M. Jean-Pierre Sueur. C’est normal !

M. Jean-Pierre Raffarin. Quatrièmement, la séparation des pouvoirs : ce principe fondateur doit être sans cesse protégé. Il est sans doute le plus fragile dans une société de globalisation, de centralisation et de médiatisation. La démocratie représentative est bousculée par certaines illusions de la démocratie participative. Pourtant, la complexité de la société, de ses problèmes et de ses solutions appelle à plus d’expertise, de confrontation et de régulation.

De toutes les institutions, c’est le Parlement qui peut, et doit, être renforcé pour mieux équilibrer l’exercice des pouvoirs.

En de multiples occasions – je pense, par exemple, aux lois bioéthiques ou au récent débat sur les addictions –, le Parlement a montré sa maîtrise de la complexité. Ceux qui ont écouté les interventions de Nicolas About et de Marie-Thérèse Hermange confirmeront mon opinion.

Au total, notre Constitution donne ainsi aux différents pouvoirs la force nécessaire à l’accomplissement de leurs missions pour opérer les réformes difficiles, pour trancher les débats fondamentaux et pour programmer dans le temps l’action publique.

Si une adaptation de notre gouvernance est devenue nécessaire, c’est que l’on ne gouverne plus aujourd’hui un pays comme la France de la même façon qu’il y a cinquante ans.

Voilà cinquante ans, le général de Gaulle expliquait aux Français que « c’était [...] pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu’a été établi le projet de Constitution ».

Or force est de constater que les Français ont changé, que les temps ont changé et que le monde, lui-même, n’a rien à voir avec ce qu’il était dans les années soixante.

Au-delà des profonds mouvements nationaux et mondiaux, sociaux et sociétaux, liés à la confrontation des cultures et des technologies, un phénomène politique s’affirme en relation avec la globalisation : la personnalisation du pouvoir.

Même les pays qui ont un régime parlementaire et qui recherchent donc une majorité pour gouverner personnalisent leur campagne et transforment des élections législatives en élections quasi présidentielles. Le dernier débat entre Gerhard Schröder et Angela Merkel a été sur ce point significatif. Le parcours de Tony Blair est aussi démonstratif. Les systèmes médiatiques renforcent partout le phénomène de personnalisation du pouvoir.

M. Jean-Louis Carrère. Sans parler de Berlusconi !

M. Jean-Pierre Raffarin. En France, l’élection présidentielle au suffrage universel et le quinquennat ont accéléré cette évolution. Cela n’est évidemment pas étranger à ce que certains nomment « l’hyper présidence ».

Dans le monde, les opinions publiques sont en mesure d’identifier les grands pays en désignant nommément leurs leaders. Ce processus très anglo-saxon de leadership, qui grignote notre société, appelle de notre part une réflexion et une évolution sur l’équilibre des pouvoirs.

Comment oublier, en effet, que la Chambre des communes, le Bundestag et le Congrès des États-Unis sont parmi les assemblées parlementaires les plus puissantes ?

Dans une démocratie, un leadership fort de l’exécutif doit avoir pour contrepartie un pouvoir parlementaire renforcé, davantage écouté et mieux légitimé.

Mes chers collègues, c’est la raison fondamentale pour laquelle je me situe, en ce qui concerne ce texte, dans le camp des réformateurs. Il s’agit d’éviter toute dérive vers cette « monocratie » à propos de laquelle notre collègue Robert Badinter a exprimé fortement sa crainte.

Aujourd'hui, en France, on constate que, significativement, c’est celui qui se trouve accusé des excès de la personnalisation du pouvoir qui propose la réforme grâce à laquelle nous équilibrerons mieux nos institutions pour faire face aux évolutions du XXIe siècle ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

C’est pourquoi je salue la lucidité et l’initiative du Président de la République qui, à travers ce projet de réforme constitutionnelle, vise à la fois à encadrer les pouvoirs liés à sa propre fonction et à élargir ceux du Parlement. Mes chers collègues, ma conviction est qu’il est de notre devoir d’oser cette réforme.

Pour ma part –  je le dis avec amitié à tous nos collègues qui sont légitimement vigilants quant aux risques que pourrait causer un trop fort mouvement de rééquilibrage des pouvoirs –, les seules limites à ne pas franchir concernent la prééminence de l’institution présidentielle, la pérennité des principaux mécanismes du parlementarisme rationalisé et l’unité de la République face à toutes les tentations d’éclatement, à l’instar de la proposition visant à faire figurer les langues régionales dans la Constitution. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! nous y voilà !

