M. Jean-Louis Carrère. C’est ce que vous allez faire !

M. Jean-Pierre Bel. Tout cela, c’est la IIIe République !

M. Hugues Portelli. Alors, toute critique disparut, comme par enchantement.

En 1945, la gauche marxiste, devenue majoritaire, obtint la suppression du Sénat dans son projet constitutionnel de mai 1946.

M. Jean-Louis Carrère. Marx vous obsède !

Mme Christiane Hummel. Parlez-en aux populations des anciens pays de l’Est !

M. Hugues Portelli. Le motif allégué était la chute du gouvernement Blum du Front populaire, renversé à deux reprises par le Sénat.

La critique disparut avec le ralliement de la SFIO à la Troisième Force.

En 1958, l’échec de la classe politique traditionnelle et son laminage aux élections législatives de 1958 firent du Sénat le refuge de la gauche traditionnelle, François Mitterrand en tête. Bastion de l’opposition antigaulliste, la Haute Assemblée fut épargnée par les critiques des socialistes, lesquels soutinrent Alain Poher à l’élection présidentielle de 1969, certains dès le premier tour.

Il fallut donc attendre la double victoire de la gauche en 1981 pour que celle-ci redécouvre le thème antisénatorial.

M. Yannick Bodin. Vous avez voté François Mitterrand !

M. Hugues Portelli. Faut-il imaginer qu’une victoire, toujours possible, de la gauche aux élections sénatoriales dans les années à venir…

M. Yannick Bodin. Cela ne change rien !

M. Hugues Portelli. …ferait à nouveau taire les critiques et montrerait que le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’était finalement qu’un texte de circonstance ?

Prenons néanmoins cette proposition de loi au sérieux et examinons-la.

Le Sénat étant l’assemblée représentant les collectivités territoriales et les Français établis hors de France, on était en droit d’attendre de nos collègues un texte tendant à renforcer la nature démocratique d’un système électoral qui repose sur le scrutin indirect.

Certes, comme tout mode de désignation, celui des sénateurs est perfectible et souffre de plusieurs défauts.

M. Jean-Louis Carrère. Clause de style !

M. Hugues Portelli. Tel est le cas, par exemple, de la composition du collège électoral. Au sein du collège des électeurs municipaux, la prime majoritaire de 50 % des sièges pour les communes de plus de 3 500 habitants aboutit à donner à la représentation proportionnelle un poids secondaire puisqu’une liste peut, en l’emportant avec moins de 40 % des suffrages, disposer d’une majorité confortable au conseil municipal et détenir ainsi la très grande majorité des délégués des électeurs sénatoriaux. Les autres listes n’ont droit qu’à une représentation et, par conséquent, qu’à un nombre symbolique de délégués sénatoriaux.

De même, les inégalités considérables dans le découpage et le poids démographique des cantons pèsent sur le résultat des élections cantonales et, partant, sur la répartition des électeurs sénatoriaux du département.

Au-delà des inégalités de représentation largement atténuées par les réformes de ces dernières années, la coexistence de deux systèmes différents, l’un majoritaire dans les départements ruraux et l’autre proportionnel dans les départements urbains, permet, elle aussi, une stricte parité entre les hommes et les femmes dans les seconds, mais la rend marginale dans les premiers.

M. Jean-Louis Carrère. Cette obligation de parité est contournée par la constitution de plusieurs listes !

M. Hugues Portelli. De même, la surreprésentation des communes, dont le nombre, en raison de leur émiettement, est, dans notre pays, sans équivalent en Europe, déséquilibre la représentation des collectivités territoriales au détriment des niveaux supérieurs.

Les adversaires du bicamérisme s’appuient sur ces distorsions bien connues pour critiquer la légitimité de la deuxième chambre, oubliant, au passage, les distorsions qui affectent l’élection des députés, quel que soit le mode de scrutin choisi.

On s’attendait donc à une proposition qui s’attache à prolonger les réformes courageuses engagées par la majorité sénatoriale ces dernières années, qu’il s’agisse de l’abaissement de l’âge d’éligibilité, de la réduction de la durée du mandat, qui rapproche désormais l’élection des sénateurs du calendrier des élections locales, du rééquilibrage au profit des départements urbains en augmentant le nombre de leurs sénateurs, des progrès de la parité grâce à l’extension de la représentation proportionnelle de liste.

