du futur. Les propositions du rapport Jouyet-Lévy aggravent encore la situation, en prévoyant non seulement leur privatisation mais leur vente aux enchères. Un bien public, surtout s'il est rare, peut se louer mais ne peut se vendre.

Pour conclure, je dirai que, si le discours idéologique sur l'économie de l'immatériel souligne l'importance de la connaissance et de la culture dans la société et l'économie, il vise à les standardiser en « actifs comptables », donc en signes valorisables, pour les soumettre à une financiarisation généralisée.

Au nom du dogme managérial, dont traite si bien Pierre Legendre dans toute son oeuvre, le capitalisme cognitif vise à vampiriser toute la sphère de l'esprit et de l'imaginaire dans le travail, dans l'entreprise et dans la vie quotidienne.

Il est possible de penser et d'opposer un processus alternatif multiforme, appuyé sur l'idée de « responsabilité publique et sociale » avancée par les États généraux de la culture. Les productions de l'esprit, la culture, l'éducation, la création sont des biens de l'humanité.

Il conviendrait de construire de nouveaux services publics et de définir de nouveaux droits fondamentaux et biens communs de l'humanité. L'article 1er de la charte pourrait être rédigé ainsi : « La protection du vivant, de l'environnement et des créations de l'esprit constitue un « cercle sacré » ». Ils constituent un bien commun de l'humanité, non marchand, inviolable. Le bien commun mondial pourrait être défini comme une res publica mondiale. Je crois en une utopie concrète, une nouvelle définition de la solidarité et de la mutualisation, bref de l'association universelle de l'humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais m'exprimer au nom de la commission des affaires économiques et de mon groupe.

Je veux tout d'abord me réjouir de l'inscription à l'ordre du jour de ce débat, qui fait suite aux propositions du rapport d'information de la commission des affaires économiques sur la régulation du numérique, à l'aube de l'extinction de la diffusion analogique de la télévision hertzienne et de la refonte du cadre réglementaire européen des communications électroniques.

Ce débat, voulu par notre commission, nous permet de traiter d'un sujet dont l'importance pour l'économie de notre pays est considérable.

« Faire de la France une nation numérique », c'est sur cette phrase que concluait Nicolas Sarkozy, Président de la République nouvellement élu, dans une tribune publiée par le Journal du Net sur sa vision de la France à l'ère du numérique. M. Retailleau y a fait référence tout à l'heure.

Même si le numérique n'a pas été un sujet majeur de la campagne électorale, les grands axes des projets du Président de la République sont aujourd'hui connus, et c'est la raison pour laquelle le débat de ce jour arrive au moment opportun.

Il faut, en effet, être bien conscient du rôle que peut jouer l'économie numérique sur la croissance, évalué entre un demi-point et un point de croissance supplémentaire.

Réhabiliter le travail, comme le souhaite le Président de la République, aura un impact encore plus significatif dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.

La qualité de la couverture numérique de nos territoires est, en effet, devenue aussi importante que celle du réseau routier ou de la desserte postale.

Rapporteur, avec Bruno Sido, de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, et de la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, je me suis personnellement impliqué dans le domaine des technologies de l'information et de la communication, ce que l'on appelle les TIC, et je suis avec intérêt le règlement des deux grands dossiers que sont la couverture en téléphonie mobile et l'accès à l'internet haut débit, pour l'ensemble du territoire.

C'est la raison pour laquelle je souscris totalement aux réflexions et observations de notre excellent collègue Bruno Retailleau en rendant hommage à sa grande connaissance du sujet, et j'approuve totalement les conclusions du rapport d'information qu'il a rendu, au nom de la commission des affaires économiques.

M. Bruno Retailleau. Je vous remercie !

M. Pierre Hérisson. Au sein de la commission, nous avons en effet estimé que, dix ans après la création de l'ARCEP, le temps était venu de faire le bilan de l'action de cette autorité de régulation économique sectorielle, première du genre, et de dessiner ses perspectives d'évolution afin qu'elle puisse contribuer à renforcer les positions françaises dans ce secteur de première importance.

Il est devenu essentiel de réfléchir au mode de régulation le plus approprié pour optimiser le potentiel économique que le numérique représente pour la France. La question est d'actualité, à l'heure de la télévision mobile personnelle et de l'arrêt prévu pour le 30 novembre 2011 de la diffusion analogique des chaînes de télévision.

La convergence du secteur des télécoms et de l'audiovisuel pose aujourd'hui de nouveaux enjeux, que le régulateur sectoriel ne pourra résoudre seul.

Le problème est souvent abordé par le thème de la fusion entre le CSA et l'ARCEP. Cependant, notre rapporteur récuse un tel rapprochement, ces deux autorités exerçant des métiers différents. Il préconise plutôt la création d'un commissariat au numérique, pôle d'expertise et d'initiative, qui serait placé sous la tutelle du Premier ministre. Cette nouvelle structure permettrait de donner un pilotage politique aux services de l'État concernés par le numérique, mais éclatés entre des ministères aux logiques concurrentes.

Une meilleure coordination et un rassemblement des forces permettraient de rattraper le manque à gagner de 0,7 % de croissance annuelle du PIB dû au retard français dans le numérique. Il est aujourd'hui impératif pour notre pays qu'il puisse retrouver toutes ses capacités d'intervention dans le numérique.

Par ailleurs, la France dispose d'atouts qui lui permettraient d'être en tête dans de nombreux secteurs de l'innovation : des ingénieurs de qualité, un tissu dense de petites et moyennes entreprises innovantes, des positions de force dans certains secteurs comme la mobilité, la carte à puces, le logiciel libre, les logiciels embarqués, la simulation, le calcul à hautes performances. Mais ces secteurs sont-ils suffisamment valorisés aujourd'hui ? Telle est la vraie question.

En outre, il est à noter que nous investissons, proportionnellement à notre PIB, deux fois moins que les États-Unis dans les TIC. Si la France investissait autant que les leaders mondiaux, elle pourrait gagner un demi-point de croissance supplémentaire.

Il semble que la priorité doit porter sur le soutien aux petites et moyennes entreprises, puisque seulement 50 % d'entre elles disposent d'un site web en France, contre 82 % en Allemagne et 77 % en Grande-Bretagne ou en Italie.

Il est essentiel d'accroître la masse critique des entreprises innovantes, car sans innovation, il n'y a pas de croissance. La politique du numérique et la politique de l'innovation vont de pair et il est essentiel d'impliquer davantage les collectivités territoriales, les entreprises, les centres de recherche et les universités, en s'engageant avec l'Europe pour développer la société numérique.

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont de puissants outils de valorisation des territoires les plus difficiles et les moins denses. La couverture numérique est ainsi un instrument essentiel d'aménagement du territoire, dans un objectif majeur : assurer l'équité et la bonne répartition territoriale des infrastructures et des usages liés aux TIC.

Les technologies de l'information et de la communication recèlent, pour toutes ces entreprises, de très importants potentiels de gains de productivité et de réactivité. Il est donc de la responsabilité des pouvoirs publics de saisir cette chance pour la France et de conforter ces gains potentiels pour soutenir la croissance et l'innovation.

À l'automne 2002, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, n'avait pas tardé à prendre la mesure de l'enjeu numérique pour la France en lançant, avec son gouvernement, le plan pour une politique numérique dans la société de l'information, dit plan RE/SO 2007 : il s'agissait d'une première étape ; nous y sommes !

Je me félicite donc des déclarations de M. le Président de la République, qui affiche une vision claire de la politique numérique qu'il souhaite pour notre pays, politique qui nous permettra d'aborder l'étape suivante, laquelle sera déterminante pour l'économie de notre pays.

En s'impliquant davantage dans l'économie numérique, l'État devra être particulièrement vigilant afin que le bouleversement qui accompagnera le passage au tout numérique respecte la satisfaction des besoins futurs des territoires, dans tous les domaines de la communication, et garantisse la qualité des produits audiovisuels proposés. Il devra, dans sa réflexion, anticiper les évolutions et fixer des règles pour l'usage des fréquences. À cette fin, il devra sans doute lui-même réformer ses organes de régulation.

On parle aujourd'hui de réception des chaînes de la TNT en haute définition, de télévision mobile personnelle ou bien encore de l'accès à la téléphonie mobile de troisième génération, alors que des millions de Français sont encore privés de toute possibilité de recevoir la TNT en définition standard ou de disposer de la téléphonie mobile, notamment en zones peu denses ou accidentées, tout simplement par absence de relais. La fracture numérique existe encore bel et bien, et le temps est venu de boucler définitivement le dossier de l'achèvement de la couverture de l'ensemble du territoire en téléphonie mobile et accès à l'Internet à un débit qui soit conforme à ce que nous pouvons attendre aujourd'hui.

Alors que - M. Valade l'a rappelé tout à l'heure - vont s'engager le 20 octobre prochain, à Genève, les discussions de la Conférence mondiale des radiocommunications et que le Gouvernement se prépare à donner à l'Agence nationale des fréquences son mandat de négociation - c'est du moins ce que nous espérons - je tiens à rappeler que la libération progressive, à partir de 2008, des fréquences actuellement occupées par la télévision analogique constitue une opportunité stratégique pour l'accès des Français à l'internet à haut débit fixe et mobile et pour l'aménagement numérique du territoire.

Pour une grande partie des zones rurales, qui représentent 30 % de la population et 70 % du territoire, les technologies filaires, optiques ou satellitaires ne permettent pas d'envisager une couverture par les réseaux d'accès à l'internet à haut débit fixe au-delà de 512 kilobits, ce qui est d'une autre époque.

En outre, pour ces territoires, les fréquences actuellement occupées par la téléphonie mobile de troisième génération sont si élevées qu'elles ne permettent pas d'envisager une couverture par les réseaux d'accès à l'internet à haut débit mobile.

Alors que les initiatives prises depuis cinq ans en faveur de l'extension de l'ADSL et de la couverture des zones blanches de la téléphonie mobile ont connu d'importants succès, une nouvelle fracture numérique risque d'apparaître rapidement entre les zones urbaines, très bien desservies, et les zones rurales, où le très haut débit fixe et le haut débit mobile resteront inaccessibles.

Pourtant, tous nos territoires ont besoin de débit et de mobilité. Les élus locaux qui siègent dans cet hémicycle le savent. Nos territoires « ont soif » de fréquences. Aucun d'eux ne doit être laissé en marge de la révolution numérique. La France numérique doit être aussi bien urbaine que rurale, et c'est même en zone rurale que la connexion numérique est la plus vitale.

C'est pourquoi l'Association des maires de France, dont je suis l'un des vice-présidents, a exprimé le souhait, le 27 septembre dernier, que la France s'engage activement dans les négociations européennes et internationales en cours afin d'identifier une sous-bande de fréquences qui pourrait, le moment venu et selon la procédure prévue par la loi, être affectée à la couverture du territoire par les réseaux fixes et mobiles d'accès à l'internet à haut débit.

Ne pas identifier ces fréquences à l'occasion de la Conférence mondiale des radiocommunications de 2007 conduirait à refermer durablement ces discussions sur le seul usage audiovisuel, alors même que la loi du 5 mars 2007 prévoit au contraire un choix ouvert entre les différents usages possibles, la moitié au moins des fréquences concernées devant revenir à l'audiovisuel, dont les télévisions locales.

À ces conditions, les services numériques de tous ordres devraient pouvoir continuer à croître sur l'ensemble des territoires de notre pays, dans un équilibre globalement maîtrisé. Cette question est essentielle pour l'avenir économique de notre pays et nous n'avons pas le droit de passer à côté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur. Monsieur le président, messieurs les sénateurs, je souhaite en cet instant vous exprimer à la fois ma satisfaction et mes regrets.

Satisfaction parce que tous les orateurs, quelle que soit leur appartenance politique, ont apporté un éclairage sur les enjeux de la politique numérique.

Regret parce que ce débat n'a pas l'audience qu'il mérite. Je félicite donc le petit nombre de sénateurs qui sont présents.

M. Jean-François Le Grand. La qualité supplée au nombre !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je ne suis d'ailleurs pas persuadé que les bancs de l'Assemblée nationale n'auraient été moins fournis sur un débat identique. Cela prouve qu'aux enjeux extraordinaires qui ont été mis en relief par les différents intervenants s'ajoutent ceux de la pédagogie et de la connaissance même du défi qui est posé à notre société. À cet égard, je suis d'accord avec M. Ralite pour considérer que ce n'est pas, en l'espèce, uniquement affaire d'économie et qu'il y a aussi un fort enjeu de société.

Je tiens à rendre hommage à M. Retailleau, qui, avant même de susciter ce débat par sa question orale, avait rendu, au nom de la commission des affaires économiques, un rapport d'information remarqué sur la régulation du numérique.

M. Bruno Retailleau. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. C'est indiscutablement un sujet à la fois complexe, passionnant et majeur, et je peux d'emblée vous assurer de la volonté du Gouvernement, au-delà de ma personne, de prendre en charge ce dossier aux aspects socio-économiques fondamentaux.

Comme vous l'avez souligné à juste titre, monsieur Retailleau, le numérique est incontestablement un domaine stratégique pour la compétitivité de notre pays, la réforme de notre administration ainsi que pour la croissance et l'emploi.

Les chiffres que vous avez mentionnés sont très significatifs, qu'il ne me paraît pas inutile de reprendre, ne serait-ce que pour souligner l'importance du sujet qui nous occupe ce matin.

Les technologies numériques pèsent déjà pour 25 % dans la croissance du PIB de notre pays et le retard d'investissement de nos entreprises dans les technologies de l'information et de la communication nous coûte près d'un demi-point de croissance.

Le secteur numérique s'appuie d'abord sur un réseau d'infrastructures, c'est-à-dire les équipements et supports indispensables à l'acheminement des communications électroniques, mais également sur un ensemble de services, les uns et les autres irriguant l'économie. Il est évident que leur développement constitue l'un des principaux moteurs de la globalisation.

Le numérique est aussi, à travers l'administration électronique, au coeur de la modernisation de l'action publique. Oui, monsieur Retailleau, c'est bien grâce à l'utilisation accrue des technologies de l'information et de la communication que nous pourrons réussir à rendre le fonctionnement de l'État plus performant et moins coûteux.

Un des défis majeurs devant lesquels notre pays se trouve aujourd'hui est la modération de sa dépense publique, sans que cela puisse pour autant nuire à l'efficacité du secteur public. Les technologies de l'information devront jouer tout leur rôle dans cette entreprise.

M. Bruno Retailleau. Tout à fait !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le numérique concourt aussi de façon déterminante à d'importantes politiques publiques, telles que l'aménagement du territoire ou le développement culturel.

En matière d'aménagement du territoire, plusieurs intervenants l'ont souligné, nous sommes exposés à un risque de fracture numérique. Il s'agit d'un problème majeur que nous ne pouvons pas éluder, car il y va de la responsabilité de l'action publique.

L'action publique ne saurait pas être réservée à telle ou telle portion de notre territoire, car le défi que nous avons à relever est bien de conduire une politique profitable à l'ensemble du territoire national.

Depuis le lancement du plan RE/SO 2007 par M. Jean-Pierre Raffarin, le Gouvernement s'est engagé dans la résorption des zones blanches en téléphonie mobile. Cette action a été menée de manière concertée entre l'État, l'Assemblée des départements de France, l'Association des maires de France, l'ARCEP et les opérateurs.

Au total, 70 millions d'euros en provenance de l'État et de près de 100 millions d'euros pour les opérateurs auront été consacrés à cette action.

À la fin du premier semestre de 2007, 75 % des 3 000 communes identifiées en zone blanche, c'est-à-dire ne bénéficiant d'aucune couverture par un opérateur de téléphonie mobile, ont ainsi été couvertes.

Je suis très attaché à la poursuite de cet effort. Ma région, la Touraine, qui est presque aussi belle que la Vendée, ...

M. Bruno Retailleau. Presque ! (Sourires.)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. ... est également concernée.

Il convient par ailleurs de lutter contre les zones blanches en haut débit. L'action volontaire du Gouvernement en faveur du dégroupage a permis le décollage du haut débit. Nous avons incité France Télécom à équiper tous ses répartiteurs afin que l'ADSL soit accessible dans des territoires isolés. Les équipements sont aujourd'hui en place.

Cet effort reste néanmoins encore insuffisant, et c'est pourquoi nous favorisons l'utilisation d'autres technologies telles que le satellite ou les courants porteurs en ligne. Nous avons octroyé des licences WiMAX assorties de critères forts de couverture des zones rurales.

Nous incitons les collectivités locales à faciliter l'arrivée des investissements des opérateurs sur leur territoire et nous avons officiellement demandé à la Caisse des dépôts d'accompagner les collectivités dans leurs efforts.

Enfin, il faut favoriser le développement rapide du très haut débit, et pas uniquement dans les grandes villes. Le Gouvernement conduit, dans ce domaine également, une action volontariste. L'objectif retenu de 4 millions d'abonnés en 2012 nous semble réaliste. Nous sommes heureux de constater que France Télécom fait une offre de location de ses fourreaux. Cela diminuera les coûts de déploiement de la fibre et accroîtra donc sa pénétration au coeur de nos territoires.

Monsieur Retailleau, s'agissant de l'organisation du Gouvernement dans le domaine du numérique, vous avez avancé l'idée de créer un Commissariat au numérique, rattaché au Premier ministre, afin de coordonner la politique menée en la matière.

Votre suggestion, de par son caractère transversal, doit faire l'objet d'une réflexion interministérielle, placée sous l'autorité du Premier ministre.

Comme vous le soulignez à juste titre, de nombreux organismes interviennent dans le domaine du numérique. Ainsi, pour les seuls départements ministériels, je citerai le ministère de l'économie, des finances et de l'emploi, qui a en charge le secteur des communications électroniques et les industries du numérique, le ministère de la culture et de la communication, responsable de la politique audiovisuelle, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'utilisation et de la diffusion auprès du grand public des nouvelles technologies de l'information et de la communication, à travers la délégation aux usages de l'internet, et le ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, pour l'administration électronique.

Face à ce qui pourrait être regardé comme un morcellement, voire une dispersion de l'action publique, l'idée que vous avancez d'un commissariat peut paraître a priori séduisante.

Par ailleurs, le développement du numérique se traduit par de grands chantiers qui nécessitent une implication forte des pouvoirs publics : le développement de la télévision numérique terrestre ; l'arrêt de la télévision analogique, que l'ensemble des orateurs a rappelé, avec en toile de fond la question du dividende numérique ; le développement du très haut débit, c'est-à-dire le déploiement de la fibre optique jusque dans les logements, et M. Retailleau a évoqué les problèmes de verticalité que cela pose ; ou encore l'administration électronique.

Ainsi, compte tenu de l'importance du numérique, une articulation cohérente de l'action de l'État paraît indispensable. Certains facteurs plaident donc en faveur de la création d'un commissariat au numérique pour coordonner ne serait-ce que les quatre ministères précités : de fait, cette question, monsieur Retailleau, ne saurait être éludée.

Je me dois néanmoins d'apporter quelques éléments d'éclairage qui peuvent nuancer ce besoin spécifique de coordination.

D'abord, une certaine dispersion de l'action publique dans le domaine du numérique est difficilement évitable. La modernisation de l'État, par exemple, repose largement sur la diffusion du numérique dans les processus internes à l'administration et dans les relations entre l'administration et les citoyens ou entre l'administration et les entreprises, c'est-à-dire sur l'administration électronique. Le développement de cette dernière nécessite en lui-même une certaine coordination, qui est assurée aujourd'hui par la DGME, la direction générale de la modernisation de l'État, mais qui relève avant tout de l'action de chaque ministère. Il est donc naturel que tous les ministres se sentent concernés par l'administration électronique et, à leur niveau, prennent des initiatives dans ce domaine.