Sommaire

Présidence de M. Christian Poncelet

1. Procès-verbal

2. Élection des sénateurs. – Discussion d’une proposition de loi. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Jean-Pierre Bel, premier signataire de la proposition de loi ; Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales ; Hugues Portelli, Mme Éliane Assassi, MM. Michel Mercier, Bernard Frimat, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.

3. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d’Albanie

4. Élection des sénateurs. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi par adoption d’une question préalable. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale (suite) : M. Pierre Mauroy.

Clôture de la discussion générale.

Question préalable

Motion no 1 de la commission. – MM. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Pierre Bel, Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.

Demande de vérification du quorum

M. le président.

Suspension et reprise de la séance

Vérification du quorum

MM. le président, Jean-Luc Mélenchon.

Question préalable (suite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption de la motion entrainant le rejet de la proposition de loi.

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

5. Effectifs des commissions permanentes. – Adoption des conclusions du rapport d'une commission. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.

Clôture de la discussion générale.

Article unique

MM. Bernard Frimat, Xavier Pintat.

Adoption de l’article unique de la proposition de résolution.

6. Agents sportifs. – Adoption des conclusions modifiées du rapport d’une commission. (Ordre du jour réservé.)

Discussion générale : MM. Jean-François Humbert, auteur de la proposition de loi ; Pierre Martin, rapporteur de la commission des affaires culturelles ; Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative ; Jean Boyer, Serge Lagauche, Jean-François Voguet.

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 9 rectifié de M. Jean-François Voguet. – MM. Jean-François Voguet, le rapporteur, le secrétaire d'État, François Fortassin. – Adoption.

Amendement n° 10 de M. Jean-François Voguet. – MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 1 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 3 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.

Amendement n° 2 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 4 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Retrait.

Amendement n° 5 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.

Amendement n° 11 de M. Jean-François Voguet. – MM. Jean-François Voguet, le rapporteur, le secrétaire d'État, Serge Lagauche. – Rejet.

Amendements identiques nos 6 de M. Serge Lagauche et 8 de M. Jean-François Voguet. – MM. Serge Lagauche, Jean-François Voguet, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet des deux amendements.

Amendement n° 7 de M. Serge Lagauche. – MM. Serge Lagauche, le rapporteur. – Retrait.

Adoption de l'article modifié.

Articles 2 à 4. – Adoption

Adoption de l’ensemble de la proposition de loi.

7. Dépôt d'un projet de loi

8. Dépôt de propositions de loi

9. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

10. Renvoi pour avis

11. Dépôt de rapports

12. Dépôt d'un rapport d'information

13. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Discussion générale (suite)

Élection des sénateurs

Discussion d’une proposition de loi

(Ordre du jour réservé)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, présentée par MM. Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste et apparentés, relative aux conditions de l’élection des sénateurs (nos 322, 357).

La parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean Boyer applaudit également.)

M. Jean-Pierre Bel, premier signataire de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat autour de la réforme, de la modernisation et de la démocratisation de nos institutions a été lancé sur l’initiative du Président de la République. Nous aurons l’occasion d’y revenir au moment de l’examen du projet de loi dans cet hémicycle. Toutefois, je tiens à rappeler ce que, dès le début, nous avions dit.

Premièrement, nous sommes disponibles, car cette réforme est plus que jamais nécessaire.

Deuxièmement, un consensus républicain est envisageable, à condition qu’il se fasse dans le respect mutuel.

Troisièmement, – et ce propos n’était pas de pure forme – toute réforme doit avoir comme objectif une véritable avancée pour la démocratie dans notre pays.

Cela dit, nous avons poursuivi en nous montrant ouverts, en répondant à toutes les sollicitations, en nous rendant devant le comité présidé par M. Balladur, acceptant le dialogue avec M. le Premier ministre, avec le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Bref, ce débat parlementaire, nous nous y étions préparés ; nous l’attendions réellement, sans a priori et sans œillères. Il était important ; il devait être significatif de la volonté réelle des uns et des autres, de la réalité des intentions affichées pour moderniser, pour démocratiser, en un mot pour donner de l’oxygène à nos institutions.

Dans un rapport intitulé  « Pour une nouvelle République », rendu public durant la campagne pour l’élection présidentielle, j’avais moi-même exprimé point par point et dans les détails les propositions que les socialistes formulaient en matière de réforme institutionnelle. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons joué cartes sur table. Ce rapport, nous l’avons transmis dès les premiers moments de réflexion et d’échanges, en toute transparence.

Vous connaissez donc bien une des questions de fond que nous posions, même si elle n’est pas la seule : celle du Sénat, de sa représentativité et, par conséquent, celle de sa légitimité.

Vous savez ce qui a été dit sur la Haute Assemblée : « Le Sénat a un privilège exorbitant et imparable, celui de tout bloquer. […] Seul le Sénat aurait la possibilité d’être contre tout avis sans qu’on puisse rien contre lui. S’il y a eu une erreur dans la Constitution de 1958, c’est bien celle-là ; de créer un corps contre lequel on ne peut rien, alors qu’on peut quelque chose contre tous les autres. »

Savez-vous qui s’est exprimé ainsi ? C’est le général de Gaulle, acteur essentiel et fondateur des institutions de la Ve République.

Monsieur le secrétaire d’État, combien est grande notre déception aujourd’hui... Monsieur le rapporteur, notre déception est plus grande encore en votre direction, vous qui nous avez auditionnés, vous qui, pendant cette audition, avez accepté avec beaucoup de courtoisie l’examen de nos propositions, vous qui nous avez dit ne pas comprendre pourquoi à l’Assemblée nationale, par une motion de procédure, il n’avait pas été possible de débattre des articles. Nous sommes « tombés de haut », je vous l’avoue, lorsque nous avons constaté que vous aviez été rapidement « remis dans les rangs » et que vous pratiquiez aujourd’hui ce que vous dénonciez voilà une semaine !

Je me pose d’ailleurs la question : à quoi cela sert-il d’octroyer des droits à l’opposition si l’on refuse ensuite de les examiner vraiment dans leur réalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean Boyer applaudit également.)

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai écouté attentivement les déclarations de Mme la ministre de l’intérieur à l’Assemblée nationale pour justifier son refus d’examiner réellement et sérieusement nos propositions.

J’ai retenu trois objections de sa part.

Mme Alliot-Marie a d’abord considéré que cette proposition était inconstitutionnelle, précisant même qu’elle « contredit la position du Conseil Constitutionnel ».

En quelque sorte, vous enfoncez des portes ouvertes et vous vous livrez à un exercice de style purement formel en faisant semblant de vous en tenir à une interprétation réductrice du droit. Or, vous le savez bien, il en est des textes de loi comme de chacun d’entre nous : avant de disparaître, nous sommes encore en vie ! (Sourires.)

Le sens même de la réunion du Parlement en congrès à Versailles est de rendre constitutionnel ce qui ne l’était pas avant ; c’est une évidence !

Bien sûr, si la proposition de loi était adoptée et promulguée aujourd’hui, elle serait déclarée contraire à la Constitution, car le corps électoral ne serait plus « essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. »

Si elle est adoptée après la révision, qui précisément modifie l’article 24 de la Constitution, elle sera déclarée conforme aux nouvelles dispositions constitutionnelles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le deuxième reproche qui nous était opposé est que notre proposition de loi serait inopportune.

S’adressant à Mmes et MM. les députés, Mme la ministre a bien dit que cette question concernait le Sénat et qu’il était donc normal qu’elle soit en priorité examinée par les membres de la Haute Assemblée. Très bien ! Nous en avons pris note. Mais, comme il vous arrive de le dire souvent, il s’agissait en l’occurrence d’une promesse qui n’engage que ceux qui y croient !

Au Sénat, vous renouvelez le même scénario : vous choisissez de verrouiller le débat avant même d’entendre nos arguments, puisque le dépôt de la motion de procédure va clore la discussion et empêchera l’examen des articles, du fond de nos propositions et notre texte ne sera même pas soumis au vote !

Mes chers collègues, cela augure mal de la révision constitutionnelle !

Troisième objection : notre initiative serait également inopportune car la démocratisation du Sénat n’aurait rien à voir avec la question des institutions ou parce que la question de la représentativité du Sénat ne se poserait pas.

Alors, expliquez-moi pourquoi les députés de votre majorité ont adopté des dispositions qui n’ont rien à voir avec la Constitution, comme « l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques ». Cette disposition serait constitutionnelle, alors que les modes de scrutin, qui, eux, ont trait aux rapports entre les pouvoirs publics, ne le seraient pas ?

Il n’est pas sérieux de considérer que la question de la représentativité du Sénat n’est pas posée. Tout le monde le sait – nous en discutons fréquemment –, il existe une contestation de sa légitimité, car sa représentativité n’est pas suffisante. Nous l’affirmons et notre proposition de loi en témoigne.

Vous-même, monsieur le président Poncelet, vous le reconnaissiez en 2000 dans la revue Pouvoirs locaux : « Une meilleure prise en compte de la réalité urbaine devrait permettre de purger, une fois pour toutes, cette querelle en représentativité et donc en légitimité qui est instruite à l’encontre du Sénat. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Dominique Braye. On l’a fait !

M. Jean-Pierre Bel. Je sais également que M. le rapporteur de la commission des lois et nombre de sénateurs de la majorité le pensent en leur âme et conscience.

Si l’on vous écoute, monsieur le rapporteur, il serait juste de s’interroger sur des « déséquilibres électoraux » ponctuels comme la situation des communes associées, sur les distorsions de représentation des électeurs à Paris, Lyon et Marseille,…

M. Jean-Pierre Bel. …voire sur les inégalités des cantons. On pourrait discuter de cela, mais surtout pas de la question plus globale de la représentativité du Sénat, condamnée à rester à droite alors même que les communes, les départements et les régions sont aujourd’hui majoritairement à gauche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Voilà bien une indignation sélective et – pourquoi ne pas le dire ? – intéressée. Voilà bien une contradiction ! Mais ce n’est pas la seule. Que proposait la majorité sénatoriale dans le rapport Hoeffel en 2002 ? De « mieux prendre en compte le fait urbain et notamment la place des grandes villes dans le collège sénatorial »…

M. Dominique Braye. C’est fait !

M. Jean-Pierre Bel. …et, par ailleurs, d’« assurer une meilleure représentation aux départements et aux régions qui procéderaient désormais à l’élection de délégués supplémentaires, à l’instar des communes les plus peuplées ». (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Que voulaient faire MM. de Raincourt, Arthuis, de Rohan, Larcher, Hyest, entre autres signataires, dans leur proposition de loi n° 230 du 18 février 1999 ? Comme nous, mais autrement, ils souhaitaient améliorer la représentation du Sénat !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !

M. Jean-Pierre Bel. Leur texte précisait à l’époque : « Le mode d’élection du Sénat est resté inchangé depuis 1958. Il n’est pas immuable.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Jean-Pierre Bel. Quarante ans après la mise en place de la Ve République, le moment semble venu d’adapter le collège électoral aux évolutions démographiques et sociologiques de la France, sans pour autant toucher aux principes qui fondent la spécificité sénatoriale au sein du bicamérisme.

M. Dominique Braye. Tout cela a été fait !

M. Jean-Pierre Bel. L’impératif de modernisation de la vie politique, auquel le Sénat adhère pleinement, inclut la réforme du mode de scrutin sénatorial. »

M. Dominique Braye. On l’a faite !

Mme Nicole Bricq. Neuf ans après, il est temps !

M. Jean-Pierre Bel. Je répète ces propos, car ils sont importants, et je souhaite que certains de nos collègues les entendent. Vous disiez : « L’impératif de modernisation de la vie politique, auquel le Sénat adhère pleinement, inclut la réforme du mode de scrutin sénatorial. »

Mme Nicole Bricq. Il est temps !

M. Jean-Pierre Bel. Pourquoi avez-vous changé d’avis ? Comment pouvez-vous aujourd’hui tourner ainsi le dos à ce que vous proclamiez il y a si peu de temps ?

Que proposiez-vous, monsieur le président Poncelet, dans le journal Le Monde du 28 mars 2002 ? De « renforcer le poids du milieu urbain et de l’intercommunalité au sein du collège électoral des sénateurs, tout en préservant la représentation des petites et moyennes villes, qui assurent l’indispensable maillage de notre territoire » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur les travées de lUMP.) Nous pouvons applaudir ces propos.

M. le président. Je vous remercie !

M. Guy Fischer. Ce sont des vœux pieux !

M. Jean-Pierre Bel. Que disait, enfin, le chef de l’État, en installant le comité Balladur le 12 juillet 2007 ? Il déclarait : « Pourquoi refuserions-nous d’examiner dans quelles conditions le Sénat pourrait mieux refléter la diversité française qui a besoin aujourd’hui d’être davantage présente dans les institutions de la République ? »

Mes chers collègues, où est la cohérence dans la vision que vous avez des institutions ?

Un rapport de la commission des lois, lors de la réforme de 2003 du Sénat, constatait – j’attire particulièrement votre attention sur ce point – « l’inadaptation du nombre des sénateurs au regard des évolutions démographiques récentes des collectivités territoriales [qui] fragilisent la représentativité du Sénat ». Ce que nous proposons, c’est l’application de ce que vous recommandiez dans ces différentes périodes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Bel. Que proposons-nous ? Tout simplement de ne pas creuser le fossé entre le Sénat et la France d’aujourd’hui, de prendre en compte de nouvelles réalités, électorales bien sûr, mais aussi les réalités nouvelles d’un monde rural qui se transforme et d’un milieu urbain en pleine évolution, de prendre en compte les nouvelles données issues des lois de décentralisation.

Nous préconisons trois nouveaux équilibres : au sein des communes ; entre communes, départements et régions ; enfin, un meilleur équilibre politique.

La proposition de loi rééquilibre le poids relatif des différentes communes au sein du collège électoral du Sénat. Elle ne désavantage pas les communes rurales, car, d’une part, le nombre total de délégués des communes de moins de 3 500 habitants augmente de manière significative pour passer de 68 000 à 84 000, et, d’autre part, – nous y tenons – chaque commune, quelle que soit sa taille, dispose toujours d’un délégué sénatorial.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est la moindre des choses !

M. Jean-Pierre Bel. La réforme rééquilibre également la représentativité du Sénat entre les trois catégories de collectivités locales. Vous le savez, le collège électoral sénatorial est aujourd’hui constitué à 96 % de représentants des communes. Or nul ne peut nier que la place des départements et des régions dans le système politico-administratif actuel n’est plus la même depuis 1958.

M. Dominique Braye. Qu’avez-vous dit sur les départements ?

M. Jean-Pierre Bel. Ces collectivités constituent désormais des acteurs majeurs des politiques publiques. Elles représentent une part décisive de l’investissement public. Aucune politique nationale ne peut aujourd’hui être menée en les ignorant.

Cette situation ne peut plus durer. Il convient que le Sénat, représentant de toutes les collectivités locales, rétablisse une plus grande équité.

Le troisième équilibre proposé est relatif à la représentation politique. Le scrutin proportionnel à partir de trois sièges permet d’améliorer la représentativité du Sénat, cette fois sur le terrain de la diversité politique et de la parité, comme l’a reconnu M. le rapporteur lui-même.

Aujourd’hui, sur les 100 départements, 42 sont monocolores dans leur représentation sénatoriale, que ce soit à droite ou à gauche : une telle proportion est anormale !

Mme la ministre de l’intérieur a enfin opposé, à l’Assemblée nationale, les difficultés techniques de la proposition de loi.

Franchement, ces arguments ne sont pas recevables.

Notre principal problème aujourd’hui n’est certainement pas de passer de 143 000 à 300 000 grands électeurs. Nous ne nous posons pas ce genre de question lorsque nous multiplions les scrutins nationaux, qui mobilisent à chaque fois plus de 44 millions d’électeurs. On envisage même d’en ajouter dans le projet de loi qui nous sera soumis en permettant – pourquoi pas ? – les référendums d’initiative populaire. Notre problème, c’est de faire avancer la démocratie dans notre pays. L’argument du coût de la mesure est léger et même spécieux !

Vous affirmez, mais toujours sans vouloir discuter réellement de nos arguments, qu’avec notre réforme l’élection des sénateurs échappe au contrôle des élus. Nous avons du mal à comprendre cet argument, car il s’agit bien des élus, en première instance, qui choisissent leurs délégués supplémentaires.

Mais vous vous apprêtez à faire pire. Si j’en crois vos déclarations, vous allez nous proposer non pas d’avancer mais de reculer ! Vous voulez en effet constitutionnaliser une jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui bloquerait clairement les évolutions que nous préconisons sur le corps électoral issu des communes.

Ainsi donc, non seulement nous ne sommes pas entendus, mais vous aggravez la situation en empêchant toute possibilité de changement par une loi ordinaire.

Pour conclure, je souhaite formuler plusieurs observations.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, ce n’est pas parce que vous refusez tout examen de nos propositions en nous opposant la question préalable, ce n’est pas parce que, ici même, vous balayez d’un revers de la main les droits les plus élémentaires des minorités reconnus dans toutes les grandes démocraties modernes en refusant le temps de la confrontation parlementaire menée jusqu’au bout, à partir d’initiatives réservées à l’opposition (M. Dominique Braye s’exclame),…

M. Jean-Louis Carrère. Provocateur !

M. le président. Ne répondez pas aux provocations !

M. Jean-Louis Carrère. On va se lever !

M. le président. Mes chers collègues, écoutez M. Bel ! N’oubliez pas qu’on nous regarde…

M. Jean-Louis Carrère. Si vous ne faites pas la police, on la fera !

M. Jean-Pierre Bel. …ce n’est pas parce que vous êtes à ce point accrochés à votre position dominante que la question du Sénat ne va pas, très rapidement, revenir comme un boomerang, comme une question clé portant sur la nature démocratique ou non des institutions qui fondent notre République.

Mes chers collègues, vous reconnaîtrez avec moi la tendance, fréquente en France, à vouloir donner des leçons au monde entier sur de nombreux sujets,…

M. Dominique Braye. Vous êtes bien placés !

M. Jean-Pierre Bel. …et notamment en matière de droits de l’homme et de démocratie parlementaire. Peut-être même avons-nous tendance – c’est un penchant partagé – à vouloir imposer notre propre modèle. Balayons devant notre porte !

Comment peut-on expliquer les vertus du système bicaméral dans lequel l’une des deux assemblées ne pourrait, à tout jamais, connaître l’alternance et serait réservée à un camp, quelle que soit l’expression populaire sur les collectivités dont elle est issue ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Monsieur le président Poncelet, vous écriviez le 28 mars 2002 : « Pour que la gauche s’empare du Sénat, il suffit tout bonnement qu’elle l’emporte aux prochaines municipales. »

Plusieurs sénateurs socialistes. C’est fait !

M. Jean-Pierre Bel. Eh bien, c’est fait, au-delà même de toute espérance puisque, entre-temps, nous avons également remporté vingt régions sur vingt-deux et 60 % des départements !

Mais non, circulez, il n’y a rien à voir ! Vous préférez, comme aujourd’hui, pratiquer la politique de l’autruche et du bulldozer, au mépris des droits de la minorité et de l’équité dans la représentation des assemblées.

Par ce verrouillage, ce grave déni de démocratie, vous prenez une lourde responsabilité devant l’histoire et beaucoup de risques pour l’avenir du bicamérisme.

N’attendez pas de nous une quelconque complaisance face à cette attitude de fermeture et de mépris. Pour nous, la question du Sénat est un passage obligé à toute discussion sérieuse sur la révision de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Ce rendez-vous manqué, cette attitude d’arrogance majoritaire magnifiquement illustrée par les conditions dans lesquelles nous tenons ce débat cette après-midi, n’augure rien de bon pour l’examen de la réforme des institutions à venir.

M. Jean-Louis Carrère. Ils vont faire supprimer le Sénat !

M. Jean-Pierre Bel. Vous souhaitez que le Sénat représente le paysage institutionnel de la France du passé, et même, vous essayez de nous renvoyer à un paysage hypothétique du futur en espérant qu’il aura balayé, entre-temps, les réalités du présent.

Nous, nous souhaitons au contraire permettre au Sénat, assemblée politique à part entière, de jouer tout son rôle dans nos institutions, c’est-à-dire qu’il soit représentatif des collectivités qu’il prétend incarner, qu’il soit un facteur d’équilibre face aux tentations de personnalisation du pouvoir, qu’il joue un rôle dans la protection des valeurs fondamentales de notre République.

Vous ne voulez pas vous y résoudre, mais vous serez bien, un jour, contraints de vous rendre à une évidence toute simple, celle que rappelait Jean Jaurès dans son intervention pour le journal La Dépêche du Midi le 28 décembre 1903 : « Il y a un intérêt capital à ce que le Sénat soit en harmonie avec la démocratie. »

Mes chers collègues, soyez-en persuadés, ce combat de Jean Jaurès pour la démocratie, c’est celui de la gauche et des socialistes, et nous n’y renoncerons jamais. (Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste – Le groupe CRC applaudit également.)

Mme Nicole Bricq. La République avant tout !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Yannick Bodin. On va agir comme M. Braye !

M. Daniel Raoul. Laissons Braye brailler !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par nos collègues socialistes relative aux conditions de l’élection des sénateurs se présente comme indissociable du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la ve République que nous examinerons dans les jours à venir.

M. Jacques Mahéas. Jusque là, c’est vrai !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Comme vous le savez, notre Constitution ne traite ni des modes de scrutin des assemblées ni du collègue électoral sénatorial.

M. Dominique Braye. Voilà ! Il ne faut pas tout mélanger !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Or ces questions ne sont pas totalement étrangères au renforcement des pouvoirs du Parlement. J’estime donc opportun tout approfondissement de la réflexion en ce domaine. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

Les débats à l’Assemblée nationale ne nous ont pas épargné de récurrentes mises en cause de la légitimité du Sénat (Mme Nicole Bricq acquiesce.), le rapporteur du texte, M. Bernard Roman, qui est aussi l’ancien président de la commission des lois, affirmant sans nuance que, « en s’opposant de façon quasi systématique aux projets législatifs des gouvernements progressistes » – c’est-à-dire, si j’ai bien compris, de gauche – « et en soutenant à l’inverse ceux des gouvernements conservateurs, le Sénat déséquilibre l’institution parlementaire ».

M. Jean-Louis Carrère. Vous avez bien compris !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il achèvera même son argumentation par une formule aussi lapidaire que définitive : « le Sénat est aujourd’hui un non-sens démocratique. »

M. Dominique Braye. Tout en finesse !

M. le président. Allons, mes chers collègues, écoutez l’orateur, je vous en prie !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Force est d’ailleurs de constater que cette contestation de la seconde chambre n’est pas nouvelle : « Le slogan “sus au Sénat” n’est pas né d’hier », constatait déjà Paul Bastid, en 1946. Et l’expression « anomalie démocratique », labellisée par Lionel Jospin, est restée dans toutes les mémoires.

M. Dominique Braye. C’était lui l’« anomalie » ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Monsieur Braye, je vous en prie !

M. Jean-Louis Carrère. La citation est tronquée !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Et pourtant, c’est sans mauvaise conscience, et même avec une profonde conviction, que nous sommes très nombreux à estimer que la légitimité du Sénat doit être appréciée à l’aune du bicamérisme, qui trouve sa raison d’être en ce qu’il est différencié. Si les assemblées parlementaires deviennent des clones, c’est l’utilité même de la chambre haute, donc sa raison d’exister, qui serait alors en question.

M. Jean-Louis Carrère. Ça ne risque pas !

M. Robert Bret. Ce n’est pas le sujet !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Si l’Assemblée nationale et le Sénat représentent tous deux la souveraineté nationale, la première, par son mode d’élection, se fait l’écho immédiat des préoccupations de l’opinion publique et voit son lien avec le Président de la République renforcé par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.

Son mode d’élection, le scrutin majoritaire à deux tours, n’est pas sans créer d’importantes distorsions entre les suffrages exprimés par les électeurs et la composition de l’assemblée élue, ce qui a d’ailleurs permis l’émergence d’une majorité parlementaire et mis fin à l’instabilité gouvernementale qui sévissait sous la IVe République.

Le Sénat, quant à lui, est à la fois le gardien de la modération et de la continuité des institutions, ainsi que le représentant de la nation au travers des collectivités territoriales.

M. David Assouline. Ce n’est pas dans la Constitution !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Son mode de désignation, qui associe élection au suffrage universel indirect par les élus locaux et renouvellement partiel lissant les secousses électorales, contribue à le constituer en chambre bénéficiant d’un temps de réflexion par rapport aux soubresauts de l’actualité.

M. Robert Bret. C’est de la démocratie que vous parlez !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur Bel, je vous rappellerai, avec la plus grande cordialité, deux choses.

D’une part, depuis les élections cantonales et municipales, il n’y a pas eu d’élection sénatoriale. D’autre part, dans cet hémicycle, nous sommes plusieurs parlementaires, par exemple du Nord – je pense en particulier à Pierre Mauroy –, à avoir été élus en 2001, c'est-à-dire par des conseils municipaux, généraux et régionaux dont les pouvoirs sont venus à expiration. Nous n’en sommes pas moins légitimes pour autant ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Alliant à parts quasi égales scrutin majoritaire et représentation proportionnelle, le Sénat a aussi permis une représentation plus large du pluralisme politique et le développement d’une culture de compromis au sein de la Haute Assemblée.

M. Robert Bret. Des compromis avec qui ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Loin de s’opposer, la légitimité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale sont donc largement complémentaires.

Permettez-moi aussi de faire justice d’une autre accusation sommaire, dont l’auteur est cette fois notre collègue député Bruno Le Roux, qui stigmatisait « ce Sénat servile sous les gouvernements de droite et prompt à l’obstruction systématique sous les gouvernements de gauche ». (Marques d’approbation véhémentes sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Caffet. Il a raison !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Sans même remonter, comme nos collègues députés, à la IIIe République – on pourrait cependant rappeler que le gouvernement Tardieu, qui ne semblait pas précisément de gauche, est tombé au Sénat – on ne peut passer sous silence que le Sénat, sous la houlette de Gaston Monnerville, s’avéra le principal opposant au chef de l’État et au gaullisme durant la première décennie de la Ve République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, je ne fais que dire des choses que vous savez déjà !

N’est-ce pas aussi le président du Sénat Alain Poher qui fut le principal adversaire de Georges Pompidou lors de l’élection présidentielle de 1969 ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Ça les dérange !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à la docilité, qui a saisi le Conseil constitutionnel après le vote de la loi réformant le régime de la liberté d’association, ce qui a abouti à la décision du 16 juillet 1971, véritable révolution dans notre droit, puisque fut pour la première fois constaté l’inconstitutionnalité d’un texte voté par le Parlement ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Sénat n’était pas le même !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Qui exerça un contrôle vigilant de la législation en matière de libertés publiques, de la loi de 1977 sur la fouille des véhicules, de celle de 1978 relative à l’informatique et aux libertés, ou encore de la loi Savary en 1984 ?

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est hors sujet !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Plus récemment, qui a pris l’initiative de créer un appel des décisions des cours d’assises, en complément d’un projet de loi présenté par Mme Guigou, alors garde des sceaux ? Songeons un instant à l’affaire d’Outreau…

Au cours de la présente session, l’attitude de notre assemblée pour mieux encadrer les tests ADN ou mieux concilier la procédure de rétention de sûreté avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère…

Mme Bariza Khiari. Sur ce point, vous avez raison !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … ne souligne-t-elle pas l’esprit d’indépendance qui anime, aujourd’hui comme hier, les travaux du Sénat ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP. –Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Yannick Bodin. Arguments misérables !

M. Jacques Mahéas. Arguments de basse-cour !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette trop longue introduction n’avait d’autre but, mes chers collègues, que de chasser certaines idées fausses ou, à tout le moins, de rectifier quelques jugements aussi manichéens que caricaturaux.

Venons-en maintenant à l’examen des principales dispositions de cette proposition de loi qui esquissent des pistes de travail pour une nécessaire réflexion sur le collège électoral sénatorial.

Comme en conviennent les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes, notamment notre collègue Jean-Pierre Bel, la principale modification du collège électoral prévue dans ce texte consiste à conforter la représentation des zones urbaines en appliquant une clé de répartition qui attribue un délégué pour 300 habitants. Une telle proposition est similaire à la réforme jugée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S’il était saisi de ce texte, le juge constitutionnel ne pourrait donc que confirmer cette décision…

M. Dominique Braye. Et voilà !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur …par laquelle il a élaboré un véritable statut constitutionnel de la représentativité sénatoriale : le Sénat, représentant des collectivités territoriales, doit être élu par un corps électoral émanant lui-même de ces collectivités et composé essentiellement de membres des assemblées délibératives locales.

Si la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside, le nombre de délégués supplémentaires ne doit pas aller au-delà de la simple correction démographique.

Bien sûr, on nous oppose la révision en cours, et notamment la nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution, qui prévoit que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population ».

M. Yannick Bodin. Tu parles !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nos collègues socialistes regrettent d’ailleurs que la rédaction du comité de réflexion présidé par Édouard Balladur, laquelle précisait que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en fonction de leur population », n’ait pas été retenue.