M. Guy Fischer. À peine !

M. Hugues Portelli. En fait, tel n’est pas l’objectif visé par cette proposition de loi : certes, elle époussette le système actuel en retirant, par exemple, les députés du collège électoral, mais elle consiste, pour l’essentiel, en un gigantesque tour de passe-passe. Au lieu et place des représentants des collectivités territoriales, issus des assemblées locales, la proposition de loi substitue les délégués des partis.

M. Jean-Pierre Bel. Cela existe déjà !

M. Hugues Portelli. Dans les communes, en imposant un délégué pour 300 habitants, elle créerait 76 000 délégués nouveaux, et la majorité d’entre eux seraient non pas des élus locaux, mais de militants désignés par les appareils partisans.

M. Robert Bret. C’est déjà le cas dans les grandes villes !

M. Hugues Portelli. Dans les départements, le collège électoral passerait de 3 857 élus cantonaux à 45 791, soit un élu local pour 11 militants de partis.

Dans les régions, par une manipulation identique, il serait adjoint aux 1 722 conseillers régionaux 44 000 délégués, soit 26 militants pour un élu local.

M. Jean-Pierre Bel. Cessez de vous répéter !

M. Hugues Portelli. S’agissant des représentants des Français établis hors de France, en recourant au même tour de passe-passe, cette proposition de loi ferait passer les grands électeurs de 155 à 4 735.

Au total, le collège électoral doublerait, passant de 144 000 à 305 000 électeurs, non pas pour démocratiser le système électoral, mais pour donner la majorité absolue aux délégués des partis, sans que ceux-ci détiennent la moindre légitimité démocratique.

M. Jean-Louis Carrère. Comment cela ? Vous dites n’importe quoi ! C’est de la provocation !

M. le président. Monsieur Carrère, veuillez écouter l’orateur ! Si vous souhaitiez vous exprimer, vous n’aviez qu’à vous inscrire dans la discussion générale ! (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)

M. Hugues Portelli. Une telle proposition de loi est donc condamnable à plus d’un titre.

Premièrement, elle défie les règles démocratiques.

À l’élection directe des grands électeurs à l’occasion des élections locales, qui est la source de la légitimité du Sénat, la proposition de loi socialiste substitue la constitution d’un collège partisan, issu du choix des appareils de partis, alors que leur légitimité démocratique, du fait du faible nombre d’adhérents en France, a toujours été contestée par les élus et les électeurs, y compris dans les partis de gauche.

M. Jean-Louis Carrère. Vous-même êtes un délégué de l’UMP ! Qu’avez-vous donc contre les partis ?

M. Hugues Portelli. Chers collègues de l’opposition, en quoi des délégués désignés par les partis sans la moindre intervention de l’électeur seraient-ils, dans votre esprit, plus légitimes que les grands électeurs actuels désignés par les citoyens dans le cadre d’une élection ?

M. Jacques Mahéas. Voyez donc les résultats des dernières élections !

M. Hugues Portelli. Sous prétexte de représentation égalitaire entre les différents types de collectivités, vous proposez tout simplement de mettre de côté le suffrage universel pour laisser aux partis le choix souverain de délégués dont on peut penser que leur libre choix sera singulièrement limité et leur connaissance de l’enjeu sujette à caution. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Deuxièmement, comme l’a rappelé M. le rapporteur, cette proposition de loi viole ouvertement la Constitution.

Le Conseil constitutionnel avait censuré, en 2000, une loi élaborée par le gouvernement Jospin qui, en instaurant automatiquement un délégué municipal pour 300 habitants, quelle que soit la taille des communes, créait un nombre important de grands électeurs choisis en dehors des conseils municipaux ; cette modification allait au-delà de la simple correction démographique tolérée par le Conseil constitutionnel, puisqu’elle donnait aux délégués non élus une part substantielle, voire majoritaire, du collège électoral sénatorial dans certains départements.