M. Jean-Pierre Raffarin. Veillons aux principes essentiels ! Dans cet esprit, les défenseurs de la Ve République que nous sommes ne pourraient accepter qu’une éventuelle limitation de l’article 49-3 de la Constitution n’ait pas pour contrepartie un strict encadrement du pouvoir d’obstruction parlementaire.

Je comprends les réserves de Josselin de Rohan sur ce point : mes chers collègues, la dissuasion n’existe que si elle est imprévisible. Si elle est annoncée, ce n’est plus une dissuasion !

M. Michel Mercier. Et si l’on sait d’avance qui s’en servira ?

M. Jean-Pierre Raffarin. La conversion de notre pays au parlementarisme rationalisé a fait du Parlement un partenaire responsable et indispensable pour chaque gouvernement. L’enjeu actuel est de transformer cette relation de loyauté en un partenariat de liberté. Le Parlement doit pouvoir être à la fois loyal aux institutions et libre dans ses convictions.

À maints égards, la concordance des mandats des majorités présidentielle et législative a ouvert la voie à ce véritable « gouvernement de législature » qu’appelait déjà de ses vœux Pierre Mendès-France dans le cadre de son projet de « République moderne ».

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la réforme proposée par le chef de l’État est adoptée, nous devrons inventer, ensemble, un nouveau rôle pour le Parlement.

Nous avons besoin d’un régime parlementaire fondé sur des rapports plus équilibrés entre le Gouvernement et le Parlement. C’est pourquoi le partage de l’ordre du jour, le renforcement du rôle des commissions permanentes, l’augmentation du nombre de ces dernières et la création d’un comité chargé des affaires européennes, proposée par plusieurs de nos collègues – Josselin de Rohan, Jean-Jacques Hyest, Patrice Gélard, Hubert Haenel et Michel Mercier –, doivent constituer notre projet.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes en campagne électorale !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous avons également besoin de mieux reconnaître le rôle de l’opposition. Notre pays doit pacifier son débat démocratique, afin de progresser sur la voie des réformes.

C’est pourquoi, au-delà des dispositions de ce texte, pour préserver l’harmonie de notre assemblée, nous devrions nous donner pour objectif d’adopter d’un commun accord les principales décisions concernant le fonctionnement du Sénat, notamment l’évolution de son règlement.

Nous avons aussi besoin d’un régime parlementaire qui reconnaisse au Parlement une véritable capacité d’initiative législative. Mes chers collègues, la session ne constitue plus notre horizon : il nous faut désormais passer à un rythme quinquennal. Nous devons penser à la loi de 2008, à celle de 2009, et même préparer celle de 2012. C’est en faisant vivre sa relation au peuple que le Parlement rassurera sur ses capacités.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Raffarin. Les Français n’acceptent plus que les réformes soient préparées dans l’ombre des cabinets ministériels ou sur la foi de rapports d’experts qui restent souvent des amateurs au regard des difficultés que rencontrent les citoyens dans leur vie quotidienne !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme le comité Balladur !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nos concitoyens n’admettent plus que des réformes importantes soient conduites sous l’emprise de convictions idéologiques ou sans égard pour le dialogue social. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les syndicats l’ont bien compris !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dernièrement, j’ai eu l’occasion de rappeler que nous avions besoin de la force positive des syndicats réformistes pour conduire les réformes.

M. Ivan Renar. Bernard Thibault, président du Sénat !

M. Jean-Pierre Raffarin. Le Parlement est là pour instiller de l’humanisme dans la réforme et, partant, la rendre acceptable.

M. Bernard Frimat. Voilà qui commence mal !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il est là aussi pour rappeler, quand cela est nécessaire, les lignes à ne pas franchir et les principes qui ne sauraient souffrir aucune exception, y compris lorsqu’il s’agit d’initiatives émanant d’un gouvernement issu de la majorité.

Selon Alain Finkielkraut, « être moderne c’est être mécontent ». Mes chers collègues, n’ayons pas peur de la modernité ! C’est la force du Sénat que de savoir qu’il a le devoir d’être libre et responsable.

M. Bernard Frimat. Sous les pavés du Sénat, la plage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous l’avons montré quand nous avons examiné le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à l’asile : un Sénat indépendant et libre constitue une chance pour nos institutions et une garantie pour tous les gouvernements. Comme le disait Victor Hugo : « La France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par la tempête ».

Notre proposition relative aux conditions de l’élargissement de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne la Turquie, constitue la marque de la sagesse sénatoriale.

Nous avons besoin d’un bicamérisme renforcé, nous en sommes tous d'accord. Voilà pourquoi le renforcement du rôle du Parlement doit aussi être l’occasion de revaloriser le Sénat.