M. Jacques Mahéas. Absolument !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous avons sur ce point un profond désaccord, car si l’élection sénatoriale devait être alignée sur la seule démographie, on ne serait pas loin de confondre Assemblée nationale et Sénat ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Bien sûr ! C’est ce qu’ils veulent !

M. Robert Bret. Raisonnement fallacieux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et en Belgique ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission estime que le Sénat doit aussi continuer de conserver sa légitimité dans les territoires. Permettez-moi d’emprunter la suite de ce raisonnement à notre collègue Gérard Larcher : « Grosso modo, 80 % des Français vivent sur 20 % du territoire et 20 % de la population occupent les quatre cinquièmes du sol national. […] 

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les Français de l’étranger ?

M. Jean-Louis Carrère. Et Saint-Barthélémy ? Et Saint-Martin ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et Clipperton ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « Pourrait-on donc sans mutiler cette réalité fondamentale faire élire les sénateurs sur des seuls critères démographiques (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.) inspirés de ceux qui président aux règles électorales appliquées aux députés ? Je ne le crois pas ! […] Il [Le Sénat] est pour partie la chambre des populations faibles en nombre. Il est pour partie l’assemblée des “pauvres en démographie”. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.) […]

M. Jean-Louis Carrère. Restaurez la monarchie ! Vous avez peur du peuple !

M. le président. Qu’apportez-vous au débat en hurlant ?

M. Jean-Louis Carrère. C’est vous qui bridez le débat, monsieur le président !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « En résumé, le Sénat est, en raison de son mode de recrutement, l’institution qui permet que soit valorisé au mieux (Le brouhaha croissant sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC couvre la voix de l’orateur, qui s’interrompt.)…

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … « le Sénat, disais-je, est, en raison de son mode de recrutement, l’institution qui permet que soit valorisé au mieux le territoire de la nation, et ce dans l’intérêt de tous, urbains et ruraux. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu’est-ce que le territoire sans la population ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Faites voter les vaches !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « Le mode de scrutin sénatorial joue en quelque sorte le rôle d’un outil de “discrimination positive territoriale”. »

M. David Assouline. Ça n’existe pas en démocratie !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cela signifie-t-il qu’il ne faille rien changer en ce domaine ? Je ne le pense pas ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Bien des propositions ont été faites par la majorité, qu’il s’agisse de la proposition de loi de Henri de Raincourt, du rapport de Paul Girod en 2000, ou encore du rapport du groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale que présidait Daniel Hoeffel en 2002.

M. Jean-Luc Mélenchon. Calculez les sénateurs à l’hectare ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La rédaction actuelle de la Constitution, telle que l’a interprétée le Conseil constitutionnel, s’oppose-t-elle à toute évolution ? Je ne le pense pas davantage, contrairement au président Jean-Pierre. Bel, et il n’est pas impossible que ce soit en quelque sorte un pêché de gourmandise de votre part, chers collègues de l’opposition, qui ait entraîné la censure constitutionnelle de juillet 2000. Vous le savez d’ailleurs fort bien !

M. Yannick Bodin. Nous n’allons pas nous laisser faire !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à la proposition de créer des délégués supplémentaires des conseils généraux et régionaux, elle mérite que l’on s’y arrête, puisque ces deux collectivités territoriales, dont l’importance n’a fait que croître – je me tourne vers nos collègues Pierre Mauroy et Jean-Pierre Raffarin – avec les actes I et II de la décentralisation de 1982 et de 2004,…

M. Jean-Louis Carrère. Ce sont des leurres !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. …ne représentent aujourd’hui que 3,9 % du collège électoral sénatorial. Il nous est proposé de porter ce pourcentage à 30 %, chiffre certes arbitraire, mais davantage représentatif de la place désormais acquise par les régions et départements.

Deux objections peuvent cependant être avancées.

Première objection, une faible place est laissée aux élus du suffrage universel dans ce dispositif : 3 857 conseillers généraux pour 45 791 grands électeurs départementaux et 1 722 conseillers régionaux pour ce même nombre de 45 791 grands électeurs régionaux, alors que la Constitution dispose que le Sénat est élu au suffrage universel indirect, donc élu par des élus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Un sénateur UMP. C’est exact !

M. le président. Mes chers collègues, écoutez l’orateur !

M. Jean-Louis Carrère. Ce que vient de dire M. le rapporteur est faux !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Honnêtement, je ne vois pas ce qui serait faux sur ce point ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Seconde objection, une incertitude demeure sur la question de savoir si une même population peut valablement être prise en compte trois fois de suite pour le calcul du nombre de délégués des trois catégories de collectivités territoriales.

M. Dominique Braye. Très juste !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. De même, si le collège électoral actuel des sénateurs représentant les Français établis hors de France – les 155 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger – peut, en effet, être considéré comme trop restreint, le dispositif prévu par la proposition de loi pour l’élargir pose également problème.

M. Jean-Pierre Bel. Il faut en discuter !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Passer à 4735 délégués induirait des difficultés matérielles considérables dans la mesure où le développement du vote par correspondance, sous format papier ou par voie électronique, ne paraît pas être une alternative satisfaisante.

M. Dominique Braye. C’est tout à fait vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Cela coûterait trop cher !

M. David Assouline. Amendez le texte !

M. Jean-Pierre Bel. Parlons-en !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les faiblesses de la fiabilité de cette technique de vote, en particulier les risques de fraude, vous le savez bien, qui ont conduit à son interdiction en 1975 pour les scrutins politiques nationaux ou locaux, demeurent largement aujourd’hui.

M. David Assouline. Vous parlez de Perpignan !

M. Jean-Louis Carrère. De l’Eure !

M. Jacques Mahéas. Posez la question préalable !

M. Yannick Bodin. Ne parlez pas du fond si vous ne voulez pas qu’on en parle !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ne nous empêchez pas de parler du fond, mon cher collègue ! Nous y sommes !

Enfin, la suppression des députés du collège électoral sénatorial se justifie sans doute, sur le plan théorique, par le fait que, étant élus directement par le peuple pour représenter la nation, ils ne représentent donc pas les collectivités territoriales de la République, mais elle va à l’encontre d’une tradition solidement établie et, peut-être, d’une harmonie utile entre députés et sénateurs.

L’intervention des députés se révèle, de toute façon, peu déterminante, puisque ceux-ci ne représentent que 0,4 % de l’effectif total du collège électoral.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, supprimez-les !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Pour ce qui est du mode de scrutin proprement dit et de la part respective du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle,nous avons décidément beaucoup de mal à arrêter le curseur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Jusqu’à la loi du 10 juillet 2000, la représentation proportionnelle n’était en vigueur que dans les départements où étaient élus au moins cinq sénateurs, ce qui correspondait à 35 % des sièges. La loi de 2000 a appliqué la représentation proportionnelle aux départements où sont élus au moins trois sénateurs, portant ainsi ce pourcentage à plus de 70 % des sièges. (M. Dominique Braye s’exclame.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Enfin, la loi du 30 juillet 2003 fixe la barre de l’usage de la représentation proportionnelle aux départements où sont élus au moins quatre sénateurs. Aujourd’hui, 52 % des sièges sont donc attribués à la représentation proportionnelle et 48 % au scrutin majoritaire.

M. Dominique Braye. Si ce n’est pas équilibré !...

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Faut-il, une fois de plus, changer la règle ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Faut-il en revenir, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de loi, au système en vigueur sous l’empire de la loi de 2000, faisant ainsi de la représentation proportionnelle le scrutin s’appliquant à près des trois quarts des sièges de sénateurs ?

M. Yannick Bodin et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La question ne paraît pas taboue. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Elle ne semble pas non plus avoir de conséquences politiques significatives.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette opinion était partagée, notamment par Jean-Pierre Bel, lors des auditions.

M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas l’objet !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Augmenter la place de la proportionnelle permettrait sans doute d’accélérer la féminisation de notre assemblée…

Mme Nicole Bricq. C’est déjà ça !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … et d’éviter une représentation monocolore d’un certain nombre de départements (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.).

En revanche, cela donnerait aux partis politiques un poids supplémentaire dans le choix des candidatures…

M. Jean-Pierre Demerliat. Cela contribuerait à l’expression démocratique par le biais des partis politiques !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … et déséquilibrerait le partage par moitié entre la représentation proportionnelle et le scrutin majoritaire fixé en 2003.

M. Yannick Bodin. Il n’y a pas d’équilibre !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En conclusion, la commission, qui souhaite poursuivre sa réflexion sur la définition du collège électoral sénatorial,…

M. Roger Romani. Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … vous proposera, conformément à l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, d’opposer la question préalable sur la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C’est idiot !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas logique !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il n’y a pas de débat !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En l’état, la présente proposition de loi n’est pas conforme à l’article 24 de la Constitution ; elle introduit nombre de dispositions nouvelles, qui mériteraient un débat beaucoup plus approfondi tant sur leur principe que sur leurs modalités d’application. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Plusieurs sénateurs socialistes. Débattons-en !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Lors des auditions, des pistes de réflexion ont été esquissées, qui permettraient peut-être de renforcer juridiquement certains aspects du texte de nos collègues socialistes.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure lorsque je défendrai la motion tendant à opposer cette question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec la plus grande attention le président Jean-Pierre Bel, premier signataire de la proposition de loi, et Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.

Cette proposition de loi, que nous examinons aujourd’hui, préconise de modifier les règles relatives à l’élection des sénateurs, ce à quelques semaines des élections sénatoriales, premièrement, en créant deux collèges supplémentaires pour les représentants des conseils généraux et des conseils régionaux ; deuxièmement, en modifiant la représentation des communes au sein du collège électoral sur une base démographique ; troisièmement, en abaissant le seuil d’application du scrutin proportionnel aux départements disposant d’au moins trois sénateurs ; enfin, quatrièmement, en modifiant les conditions d’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger.

À l’évidence, le mode d’élection des parlementaires de la Haute Assemblée est une question importante pour l’avenir de nos institutions.

Certes, il peut être légitime de s’interroger périodiquement sur l’adéquation des institutions aux évolutions d’un pays. Pour autant, la méthode choisie a été peu respectueuse à l’égard des membres de la Haute Assemblée.

M. Roger Romani. Ça c’est vrai !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En effet, la tradition républicaine aurait voulu que l’on confie d’abord à votre assemblée son examen en première lecture. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. C’est exact !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En effet, monsieur le président, vous êtes directement concernés par cette proposition de loi,…

M. Pierre-Yves Collombat. Politesse exquise !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … qui a été examinée en première lecture, par l’Assemblée nationale, le 20 mai dernier.

Après ces quelques observations quant à la forme, j’en viens au fond.

La présente proposition de loi soulève de lourdes difficultés juridiques dans son principe et paraît difficile à mettre en œuvre.

Tout d’abord, elle apparaît nettement comme étant inconstitutionnelle en l’état du droit. L’article 24 de la Constitution prévoit que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Ensuite, toute réforme sur ce sujet apparaît à ce jour prématurée alors qu’un projet de révision constitutionnelle est en cours.

M. Jean-Pierre Bel. Nous demandons des garanties !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Enfin, la proposition de loi qui nous est soumise n’est pas conforme à la position du Conseil constitutionnel. En effet, la désignation des délégués des communes sur la base d’un délégué pour 300 habitants avait été envisagée par un texte de loi voté en 2000, mais déclaré non conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2000. Le Conseil constitutionnel a estimé que, dans ce système, l’importance donnée aux délégués supplémentaires des conseils municipaux au sein des collèges électoraux irait bien au-delà de la simple correction démographique. Par ailleurs, il a rappelé, en 2000, que le Sénat devait être élu par un corps électoral étant l’émanation des collectivités territoriales.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. La Haute Assemblée doit, en conséquence, être essentiellement composée de membres, j’y insiste, des assemblées délibérantes des collectivités territoriales.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ces arguments s’opposent également à la création de délégués des conseils généraux et des conseils régionaux, telle que la prévoit cette proposition.

Car la création de 45 800 délégués des conseils régionaux, et d’un nombre identique de délégués des conseils généraux, aurait pour effet de marginaliser, au sein du corps électoral, les conseillers régionaux, ainsi que les conseillers généraux, qui sont élus, eux, au suffrage universel.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui ! C’est tout de même paradoxal !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Les conseillers généraux et les conseillers régionaux ne représenteraient plus que 4 % et 8 % de leur collège électoral. Dans ces conditions, cette proposition de loi aboutirait inévitablement à la censure du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, les solutions proposées pour renforcer la représentativité du Sénat ne semblent pas non plus adaptées : 52 % des sénateurs sont déjà élus à la représentation proportionnelle et garantissent ainsi une représentation diverse des sensibilités politiques de notre pays.

L’abaissement du seuil de représentation proportionnelle aux départements comptant au moins trois sénateurs ne s’impose donc pas, comme l’a reconnu la représentation nationale lors du vote de la loi du 30 juillet 2003, qui a modifié sur ce point la loi du 10 juillet 2000.

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est faux !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Enfin, autre écueil, du point de vue du Gouvernement, le texte prévoit de fixer à 30 % la part des représentants des départements et des régions. Ce chiffre n’a pas de justification démographique ou institutionnelle, notamment au regard du principe d’égalité des collectivités territoriales entre elles.

M. Jean-Louis Carrère. Alors là ! Le principe d’égalité ! (M. Yannick Bodin rit.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Au total, la mise en œuvre de cette proposition pèserait lourdement sur l’organisation des scrutins.

L’extension excessive du collège sénatorial poserait également de graves problèmes techniques.

M. Yannick Bodin. Relisez la loi actuelle !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le collège sénatorial passerait de environ 138 000 grands électeurs actuellement à 305 000, soit une hausse de 121 % !

M. Jean-Pierre Bel. Où est le problème ?

M. Yannick Bodin. Et alors ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cette disposition engendrerait des dépenses supplémentaires, notamment avec l’obligation de prise en charge des frais de transport des délégués (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),…

MM. Jean-Pierre Bel et Guy Fischer. Ce n’est pas croyable !

M. Yannick Bodin. Guignol !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela coûte trop cher !...

M. Jean-Louis Carrère. La rémunération du Président de la République est bien passée !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. …dépenses incompatibles avec l’article 40 de la Constitution.

Elle poserait, en outre, la question de la bonne organisation et de la valeur d’élections au suffrage universel indirect compte tenu d’un corps électoral aussi vaste, comprenant plus de 5 000 grands électeurs dans les départements urbains, voire plus de 10 000 dans les départements les plus peuplés.

M. Claude Domeizel. Ce n’est pas plus coûteux que l'intervention du Président de la République devant le Congrès !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le dispositif prévu pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger pose également de grandes difficultés techniques. La désignation des quelque 4 580 délégués complémentaires pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger aurait pour effet de multiplier par trente leur corps électoral.

M. Jean-Louis Carrère. C’est moins cher que les vacances d’été aux États-Unis !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cela rendrait évidemment particulièrement complexe l’organisation du vote sans améliorer la représentativité des électeurs désignés.

M. Jean-Pierre Bel. Ils sont plus de trois millions !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. De surcroît, les solutions envisagées pour faire face à une telle augmentation du corps électoral pour l’élection des sénateurs des Français de l’étranger ne sont guère satisfaisantes.

Le recours au vote par correspondance, prévu par le texte, est interdit pour les élections en France depuis 1975, en raison des fraudes constatées. Vous le savez bien, monsieur Bel !

M. Yannick Bodin. On le sait, puisque Mme Alliot-Marie a dit la même chose que vous !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ensuite, le vote par Internet poserait des problèmes évidents de fiabilité et de crédibilité. D’ailleurs, sa validité au regard des exigences constitutionnelles du secret du vote prévues à l’article 3 de la Constitution demeure tout à fait incertaine.

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes mal partis pour la révision constitutionnelle !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des difficultés que je viens de souligner, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’apparaît pas opportune, j’y insiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Elle intervient en effet alors que le débat sur l’avenir de nos institutions est engagé dans la perspective de la réunion du Congrès au mois de juillet prochain.

M. Jean-Louis Carrère. Mal engagé !

M. Yannick Bodin. Sans garantie !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ne préjugeons pas de l’issue de cette discussion ! Il convient de réserver les propositions concernant l’ensemble de notre organisation institutionnelle à ce prochain débat.

Dans ces conditions, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe socialiste relative aux conditions de l’élection des sénateurs, qui est soumise à l’examen de notre assemblée, a de quoi surprendre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.). Non pas que l’on ne puisse la replacer dans la longue liste des projets de démantèlement de l’institution sénatoriale, aussi ancienne que le bicamérisme. Mais l’attitude de la gauche face au Sénat est loin d’avoir été toujours constante.

Les radicaux, principale formation de gauche sous la IIIe République, jusqu’à l’aube des années trente, demandaient, Clemenceau en tête, la suppression pure et simple de la seconde chambre, jusqu’à ce qu’ils en conquièrent la majorité.

M. Jean-Louis Carrère. C’est ce que vous allez faire !

M. Jean-Pierre Bel. Tout cela, c’est la IIIe République !

M. Hugues Portelli. Alors, toute critique disparut, comme par enchantement.

En 1945, la gauche marxiste, devenue majoritaire, obtint la suppression du Sénat dans son projet constitutionnel de mai 1946.

M. Jean-Louis Carrère. Marx vous obsède !

Mme Christiane Hummel. Parlez-en aux populations des anciens pays de l’Est !

M. Hugues Portelli. Le motif allégué était la chute du gouvernement Blum du Front populaire, renversé à deux reprises par le Sénat.

La critique disparut avec le ralliement de la SFIO à la Troisième Force.

En 1958, l’échec de la classe politique traditionnelle et son laminage aux élections législatives de 1958 firent du Sénat le refuge de la gauche traditionnelle, François Mitterrand en tête. Bastion de l’opposition antigaulliste, la Haute Assemblée fut épargnée par les critiques des socialistes, lesquels soutinrent Alain Poher à l’élection présidentielle de 1969, certains dès le premier tour.

Il fallut donc attendre la double victoire de la gauche en 1981 pour que celle-ci redécouvre le thème antisénatorial.

M. Yannick Bodin. Vous avez voté François Mitterrand !

M. Hugues Portelli. Faut-il imaginer qu’une victoire, toujours possible, de la gauche aux élections sénatoriales dans les années à venir…

M. Yannick Bodin. Cela ne change rien !

M. Hugues Portelli. …ferait à nouveau taire les critiques et montrerait que le texte qui nous est soumis aujourd’hui n’était finalement qu’un texte de circonstance ?

Prenons néanmoins cette proposition de loi au sérieux et examinons-la.

Le Sénat étant l’assemblée représentant les collectivités territoriales et les Français établis hors de France, on était en droit d’attendre de nos collègues un texte tendant à renforcer la nature démocratique d’un système électoral qui repose sur le scrutin indirect.

Certes, comme tout mode de désignation, celui des sénateurs est perfectible et souffre de plusieurs défauts.

M. Jean-Louis Carrère. Clause de style !

M. Hugues Portelli. Tel est le cas, par exemple, de la composition du collège électoral. Au sein du collège des électeurs municipaux, la prime majoritaire de 50 % des sièges pour les communes de plus de 3 500 habitants aboutit à donner à la représentation proportionnelle un poids secondaire puisqu’une liste peut, en l’emportant avec moins de 40 % des suffrages, disposer d’une majorité confortable au conseil municipal et détenir ainsi la très grande majorité des délégués des électeurs sénatoriaux. Les autres listes n’ont droit qu’à une représentation et, par conséquent, qu’à un nombre symbolique de délégués sénatoriaux.

De même, les inégalités considérables dans le découpage et le poids démographique des cantons pèsent sur le résultat des élections cantonales et, partant, sur la répartition des électeurs sénatoriaux du département.

Au-delà des inégalités de représentation largement atténuées par les réformes de ces dernières années, la coexistence de deux systèmes différents, l’un majoritaire dans les départements ruraux et l’autre proportionnel dans les départements urbains, permet, elle aussi, une stricte parité entre les hommes et les femmes dans les seconds, mais la rend marginale dans les premiers.

M. Jean-Louis Carrère. Cette obligation de parité est contournée par la constitution de plusieurs listes !

M. Hugues Portelli. De même, la surreprésentation des communes, dont le nombre, en raison de leur émiettement, est, dans notre pays, sans équivalent en Europe, déséquilibre la représentation des collectivités territoriales au détriment des niveaux supérieurs.

Les adversaires du bicamérisme s’appuient sur ces distorsions bien connues pour critiquer la légitimité de la deuxième chambre, oubliant, au passage, les distorsions qui affectent l’élection des députés, quel que soit le mode de scrutin choisi.

On s’attendait donc à une proposition qui s’attache à prolonger les réformes courageuses engagées par la majorité sénatoriale ces dernières années, qu’il s’agisse de l’abaissement de l’âge d’éligibilité, de la réduction de la durée du mandat, qui rapproche désormais l’élection des sénateurs du calendrier des élections locales, du rééquilibrage au profit des départements urbains en augmentant le nombre de leurs sénateurs, des progrès de la parité grâce à l’extension de la représentation proportionnelle de liste.

M. Guy Fischer. À peine !

M. Hugues Portelli. En fait, tel n’est pas l’objectif visé par cette proposition de loi : certes, elle époussette le système actuel en retirant, par exemple, les députés du collège électoral, mais elle consiste, pour l’essentiel, en un gigantesque tour de passe-passe. Au lieu et place des représentants des collectivités territoriales, issus des assemblées locales, la proposition de loi substitue les délégués des partis.

M. Jean-Pierre Bel. Cela existe déjà !

M. Hugues Portelli. Dans les communes, en imposant un délégué pour 300 habitants, elle créerait 76 000 délégués nouveaux, et la majorité d’entre eux seraient non pas des élus locaux, mais de militants désignés par les appareils partisans.

M. Robert Bret. C’est déjà le cas dans les grandes villes !

M. Hugues Portelli. Dans les départements, le collège électoral passerait de 3 857 élus cantonaux à 45 791, soit un élu local pour 11 militants de partis.

Dans les régions, par une manipulation identique, il serait adjoint aux 1 722 conseillers régionaux 44 000 délégués, soit 26 militants pour un élu local.

M. Jean-Pierre Bel. Cessez de vous répéter !

M. Hugues Portelli. S’agissant des représentants des Français établis hors de France, en recourant au même tour de passe-passe, cette proposition de loi ferait passer les grands électeurs de 155 à 4 735.

Au total, le collège électoral doublerait, passant de 144 000 à 305 000 électeurs, non pas pour démocratiser le système électoral, mais pour donner la majorité absolue aux délégués des partis, sans que ceux-ci détiennent la moindre légitimité démocratique.

M. Jean-Louis Carrère. Comment cela ? Vous dites n’importe quoi ! C’est de la provocation !

M. le président. Monsieur Carrère, veuillez écouter l’orateur ! Si vous souhaitiez vous exprimer, vous n’aviez qu’à vous inscrire dans la discussion générale ! (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)

M. Hugues Portelli. Une telle proposition de loi est donc condamnable à plus d’un titre.

Premièrement, elle défie les règles démocratiques.

À l’élection directe des grands électeurs à l’occasion des élections locales, qui est la source de la légitimité du Sénat, la proposition de loi socialiste substitue la constitution d’un collège partisan, issu du choix des appareils de partis, alors que leur légitimité démocratique, du fait du faible nombre d’adhérents en France, a toujours été contestée par les élus et les électeurs, y compris dans les partis de gauche.

M. Jean-Louis Carrère. Vous-même êtes un délégué de l’UMP ! Qu’avez-vous donc contre les partis ?

M. Hugues Portelli. Chers collègues de l’opposition, en quoi des délégués désignés par les partis sans la moindre intervention de l’électeur seraient-ils, dans votre esprit, plus légitimes que les grands électeurs actuels désignés par les citoyens dans le cadre d’une élection ?

M. Jacques Mahéas. Voyez donc les résultats des dernières élections !

M. Hugues Portelli. Sous prétexte de représentation égalitaire entre les différents types de collectivités, vous proposez tout simplement de mettre de côté le suffrage universel pour laisser aux partis le choix souverain de délégués dont on peut penser que leur libre choix sera singulièrement limité et leur connaissance de l’enjeu sujette à caution. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Deuxièmement, comme l’a rappelé M. le rapporteur, cette proposition de loi viole ouvertement la Constitution.

Le Conseil constitutionnel avait censuré, en 2000, une loi élaborée par le gouvernement Jospin qui, en instaurant automatiquement un délégué municipal pour 300 habitants, quelle que soit la taille des communes, créait un nombre important de grands électeurs choisis en dehors des conseils municipaux ; cette modification allait au-delà de la simple correction démographique tolérée par le Conseil constitutionnel, puisqu’elle donnait aux délégués non élus une part substantielle, voire majoritaire, du collège électoral sénatorial dans certains départements.

Or la prise en compte des évolutions de la population, que le Conseil constitutionnel vérifie aussi bien dans la représentation des différentes collectivités à l’intérieur de chaque département que dans la répartition entre les départements, ne doit pas remettre en cause le fait que le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, doit être élu par un collège émanant essentiellement de ces collectivités, donc par les membres des assemblées délibérantes de ces collectivités.

De même, l’équilibrage démographique de la représentation ne peut aller jusqu’à remettre en cause la représentation minimale de tous les territoires, également imposée par la Constitution, y compris pour l’élection des députés.

La proposition de loi qui nous est soumise accentuerait jusqu’à l’absurde cette inconstitutionnalité. Elle n’est donc en aucun cas recevable.

M. Jean-Louis Carrère. Notre professeur mérite d’être recalé ! Il n’a rien compris !

M. Hugues Portelli. Pour autant, ce texte ne doit pas simplement être refusé au motif de son inconstitutionnalité, car il démontre une incompréhension majeure de la nature et du rôle du Sénat.

Dans un système bicaméral, les deux chambres n’ont pas vocation à jouer un rôle identique. Dans la tradition républicaine française, la seconde chambre, représentative des collectivités territoriales, détient à ce titre un pouvoir législatif. Nous savons tous que son travail, enrichi par l’expérience de gestion locale de ses membres, repose sur l’examen attentif des textes. Qu’en serait-il de cette richesse et de cette spécificité si le Sénat devenait une assemblée de militants dépourvus de l’expérience gestionnaire, de la culture juridique et financière de l’élu local, et n’ayant pour seul bagage que l’idéologie de leur parti ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le climat de tolérance réciproque qui fait la qualité de cette assemblée, la technicité du travail législatif qui y est accompli, disparaîtraient rapidement et le Sénat n’aurait plus de raison d’être.

M. Jean-Louis Carrère. C’est bien connu : quand on est de gauche, on est idéologue ! Ces propos sont incroyables !

M. Hugues Portelli. Si la réforme du mode de désignation des sénateurs doit rester à l’ordre du jour, elle ne peut en aucun cas emprunter la voie antidémocratique qui nous est proposée aujourd’hui.

Dans un État encombré d’un nombre excessif de collectivités et d’établissements publics intercommunaux, où l’émiettement communal, hérité d’un autre âge, n’a plus de justification, c’est la réforme de la structure territoriale qui doit précéder la réforme du bicamérisme. Celle-ci doit non pas appauvrir le Sénat en lui faisant perdre ce qui fait son originalité et sa contribution au travail législatif et de contrôle, mais, au contraire, le renforcer en resserrant son lien avec les territoires, avec le tissu démocratique local, qui est la véritable exception culturelle de la vie politique française.

Le débat doit donc non pas s’arrêter à l’absurdité juridique et politique de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui, mais reprendre demain en empruntant la voie tracée par la majorité sénatoriale depuis six ans.

M. Hugues Portelli. En adoptant aujourd’hui la motion tendant à opposer la question préalable sur un texte qui n’est ni constitutionnel ni démocratique, le groupe UMP n’entend pas se figer dans une attitude conservatrice. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Ne changeons rien !

M. Hugues Portelli. Il souhaite simplement que le débat légitime sur l’élection des sénatrices et des sénateurs respecte les principes essentiels de la tradition républicaine et de la Constitution. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et sur des travées de lUC-UDF.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez pas toujours dit cela !

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, discuter des institutions sans aborder la question des modes de scrutin a-t-il un sens ? Là est la question !

Le débat sur la révision de la Constitution s’est conclu, hier, à l’Assemblée nationale, par un échec pour le Président de la République et son gouvernement : il n’y a pas de consensus et, de toute évidence, la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés exigée pour toute réforme constitutionnelle aura bien du mal à être réunie.

Nous aurons l’occasion, dans quelques jours, de détailler nos critiques sur ce projet de loi constitutionnelle, mais comment ne pas constater, dès à présent, que la modernisation de la ve République ne vise aujourd’hui qu’à atteindre un seul objectif : le renforcement des pouvoirs du Président de la République, et ce au détriment tant du pouvoir législatif que du gouvernement, responsable devant celui-ci.

La réforme institutionnelle de Nicolas Sarkozy n’améliore pas les droits du Parlement ; elle confirme, au contraire, la minoration de son rôle.

L’une des clés d’un réel renforcement du Parlement, c’est le renforcement de sa représentativité. Or, chacun le constatera, la représentation démocratique du peuple n’est assurée ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat.