Or la prise en compte des évolutions de la population, que le Conseil constitutionnel vérifie aussi bien dans la représentation des différentes collectivités à l’intérieur de chaque département que dans la répartition entre les départements, ne doit pas remettre en cause le fait que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, doit être élu par un collège émanant essentiellement de ces collectivités, donc par les membres des assemblées délibérantes de ces collectivités.

De même, l’équilibrage démographique de la représentation ne peut aller jusqu’à remettre en cause la représentation minimale de tous les territoires, également imposée par la Constitution, y compris pour l’élection des députés.

La proposition de loi qui nous est soumise accentuerait jusqu’à l’absurde cette inconstitutionnalité. Elle n’est donc en aucun cas recevable.

M. Jean-Louis Carrère. Notre professeur mérite d’être recalé ! Il n’a rien compris !

M. Hugues Portelli. Pour autant, ce texte ne doit pas simplement être refusé au motif de son inconstitutionnalité, car il démontre une incompréhension majeure de la nature et du rôle du Sénat.

Dans un système bicaméral, les deux chambres n’ont pas vocation à jouer un rôle identique. Dans la tradition républicaine française, la seconde chambre, représentative des collectivités territoriales, détient à ce titre un pouvoir législatif. Nous savons tous que son travail, enrichi par l’expérience de gestion locale de ses membres, repose sur l’examen attentif des textes. Qu’en serait-il de cette richesse et de cette spécificité si le Sénat devenait une assemblée de militants dépourvus de l’expérience gestionnaire, de la culture juridique et financière de l’élu local, et n’ayant pour seul bagage que l’idéologie de leur parti ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le climat de tolérance réciproque qui fait la qualité de cette assemblée, la technicité du travail législatif qui y est accompli, disparaîtraient rapidement et le Sénat n’aurait plus de raison d’être.

M. Jean-Louis Carrère. C’est bien connu : quand on est de gauche, on est idéologue ! Ces propos sont incroyables !

M. Hugues Portelli. Si la réforme du mode de désignation des sénateurs doit rester à l’ordre du jour, elle ne peut en aucun cas emprunter la voie antidémocratique qui nous est proposée aujourd’hui.

Dans un État encombré d’un nombre excessif de collectivités et d’établissements publics intercommunaux, où l’émiettement communal, hérité d’un autre âge, n’a plus de justification, c’est la réforme de la structure territoriale qui doit précéder la réforme du bicamérisme. Celle-ci doit non pas appauvrir le Sénat en lui faisant perdre ce qui fait son originalité et sa contribution au travail législatif et de contrôle, mais, au contraire, le renforcer en resserrant son lien avec les territoires, avec le tissu démocratique local, qui est la véritable exception culturelle de la vie politique française.

Le débat doit donc non pas s’arrêter à l’absurdité juridique et politique de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui, mais reprendre demain en empruntant la voie tracée par la majorité sénatoriale depuis six ans.

M. Hugues Portelli. En adoptant aujourd’hui la motion tendant à opposer la question préalable sur un texte qui n’est ni constitutionnel ni démocratique, le groupe UMP n’entend pas se figer dans une attitude conservatrice. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Ne changeons rien !

M. Hugues Portelli. Il souhaite simplement que le débat légitime sur l’élection des sénatrices et des sénateurs respecte les principes essentiels de la tradition républicaine et de la Constitution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et sur des travées de lUC-UDF.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez pas toujours dit cela !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, discuter des institutions sans aborder la question des modes de scrutin a-t-il un sens ? Là est la question !

Le débat sur la révision de la Constitution s’est conclu, hier, à l’Assemblée nationale, par un échec pour le Président de la République et son gouvernement : il n’y a pas de consensus et, de toute évidence, la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés exigée pour toute réforme constitutionnelle aura bien du mal à être réunie.

Nous aurons l’occasion, dans quelques jours, de détailler nos critiques sur ce projet de loi constitutionnelle, mais comment ne pas constater, dès à présent, que la modernisation de la ve République ne vise aujourd’hui qu’à atteindre un seul objectif : le renforcement des pouvoirs du Président de la République, et ce au détriment tant du pouvoir législatif que du gouvernement, responsable devant celui-ci.

