M. Jean-Pierre Caffet. Il a raison !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Sans même remonter, comme nos collègues députés, à la IIIe République – on pourrait cependant rappeler que le gouvernement Tardieu, qui ne semblait pas précisément de gauche, est tombé au Sénat – on ne peut passer sous silence que le Sénat, sous la houlette de Gaston Monnerville, s’avéra le principal opposant au chef de l’État et au gaullisme durant la première décennie de la Ve République. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, je ne fais que dire des choses que vous savez déjà !

N’est-ce pas aussi le président du Sénat Alain Poher qui fut le principal adversaire de Georges Pompidou lors de l’élection présidentielle de 1969 ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Ça les dérange !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à la docilité, qui a saisi le Conseil constitutionnel après le vote de la loi réformant le régime de la liberté d’association, ce qui a abouti à la décision du 16 juillet 1971, véritable révolution dans notre droit, puisque fut pour la première fois constaté l’inconstitutionnalité d’un texte voté par le Parlement ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Sénat n’était pas le même !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Qui exerça un contrôle vigilant de la législation en matière de libertés publiques, de la loi de 1977 sur la fouille des véhicules, de celle de 1978 relative à l’informatique et aux libertés, ou encore de la loi Savary en 1984 ?

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vous !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est hors sujet !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Plus récemment, qui a pris l’initiative de créer un appel des décisions des cours d’assises, en complément d’un projet de loi présenté par Mme Guigou, alors garde des sceaux ? Songeons un instant à l’affaire d’Outreau…

Au cours de la présente session, l’attitude de notre assemblée pour mieux encadrer les tests ADN ou mieux concilier la procédure de rétention de sûreté avec le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère…

Mme Bariza Khiari. Sur ce point, vous avez raison !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … ne souligne-t-elle pas l’esprit d’indépendance qui anime, aujourd’hui comme hier, les travaux du Sénat ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP. –Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Yannick Bodin. Arguments misérables !

M. Jacques Mahéas. Arguments de basse-cour !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette trop longue introduction n’avait d’autre but, mes chers collègues, que de chasser certaines idées fausses ou, à tout le moins, de rectifier quelques jugements aussi manichéens que caricaturaux.

Venons-en maintenant à l’examen des principales dispositions de cette proposition de loi qui esquissent des pistes de travail pour une nécessaire réflexion sur le collège électoral sénatorial.

Comme en conviennent les auteurs de la proposition de loi eux-mêmes, notamment notre collègue Jean-Pierre Bel, la principale modification du collège électoral prévue dans ce texte consiste à conforter la représentation des zones urbaines en appliquant une clé de répartition qui attribue un délégué pour 300 habitants. Une telle proposition est similaire à la réforme jugée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 juillet 2000.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. S’il était saisi de ce texte, le juge constitutionnel ne pourrait donc que confirmer cette décision…

M. Dominique Braye. Et voilà !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur …par laquelle il a élaboré un véritable statut constitutionnel de la représentativité sénatoriale : le Sénat, représentant des collectivités territoriales, doit être élu par un corps électoral émanant lui-même de ces collectivités et composé essentiellement de membres des assemblées délibératives locales.

Si la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside, le nombre de délégués supplémentaires ne doit pas aller au-delà de la simple correction démographique.

Bien sûr, on nous oppose la révision en cours, et notamment la nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution, qui prévoit que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population ».

M. Yannick Bodin. Tu parles !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nos collègues socialistes regrettent d’ailleurs que la rédaction du comité de réflexion présidé par Édouard Balladur, laquelle précisait que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en fonction de leur population », n’ait pas été retenue.

M. Jacques Mahéas. Absolument !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous avons sur ce point un profond désaccord, car si l’élection sénatoriale devait être alignée sur la seule démographie, on ne serait pas loin de confondre Assemblée nationale et Sénat ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Dominique Braye. Bien sûr ! C’est ce qu’ils veulent !

M. Robert Bret. Raisonnement fallacieux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et en Belgique ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission estime que le Sénat doit aussi continuer de conserver sa légitimité dans les territoires. Permettez-moi d’emprunter la suite de ce raisonnement à notre collègue Gérard Larcher : « Grosso modo, 80 % des Français vivent sur 20 % du territoire et 20 % de la population occupent les quatre cinquièmes du sol national. […] 

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les Français de l’étranger ?