Pire, la Constitution de 1958 a, de manière fort habile, installer un véritable verrou législatif au profit de la droite parlementaire en pérennisant la domination conservatrice dans la seconde chambre.

Michel Debré et ses amis avaient bien retenu les leçons de l’histoire : face aux élans des peuples, rien de tel qu’une seconde chambre dont la « modération » est garantie par un mode de scrutin dont l’injustice a été savamment calculée.

Ainsi, depuis toujours, le Sénat est il dirigé à droite, certes d’obédience centriste durant longtemps, …

M. Robert Bret. Les amis de M. Mercier !

Mme Éliane Assassi. … mais à droite tout de même, sans qu’une alternance ait pu un jour être envisagée.

Tout le monde s’accorde pour constater que, malgré une domination incontestable de la gauche dans les collectivités territoriales d’aujourd’hui, il faudra attendre 2014 pour, éventuellement, assister à un basculement, si le Gouvernement et l’UMP n’ont pas d’ici là bricolé en leur faveur les modes de scrutin. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Il est d’ailleurs curieux que M. Fillon et l’UMP s’empressent de modifier le mode de scrutin régional, de redécouper les circonscriptions, …

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est pour vous rapprocher des socialistes !

Mme Éliane Assassi. … sans envisager de remédier non pas à l’anomalie, mais au scandale démocratique que constitue le Sénat d’aujourd’hui.

M. Christian Cointat. Modérez vos propos !

Mme Éliane Assassi. Existe-t-il en Europe une assemblée élue au suffrage indirect par un collège de 138 000 grands électeurs disposant de pouvoirs aussi étendus, notamment dans le domaine constitutionnel ? Moderniser la Ve République exige une profonde démocratisation et, selon les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, une profonde réforme de sa place dans les institutions.

L’heure est venue de changer le Sénat. La droite ne peut plus affirmer, ici ou là, cette nécessité et reculer à chaque occasion concrète d’agir.

Mme Éliane Assassi. Comment ne pas rappeler les propos de M. Devedjian (Ah ! sur les travées de l’UMP.), chef de l’UMP, qui déclarait le 12 juin 2003 : « Bien sûr, la gauche existe, et si elle est insuffisamment représentée au Sénat, qu’elle s’en prenne d’abord à elle-même et qu’elle fasse le travail d’implantation sur le territoire qu’elle n’a pas fait. » (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Eh bien ! les vœux de M. Devedjian ont été exaucés, la droite est minoritaire dans les régions, les départements, les grandes villes et les villes moyennes. Une très grande majorité de la population vit dans des collectivités territoriales dirigées par la gauche.

M. Robert Bret. Cherchez l’anomalie !

Mme Éliane Assassi. L’heure d’une réforme du Sénat semble pourtant approcher.

Rappelons-nous, durant la campagne présidentielle, M. Sarkozy envisageait publiquement la nécessité d’une dose de proportionnelle au Sénat.

M. Jean-Louis Carrère. Il a tout envisagé !

Mme Éliane Assassi. Lors de la campagne des élections législatives, l’UMP a inscrit dans son programme la nécessité d’une évolution démocratique du Sénat.

Au lendemain des élections, M. Devedjian, encore lui, évoquait la proportionnelle intégrale pour le Sénat, vantant les mérites de la « représentativité et de la dynamique » d’un tel système.

M. Robert Bret. Bravo Devedjian !

Mme Éliane Assassi. Plus précisément, le comité Balladur lui-même indiquait : « Quelle que soit la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par la Constitution, les zones peu peuplées ne peuvent être représentées au détriment de celles qui le sont davantage ». Le comité proposait donc que l’article 24 de la Constitution dispose que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population″ ».

Mme Éliane Assassi. Cette proposition a dû paraître trop audacieuse au Gouvernement,…

M. Robert Bret. Révolutionnaire !

Mme Éliane Assassi. … qui a préféré des termes nettement plus souples et permettant de ne rien changer, à savoir : « en tenant compte de la population ».

Alors que les communes de moins de 1 000 habitants représentant 16,5 % de la population désignent 30 % des grands électeurs, et bien que le Sénat frappe par son archaïsme et son conservatisme sur le plan institutionnel, le Gouvernement, sa majorité, décident une nouvelle fois de ne rien changer,

M. Sarkozy, qui aurait bien vendu le Sénat pour obtenir son discours du trône,…

Mme Raymonde Le Texier. C’est bien dit !

Mme Éliane Assassi. … laissait inscrire sur le site Internet de l’Élysée que « le projet de révision prévoit une reforme du collège électoral pour améliorer la représentativité du Sénat. » C’était aller un peu vite en besogne. Où en est-on aujourd’hui ?

Le groupe socialiste et apparentés dépose une proposition de loi qui rejoint, en grande partie, celle que nous présentons depuis des années.

La majorité, après quelques contorsions dues sans doute aux interventions élyséennes, oppose la question préalable en exigeant du temps pour la réflexion.

Cela fait pourtant neuf ans, depuis la réforme proposée par le gouvernement de Lionel Jospin, que cette réflexion est en cours, ponctuée d’ailleurs par un rapport rendu public en juillet 2002, rapport remis par un groupe de travail présidé par M. Daniel Hoeffel. Ce document préconisait une modification du collège électoral. Aussi la droite demeure-t-elle arc-boutée sur son bastion.

Le rapport de M. Lecerf est, par certains aspects, pathétique.

Mme Éliane Assassi. Aux arguments, pourtant incontestables, sur l’absence d’alternance, vous opposez un Sénat principal opposant au général de Gaulle entre 1962 et 1968, en oubliant rapidement les mobilisations populaires de cette période, dont le point d’orgue fut mai 68.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Vous évoquez même Alain Poher, président du Sénat, comme candidat d’opposition à Georges Pompidou.

En hommage à celui qui fut le principal candidat d’opposition cette année-là, avec 20 % des voix, Jacques Duclos, rappelons que Georges Pompidou et Alain Poher, c’était « bonnet blanc et blanc bonnet ».

Même l’idée de renforcer le collège des Français de l’étranger, en le portant de 150, actuellement, à 4 735 grands électeurs, ne trouve pas grâce à vos yeux, …

M. Robert Bret. Cela les affole !

Mme Éliane Assassi. … au nom d’un coût trop élevé. La démocratie est sans doute trop onéreuse pour vous !

La légitimité du Sénat sera un jour en cause si la droite persiste dans son blocage à toute évolution. En prolongeant l’injustice d’un mode de scrutin d’un autre âge, c’est l’idée même du bicamérisme qui peut être remise en cause.

Le bicamérisme n’est pas une fin en soi, une sorte de luxe pour une société démocratique normalisée.

M. Jean-Louis Carrère. Une gourmandise !

Mme Éliane Assassi. Cela doit être un plus démocratique, un outil mis à la disposition du peuple pour permettre à la citoyenneté d’être une réalité, de ne pas être confinée au seul vœu pieux.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Éliane Assassi. Comment accepter longtemps cet alliage antidémocratique entre le scrutin majoritaire uninominal, en vigueur pour la moitié des sièges encore, le mode d’élection indirect, un collège électoral restreint, un renouvellement par moitié et un âge plus élevé qu’à l’Assemblée nationale pour accéder au mandat sénatorial ?

Tout cela mis bout à bout débouche sur une assemblée qui n’a de plus conservatrice que la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Mais vous n’êtes pas des lords ! (Sourires.)

M. Robert Bret. Il faut leur acheter une perruque !

Mme Éliane Assassi. L’expression « anomalie démocratique » a provoqué des réactions épidermiques sur les travées de la majorité sénatoriale. Mais comment qualifier une assemblée qui comprend, ou comprendra, des sénateurs élus par dix grands électeurs, comme à Saint-Martin, ou par 23, comme à Saint-Barthélemy ou Wallis-et-Futuna ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Le cas de Saint-Martin et Saint-Barthélemy est caractéristique de l’utilisation des institutions par la droite pour préserver sa domination. Ces deux sièges ont été créés essentiellement pour conforter l’actuelle majorité.

La majorité sénatoriale se replie derrière la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2 000 pour refuser toute évolution du Sénat. Cette attitude souligne les caractéristiques antidémocratiques de la Constitution de 1958. Une seconde chambre qui pêche par une légitimité démocratique insuffisante se réfère à une jurisprudence établie par une juridiction dont la légitimité est totalement contestable.

Au nom de quoi, au nom de qui, une décision du Conseil constitutionnel bloquerait ad vitam aeternam une avancée démocratique ?

Faudra-t-il attendre vingt ans pour qu’éventuellement les personnalités politiques membres du Conseil constitutionnel modifient leur position totalement politique ?

La décision du 6 juillet 2 000 était d’ailleurs contestable sur le plan juridique. Pourquoi le Conseil a-t-il favorisé le principe posé à l’article 24 de la Constitution, alors que celui qui est posé à l’article 3 est l’une des clés de voûte de tout système démocratique : le principe de l’égalité devant le suffrage ?

M. Robert Bret. Tout à fait !

Mme Éliane Assassi. Enfin et surtout, pourquoi la majorité sénatoriale, plutôt que de se retrancher derrière une juridiction, ne modifie-t-elle pas la Constitution pour imposer au Conseil constitutionnel l’évolution démocratique qu’il refuse ?

Élargir le collège électoral de façon significative est une exigence démocratique : qui pourrait regretter d’être élu par un plus grand nombre d’électeurs ?

Renforcer le scrutin proportionnel est également une exigence démocratique.

M. Robert Bret. Ils en ont peur !

Mme Éliane Assassi. C’est ce mode de scrutin qui permet d’assurer le pluralisme, la mise en œuvre efficace de la parité et le renouvellement des élus. La restriction du cumul des mandats devrait accompagner cette évolution.

Il faudra également veiller à aligner l’âge d’éligibilité des sénateurs sur celui des députés, c’est-à-dire 23 ans, et un jour, enfin, considérer que la majorité civile de 18 ans est une véritable majorité politique.

Ces modalités pour améliorer la représentativité du Sénat et en assurer la légitimité doivent s’accompagner d’une évolution profonde de son rôle.

La seconde chambre ne doit plus être un frein à l’initiative de l’assemblée élue au suffrage universel direct. Le droit de veto dont bénéficie le Sénat doit être supprimé.

Le Sénat n’aura d’avenir que s’il cesse la concurrence avec l’Assemblée nationale pour devenir une caisse de résonance citoyenne, véritable interface entre la nation et le pouvoir exécutif.

Parmi d’autres fonctions, le Sénat pourrait devenir la chambre de l’initiative populaire, qu’elle soit législative ou référendaire.

Il manque à notre système institutionnel un lieu de respiration démocratique qui permette au quotidien de rapprocher le peuple des centres de décisions. Moderniser, revivifier, c’est cela ; il ne faut pas ordonner le statu quo pour préserver des positions politiques devenues illégitimes.

L’attitude de la droite sénatoriale, de l’UMP, est dangereuse, car par une sclérose de la vie démocratique, elle bloque la société tout entière.

Bien entendu, nous voterons la proposition de loi du groupe socialiste, malgré certaines réserves exprimées en commission, notamment par Mme Borvo Cohen-Seat, présidente de notre groupe, en particulier sur la création d’un important collège électoral désigné par les conseillers généraux et régionaux : selon nous, ce dispositif pérennise un Sénat représentant des territoires, alors que d’autres pistes de réforme doivent être examinées.

A l’évidence, nous rejetterons la question préalable, d’un autre temps, déposée par la majorité sénatoriale. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Guy Fischer. Que rien ne bouge !

Mme Bariza Khiari. C’est l’obédience centriste !

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de M. Bel et de ses collègues pose une question devenue récurrente depuis que notre pays s’est doté d’une seconde chambre. Elle revêt, il faut le reconnaître, une importance majeure et mérite d’être approfondie.

Je souhaite aborder ce texte dans un esprit serein, évoquer les difficultés qu’il soulève et présenter quelques propositions.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comment écrivez-vous « serein » ?

M. Michel Mercier. Monsieur Dreyfus-Schmidt vos interpellations sont toujours les bienvenues et marquées au coin du bon sens, nous pouvons une fois encore le constater. Sachez que j’écris toujours « serein » de la même façon, soit « ein ». (Rires.) Ce n’est pas demain la veille que vous arriverez à me démonter ! (Nouveaux rires et applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. Jean-Pierre Caffet. C’est mal parti !

M. Michel Mercier. Si j’accorde une grande importance à cette question, c’est que je suis très attaché au bicamérisme. Or on ne peut pas être attaché au bicamérisme…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sans trouver les moyens de le légitimer !

M. Michel Mercier. … sans se demander en permanence si les deux chambres sont bien constituées de la façon la plus démocratique qui soit et jouissent pleinement de leur légitimité. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

J’ai écouté tous les intervenants en silence, même lorsque j’avais une furieuse envie de rire. J’attends la même attitude à mon égard, car je souhaite prendre tout mon temps et peser mes mots.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n’avez que treize minutes !

M. le président. Dans le respect de votre temps de parole, mon cher collègue !

M. Michel Mercier. Monsieur le président, je ne le dépasserai pas !

Il est donc essentiel, pour un vrai défenseur du système bicaméral, que le Sénat soit incontestable. Qu’en est-il aujourd’hui, et qu’en est-il de la proposition de loi de nos collègues ?

Première observation : il n’est pas exact de dire que les choses ne changent pas.

M. Michel Mercier. La situation est simple, évidente : le Sénat est élu par les représentants des collectivités locales ; mon parti n’a pas gagné les élections locales, d’autres non plus, d’ailleurs, et des changements interviendront lors des élections sénatoriales du mois de septembre prochain.

Aujourd’hui, 102 sénateurs doivent revenir devant leurs électeurs. On peut considérer, en tenant compte de toutes les catégories possibles et imaginables, que 34 d’entre eux appartiennent ou sont rattachés à la gauche.

Or, si j’en crois ce que j’entends ici et là et ce qu’a indiqué M. Bel hier à la télévision…

M. Jean-Pierre Bel. J’y étais avec vous !

M. Michel Mercier. Je vous ai écouté tout le temps, et c’est bien pour cela que je vous y ai accompagné : pour bien entendre !

Vous avez estimé que vous pouviez gagner environ 15 sièges.

M. Jean-Pierre Bel. Je n’ai pas dit cela à la télévision !

M. Michel Mercier. Cela vous donnerait donc 49 sièges sur 102, ce qui n’est pas tout à fait la même chose que 34 sur 102 ! Ainsi, certains changements sont d’ores et déjà possibles. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Je me borne à souligner, ma chère collègue, que, dans la situation actuelle, des évolutions sont possibles : il faut en avoir conscience.

M. Robert Bret. Si elles sont possibles, c’est à dose homéopathique !

M. Michel Mercier. Ma deuxième observation s’appuiera sur un exemple, dont je ne tiens pas à tirer plus qu’il ne faut, celui du département du Rhône, puisque cet après-midi les sénateurs du Rhône sont nombreux dans cet hémicycle.

C’est désormais la gauche qui assure la gestion des six principales villes : Lyon, Villeurbanne, Vénissieux, Saint-Priest, Vaulx-en-Velin et Bron. Sans doute pourrait-on ajouter Rieux et quelques autres communes, mais cela ne changerait rien à la démonstration. Ces six villes représentent 742 000 habitants, c’est-à-dire 47 % de la population du département, et désignent 856 grands électeurs, soit 28,7 % du collège électoral sénatorial. Ce n’est évidemment pas assez : la distorsion est flagrante, elle est trop forte, et il faut y porter remède.

Mais il faut considérer les choses jusqu’au bout, car intervient aussi le mode de désignation des grands électeurs. Dans ces six villes, la gauche a obtenu – c’est beaucoup, c’est une grande victoire – 57,91 % des suffrages exprimés ; mais elle y obtient, du fait de l’effet amplificateur du scrutin municipal, 77,33 % des électeurs sénatoriaux.

M. Jean-Pierre Bel. Démocratie représentative !

M. Michel Mercier. Je n’en ai encore tiré aucune conclusion, mon cher collègue ; ce sont des faits ! Car, si nous voulons arriver à un résultat, il nous faut partir des faits, les observer, et, sur cette base, construire un système nouveau. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Les villes ne sont pas assez représentées, c’est vrai, comme il est vrai que, si nous voulons une meilleure adéquation entre le nombre d’habitants et le nombre de délégués sénatoriaux, nous devons faire bouger les choses.

Il faut, bien sûr, connaître les effets du scrutin municipal, mais il faut aussi savoir que le scrutin indirect n’est pas le scrutin direct.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC et du groupe socialiste. C’est vrai !

M. Michel Mercier. Il existera toujours une distorsion, et c’est tout à fait normal. Encore faut-il l’avoir à l’esprit, car cela fait partie des données du problème.

Il est impossible d’obtenir les mêmes résultats avec le scrutin direct et avec le scrutin indirect ; mais il nous appartient, tous ensemble, de déterminer quelle est la distorsion acceptable du point de vue de la démocratie.

M. Christian Cointat. Ce n’est pas une distorsion, c’est une rémanence !

M. David Assouline. Vous tournez en rond !

M. Michel Mercier. Monsieur Assouline, depuis le temps que vous tournez vous-même en rond, je peux bien en faire un peu autant !

Il faut donc accepter toutes ces différences, qui proviennent à la fois du scrutin municipal et des distorsions liées aux deux modes de scrutin, direct et indirect. Nous avons probablement eu tort de ne pas aller au bout de la proposition de loi que M. Henri de Raincourt et plusieurs de nos collègues avaient déposée voilà quelques années, car elle aurait fait avancer la solution du problème.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ce que l’on dit à chaque fois !

M. Michel Mercier. Aujourd’hui, nous sommes saisis de cette proposition de loi de nos collègues socialistes, qui vise à modifier à la fois la composition du collège électoral sénatorial et le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs.

J’ai indiqué que nous étions prêts à travailler pour construire un collège électoral qui soit plus proche de la réalité de la société d’aujourd’hui : si nous refusons de prendre en considération les évolutions de notre pays vers une vie plus urbaine, le développement des villes, nous disqualifierons le Sénat.

M. Yannick Bodin. Très bien !

M. Michel Mercier. Si nous voulons réellement défendre le Sénat, nous accepterons dans une mesure plus grande qu’aujourd’hui de tenir compte du phénomène urbain, et je souhaite que nous puissions très rapidement avancer sur ce point.

Quant à savoir quelle dose de proportionnelle doit ou ne doit pas comporter le mode de scrutin, je ferai deux remarques simples.

Tout d’abord, comme vous toutes et vous tous, mes chers collègues, j’appartiens à une formation politique. On entend souvent que, avec un mode de scrutin proportionnel, ce sont les partis politiques qui décideront. Je crois pourtant savoir que toutes nos formations ont des commissions d’investiture !

M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !

M. Michel Mercier. Certaines siègent même toutes les semaines, y compris lorsqu’il s’agit de scrutins qui ne sont pas proportionnels.

M. Jean-Pierre Bel. Absolument !

M. Michel Mercier. Alors, soyons raisonnables ! Nous sommes des élus politiques, en tous les cas, nous voulons l’être : il est bien normal que les partis politiques jouent un petit rôle en la matière !

Plus on est minoritaire, plus on est faible – c’est mon cas –, plus on est évidemment favorable à la proportionnelle, et ce sont toujours ceux qui pensent qu’ils obtiendront de toute façon la majorité qui y sont plutôt défavorables : je ne vous cache pas que je suis un fervent partisan d’une proportionnelle modérée, encadrée, dirigée. Qu’elle soit utilisée au Sénat et qu’elle ne soit pas ignorée à l’Assemblée nationale me semble une bonne chose, et j’espère que nous pourrons aller dans ce sens au cours des mois qui viennent.

Le collège électoral peut être rénové et les modes de scrutin modifiés, cela n’aura pas plus de conséquences que n’en auront les résultats qui ont déterminé la composition actuelle du collège électoral. En toute honnêteté, ce n’est pas le mode de scrutin qui influe sur les résultats, ce sont les électeurs, et heureusement ! Si l’on n’accepte pas cela, il n’y a pas de démocratie !

La proposition de loi de nos collègues socialistes doit-elle être votée aujourd’hui ?

M. Jean-Pierre Bel. Au moins discutée !

M. Michel Mercier. Il me semble que c’est ce que je suis en train de faire !

Mes chers collègues, tous ici sommes extrêmement malins : la preuve en est que nous sommes sénateurs. Sinon, nous ne serions pas là, c’est évident ! (Rires.)

Il n’a échappé à aucun d’entre nous que nos collègues socialistes savent parfaitement que la proposition de loi qu’ils nous soumettent est inconstitutionnelle. Ils savent même plus : ils savent que, pour rendre leur proposition de loi constitutionnelle, ils devraient voter le texte que le Gouvernement propose pour l’article 24 de la Constitution dans le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Ils devraient donc se montrer les plus forts soutiens du Gouvernement !

M. Jean-Pierre Bel. Nous avons le temps avant de le voter !

M. Michel Mercier. J’ai bien compris les non d’espoir, les non d’appel, les oui bientôt… qui émanent de tous nos votes, et je sais bien qu’il faut armer le dialogue avant la discussion de la loi constitutionnelle.

J’ai également fort bien compris, mes chers collègues, que votre but n’était que d’armer ce dialogue : votre proposition de loi pose un vrai problème, mais la réponse qu’elle apporte n’est pas une réponse achevée, et vous le savez bien, puisqu’elle est inconstitutionnelle.

Pour ma part, je souhaite que nous ne nous contentions pas de simples appels – la question est trop grave, trop importante –, que nous allions plus loin et que, demain, monsieur le président du Sénat, vous puissiez réunir, par exemple, les présidents de tous les groupes politiques de notre assemblée et le président de la commission des lois,…

M. le président. Ce sera avec plaisir !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela s’est déjà fait !

M. Michel Mercier. … afin que, ensemble, nous reprenions cette question pour faire du Sénat un Sénat incontestable et l’artisan d’un véritable bicamérisme. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’issue de notre discussion générale, la majorité sénatoriale adoptera, sauf si elle est saisie par un improbable sursaut démocratique, la motion tendant à opposer la question préalable. Elle aura ainsi le sentiment d’avoir atteint un triple objectif : repousser le danger, conserver le statu quo et conforter ainsi sa situation privilégiée.

Peu vous importent, mes chers collègues, les changements intervenus dans la réalité des collectivités territoriales au cours de ces cinquante dernières années : le Sénat doit rester indifférent à cette mutation et la composition de son collège électoral inchangée, car cette composition constitue, par excellence, le verrou de l’alternance.

Or rien ne peut justifier que le Palais du Luxembourg demeure la seule assemblée élue du monde démocratique interdite d’alternance. Cette situation spécifique ne vous trouble pas, mes chers collègues, même si son maintien met en cause la représentativité du Sénat et, à terme, sa légitimité.

Pourtant, hors de cet hémicycle, tout le monde ou presque s’accorde à dire que la représentativité du Sénat doit être améliorée. Il y a moins de dix ans, un sénateur dont il se murmure qu’il aspire à occuper la plus haute fonction du Sénat…

M. Bernard Frimat. … et des sénateurs qui y occupent aujourd’hui d’éminentes fonctions – Henri de Raincourt, président du groupe UMP ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois – avaient admis la nécessité d’un changement, comme Jean-Pierre Bel le rappelait dans son intervention. Je n’aurai pas la cruauté de répéter leurs propos d’alors.

Pour quelles raisons le moment n’est-il pas venu aujourd’hui, en 2008, d’adapter le collège électoral ? Les résultats des élections locales sont, sans doute, responsables de ce revirement. Les convictions évoquées n’y ont pas résisté, et l’ardeur réformatrice qui animait alors mes excellents collègues s’est quelque peu refroidie. Il est devenu urgent pour eux de ne rien changer.

M. le président. Monsieur Frimat, M. le président de la commission des lois souhaiterait vous interrompre. L’y autorisez-vous ?

M. Bernard Frimat. Avec grand plaisir ! Je dissimule ma joie !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l’autorisation de l’orateur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur Frimat, vous n’avez pas précisé que la proposition de loi de 1999 avait fait l’objet d’un examen par le Sénat, à titre de contreproposition, dans le cadre de la discussion du projet de loi présenté par M. Jospin. Le Sénat l’avait adoptée, mais cela n’avait pas suffi à la faire aboutir. Pour autant, notre volonté de progresser était bien réelle !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne l’avez plus, c’est ce qui est ennuyeux !

M. Jean-Pierre Bel. Et c’est ce qui nous navre !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Frimat.

M. Bernard Frimat. Le comité Balladur a évoqué, sans ambiguïté, la nécessité de modifier le collège électoral sénatorial qui « favorise à l’excès la représentation des zones faiblement peuplées au détriment des zones urbaines. »

Il préconisait, en conséquence, dans des modalités que vous connaissez, de garantir à chacune des collectivités territoriales une représentation en fonction de sa population, d’assurer aussi un meilleur équilibre dans la représentation des populations.

Son argument principal alliait simplicité et clarté, Éliane Assassi le rappelait : « Quelle que soit la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par la Constitution, les zones peu peuplées ne peuvent être représentées au détriment de celles qui le sont davantage ».

Comme le précise l’article 3 de la Constitution, les députés et les sénateurs sont les représentants du peuple qui exerce par leur intermédiaire sa souveraineté. Leur seule légitimité provient du suffrage universel ; c’est d’ailleurs ce qui fonde la compétence générale des deux assemblées parlementaires. Le suffrage indirect, que nous n’avons pas remis en cause, est la forme particulière de ce lien entre les citoyens et le Sénat. Le Sénat ne peut pas, en conséquence, s’affranchir de ce principe.

Monsieur le secrétaire d’État, au moment où nous allons discuter d’un projet de révision de la Constitution, il n’est pas acceptable d’ignorer la question du collège électoral sénatorial, pire, de refuser d’en débattre, comme la commission des lois l’a décidé.

La proposition de loi de Jean-Pierre Bel et du groupe socialiste était une tentative d’ouvrir le dialogue : vous y opposez une fin de non-recevoir ! L’alternance démocratique du Sénat est-elle pour vous un tel cauchemar que vous en soyez réduits à ce blocage systématique ?

Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur le rapporteur. Je constate que votre volonté de dialogue, exprimée, je le pense, d’une façon sincère lors de l’audition de Jean-Pierre Bel, n’a pas survécu aux délibérations du groupe UMP et aux choix du Gouvernement. C’est regrettable !

À la veille du débat sur la révision constitutionnelle, nous avions souhaité un signe positif qui aurait manifesté, de la part du Gouvernement et de sa majorité, l’intention de réaliser une avancée démocratique.

Nous vous avons avertis qu’une réponse de procédure qui interdirait tout débat sur le contenu de notre proposition de loi serait le pire des signes négatifs. C’est pourtant le choix que vous croyez devoir effectuer ; il sera pour vous le signe avant-coureur de l’échec.

Il eut pourtant été simple de nouer le dialogue en opposant à notre proposition une autre proposition, mais cela aurait obligé tant le Gouvernement – qui s’en tient à des considérations techniques – que l’UMP à présenter des perspectives précises de modifications, ce que vous vous refusez à faire,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Bernard Frimat. …puisque ce serait reconnaître le déni de démocratie qui caractérise la composition du Sénat.

Vous refusez de rétablir le scrutin proportionnel pour les départements élisant trois sénateurs. Ce scrutin a existé pour les élections sénatoriales de 2001, vous l’avez supprimé en 2003. Pour justifier votre position, vous avez utilisé deux arguments qui figuraient déjà dans la réponse de Mme la ministre de l’intérieur à l’Assemblée nationale.

Le premier argument est merveilleux : on ne peut revenir sur une loi que nous avons modifiée. Monsieur le secrétaire d’État, que de temps allez-vous gagner ! Si cet argument a une valeur aujourd’hui, j’ose espérer qu’il s’appliquera avec la même rigueur au scrutin régional, qui, nous a-t-on dit, est l’objet de vos préoccupations.

Second argument : il existe au Sénat un équilibre – qui en douterait ? – entre le scrutin proportionnel et le scrutin majoritaire. Pour reprendre une formule qui vous est chère, monsieur le rapporteur, permettez-moi de démontrer le caractère d’idée fausse de cet équilibre. Nous pouvons comparer deux situations réelles : celles des élections de 2001, où la proportionnelle a joué, et celle de 2004, où elle n’a pas joué.

Au regard de l’article 24 de la Constitution qui dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales, dans quel cas la diversité des collectivités territoriales est-elle la mieux représentée ? En 2004, où sur sept départements élisant trois sénateurs cinq sont représentés par des élus de la même famille politique ? Ou bien en 2001, où sur dix départements élisant trois sénateurs neuf sont représentés par des élus appartenant à des sensibilités politiques différentes ? (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

Ne croyez-vous pas que les élus municipaux des départements concernés se reconnaissent mieux dans la représentation diversifiée de 2001 que dans la représentation monocolore de 2004 ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

À titre informatif, j’ajouterai que parmi les trente élus de 2001 on compte aujourd’hui huit sénatrices, alors que sur les vingt et un élus de 2004 on n’en compte qu’une. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Vous conviendrez qu’en termes d’équilibre votre argumentaire est pour le moins défaillant.