La réforme institutionnelle de Nicolas Sarkozy n’améliore pas les droits du Parlement ; elle confirme, au contraire, la minoration de son rôle.

L’une des clés d’un réel renforcement du Parlement, c’est le renforcement de sa représentativité. Or, chacun le constatera, la représentation démocratique du peuple n’est assurée ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat.

Pire, la Constitution de 1958 a, de manière fort habile, installer un véritable verrou législatif au profit de la droite parlementaire en pérennisant la domination conservatrice dans la seconde chambre.

Michel Debré et ses amis avaient bien retenu les leçons de l’histoire : face aux élans des peuples, rien de tel qu’une seconde chambre dont la « modération » est garantie par un mode de scrutin dont l’injustice a été savamment calculée.

Ainsi, depuis toujours, le Sénat est il dirigé à droite, certes d’obédience centriste durant longtemps, …

M. Robert Bret. Les amis de M. Mercier !

Mme Éliane Assassi. … mais à droite tout de même, sans qu’une alternance ait pu un jour être envisagée.

Tout le monde s’accorde pour constater que, malgré une domination incontestable de la gauche dans les collectivités territoriales d’aujourd’hui, il faudra attendre 2014 pour, éventuellement, assister à un basculement, si le Gouvernement et l’UMP n’ont pas d’ici là bricolé en leur faveur les modes de scrutin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Il est d’ailleurs curieux que M. Fillon et l’UMP s’empressent de modifier le mode de scrutin régional, de redécouper les circonscriptions, …

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est pour vous rapprocher des socialistes !

Mme Éliane Assassi. … sans envisager de remédier non pas à l’anomalie, mais au scandale démocratique que constitue le Sénat d’aujourd’hui.

M. Christian Cointat. Modérez vos propos !

Mme Éliane Assassi. Existe-t-il en Europe une assemblée élue au suffrage indirect par un collège de 138 000 grands électeurs disposant de pouvoirs aussi étendus, notamment dans le domaine constitutionnel ? Moderniser la Ve République exige une profonde démocratisation et, selon les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, une profonde réforme de sa place dans les institutions.

L’heure est venue de changer le Sénat. La droite ne peut plus affirmer, ici ou là, cette nécessité et reculer à chaque occasion concrète d’agir.

Mme Éliane Assassi. Comment ne pas rappeler les propos de M. Devedjian (Ah ! sur les travées de l’UMP.), chef de l’UMP, qui déclarait le 12 juin 2003 : « Bien sûr, la gauche existe, et si elle est insuffisamment représentée au Sénat, qu’elle s’en prenne d’abord à elle-même et qu’elle fasse le travail d’implantation sur le territoire qu’elle n’a pas fait. » (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Eh bien ! les vœux de M. Devedjian ont été exaucés, la droite est minoritaire dans les régions, les départements, les grandes villes et les villes moyennes. Une très grande majorité de la population vit dans des collectivités territoriales dirigées par la gauche.

M. Robert Bret. Cherchez l’anomalie !

Mme Éliane Assassi. L’heure d’une réforme du Sénat semble pourtant approcher.

Rappelons-nous, durant la campagne présidentielle, M. Sarkozy envisageait publiquement la nécessité d’une dose de proportionnelle au Sénat.

M. Jean-Louis Carrère. Il a tout envisagé !

Mme Éliane Assassi. Lors de la campagne des élections législatives, l’UMP a inscrit dans son programme la nécessité d’une évolution démocratique du Sénat.

Au lendemain des élections, M. Devedjian, encore lui, évoquait la proportionnelle intégrale pour le Sénat, vantant les mérites de la « représentativité et de la dynamique » d’un tel système.

M. Robert Bret. Bravo Devedjian !

Mme Éliane Assassi. Plus précisément, le comité Balladur lui-même indiquait : « Quelle que soit la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par la Constitution, les zones peu peuplées ne peuvent être représentées au détriment de celles qui le sont davantage ». Le comité proposait donc que l’article 24 de la Constitution dispose que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population″ ».

Mme Éliane Assassi. Cette proposition a dû paraître trop audacieuse au Gouvernement,…

M. Robert Bret. Révolutionnaire !

Mme Éliane Assassi. … qui a préféré des termes nettement plus souples et permettant de ne rien changer, à savoir : « en tenant compte de la population ».

Alors que les communes de moins de 1 000 habitants représentant 16,5 % de la population désignent 30 % des grands électeurs, et bien que le Sénat frappe par son archaïsme et son conservatisme sur le plan institutionnel, le Gouvernement, sa majorité, décident une nouvelle fois de ne rien changer,

M. Sarkozy, qui aurait bien vendu le Sénat pour obtenir son discours du trône,…

Mme Raymonde Le Texier. C’est bien dit !

Mme Éliane Assassi. … laissait inscrire sur le site Internet de l’Élysée que « le projet de révision prévoit une reforme du collège électoral pour améliorer la représentativité du Sénat. » C’était aller un peu vite en besogne. Où en est-on aujourd’hui ?

Le groupe socialiste et apparentés dépose une proposition de loi qui rejoint, en grande partie, celle que nous présentons depuis des années.

La majorité, après quelques contorsions dues sans doute aux interventions élyséennes, oppose la question préalable en exigeant du temps pour la réflexion.

Cela fait pourtant neuf ans, depuis la réforme proposée par le gouvernement de Lionel Jospin, que cette réflexion est en cours, ponctuée d’ailleurs par un rapport rendu public en juillet 2002, rapport remis par un groupe de travail présidé par M. Daniel Hoeffel. Ce document préconisait une modification du collège électoral. Aussi la droite demeure-t-elle arc-boutée sur son bastion.

Le rapport de M. Lecerf est, par certains aspects, pathétique.

Mme Éliane Assassi. Aux arguments, pourtant incontestables, sur l’absence d’alternance, vous opposez un Sénat principal opposant au général de Gaulle entre 1962 et 1968, en oubliant rapidement les mobilisations populaires de cette période, dont le point d’orgue fut mai 68.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Vous évoquez même Alain Poher, président du Sénat, comme candidat d’opposition à Georges Pompidou.

En hommage à celui qui fut le principal candidat d’opposition cette année-là, avec 20 % des voix, Jacques Duclos, rappelons que Georges Pompidou et Alain Poher, c’était « bonnet blanc et blanc bonnet ».

Même l’idée de renforcer le collège des Français de l’étranger, en le portant de 150, actuellement, à 4 735 grands électeurs, ne trouve pas grâce à vos yeux, …

M. Robert Bret. Cela les affole !

Mme Éliane Assassi. … au nom d’un coût trop élevé. La démocratie est sans doute trop onéreuse pour vous !

La légitimité du Sénat sera un jour en cause si la droite persiste dans son blocage à toute évolution. En prolongeant l’injustice d’un mode de scrutin d’un autre âge, c’est l’idée même du bicamérisme qui peut être remise en cause.

Le bicamérisme n’est pas une fin en soi, une sorte de luxe pour une société démocratique normalisée.

M. Jean-Louis Carrère. Une gourmandise !

Mme Éliane Assassi. Cela doit être un plus démocratique, un outil mis à la disposition du peuple pour permettre à la citoyenneté d’être une réalité, de ne pas être confinée au seul vœu pieux.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Comment accepter longtemps cet alliage antidémocratique entre le scrutin majoritaire uninominal, en vigueur pour la moitié des sièges encore, le mode d’élection indirect, un collège électoral restreint, un renouvellement par moitié et un âge plus élevé qu’à l’Assemblée nationale pour accéder au mandat sénatorial ?

Tout cela mis bout à bout débouche sur une assemblée qui n’a de plus conservatrice que la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Mais vous n’êtes pas des lords ! (Sourires.)

M. Robert Bret. Il faut leur acheter une perruque !

Mme Éliane Assassi. L’expression « anomalie démocratique » a provoqué des réactions épidermiques sur les travées de la majorité sénatoriale. Mais comment qualifier une assemblée qui comprend, ou comprendra, des sénateurs élus par dix grands électeurs, comme à Saint-Martin, ou par 23, comme à Saint-Barthélemy ou Wallis-et-Futuna ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Le cas de Saint-Martin et Saint-Barthélemy est caractéristique de l’utilisation des institutions par la droite pour préserver sa domination. Ces deux sièges ont été créés essentiellement pour conforter l’actuelle majorité.

La majorité sénatoriale se replie derrière la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2 000 pour refuser toute évolution du Sénat. Cette attitude souligne les caractéristiques antidémocratiques de la Constitution de 1958. Une seconde chambre qui pêche par une légitimité démocratique insuffisante se réfère à une jurisprudence établie par une juridiction dont la légitimité est totalement contestable.

Au nom de quoi, au nom de qui, une décision du Conseil constitutionnel bloquerait ad vitam aeternam une avancée démocratique ?

Faudra-t-il attendre vingt ans pour qu’éventuellement les personnalités politiques membres du Conseil constitutionnel modifient leur position totalement politique ?

La décision du 6 juillet 2 000 était d’ailleurs contestable sur le plan juridique. Pourquoi le Conseil a-t-il favorisé le principe posé à l’article 24 de la Constitution, alors que celui qui est posé à l’article 3 est l’une des clés de voûte de tout système démocratique : le principe de l’égalité devant le suffrage ?

M. Robert Bret. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Enfin et surtout, pourquoi la majorité sénatoriale, plutôt que de se retrancher derrière une juridiction, ne modifie-t-elle pas la Constitution pour imposer au Conseil constitutionnel l’évolution démocratique qu’il refuse ?

Élargir le collège électoral de façon significative est une exigence démocratique : qui pourrait regretter d’être élu par un plus grand nombre d’électeurs ?

Renforcer le scrutin proportionnel est également une exigence démocratique.

M. Robert Bret. Ils en ont peur !

Mme Éliane Assassi. C’est ce mode de scrutin qui permet d’assurer le pluralisme, la mise en œuvre efficace de la parité et le renouvellement des élus. La restriction du cumul des mandats devrait accompagner cette évolution.

Il faudra également veiller à aligner l’âge d’éligibilité des sénateurs sur celui des députés, c’est-à-dire 23 ans, et un jour, enfin, considérer que la majorité civile de 18 ans est une véritable majorité politique.

Ces modalités pour améliorer la représentativité du Sénat et en assurer la légitimité doivent s’accompagner d’une évolution profonde de son rôle.

La seconde chambre ne doit plus être un frein à l’initiative de l’assemblée élue au suffrage universel direct. Le droit de veto dont bénéficie le Sénat doit être supprimé.

Le Sénat n’aura d’avenir que s’il cesse la concurrence avec l’Assemblée nationale pour devenir une caisse de résonance citoyenne, véritable interface entre la nation et le pouvoir exécutif.

Parmi d’autres fonctions, le Sénat pourrait devenir la chambre de l’initiative populaire, qu’elle soit législative ou référendaire.

Il manque à notre système institutionnel un lieu de respiration démocratique qui permette au quotidien de rapprocher le peuple des centres de décisions. Moderniser, revivifier, c’est cela ; il ne faut pas ordonner le statu quo pour préserver des positions politiques devenues illégitimes.

L’attitude de la droite sénatoriale, de l’UMP, est dangereuse, car par une sclérose de la vie démocratique, elle bloque la société tout entière.

Bien entendu, nous voterons la proposition de loi du groupe socialiste, malgré certaines réserves exprimées en commission, notamment par Mme Borvo Cohen-Seat, présidente de notre groupe, en particulier sur la création d’un important collège électoral désigné par les conseillers généraux et régionaux : selon nous, ce dispositif pérennise un Sénat représentant des territoires, alors que d’autres pistes de réforme doivent être examinées.

A l’évidence, nous rejetterons la question préalable, d’un autre temps, déposée par la majorité sénatoriale. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Guy Fischer. Que rien ne bouge !

Mme Bariza Khiari. C’est l’obédience centriste !

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Bel et de ses collègues pose une question devenue récurrente depuis que notre pays s’est doté d’une seconde chambre. Elle revêt, il faut le reconnaître, une importance majeure et mérite d’être approfondie.

Je souhaite aborder ce texte dans un esprit serein, évoquer les difficultés qu’il soulève et présenter quelques propositions.