M. Jean-Louis Carrère. Et Saint-Barthélémy ? Et Saint-Martin ?

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et Clipperton ?

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « Pourrait-on donc sans mutiler cette réalité fondamentale faire élire les sénateurs sur des seuls critères démographiques (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat proteste.) inspirés de ceux qui président aux règles électorales appliquées aux députés ? Je ne le crois pas ! […] Il [Le Sénat] est pour partie la chambre des populations faibles en nombre. Il est pour partie l’assemblée des “pauvres en démographie”. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.) […]

M. Jean-Louis Carrère. Restaurez la monarchie ! Vous avez peur du peuple !

M. le président. Qu’apportez-vous au débat en hurlant ?

M. Jean-Louis Carrère. C’est vous qui bridez le débat, monsieur le président !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « En résumé, le Sénat est, en raison de son mode de recrutement, l’institution qui permet que soit valorisé au mieux (Le brouhaha croissant sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC couvre la voix de l’orateur, qui s’interrompt.)…

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … « le Sénat, disais-je, est, en raison de son mode de recrutement, l’institution qui permet que soit valorisé au mieux le territoire de la nation, et ce dans l’intérêt de tous, urbains et ruraux. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Qu’est-ce que le territoire sans la population ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Faites voter les vaches !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. « Le mode de scrutin sénatorial joue en quelque sorte le rôle d’un outil de “discrimination positive territoriale”. »

M. David Assouline. Ça n’existe pas en démocratie !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cela signifie-t-il qu’il ne faille rien changer en ce domaine ? Je ne le pense pas ! (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Bien des propositions ont été faites par la majorité, qu’il s’agisse de la proposition de loi de Henri de Raincourt, du rapport de Paul Girod en 2000, ou encore du rapport du groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale que présidait Daniel Hoeffel en 2002.

M. Jean-Luc Mélenchon. Calculez les sénateurs à l’hectare ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La rédaction actuelle de la Constitution, telle que l’a interprétée le Conseil constitutionnel, s’oppose-t-elle à toute évolution ? Je ne le pense pas davantage, contrairement au président Jean-Pierre. Bel, et il n’est pas impossible que ce soit en quelque sorte un pêché de gourmandise de votre part, chers collègues de l’opposition, qui ait entraîné la censure constitutionnelle de juillet 2000. Vous le savez d’ailleurs fort bien !

M. Yannick Bodin. Nous n’allons pas nous laisser faire !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à la proposition de créer des délégués supplémentaires des conseils généraux et régionaux, elle mérite que l’on s’y arrête, puisque ces deux collectivités territoriales, dont l’importance n’a fait que croître – je me tourne vers nos collègues Pierre Mauroy et Jean-Pierre Raffarin – avec les actes I et II de la décentralisation de 1982 et de 2004,…

M. Jean-Louis Carrère. Ce sont des leurres !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. …ne représentent aujourd’hui que 3,9 % du collège électoral sénatorial. Il nous est proposé de porter ce pourcentage à 30 %, chiffre certes arbitraire, mais davantage représentatif de la place désormais acquise par les régions et départements.

Deux objections peuvent cependant être avancées.

Première objection, une faible place est laissée aux élus du suffrage universel dans ce dispositif : 3 857 conseillers généraux pour 45 791 grands électeurs départementaux et 1 722 conseillers régionaux pour ce même nombre de 45 791 grands électeurs régionaux, alors que la Constitution dispose que le Sénat est élu au suffrage universel indirect, donc élu par des élus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Un sénateur UMP. C’est exact !

M. le président. Mes chers collègues, écoutez l’orateur !

M. Jean-Louis Carrère. Ce que vient de dire M. le rapporteur est faux !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Honnêtement, je ne vois pas ce qui serait faux sur ce point ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Seconde objection, une incertitude demeure sur la question de savoir si une même population peut valablement être prise en compte trois fois de suite pour le calcul du nombre de délégués des trois catégories de collectivités territoriales.

M. Dominique Braye. Très juste !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. De même, si le collège électoral actuel des sénateurs représentant les Français établis hors de France – les 155 membres de l’Assemblée des Français de l’étranger – peut, en effet, être considéré comme trop restreint, le dispositif prévu par la proposition de loi pour l’élargir pose également problème.

M. Jean-Pierre Bel. Il faut en discuter !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Passer à 4735 délégués induirait des difficultés matérielles considérables dans la mesure où le développement du vote par correspondance, sous format papier ou par voie électronique, ne paraît pas être une alternative satisfaisante.

M. Dominique Braye. C’est tout à fait vrai !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! Cela coûterait trop cher !

M. David Assouline. Amendez le texte !

M. Jean-Pierre Bel. Parlons-en !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les faiblesses de la fiabilité de cette technique de vote, en particulier les risques de fraude, vous le savez bien, qui ont conduit à son interdiction en 1975 pour les scrutins politiques nationaux ou locaux, demeurent largement aujourd’hui.

M. David Assouline. Vous parlez de Perpignan !

M. Jean-Louis Carrère. De l’Eure !

M. Jacques Mahéas. Posez la question préalable !

M. Yannick Bodin. Ne parlez pas du fond si vous ne voulez pas qu’on en parle !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ne nous empêchez pas de parler du fond, mon cher collègue ! Nous y sommes !

Enfin, la suppression des députés du collège électoral sénatorial se justifie sans doute, sur le plan théorique, par le fait que, étant élus directement par le peuple pour représenter la nation, ils ne représentent donc pas les collectivités territoriales de la République, mais elle va à l’encontre d’une tradition solidement établie et, peut-être, d’une harmonie utile entre députés et sénateurs.

L’intervention des députés se révèle, de toute façon, peu déterminante, puisque ceux-ci ne représentent que 0,4 % de l’effectif total du collège électoral.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors, supprimez-les !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Pour ce qui est du mode de scrutin proprement dit et de la part respective du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle,nous avons décidément beaucoup de mal à arrêter le curseur.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Jusqu’à la loi du 10 juillet 2000, la représentation proportionnelle n’était en vigueur que dans les départements où étaient élus au moins cinq sénateurs, ce qui correspondait à 35 % des sièges. La loi de 2000 a appliqué la représentation proportionnelle aux départements où sont élus au moins trois sénateurs, portant ainsi ce pourcentage à plus de 70 % des sièges. (M. Dominique Braye s’exclame.)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Enfin, la loi du 30 juillet 2003 fixe la barre de l’usage de la représentation proportionnelle aux départements où sont élus au moins quatre sénateurs. Aujourd’hui, 52 % des sièges sont donc attribués à la représentation proportionnelle et 48 % au scrutin majoritaire.

M. Dominique Braye. Si ce n’est pas équilibré !...

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Faut-il, une fois de plus, changer la règle ? (Oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Faut-il en revenir, comme le souhaitent les auteurs de la proposition de loi, au système en vigueur sous l’empire de la loi de 2000, faisant ainsi de la représentation proportionnelle le scrutin s’appliquant à près des trois quarts des sièges de sénateurs ?

M. Yannick Bodin et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La question ne paraît pas taboue. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Elle ne semble pas non plus avoir de conséquences politiques significatives.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette opinion était partagée, notamment par Jean-Pierre Bel, lors des auditions.

M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas l’objet !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Augmenter la place de la proportionnelle permettrait sans doute d’accélérer la féminisation de notre assemblée…

Mme Nicole Bricq. C’est déjà ça !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … et d’éviter une représentation monocolore d’un certain nombre de départements (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.).

En revanche, cela donnerait aux partis politiques un poids supplémentaire dans le choix des candidatures…

M. Jean-Pierre Demerliat. Cela contribuerait à l’expression démocratique par le biais des partis politiques !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … et déséquilibrerait le partage par moitié entre la représentation proportionnelle et le scrutin majoritaire fixé en 2003.

M. Yannick Bodin. Il n’y a pas d’équilibre !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En conclusion, la commission, qui souhaite poursuivre sa réflexion sur la définition du collège électoral sénatorial,…

M. Roger Romani. Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … vous proposera, conformément à l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat, d’opposer la question préalable sur la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C’est idiot !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas logique !

M. Jean-Pierre Godefroy. Il n’y a pas de débat !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En l’état, la présente proposition de loi n’est pas conforme à l’article 24 de la Constitution ; elle introduit nombre de dispositions nouvelles, qui mériteraient un débat beaucoup plus approfondi tant sur leur principe que sur leurs modalités d’application. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Plusieurs sénateurs socialistes. Débattons-en !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Lors des auditions, des pistes de réflexion ont été esquissées, qui permettraient peut-être de renforcer juridiquement certains aspects du texte de nos collègues socialistes.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure lorsque je défendrai la motion tendant à opposer cette question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec la plus grande attention le président Jean-Pierre Bel, premier signataire de la proposition de loi, et Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.

Cette proposition de loi, que nous examinons aujourd’hui, préconise de modifier les règles relatives à l’élection des sénateurs, ce à quelques semaines des élections sénatoriales, premièrement, en créant deux collèges supplémentaires pour les représentants des conseils généraux et des conseils régionaux ; deuxièmement, en modifiant la représentation des communes au sein du collège électoral sur une base démographique ; troisièmement, en abaissant le seuil d’application du scrutin proportionnel aux départements disposant d’au moins trois sénateurs ; enfin, quatrièmement, en modifiant les conditions d’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger.

À l’évidence, le mode d’élection des parlementaires de la Haute Assemblée est une question importante pour l’avenir de nos institutions.

Certes, il peut être légitime de s’interroger périodiquement sur l’adéquation des institutions aux évolutions d’un pays. Pour autant, la méthode choisie a été peu respectueuse à l’égard des membres de la Haute Assemblée.

M. Roger Romani. Ça c’est vrai !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En effet, la tradition républicaine aurait voulu que l’on confie d’abord à votre assemblée son examen en première lecture. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. C’est exact !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En effet, monsieur le président, vous êtes directement concernés par cette proposition de loi,…

M. Pierre-Yves Collombat. Politesse exquise !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … qui a été examinée en première lecture, par l’Assemblée nationale, le 20 mai dernier.

Après ces quelques observations quant à la forme, j’en viens au fond.

La présente proposition de loi soulève de lourdes difficultés juridiques dans son principe et paraît difficile à mettre en œuvre.

Tout d’abord, elle apparaît nettement comme étant inconstitutionnelle en l’état du droit. L’article 24 de la Constitution prévoit que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».

Ensuite, toute réforme sur ce sujet apparaît à ce jour prématurée alors qu’un projet de révision constitutionnelle est en cours.

M. Jean-Pierre Bel. Nous demandons des garanties !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Enfin, la proposition de loi qui nous est soumise n’est pas conforme à la position du Conseil constitutionnel. En effet, la désignation des délégués des communes sur la base d’un délégué pour 300 habitants avait été envisagée par un texte de loi voté en 2000, mais déclaré non conforme à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2000. Le Conseil constitutionnel a estimé que, dans ce système, l’importance donnée aux délégués supplémentaires des conseils municipaux au sein des collèges électoraux irait bien au-delà de la simple correction démographique. Par ailleurs, il a rappelé, en 2000, que le Sénat devait être élu par un corps électoral étant l’émanation des collectivités territoriales.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. La Haute Assemblée doit, en conséquence, être essentiellement composée de membres, j’y insiste, des assemblées délibérantes des collectivités territoriales.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ces arguments s’opposent également à la création de délégués des conseils généraux et des conseils régionaux, telle que la prévoit cette proposition.

Car la création de 45 800 délégués des conseils régionaux, et d’un nombre identique de délégués des conseils généraux, aurait pour effet de marginaliser, au sein du corps électoral, les conseillers régionaux, ainsi que les conseillers généraux, qui sont élus, eux, au suffrage universel.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui ! C’est tout de même paradoxal !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Les conseillers généraux et les conseillers régionaux ne représenteraient plus que 4 % et 8 % de leur collège électoral. Dans ces conditions, cette proposition de loi aboutirait inévitablement à la censure du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, les solutions proposées pour renforcer la représentativité du Sénat ne semblent pas non plus adaptées : 52 % des sénateurs sont déjà élus à la représentation proportionnelle et garantissent ainsi une représentation diverse des sensibilités politiques de notre pays.

L’abaissement du seuil de représentation proportionnelle aux départements comptant au moins trois sénateurs ne s’impose donc pas, comme l’a reconnu la représentation nationale lors du vote de la loi du 30 juillet 2003, qui a modifié sur ce point la loi du 10 juillet 2000.

M. Jean-Pierre Godefroy. C’est faux !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Enfin, autre écueil, du point de vue du Gouvernement, le texte prévoit de fixer à 30 % la part des représentants des départements et des régions. Ce chiffre n’a pas de justification démographique ou institutionnelle, notamment au regard du principe d’égalité des collectivités territoriales entre elles.

M. Jean-Louis Carrère. Alors là ! Le principe d’égalité ! (M. Yannick Bodin rit.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Au total, la mise en œuvre de cette proposition pèserait lourdement sur l’organisation des scrutins.

L’extension excessive du collège sénatorial poserait également de graves problèmes techniques.

M. Yannick Bodin. Relisez la loi actuelle !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le collège sénatorial passerait de environ 138 000 grands électeurs actuellement à 305 000, soit une hausse de 121 % !

M. Jean-Pierre Bel. Où est le problème ?

M. Yannick Bodin. Et alors ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cette disposition engendrerait des dépenses supplémentaires, notamment avec l’obligation de prise en charge des frais de transport des délégués (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),…

MM. Jean-Pierre Bel et Guy Fischer. Ce n’est pas croyable !

M. Yannick Bodin. Guignol !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela coûte trop cher !...

M. Jean-Louis Carrère. La rémunération du Président de la République est bien passée !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. …dépenses incompatibles avec l’article 40 de la Constitution.

Elle poserait, en outre, la question de la bonne organisation et de la valeur d’élections au suffrage universel indirect compte tenu d’un corps électoral aussi vaste, comprenant plus de 5 000 grands électeurs dans les départements urbains, voire plus de 10 000 dans les départements les plus peuplés.

M. Claude Domeizel. Ce n’est pas plus coûteux que l'intervention du Président de la République devant le Congrès !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le dispositif prévu pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger pose également de grandes difficultés techniques. La désignation des quelque 4 580 délégués complémentaires pour l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger aurait pour effet de multiplier par trente leur corps électoral.

M. Jean-Louis Carrère. C’est moins cher que les vacances d’été aux États-Unis !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Cela rendrait évidemment particulièrement complexe l’organisation du vote sans améliorer la représentativité des électeurs désignés.

M. Jean-Pierre Bel. Ils sont plus de trois millions !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. De surcroît, les solutions envisagées pour faire face à une telle augmentation du corps électoral pour l’élection des sénateurs des Français de l’étranger ne sont guère satisfaisantes.

Le recours au vote par correspondance, prévu par le texte, est interdit pour les élections en France depuis 1975, en raison des fraudes constatées. Vous le savez bien, monsieur Bel !

M. Yannick Bodin. On le sait, puisque Mme Alliot-Marie a dit la même chose que vous !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ensuite, le vote par Internet poserait des problèmes évidents de fiabilité et de crédibilité. D’ailleurs, sa validité au regard des exigences constitutionnelles du secret du vote prévues à l’article 3 de la Constitution demeure tout à fait incertaine.

M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes mal partis pour la révision constitutionnelle !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des difficultés que je viens de souligner, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’apparaît pas opportune, j’y insiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Elle intervient en effet alors que le débat sur l’avenir de nos institutions est engagé dans la perspective de la réunion du Congrès au mois de juillet prochain.

M. Jean-Louis Carrère. Mal engagé !

M. Yannick Bodin. Sans garantie !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ne préjugeons pas de l’issue de cette discussion ! Il convient de réserver les propositions concernant l’ensemble de notre organisation institutionnelle à ce prochain débat.

Dans ces conditions, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne peut soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi du groupe socialiste relative aux conditions de l’élection des sénateurs, qui est soumise à l’examen de notre assemblée, a de quoi surprendre. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.). Non pas que l’on ne puisse la replacer dans la longue liste des projets de démantèlement de l’institution sénatoriale, aussi ancienne que le bicamérisme. Mais l’attitude de la gauche face au Sénat est loin d’avoir été toujours constante.

Les radicaux, principale formation de gauche sous la IIIe République, jusqu’à l’aube des années trente, demandaient, Clemenceau en tête, la suppression pure et simple de la seconde chambre, jusqu’à ce qu’ils en conquièrent la majorité.