M. Christian Cointat. Il y en a au moins deux pour les Français de l’étranger !

M. Bernard Frimat. Je remercie M. Cointat d’appuyer ma démonstration, puisque l’une des sénatrices à laquelle il fait allusion a été élue à la proportionnelle. (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Peut être aurait-il été plus simple et plus franc de dire que vous préférez le scrutin majoritaire, car il assure à la droite, compte tenu du collège électoral actuel, une rente de situation que vous souhaitez garder. 

M. Alain Vasselle. Parce que vous êtes incapables de vous faire élire au scrutin majoritaire !

M. Bernard Frimat. Sur trente sénateurs élus en 2001, onze étaient de gauche ; sur les vingt et un élus en 2004, ils n’étaient que deux.

C’est en réalité ce déséquilibre préférentiel qui justifie votre position.

Or le Sénat, seconde chambre, qui n’a donc pas, et c’est heureux, le dernier mot, n’a pas la contrainte, comme l’Assemblée nationale, de dégager une majorité de gouvernement. Il devrait donc pouvoir privilégier une représentation plus diversifiée et renforcer ainsi sa légitimité.

Obnubilés par le court terme et la défense du statu quo, vous n’avez pas saisi l’opportunité que constituait la présentation de la même proposition de loi, d’abord par les députés socialistes, ensuite par les sénateurs socialistes. Vous n’avez pas mesuré les acquis qu’elle représentait par rapport aux débats concernant l’existence même du Sénat et, dans l’hypothèse de son maintien, son mode de désignation.

Or les partisans du monocamérisme ou, à défaut, d’une seconde chambre non issue du suffrage universel et, à ce titre, limitée à des compétences spécifiques, n’ont pas renoncé. Les tenants d’un Sénat élu au suffrage universel direct et au scrutin proportionnel au niveau de la région ne peuvent qu’être stimulés par votre refus.

En acceptant le dialogue, ce que vous refusez aujourd'hui, vous aviez la possibilité d’aboutir à un accord très majoritaire sur le maintien du bicamérisme rénové et sur l’élection des sénateurs au scrutin indirect à l’échelon départemental. Vous n’avez pas saisi cette chance, c’est maintenant votre problème. Votre refus de permettre l’alternance au Sénat augmente les risques qui pèsent sur la permanence de cette assemblée.

M. Alain Vasselle. Cela ne dépend que de vous !

M. Bernard Frimat. Vous n’avez pas manqué, monsieur le rapporteur, d’insister sur le caractère anticonstitutionnel de notre proposition de loi, puisqu’elle ne respecte pas le principe posé par le juge constitutionnel dans sa décision n° 2000-431 du 6 juillet 2000 selon lequel le corps électoral du Sénat doit être « essentiellement » – nous serons attentifs à cet adverbe – composé d’élus de collectivités territoriales.

Nous n’ignorons pas cette décision et c’est en pleine connaissance de cause que nous avons déposé notre proposition de loi.

Si la perspective de la révision de la Constitution n’existait pas, nous pourrions accorder quelque crédit à votre argumentation ; mais tel n’est pas le cas.

Nous sommes au cœur du débat de révision constitutionnelle. L’Assemblée nationale s’est prononcée hier, par scrutin public. La commission des lois du Sénat, et elle en est encore émue, a entendu dans les minutes qui ont suivi ce vote la présentation du texte résultant de cette première lecture par Mme Rachida Dati et M. Roger Karoutchi.

L’article 9 du projet de loi, qui modifie l’article 24 de la Constitution relatif à l’élection du Sénat, est resté inchangé sur ce point par rapport au projet du Gouvernement.

Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement a tenu à préciser ceci : « L’objet de cette disposition est de surmonter les contraintes résultant de la décision n° 2000-431 du 6 juillet 2000 du Conseil constitutionnel, laquelle a pour effet d’interdire toute évolution dans la composition du collège électoral dans le sens – écoutez bien, chers collègues de la majorité ! – d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes. »

À l’article 34 du projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement a même arrêté la date d’application de ces nouvelles dispositions électorales : « à compter du deuxième renouvellement partiel du Sénat suivant la promulgation de cette loi constitutionnelle ». En termes clairs et sans modification du calendrier électoral – puisque l’on y pense, paraît-il – cela signifie, en cas d’adoption du texte, septembre 2011.

Qu’importe donc que notre proposition de loi soit aujourd’hui inconstitutionnelle puisque c’est à l’aune de la Constitution révisée qu’elle aurait été jugée. Ce qui pourrait apparaître comme un argument juridique sérieux, s’avère de facto – j’en suis désolé pour vous, monsieur le rapporteur –disqualifié par l’existence même de la révision en cours.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Bernard Frimat. La majorité UMP qui, j’ai cru le comprendre, soutient cette révision n’est donc pas fondée à invoquer un prétendu obstacle juridique alors que, dans le même temps, elle vient de le lever à l’Assemblée nationale.

Le débat que nous aurons sur l’article 9, mes chers collègues, sera indiscutablement essentiel, car on ne peut disjoindre les modes de scrutin de la réforme des institutions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Nous ne demandons pas la constitutionnalisation des modes de scrutin ; il nous semble judicieux que ceux-ci relèvent de la loi ordinaire. Pour autant, qui peut nier qu’ils participent, à l’évidence, à l’équilibre et à la représentativité de notre démocratie ?

M. Robert Badinter. Très bien !

M. Bernard Frimat. Le rapport Balladur avait adopté à l’unanimité une préconisation incitant à modifier le collège électoral sénatorial « en fonction de sa population ». Cette formulation qui figurait dans l’avant-projet de révision a disparu au profit de l’expression « en tenant compte de la population ».

Cette nouvelle formulation, nous explique-t-on, serait plus souple et n’induirait plus la référence strictement proportionnelle que la précédente aurait impliqué. Cette évolution sémantique reprend les termes mêmes utilisés par le juge constitutionnel. Il sera donc très important, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement nous indique avec précision, en confirmant l’exposé des motifs, quelles conséquences il en tire sur la composition du collège électoral sénatorial.

Une modification de la Constitution réduit à néant la jurisprudence constitutionnelle relative à l’ancienne rédaction, car, par essence, le juge constitutionnel ne dispose et ne disposera jamais d’aucun pouvoir constituant. Ce pouvoir appartient au peuple ou à ses représentants réunis en Congrès. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il semblerait, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que l’article 9 du projet de loi constitutionnelle, dans sa rédaction actuelle, apparaisse à certains d’entre vous, par sa référence à la population, comme un danger. Vous craignez qu’il ne finisse par permettre une modification substantielle du collège électoral sénatorial…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Bernard Frimat. …et, en conséquence, vous avez l’intention de vous y opposer et d’inventer un verrou supplémentaire interdisant tout changement.

Vous êtes les représentants du peuple et vous vous méfiez d’une référence à la population.

M. Christian Cointat. Absolument pas !

M. Bernard Frimat. Représentant l’un, le peuple, seule source de votre légitimité, vous craignez l’autre, la population. Quelle étrange situation ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

Vous n’êtes pas perturbés par le nombre infime de grands électeurs de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, voire par le fait que 155 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger aient le pouvoir d’élire douze sénateurs.

En revanche, que l’émergence des départements et des régions et l’évolution démographique des cinquante dernières années puissent être prise en compte pour assurer un meilleur équilibre entre les grands électeurs de chacune des collectivités territoriales vous semble insupportable.

Ce faisant, vous commettez une double erreur.

D’abord, vous considérez les communes rurales comme votre propriété.

Mme Bariza Khiari. Très bien !

M. Guy Fischer. Elles le sont de moins en moins !

M. Bernard Frimat. Or celles-ci subissent de plein fouet les dégâts de votre politique : désertification médicale, suppression des petits hôpitaux, fermetures de classes, disparition des services publics, en un mot, désengagement de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Premières victimes de la révision générale des politiques publiques, elles rejetteront de plus en plus votre domination !

Ensuite, deuxième erreur, vous estimez que les communes urbaines sont des adversaires. Nier le phénomène d’urbanisation et vouloir maintenir la minoration de la représentation des villes au sein des grands électeurs revient à privilégier une vision à court terme et à refuser toute évolution de notre société.

Mes chers collègues, le rejet de notre proposition de loi ne sera qu’une péripétie, et vous en assumerez bientôt toutes les conséquences.

En dépit de vos combats d’arrière-garde pour travestir l’expression du suffrage universel, je forme le vœu que la démocratie finisse, un jour, par trouver le chemin du Palais du Luxembourg. Le Sénat mérite mieux qu’une impossible alternance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Quarante ans après mai 68, vous nous permettez de rajeunir et de vérifier qu’est toujours d’actualité ce célèbre slogan « ce n’est qu’un début, continuons le combat » ! (Les sénateurs du groupe socialiste et du groupe CRC applaudissent vivement et martèlent leurs pupitres au rythme du slogan.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Discussion générale (suite)

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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d’Albanie

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir et l’honneur de saluer la présence, dans la tribune officielle, d’une délégation de députés de l’Assemblée de la République d’Albanie, conduite par son vice-président, M. Fatos Beja. Je ne peux résister au plaisir de préciser que les membres de la délégation sont parfaitement francophones.

Après l’excellent accueil que nos collègues membres du groupe d’amitié France-Albanie ont reçu dans ce pays, en mars 2007, la délégation effectue à son tour une visite d’une semaine en France, à l’invitation du groupe d’amitié que préside notre collègue Bernard Fournier.

Cette visite va contribuer à renforcer les excellentes relations qui existent entre nos deux pays et nos deux assemblées. Elle s’inscrit également dans le cadre plus large du rapprochement euro-atlantique de l’Albanie, qui, après avoir conclu un accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne en 2006, a été récemment invitée à rejoindre l’OTAN.

Je forme des vœux pour que le séjour des membres de la délégation réponde à leur attente, et je leur souhaite, en mon nom personnel et au nom du Sénat tout entier, la plus chaleureuse bienvenue. (M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Discussion générale (suite)

Élection des sénateurs

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi par adoption d’une question préalable

(Ordre du jour réservé)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Question préalable

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, présentée par MM. Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste et apparentés, relative aux conditions de l’élection des sénateurs.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Mauroy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, après les deux discours tout à fait remarquables de Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste du Sénat, et de Bernard Frimat, je me contenterai d’apporter un témoignage.

Lorsque je suis arrivé au Sénat en 1992, j’ai indiqué, dans l’une de mes premières interventions, que le fait que l’opposition soit condamnée à être l’opposition à perpétuité si l’on ne modifiait pas les dispositions relatives à l’élection des sénateurs était une anomalie ! Cette anomalie existait déjà, et je ne l’acceptais pas !

Le temps a passé ; je suis encore sénateur pour trois ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Peut-être plus !

M. Pierre Mauroy. Non, je m’arrêterai là !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ça va susciter des vocations !

M. Pierre Mauroy. Chaque fois qu’il a été question de l’élection des sénateurs, je suis intervenu ! Aujourd'hui encore, démonstration a été faite qu’il s’agit d’une anomalie ; il est inutile d’en rajouter.

« Quand la gauche perd tout, elle perd tout. Quand la droite perd tout, elle conserve le Sénat. » Cette phrase du constitutionnaliste Guy Carcassonne résume on ne peut mieux la réalité de notre assemblée depuis la IIIe République : son obstination rare – et unique en Europe, si ce n’est la Chambre des Lords, comme certains de mes collègues l’ont déjà souligné – à rester, quoi qu’il arrive, à droite.

À mes yeux, l’histoire de notre assemblée est celle des occasions manquées. Aucune des réformes qui l’a concernée n’a réussi, faute de volonté politique, à créer les conditions d’une possible alternance. Je vous le demande donc solennellement, mes chers collègues : cette situation peut-elle perdurer plus longtemps sans caricaturer notre démocratie, ce qu’elle fait déjà aujourd'hui ?

Pensez-vous vraiment que les Français peuvent comprendre et accepter qu’une assemblée qui représente les collectivités territoriales ne voie pas sa majorité changer quand la gauche dirige 20 régions sur 22, 58 conseils généraux sur 102 et 60 % des communes ? (Mme Christiane Hummel s’exclame.) Or les projections réalisées démontrent que, si le collège électoral ne change pas, le Sénat risque encore une fois de rester à droite au prochain renouvellement !

M. Dominique Braye. Ce n’est pas impossible !

M. Pierre Mauroy. J’espère que tel ne sera pas le cas, car trop, c’est trop ! Cette situation est inacceptable, car elle met gravement en cause la crédibilité non seulement de notre assemblée, mais également de notre démocratie.

Lionel Jospin avait parlé, il y a quelques années, d’« anomalie démocratique ». Si rien ne change, on aggravera cette anomalie, et ce sera un véritable « déni de démocratie » permanent !

Personne ne remet en cause le bicamérisme, et certainement pas nous ! Nous l’avons dit et redit ! La plupart des grands pays démocratiques fonctionnent sur la base du bicamérisme, garant d’une expression équilibrée des pouvoirs. Comme le Sénat français, la plupart des secondes chambres représentent les collectivités territoriales. Mais elles sont toutes soumises, à l’exception d’une, au jeu normal de l’alternance démocratique.

Le Sénat français doit évoluer. Je crois que les sénateurs, notamment ceux de la majorité, ne mesurent pas suffisamment le discrédit qui frappe leur assemblée.

Je suis sénateur depuis seize ans. Je souhaite que notre assemblée, qui est dotée de pouvoirs importants et qui réalise un travail utile et souvent méconnu, puisse s’adapter aux mutations que la société française a connues au cours des cinquante dernières années pour être à l’unisson de la revendication des Français d’approfondir la démocratie de leur pays.

Les socialistes ont, à de nombreuses reprises, avancé des propositions visant à modifier le mode d’élection des sénateurs, avec lesquelles d’ailleurs certains d’entre vous siégeant sur les travées de droite n’étaient pas en désaccord ! Mais il leur a été difficile de passer d’une analyse juste à sa concrétisation, s’agissant notamment de la question de la composition du collège électoral. Car c’est bien là le point d’achoppement ! Aucune réforme de ce collège n’est intervenue depuis 1958 ; celui-ci continue donc de surreprésenter les communes les moins peuplées.

Or la France de ce début de XXIe siècle n’est plus la France rurale du XIXe siècle, du début et du milieu du XXe ! Au fil des années, notamment depuis les années soixante, la France s’est urbanisée, et les trois quarts de la population vivent désormais en zones urbaines.

Par ailleurs, depuis 1982, avec le développement de la décentralisation, les régions sont devenues des collectivités territoriales à part entière, et les départements des acteurs essentiels de la vie publique. Or ils sont, eux aussi, sous-représentés dans le collège électoral.

Personne ne nie le fait que la composition du collège électoral sénatorial soit dépassée. Comme le reconnaît le rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, dit rapport Balladur, elle « favorise à l’excès la représentation des zones faiblement peuplées au détriment des zones urbaines ». Tout est dit ! Il faut s’adapter ! Pourquoi alors mettre tant d’obstination à ne pas vouloir bouger ?

Monsieur le président, chers collègues, au moment où le Parlement – l’Assemblée nationale l’a adopté hier et le Sénat en débattra dans quelques jours – examine un projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, comment ne pas y voir l’occasion pour notre assemblée de trouver enfin une légitimité dont dépend sa représentativité ?

Pourtant, à l’évidence, vous vous y opposez. Comme les députés de droite, les sénateurs de la majorité ont refusé de discuter des articles de la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs déposée par MM. Jean-Pierre Bel et Bernard Frimat, ainsi que par les membres du groupe socialiste et apparentés. Je le regrette vivement, car, une fois de plus, vous faites preuve d’un conservatisme d’un autre temps.

M. Guy Fischer. C’est vrai !

M. Pierre Mauroy. Je le regrette d’autant plus que nos propositions n’ont rien de révolutionnaire. Elles se contentent de mettre en application quatre principes incontestables : l’extension du collège des communes, qui rééquilibre le collège des délégués au profit des villes, sans méconnaître les communes les moins peuplées ; la création d’un collège des délégués des régions et d’un collège des délégués des départements pour tenir compte du rôle majeur qu’ont pris, au fil des ans, ces collectivités dans les politiques publiques – et vous avez voté pour que ces assemblées prennent de plus en plus d’importance !– ; l’extension de la proportionnelle aux départements élisant trois sénateurs, c’est-à-dire le retour au dispositif adopté par la loi du 10 juillet 2000 remis en cause par la loi organique du 30 juillet 2003 ; enfin, la démocratisation de l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger.

Votre refus et celui du Gouvernement d’accepter nos propositions sont d’autant plus étonnants que le projet de loi constitutionnel de modernisation des institutions de la ve République vise à réécrire l’article 24 de la Constitution pour préciser que le Sénat représente les collectivités territoriales en « tenant compte » de leur population.

On pourrait y voir là une volonté du Gouvernement d’avancer en faveur d’une meilleure représentativité du Sénat en prenant en compte la réalité démographique française, ce qui constituerait d’ailleurs une reconnaissance implicite de la nécessité de changer les règles du jeu.

Je note, au passage, que cette formulation est à nos yeux insuffisante pour répondre à l’objection du Conseil constitutionnel, qui, en 2000, avait jugé inconstitutionnelle une première proposition de loi socialiste tendant déjà à élargir le collège électoral sénatorial. C’est pourquoi nous préférons l’expression « en fonction de leur population », qui rend plus contraignante et déterminante, donc plus constitutionnelle, – encore que… – la nécessité de revoir le corps électoral sénatorial. Nous y reviendrons dans quinze jours, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle.

Mais je pose d’ores et déjà la question : pourquoi cette obstination du Gouvernement et de la majorité ? Pourquoi rester au milieu du chemin et remettre à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui ?

Il y a une cohérence, de notre part, à présenter notre proposition qui accompagne le souhait prétendu du Gouvernement de donner de nouveaux droits au Parlement et à l’opposition.

À mes yeux, il ne peut y avoir revalorisation du Parlement en refusant toujours l’alternance démocratique dans l’une des deux chambres. C’est la raison pour laquelle les parlementaires socialistes, notamment les sénateurs socialistes par la voix de leur président Jean-Pierre Bel – l’ensemble du parti socialiste, du reste – ont fait de la réponse à cette question, j’y insiste, un préalable à leur vote sur le projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je les approuve entièrement !

Par conséquent, si vous vous obstinez, nous ne voterons pas, c’est clair, le projet de loi constitutionnelle.

M. Dominique Braye. Vous mélangez les choux et les carottes !

M. Pierre Mauroy. Je ne mélange rien du tout ! Je parle de l’essentiel !

Mme Alima Boumediene-Thiery. La réforme des institutions !

M. Dominique Braye. Cela n’a rien à voir avec la réforme des institutions !

M. Pierre Mauroy. Vous, vous criez en permanence, quel que soit le sujet ! Alors, je vous en prie, cher collègue, taisez-vous !

M. Robert Bret. Le fossoyeur de service !

M. le président. Un peu de silence, mes chers collègues !

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, chers collègues, vous le savez, une réforme du mode de scrutin du Sénat est un acte extraordinaire parce qu’il est rare. À nous donc de mesurer pleinement les conséquences du choix politique que nous allons effectuer aujourd'hui.

Chers collègues, soit vous voulez redonner toute sa légitimité à votre assemblée, et vous acceptez de discuter des articles contenus dans notre proposition de loi ; soit vous vous y refusez, comme les députés de la majorité, et, une fois encore, l’occasion sera perdue de faire du Sénat une grande assemblée démocratique. Sans compter que vous aurez vidé en partie de son sens la réforme constitutionnelle en cours, qui entend démocratiser et moderniser notre vie politique, et notamment redonner des droits au Parlement.

Quand on veut vraiment réformer, on porte la réforme partout et, par conséquent, au Sénat !

M. Dominique Braye. C’est du marchandage !

M. Pierre Mauroy. Non, ce n’est pas du marchandage, c’est essentiel !

Les Français jugeront d’ailleurs de la distance, sur ce sujet comme sur tant d’autres, entre vos paroles et vos actes.

Mme Christiane Hummel. Ils jugeront !

M. Pierre Mauroy. Ils jugeront votre duplicité et finiront par s’en lasser. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

Chers collègues sénateurs, si vous vous obstinez à refuser toute évolution, vous continuerez à vous situer hors du temps. Vous ne serez pas même des conservateurs ou des réactionnaires, non, vous serez hors du temps par votre volonté de maintenir coûte que coûte une représentation sénatoriale rétrograde et antidémocratique ! (Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.)

Prenez garde, car, au-delà de cette assemblée, au-delà même de l’actualité, l’histoire a été cruelle pour le Sénat.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pour ceux qui y ont touché !

M. Pierre Mauroy. Souffrant d’une mauvaise image sous toute la IIIe République, il fait l’objet d’une aversion telle sous la IVe République qu’il est remplacé par le Conseil de la République. De même, votre obstination, sous la Ve République, à ne pas apporter de réponse à la question que nous avons posée, celle de l’avènement d’une assemblée réellement démocratique qui remplisse son rôle en tant que telle, vous vaudra d’être oubliés par l’histoire ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Dominique Braye. Quelle emphase ! Quelle prétention !

M. Pierre Mauroy. Vous ferez de cet avertissement ce que vous voulez, mais je tenais à ce que vous l’entendiez.

Mes chers collègues, à l’heure de rénover la République, à l’heure de rénover les institutions – et nous participerons à la discussion qui va s’ouvrir en ce sens -, vous vous devez de rénover aussi le Sénat ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Nous le ferons !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Demande de vérification du quorum

M. le président. Je suis saisi, par M. Lecerf, au nom de la commission des lois, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs (n° 322, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tout seul à l’UMP ?

M. Pierre Mauroy. Il « redouble » !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ignore si l’histoire a été cruelle avec le Sénat, mais je sais qu’elle a parfois été cruelle avec ceux qui l’ont attaqué…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut être courageux !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avant de présenter les arguments qui devraient vous amener, mes chers collègues, à adopter la motion tendant à opposer la question préalable, je souhaiterais répondre brièvement à mon adversaire et néanmoins ami, M. Bernard Frimat.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. M. Bernard Frimat a invoqué des arguments juridiques tout à fait intéressants et pertinents au regard de la réforme constitutionnelle en cours, observant notamment que la représentation des collectivités territoriales se ferait désormais en « tenant compte » de la population, ou « en fonction » de la population,…

M. Jean-Pierre Bel. Cela change tout !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. …ce qui pourrait régler l’ensemble des problèmes posés par la désignation d’un grand nombre de délégués sénatoriaux non élus.

Je ne pense pas qu’il ait raison. La révision constitutionnelle ne change en effet rien sur ce point, et le Sénat continuera à être élu au suffrage universel indirect.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le Sénat restera donc, dans une proportion importante, une assemblée élue par des élus. Cela étant, mes chers collègues, à la lumière des discussions que nous avons engagées au cours de nos auditions, je pense que nous pourrons avancer sur les pistes qui sont celles que vous souhaitez ouvrir.

M. Robert Badinter. Avançons, alors !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Reste que je suis surpris d’entendre affirmer qu’il ne se serait rien passé en termes de réforme depuis la nuit des temps ! Ne passez-vous pas trop rapidement par pertes et profits la réforme de 2003 ? Celle-ci a non seulement réduit la durée du mandat sénatorial de neuf ans à six ans, mais aussi, et ce n’est pas rien, a prévu le renouvellement par moitié du Sénat, ce qui va accélérer l’impact des élections locales sur la Haute Assemblée, comme nous pourrons l’observer avec les dernières élections.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On sait tout cela !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Voilà pourquoi il me semble que, pour ce qui est du mode de scrutin, il y a eu plus de progrès au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.

M. Yannick Bodin. D'ailleurs, c’est tellement important que tout le monde en parle !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Grâce à cette réforme !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je voudrais à présent, à l’appui de cette motion tendant à opposer la question préalable, vous faire part de trois réflexions complémentaires.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. D'une part, toute modification du collège électoral des sénateurs devrait à mon sens intégrer la résolution de certains déséquilibres électoraux actuels.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. D'autre part, nous devrions rester vigilants sur les évolutions institutionnelles en cours. Enfin, des pistes d’évolutions suggérées lors des auditions mériteraient un examen attentif.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S’il convient d’adapter les conditions d’élection des sénateurs aux exigences d’une démocratie plus représentative de la population, encore faudrait-il à tout le moins traiter trois déséquilibres électoraux particulièrement sensibles aujourd’hui.

Premier déséquilibre : les limites actuelles des cantons, où sont élus les conseillers généraux, ne respectent pas le principe de l’égalité du suffrage. À titre d’exemple, dans le département du Nord, que je connais bien, la population des cantons varie de 9 000 habitants à plus de 60 000 habitants ! Selon le ministère de l’intérieur, ces écarts de population, qui vont de un à quarante-cinq sur la France entière, seront prochainement atténués par la redéfinition des cantons qui doit intervenir après le redécoupage des circonscriptions législatives. Ne serait-il pas opportun d’attendre cette nouvelle carte cantonale avant de procéder éventuellement à l’augmentation massive des délégués de la collectivité territoriale départementale ?

Deuxième déséquilibre : dans les communes ayant fait l’objet d’une fusion-association – procédure que M. Mauroy connaît bien puisque Lille y a eu recours à deux reprises -,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Dominique Braye. Très juste !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. …la population des communes associées est prise en compte une première fois pour l’attribution des délégués relevant de l’ancienne commune, puis une seconde fois pour l’attribution des délégués revenant à la commune « absorbante ». Cette pratique, pour le moins surprenante au regard du principe d’égalité, ne devrait-elle pas être interdite par le législateur ?

M. Dominique Braye. Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Troisième déséquilibre, enfin : comme M. Mercier l’a souligné, dans les communes de 3 500 habitants et plus, les délégués des conseils municipaux confortent, lors de l’élection sénatoriale, la disproportion très importante constatée, lors du scrutin municipal, entre les suffrages exprimés par les électeurs et la répartition des sièges.

À Paris, Lyon et Marseille, le scrutin municipal et le découpage en arrondissements peuvent même conduire à l’élection de candidats ayant obtenu moins de voix que leurs adversaires ! Notre collègue Jean-Claude Gaudin et notre ancien collègue Bertrand Delanoë en savent quelque chose…

Ces situations ne justifieraient-elles pas une réflexion particulière sur la détermination du nombre de grands électeurs dans ces communes ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Au titre des évolutions institutionnelles en cours, la montée en puissance des établissements publics de coopération intercommunale, dans lesquels vivent aujourd’hui la très grande majorité de nos concitoyens - 86,7 % exactement -, ne devrait-elle pas être prise en considération ?

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Certes, ces structures ne sont pas des collectivités territoriales à l’heure actuelle, mais elles assument dans les faits nombre de leurs compétences, et la question de l’élection des délégués communautaires au suffrage universel direct se pose avec force, notamment en ce qui concerne les communautés urbaines. Notre collègue Bernard Roman, que nous sommes quelques-uns ici à bien connaître, n’avait-il pas fait adopter un amendement en ce sens par l’Assemblée nationale, lors de la discussion du projet de loi relatif à la démocratie de proximité ? Si une telle modification intervenait, ne devrait-elle pas logiquement entraîner celle de leur statut et leur prise en considération dans le collège électoral sénatorial ?

De même, les interrogations récentes, et récurrentes, sur la pertinence des deux échelons départemental et régional, ainsi que la possibilité d’accroître leurs liens, voire de les fusionner, devraient être considérées attentivement pour l’avenir de la composition du collège électoral sénatorial. Je pense notamment au rapport Attali et à la proposition de loi de nos collègues députés Jérôme Bignon et Jean-François Mancel.

Enfin, je me permets de mentionner quelques pistes d’évolution qui pourraient être examinées dans le cadre d’une réflexion plus approfondie.

Notre pays compte plus de 500 000 élus locaux, et, même avec la proposition de loi de nos collègues socialistes, qui prévoit de faire passer le collège électoral sénatorial de 144 100 à 305 276 grands électeurs, nous serions encore en deçà.

Ainsi, afin de conforter, par exemple, la part des départements et des régions dans le collège électoral sénatorial sans que les conseillers généraux et régionaux soient « noyés » au milieu d’un grand nombre de délégués supplémentaires non élus, ne pourrait-on pas utiliser le vivier des élus locaux qui ne sont pas membres du collège électoral aujourd’hui, sans parler des remplaçants des conseillers généraux, qui ont récemment été créés ? Cela permettrait à mon avis d’éviter la censure du Conseil constitutionnel sur l’élection au suffrage universel indirect du Sénat.

M. Jean-Pierre Bel. Nous aurions pu en discuter !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ne pourrait-on pas imaginer également l’élection des délégués municipaux le même jour que les élections municipales, afin de conforter le lien entre délégués et élus, et de simplifier leur mode de désignation ?

Doit-on s’interroger, comme certains, sur la désignation des sénateurs par plusieurs collèges électoraux ?

M. Jean-Pierre Bel. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le rapporteur ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je vous en prie, monsieur Bel.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, avec l’autorisation de M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le rapporteur, si je me permets de vous interrompre, c’est parce que l’adoption de la motion que vous défendez aurait pour conséquence de stopper là nos délibérations, alors précisément que, au soutien de la question préalable, vous avancez des arguments dont certains, sans pour autant être recevables en l’état, mériteraient sans doute d’être débattus.