M. Jean-Louis Carrère. Le discours de campagne continue !

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est pour nous, ne nous y trompons pas, l’occasion de donner plus de valeur à notre travail. En effet, je crois moins à la communication de l’institution qu’à la valorisation du travail des sénateurs !

Au-delà de tous ces textes, ce sont nos pratiques qui doivent évoluer. Par-delà les habitudes, c’est un état d’esprit qu’il faut changer.

Ce mouvement vers un Parlement plus audacieux et modernisé, c’est vous qui l’avez lancé en 2004, monsieur le président du Sénat, avec le soutien de mon gouvernement, en engageant l’auto-réforme de la Haute Assemblée.

Nous connaissons nos responsabilités. Nous mesurons le besoin de Sénat dans la République. Nous nous souvenons de Maurice Schumann, qui affirmait que « le Sénat est l’irrévocable édit de Nantes de la République ».

Toutefois, mes chers collègues, soyons clairs : le Sénat ne constitue pas une monnaie d’échange pour le Congrès, et les sénateurs de la majorité ne cèderont à aucune pression !

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous savons ce que nous pouvons changer, …

M. Bernard Frimat. C'est-à-dire rien du tout !

M. Jean-Pierre Raffarin. … mais nous connaissons aussi ce que nous devons préserver.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Notre position est ferme, parce que nous voulons des institutions fortes, mais elle n’est pas fermée.

Le Président de la République veut répondre à toutes les critiques adressées à la Constitution. C’est pour cette raison qu’il a émis des propositions que nous approuvons.

Ce projet de loi constitutionnelle répond pour nous à une exigence. Il nous impose des responsabilités. Chaque conviction est respectable, mais serons-nous les seuls parlementaires au monde à refuser les libertés qui nous sont proposées ?

M. Bernard Frimat. Dans l’opposition, on ne voit pas beaucoup de libertés !

M. Jean-Pierre Raffarin. Refuserons-nous de tempérer le pouvoir présidentiel, d’évaluer plus et mieux l’action publique, comme nous le propose notre commission des finances, d’anticiper davantage les attentes de la société et d’injecter de la prospective dans le processus législatif ?

Évidemment, notre vote nous engage gravement. En soutenant cette réforme, après l’avoir légitimement amendée, nous nous fixons un objectif : inventer le Parlement et le Sénat du XXIe siècle !

M. Bernard Frimat. C’est mal parti !

M. Jean-Pierre Raffarin. Le défi n’est pas mince, mais je ne le crains pas. Parce que « la France vient du fond des âges » et que « les siècles l’appellent », seul l’immobilisme pourrait l’atteindre.

Je vous propose donc de relever ce défi. Depuis qu’à cette tribune Victor Hugo a dit : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires » (M. Robert Badinter applaudit.), …

M. Jean-Luc Mélenchon. Il était de gauche, Victor Hugo !

M. Bernard Frimat. C’est tout ce qu’ils ont lu de Victor Hugo !

M. Jean-Pierre Raffarin. … nous sommes toujours confrontés à la nécessité de gagner la confiance des Français, par et pour le service de la France ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quatre petites heures de discussion générale sur un projet de loi constitutionnelle qui est jugé par ses auteurs et ses partisans comme le plus important depuis 1958, c’est bien peu !

Nous sommes loin d’un grand débat national, pourtant démocratiquement nécessaire dès lors que l’on touche à l’équilibre de nos institutions. Nous sommes bien loin, à l’heure où se déroulent des opérations contestables pour gagner quelques voix à Versailles, du référendum tout aussi démocratiquement nécessaire, comme en 1958, en 1962, en 1969 et en 2000, lors de réformes constitutionnelles importantes.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai !

M. Guy Fischer. Mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat a montré tout à l'heure que le rééquilibrage annoncé était inexistant et que, bien au contraire, la dérive présidentialiste s’accentuait. Celle-ci, selon certains professeurs de droit constitutionnel, s’apparenterait même à une « dérive consulaire », en référence à la pratique institutionnelle de Bonaparte. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Un fait est certain : ce texte ne satisfait pas à l’attente démocratique de notre peuple, qui, à chaque consultation électorale, s’annonce plus forte et plus impatiente.

Rien n’est prévu pour répondre à une question essentielle : comment rapprocher le citoyen et ses représentants des centres de décision européens ? Pourtant, il s'agit tout de même de l’un des problèmes clefs de l’heure !

M. Michel Charasse. Le problème de l’Europe, c’est le peuple !

M. Guy Fischer. Or, le projet de loi constitutionnelle effleure le sujet. Pis, il impose un traité, celui de Lisbonne, qui, comme l’a rappelé Robert Bret, est aujourd’hui rendu caduc dans sa forme actuelle par le peuple irlandais.

