Mme Évelyne Didier. Très juste !

Mme Fabienne Keller. Elle la condamne parce que la France n’a tout simplement rien fait pour transposer les textes, et ce alors que les directives OGM datent de 2001 et de 1998.

La sanction pécuniaire qui plane au-dessus de notre tête, soit 42 millions d’euros, ne crée pas les conditions d’un travail législatif apaisé.

Je ne peux que renouveler la recommandation que j’avais formulée dans mon rapport sur les enjeux de l’application du droit communautaire dans le domaine de l’environnement : il est impératif que l’exécutif mais aussi le législatif se saisissent plus en amont des travaux de la Commission européenne, pour peser davantage sur les décisions prises au sein du Conseil européen et du Parlement européen. Nous éviterions ainsi de nous retrouver systématiquement dans des situations de porte-à-faux qui décrédibilisent notre nation.

Aujourd’hui, la connaissance des OGM n’est plus la même qu’en 2001. C’est pourquoi les textes européens eux-mêmes méritent d’être remis en discussion pour prendre en compte non seulement l’évolution des connaissances, mais aussi l’exigence de transparence et de démocratie de nos concitoyens sur un sujet qui touche à la protection du vivant.

La présidence française de l’Union européenne, au second semestre de cette année, sera une opportunité de choix pour rouvrir ce dossier.

Telles sont, chers collègues, les quelques réflexions personnelles que je souhaitais partager avec vous au cours de cette discussion générale.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, vous pouvez compter sur ma participation, dans un esprit constructif et ouvert. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUC-UDF et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, les enjeux liés à la problématique des organismes génétiquement modifiés sont nombreux, complexes, mais ils ont un point commun : ils relèvent non pas seulement de considérations techniques ou scientifiques, certes très importantes, mais également du choix d’un projet politique.

Plusieurs clés d’entrée sont possibles pour analyser ces enjeux, et mes collègues Jean-Marc Pastor et Daniel Raoul sont déjà intervenus sur un certain nombre d’entre elles, notamment sur la recherche. Je partage toutes leurs analyses.

Quant à moi, je me limiterai à la question de la compétitivité économique durable de notre modèle agricole et de son rôle dans la promotion d’un développement solidaire.

Lors de notre débat, ici même, à la suite du Grenelle de l’environnement, je vous avais demandé, monsieur le ministre d’État, d’assumer une politique offensive sur les cultures en plein champ de plants génétiquement modifiés, et ce à un moment où jamais la biodiversité n’avait été autant menacée.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui en deuxième lecture est d’autant plus important qu’il sera la première concrétisation de la suite de ce Grenelle, qui avait fait naître tant d’espoirs pour certains.

Nous n’y voyons pas encore tout à fait un modèle nouveau de croissance plus respectueuse des hommes et de l’environnement, car nous savons tous maintenant qu’une croissance qui ne serait ni durable ni solidaire aura des conséquences écologiques, économiques et humaines désastreuses.

Autoriser la commercialisation et la culture de plants génétiquement modifiés ne me semble ni durable ni solidaire ! Ce n’est pas durable, car le risque de dissémination dans la nature est irréversible. Beaucoup de mes collègues ont d’ailleurs déjà souligné ce point.

En ce qui concerne l’expérimentation à des fins de recherche, ce risque de contamination doit être soumis à des dispositions légales draconiennes et réellement dissuasives afin que tous ceux qui n’ont pas fait le choix de cette technologie pour leurs cultures ou qui la refusent dans leur assiette puissent être réellement protégés.

Au nom de la liberté, certains ont souhaité amender le texte en y inscrivant la liberté de produire avec ou sans OGM. Mais il ne faut pas être naïf ! C’est la liberté du renard dans le poulailler !

Mme Évelyne Didier. Très juste !

Mme Odette Herviaux. Depuis maintenant plus de dix ans, les grands groupes semenciers mondiaux ont montré leur incapacité à empêcher les contaminations, sur les lieux tant de culture que d’expérimentation.

Il en est des productions génétiquement modifiées comme de la politique : les termes « cohabitation », « coexistence pacifique » ne sont que des inventions destinées à rassurer l’opinion publique. En réalité, chacun sait que cela ne fonctionne pas !

Mme Évelyne Didier. Monsanto fait des procès à ceux qu’il contamine !

Mme Odette Herviaux. D’ailleurs, monsieur le ministre d’État, vous reconnaissiez vous-même en septembre dernier que, « sur les OGM, tout le monde est d’accord : on ne peut pas contrôler la dissémination. Donc on ne va pas prendre de risque ». Sur ce point, je suis d’accord avec vous !