Je me permets donc de souligner la contradiction entre la méthode que vous utilisez – mettre fin à toute discussion – et le discours que vous tenez,…

M. Dominique Braye. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Bel. …dans lequel vous avancez un certain nombre de pistes dont nous aurions pu discuter si nous avions examiné les articles de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur Bel, à mon sens, l’importance des réformes inscrites dans cette proposition de loi rend précisément tout à fait illusoire la possibilité d’en débattre avant d’aborder l’examen de la révision constitutionnelle, la semaine prochaine en commission des lois, puis, dans quinze jours, dans cet hémicycle.

M. Jean-Pierre Bel. Sauf pour le Sénat !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J’avoue d’ailleurs avoir quelques difficultés à comprendre l’attitude qui est la vôtre, chers collègues de gauche, sur le vote de la révision constitutionnelle, que je ne qualifierai pas de « chantage », car le terme est sans doute excessif (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Dominique Braye. Ce n’est pas du chantage, c’est du sabotage !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. …mais qui consiste, en rejetant l’ensemble du projet de loi constitutionnelle, à rejeter son article 9, ce qui ne ferait que conforter le « verrou » de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En d’autres termes, chers collègues, pour lever ce verrou, il vous faut voter la révision constitutionnelle !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ou l’amender !

M. Dominique Braye. Ils sont incohérents !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. D’aucuns proposent également d’envisager une désignation des sénateurs par plusieurs collèges électoraux, correspondant chacun à une catégorie de collectivités territoriales. Ainsi, certains sénateurs seraient élus au titre des communes, d’autres au titre des départements, d’autres encore au titre des régions.

Par ces quelques remarques, j’entendais simplement tenter de démontrer combien il est prématuré de débattre des articles de cette proposition de loi, à la veille d’une révision constitutionnelle d’envergure. À l’évidence, la réflexion mérite d’être poursuivie et largement approfondie sur un grand nombre des aspects essentiels de ce texte. Il me semble d’ailleurs que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, prêts à entamer une discussion de fond sur l’élargissement du collège électoral sénatorial.

En attendant, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. Il ne s’agit nullement, à mon sens, de fermer brutalement la porte à la proposition de loi de nos collègues socialistes (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), …

M. Guy Fischer. Vous la claquez !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … mais simplement de prendre acte du fait qu’il est impossible de mener à bien une telle discussion avant l’adoption de la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Du point de vue du Gouvernement, il n’apparaît pas opportun d’examiner une proposition de loi dont les dispositions ne sont manifestement pas constitutionnelles, comme le montre notamment la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En outre, l’examen d’un tel texte semble également prématuré, dans la mesure où la discussion du projet de loi constitutionnelle qui interviendra ici même dans les prochains jours devrait permettre au Sénat de conduire une réflexion sereine et concertée, en particulier sur le mode d’élection des sénateurs.

Soucieux de l’efficacité et de la cohérence des débats de la Haute Assemblée, le Gouvernement soutient donc la motion tendant à opposer la question préalable présentée par M. le rapporteur au nom de la commission des lois.

Enfin, j’aimerais faire une petite remarque, tout à fait courtoise, à l’adresse de Mme Assassi s’agissant du découpage des circonscriptions en vue des élections législatives.

Madame la sénatrice, je vous le rappelle, il s’agit tout simplement d’appliquer la loi, comme elle aurait dû l’être depuis vingt-trois ans ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. David Assouline. Et pour les régionales ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel vient encore de s’exprimer tout récemment sur ce sujet. Cela aurait notamment pu être fait par le gouvernement Jospin après le grand recensement de 1999.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ne reprochez donc pas au Gouvernement d’avoir le courage de procéder à cette opération : il ne s’agit, je le répète, que d’appliquer la loi ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Éliane Assassi. C’est du tripatouillage électoral !

M. Robert Bret. Charcutier !

Demande de vérification du quorum

Question préalable
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Vérification du quorum

M. le président. Mes chers collègues, en application de l’article 51 du règlement, je suis saisi d’une demande écrite, présentée par M. Jean-Pierre Bel, tendant à faire vérifier le quorum par le bureau du Sénat. Je vous en donne lecture :

« Monsieur le président, compte tenu de l’importance de la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs, je vous demande, en application de l’alinéa 2 bis de l’article 51 du règlement du Sénat, de réunir le bureau du Sénat afin de vérifier le quorum de notre assemblée. »

Je rappelle que, aux termes de l’alinéa 2 bis de l’article 51 du règlement du Sénat, « le bureau ne peut être appelé à faire la constatation du nombre des présents que sur la demande écrite de trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal ».

Il va donc être procédé à l’appel nominal.

Huissiers, veuillez effectuer cet appel.

(L’appel nominal a lieu. - Ont signé cette demande et répondu à l’appel de leur nom : Mmes Jacqueline Alquier, Michèle André, MM. Bernard Angels, David Assouline, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Yannick Bodin, Mmes Alima Boumediene-Thiery, Yolande Boyer, MM. Jean-Pierre Caffet, Pierre-Yves Collombat, Yves Dauge, Jean-Pierre Demerliat, Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Bernard Frimat, Jean-Pierre Godefroy, Mmes Odette Herviaux, Bariza Khiari, M. Serge Lagauche, Mme Raymonde Le Texier, MM. André Lejeune, Jean-Luc Mélenchon, Mme Gisèle Printz, MM. Daniel Raoul, Daniel Reiner, Jean-Pierre Sueur, François Fortassin, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi, MM. Guy Fischer, Robert Bret, Mme Josiane Mathon-Poinat et M. Jean-François Voguet.)

M. Jean-Luc Mélenchon. On vérifie plus sérieusement la présence des signataires que le quorum !

M. le président. La présence de trente signataires ayant été constatée, le bureau va se réunir, conformément à l’article 51 du règlement.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

Vérification du quorum

Demande de vérification du quorum
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Rappel au règlement

M. le président. Mes chers collègues, le bureau du Sénat s’est réuni afin de vérifier si les conditions exigées par l’article 51 du règlement étaient réunies.

À la majorité, le bureau a déclaré que le Sénat était en nombre pour procéder au vote. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n’est pas vrai !

M. le président. Il va donc être procédé au vote sur la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Vérification du quorum
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Question préalable (début)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je voudrais mettre en exergue, pour l’édification de notre assemblée, les conditions dans lesquelles le quorum a été vérifié, ce qui permet la poursuite de la délibération.

Le président du Sénat nous a indiqué que l’article 51 du règlement permet au bureau d’établir souverainement …

M. Dominique Braye. D’apprécier !

M. Jean-Luc Mélenchon. … que le quorum est atteint.

Cependant, si le bureau est souverain, cela ne le rend pas extralucide et ne lui confère pas la faculté de dénombrer à travers les murs les présents et les absents dans l’hémicycle ! (Sourires.)

C’est pourtant grâce à cette méthode qu’il a été procédé souverainement à la vérification du quorum ! Personne ne peut croire que nos excellents collègues membres du bureau, ayant à leur tête le président du Sénat lui-même, aient décidé souverainement que le quorum était atteint s’il ne l’était pas, mais ils n’ont pu fonder leur décision que sur un moyen surnaturel, car aucun autre ne nous a été indiqué !

M. Dominique Braye. Bravo, monsieur le président !

M. Jean-Luc Mélenchon. Dans ces conditions, je ne crois pas que cette décision grandisse beaucoup notre assemblée, surtout ceux qui l’ont prise ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Robert Bret. Pourquoi ont-ils besoin d’un scrutin public, dans ce cas ?

M. le président. J’indique que, aux termes de l’article 51 du règlement auquel j’ai fait référence, « le vote est valable, quel que soit le nombre des votants, …

M. Jean-Luc Mélenchon. Vous aggravez votre cas ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. …si, avant l’ouverture du scrutin, le bureau n’a pas été appelé à constater le nombre des présents ou si, ayant été appelé à faire ou ayant fait cette constatation, il a déclaré que le Sénat était en nombre pour voter ».

Je précise que, le bureau s’étant réuni, une majorité s’est dégagée en faveur d’une telle déclaration. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Par ailleurs, je signale que tous les groupes comptaient des absents lors de cette réunion !

M. le président. Je prie donc ceux qui voudraient nous donner des leçons de faire d’abord régner un peu de discipline chez eux ! Je les en remercie par avance ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Robert Bret. Bravo, bel exercice !

Question préalable (suite)

Rappel au règlement
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
Question préalable (fin)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En nous présentant une motion tendant à opposer la question préalable, la majorité refuse le débat.

Toutes les arguties ne pourront nous convaincre du contraire, car il est clair que le Gouvernement et la majorité refusent d’examiner, dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours, la question de la représentativité du Parlement. Ne soyons pas dupes !

Cela est d’ailleurs en contradiction avec les propositions du comité Balladur, qui avait envisagé un réexamen de la représentativité du Parlement et l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les élections à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Ces éléments de réflexion figuraient dans le rapport du comité Balladur, et vous refusez, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, d’en discuter.

Concernant le Sénat, vous arguez du fait que, à l’heure actuelle, dans la mesure où il n’y a encore eu aucune modification de la Constitution, la proposition de loi de nos collègues n’est pas constitutionnelle, eu égard à la décision rendue en 2000 par le Conseil constitutionnel, qui a interprété de façon plaisante pour la majorité la règle selon laquelle le Sénat doit être désigné essentiellement par des élus.

Quoi qu’il en soit, nous allons précisément débattre d’une révision constitutionnelle dont le Gouvernement se plaît à dire qu’elle est la plus importante depuis 1958.

Or ce projet de réforme de la Constitution, outre qu’il comporte de nombreux points très critiquables, que nous aborderons en temps voulu, pèche lourdement par l’absence de propositions destinées à rapprocher les citoyens de leurs institutions et de leurs représentants, donc de réelle avancée démocratique pour le peuple. C’est sans doute la raison pour laquelle vous n’envisagez même pas de soumettre cette réforme à un référendum.

Dans le cadre de cette révision constitutionnelle, la question de la représentativité du Parlement, c'est-à-dire des modes d’élection, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, est omise de façon particulièrement notable.

De ce point de vue, le Sénat est caricatural. Aucune démocratie au monde ne peut se satisfaire qu’une assemblée législative soit toujours située du même côté de l’échiquier politique, quelle que soit la majorité dans le pays !

Vous entretenez sur ce point un faux débat : le Sénat, pour garder en quelque sorte sa raison d’être, doit être élu par les représentants des collectivités locales, et non directement, par voie de conséquence, par les citoyens ! Or qu’est-ce qu’un territoire en dehors de la population qui y vit ? (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Un sénateur de l’UMP. C’est la Tchétchénie, par exemple !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment, en effet, légitimer une assemblée généraliste qui ne soit pas représentative de la population ? Votre raisonnement est pernicieux ! De surcroît, vous voulez l’inscrire dans la Constitution pour empêcher toute évolution démocratique du Sénat. À la limite, on pourrait considérer que chacune des 36 000 communes de France est un grand électeur, ce qui met en évidence l’absurdité de ce genre de raisonnement !

Nous ne sommes pas un pays fédéral. On ne peut donc établir un parallèle entre le Sénat français et, par exemple, le Sénat américain. Par conséquent, comment pouvez-vous justifier que la représentativité des collectivités territoriales ne corresponde pas au chiffre de leur population ?

Votre refus de débattre est grave. Il est d’ailleurs révélateur du véritable objectif que vous visez au travers de la révision de la Constitution que vous proposez, à savoir ancrer durablement une présidentialisation de notre régime, avec un Président de la République chef de l’exécutif, non responsable, et chef d’une majorité toute puissante. Telle est la réalité !

Tout cela est masqué par des aménagements cosmétiques de la vie parlementaire …

M. Jacques Valade. Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … qui n’apportent aucun pouvoir supplémentaire au Parlement et n’engendrent pas une meilleure adéquation entre le Parlement et le peuple, ce qui est tout de même l’objectif à atteindre en démocratie !

M. le président. Veuillez conclure !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne proposez rien que la gauche puisse accepter, rien qui corresponde à une évolution démocratique !

Aussi voterons-nous bien entendu contre cette motion de procédure, laquelle, en cette période de révision de la Constitution, n’honore pas la représentation parlementaire, qui est le pouvoir constituant en l’absence de consultation du peuple ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les excellents propos tenus par mes amis Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et Pierre Mauroy, ainsi que par Mmes Éliane Assassi et Nicole Borvo Cohen-Seat, je ne vois pas vraiment pour quelles raisons la majorité persiste à refuser l’idée même d’un débat.

M. Christian Cointat. Que fait-on aujourd'hui ?

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas exposé un seul argument qui puisse nous convaincre que, sur un tel sujet, il est inutile de débattre.

M. Dominique Braye. Nous voulons un vrai débat ! Pas une discussion précipitée !

M. le président. Seul M. Sueur a la parole !

M. Jean-Pierre Sueur. Alors que nous avons du mal à débattre, nous voilà derechef en butte aux invectives de ceux qui croient qu’il suffit de crier pour se faire comprendre ; ils se font entendre, mais ne sont pas écoutés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Pour notre part, nous pensons qu’il faut envisager les choses de manière rationnelle.

Ainsi, dans notre proposition de loi, nous évoquons la représentation des départements et des régions. Chacun mesure le rôle que jouent aujourd’hui ces collectivités. Est-il raisonnable que, dans le corps électoral qui désigne les sénateurs, elles pèsent très peu, ne représentant qu’un très faible pourcentage des électeurs ?  Que n’a-t-on pourtant entendu à cette tribune sur le rôle considérable des départements et des régions ? Certains ont cru pouvoir arguer qu’augmenter leur représentation allait porter tort aux communes !

En réalité, il s’agit de trouver un bon équilibre. C’est exactement ce que proposent Jean-Pierre Bel et les membres de notre groupe.

Nous avons en outre entendu des réactions, d'ailleurs bien piètres et confuses, s’agissant des inégalités dans la prise en compte de la population. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut prendre en compte les territoires, mais il faut aussi prendre en compte les populations, sinon il n’y a plus de démocratie.

À cet égard, j’ai entendu quelques arguties qui, très franchement, ne sont nullement convaincantes ; vous le savez vous-même, tout comme nous, monsieur le secrétaire d'État, mais vous refusez la vérité. Nous, nous la disons ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Dominique Braye. C’est votre vérité !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous savez tous que cela ne peut continuer ainsi.

M. Jean-René Lecerf nous dit qu’avant de débattre de ce sujet, on pourrait en évoquer bien d’autres, en particulier le découpage cantonal,…

M. Jean-Pierre Sueur. … les communes associées et leur représentation, l’intercommunalité. Oui, on peut parler de tout, mais qui prétendra qu’il faut d’abord traiter le sujet des communes associées pour pouvoir ensuite examiner de manière rationnelle la question du corps électoral des sénateurs ?

En réalité, beaucoup l’ont souligné, certaines menaces se font sentir, que nous redoutons ; je veux parler de l’adverbe « essentiellement » que M. Karoutchi a employé, notamment hier, devant la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur. L’idée semble être de verrouiller davantage encore les choses, de « constitutionnaliser » le fait que la majorité ne pourra jamais changer au Sénat. En disant qu’il faudra « essentiellement » qu’il y ait des élus au sein du corps électoral, l’on se prive, sauf à réviser la Constitution, de la représentation équitable des populations.

Enfin, comment ne pas être sensible aux paroles toutes simples du Premier ministre Pierre Mauroy, selon lesquelles il n’y a pas de démocratie sans alternance ? L’alternance est une chance, une respiration dans une République, dans une démocratie normalement pleine et entière.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas notre faute s’il n’y a pas d’alternance !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous refusez l’alternance, et cela est contraire aux principes républicains ! C’est pourquoi vous êtes gênés et ne voulez pas en parler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Mais soyez-en sûrs : la force de la République, de la démocratie, de la citoyenneté finira par s’imposer, ici comme partout ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l’UMP.

M. Claude Domeizel. Parce que le quorum n’est pas atteint ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. C’est ce que nous allons voir, un peu de patience !

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 94 :

Nombre de votants 324
Nombre de suffrages exprimés 323

Il y avait donc bien le quorum ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Majorité absolue des suffrages exprimés 162
Pour l’adoption 198
Contre 125

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Robert Bret. Applaudissements honteux !

M. le président. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

(M. Roland du Luart remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

Question préalable (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux conditions de l'élection des sénateurs
 

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à actualiser le Règlement du Sénat afin d'intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes
Discussion générale (suite)

Effectifs des commissions permanentes

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Ordre du jour réservé

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à actualiser le Règlement du Sénat afin d'intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes
Article unique (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution, présentée par M. Jean-Jacques Hyest, tendant à actualiser le règlement du Sénat afin d’intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes (nos 345, 359).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous avons été saisis d’une proposition de résolution, déposée par le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, qui vise à corriger une anomalie de notre règlement intérieur.

En effet, si notre règlement intérieur a prévu l’évolution du nombre des membres de nos commissions permanentes jusqu’en 2014, il n’a pas prévu que cette année seront élus deux sénateurs supplémentaires, représentant Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui devront donc siéger au sein de l’une des commissions permanentes.

La proposition de résolution prévoit simplement d’augmenter le nombre des membres des commissions permanentes, afin de tenir compte de l’arrivée de ces deux nouveaux sénateurs. Naturellement, cela n’anticipe en rien sur les conséquences de l’éventuelle révision constitutionnelle, qui nous amènera à revoir le règlement intérieur dans son ensemble.

Cela étant, il faut que, dès le mois d’octobre, les nouveaux sénateurs puissent siéger dans une commission permanente. Dès lors, les effectifs de la commission des finances et de la commission des lois, actuellement de quarante-cinq membres, passeraient à quarante-huit membres en 2008 et à quarante-neuf membres en 2011.

Les effectifs des autres commissions connaîtront l’évolution prévue par notre règlement en application de la loi organique du 30 juillet 2003 et atteindront donc, en 2011, cinquante-sept membres pour la commission des affaires culturelles, la commission des affaires étrangères et la commission des affaires sociales, et soixante-dix-huit membres pour la commission des affaires économiques.

Cette proposition de résolution, qui n’a donné lieu au dépôt d’aucun amendement, a simplement pour objet de tenir compte de l’arrivée parmi nous de deux nouveaux sénateurs et de permettre leur intégration dans l’une des six commissions permanentes. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Avec cette proposition de résolution, c’est une nouvelle fois le débat sur la représentativité du Sénat qui est ouvert.

Le Parlement est actuellement saisi d’un projet de révision constitutionnelle qui aborde de trop loin la question de la représentativité du Sénat, puisqu’il est seulement demandé, au travers de son article 9, que la composition du Sénat tienne compte de la population des collectivités territoriales dont il assure la représentation.

La discussion sur ce point n’a pas eu lieu puisque, comme nous l’avons vu voilà un instant encore, la majorité sénatoriale ne veut pas entendre parler d’une évolution de la seconde chambre, se satisfaisant d’un mode de scrutin antidémocratique et d’une représentation inégalitaire des territoires.

La caricature est patente. Vous rejetez, sans discussion des articles, une proposition de loi visant à élargir le collège électoral et à démocratiser l’élection sénatoriale mais, dans la foulée, vous organisez la présence dans les instances du Sénat, en l’occurrence au sein des commissions, du futur sénateur de Saint-Martin et du futur sénateur de Saint-Barthélemy.

Or la création de ces deux sièges n’avait qu’un objectif : assurer à la majorité sénatoriale un petit « coussin » supplémentaire de deux sièges, en cas de poussée à gauche lors des deux prochains renouvellements sénatoriaux. La représentation des territoires n’est qu’un alibi qui ne tient guère la route.

L’article 3 de la Constitution imposant l’égalité des citoyens devant le suffrage est violé par l’existence de tels sièges parlementaires. Une certaine idée de la démocratie peut-elle tolérer qu’un sénateur de Saint-Barthélemy soit élu par dix voix provenant d’un corps électoral comptant dix-neuf membres ? Est-il acceptable qu’un sénateur de Saint-Martin soit élu par dix voix issues d’un corps électoral composé de vingt-trois membres ?

Vous me direz que cette situation existe déjà à Wallis-et-Futuna et que les douze sénateurs représentant les Français de l’étranger sont désignés par un collège de cent cinquante électeurs, membres de l’Assemblée des Français de l’étranger.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas le sujet !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Une situation déjà inacceptable ne saurait justifier, pour autant, la création d’une nouvelle situation tout aussi inacceptable !

Comble du cynisme, volontaire ou non, vous réservez à l’un de ces sénateurs une place à la commission des finances. C’est assez curieux, lorsque l’on connaît le caractère de paradis fiscal des deux collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les nouveaux sièges au sein des commissions ne sont pas créés pour ces sénateurs-là !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous estimons, pour notre part, que la répartition des sièges du Sénat doit être revue en profondeur et selon une nouvelle clé permettant une représentation juste et équitable en fonction de la population. Représenter un territoire n’est pas une fin en soi et la démocratie ne peut être foulée aux pieds pour satisfaire une exigence répondant à des arrière-pensées politiciennes.

Nous voterons donc contre cette proposition de résolution.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est n’importe quoi !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. On peut toujours revenir sur le passé… Je rappelle cependant que nos collègues socialistes étaient favorables à la création des collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, avec les conséquences que cela entraîne en termes de représentation au Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En tout cas, vous n’y étiez pas hostiles !

M. Christian Cointat. Vous avez voté la loi ! Regardez le Journal officiel ! (M. Bernard Frimat fait un geste de dénégation.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des sièges ont donc été créés au Sénat pour représenter ces deux nouvelles collectivités. Par rapport aux effectifs prévus par la réforme de 2003, nous allons donc nous trouver avec deux sénateurs supplémentaires à la prochaine rentrée parlementaire.

Or le règlement du Sénat précise que tous les sénateurs siègent dans une commission permanente ; par conséquent, il faut bien prévoir une affectation pour les deux sénateurs nouvellement créés qui nous rejoindront en octobre 2008 !

M. Robert Bret. Il va falloir ajouter deux fauteuils dans l’hémicycle !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si cette résolution était rejetée, certains de nos collègues n’auraient pas d’affectation au sein d’une commission permanente, contrairement à ce que le règlement prévoit. Il ne s’agit que de cela ! On peut vouloir rouvrir sans cesse tous les débats, mais ma proposition de résolution n’a pas d’autre objet que de régler cette question avant la fin de la session ! Je l’ai présentée parce que je pensais que tel était mon devoir, tout simplement.

Les nouveaux sièges – qui ne sont pas spécifiquement destinés aux deux sénateurs nouvellement créés – sont affectés l’un à la commission des lois, l’autre à la commission des finances, parce que ces commissions sont celles qui comptent le moins de membres, un point c’est tout !

Je ne comprendrais donc pas que l’on vote contre cette proposition de résolution, parce que l’on priverait alors deux de nos collègues des droits que leur reconnaît notre règlement. Franchement, je ne comprends pas votre attitude, chers collègues !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des conclusions de la commission des lois.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à actualiser le Règlement du Sénat afin d'intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes
Article unique (fin)

Article unique

L’article 7 du règlement du Sénat est ainsi modifié :

a) Les deux derniers alinéas (5° et 6°) du 1 sont ainsi rédigés :

« 5° la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation qui comprend 49 membres ;

« 6° la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale qui comprend 49  membres. » ;

b) Les deux derniers alinéas (4° et 5°) du 2 sont ainsi rédigés :

« 4° la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économique de la nation comprend respectivement 45 membres à partir d’octobre 2004 et 48 membres à partir d’octobre 2008 ;

« 5° la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale comprend respectivement 45 membres à partir d’octobre 2004 et 48 membres à partir d’octobre 2008. » ;

c) En conséquence :

- dans le premier alinéa du 2, l’année : « 2007 » est remplacée par l’année : « 2008 » ;

- à la fin des deuxième à quatrième alinéas (1°, 2° et 3°) du 2, les mots : « octobre 2007 » sont remplacés par les mots : « octobre 2008 ».

M. le président. Sur l’article unique, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des lois sur la proposition de résolution n° 345, je donne la parole à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. La création de deux sièges de sénateur pour assurer la représentation de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin figurait dans la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. Je rappelle que le groupe socialiste s’était abstenu lors du vote sur cette loi, en particulier pour cette raison, même si un certain nombre de nos collègues représentant les départements d’outre-mer ont voté en faveur de son adoption, pour des motifs que je comprends.

Nous n’allons pas refaire la discussion générale sur la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs, mais j’ai indiqué à cette occasion qu’il ne nous semblait pas sain d’accepter sans s’émouvoir que certains d’entre nous soient désignés par un nombre infime de grands électeurs.

Quoi qu’il en soit, monsieur le président de la commission des lois, je comprends la contrainte que vous devez respecter. J’avais fait remarquer que l’intitulé de la proposition de résolution me semblait peu adapté, parce qu’il s’agit de répartir les membres de notre assemblée dans les commissions permanentes, et non pas spécifiquement les sénateurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Nous admettons tous qu’il est nécessaire d’affecter les trois cent quarante-trois sénateurs qui composeront la Haute Assemblée au mois de septembre dans l’ensemble de nos six commissions – nous en resterons à ce chiffre, la révision constitutionnelle étant vouée à l’échec !

Je comprends donc votre démarche mais, par cohérence avec notre position initiale, nous nous abstiendrons sur cette proposition de résolution. Tout a été dit sur le sujet, et nous n’allons pas rouvrir maintenant un débat que nous aurons l’occasion de reprendre lors de la discussion du projet de loi de révision constitutionnelle.

Il est néanmoins curieux de constater que les îles de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, qui formaient initialement une circonscription élisant trois sénateurs, se trouvent désormais dotées de cinq sièges, alors qu’un territoire comme la Martinique, dont la population est maintenant supérieure à celle de la seule Guadeloupe, n’élira que deux sénateurs. Nous y voyons une incohérence, mais je vous concède, monsieur Hyest, que le moment n’est pas venu de la corriger et que le Sénat n’en est pas à une incohérence près ! Qui peut le plus, peut le moins ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

M. Christian Cointat. Je n’avais pas l’intention d’intervenir, mais les propos de Mme Mathon-Poinat méritent tout de même une réaction.

Cela fait des années que nous sommes un certain nombre à demander que l’on modifie le collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Ces derniers élisent douze sénateurs, comme à Paris, et comptent cent cinquante-cinq élus au suffrage universel, quand Paris en désigne cent soixante-trois. Toutefois, le collège électoral de Paris est autrement plus important que le nôtre, puisqu’il comprend plus de deux mille personnes.

Nous sommes donc tout à fait favorables à la poursuite des discussions sur le mode d’élection des sénateurs. C’est la raison pour laquelle je ne peux pas laisser dire qu’il y aurait une fermeture ou une volonté de blocage ! Pas du tout ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Christian Cointat. Ce n’est pas le moment de discuter de ce sujet, et vous le savez très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est jamais le moment !

M. Christian Cointat. Vous avez voulu faire une opération politique et je ne vous le reproche pas ! J’en aurais fait autant à votre place ! Vous avez eu satisfaction, puisque vous avez pu engager le débat, qu’il faudra poursuivre en une autre occasion.

Cela étant, dans l’affaire qui nous occupe aujourd’hui, il convient de faire preuve de responsabilité, même si l’on n’était pas favorable à la création de sièges supplémentaires, tout du moins dans les conditions que vous avez dénoncées. En effet, le Sénat a vocation à représenter les collectivités territoriales, et dès lors que de nouvelles collectivités ont été créées, des sièges doivent leur être attribués et le nombre de places au sein des commissions doit correspondre à l’effectif des sénateurs, sans distinction de provenance.

C’est la raison pour laquelle je voterai bien entendu en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution, en regrettant que vous ne fassiez pas de même, chers collègues, car c’est une simple question de responsabilité et de cohérence !

M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de résolution.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Le groupe CRC s’abstient.

M. Bernard Frimat. Le groupe socialiste également.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. En application de l’article 61, alinéa 1, de la Constitution, cette résolution sera soumise, avant sa mise en application, au Conseil constitutionnel.

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de résolution tendant à actualiser le Règlement du Sénat afin d'intégrer les sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin dans les effectifs des commissions permanentes
 

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Discussion générale (suite)

Agents sportifs

Adoption des conclusions modifiées du rapport d’une commission

Ordre du jour réservé

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, présentée par M. Jean-François Humbert et plusieurs de ses collègues, visant à encadrer la profession d’agent sportif et modifiant le code du sport (nos 310, 363).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Humbert, auteur de la proposition de loi.

M. Jean-François Humbert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mes chers collègues, notre excellent rapporteur Pierre Martin m’a entraîné hier soir au Stade de France, sans doute pour y vérifier la présence de tel ou tel agent sportif ! (Sourires.) Nous avons regardé le match avec beaucoup de plaisir et nous nous sommes réjouis de la victoire de l’équipe de France de football.

Aujourd’hui, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi visant à encadrer la profession d’agent sportif, afin de protéger l’éthique sportive, qui serait très compromise si nous n’agissions pas sur la réglementation de cette profession.