Ainsi, les vestiges des défunts traités s’accumulent dans notre Constitution. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne actuelle, qui emporte de lourdes conséquences sur la hiérarchie des normes entre la nation et l’Europe ?

Ce texte ne répond pas non plus aux attentes démocratiques de notre peuple à l'échelle nationale. Rien n’est prévu, sauf une initiative parlementaire s’appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée pour rétablir le lien entre les institutions et les citoyens. La démocratie participative, dont tout le monde ou presque se réclame, reste lettre morte.

Cette révision n’améliore pas la représentativité des assemblées. L’idée même d’une représentation proportionnelle, pourtant affichée, certes de manière très restreinte, par Nicolas Sarkozy durant sa campagne, lors de l’installation du comité Balladur et dans la lettre qui dictait à François Fillon le présent projet de loi constitutionnelle, se trouve écartée d’un revers de main. Pourtant, 81 % des Français y sont favorables, comme le révélait un sondage publié l’hiver dernier.

En outre, le droit de vote des étrangers se trouve exclu, ainsi que toute réforme réelle du Sénat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, affirmait que cette réforme n’était ni de gauche ni de droite. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Bernard Frimat. Il s’est trompé !

M. Guy Fischer. En tout cas, les refus que j’évoque montrent qu’il ne s’agit pas d’une réforme de gauche, bien au contraire !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais puisque j’ai dit : « Ni de gauche ni de droite » !

M. Guy Fischer. Le combat de la gauche, des forces qui portent l’espérance des plus faibles, des exploités, des plus modestes, des plus démunis, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Allons donc !

M. Guy Fischer. … ne peut se retrouver dans un texte qui vise à concentrer les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et à briser le débat démocratique au sein des assemblées parlementaires.

La conception, la construction puis la représentation de ce texte reposent sur une hypocrisie fondamentale : il restaurerait les droits du Parlement et permettrait de brider le pouvoir exécutif. Depuis un an, nous observons M. Nicolas Sarkozy, relayé par M. Édouard Balladur et par le Gouvernement, agiter ce leurre.

C’est une véritable campagne d’intoxication qui s’est déroulée, et qui continue. Cadrés par différentes lettres de mission invoquant la nécessité d’un « renforcement des pouvoirs du Parlement », les porte-parole du Président de la République se sont mis à l’ouvrage : la réforme aurait pour conséquence « un pouvoir législatif profondément renforcé », selon Mme Dati ; elle constituerait une « révolution », selon M. Karoutchi, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est expert en la matière !

M. Guy Fischer. … qui pense « faire aboutir des réformes souhaitées depuis des années, voire des décennies, par tous les groupes parlementaires ».

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ah oui ! J’ai le droit de rêver !

M. Guy Fischer. M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui a sans doute décroché le prix du meilleur vendeur de cette révision constitutionnelle, indiquait même, le 23 avril dernier, que ce texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l’élaboration des lois ».

Comme le dit l’adage, « plus c’est gros, mieux ça passe » ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Louis Carrère applaudissent.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Et plus c’est vrai !

M. Guy Fischer. Mais quel aveu du réel mépris que vous portez à l’égard des assemblées, monsieur le secrétaire d’État !

Ainsi, M. Accoyer, président de l’Assemblée nationale,…

M. Jean-Claude Carle. Excellent président au demeurant !

M. Guy Fischer. …percevait-il dans ce texte, voulant sans doute ne pas être en reste, « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ».

Avant de vous démontrer point par point que de telles affirmations relèvent de la plus pure propagande, permettez-moi une première remarque : pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision qui, selon vous, le concerne en premier lieu ?

Comme l’indiquait un professeur de droit constitutionnel, « qu’une commission nommée par l’exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d’indécent ». C’est ce même professeur, M. Serge Sur, qui a lancé cette formule particulièrement pertinente selon laquelle « ce prétendu renforcement du Parlement n’est que la salade qui entoure le rôti ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le « rôti », c’est le discours du Président de la République devant le Parlement, c’est la présidentialisation du régime, mise en place selon « la politique de l’artichaut », c’est-à-dire feuille après feuille. (M. Jean-Luc Mélenchon rit.)

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, dénoncent la tromperie de ce projet de loi et mettent en lumière sa vraie nature, à savoir un pas vers la présidentialisation, je dirai même vers l’hyper-présidentialisation.

Or cette baudruche se dégonfle au fil des semaines, et nous pouvons être reconnaissants à M. Hyest de ne pas masquer grand-chose dans son rapport, en exposant sans sourciller comment les droits des parlementaires, celui d’amender, celui de débattre, seraient réduits à néant ou presque.