Au moment où l’on vient d’inscrire dans la Constitution le principe de précaution, il serait particulièrement inadmissible de donner les moyens légaux à certains de faire tout simplement du profit au risque, tout d’abord, de provoquer une pollution génétique irréversible et, ensuite et surtout, de mettre en péril tout ce qui fait la richesse et la variété de notre agriculture.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Odette Herviaux. À ce sujet, l’avancée que représente l’amendement n° 252, plus conforme à l’esprit du Grenelle de l’environnement, est le moins que l’on pouvait attendre.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Alors, votez-le !

Mme Odette Herviaux. Il n’en reste pas moins qu’il nous faudra bien régler deux problèmes majeurs : celui de la production conventionnelle de masse dans certaines régions et celui des importations massives en Europe des produits destinés à l’alimentation du bétail.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Que proposez-vous ?

Mme Odette Herviaux. Là encore, monsieur le ministre d’État, le choix du non PGM commercial est non seulement possible, mais aussi compatible avec les principaux défis agricoles qui nous attendent au niveau mondial, notamment celui de l’augmentation de la production pour pouvoir nourrir la planète dans les années à venir.

Je citerai le professeur Marcel Mazoyer, qui affirme ceci : « en étendant partout – en particulier là où les rendements sont restés très bas – les techniques connues » – elles sont encore très nombreuses – « corrigées de leurs excès pour être durables, on peut accroître le rendement moyen mondial de 25 %. Cette prudente évaluation montre que les terres disponibles, cultivées durablement, sont suffisantes pour nourrir toute l’humanité au XXIe siècle ».

Alors que, chez nous, la jachère existante – elle se réduit malheureusement comme peau de chagrin – ne saurait être techniquement suffisante et écologiquement intéressante, la dépendance en protéines végétales ne sera pas résorbée par la seule acceptation des OGM, sauf à admettre que les pays producteurs de PGM disposeraient d’une arme alimentaire qui fonderait définitivement notre dépendance.

Il convient plutôt de mettre en place, de structurer et de garantir réellement des filières d’approvisionnement sans OGM. C’est aujourd’hui possible, surtout quand on sait que les filières de soja non OGM au Brésil et en Inde représentent encore – mais pour combien de temps ? – entre 37 millions et 40 millions de tonnes, soit plus que la consommation totale de l’Europe – 38 millions de tonnes – et dix fois l’approvisionnement de la France.

Nous ne rivaliserons jamais avec les États-Unis, le Brésil ou l’Argentine sur le terrain de la production de masse, à bas coût, et maintenant en OGM. Notre tissu agricole ne s’y prête pas, notre histoire et nos stratégies alimentaires non plus.

Au-delà de toute considération écologique, ce serait un non-sens économique que d’emprunter la seule voie de productions génétiquement modifiées. Notre force réside dans la valeur ajoutée de nos produits et la richesse de nos terroirs sans qu’il soit nécessaire de compromettre notre sécurité alimentaire et l’importance de nos capacités de production.

Je rappellerai simplement que, depuis vingt ou trente ans, au niveau du commerce mondial, si les États-Unis sont les champions en matière d’exportation de boissons à base de cola et de céréales OGM, rejoints en cela par le Brésil et d’autres pays émergents, l’Europe est devenue le premier exportateur de produits transformés. Nous devons maintenir la valeur ajoutée que nous avons dans ce domaine.

Nous devons donc faire le choix à la fois de la compétitivité par la qualité et de la solidarité.

Permettez-moi d’intervenir brièvement sur la solidarité nationale. À ce sujet, je rejoins tout à fait l’orateur qui, tout à l’heure, parlait d’ « inverser la charge de la preuve ».

Il me paraît inadmissible que nos agriculteurs portent seuls la responsabilité des risques liés à des contaminations éventuelles. Et ce n’est pas non plus aux contribuables de payer pour la garantie de réparation de préjudices économiques ou environnementaux qui sont essentiellement le fait des distributeurs et des semenciers. À titre de comparaison, je souligne que, lorsqu’un chauffeur commet une imprudence liée à une défaillance technique sur un véhicule, c’est le constructeur du véhicule qui est condamné.

Mme Odette Herviaux. Quant à la solidarité internationale, nous savons que les PGM du commerce ne sont pas faits pour ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter, et que leur culture à grande échelle risque d’appauvrir et d’affamer encore plus les petits paysans des pays pauvres. Je suis d’accord avec M. le ministre de l’agriculture lorsqu’il déclare ceci : « il faut que ces pays pauvres retrouvent une capacité de production autonome ».

Mais la sécurité alimentaire du monde, ce n’est pas seulement l’autosuffisance pour chacun. Seule une organisation plus équitable et plus durable des échanges internationaux pourra le permettre.

Au lieu de favoriser une uniformisation libérale de l’agriculture, la France et l’Europe devraient adopter des positions fortes, à l’échelle internationale, pour permettre à chaque pays de préserver son patrimoine écologique, d’assurer la viabilité de son modèle agricole et sa sécurité alimentaire.

Mme Odette Herviaux. Cela nous semble incompatible avec une utilisation commerciale massive et généralisée de plants génétiquement modifiés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de lUC-UDF.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois de plus, les discussions franco-françaises auxquelles nous tenons tant risquent de masquer la situation du paysage alimentaire mondial qui connaît depuis quelques mois de très grandes difficultés.

J’étais en Afrique voilà quelques semaines. Pour les habitants du Sénégal ou du Mali, nos débats sur le point de savoir si les précautions prises pour encadrer les cultures d’OGM sont suffisantes peuvent sembler bizarres…

M. Jean-Pierre Fourcade. … et apparaître comme une préoccupation de pays développé, qui a tout ce qu’il faut, surtout comparé à l’ensemble des drames mondiaux. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Dans ce cadre, la commission des affaires économiques, parfaitement présidée par M. Jean-Paul Emorine, est parvenue, grâce au rapport extrêmement fouillé et objectif de M. Jean Bizet,…

M. Jean-Marc Pastor. C’est exact !

M. Jean-Pierre Fourcade. … qui s’est efforcé de tenir compte de tous les éléments actuellement en discussion, à faire adopter en première lecture par le Sénat un texte équilibré. Ce dernier garantissait la liberté du choix des agriculteurs, il encadrait la totalité des opérations de cultures OGM et il appliquait le principe constitutionnel de précaution que nous avons intégré dans la Constitution.

Depuis, il y a eu beaucoup d’agitation et de pantalonnades,…

M. Roland Courteau. N’exagérez pas !

M. Jean-Pierre Fourcade. Mais non !

… beaucoup de pantalonnades, disais-je, au cours desquelles ont été oubliés les principes qui fondent ce texte. C’est pourquoi je tiens à remercier tout spécialement M. le ministre d’État du caractère très modéré et extrêmement consensuel de son intervention en ouverture de ce débat.

Cela met fin …

M. Roland Courteau. Aux pantalonnades ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. …à un certain nombre de polémiques et devrait permettre qu’une large majorité adopte ce texte, qui a été mis au point par le Gouvernement, amélioré par le Sénat et complété par l’Assemblée nationale, même si quelques scories demeurent, qui, je l’espère, pourront être supprimées.

J’ai trois préoccupations.

Tout d’abord, nous devons respecter nos engagements européens. Il serait selon moi tout à fait condamnable que le Président de la République française mette en jeu la crédibilité de sa position en tant que président du Conseil de l’Union européenne au 1er juillet 2008 alors que n’aurait pas été réglée la question de la transposition des directives.

La première date de 1998 – dix ans, excusez du peu ! –, la deuxième de 2001. Par conséquent, nous en sommes arrivés au point où nous risquons des sanctions financières. Compte tenu de la situation financière de notre pays, alors que l’on ne cesse de nous répéter que les caisses sont vides, je trouverais stupide de continuer à dépenser de l’argent au motif que nous ne sommes pas capables de transposer ces directives.

À cet égard, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, il me semble qu’à la veille d’assurer cette présidence la France doit mettre un point d’honneur à être à jour dans la transposition des directives environnementales, notamment sur la responsabilité environnementale, les pollutions marines ou l’air ambiant, qui datent de plusieurs années et ont été approuvées par les gouvernements qui se sont succédé, tant socialistes que modérés. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Qu’entendez-vous par « modérés » ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Il faudrait faire un effort pour que ces transpositions soient effectuées. Le Gouvernement, en nous proposant ce projet de loi, en a fait un…

M. Paul Blanc. Depuis 1998, les socialistes auraient pu faire quelque chose !

M. Jean-Pierre Fourcade. … et, par conséquent, ce n’est pas à lui que nous pouvons reprocher de ne pas s’être dépêché. C’est aux gouvernements qui l’ont précédé !

Deuxième préoccupation, qui est partagée par l’ensemble des intervenants qui se sont exprimés, et sur laquelle M. Jean Bizet a d'ailleurs beaucoup insisté : il faut préserver notre capacité de recherche. Cela est essentiel pour éviter qu’à l’avenir nous n’ayons à subir le monopole de semenciers américains. Il suffit de restreindre plus encore la capacité de réaliser des cultures OGM pour voir, dans cinq, dix ou quinze ans, les semenciers américains, brésiliens ou indiens exercer un monopole absolu, alors que la recherche française aurait disparu.

M. Dominique Braye. C’est trop tard, le combat est perdu depuis bien longtemps !

M. Jean-Pierre Fourcade. Ainsi, il ne faut pas que se reproduise la malheureuse affaire de Limagrains, dont les essais importants de cultures ont fait l’objet de fauchages systématiques par des gens mal informés.

M. Dominique Braye. Ils sont payés par Monsanto ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. En effet, c’est notre capacité de recherche qui est en cause.

Je ne crois pas, monsieur le ministre d’État, que ce soit aujourd’hui une question de modalités financières. Un intervenant a tout à l’heure proposé de manière tout à fait astucieuse que l’on fasse un peu moins de recherche sociologique ou psychologique et plus de recherche génétique. En effet, cela pourrait se traduire, sur le long terme, par des avancées plus importantes à la fois pour nos habitudes alimentaires et pour notre position dans le monde.

Dès lors que notre agriculture, qui se place aujourd'hui au deuxième ou au troisième rang mondial, est capable de faire face aux demandes d’un certain nombre de pays en difficulté, il serait criminel d’abandonner la recherche en matière génétique ou de la laisser végéter – la connotation végétale du terme ne vous aura pas échappé ! –, comme c’est le cas à l’heure actuelle. Le Gouvernement et le Parlement sont responsables du long terme et non pas de l’événementiel, de l’article du journal qui paraît le lendemain. (M. Dominique Leclerc applaudit.) Ils doivent absolument faire un effort pour que cette capacité de recherche – recherche tant privée que publique – soit développée de manière à pouvoir lutter contre les monopoles de fait qui sont en train de se constituer.

Vous avez interdit la commercialisation d’un produit de Monsanto, à mon avis à juste titre, car tous les scientifiques avaient jugé ce produit néfaste.

MM. Jean Desessard et Jacques Muller. Ah !

M. Jean-Pierre Fourcade. Toutefois, il faut pouvoir développer et mettre à la disposition de nos agriculteurs, de nos entreprises des brevets français déposés par l’INRA et par les autres organismes de la recherche.

M. Paul Blanc. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Enfin, ma troisième préoccupation, qui est aussi un principe auquel le groupe UMP est extrêmement attaché, tient à la nécessité de faire respecter la liberté de choix des agriculteurs quant aux produits avec OGM ou sans OGM, quitte à définir ce qu’est un produit sans OGM. Je vous poserai d'ailleurs une question à ce sujet, monsieur le ministre d’État.

Dans le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, a été conservé l’article 4, qui prévoit des sanctions pénales aggravées pour ceux qui s’opposeraient à tout développement des recherches, ce qui est une bonne chose. Je souhaite que ces sanctions soient appliquées, car on ne peut pas se satisfaire de pantalonnades alors que le problème de fond qui est posé est de savoir si, dans dix ans, notre agriculture aura la même capacité de développement mondial et de rendement pour l’ensemble de nos concitoyens et pour le marché européen, grâce à une recherche avancée. Si l’on bloque aujourd'hui les mécanismes de recherche, notre agriculture perdra sa position dans le monde.

M. Jean Bizet, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Voilà, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, ce je souhaite.

Respecter nos engagements européens et ne pas prendre trop de retard, préserver notre capacité de recherche tant publique que privée – il n’y a en France aucune obligation à ce que toute la recherche soit publique, et il peut y avoir une recherche privée, à condition qu’elle soit encadrée, évaluée, que les brevets soient déposés et que tout le monde, par conséquent, puisse s’en servir –, faire respecter la liberté de choix, en mettant de côté l’agitation de rue et les pantalonnades,…

M. Jean-Pierre Fourcade. … dans la mesure où nous pouvons arriver à des résultats tangibles : telles sont donc mes trois préoccupations.

Comme vous l’avez vous-même souligné au début de votre intervention, monsieur le ministre d’État, nous soutiendrons l’amendement de la commission des affaires économiques qui tend à modifier quelque peu l’amendement voté par hasard par l’Assemblée nationale…

Mme Évelyne Didier. Pas par hasard !

M. Jean-Pierre Fourcade. …. – chacun sait que, dans l’autre assemblée, le happening prévaut souvent en séance au détriment du travail préalable des commissions –, amendement d’ailleurs adopté contre l’avis de la commission.

Pour moi, cet amendement est important. Mais j’aimerais que vous nous expliquiez, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, comment vous comptez fixer les limites pendant la période transitoire. J’ai entendu Mme Keller dire que la limite de 0,9 % était trop élevée et souhaiter que la limite minimale soit fixée à 0,1 %.

Pourriez-vous indiquer au Sénat dans quelle direction vous allez et en quoi consiste à peu près le système que vous nous proposez ?

M. Jean Bizet, rapporteur. Une question simple ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Fourcade. Ainsi, la liberté de choix serait respectée, nous y verrions plus clair et nous pourrions voter cet amendement sans aucune arrière-pensée. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, par leur écoute des citoyens et leur liberté de choix, nos collègues députés ont sensiblement enrichi le projet de loi issu de nos travaux.

Tout d’abord, deux amendements, votés après avoir reçus un « avis de sagesse », visent à protéger des contaminations l’environnement et l’agriculture de qualité. Ils sont d’ailleurs quasiment identiques à ceux que j’avais déposés en première lecture, ici même, et auxquels M. le rapporteur s’était opposé.

Ensuite, le droit à la participation du public en matière de cultures d’OGM est consacré dans les articles 1er et 9, mettant ainsi la loi française en conformité avec la convention d’Aarhus.

Enfin, quelques améliorations ont été apportées au Haut conseil, sans toutefois remettre en question son fonctionnement, qui reste encore très déséquilibré.

Pour autant, le texte ne répond pas aux attentes des Français. Il faut travailler plus pour respecter les conclusions du Grenelle, dans l’esprit et la lettre, quand bien même elles heurteraient les intérêts catégoriels de ces lobbies productivistes qui plombent la législation de notre pays depuis des décennies.

Dans un esprit parfaitement constructif, nous déposerons plusieurs amendements « grenellement compatibles », et ce à trois niveaux.

Le premier niveau est celui de la préservation effective de la liberté de choix du producteur et du consommateur, ainsi que de la protection de l’environnement.

La directive 2001/18/CE que nous sommes invités à transcrire précise que nous devons « prendre des mesures permettant d’éviter la présence d’OGM dans d’autres produits », ce que le Grenelle de l’environnement traduisait par « garantir la liberté de produire et de consommer sans OGM ».

Hélas ! En affirmant « la liberté de produire avec ou sans », on place curieusement sur un pied d’égalité les cultures d’OGM, qui introduisent un événement génétique radicalement nouveau dans l’environnement, et les cultures traditionnelles. Dans un tel cas de figure, lorsque la liberté des uns – les promoteurs d’OGM – se heurte à celle des autres – tout le reste de la société qui n’a rien demandé –, la loi doit être rédigée de telle sorte que la liberté du faible soit réaffirmée et effectivement protégée.

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État. C’est le cas !

M. Jacques Muller. Le « avec ou sans » est donc parfaitement incongru et les dispositions techniques qui en découlent dans l’article 3 sont loin de permettre la protection du faible, dans le respect du principe constitutionnel de responsabilité.

Dans le même esprit, le texte qui nous revient reste encore et toujours entaché d’une conception réductrice, minimaliste, des seuils de contamination. Je suis au regret de devoir dénoncer la confusion, volontairement entretenue, entre le seuil de détection de la présence d’OGM dans les cultures et le seuil d’étiquetage à destination des consommateurs, c’est-à-dire le fameux 0,9 %.

En toute rigueur, la présence ou non d’OGM dans les cultures ou l’environnement – c’est bien l’objet de nos travaux de transcription de la directive – doit être évaluée scientifiquement, au niveau du seuil de détection technique reproductible, soit actuellement 0,1 %.

Le deuxième niveau est celui du Haut conseil.

Le Président de la République soulignait, dans son discours du 25 octobre, la nécessité d’associer la société civile aux processus de décisions. Ce n’est donc pas un scientifique mais une personnalité qui doit animer le Haut conseil, une autorité morale bénéficiant d’une légitimité publique, de manière à assurer la cohésion de l’instance en toute impartialité.

De même, les avis de synthèse doivent être pris en séance plénière : c’est le seul moyen pour sortir du faux antagonisme, cultivé par certains, entre les scientifiques et la société civile.

Le troisième niveau est celui de la mise en œuvre du principe constitutionnel de responsabilité.

Ce principe, inscrit dans la Charte de l’environnement, n’est toujours pas décliné sérieusement.

Premièrement, il fait porter la responsabilité des contaminations sur le seul transgéniculteur, qui devient le fusible pour l’ensemble de la filière OGM, pourtant concernée dans sa globalité : importateurs, stockeurs, distributeurs de semences ou de produits génétiquement modifiés, semenciers, tous contribuent à la dissémination volontaire d’OGM, mais ils restent curieusement les grands « oubliés » dans le dispositif envisagé.

Deux de nos amendements visent à responsabiliser financièrement tous les acteurs de la chaîne de diffusion d’OGM, et plus particulièrement les firmes productrices : c’est le seul moyen de ne pas imputer indûment aux producteurs labellisés « sans OGM » les coûts de traçabilité de leurs produits.

Deuxièmement, les conditions de déclenchement du processus d’indemnisation – les notions de proximité et de simultanéité – restent inacceptables, car elles sont réductrices et déconnectées de la réalité.

Troisièmement, enfin, l’indemnisation du préjudice subi n’est pas recevable : il est complètement sous-évalué au niveau des différentiels de prix retenus. Quant au préjudice moral, tel que la perte de label ou de clientèle, il est ignoré, tout comme le préjudice environnemental !

Au Sénat, nous sommes aussi capables de faire prévaloir l’intérêt général sur celui des lobbies productivistes agricoles et industriels. Évitons d’ouvrir en grand les vannes des OGM dans nos campagnes et de transformer celles-ci en paillasses de laboratoire !

Il y va de notre crédibilité vis-à-vis de nos concitoyens. Nous n’avons pas le droit de les décevoir en trahissant les conclusions du Grenelle de l’environnement à l’occasion de ce premier grand texte d’application : la problématique des OGM ne se réduit pas à celle du maïs MON 810 !

Il y va également de la consolidation de nos avantages comparatifs dans la division internationale du travail agricole. Valorisons et protégeons les potentiels spécifiques de l’agriculture française, c’est-à-dire ses terroirs et ses signes de qualité reconnus à l’échelle mondiale, à l’instar de notre gastronomie ! C’est la seule stratégie qui permettra à nos producteurs agricoles, dont les structures de petite taille ne supportent pas la comparaison avec leurs concurrents étrangers d’outre-Atlantique, de continuer à travailler et de contribuer positivement à l’aménagement durable de nos campagnes.

Mais pour cela, il nous faudra, mes chers collègues, refuser certains clichés tenaces – le pro-OGM sachant et progressiste face à l’anti-OGM ignare et passéiste – et certains mythes, tel celui qui consiste à croire que le problème de la sous-alimentation dans le monde trouvera sa réponse dans la fuite en avant dans les OGM : cet argument fallacieux est asséné par ceux-là même qui font aujourd’hui la promotion des agro-carburants à l’échelle de la planète, provoquant la flambée des prix des denrées alimentaires de base et les émeutes de la faim.

Faut-il rappeler que ce sont les mêmes qui ont conduit à la famine les paysanneries du tiers-monde, d’Asie notamment, en introduisant dans ces pays, à coup de crédit, des modèles agricoles productivistes aux conséquences particulièrement dévastatrices sur le plan environnemental et sociétal ?

Il nous faut également refuser les amalgames, comme celui qui consiste à appréhender à l’identique la recherche publique ou les applications médicamenteuses des biotechnologies, qui ne souffrent pas de contestation, et le développement massif des cultures d’OGM dans nos campagnes.

Il faut, enfin, savoir dépasser les clivages politiques traditionnels pour se rassembler sur l’essentiel.

Compte tenu des incertitudes sur le long terme pour l’environnement et la santé et des certitudes quant aux risques encourus pour les spécificités qualitatives de l’agriculture française, nous devons prendre nos responsabilités et nous donner les moyens de maîtriser effectivement « la diffusion volontaire d’OGM dans l’environnement », comme nous y invite la directive 2001/18/CE. La très grande majorité des paysans de France, les consommateurs, nos concitoyens et les générations futures nous en seront reconnaissants !

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, faisons tout simplement vivre le Grenelle de l’environnement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)