En effet, la loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives a été appliquée de manière globalement satisfaisante en ce qui concerne l’accès à la profession, mais certains agents sportifs exercent encore leur activité dans des conditions irrégulières et le contrôle pratiqué par les fédérations reste trop limité.

Le renforcement de la législation n’a pas empêché la multiplication des affaires impliquant des agents sportifs ; cela démontre que les objectifs d’encadrement et de moralisation de la profession sont encore loin d’être atteints. Il est donc nécessaire de faire évoluer la loi pour mettre fin aux dérives constatées.

L’exercice de la profession d’agent sportif est encadré par les articles L. 222-6 et suivants du code du sport. Les fédérations concernées ont donc mis en œuvre la loi de façon satisfaisante pour sa partie consacrée au contrôle de l’accès à la profession. En revanche, le contrôle de l’activité d’agent sportif s’est révélé insuffisant, pour parler en termes pesés…

La proposition de loi que je vous présente a donc pour objet de mieux organiser l’accès à cette profession, son exercice et son contrôle.

S’agissant d’abord de l’accès à la profession d’agent sportif, la législation actuelle prévoit que la licence d’agent sportif peut être délivrée à une personne physique ou à une personne morale. Toutefois, la délivrance de ces licences aux personnes morales a entraîné une confusion entre les personnes véritablement autorisées à exercer la profession d’agent sportif – celles qui ont passé l’examen approprié – et celles qui n’y sont pas autorisées, comme les actionnaires, les associés et les salariés de la société titulaire de la licence.

Afin de mieux identifier les personnes qui sont autorisées à exercer la profession d’agent sportif, il est proposé de supprimer la possibilité de délivrer la licence aux personnes morales. En contrepartie de cette suppression, les agents sportifs seraient autorisés à constituer une société pour exercer leur activité.

Les dirigeants de la société fondée par l’agent ou de celle dont il sera le salarié seront soumis aux mêmes conditions de moralité, d’incapacités et d’incompatibilités que les agents sportifs. La liste des incompatibilités est également complétée afin d’éviter les conflits d’intérêts entre les agents sportifs et les autres acteurs du sport, comme les entraîneurs ou les propriétaires de club. Il s’agit notamment d’empêcher, ou du moins de limiter, la pratique des rétrocommissions ou sur-commissions, qui est favorisée par la collusion entre certains intérêts dans le sport professionnel.

Cependant, pour que ce dispositif soit efficace, il est nécessaire d’établir une séparation juridique étanche entre les agents sportifs et d’autres acteurs du sport, notamment les dirigeants d’entreprises et d’associations qui emploient des sportifs ou organisent des manifestations sportives. Dans le cas des entreprises, l’incompatibilité concernera aussi les associés et les actionnaires ; dans le cas des associations, elle s’étendra aux fédérations et aux autres organes qu’elles auront constitués.

Le statut des agents sportifs communautaires constitue une autre source de dérives.

Les agents sportifs ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen non établis sur le territoire national peuvent actuellement exercer « sans filet », si je puis dire : ils n’ont pas besoin d’une licence ; ils ne sont pas tenus de respecter les limites de rémunération prévues par le code du sport, en particulier le plafonnement de la rémunération de l’agent à 10 % du montant des contrats conclus ; ils ne sont pas obligés de transmettre les contrats et mandats à la fédération compétente ; enfin, aucune sanction disciplinaire ne peut être prise à leur encontre.

Ces agents peuvent donc se livrer à nombre d’abus quasiment en toute impunité, ce qui est évidemment inadmissible. Pour mettre fin à cette situation, la proposition de loi prévoit d’encadrer l’activité des agents communautaires en s’inspirant du dispositif applicable aux éducateurs sportifs communautaires. Il restera bien sûr possible, pour un agent communautaire, d’exercer sa profession en France, mais uniquement s’il est qualifié pour le faire dans son pays d’origine.

Les modalités d’exercice prévues dans le texte adopté par la commission des affaires culturelles me conviennent parfaitement. Elles respectent l’esprit de la proposition de loi, qui est d’encadrer les activités des agents communautaires, désormais tenus à une obligation de déclaration prévue dans la partie réglementaire du code du sport. Ainsi, dès leur première intervention sur le territoire français, il sera possible de vérifier s’il existe une différence substantielle entre le niveau de qualification requis dans leur pays d’origine et celui qui est exigé en France. Si tel est le cas, la fédération pourra exiger de l’intéressé le passage de l’examen d’agent ou tout du moins d’une partie de celui-ci, par exemple l’examen oral.

Enfin, le dispositif actuel ne prévoit pas explicitement le cas des agents extracommunautaires non titulaires d’une licence d’agent sportif. Dans le silence de la loi, il faut en déduire que, pour exercer la profession d’agent sportif en France, les agents extracommunautaires doivent obtenir la licence française d’agent sportif.

Ce système est tellement contraignant qu’il n’est pas respecté. Pour cette raison, le présent texte prévoit que les agents extracommunautaires non titulaires d’une licence devront conclure une convention de présentation avec un agent pourvu de ce titre, qui sera chargé de placer le sportif dans un club.

Cette convention a pour objet de mettre en présence un sportif ou un club avec un agent sportif titulaire d’une licence. Transmise par l’agent sportif à la fédération compétente, elle servira de fondement juridique à la rémunération de l’agent extracommunautaire.

Telles sont les principales dispositions prévues dans ce texte pour mieux encadrer l’accès à la profession d’agent sportif.

Le deuxième objet de la proposition de loi est de réglementer l’exercice de la profession d’agent sportif.

La définition actuelle de la profession d’agent sportif ne comprend pas l’activité d’agent d’entraîneurs. Dans le cadre du dispositif existant, l’agent sportif ne peut que « mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ». Autrement dit, il ne peut jouer qu’un rôle d’intermédiaire. Cela n’empêche pas, en pratique, les agents sportifs d’être aussi agents d’entraîneurs, mais cette activité est parfaitement illégale puisque le code du travail la leur interdit. Il est donc nécessaire de faire évoluer la loi pour autoriser, sous conditions, le placement d’entraîneurs par les agents sportifs.

Actuellement, un agent sportif est censé n’être rémunéré que par la personne qui le mandate. Cette obligation n’est que théorique : très souvent, ce sont les clubs qui rémunèrent directement des agents pourtant mandatés par les sportifs.

Cette hypocrisie contribue à l’opacité qui règne dans les opérations de placement des sportifs. C’est pourquoi la proposition de loi tend à préciser les relations contractuelles concernées par l’activité d’agent.

Le contrat de courtage encadre juridiquement l’activité de l’agent chargé de mettre en relation les parties intéressées à la conclusion d’un contrat sportif. Ce contrat passé entre l’agent et le sportif, le club ou l’organisateur devra être écrit et transmis à la fédération ; il devra préciser les conditions de rémunération de l’agent sportif et l’identité de la personne qui le rémunèrera.

La grande évolution est que ce contrat permettra à l’agent d’être rémunéré par l’une des parties, quelle que soit la personne à l’origine de la mise en relation. La rémunération de l’agent restera limitée à 10 % du montant des contrats conclus, mais deux types de contrats seront visés : d’une part, les contrats relatifs à l’exercice rémunéré d’une activité sportive, par exemple les contrats de travail des joueurs ; d’autre part, les conventions prévoyant ces contrats de travail, comme les contrats de transfert.

En outre, l’agent sportif ne pourra percevoir aucune rémunération avant d’avoir transmis son contrat à la fédération.

Au passage, je précise que ce texte est conforme au règlement de la Fédération internationale de football association, qui permet à un club de rémunérer l’agent, même s’il a été mandaté par le joueur : il suffit que le joueur ait donné son accord écrit. C’est toute la chaîne du contrôle qui va pouvoir être rétablie grâce à cette légalisation de la rémunération de l’agent par le club.

Une autre difficulté tient au fait que lorsqu’un mineur signe un contrat sportif, la législation en vigueur est censée interdire à son représentant d’être rémunéré, qu’il s’agisse d’une personne physique, d’une société ou d’une association sportive.

Cependant, il est facile pour les représentants de bafouer cette interdiction en faisant signer au mineur d’autres types de contrats qui leur permettent de toucher de l’argent. C’est pourquoi le présent texte interdit toute rémunération sur les contrats qu’un agent signerait avec un mineur.

Enfin, la proposition de loi vise à renforcer le contrôle de la profession d’agent sportif.

Quatre éléments sont à retenir.

Premièrement, l’activité de l’agent est souvent contrôlée à l’occasion du renouvellement triennal de sa licence. Ainsi conçue, cette procédure de renouvellement est une source de conflits intarissable, puisque les fédérations l’utilisent souvent comme mode de sanction.

Afin de limiter les risques de contentieux inutiles, il est proposé de délivrer la licence pour une durée indéterminée et de passer à un contrôle annuel de l’activité des agents. Ce contrôle sera complété par la transmission obligatoire des documents les plus importants aux fédérations compétentes : contrats de courtage, contrats de travail des joueurs avec mention de l’agent négociateur, pièces comptables.

Deuxièmement, les sanctions disciplinaires actuelles se limitent à la condamnation des agents qui n’auraient pas communiqué les contrats de travail des joueurs ou les mandats. Rien n’est prévu pour punir les agents qui enfreignent les autres règles légales, notamment celles qui sont relatives au plafond de rémunération.

Le texte prévoit donc d’étendre les possibilités de sanctions disciplinaires des fédérations à la répression de ces agissements d’agents sportifs peu scrupuleux. De même, il tend à limiter les risques d’abus de la part des agents en rendant leur rémunération conditionnelle : un agent ne pourra être payé que s’il transmet à la fédération compétente le contrat à l’origine de son activité.

Troisièmement, l’actuel code du sport n’autorise pas le Comité national olympique et sportif français, le CNOSF, à jouer un rôle de conciliation dans les conflits opposant les agents sportifs aux fédérations. Il vise les licenciés, sportifs et dirigeants, mais pas les agents sportifs, qui ont une licence de nature différente puisqu’il s’agit d’un permis d’exercer une activité professionnelle. La proposition de loi vise à mettre fin à cette anomalie en étendant les missions de conciliation du CNOSF aux conflits opposant les agents sportifs aux fédérations.

Quatrièmement, l’activité d’agent sportif est souvent exercée de façon illégale. Il est donc nécessaire d’instaurer un renforcement des sanctions. Le texte prévoit donc de punir de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende celui qui exercerait illégalement la profession d’agent sportif. Dans certains cas extrêmes, l’amende pourra dépasser les 30 000 euros et atteindre jusqu’au double de la somme indûment perçue par l’agent sportif.

En conclusion, les agents sportifs malhonnêtes ne disparaîtront pas, bien sûr, du jour au lendemain par la grâce d’une simple loi. Cependant, la plupart des abus ont jusqu’à présent été rendus possibles par l’insuffisance des textes encadrant l’exercice de cette profession : soit il n’y avait pas de loi, soit elle était mal mise en œuvre. La proposition de loi qui est soumise au Sénat a pour principal objet de combler les vides juridiques les plus flagrants et de mieux organiser les contrôles.

Les membres de la Haute Assemblée qui ont soutenu le dépôt de cette proposition de loi souhaitent faire œuvre utile en permettant un exercice le plus sain possible de toutes les activités liées à la pratique sportive. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Martin, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons malheureusement admettre qu’évoluent dans le monde du sport des personnes au comportement pas vraiment exemplaire, voire peu recommandables. Sans vouloir stigmatiser une profession, je dois souligner qu’un certain nombre d’agents de joueurs sont dans ce cas, à tel point que l’on peut aujourd’hui dire qu’ils sont l’une des plaies du sport professionnel.

Je ne remets pas en doute l’utilité des agents sportifs. À l’époque où les joueurs professionnels étaient comparés à des esclaves parce que leurs dirigeants avaient tout pouvoir sur eux, l’arrivée de ces agents, négociateurs des contrats et des transferts, a rééquilibré le rapport de force. Aujourd’hui, les intermédiaires jouent un rôle utile d’interlocuteurs des clubs et de trait d’union entre les joueurs et les dirigeants.

Cependant, l’envolée du coût des transferts depuis l’arrêt Bosman, la mondialisation du football et, plus globalement, l’avènement du « sport business » ont entraîné l’arrivée d’agents plus ou moins scrupuleux qui réclament leur part du gâteau. La loi du 6 juillet 2000 visait à résoudre ce problème en confiant le contrôle de l’activité des agents sportifs aux fédérations et en renforçant les incompatibilités. Sans être un échec patent, la mise en œuvre de cette loi n’a pas tout à fait permis d’atteindre cet objectif.

Au cours des dernières années, la chronique judiciaire des agents sportifs a été très fournie. À titre d’exemple, permettez-moi de mentionner une pratique dans laquelle certains des plus grands clubs de football français se sont illustrés, si j’ose dire, durant la dernière décennie : la surévaluation des joueurs lors des transferts. En clair, un joueur est échangé pour une somme supérieure à sa valeur réelle et les acteurs de la négociation se partagent la différence, soit pour leur compte personnel – on appelle cela des « rétrocommissions » –, soit pour alimenter des caisses noires qui serviront elles-mêmes à financer d’autres transferts.

Mais il serait fastidieux d’énumérer les manœuvres frauduleuses constatées dans le sport professionnel. Retenons simplement qu’elles ont toutes un point commun : l’agent est au centre de la fraude. En effet, il est le maillon le plus faible de la chaîne, celui que l’on ne voit pas, celui qui peut facilement se rendre dans un paradis fiscal et se trouve forcément au cœur des transactions.

Quels sont les défauts de notre législation ?

D’abord, on a attribué des licences à des personnes morales. Or, en leur nom, un grand nombre d’agents occultes, ou plus ou moins secrets, ont prétendu négocier des contrats, et ce sans avoir les compétences minimales requises.

Ensuite, on a mal encadré l’exercice de l’activité par les agents étrangers. Ces derniers étaient censés détenir une licence française, ce qui s’est révélé trop contraignant. Finalement, ils sont tous intervenus sans aucun contrôle.

Enfin, on n’a pas été suffisamment loin dans les incompatibilités. Des agents de joueurs sont devenus dirigeants et ils ont ensuite utilisé leurs relations pour mener des opérations contraires à l’éthique sportive.

Les problèmes rencontrés sont surtout liés au manque de contrôle. Pourquoi les procédures de contrôle mises en place ont-elles échoué ? Pour une raison centrale : il est interdit aux clubs de rémunérer les agents, afin de protéger les joueurs. Pourtant, cette règle n’a pas du tout été respectée en pratique. Dans tous les sports, ce sont les clubs qui ont, systématiquement, payé les agents.

Ce constat est probablement lié aux caractéristiques sociologiques du monde du sport : les joueurs refusent de payer leurs agents. Cette situation est extrêmement pernicieuse. En effet, pour camoufler leurs pratiques, les clubs sportifs et les joueurs omettent le nom de l’agent dans les contrats qu’ils passent entre eux, ce qui rend tout contrôle impossible. Les fédérations ne peuvent pas contrôler les agents qui exercent illégalement ou qui détournent de l’argent et n’ont aucune possibilité de regard sur les sommes qui leur sont versées.

Au final, alors que les pratiques illégales se sont généralisées, très peu de sanctions ont été prises.

Pour ces raisons, tous les acteurs du monde sportif s’accordent aujourd'hui sur la nécessité d’une réforme, ainsi que sur ses modalités. Dès lors, la proposition de loi déposée et signée par nombre de nos collègues membres de la commission des affaires culturelles vient, me semble-t-il, à point nommé pour compléter notre arsenal législatif.

Quels sont les principes qui ont guidé sa rédaction ?

Ce texte vise à encadrer la profession d’agent sportif dans ses trois dimensions, c'est-à-dire l’accès à cette profession, son exercice et le contrôle à laquelle elle est soumise. Voici les mesures phares qu’il contient.

D’abord, la délivrance de licences aux personnes morales ne sera plus possible. Les incompatibilités seront renforcées, afin d’éviter les trop nombreuses collusions entre agents et dirigeants de clubs.

Ensuite, la protection des mineurs sera renforcée. Aujourd'hui, certains intermédiaires amènent des enfants africains dans notre pays, puis les abandonnent en cas d’échec. Une telle pratique s’apparente à la traite d’êtres humains. La proposition de loi vise donc à interdire à tout intermédiaire d’être rémunéré sur un contrat passé par un jeune.

En outre, l’activité des agents étrangers sera encadrée. Ainsi, les agents étrangers non communautaires devront obligatoirement passer par un agent français pour négocier un contrat avec un club de notre pays.

Surtout, et c’est une véritable révolution, la rémunération des agents de joueurs par les clubs sera autorisée. Cette mesure, qui a été le point d’achoppement de toute réforme dans le passé, fait aujourd’hui l’unanimité. Elle est fondée sur une évidence : il faut légaliser pour mieux encadrer.

L’encadrement sera forcément plus simple. En effet, les clubs ne verront plus d’obstacle à mentionner le nom de l’agent qu’ils rémunèrent et les agents qui respectent la loi auront tout intérêt à transmettre leur mandat à la fédération.

C’est donc l’ensemble du transfert, de la recherche du joueur à l’homologation de son contrat, qui pourra être contrôlé par les fédérations.

Peut-être certains d’entre vous trouvent-ils cette règle gênante, mais je voudrais rappeler quelques éléments. Dans une transaction immobilière, c’est l’acheteur qui rémunère l’agent immobilier, même si ce dernier a été sollicité par le vendeur. Et, dans le cas d’un spectacle, c’est le producteur, et non le comédien, qui paye l’agent artistique. Ainsi, la rémunération des agents de joueurs par les clubs constitue un retour logique et bénéfique au droit commun.

Enfin, le texte prévoit un renforcement tout à fait approprié des contrôles et des sanctions, afin de tirer l’ensemble des effets positifs d’une telle transformation des règles de rémunération et d’assainir la profession.

En dépit de l’exhaustivité de cette proposition de loi, que j’applaudis des deux mains, la commission des affaires culturelles a souhaité apporter quelques modifications au texte initial.

La première est importante, puisqu’elle tend à assurer la compatibilité de la proposition de loi avec le droit communautaire, et plus précisément avec les principes de liberté d’établissement et de libre prestation de services.

Les agents européens ayant une expérience professionnelle crédible et respectant le droit français, notamment en matière d’incompatibilités, pourront s’installer en France en obtenant une équivalence. Le cas échéant, un examen allégé sera imposé aux détenteurs d’un diplôme d’une valeur manifestement inférieure à celui qui permet la délivrance de la licence. En tout état de cause, tous seront strictement soumis aux mêmes règles que les agents français, ce qui n’était pas clairement le cas aujourd’hui.

Les conditions seront moins strictes pour un agent souhaitant exercer son activité de manière très ponctuelle en France. Il devra être établi légalement dans son pays et respecter les règles relatives aux incapacités et aux incompatibilités. Ainsi, il ne pourra pas s’agir d’un entraîneur qui exercerait le métier d’agent dans son pays, comme le cas pouvait se présenter jusqu’à présent.

Tous ces professionnels devront déclarer leur activité aux fédérations, qui la contrôleront.

Une telle mise en conformité avec le droit communautaire est une nécessité. Sur le fond, elle ne retire rien à notre capacité d’encadrer l’activité des agents européens.

Par ailleurs, la rédaction proposée vise à imposer clairement aux fédérations de faire respecter les dispositions du code du sport, à encadrer l’action des collaborateurs d’agents, à préciser quelles sont les personnes potentiellement concernées par les sanctions prises par les fédérations et à interdire l’exercice de l’activité d’agent sportif aux avocats, afin de protéger la lisibilité de la profession.

En conclusion, mes chers collègues, la commission est favorable à l’adoption de la présente proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le sénateur Jean-François Humbert, mesdames, messieurs les sénateurs, la « coproduction » est un terme à la mode. La proposition de loi d’initiative sénatoriale visant à encadrer la profession d’agent sportif démontre qu’il s’agit non pas d’un concept gadget, mais bien d’une réalité.

Dès mon entrée en fonctions, au mois d’octobre 2007, j’ai souhaité que l’on s’attaque à la question des agents sportifs. Moins de neuf mois après, le Sénat a réussi à faire aboutir son initiative sur le sujet, et je m’en félicite.

Il faut d’abord souligner le travail important d’analyse et de rencontre des différents acteurs qui a été accompli. Vous avez pu confronter les points de vue et les positions des principaux intervenants, qu’il s’agisse du ministère chargé des sports, des agents sportifs eux-mêmes, des fédérations, des ligues professionnelles, du Comité national olympique et sportif français ou des clubs.

La présente proposition de loi est un texte mature. Elle a également bénéficié des nombreux enseignements tirés des rapports et études de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection de la jeunesse et des sports, des travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, conduits notamment depuis 2005, ainsi que des propositions des ligues professionnelles et de celles du groupe de travail « agents sportifs » du CNOSF formulées depuis 2007.

Un travail particulièrement important a été mené pour s’assurer de la compatibilité de vos propositions avec le droit communautaire. Il restera à affiner certains aspects relatifs aux agents européens, ce qui sera fait d’ici à la fin de l’examen de la proposition de loi par le Parlement.

Ce qui est sûr, c’est qu’un large consensus se dégage, associant volontés des fédérations, des clubs, des agents et des joueurs.

En outre, votre texte me semble atteindre les objectifs visés, c'est-à-dire la moralisation, la transparence financière et la protection des sportifs, notamment des plus jeunes. Il permettra de faire respecter une loi qui est aujourd’hui contournée, voire inappliquée, et de crédibiliser une profession, celle d’agent sportif, qui est indispensable au bon fonctionnement du sport professionnel.

Grâce à cette proposition de loi, nous aurons clarifié la définition de l’agent sportif, élargi la liste des incompatibilités, autorisé les clubs à rémunérer les agents, amélioré la traçabilité des flux financiers, renforcé les contrôles de l’activité d’agent et traité le cas des agents étrangers ressortissants ou non d’un État membre de l’Union européenne.

C’est pourquoi je rends hommage à la commission des affaires culturelles du Sénat et à son président, M. Jacques Valade. Ils ont su élaborer un texte porteur d’une réforme indispensable pour mieux encadrer une profession qui doit gagner en respectabilité.

Bien entendu, je salue également l’implication de l’auteur de cette proposition de loi, M. Jean-François Humbert, et du rapporteur de la commission des affaires culturelles, M. Pierre Martin. Je sais ce que la qualité de ce texte leur doit. Leur regard aiguisé sur le monde du sport était un gage de la crédibilité des propositions formulées. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au moment où le tournoi international de Roland-Garros bat son plein, et à la veille du championnat d’Europe des nations de football, la Haute Assemblée est saisie d’une proposition de loi visant à encadrer davantage la profession d’agent sportif.

Alors que le monde sportif se professionnalise de plus en plus et qu’il devient incontestablement un objet commercial, brassant des quantités d’argent considérables, la nécessité d’établir des règles visant à améliorer non seulement la pratique du sport, mais également son encadrement, est aujourd'hui devenue incontournable.

À cet égard, il est important de s’intéresser au cas des agents sportifs. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Ces professionnels sont des acteurs du monde sportif qui concourent à la promotion du sport et à son attractivité. Ils participent à la richesse de la vie sportive, en lien avec les fédérations et les clubs, en assurant à nos athlètes de haut niveau une représentation juridique.

Toutefois, les agents sportifs ont parfois à traiter de cas où les enjeux financiers sont considérables, à tel point qu’il n’est plus aujourd’hui possible de ne pas encadrer cette profession d’un minimum de règles.

Par ailleurs, de récents scandales ont entaché l’image de cette activité.

Or, même si nous savons que le sport professionnel s’accompagne d’une démarche commerciale, de tels faits divers nous éloignent fortement des principes rappelés par Aimé Jacquet, ancien sélectionneur de l’équipe de France de football, grâce à qui notre pays a gagné la coupe du monde en 1998. Selon lui, le sport fédère un certain nombre de valeurs : « Donner, recevoir, partager : ces vertus fondamentales du sportif sont de toutes les modes, de toutes les époques. Elles sont le sport. […] Le sport est dépassement de soi. Le sport est école de vie. »

C’est pourquoi nous pouvons accueillir avec satisfaction l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert. La proposition de loi qu’il a déposée comporte un certain nombre de mesures visant à encadrer l’accès à la profession et son exercice, mais également à améliorer son contrôle.

Il est clair qu’aujourd’hui la profession souffre de certaines lacunes et d’un manque de transparence évident.

En effet, il est important qu’une plus grande transparence régisse les relations entre le sportif et ceux qui sont chargés de l’accompagner.

Dans un domaine où les enjeux financiers sont, comme cela a été rappelé, si importants, il est normal et légitime qu’un véritable encadrement se fasse jour et permette un contrôle de l’accès à la profession d’agent sportif et de l’exercice de celle-ci.

Nous le constatons, le sport n’a désormais plus de frontières. Il est donc essentiel que les agents sportifs, qui apportent leur concours aussi bien sur le territoire national qu’à l’échelle de l’Union européenne, voire du monde entier, voient leur activité réglementée.

Il ne faut pas l’oublier, l’agent sportif doit être avant tout au service du sportif. C’est pourquoi il faut saluer cette proposition de loi, qui a le mérite d’améliorer les relations contractuelles entre le sportif et son agent.

Toutefois, à ce moment de la discussion, je voudrais émettre une réserve.

En effet, je m’interroge sur l’avenir des relations entre le sportif et l’agent, à partir du moment où il sera possible que l’agent soit rémunéré par les clubs. Un quotidien national met aujourd’hui l’accent sur ce point, mais je suis sûr que vous allez nous rassurer, monsieur le secrétaire d'État.

Certes, la volonté est ici de rendre plus transparente la rémunération des agents. Mais qu’en sera-t-il de l’indépendance des agents à l’égard des clubs, dès lors que ces derniers contribueront désormais à leur rémunération ?

En principe, l’agent représente un sportif dans le cadre d’un contrat de courtage qui les lie. La mesure précitée peut amener à s’inquiéter, peut-être à tort, de la sincérité du lien qui unira, à l’avenir, les deux parties. Les enjeux financiers sont parfois tels que l’on risque de ne plus savoir si l’agent a agi en vue d’un intérêt financier ou, comme cela doit être normalement le cas, en vue de l’intérêt du sportif.

Ces interrogations étant formulées, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, la proposition de loi présente, reconnaissons-le, certaines avancées.

Ainsi, elle tend à clarifier les conditions d’accès à la profession, que les agents soient ou non Français, ainsi que les relations entres les différents acteurs du monde sportif. Elle vise à améliorer le contrôle et à permettre au Comité national olympique et sportif français de jouer un rôle d’arbitre, notamment à l’occasion des conciliations des conflits opposant les agents sportifs aux fédérations.

Par ailleurs, le dispositif portant interdiction de rémunérer un agent lorsque le sportif est mineur est à saluer. C’est l’occasion de moraliser quelque peu les opérations concernant les jeunes sportifs.

Cette volonté de transparence est à souligner, car elle permet à la fois de protéger les sportifs et d’encadrer une profession qui, somme toute, est nécessaire. C’est véritablement une chance pour cette dernière que son rôle, ses contours et son champ exact soient clarifiés.

La proposition de loi a en outre pour objet d’éviter toute confusion avec d’autres acteurs du sport, voire tout débordement. Alors que le sport se manifeste de plus en plus à l’échelle européenne et même mondiale, il était temps de préciser les conditions d’exercice de la fonction d’agent sportif, que l’intéressé soit Français ou ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.

Cette proposition de loi représente aussi une chance pour ceux qui accompagnent au quotidien nos grands champions. Cependant, soyons clairs, elle ne produira pleinement ses effets que si l’ensemble du milieu sportif, que ce soient les sportifs eux-mêmes, les clubs ou encore les fédérations, s’implique dans cette démarche de transparence et de moralisation de la profession d’agent sportif. Dans le cas contraire, nous verrons réapparaître des situations dans lesquelles l’argent sera au centre des affaires, indépendamment de l’intérêt des sportifs !

Trop d’affaires ont défrayé la chronique, trop de feuilletons judiciaires, notamment dans le football, ont donné une mauvaise image de cette profession. Il était temps d’y accorder une attention toute particulière. Cette proposition de loi constitue une avancée importante pour le développement de cette activité, qui doit rester au service du sport et des sportifs.

Les montants des transferts pèsent malheureusement trop lourd. À défaut de pouvoir agir sur ce point, réjouissons-nous que cette proposition de loi nous permette de tenter d’arrêter l’escalade.

La moralisation de la profession passe aussi par un changement d’attitude, en particulier à l’égard des jeunes sportifs, notamment ceux qui viennent de pays en voie de développement.

En effet, trop souvent, on les abandonne sans scrupules s’ils n’ont pas les qualités requises, après leur avoir demandé de quitter leur pays, leur famille. La conclusion terrible qui est alors établie par certains est qu’ils ne peuvent rien apporter aux clubs, au milieu sportif professionnel en général. Ces hommes abandonnés, qui n’ont plus les moyens de rentrer chez eux, sont livrés à eux-mêmes, sans avenir certain. Au départ, il y avait l’espérance ; or perdre l’espérance, c’est un peu perdre la vie.