Une cohérence profonde apparaît après décryptage. La primauté conférée au débat en commission, la restriction évidente du droit d’amendement et les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour constituent une agression voilée, mais d’une rare violence, contre les acquis démocratiques du débat parlementaire.

Ces dispositions constituent un concentré des souhaits affichés depuis des décennies par les adversaires du pluralisme et de la transparence.

Le travail en commission nous est présenté comme la panacée. Or, s’il est nécessaire – et j’attache personnellement une grande importance à ce travail préparatoire, d’approfondissement –, il doit cependant demeurer le prélude de la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d’idées, de la présentation au grand jour des propositions des groupes politiques et de chaque parlementaire.

Limiter le travail législatif au travail en commission, c’est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assumer une présence forte et régulière en leur sein ; c’est donc renforcer le fait majoritaire.

C’est également un coup porté à la transparence. Est-ce le modèle des commissions du Parlement européen qui vous inspire, commissions mises constamment sous pression par des milliers de lobbies qui se révèlent être un véritable fléau ?

Ainsi, le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est-il présenté comme une avancée démocratique. Or, c’est un mensonge ! Il s’agit, en fait, d’un tour de passe-passe pour modifier profondément la nature du débat en séance publique.

Il convient de faire le lien avec cette nouvelle disposition qui précise, à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission ».

Comme le confirme M. Hyest, c’est la conjonction « ou » qui est fondamentale. Il sera ainsi permis de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, permettait à chaque parlementaire d’amender en séance publique.

Le but poursuivi est maintenant clair : vous voulez étendre la pratique des procédures simplifiées qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements lors de la séance plénière.

Cette procédure est aujourd’hui limitée à des textes d’une portée politique secondaire, comme les conventions internationales. Fait important, tout groupe parlementaire peut aujourd’hui s’opposer à la mise en œuvre de la procédure simplifiée et demander un examen en séance publique.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est de généraliser le champ d’intervention de cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s’y opposer, en renvoyant la décision à la conférence des présidents, donc à la majorité.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, une loi organique censée préciser la portée de ce nouveau dispositif. Est-il possible d’envisager une telle restriction du droit d’amendement et de la séance publique en restant dans le flou d’un renvoi à une loi organique au contour hypothétique ? Celle-ci aurait déjà dû être élaborée et présentée aujourd’hui aux parlementaires.

Avec une franchise inquiétante, M. Hyest conclut sur ce point en évoquant la possibilité d’une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.

Le droit d’amendement est également attaqué par un autre biais, à savoir la mise en place d’un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l’article 18 du présent projet de loi, exposées dans le rapport du comité Balladur, sont claires : « La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets et propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques […] Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu’il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement ».

Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Je constate, monsieur le rapporteur, que, dans vos commentaires sur l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, vous n’évoquez pas cette proposition de M. Balladur. C’est pourtant la logique profonde du projet de révision qui transparaît ici, ce qui est appelé « renforcement des droits du Parlement » n’étant autre que le renforcement du fait majoritaire.

Les droits de l’opposition, de la minorité, seront foulés au pied par une conférence des présidents totalement acquise au pouvoir exécutif en place. D’ailleurs, le rapport du comité Balladur ne s’y trompe pas : il évoque cette programmation concertée de la durée des débats comme « un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire ».

Ainsi, pour le Président de la République et l’UMP, rehausser les droits du Parlement, c’est étouffer le droit d’amendement et réduire autant que possible la séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Le silence et l’obscurité deviendraient de ce fait les qualités nouvelles d’un Parlement modernisé, rénové ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Très bien ! Mais nos collègues de la majorité n’écoutent pas !

M. Guy Fischer. Enfin, comment ne pas faire le lien entre ces deux premiers points : d’une part, la limitation du débat au cadre des commissions et la restriction du droit d’amendement et, d’autre part, la nouvelle organisation de l’ordre du jour ? Cette dernière qui, selon M. Hyest, est d’ailleurs complexe, irréaliste, rigide et offre des garanties très insuffisantes pour le Parlement, met en place le recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif.

Faire la loi est pourtant la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française. C’est donc à la remise en cause fondamentale de ce principe républicain que nous assistons aujourd’hui.

Deux semaines seraient désormais consacrées à l’examen des textes du gouvernement et à des débats thématiques, une semaine le serait au contrôle, et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires : telle serait la nouvelle organisation de l’ordre du jour.

Nous estimons, quant à nous, que le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour et que, s’il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)

Comment ne pas constater, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, que vous imposez un véritable corset au Parlement (Protestations sur les travées de lUMP.),…