Gardons à l’esprit les propos de Pierre de Coubertin : « Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre. »

Pour conclure, je salue une nouvelle fois l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, ainsi que le travail de notre rapporteur, Pierre Martin. Avec ce texte, ils tentent de vaincre l’opacité d’un système dans lequel le sport doit conserver toutes ses lettres de noblesse. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de profondes mutations allant à l’encontre de l’éthique sportive ont, ces dernières années, entaché le sport professionnel. Argent et dopage ont été, et sont toujours, à la source de dérives qui, si elles ne sont pas nouvelles, ont pris une ampleur particulière avec la médiatisation et la mondialisation des événements sportifs.

Par ailleurs, en supprimant les quotas de joueurs liés à la nationalité au nom de la libre circulation des travailleurs entre les États membres, l’arrêt rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire Bosman a ouvert la voie à une dérégulation du marché des transferts et a ainsi constitué un appel d’air favorisant, en France notamment, l’intervention d’intermédiaires étrangers dont l’activité de mise en relation de joueurs étrangers avec des clubs français a pour partie échappé à tout contrôle.

Le sport doit représenter un certain nombre de valeurs morales, favoriser l’épanouissement personnel, l’esprit d’équipe et de performance, mais le développement du « sport spectacle » et sa médiatisation croissante – on pense notamment au marché colossal représenté par la vente des droits de diffusion du championnat de France de Ligue 1 de football – ont engendré des enjeux financiers considérables. Les sommes échangées entre les grands clubs lors des transferts de joueurs ont donné lieu à des pratiques frauduleuses à propos desquelles est très souvent pointé du doigt le rôle joué par les agents sportifs, véritables hommes de l’ombre des circuits sportifs professionnels.

Depuis la loi du 6 juillet 2000 modifiant la loi relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, l’encadrement de l’activité d’agent sportif a été calqué sur celui qui vaut pour la profession d’agent artistique.

L’activité d’agent sportif est soumise à l’octroi d’une licence d’une durée de trois ans, délivrée et renouvelée par l’une des vingt-sept fédérations sportives délégataires d’une mission de service public.

Si la loi de 2000 a très strictement encadré la profession d’intermédiaire sportif en posant les règles d’accès, d’exercice et de contrôle des agents sportifs, le système en vigueur depuis huit ans et la réglementation de son application ont montré leurs limites ; les contentieux mettant en cause des agents sportifs se sont multipliés.

Comment ne pas évoquer, à cet instant, le procès des comptes de l’Olympique de Marseille, les instructions et mises en examen au Paris Saint-Germain, l’instruction en cours sur le Racing-Club de Strasbourg ou encore l’enquête mettant en cause l’Association sportive de Saint-Etienne pour blanchiment d’argent ?

Le principal vice entachant le système est constitué par le paiement très fréquent de l’agent par les clubs, et non par les joueurs – c’est la pratique dite du double mandatement –, alors que le code du sport dispose très clairement, en son article L. 222-10, qu’ « un agent sportif ne peut agir que pour le compte d’une des parties au même contrat, qui lui donne mandat et peut seule le rémunérer ».

C’est l’interchangeabilité, totalement illégale, entre l’agent et le club qui a donné lieu aux affaires de collusion frauduleuse et de corruption ou aux détournements d’argent que je viens d’évoquer. Le versement de rétrocommissions par les agents aux dirigeants des clubs, par le biais de la surfacturation préalable des transferts, s’en est trouvé facilité.

Il ressortait des conclusions du rapport d’enquête sur l’exercice de la profession d’agent sportif rendu par l’Inspection générale de la jeunesse et des sports le 1er avril 2005 que si toutes les fédérations avaient, conformément à la législation en vigueur, mis en place une procédure d’accès à la profession d’agent sportif, leur mission légale de contrôle de cette activité n’était qu’imparfaitement assurée.

Le rapport relève en effet le très faible taux de contrats de mandat soumis aux fédérations. Ce taux est nul à la Fédération française de volley-ball, du fait de la décision de celle-ci de demander aux agents d’acquitter une redevance annuelle. Il est de 20 % à la Fédération française de hand-ball, et de 35 % à la Fédération française de football.

Étaient également mis en évidence le non-respect quasiment généralisé de l’obligation de rémunération de l’agent sportif par le seul mandant, le club s’acquittant de cette rémunération, et l’exercice de l’activité d’agent par de très nombreuses personnes dépourvues de licence. En effet, on estime que, pour 180 titulaires d’une licence d’agent sportif délivrée par la Fédération française de football, il existe entre 400 et 500 faux agents qui ne possèdent pas la licence mais qui, étant très bien intégrés, sont acceptés par certains clubs et jouent le rôle de prête-nom.

Le rapport souligne en outre le mauvais contrôle des agents du fait de la possibilité ouverte par la loi d’attribuer la licence à une personne morale, les salariés d’une société ayant obtenu la licence n’étant ainsi pas contrôlés.

Par ailleurs, le rapport met en exergue la multiplication des cumuls de la fonction d’agent avec celle de membre de l’encadrement d’un club, la détention, par un agent, de parts de capital de clubs, ou l’accession à des postes de responsabilité dans des clubs après avoir exercé la profession d’agent sportif. Toutes ces situations sont, selon les rédacteurs du rapport, « porteuses de risques en termes de conflits d’intérêts ».

Étaient enfin visés les agents impliqués dans des procédures judiciaires et/ou fiscales, notamment du fait du reversement d’une partie des commissions à des joueurs bénéficiant ainsi de compléments de revenus échappant aux charges sociales.

À la fin de 2006, le constat de tous ces manquements et déviances avait conduit le groupe socialiste de l’Assemblée nationale à demander la création d’une commission d’enquête, qui avait été refusée. Cette demande fut néanmoins à l’origine de la mission d’information sur les conditions de transfert des joueurs professionnels de football et le rôle des agents sportifs, présidée par M. Dominique Juillot, dont le rapport d’information, présenté en février 2007, comporte vingt propositions pour encadrer, et par là même moraliser, l’activité d’agent sportif.

La proposition de loi qui nous est aujourd’hui soumise sur l’initiative de notre collègue Jean-François Humbert, écrite en étroite collaboration – je ne peux imaginer qu’il en soit autrement – avec le ministère de la jeunesse, des sports et de la vie associative, reprend précisément la plupart des propositions formulées dans le rapport de la mission d’information que j’évoquais.

Les conditions d’accès, d’exercice et de contrôle de l’activité d’agent sportif seront indéniablement améliorées. La protection des jeunes sportifs mineurs sera accentuée.

On peut toutefois déplorer le très faible montant – 3 750 euros – de l’amende due en cas de violation de l’interdiction de percevoir une rémunération lors de la signature d’un contrat par un mineur.

Afin de rendre plus transparentes les conditions d’attribution de la licence d’agent sportif, il est prévu que celle-ci ne pourra plus être délivrée qu’à une personne physique, et non à une personne morale, comme le permet la législation actuelle.

Cette personnalisation de l’octroi de la licence d’agent devrait permettre de lever l’incertitude qui planait sur le rôle des collaborateurs d’agents sportifs dirigeants d’une société détentrice d’une licence. Nous regrettons toutefois que la démarche de clarification n’ait pas été menée jusqu’à son terme au travers de cette proposition de loi, en précisant que les préposés d’agents sportifs sont cantonnés à l’exécution de tâches administratives nécessaires au fonctionnement de la société constituée et que tous salariés de ladite société exerçant des fonctions d’intermédiaire doivent, eux aussi, être titulaires d’une licence d’agent sportif.

Le régime des incapacités et incompatibilités auquel sont assujettis les agents sportifs sera renforcé, le renouvellement triennal de la licence sera supprimé au bénéfice d’un contrôle annuel de l’activité de l’agent sportif par la fédération dont il dépend, et la gradation des sanctions disciplinaires sera complétée et les sanctions pénales aggravées.

Mes collègues du groupe socialiste et moi-même pensons que ces mesures constituent une avancée indéniable au regard de la législation en vigueur et qu’elles devraient contribuer sensiblement à corriger les déviances observées dans la pratique de l’exercice de la profession d’agent sportif.

Néanmoins, il demeure plusieurs points sur lesquels nous ne pouvons être satisfaits.

Ainsi, dans un esprit constructif d’amélioration du dispositif de la proposition de loi, nous soumettrons au Sénat un certain nombre d’amendements.

Tout d’abord, il nous semble pertinent d’encadrer plus fermement l’activité de « préposé » d’agents sportifs, en soumettant son exercice à l’obligation de détention d’une licence lorsque l’intéressé n’effectue pas que des tâches administratives.

Pour limiter le plus possible les risques de conflits d’intérêts, nous proposerons également d’interdire formellement tout cumul des fonctions de dirigeant, d’associé ou d’actionnaire d’une société d’agent sportif avec celles de sportif ou d’entraîneur.

Par ailleurs, nous souhaitons encadrer davantage l’activité des agents sportifs qui ne sont pas ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, en les soumettant à l’obligation d’obtention d’une licence d’agent sportif dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour les agents ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.

Enfin, nous sommes plus que sceptiques concernant la légalisation de la pratique du double mandatement telle qu’elle nous est proposée par la nouvelle rédaction de l’article L. 222-10 du code du sport.

Il est vrai que la prohibition actuelle n’a pas atteint son but, dans la mesure où elle n’a pas permis d’éviter les pratiques occultes et frauduleuses de versement de rétrocommissions par les clubs aux agents et aux joueurs.

Mais, plutôt que de mettre en place les moyens permettant un contrôle accru des contrats passés entre un agent et un sportif – on pense notamment au renforcement des prérogatives de la Direction nationale de contrôle de gestion, la DNCG, chargée de surveiller les comptes des clubs de football professionnel en France –, vous prévoyez simplement de légaliser cette pratique, en espérant qu’une telle mesure suscitera de la part des cocontractants un plus grand nombre de déclarations, et donc un contrôle renforcé des fédérations sur les contrats passés entre le sportif, son agent et son club.

Nous pensons au contraire que la prohibition du double mandatement aurait dû demeurer la règle. Seul un renforcement des contrôles des contrats passés entre les agents et les sportifs ou les agents et les clubs, combiné à des investigations plus poussées des services de police judiciaire pour traquer les fraudes, peut permettre de débusquer et de limiter les manœuvres fiscales et les détournements d’argent.

C’est aux fédérations qu’a été confiée la charge de contrôler le respect du principe selon lequel on ne peut être à la fois l’agent du joueur et l’agent du club entre lesquels un contrat est signé. Ce principe doit demeurer, et les moyens de contrôle doivent être étendus.

Au lieu de cela, la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permet la rémunération des agents de joueurs par les clubs. L’effet bénéfique supposé est le dépôt des contrats d’agents auprès des fédérations, ce qui leur permettrait, selon M. le rapporteur, de contrôler la régularité des rémunérations mentionnées dans les contrats.

En d’autres termes, chers collègues, vous faites reposer, ni plus ni moins, l’efficacité des contrôles fédéraux sur la bonne volonté des cocontractants, qui seraient incités à déclarer au niveau fédéral les contrats passés.

Ce raisonnement est d’autant plus contestable que le texte qui nous est proposé par M. Humbert étend aux ligues professionnelles le pouvoir de contrôle actuellement détenu par les seules fédérations sur les contrats conclus par l’intermédiaire d’un agent sportif. Les parties au contrat pouvant être les clubs dont les ligues représentent les intérêts, il y a fort à craindre que ces dernières ne deviennent à la fois juges et parties !

Les dérives du sport professionnel sont nombreuses, mais elles ont toutes un lien entre elles : l’absence de contrôle financier et le sentiment d’impunité qui prévaut.

Nous ne contestons pas l’insuffisance des contrôles fédéraux ; nous pensons simplement que les fédérations doivent être épaulées par des contrôles externes complémentaires. Nous souhaitons légiférer pour lutter contre les dérives, et non pas changer la loi pour les officialiser !

Plusieurs pistes alternatives ont été proposées par les experts du sport professionnel pour intensifier les contrôles. La certification des agents sportifs par un organisme indépendant en fait partie, tout comme la mise en place d’une direction nationale de contrôle de gestion rattachée au ministère des sports ou à la Cour des comptes.

Enfin, il semblerait intéressant de créer un service de police spécialisé dans la lutte contre les dérives du sport dont les compétences seraient élargies au dopage, à la corruption et aux paris truqués.

La lutte contre la fraude, comme la lutte contre le dopage, est l’affaire de tous les acteurs concernés. Il serait cependant illusoire de croire à une solution miracle d’autorégulation menant à l’éradication définitive des abus et des détournements. Seule une volonté constante d’information des jeunes et de tous les publics de la part des clubs permettra de réduire les abus.

Quant aux sanctions, elles devront être appliquées avec rigueur, en particulier par le monde sportif.

S’agissant de la police judiciaire et de la justice, elles devront continuer à remplir leur mission d’investigation et de sanction, afin de soutenir les efforts des fédérations.

L’adoption de la proposition de loi de notre collègue Jean-François Humbert permettra d’apporter quelques améliorations ; elle constitue à nos yeux une première étape sur la voie d’une meilleure régulation du sport professionnel, afin que l’éthique et la morale y soient respectées. Malheureusement, ce texte ne permettra pas de faire disparaître l’ensemble des vices entachant l’activité d’agent sportif et les transactions afférentes.

La corruption et les transferts occultes de sommes considérables lors des achats et des transferts de joueurs ternissent l’image du sport professionnel. Malgré quelques avancées visant à moraliser les relations du triptyque joueurs-agents-clubs, nous sommes opposés à la légalisation de la pratique du double mandatement opérée par ce texte, cette pratique ayant largement contribué à développer un système de rétrocommissions qui gangrène littéralement le football professionnel.

Parce que nous pensons que cette proposition de loi ne change rien, nous voterons contre. Respectueux des bonnes intentions de nos collègues, mais sans illusion, nous leur laissons la responsabilité de prolonger une situation qu’ils réprouvent.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je partage l’analyse de M. le rapporteur : notre législation sur les agents sportifs doit être revue. C’est même une évidence !

Le constat est précis, il est même accablant. Les textes actuels sont issus pour l’essentiel de la loi du 6 juillet 2000, qui avait été présentée par mon ami Marie-George Buffet, alors ministre de la jeunesse et des sports.

Dès cette époque, devant le développement d’une activité encore à la frontière de la légalité et de certains « agissements » qu’il fallait évidemment encadrer, la nécessité de réglementer les pratiques se faisait jour.

Depuis, malgré différentes affaires et de nombreuses propositions issues d’horizons divers, rien n’est venu endiguer les dérives.

Les textes n’ont pas été modifiés ni réellement appliqués, et le laisser-faire s’est installé. Aujourd’hui, ce n’est toujours pas sur un projet gouvernemental que nous sommes appelés à nous prononcer.

C’est en effet sous la pression d’une proposition de loi que nous devons légiférer, un texte qui a été déposé, étudié et inscrit à l’ordre du jour en moins de deux semaines et qui ne répond pas à l’ensemble des problématiques posées. Espérons qu’il ne s’agit pas là d’une loi de circonstance !

M. le rapporteur note que la fraude fiscale est toujours recherchée lors des mouvements de fonds liés aux transferts de joueurs, tout comme, d’ailleurs, le blanchiment d’argent, sans compter la tentation permanente de réduire les cotisations sociales à tout prix ! Il déclare ensuite que ces dérives sont d’autant plus inquiétantes que les causes de leur développement ne risquent pas de disparaître.

Cependant, nous considérons que rien, dans le texte qui nous est proposé aujourd’hui, ne viendra réellement endiguer ces phénomènes. Des sommes considérables d’argent sale continuent d’être blanchies et de circuler, et la fraude fiscale devient une pratique courante.

Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple. Actuellement, l’article L. 222-10 du code du sport interdit le double mandatement. Pourtant, M. le rapporteur en fait état, et tout le monde le reconnaît aujourd’hui, les clubs rémunèrent les agents mandatés par les joueurs. Il remarque aussi que ces pratiques existent encore parce qu’elles correspondraient à un intérêt partagé. Mais partagé par qui ?

Des sommes importantes sont ainsi échangées sans contrôle, toujours au détriment du fisc, pour réduire le poids des cotisations sociales. Certes, certains intérêts sont sauvegardés, mais pas ceux du sport, ni ceux de la nation. C’est en tout état de cause ce que nous croyons.

Pour réduire ces flux financiers illégaux, plutôt que de nous proposer de renforcer les moyens de contrôle et d’enquête ainsi que les sanctions, on nous invite purement et simplement à légaliser ce qui était interdit. Tout le monde sportif serait d’accord, nous dit-on. Pourtant, ni le rapport de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports, ni le rapport d’information du député Dominique Juillot, ni même d’ailleurs le Livre blanc de la Ligue de football, ne contenaient une telle proposition.

Par ailleurs, des propositions importantes et très intéressantes de ces différents rapports ne sont pas reprises dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui. Je pense en particulier à la centralisation bancaire des flux financiers liés aux transferts, proposée par la Ligue, ou encore aux conclusions de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports visant à renforcer les compétences de la Direction nationale de contrôle de gestion, à alourdir les sanctions financières, voire à instaurer des sanctions sportives contre les clubs qui ne respecteraient pas les règles.

Nous regrettons que ces pistes de réflexion n’aient pas été explorées.

Ainsi, malgré quelques avancées, notamment le renforcement des incompatibilités et les nouvelles règles pour encadrer l’exercice de la profession d’agent sportif, je crains que ce texte, déjà très en retrait, ne réponde ni aux enjeux ni aux exigences d’une lutte pourtant nécessaire pour endiguer durablement des pratiques illégales.

Ces modifications bien partielles et sans grande ambition ne pourront atteindre, j’en ai la certitude, l’objectif affiché de mettre fin aux dérives du « sport spectacle ». La volonté politique semble manquer ici.

En outre, au-delà de ces mesures, que nous soutenons, ce texte vise à différencier deux types de contrats pouvant être négociés par un agent. Il permet, par ailleurs, le paiement par les clubs des agents intervenant au nom des sportifs et étend l’activité d’agent à la négociation de contrats en faveur des entraîneurs.

Ces dernières modifications auront pour conséquence commune d’ouvrir le marché et de réduire les cotisations sociales des cocontractants. Vous comprendrez que nous ne puissions nous résoudre à une telle perspective !

Après la loi du 15 décembre 2004, le sport professionnel tente ainsi une nouvelle fois de réduire ses versements sociaux, au détriment de la solidarité nationale, ce que nous regrettons.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les moyens dont disposeront les fédérations pour mener à bien les missions qui leur sont dévolues. Si certains rapports ont noté un faible engagement des fédérations dans le contrôle des contrats et des agents sportifs, ce que nous déplorons, force est aussi de constater que les moyens qui sont dévolus par le secrétariat d’État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative sont en baisse depuis quelques années. Nous nous inquiétons également des nouvelles coupes budgétaires annoncées pour 2009.

Dans ces conditions, nous craignons que le Gouvernement, une nouvelle fois, ne se défausse, en ne donnant pas aux fédérations les moyens d’assumer les missions qu’il leur délègue. Ce serait grave, car chacun sait que, sans ressources financières, les fédérations ne pourront pas mettre en place les circuits administratifs de suivi et de contrôle des contrats, et encore moins se doter de l’expertise nécessaire aux contrôles annuels de l’activité des agents.

Dans ces conditions, malgré quelques avancées, que nous saluons, nous voterons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, contre ce texte.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Article 2

Article 1er

Les articles L. 222-5 à L.  222-12 du code du sport sont remplacés par les dispositions suivantes :

« Art. L. 222-5. - Les dispositions de l'article L. 7124-9 du code du travail s'appliquent aux rémunérations de toute nature perçues pour l'exercice d'une activité sportive par des enfants de seize ans et moins soumis à l'obligation scolaire.

« La conclusion d'un contrat, soit relatif à l'exercice d'une activité sportive par un mineur, soit dont la cause est l'exercice d'une activité sportive par un mineur, ne donne lieu à aucune rémunération ou indemnité ni à l'octroi de quelque avantage que ce soit au bénéfice d'une personne mettant en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un de ces contrats ou d'une personne agissant pour le compte du mineur.

« Toute convention contraire aux dispositions du présent article est nulle.

« Art. L. 222-5-1. - Les infractions aux règles de rémunération mentionnées au premier alinéa de l'article L. 222-5 sont punies d'une amende de 3 750 euros.

« La récidive est punie d'un emprisonnement de quatre mois et d'une amende de 7 500 euros.

« Art. L. 222-6 - L'activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d'un contrat, soit relatif à l'exercice rémunéré d'une activité sportive ou d'entraînement, soit qui prévoit la conclusion d'un contrat de travail ayant pour objet l'exercice rémunéré d'une activité sportive, ne peut être exercée que par une personne physique détentrice d'une licence d'agent sportif.

La licence est délivrée, suspendue et retirée, selon la discipline concernée, par la fédération délégataire compétente. Celle-ci contrôle annuellement l'activité des agents sportifs.

« Art. L. 222-6-1. - L'agent sportif peut, pour l'exercice de sa profession, constituer une société ou être préposé d'une société.

« Les agents sportifs ou la société qu'ils ont constituée doivent souscrire pour l'exercice de leur activité, des garanties d'assurance couvrant leur responsabilité civile et celle de leurs préposés.

« Art. L. 222-7. - Nul ne peut obtenir ou détenir une licence d'agent sportif :

«  S'il exerce, directement ou indirectement, en droit ou en fait, à titre bénévole ou rémunéré, des fonctions de direction ou d'entraînement sportif soit dans une association ou une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives, soit dans une fédération sportive ou un organe qu'elle a constitué ou s'il a été amené à exercer l'une de ces fonctions dans l'année écoulée ;

« 2° S'il est, ou a été durant l'année écoulée, actionnaire ou associé d'une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ;

« 3° S'il a fait l'objet d'une sanction disciplinaire au moins équivalente à une suspension par la fédération délégataire compétente à raison de manquement au respect des règles d'éthique, de moralité et de déontologie sportives ;

« 4° s'il est préposé d'une association ou d'une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ;

« 5° s'il est préposé d'une fédération sportive ou d'un organe qu'elle a constitué ;

« 6° s'il exerce la profession d'avocat.

« Art L. 222-7-1. - Nul ne peut exercer, directement ou indirectement, en droit ou en fait, à titre bénévole ou rémunéré, des fonctions de direction ou d'entraînement sportif soit dans une association ou une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives, soit dans une fédération sportive ou un organe qu'elle a constitué s'il a exercé la profession d'agent sportif durant l'année écoulée.

« Nul ne peut être actionnaire ou associé d'une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives s'il a exercé la profession d'agent sportif durant l'année écoulée.

« Art. L. 222-7-2. - Nul ne peut obtenir ou détenir une licence d'agent sportif s'il a fait l'objet d'une condamnation pénale figurant au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour crime ou pour l'un des délits prévus :

« 1° Aux chapitres Ier, II, III, IV, V et VI du titre II du livre II du code pénal ;

« 2° Aux chapitres Ier, II, III et IV du titre Ier du livre III du même code ;

« 3° Aux chapitres Ier, III et IV du titre II du livre III du même code ;

« 4° Aux chapitres III et IV du titre III du livre IV du même code ;

« 5° Aux chapitres Ier, II, III, IV et V du titre IV du livre IV du même code ;

« 6° Aux articles L. 232-25 à L. 232-29 et L. 222-5-1 du présent code ;

« 7° À l'article 1750 du code général des impôts.

« Conformément au 3° de l'article 776 du code de procédure pénale, le bulletin n° 2 du casier judiciaire peut être délivré à la fédération délégataire compétente.

« Art. L. 222-8. - Sont soumis aux incompatibilités et incapacités prévues aux articles L. 222-7 à L. 222-7-2 les préposés d'un agent sportif ou de la société qu'il a constituée pour l'exercice de son activité.

« Il est interdit d'être préposé de plus d'un agent sportif ou de plus d'une société au sein de laquelle est exercée l'activité d'agent sportif.

« Art. L. 222-8-1. - Lorsque l'agent sportif constitue une personne morale pour l'exercice de sa profession, ses dirigeants, associés ou actionnaires sont soumis aux incompatibilités et incapacités prévues aux articles L. 222-7 à L. 222-7-2.

« Lorsque l'agent sportif constitue une personne morale pour l'exercice de sa profession, ses associés ou actionnaires ne peuvent en aucun cas être :

« 1° Une association ou une société employant des sportifs contre rémunération ou organisant des manifestations sportives ;

« 2° Une fédération sportive ou un organe qu'elle a constitué.

« Art. L. 222-8-2. - Lorsque l'agent sportif constitue une personne morale pour l'exercice de sa profession, ses dirigeants, associés ou actionnaires ne peuvent être des sportifs ou des entraîneurs pour lesquels l'agent peut exercer l'activité mentionnée au premier alinéa de l'article L. 222-6.

« Art. L. 222-9. - L'activité d'agent sportif peut être exercée sur le territoire national, dans les conditions prévues aux articles L. 222-5 à L. 222-13, par les ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen :

« 1° Lorsqu'ils sont qualifiés pour l'exercer dans l'un des États mentionnés au premier alinéa dans lequel la profession ou la formation d'agent sportif est réglementée ;

« 2° Ou lorsqu'ils ont exercé à plein temps pendant deux ans au cours des dix années précédentes la profession d'agent sportif dans l'un des États mentionnés au premier alinéa dans lequel ni la profession ni la formation d'agent sportif ne sont réglementées, et qu'ils sont titulaires d'une ou plusieurs attestations de compétences ou d'un ou plusieurs titres de formation délivrés par l'autorité compétente de l'État.

« Lorsqu'il existe une différence substantielle de niveau entre la qualification dont les intéressés se prévalent et celle requise en application de l'article L. 222-6, un décret en Conseil d'État fixe les conditions auxquelles les ressortissants d'un État membre de la communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen de l'activité d'agent sportif sont soumis lorsqu'ils souhaitent s'établir sur le territoire national.

« Cette activité peut également être exercée de façon temporaire et occasionnelle par tout ressortissant légalement établi dans un État membre de la Communauté européenne ou dans un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen dans le respect des dispositions des articles L. 222-7 à L. 222-8-2. Toutefois, lorsque ni l'activité concernée ni la formation permettant de l'exercer ne sont réglementées dans l'État membre d'établissement, le prestataire doit l'avoir exercée pendant au moins deux années au cours des dix années qui précèdent la prestation.

« Les ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen doivent, préalablement à l'exercice de l'activité d'agent sportif sur le territoire national y compris temporaire et occasionnelle en faire la déclaration à la fédération délégataire compétente selon des modalités définies par décret en Conseil d'État.

« Art. L. 222-9-1. - Le ressortissant d'un État qui n'est pas membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen et qui n'est pas titulaire d'une licence d'agent sportif au sens de l'article L. 222-6, doit passer une convention avec un agent sportif ayant pour objet la présentation d'une partie intéressée à la conclusion d'un contrat mentionné à l'article L. 222-6.

« La convention de présentation mentionnée au premier alinéa doit être transmise à la fédération délégataire compétente.

« Art. L. 222-10. - Un agent sportif ne peut agir que pour le compte d'une des parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-6.

« Le contrat en exécution duquel l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-6 précise :

« 1° Le montant de la rémunération de l'agent sportif, qui ne peut excéder 10 % du montant du contrat conclu par les parties qu'il a mises en rapport ;

« 2° La partie à l'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-6 qui rémunère l'agent sportif.

« Le montant de la rémunération de l'agent sportif tel que mentionné au 1° du présent article peut, par accord entre celui-ci et les parties aux contrats mentionnés à l'article L. 222-6, être pour tout ou partie acquitté par le cocontractant du sportif. Cette rémunération n'est alors pas qualifiée d'avantage en argent accordé au sportif en sus des salaires, indemnités ou émoluments. L'agent sportif donne quittance du paiement au cocontractant du sportif.

« Lorsque, pour la conclusion d'un même contrat mentionné à l'article L. 222-6, plusieurs agents sportifs interviennent, le montant total de leurs rémunérations ne peut excéder 10 % du montant du ou des contrats mentionnés à l'article L. 222-6.

« Toute convention contraire aux dispositions du présent article est réputée nulle et non écrite.

« Art. L. 222-10-1. - Au titre de la délégation de pouvoir qui leur est concédée, les fédérations délégataires et le cas échéant les ligues professionnelles qu'elles ont constituées veillent à ce que les contrats mentionnés aux articles L. 222-6 et L. 222-10 préservent les intérêts des sportifs, de la discipline concernée, et soient conformes aux dispositions des articles L. 222-6 à L. 222-10. À cette fin, elles édictent les règles relatives :

« 1° À la communication des contrats mentionnés à l'article  L. 222-6 et des contrats en exécution desquels l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-6 ;

« 2° À l'interdiction pour leurs licenciés ainsi qu'à leurs associations et sociétés affiliées de recourir aux services d'une personne exerçant l'activité mentionnée au premier alinéa de l'article L. 222-6 qui ne détient pas de licence d'agent sportif au sens de ce même article ;

« 3° Au versement de la rémunération de l'agent sportif qui ne peut intervenir qu'après transmission du contrat visé à l'article L. 222-10 à la fédération délégataire compétente.

« Art. L. 222-10-2. - Les fédérations délégataires compétentes édictent des sanctions à l'encontre des agents, des licenciés et des associations et sociétés affiliées, en cas de :

« 1° Non communication :

« a) Des contrats mentionnés à l'article L. 222-6 ;

« b) Des contrats en exécution desquels l'agent sportif exerce l'activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d'un des contrats mentionnés à l'article L. 222-6 ;

« 2° Non-respect des dispositions des articles L. 222-5 et L. 222-6 à L. 222-10-1 ;

« 3° Non communication des documents nécessaires au contrôle de l'activité de l'agent.

« Art. L. 222-11. - Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait d'exercer l'activité définie à l'article L. 222-6 :

« 1° Sans avoir obtenu la licence d'agent sportif ou en méconnaissance d'une décision de suspension ou de retrait de cette licence ;

« 2° Ou en violation des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 222-5 et des articles L. 222-7 à L. 222-10.

« Le montant de l'amende peut être porté au-delà de 30 000 euros jusqu'au double du montant de la somme indûment perçue.

« Art. L. 222-12. - Les peines prévues à l'article L. 222-11 peuvent être accompagnées d'une interdiction temporaire ou définitive d'exercer l'activité d'agent sportif.

« Art. L. 222-13. - Les modalités d'application des articles L. 222-6, L. 222-6-1 et L. 222-9 à L. 222-10-2 sont définies par décret en Conseil d'État. »

M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Voguet, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-5 du code du sport, après les mots :

au bénéfice d'une personne

insérer les mots :

physique ou morale

La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. En déposant cet amendement, mon seul souhait était d’éviter que ce texte ne consacre en recul par rapport aux dispositions actuelles. Je suis donc satisfait que la commission ait décidé de le soutenir.

Mais je profite de l’occasion, monsieur le secrétaire d’État, pour vous dire qu’il serait temps, à mon avis, que la loi évolue encore plus fortement sur la question des mineurs sportifs professionnels.

Est-il normal, par exemple, qu’aucun article du code du travail ne fasse référence à de tels emplois, contrairement à ce qui prévaut pour les mineurs comédiens, mannequins ou artistes de cirque ? Il serait temps que notre législation prenne en compte cette réalité.

Il faut nous pencher sérieusement sur les conditions de travail de ces jeunes sportifs, afin de préserver leur capital santé et d’assurer leur droit à la formation et à des conditions d’entraînement respectueuses de leur jeunesse et de leur corps.

Il nous faut aussi envisager la question de leur réinsertion, qui se pose quand ils ne font pas la carrière espérée. La course à la performance et à la réussite est parfois, nous le savons, dévastatrice, et pas seulement dans le sport professionnel, bien qu’il s’agisse toujours d’accéder à ce niveau. Ainsi, est-il acceptable que de jeunes enfants réputés précoces puissent, dans telle ou telle discipline, faire l’objet de contrats, en vue de leur accession éventuelle aux plus hautes marches ? Je pense en particulier à la prise en main de très jeunes tennismans, dans le cadre de prétendues écoles de sport.

Enfin, ne serait-il pas temps que la France se distingue en soutenant et en mettant en œuvre la proposition de Michel Platini, qui souhaite l’interdiction du transfert des mineurs ?

Monsieur le secrétaire d’État, l’exposé rapide de ces quelques questions témoigne, selon moi, de la nécessité et de l’urgence de se pencher sur ces questions et de légiférer.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Monsieur Voguet, je partage tout à fait votre position concernant la situation des sportifs mineurs, que nous avons déjà évoquée.

Au demeurant, je vous remercie d’avoir bien voulu modifier votre amendement à l’issue de la discussion dont il a fait l’objet en commission.

Bien entendu, la commission est favorable à l’amendement n° 9 rectifié, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Favorable !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

M. François Fortassin. Je n’alourdirai pas le débat outre mesure, mais, puisqu’il m’est permis d’expliquer mon vote, je souhaite tout d’abord me féliciter de l’examen de cette proposition de loi.

Bien entendu, je voterai l’amendement n° 9 rectifié, bien qu’un certain nombre d’éléments continuent de me poser problème, alors même que nous pouvons effectivement observer des avancées.

Le sport n’est pas qu’affaire d’ambitions et de rêve ; il a aussi une éthique et une déontologie : la loi prévoit-elle que cette double exigence éthique et déontologique s’applique également aux agents sportifs ?

En outre, il est sans doute indispensable de légiférer, mais si, dans ce pays, cela suffisait, cela se saurait !

Enfin, le mieux est parfois l’ennemi du bien. Parmi les mineurs exerçant une activité sportive, certains sont des athlètes précoces. Que des agents sportifs ne puissent pas être rémunérés pour la conclusion de contrats les concernant est une excellente chose. Mais ces jeunes sportifs seront-ils moins exposés pour autant ? Malheureusement non, car ils trouveront tout de même « preneurs ».

Quant aux fédérations, notamment les moins bien dotées en moyens, elles ne seront pas plus à même demain de sanctionner de la façon la plus sévère les dérives constatées.

Aussi j’en appelle à vous, monsieur le secrétaire d'État, pour que, à la moindre infraction, les sanctions soient exemplaires. À défaut, je crains que cette loi, dont je me félicite par ailleurs, ne soit sans effet face aux mauvaises habitudes qui ont été prises par un certain nombre d’agents sportifs.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je constate que l’amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

L'amendement n° 10, présenté par M. Voguet, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 222-6 du code du sport par un alinéa ainsi rédigé :

« Les fédérations délégataires publient la liste des agents sportifs autorisés à exercer dans leur discipline, ainsi que les sanctions qu'elles peuvent prendre à leur encontre.

La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Je considère que cet amendement a été défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Cette disposition est de nature réglementaire.

En outre, l’article R. 222-12 du code du sport prévoit déjà que les décisions d’acceptation et de refus de délivrance de licence d’agent sportif sont publiées dans le bulletin officiel de la fédération concernée. Les décisions de renouvellement sont également publiées, ce qui constitue une sécurité supplémentaire.

Par ailleurs, je crois pouvoir annoncer qu’un nouveau décret d’application prévoira explicitement la publication de la liste de l’ensemble des agents.

Quant aux sanctions, elles sont détaillées dans la partie réglementaire du code.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Défavorable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 10.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Après le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-6-1 du code du sport, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Les préposés de la société d'un agent sportif, lorsqu'ils exercent l'activité mentionnée au premier alinéa de l'article L. 222-6, sont soumis à l'obligation de détention de licence prévue à cet article.

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Aucune définition de ce qu’est un « préposé » d’agent sportif ne figure dans le texte proposé pour l’article L. 222-6-1 ou pour les autres articles du code du sport réglementant la profession d’agent sportif. On suppose donc qu’il s’agit d’un employé de ce dernier.

La définition donnée par le dictionnaire Le Petit Robert est la suivante : « Personne qui accomplit un acte ou une fonction déterminée sous la direction ou le contrôle d'une autre. Agent d'exécution subalterne. »

Or rien n’indique que les tâches subalternes accomplies par les « préposés » des agents se limitent à un travail administratif.

Il est même inévitable que certains de ces préposés remplissent des fonctions d’intermédiaires et mettent en contact des acteurs du monde sportif.

Le rapport d’information de 2007 de l’Assemblée nationale soulignait, lui aussi, l’absence de définition du terme « préposé » et préconisait, pour y remédier, d’élaborer un statut pour les collaborateurs d’agents sportifs, en précisant qu’ils devaient être salariés et ne devaient être chargés que de fonctions administratives, « à l’exception des fonctions de conseil ».

La présente proposition de loi n’a retenu aucune de ces deux options. Afin d’éviter que des agents non licenciés ne puissent exercer l’activité d’intermédiaire sous couvert de la fonction de préposé d’un agent, nous proposons de soumettre ces préposés à l’obligation de détention de la licence d’agent sportif dès lors qu’ils exercent l’activité rémunérée de mise en relation de parties en vue de la signature d’un contrat à objet sportif. Bien entendu, les préposés qui effectueront uniquement de simples tâches administratives, de gestion ou de comptabilité ne se verront pas imposer cette obligation.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Si les préposés veulent exercer des activités de négociation et de transaction, ils doivent détenir une licence ; sinon, il leur est interdit d’exercer cette activité.

Votre amendement me paraît donc satisfait, mon cher collègue, raison pour laquelle la commission en sollicite le retrait, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Défavorable !

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Oui, monsieur le président !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, puisque nous débattons d’un texte relatif au sport, je tiens à vous annoncer que Gaël Monfils vient de battre David Ferrer en quatre sets ! (Sourires et applaudissements.)

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Bravo !

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 222-8-2 du code du sport, après les mots :

associés ou actionnaires

insérer les mots :

ou ses préposés

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Cet amendement vise à clarifier une ambiguïté rédactionnelle du texte.

Il convient en effet d'étendre aux préposés des agents sportifs ayant constitué une société l'interdiction, déjà prévue aux termes de la proposition de loi pour les dirigeants, associés ou actionnaires de ces agents, de cumuler leurs fonctions avec celles d'entraîneur ou de sportif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Le texte proposé pour l’article L. 222-8 du code du sport prévoit que toutes les incompatibilités applicables aux agents sont également applicables aux préposés. Ces derniers ne peuvent donc être ni entraîneurs ni sportifs.

Là encore, mon cher collègue, votre amendement est satisfait et la commission vous demande de le retirer. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

Et je me félicite, tout comme vous, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, de la réussite de Gaël Monfils ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Défavorable !

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Compte tenu de l’explication qui vient d’être donnée par la commission, je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 3 est retiré.

L'amendement n° 2, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 222-8-2 du code du sport, supprimer les mots :

pour lesquels l'agent peut exercer l'activité mentionnée au premier alinéa de l'article L. 222-6

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Le texte proposé pour l’article L. 222-8-2 a pour objectif louable de clarifier les différentes fonctions des personnes gravitant autour des agents sportifs.

Néanmoins, la rédaction de la disposition posant l’incompatibilité est ambiguë : que signifie la mention « ne peuvent être des sportifs ou des entraîneurs pour lesquels l’agent peut exercer l’activité mentionnée au premier alinéa de l'article L. 222-6 » ? Comment s’appréciera cette possibilité ? Par nature, tous les sportifs et entraîneurs sont susceptibles d’avoir recours aux services de n’importe quel agent.

Il nous semble donc préférable de mieux cibler ces incompatibilités en interdisant, de manière formelle, tout cumul des fonctions de dirigeant, associé ou actionnaire d’un agent ayant constitué une société avec toute qualité de sportif ou d’entraîneur.

Cette interdiction parfaitement définie permettrait de limiter les conflits d’intérêt au sein du monde sportif.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Le texte interdit à un sportif professionnel ou à un entraîneur de prendre des parts dans la société d’un agent qui exercerait dans la même discipline, ce qui est une mesure proportionnée aux objectifs recherchés.

Cet amendement conduirait à interdire à un sportif d’une discipline de participer au capital d’une société d’agents de sportifs d’autres disciplines.

Une telle disposition nous semble inutile et serait contraire au principe de la liberté d’entreprise et de commerce.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Défavorable !

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le cinquième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-9 du code du sport.

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Les différents groupes de travail qui ont réfléchi, depuis quelques mois, aux conditions d’exercice de l’activité d’agent sportif ont tous pointé du doigt la situation des étrangers ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, exerçant sans aucune garantie l’activité d’agent sportif sur le territoire français, seuls les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, EEE, étant actuellement soumis au régime d’incompatibilités en vigueur.

La mission de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports tout comme la mission d’information de l’Assemblée nationale ont préconisé de soumettre l’exercice de ces agents étrangers à des conditions soit de réussite à l’examen, soit de présentation d’une équivalence, ou encore d’obtention de la licence légale française.

La mission de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports préconisait, en outre, de supprimer la possibilité d’intervention ponctuelle « trop difficile à définir ».

La commission des affaires culturelles, dans ses conclusions, envisage précisément un régime dérogatoire, libre de toute contrainte de titre homologué par la France, pour les agents ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’une État partie à l’accord sur l’EEE exerçant une mission « temporaire ou occasionnelle », sans même définir ce caractère temporaire ou occasionnel.

Or une opération de transfert constitue une mission à caractère « temporaire et occasionnelle ». Compte tenu des enjeux financiers d’une telle opération, il n’est pas opportun de permettre qu’une telle mission soit réalisée sous l’égide d’un agent ne répondant pas aux obligations françaises d’obtention de licence.

Nous souhaitons donc, par notre amendement, supprimer la possibilité ainsi ouverte par M. le rapporteur.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. L’activité d’un agent sportif ressortissant de l’Union européenne ou de l’EEE, même si elle n’est exercée que de manière temporaire et occasionnelle, est soumise à certaines conditions.

J’en rappellerai quelques-unes : l’agent doit avoir exercé cette activité pendant au moins deux ans ; il est soumis à toutes les incompatibilités des agents français ; il doit déclarer son activité à la fédération concernée.

Aller plus loin dans le contrôle de son activité me semblerait contraire au principe de liberté de prestation de service fixé par le droit européen.

C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Même avis !

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Non, monsieur le président, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.

L'amendement n° 5, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le texte proposé par cet article pour l'article L. 222-9-1 du code du sport :

« Art. L. 222-9-1. - Un agent sportif ressortissant d'un État qui n'est pas membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen doit être titulaire d'une licence d'agent sportif au sens de l'article L. 222-6.

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Monsieur le président, valent pour cet amendement les arguments que je viens de développer pour défendre l’amendement tendant à supprimer le régime dérogatoire s’appliquant aux missions temporaires et occasionnelles réalisées par les agents ressortissants d’États membres de l’UE et de l’EEE.

Au regard de l’ensemble des expertises récemment menées, il n’est pas raisonnable de prévoir, pour les agents ressortissants d’États non membres de l’UE et de l’EEE, des exigences inférieures à celles qui sont applicables aux ressortissants d’États membres de l’UE et de l’EEE.

Il faut, bien au contraire, s’assurer que ces agents-là présentent le même type de garanties qu’un agent français.

C’est pourquoi nous ne saurions nous satisfaire du dispositif ici prévu et visant à soumettre ces agents étrangers à une simple passation de convention avec un homologue français. On peut d’ailleurs s’interroger sur un tel montage juridique.

Afin de clarifier les conditions d’exercice de l’activité d’agent, nous demandons que les agents étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou de l’EEE soient soumis à la même obligation d’obtention de la licence que leurs collègues français.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Mon cher collègue, vous passez à l’étape supérieure : après les agents venant de la Communauté européenne et de l’EEE, vous visez les agents ressortissants d’autres territoires étrangers.

À l’évidence, vous proposez le maintien du système en vigueur actuellement, qui impose aux agents étrangers de détenir une licence pour exercer leur activité.

Or force est de constater que ce système présente trois inconvénients majeurs : il est trop contraignant, inapplicable et, surtout, inappliqué !

C’est la raison pour laquelle nous proposons une nouvelle formulation, à nos yeux plus équilibrée : l’agent extracommunautaire devra obligatoirement passer une convention avec un agent licencié en France.

Cette formule garantit à l’agent extracommunautaire de pouvoir participer à une transaction, tout en permettant de contrôler son activité.

Compte tenu de ces éléments, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Même avis !

M. le président. Monsieur Lagauche, êtes-vous convaincu ?

M. Serge Lagauche. Pas du tout, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 11, présenté par M. Voguet, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer les quatrième (2°) et cinquième alinéas du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-10 du code du sport.

La parole est à M. Jean-François Voguet.

M. Jean-François Voguet. Avec le texte proposé pour cet article, nous sommes vraiment au cœur de la réforme.

En fait, il s’agit de légaliser des pratiques actuellement interdites, avec toutes les conséquences que l’on imagine sur les procédures en cours.

Pour notre part, nous souhaitons, avec cet amendement, maintenir l’interdiction du paiement par un club des frais d’agent d’un sportif. Je comprends ce qui peut inciter certains sportifs à autoriser de tels paiements, car c’est un moyen de réduire leurs charges de manière très substantielle. Mais, ce faisant, ces sportifs ont-ils conscience de scier la branche sur laquelle ils sont assis ?

Le jour où les agents seront payés légalement par les clubs, des conflits d’intérêt risqueront de surgir entre le sportif et son agent. Tous les sportifs ne sont pas des « supervedettes » que les clubs s’arrachent !

Et que dire de la dimension éthique du problème ? Qui pourrait imaginer que, au cours d’un procès, la partie civile paie l’avocat de l’accusé, ou inversement ? Pourtant, c’est peu ou prou ce que vous proposez !

Surtout, nous craignons que, à terme, cette pratique ne conduise à ce que les agents recruteurs soient, dans leur majorité, payés par les clubs.

Enfin, à lire le rapport de notre collègue Pierre Martin, il apparaît que les fraudes actuelles visent à blanchir de l’argent sale et à réduire en permanence les sommes dues au fisc et aux organismes sociaux. Or, en proposant que les agents soient désormais rémunérés par les clubs, vous donnez en partie satisfaction aux fraudeurs puisque vous organisez une nouvelle baisse des prélèvements fiscaux et sociaux. Je crois même pouvoir dire que c’est ce à quoi vise cette réforme.

En ces temps de restrictions budgétaires, est-il bien normal de faire de nouveaux cadeaux fiscaux à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin, et est-il juste de réduire les ressources des organismes sociaux ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Monsieur Voguet, vous établissez une distinction, selon que le joueur ou le club rémunère l’agent. Si nous avons prévu la possibilité pour les clubs de rémunérer les agents, c’est bien évidemment avec la préoccupation de rendre les contrôles plus efficaces, mais dans un souci de pragmatisme. En quelque sorte, nous harmonisons la législation avec une situation de fait.

Or la doctrine fiscale considère déjà que, dès lors que l’agent est rémunéré par un club, il s’agit d’une prestation soumise à la TVA. En revanche, dans le cas où c’est le joueur qui rémunère l’agent, il doit s’acquitter du paiement de charges sociales.

Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche, pour explication de vote.

M. Serge Lagauche. Comme mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je me suis beaucoup interrogé sur l’opportunité de légaliser une pratique courante, mais illégale, à savoir le double mandatement des agents.

Il sera désormais autorisé à un club de verser une commission à un agent. Or l’on sait que cette commission très ou trop élevée permettra à l’agent de verser une rétrocommission au club. On comprend, dès lors, que, dans un marché générant, pour le seul football, quelque 300 millions d’euros annuels, la légalisation de cette combinaison – tout du moins de son premier acte – soit accueillie à bras ouverts !

On pourrait penser que la légalisation de cette pratique opaque la rendra transparente et responsabilisera davantage les différents intervenants ; on pourrait tout aussi bien estimer que la suppression du caractère renouvelable du mandat apportera aux agents une certaine sécurité vis-à-vis des clubs, aux exigences desquels ils sauront s’opposer.

Mais je ne suis pas naïf au point de le croire. Je n’ai que trop en mémoire les différentes affaires de ces dernières années – les comptes de l’Olympique de Marseille, l’instruction sur le Racing Club de Strasbourg, notamment – qui ont fait apparaître des pratiques de blanchiment d’argent, d’évasion fiscale, de traite d’enfants africains et de corruption, lors d’opérations de transfert de joueurs.

Certes, ces contrats, auparavant occultes, car illicites, désormais légalisés, devraient dorénavant être transmis aux fédérations. Cependant, le double pouvoir de contrôle des fédérations et des ligues n’est pas de nature à garantir une transparence et à nous rassurer – j’y reviendrai lors de la présentation de mon amendement n° 6. Surtout, il est à craindre que les contrats et mandats transmis ne mentionnent pas les transactions dans leur intégralité ni ne retracent l’ensemble des manipulations effectuées lors de ces opérations.

Bertrand Cauly, président du Collectif 2006 des agents sportifs, recommandait, devant la mission de l’Assemblée nationale, en 2007, que seul le joueur paie l’agent. Il considère en outre que l’agent de club, payé par le club, ne sert à rien et que « l’essence [du] métier consiste à conseiller le joueur ».

Aussi, n’étant pas favorable à ce que le législateur cautionne des pratiques douteuses, je voterai, par conséquent, l’amendement du groupe CRC.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 11.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 6 est présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 8 est présenté par M. Voguet, Mme Gonthier-Maurin, MM. Renar, Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-10-1 du code du sport, supprimer les mots :

et le cas échéant les ligues professionnelles qu'elles ont constituées

La parole est à M. Serge Lagauche, pour présenter l’amendement n° 6.

M. Serge Lagauche. Le texte que nous examinons, s’il améliore un peu le régime juridique des agents et l’arsenal de sanctions concernant cette activité, conforte cependant grandement les intérêts des ligues professionnelles.

Le double mandatement, pratique jusqu’alors interdite, est légalisé dans l’intérêt des clubs.

Il est absolument inopportun de donner aux ligues professionnelles un pouvoir de contrôle sur le contenu des contrats conclus par le biais des agents sportifs, et ce d’autant plus que cette proposition de loi légalise le double mandatement, permettant ainsi aux clubs de rémunérer les agents, pratique favorisant le versement de rétrocommissions aux clubs.

Les ligues représentant les intérêts des clubs, ceux-ci vont ainsi devenir juges, à travers le contrôle des ligues, et parties.

Aucun juriste sérieux ne saurait cautionner un tel montage.

Afin de préserver davantage les intérêts des sportifs, nous souhaitons donc que seules les fédérations restent investies d’un pouvoir de contrôle sur les contrats conclus sous l’égide des agents sportifs.

M. le président. La parole est à M. Jean-François Voguet, pour présenter l'amendement n° 8.

M. Jean-François Voguet. Aux termes de la loi du 6 juillet 2000, le législateur a confié aux fédérations sportives, dans le cadre de leur mission de service public, la responsabilité d’attribuer leurs licences aux agents sportifs et de contrôler leur activité.

Cette mission est confirmée par la présente proposition de loi, qui prévoit que la licence est délivrée, suspendue et retirée, selon la discipline concernée, par la fédération délégataire. Nous nous en félicitons. Mais alors, pourquoi prévoir que, le cas échéant, les ligues professionnelles pourront, tout autant que les fédérations délégataires, s’assurer que les contrats préservent réellement les intérêts des sportifs et de la discipline concernée ?

Ainsi, ce texte donne à penser que ce contrôle pourrait être exercé aussi bien par les fédérations que par les ligues, sans qu’il soit prévu comment, pourquoi et dans quel cadre juridique ce choix pourrait être fait. Les mots « le cas échéant » n’apportent aucun éclairage et demeurent bien trop vagues. Cette confusion ouvre la porte à de possibles contentieux.

En outre, cet article prévoit que les fédérations édicteront les règles applicables à l’ensemble de leurs licenciés, de leurs associations et de leurs sociétés affiliées. Comment, dans ces conditions, permettre à une ligue professionnelle d’édicter, à la place d’une fédération, des règles qui s’adressent aussi à des amateurs ?

Enfin, comment admettre qu’une ligue professionnelle puisse être juge et partie, puisqu’elle sera amenée à contrôler sa propre activité ?

C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de lever toute ambiguïté en votant cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Il est exact que, selon leur importance, certaines disciplines disposent seulement d’une fédération, tandis que d’autres disposent d’une fédération et d’une ligue. Bien souvent, la ligue a pour fonction de gérer les aspects professionnels de la discipline en question.

Or ces ligues professionnelles ont un rôle essentiel à jouer dans l’homologation des contrats. Par exemple, la Ligue nationale de football, à travers la Direction nationale du contrôle de gestion, est à même de conseiller la Fédération et de lui permettre de statuer en toute connaissance de cause. En outre, c’est la LNF qui transmet les sanctions sportives frappant les clubs.

Aussi un travail en commun est-il absolument nécessaire. C’est pourquoi il importe d’impliquer les ligues dans le contrôle de l’activité des agents sportifs, puisque ceux-ci, en quelque sorte, génèrent des ressources.

Enfin, je rappelle que les sanctions relatives à l’activité des agents restent de la seule compétence des fédérations, qui statuent sur ces questions. Les ligues et les fédérations travaillent en harmonie, mais chacune dans leur rôle respectif.

Il me semble avoir levé votre inquiétude, mes chers collègues. Aussi, je vous propose de retirer chacun votre amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Laporte, secrétaire d'État. Même avis, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Oui, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Voguet, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?

M. Jean-François Voguet. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 et 8.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Lagauche et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter le deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 222-10-2 du code du sport par les mots :

, dans un délai de deux mois :

La parole est à M. Serge Lagauche.

M. Serge Lagauche. Dans son rapport d’avril 2005, la mission de l’Inspection générale de la jeunesse et des sports pointait du doigt le très faible taux de contrats soumis aux fédérations ; elle constatait que ce taux était même nul pour la Fédération française de volley-ball, du fait de l’acquittement d’une redevance annuelle par les agents.

Pourtant, l’article L. 222–10 du code des sports faisait déjà obligation aux fédérations de communiquer les contrats et mandats passés sous l’égide des agents sportifs, obligation dont le non-respect était assorti de sanctions.

La pratique, jusqu’alors illégale, du double mandatement dissuadait effectivement les agents souhaitant travailler de déposer des contrats et des mandats illicites qui faisaient mention de leur rémunération par le club.

Certes, la présente proposition de loi renforce quelque peu le pouvoir de sanction des fédérations. C’était grandement nécessaire car, comme le rappelait ce matin un quotidien, « en cinq ans, les principales fédérations sportives se sont contentées de délivrer neuf blâmes à des agents, dont sept en rugby et zéro en foot ».

Néanmoins, il serait opportun de prévoir un délai suffisant pour favoriser, à l’avenir, une meilleure communication des contrats, même si l’autorisation légale du double mandatement doit permettre une amélioration en la matière.

Par cet amendement, nous proposons donc que les contrats soient communiqués sous deux mois. Ce délai, au demeurant raisonnable, correspond en outre à la pratique du droit des contrats, notamment dans le cadre des délégations de service public.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pierre Martin, rapporteur. Monsieur Lagauche, cette disposition est d’ordre réglementaire. En outre, l’article R. 222–21 du code du sport prévoit déjà que, sous peine de sanctions, « l’agent sportif transmet à la fédération, dans le délai d’un mois au plus après leur signature, les contrats et mandats […] ».

Aussi, mon cher collègue, pour terminer en harmonie, je vous invite à retirer votre amendement, qui est satisfait.

M. le président. Monsieur Lagauche, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?

M. Serge Lagauche. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.

Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Article 3

Article 2

Dans le premier alinéa de l'article L. 141-4 du même code, après les mots : « opposant les licenciés, », sont ajoutés les mots : « les agents sportifs, ». – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Article 4

Article 3

I. - Les licences attribuées aux personnes morales sont caduques à compter de la parution du décret mentionné à l'article L. 222-13.

II. - Une licence d'agent sportif est délivrée par la fédération délégataire compétente aux personnes physiques ayant passé l'examen d'agent sportif pour le compte d'une personne morale. – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 4

À l'article L. 131-19 du code du sport, après les mots : « par les articles », sont insérés les mots : « L. 222-6, L. 222-7-2, L. 222-9, L. 222-9-1, L. 222-10-1, L. 222-10-2, » – (Adopté.)

Article 4
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des affaires culturelles sur la proposition de loi n° 310.

M. Jean-François Voguet. Le groupe CRC vote contre !

M. Serge Lagauche. Le groupe socialiste également !

(La proposition de loi est adoptée.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à encadrer la profession d'agent sportif
 

7

Dépôt d'un projet de loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la ratification de la convention de La Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 375, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

8

Dépôt de propositions de loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-Claude Frécon, Mmes Nicole Bricq, Catherine Tasca et M. Yannick Bodin une proposition de loi relative à l’organisation des transports scolaires en Île de France.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 373, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

M. le président du Sénat a reçu de MM. Roland Courteau et Marcel Rainaud une proposition de loi définissant les conditions de paiement, lors des transactions commerciales, sur le vin.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 374, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les prescriptions pour l’homologation relatives à la sécurité générale des véhicules à moteur.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3879 et distribué.

10

Renvoi pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la ve République (n° 365, 2007-2008) dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

11

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. René Garrec un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, complétant l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (n° 260, 2007-2008).

Le rapport sera imprimé sous le n° 371 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu de M. Jean-Patrick Courtois un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux (n° 344, 2007-2008).

Le rapport sera imprimé sous le n° 372 et distribué.

12

Dépôt d'un rapport d'information

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de Mme Catherine Tasca un rapport d’information fait au nom de la délégation pour l’Union européenne sur les services d’intérêt général après le traité de Lisbonne.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 376 et distribué.

13

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 5 juin 2008 :

À neuf heures trente :

1. Discussion du projet de loi (n° 283, 2007-2008), adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes.

Rapport (n° 350, 2007-2008) de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

À quinze heures :

2. Discussion de la proposition de loi (n° 323, 2007-2008), modifiée par l’Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière civile.

Rapport (n° 358, 2007-2008) de M. Laurent Béteille, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

3. Examen des conclusions (n° 364, 2007-2008) de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant modernisation du marché du travail.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD