Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

1. Procès-verbal

2. Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l’Union européenne. – Débat sur une déclaration du Gouvernement.

MM. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes ; Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères ; Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles ; Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques ; Robert Bret, Aymeri de Montesquiou, Denis Badré, Didier Boulaud, Robert del Picchia, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Louis de Broissia, Mme Alima Boumediene-Thiery.

M. le secrétaire d’État.

Clôture du débat.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

3. Modernisation des institutions de la Ve République. – Discussion d'un projet de loi constitutionnelle.

Discussion générale : MM. François Fillon, Premier ministre ; Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur pour avis.

4. Rappel au règlement

MM. Robert Bret, le président.

5. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle.

Discussion générale (suite) : MM. Jean-Pierre Bel, Henri de Raincourt, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Michel Baylet, Michel Mercier, Bernard Frimat, Jean-Pierre Raffarin, Guy Fischer, Nicolas Alfonsi, Nicolas About, Robert Badinter, Josselin de Rohan, Pierre Fauchon, Pierre Mauroy, Gérard Larcher.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

6. Transmission d’un projet de loi et proposition de création d’une commission spéciale

7. Modernisation des institutions de la Ve République. – Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle.

Discussion générale (suite) : Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Jean Puech, Jean-Claude Peyronnet, Patrice Gélard, Pierre-Yves Collombat, Hubert Haenel, Richard Yung, Alain Vasselle, David Assouline, Robert del Picchia, Éric Doligé, Mme Gisèle Gautier.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.

Clôture de la discussion générale.

Motion d’ordre

MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, rapporteur ; le président.

Exception d’irrecevabilité

Motion n° 2 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Éliane Assassi, M. le rapporteur. – Rejet par scrutin public.

Question préalable

Motion no 1 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mme Josiane Mathon-Poinat, M. Bernard Frimat. – Rejet par scrutin public.

Demande de renvoi à la commission

Motion n° 505 de M. Robert Bret. – MM. Robert Bret, le rapporteur. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

8. Transmission d'une proposition de loi

9. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Conseil européen des 19 et 20 juin 2008 et présidence française de l’Union européenne

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le Conseil européen des 18 et 19 juin 2008 et sur la présidence française de l’Union européenne.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation pour l’Union européenne, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le président de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Irlande a voté non au référendum sur le traité de Lisbonne jeudi dernier.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. C’est une déception,....

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. ... mais nous prenons acte de ce choix et le respectons. C’est un épisode européen, qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement irlandais.

Il nous faut maintenant donner au gouvernement irlandais l’opportunité d’analyser ce vote.

Nous avons écouté très attentivement la déclaration du Premier ministre irlandais, M. Brian Cowen, le 13 juin. Nous en avons retenu trois éléments, qui portent sur les implications du vote de son pays pour l’Union européenne.

Tout d’abord, M. Brian Cowen a clairement affirmé que l’Irlande n’avait pas souhaité donner un coup d’arrêt à la construction européenne. Je ne le crois pas non plus. Il ne faut pas se méprendre sur la portée de ce vote, qui ne signifie pas que l’Irlande souhaite sortir du jeu européen.

Ensuite, il a appelé à une réflexion sereine, dans son pays comme avec ses vingt-six partenaires.

Enfin, il s’est engagé à consacrer toute son énergie à rechercher des réponses satisfaisantes aux préoccupations qui ont été révélées par ce vote. Il a précisé que l’Union européenne avait déjà connu de telles situations et que chaque fois une solution avait été trouvée pour aller de l’avant.

C’est dans ce contexte, et après avoir pris note de la position du Taoiseach, que la France et l’Allemagne ont, dans une déclaration commune, appelé à la poursuite du processus de ratification et rappelé que le traité de Lisbonne comportait des avancées pour la démocratie et permettait de rendre l’Europe plus efficace.

Beaucoup d’autres acteurs ont soutenu très explicitement et très rapidement une position similaire : la présidence slovène de l’Union européenne, le Président du Parlement européen, le Président de la Commission européenne, ainsi que le Luxembourg, le Portugal, la Finlande et la Slovaquie, qui comptent parmi les dix-huit États qui ont déjà approuvé le traité.

D’autres d’États, qui ont engagé leur ratification sans l’avoir encore conclue, ont également appelé à poursuivre le processus. Je pense au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, à la Belgique et à l’Espagne.

Par ailleurs, le Président de la République, que j’ai accompagné lundi à Prague, s’est entretenu avec le Premier ministre tchèque, M. Mirek Topolanek, lequel a affirmé qu’il avait besoin d’un temps de réflexion, mais qu’il n’excluait pas de se rallier à ce consensus, compte tenu des responsabilités prochaines qui allaient incomber à la République tchèque. Mme Merkel s’est rendue à Gdansk pour s’entretenir avec le Premier ministre polonais.

Tout est donc prêt pour la discussion qui se tiendra jeudi soir au Conseil européen. Les chefs d’État et de gouvernement feront le point sur la situation avec l’Irlande et évalueront les mesures à prendre.

Ce qui est sûr, c’est que nous n’allons pas nous engager dans la rédaction d’un traité nouveau. Aucun État membre ne le demande.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. L’Europe ne s’est pas arrêtée le 13 juin. Nous fonctionnons actuellement à partir du traité de Nice, qui devait être et sera le cadre institutionnel de la présidence française.

Comme l’a souligné le Président de la République, la meilleure réponse que la présidence française puisse apporter aux préoccupations qui viennent d’être exprimées est de faire en Europe plus de politique et plus de politiques communes. Nous ne pouvons pas nous permettre de retarder les décisions qui vont en ce sens et qui peuvent être traitées indépendamment des questions institutionnelles. C’est le cas des priorités que le Président de la République a fixées pour la présidence française et qui ont été, depuis un an, présentées à tous nos partenaires européens. Nous continuerons évidemment à les consulter pendant toute la durée de la présidence française.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous aurez également un agenda dense de rencontres interparlementaires dès le 3 juillet prochain. Par ailleurs, une réunion de la COSAC est prévue dès le 7 juillet. Je m’en félicite.

Le nouveau contexte depuis le 13 juin nous conduit à aborder ce semestre avec modestie et rigueur.

Avec modestie, parce que le vote irlandais appelle à une remise en question de chacun sur la façon dont nous faisons le lien entre le débat national et le débat européen, qui s’inscrit souvent dans un horizon de plus long terme. Dans un contexte international économique et financier difficile, il nous faut aussi être conscients des limites et des contraintes dans lesquelles notre action s’inscrit et il nous faut sans doute, à l’échelon européen, faire preuve de plus de réactivité par rapport aux enjeux à court terme qui préoccupent nos concitoyens, notamment en ce qui concerne la hausse des matières premières et des prix alimentaires.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Avec rigueur, parce que notre unique objectif est de servir l’intérêt collectif des Européens et de faire progresser honnêtement tous les dossiers avec l’ensemble de nos partenaires afin d’apporter des réponses concrètes aux préoccupations de nos concitoyens.

C’est pourquoi nous nous efforcerons de dégager un accord politique sur le paquet «  énergie-climat », qui nous permet de contenir les effets du changement climatique en réduisant de 20 % les émissions de dioxyde de carbone d’ici à 2020 et qui promeut le développement des énergies renouvelables. C’est un élément clé de l’exemplarité que nous voulons pour l’Europe, pour conforter son rôle moteur dans les négociations internationales sur le climat en vue de la conférence de Copenhague en 2009. La question du prix de l’énergie sera bien sûr également au cœur de nos préoccupations.

Au-delà du paquet « énergie-climat », la France souhaite également contribuer sous sa présidence à l’amélioration de la sécurité énergétique européenne par des actions visant à mieux maîtriser la consommation d’énergie, à faire fonctionner l’espace européen de façon unifiée et solidaire et à renforcer la politique extérieure européenne en matière d’énergie.

De ce point de vue, les négociations que nous aurons sous présidence française avec la Russie dans le cadre du partenariat que nous devons établir entre l’Union et ce pays seront déterminantes.

L’Union sera alors en mesure de mieux assurer sa sécurité énergétique à court et à long terme. Cela suppose un esprit de solidarité entre États de l’Union et un devoir de responsabilité pour chacun d’entre eux, que nous devons assurer notamment à l’égard des pays d’Europe centrale et orientale entièrement dépendants de la Russie sur le plan énergétique.

Autre projet politique concret, nous proposons un pacte européen sur l’immigration et l’asile qui engage, pour la première fois, les États membres et les institutions européennes à des lignes de conduite communes pour gérer les flux migratoires, dans tous leurs volets : immigration économique, lutte contre l’immigration illégale, contrôle des frontières, politique de l’asile et stratégie de développement en partenariat avec les pays d’origine.

Être concret, c’est également faire de la politique agricole commune une politique moderne et durable. Dans un contexte d’offre mondiale insuffisante, la politique agricole commune doit être renforcée. Elle doit aussi être adaptée aux attentes des consommateurs européens, qui souhaitent consommer des produits alimentaires sûrs, structurer le développement économique de nos territoires, investir dans la recherche, favoriser les productions durables, simplifier les mécanismes d’aides et permettre la stabilisation des marchés au moyen d’instruments efficaces de gestion des risques climatiques et sanitaires.

Autre ambition de la présidence française de l’Union européenne : la relance de l’Europe de la défense. Comme le montre l’expérience de ces dix dernières années, le développement de la politique européenne de sécurité et de défense dépend moins du cadre institutionnel que de la volonté politique.

Parce que les moyens des Européens ne sont pas à la hauteur des crises et des menaces actuelles et futures, nous nous sommes donné les objectifs suivants : doter l’Union européenne d’une stratégie de sécurité actualisée pour la prochaine décennie afin de mettre à jour l’analyse commune des nouvelles menaces ; renforcer les capacités civiles et militaires de gestion des crises autour de nouveaux projets capacitaires structurants, même si ceux-ci n’étaient initiés que par quelques pays ; nous devrons enfin faire un effort important pour l’industrie de défense, et notre objectif sera de parvenir à un accord politique sur le paquet « défense » de la Commission européenne.

Notre ambition s’inscrit dans une vision politique renouvelée de la politique européenne de sécurité et de défense, dans une approche prenant en compte la complémentarité entre la défense européenne et l’OTAN.

Enfin, nous poursuivrons les efforts en cours sur la stabilisation des marchés financiers, la stratégie en faveur de la croissance et de l’emploi, l’Europe de l’avenir et le renouvellement de l’agenda social de l’Union européenne.

Je voudrais ici insister sur ce dernier point. La présidence française aura un programme social très dense. Nous aurons à travailler ensemble sur la lutte contre les discriminations, les échanges d’étudiants et d’apprentis, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, la mobilité des patients, la révision de la directive sur les comités européens d’entreprise, la « flexicurité », ainsi que les réflexions que souhaite engager Martin Hirsch sur l’inclusion active, le retour à l’emploi et les services sociaux d’intérêt général.

Mme Catherine Tasca. Et les services publics ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Au-delà des résultats sur le référendum irlandais, je souhaiterais vous dire quelques mots sur les autres sujets à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

Cette nouvelle réunion des chefs d’État et de gouvernement européens conclut le semestre de la présidence slovène, qui a conduit les travaux avec intelligence et savoir-faire. Je souhaite devant vous lui rendre hommage.

Cinq sujets seront plus particulièrement abordés jeudi et vendredi, au-delà des résultats du référendum irlandais.

Le premier sujet est l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Les conclusions du Conseil européen devraient passer en revue les nombreuses propositions en cours de discussion dans ce domaine et appeler à leur adoption rapide.

Deux points me paraissent devoir être plus particulièrement relevés : l’appel à mettre en œuvre une stratégie commune de gestion des flux migratoires, ce qui correspond aux objectifs du pacte, et l’encouragement à proposer une approche intégrée de la gestion des catastrophes.

Le deuxième sujet, ce sont les conséquences de la hausse des prix agricoles et de celle des prix des carburants.

Le Conseil européen tentera d’apporter des réponses aux conséquences de la hausse des prix agricoles et des prix de l’énergie, tant au plan intérieur qu’au plan international. Le Président de la République a pris une position forte sur ce dossier et présenté des pistes de réflexion sur la TVA et un fonds dédié aux professions et catégories de population les plus durement affectées par la hausse des prix.

Le troisième sujet, ce sont les questions économiques, sociales et environnementales.

Le Conseil européen engagera à poursuivre les travaux sur le paquet « énergie-climat », saluera l’accord politique obtenu par la présidence slovène sur le troisième paquet de libéralisation du marché et invitera à le finaliser avec le Parlement européen. Cet accord a validé un choix des États entre la séparation patrimoniale et une troisième voie dite « de régulation », maintenant des opérateurs intégrés au niveau européen, pour laquelle la France pourra opter, conformément au souhait de votre Haute Assemblée, qui nous a appuyés.

Le Conseil européen devrait également approuver l’entrée de la Slovaquie dans la zone euro.

Le quatrième sujet, ce sont les Balkans occidentaux, priorité forte de la présidence slovène.

Le Conseil européen adoptera des conclusions substantielles sur les Balkans, qui ont été une priorité de la présidence slovène dans le domaine des relations extérieures. Parmi les progrès enregistrés, on notera la signature des accords de stabilisation et d’association avec la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.

L’Union européenne a par ailleurs assuré la stabilité générale de la région dans le contexte de la proclamation d’indépendance du Kosovo. L’Union européenne devrait assurer un rôle croissant dans la consolidation du nouvel État à travers la poursuite du déploiement de la mission EULEX, qui prendra la relève de certaines tâches assumées auparavant par la mission des Nations unies.

La présidence française de l’Union européenne aura pour objectif de concrétiser la perspective européenne de la région à travers notamment la progression des négociations d’adhésion avec la Croatie.

Nous espérons que la Commission pourra, si les toutes les conditions sont remplies, annoncer cet automne une date pour l’achèvement des négociations, ce qui constituerait un signal fort en faveur de toute la région, même s’il convient de souligner que le traité de Nice était adapté aux vingt-sept États et que le cadre de futurs élargissements était un des fondements du traité de Lisbonne.

Le cinquième sujet, ce sont l’Union pour la Méditerranée et le développement de la politique de voisinage à l’Est.

Le Conseil européen abordera la préparation du sommet de l’Union pour la Méditerranée. La participation d’un grand nombre de chefs d’État ou de gouvernement paraît aujourd’hui assurée pour ce qui sera la première réunion dans l’histoire de l’ensemble des États riverains de la Méditerranée, avec quarante-quatre pays.

L’Union pour la Méditerranée marquera une nouvelle étape de la politique de l’Union européenne envers ses voisins du Sud, dans le prolongement du processus de Barcelone. Cette union sera fondée sur une nouvelle gouvernance reposant sur les principes de l’égalité et de la parité entre le Nord et le Sud.

Les discussions entre pays participants font apparaître quatre projets principaux : un plan concernant la dépollution de la Méditerranée, le développement de l’énergie solaire, la mise en place d’autoroutes de la mer, une coopération accrue en matière de protection civile contre les incendies et les catastrophes naturelles et, si possible, une agence de financement des PME. Chacun de ses projets sera à géométrie variable et seuls participeront les pays qui le souhaitent. Ainsi, avant même le début de la présidence française, la Méditerranée est devenue une priorité de l’Union.

Le Conseil européen abordera enfin la proposition suédo-polonaise de « partenariat oriental ». C’est une initiative qui s’inscrit dans le cadre institutionnel et financier actuel que nous soutenons. De notre point de vue, il est important que l’Union développe sa politique de voisinage, tant au Sud qu’à l’Est, sans opposer l’un et l’autre. À cet égard, la présidence française de l’Union européenne mettra un accent particulier sur l’Ukraine, avec laquelle nous organiserons un sommet en septembre en vue de lancer un nouveau partenariat stratégique.

Pour conclure, je voudrais faire un point de situation sur les préparatifs à deux semaines de notre présidence. Où en sommes-nous ?

Les préparatifs des principaux événements avancent bien, sous la houlette du secrétaire général de la présidence française, l’ambassadeur Claude Blanchemaison, qui gère et centralise le budget et coordonne l’organisation. Les premiers rendez-vous du mois de juillet sont calés. Certains d’entre eux revêtent d’ailleurs une importance toute particulière. J’y reviendrai dans un instant.

Mme Christine Albanel, M. Bernard Kouchner et moi-même avons présenté le 3 juin dernier la saison culturelle européenne, qui accompagnera la présidence tout au long du semestre.

Nous accueillerons dans ce cadre la culture et les créations de nos partenaires, partout en France, dans tous les domaines de l’expression artistique. En retour, les Vingt-six accueilleront la culture française. C’est la première fois que l’on se donne les moyens de nos ambitions pour montrer la richesse de nos cultures et partager avec le plus grand nombre de nos concitoyens cette vitalité européenne.

Enfin, les ingrédients traditionnels de communication et d’information sur la présidence française sont prêts : le logo, le site Internet, les systèmes d’accréditation, l’articulation avec les institutions européennes.

Nous aurons, dès le mois de juillet, plusieurs rendez-vous importants en France : le 1er juillet aura lieu à Paris une rencontre des membres du Gouvernement et de la Commission européenne ; le 10 juillet, le Président de la République présentera le programme de la présidence française devant le Parlement européen, à Strasbourg ; le 13 juillet, nous accueillerons à Paris le sommet si important de l’Union pour la Méditerranée, puis se tiendra un sommet avec l’Afrique du Sud à Bordeaux, le 25 juillet.

Sept réunions informelles des ministres auront lieu en France au mois de juillet. Outre les Conseils européens des mois d’octobre et de décembre, la France présidera dix sommets internationaux, notamment avec la Russie, le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Ukraine et le Canada, la plupart étant des pays émergents.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Combien de diplomates mobilisés ?

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation pour l’Union européenne, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a ceux qui n’ont pas confiance dans le projet européen et qui misent sur sa faiblesse.

Ce sont ceux qui se mettent en marge et qui, d’une manière ou d’une autre, chercheront à le réintégrer.

Ce sont également les ultra-libéraux, pour qui le laisser-faire et le libre jeu des marchés et des spéculations servent de stratégie économique et d’influence politique.

Ce sont les ultra-souverainistes, pour qui les chimères des anciens régimes servent de ligne Maginot à un monde bien vivant et toujours plus indépendant.

Ce sont les ultra-technocrates, qui préfèrent voir tout périr que d’abandonner leur dogme si la réalité ne s’y plie pas.

Et il y a ceux dont nous sommes, qui ont résolument confiance.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est beau !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. L’Europe a toujours su trouver un chemin pour surmonter ses difficultés, parce qu’elle a la volonté et l’audace de mettre en œuvre des politiques pour servir le projet européen en dépit des incidents de parcours. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l’Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous savions déjà que la présidence française allait s’exercer dans un contexte économique défavorable, celui du troisième choc pétrolier. Nous savons aujourd’hui que le contexte politique sera lui aussi défavorable.

Après tous les efforts déployés pour repartir sur une bonne base, le « non » des Irlandais est un vrai coup dur. Faut-il critiquer les dirigeants irlandais d’avoir pris ce risque ? En réalité, ils n’y sont pour rien ! La Constitution irlandaise les obligeait à recourir au référendum. J’indique au passage que cela devrait faire réfléchir chez nous les partisans du référendum obligatoire.

Ne cédons pas non plus à la tentation de faire la leçon aux électeurs irlandais : nous sommes particulièrement mal placés pour le faire ! Et ne nous lançons pas dans des constructions imaginaires où l’on voudrait plus ou moins pousser l’Irlande vers la sortie ou bien appliquer le traité sans elle. La révision des traités exige l’unanimité. Pour abandonner cette règle, il faudrait préalablement un accord unanime. Le traité de Lisbonne est avant tout un traité sur les institutions. Or, en matière d’institutions, on ne peut pas faire de la géométrie variable.

On ne peut pas dire que les ministres irlandais au Conseil ou les députés irlandais au Parlement européen vont appliquer le traité de Nice, tandis que les autres appliqueraient le traité de Lisbonne ! Cela ne tient pas debout !

En réalité, pour sortir de cette nouvelle crise, il n’y a guère que deux voies possibles.

La première est de poursuivre la ratification dans les huit pays qui ne se sont pas encore prononcés. Si tous ratifient le traité de Lisbonne, nous pourrons alors reprendre le dialogue avec l’Irlande et voir comment le Conseil européen pourrait prendre des engagements susceptibles de rassurer les électeurs irlandais et de les faire changer d’avis. À ce moment-là, à condition de laisser un peu de temps au temps, un nouveau vote pourrait être organisé. C’est ce qu’il faut espérer, car nous avons besoin du traité de Lisbonne. Il y a des précédents. C’est une solution possible, lorsqu’un seul pays a dit « non ». Tous les autres peuvent alors se tourner vers lui et lui demander s’il veut vraiment, à lui seul, bloquer les progrès voulus par tous les autres.

En l’occurrence, ce ne sera pas une solution facile. D’abord, il faut une justification pour un nouveau vote. Dans le cas du Danemark, en 1992, le résultat avait été extrêmement serré ; dans le cas de l’Irlande, en 2001, la participation avait été très faible. Or, cette fois-ci, la participation a été relativement élevée, 54 %, et le résultat a été relativement clair, 53 %.

M. Robert Bret. C’est sans appel !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Il ne sera pas facile de renverser la tendance.

Ensuite, nous ne savons pas encore si le « non » irlandais sera sans conséquence en Grande-Bretagne et surtout en République tchèque. Le Conseil européen va sans doute nous donner des indications d’ici à la fin de la semaine. Aujourd’hui nous n’avons aucune certitude.

En cas d’échec, il resterait une autre voie. Elle consisterait à mettre quelque temps au second plan le débat institutionnel qui agite l’Europe depuis douze ans et à adopter une attitude plus pragmatique. Après tout, les progrès possibles de la construction européenne ne sont pas tous suspendus à des changements institutionnels. Et nous ne devons pas chercher nécessairement dans une Europe qui compte vingt-sept membres à avancer tous de la même manière. D’ailleurs, nous ne le pouvons plus. Ayons conscience de ce fait, et tirons-en les conséquences !

Prenons l’exemple de la défense. Quand nous nous sommes mis d’accord, au sein de la Convention, sur l’idée de créer une agence européenne d’armement, les États se sont rendu compte que rien n’interdisait de la réaliser d’ores et déjà. C’est ainsi que l’Agence européenne de défense a été lancée, sans attendre la révision des traités. Si, demain, certains États veulent aller plus loin dans la coopération en matière de défense, on voit mal ce qui pourrait les empêcher de le faire.

En revanche, si nous voulons absolument avancer à vingt-sept États, nous aurons toujours des difficultés à faire travailler ensemble, par exemple, une Irlande farouchement attachée à sa neutralité, ce qui est respectable, et ceux qui veulent construire un pilier européen de l’Alliance.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. La situation n’est pas différente en matière de justice et d’affaires intérieures. L’Europe joue un rôle protecteur dans ce domaine. Les accords de Schengen, puis, plus récemment, le traité de Prüm, ou encore l’interconnexion des casiers judiciaires ont montré qu’il fallait savoir avancer à quelques-uns pour faire bouger les choses et faire évoluer les autres États membres.

M. Alain Gournac. Et ainsi de suite !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. En réalité, qu’on le veuille ou non, dans l’Europe à vingt-sept, nous ne ferons de vrais progrès dans l’intégration qu’en acceptant une certaine différenciation, une certaine souplesse.

M. Alain Gournac. Absolument ! Sinon, on ne s’en sortira jamais !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Toutes les possibilités d’action commune dans le cadre actuel sont loin d’avoir été épuisées. Et lorsqu’il y a une réelle volonté d’agir chez un nombre significatif d’États, l’expérience montre qu’on finit toujours par trouver une formule pour avancer.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Il ne faut donc pas céder au découragement. L’idée européenne n’est pas morte à Dublin. J’espère vivement que nous trouverons avec les Irlandais une solution pour sauver le traité de Lisbonne. Mais, si, par malheur, ce n’était pas le cas, il ne faudrait pas pour autant tirer le rideau sur l’Europe, donner des arguments aux ultra-souverainistes et leur faciliter la tâche.

La construction européenne n’a jamais été une marche triomphale. Nous avançons en terrain mouvant, sur des chemins non balisés. Mais le pire serait de s’asseoir en regardant le monde changer et en renonçant à faire partie de ceux qui le façonnent.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, les responsabilités de la présidence française vont se trouver encore accrues. Alors même que les obstacles s’accumulent, il sera encore plus nécessaire d’arriver à des résultats.

Puisque les citoyens doutent, il faut leur montrer que l’Europe est capable de se saisir des grands problèmes de l’heure et de contribuer à les résoudre. Nous devons dire à nos partenaires que, dans le contexte d’une crise concernant les institutions, l’Europe ne peut se permettre de stagner aussi quant au développement des politiques communes. Elle doit montrer son utilité et sa résilience en agissant.

À cet égard, les priorités de la présidence française sont pertinentes. La crise énergétique, la crise alimentaire, le réchauffement climatique sont autant de domaines où la nécessité d’une action commune est évidente, de même que les questions d’immigration et d’intégration.

Nous devons continuer à avancer ; nous devons aussi veiller sur les acquis de cinquante ans de construction européenne, car certains sont menacés.

Je pense, bien sûr, à la politique agricole commune, la PAC, qui se trouve à nouveau accusée de presque tous les malheurs de la planète, et, d’abord, de la crise alimentaire qui sévit actuellement.

Il est consternant d’entendre répéter un tel discours à peu près inchangé depuis vingt ans, alors que la situation que nous vivons aujourd'hui lui apporte, en réalité, un démenti complet.

M. Denis Badré. Exactement !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Que se serait-il passé si nous avions suivi ceux qui préconisaient de démanteler la PAC et d’abolir ce qui subsiste de la préférence communautaire ? La production agricole européenne aurait fortement chuté et, aujourd’hui, les consommateurs européens devraient se fournir sur le marché international. Cela entraînerait une hausse des prix mondiaux encore plus forte, dont les pays les moins avancés seraient les premières victimes. La crise alimentaire serait donc encore plus grave.

Ce fait me conduit à souligner que, quelles que soient nos affinités avec nos amis britanniques, il subsiste malheureusement, sur certaines questions essentielles, un fossé, qui reste à combler. Il était utile de resserrer les liens avec le Royaume-Uni, car, en matière d’action extérieure et de défense, rien n’est possible sans ce partenaire. De même, d’ailleurs, il était utile de se rapprocher des nouveaux États membres, avec lesquels, au-delà des malentendus, nous avons énormément de choses en commun.

Mais ne voyons pas dans ces démarches justifiées une alternative possible au couple franco-allemand, conduisant, en quelque sorte, à le mettre de côté, comme certains l’ont cru après le voyage du Président de la République à Londres.

L’ensemble franco-allemand ou, pour dire les choses autrement, pour employer mon propre jargon, le « fondu enchaîné » franco-allemand reste au cœur de l’Europe élargie. L’histoire comme la géographie lui donnent une capacité de synthèse et d’impulsion qui demeure irremplaçable, comme vous pourriez en témoigner, monsieur le secrétaire d'État, de par vos fonctions.

Même s’il y a inévitablement des hauts et des bas, nous devons garder le cap franco-allemand avec constance. C’est le meilleur moyen de faire en sorte que notre future présidence soit une présidence efficace et utile, ce dont l’Europe a aujourd’hui absolument besoin. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le contexte dans lequel s’inscrira la présidence française ne peut pas ne pas être affecté par les suites du référendum irlandais, comme cela a déjà été indiqué. Mais rien ne serait plus préjudiciable pour l’avenir de l’Union européenne que de tirer des conclusions hâtives de cet événement, qui est une péripétie et non une tragédie.

Il importe, comme l’a fort bien dit M. Haenel, que nous laissions du temps au temps pour rechercher avec nos partenaires une ligne de conduite commune, qui permette à l’Union de fonctionner de manière efficace.

Il appartient à chacun des pays qui doivent ratifier le traité de Lisbonne de faire connaître leur choix. À la fin du processus, le bilan sera tiré et la recherche de solutions concrètes entreprise. Faut-il rappeler que, même à la suite de référendums négatifs survenus en Irlande comme au Danemark, des arrangements, qui ont mis fin au blocage des initiatives européennes, ont été trouvés ?

Pour le moment, nous n’avons qu’une certitude : il n’est pas possible à la fois de dénoncer l’éloignement des réalités par les gouvernants, les élites ou les instances européennes et de se contenter du maintien durable de structures qui empêchent toute décision commune de voir le jour.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Absolument !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Comment nier qu’à vingt-sept il soit très difficile de faire progresser en commun la recherche de solutions à un certain nombre de problèmes ?

M. Alain Gournac. Bien sûr !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Le temps presse. L’Union est assaillie de problèmes et soumise aux tensions les plus contradictoires. Il lui faut aller de l’avant, sous peine de se déliter ou de perdre toute influence dans le monde et toute crédibilité en son sein.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La tâche de la présidence française ne sera pas aisée. Il lui faudra donner corps aux priorités qu’elle a établies et s’efforcer d’obtenir des avancées décisives dans les domaines d’action qu’elle a retenus. Ces priorités reflètent très exactement les défis auxquels l’Union est confrontée. Il faut savoir gré au Gouvernement d’avoir su les présenter.

Ne l’oublions pas, mes chers collègues, c’est en France qu’a été conçu le pari de Pascal. Ceux qui ne parient pas ne perdront pas leur mise, mais ceux qui parient pourront gagner ! Nous pouvons proposer un tel pari à tous nos partenaires.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C’est dans cet esprit qu’il convient d’aborder la présidence française, fondée sur les convictions et non sur la contrainte.

Quelles sont les priorités de la présidence française de l’Union européenne ?

Il s’agit, tout d’abord, d’une Europe qui protège, d’une Europe qui puisse constituer un levier face aux dysfonctionnements de la mondialisation.

Face à la forte hausse du prix des hydrocarbures, qui pénalise en Europe l’ensemble de ses citoyens, son agriculture et son économie, les institutions européennes ne peuvent pas rester inactives. Les inquiétudes dont témoignent les pêcheurs et les transporteurs aujourd'hui appellent une réponse, faute de quoi l’Europe apparaîtra comme étant inefficace. Il faut savoir gré au Président de la République de n’avoir pas hésité à poser les problèmes tels qu’ils sont.

Les citoyens attendent de l’Europe des réponses à leurs préoccupations concrètes. C’est de cette manière que l’Union européenne pourra démontrer son utilité ; à défaut, elle fera preuve de son inefficacité.

Il s’agit aussi d’une Europe qui sache répondre aux nouveaux défis, comme le réchauffement climatique, l’indépendance énergétique ou encore l’immigration et la sécurité face au terrorisme.

Enfin, la dernière priorité sur laquelle je veux insister concerne la place de l’Europe dans le monde et l’Europe de la défense.

J’ai la conviction que le domaine de la politique étrangère et de la défense constitue notre horizon pour l’Europe. C’est là que s’exprime l’attente des citoyens.

Le traité de Lisbonne comporte des avancées importantes sur ces questions, comme la création d’une présidence stable du Conseil européen, la nomination d’un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou encore l’existence d’un service européen pour l’action extérieure.

Toutefois, l’influence de l’Europe dépend moins des mécanismes institutionnels que de la volonté politique des Européens.

L’Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix sur la scène internationale que si une réelle unité existe entre les Européens, condition première d’une politique étrangère commune.

Lors du prochain Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement devraient évoquer la situation des pays des Balkans occidentaux, notamment la mise en place de l’opération EULEX Kosovo.

C’est dans cette région, déjà marquée par de terribles conflits dans un passé récent, que se joue la crédibilité de la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Si l’Union européenne ne parvient pas à apporter des réponses durables pour maintenir la paix et la stabilité sur son propre continent, comment peut-elle espérer jouer un rôle sur la scène internationale et contribuer à régler des conflits ailleurs dans le monde ?

Mes chers collègues, il suffit de fréquenter les instances européennes, de rencontrer les présidents des commissions des affaires étrangères ou de la défense pour se rendre compte de ce que l’Union européenne représente, pour les pays candidats à l’Union européenne, d’espoir de développement et de paix.

Nous savons tous très bien que, sans adhésion à l’Union européenne, la Serbie ne pourra trouver sa place dans les Balkans, une place qui lui permettra d’aller vers la démocratie et la paix.

Je conseille à tous les eurosceptiques de se rendre dans ces pays, pour se rendre compte à quel point l’attente de l’Europe y est forte,…

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. … à quel point ils sont persuadés qu’il n’y a pas d’autre solution ni d’autre avenir pour eux que l’Europe.

Nous qui avons l’expérience de plus de cinquante années d’Europe sommes quelque peu blasés et, pour beaucoup de ces nations, faisons figure d’égoïstes et de nantis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Bien évidemment, les relations avec la rive sud de la Méditerranée représentent un enjeu particulier pour notre pays.

Le projet d’Union pour la Méditerranée, lancé par le Président de la République, devrait constituer un projet important de la présidence française.

Peut-être pourrez-vous nous renseigner tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion de vos réponses à nos interventions, sur l’état d’avancement de ce projet et les réactions des pays de l’autre rive ?

Enfin, la relance pragmatique de l’Europe de la défense doit rester l’un de nos principaux objectifs.

Certes, face aux réticences de certains de nos partenaires, il ne faut pas s’attendre à des avancées spectaculaires. La défense a ainsi certainement joué un rôle dans le « non » irlandais au traité de Lisbonne.

Toutefois, les choses progressent. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques mois, que la Pologne se montrerait désireuse d’aller plus loin dans la voie d’une défense européenne autonome ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Pour progresser, il faut s’inspirer de la méthode de Jean Monnet et réaliser des avancées concrètes créant des solidarités de fait.

L’idée des coopérations structurées permanentes prévue dans le traité de Lisbonne me paraît être adaptée pour développer des projets entre Européens.

Les domaines de coopération ne manquent pas. Je pense, notamment, à la mutualisation de certaines de nos actions en matière de formation ou d’entretien des matériels, au rapprochement de nos industries et aux programmes communs d’équipements.

Nous devons également tenir compte des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l’opération EUFOR au Tchad, en dotant l’Union européenne d’un véritable centre de planification et de conduite des opérations. J’ai bien conscience que ce sera une tâche difficile.

L’Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix sur la scène internationale, à être une puissance dans la mondialisation, que si elle dispose d’une politique étrangère et d’une défense européenne réellement autonome.

Prétendre apporter des réformes définitives aux questions abordées pendant cette présidence serait présomptueux. Renoncer à les traiter serait irresponsable.

Aussi est-ce avec humilité, mais avec détermination, avec courage et avec audace, qu’il faut nous engager.

Nous faisons confiance à l’habileté et à la ténacité du Président de la République pour faire de la présidence française une réussite en dépit d’un environnement difficile. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne, et M. Alain Gournac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai souhaité m’exprimer aujourd’hui sur les enjeux de la politique européenne dans les secteurs de compétences de la commission des affaires culturelles.

J’avais en effet envisagé de répondre à la proposition formulée par le bureau du Sénat en organisant une réunion des commissions chargées de l’éducation, de la recherche, de la culture et de la communication au sein des États de l’Union européenne. Une concertation des responsables européens de ces secteurs stratégiques me paraissait utile, pour ne pas dire indispensable, à l’occasion de la présidence française.

Or, la tenue de cette manifestation supposait l’accord de l’Assemblée nationale, puisque ces réunions sont mixtes. La commission des affaires familiales, culturelles et sociales de l’Assemblée nationale n’a pas souhaité donner suite à cette proposition, ayant retenu le thème du financement de la protection sociale pour une réunion commune avec notre commission des affaires sociales et nos homologues des parlements de l’Union européenne.

La séance d’aujourd’hui est en quelque sorte une session de rattrapage particulièrement bienvenue, dont je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État. Nous savons que le Gouvernement attache une grande importance à la promotion de la culture européenne, comme en témoigne la tenue en novembre prochain du forum d’Avignon, première rencontre mondiale consacrée à la culture, aux médias et à l’économie.

J’évoquerai plus particulièrement quatre points dans les secteurs de compétences qui sont les nôtres.

Tout d’abord, la défense de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur, spécificité bien française héritée de Beaumarchais, reste totalement d’actualité, même si elle est loin de faire l’unanimité chez nos voisins européens.

Je souhaite que le Gouvernement soit vigilant dans ce domaine.

En effet, à l’occasion de la révision des directives concernant le service universel et la protection de la vie privée, la France est apparue très isolée sur ces questions.

Au regard des enjeux pour la défense de la propriété intellectuelle, il est nécessaire qu’une mobilisation politique et diplomatique française s’organise rapidement, afin de sensibiliser et de convaincre nos partenaires européens au Conseil et au Parlement.

Sans l’engagement fort des pouvoirs publics français, qui, par le passé, et quelles que soient les majorités politiques en place, ont toujours apporté à la création et à la diversité culturelle un soutien sans faille, il est à craindre que la chance offerte par la réforme du paquet « télécoms » de consolider le respect du droit d’auteur à l’ère numérique ne soit gâchée.

Les nouveaux moyens, les progrès des technologies sont tels qu’il importe de mettre en place rapidement des mesures enfin efficaces.

Il y va, en fait, de la possibilité de bénéficier d’un cadre européen qui concilie le respect de la vie privée et le droit d’auteur, sans empêcher le développement par les États d’outils permettant de lutter efficacement contre les téléchargements et les piratages illicites.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Voilà !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Il y va également de l’avenir d’une réponse graduée, telle qu’elle a été imaginée, qui constitue une opportunité d’apporter une réplique juste et proportionnée au développement des téléchargements illicites sur Internet et qui a fait l’objet, pour l’instant, en Europe, d’une campagne de dénigrement fondée sur des approximations et débouchant sur des incertitudes.

À l’évidence, un travail de pédagogie et d’explication doit être mené sans tarder.

À cet égard, les résultats de la réunion qui s’est tenue à Luxembourg le 12 juin dernier sont encourageants et un consensus pourrait se dégager sur la proposition de la Commission visant à ce que les opérateurs de télécommunications informent leurs abonnés, avant la signature du contrat, de leurs obligations en matière de droit d’auteur.

La deuxième préoccupation de la commission des affaires culturelles que je tiens à relayer auprès du Gouvernement concerne la réglementation européenne en matière d’audiovisuel.

Le sujet est on ne peut plus d’actualité, chacun ici l’imagine bien, compte tenu des chantiers d’importance lancés par le Président de la République et par le Gouvernement en ce domaine : commission pour la nouvelle télévision publique, réforme des décrets Tasca, réforme de l’audiovisuel extérieur, notamment.

Cependant, il me semble néanmoins important de rappeler que notre pays devra se conformer, mais après l’avoir transposée d’ici à décembre 2009, à certaines dispositions de la directive « Services de médias audiovisuels sans frontières ».

La transposition de toutes les dispositions contenues dans la directive n’est sans doute pas impérative.

Il appartiendra notamment à la représentation nationale de juger de l’opportunité d’assouplir les règles relatives à la publicité pour les services télévisés privés. Cet assouplissement me paraît indispensable et doit être réalisé, pour la santé économique du secteur, dans les meilleurs délais, à la condition de renforcer, bien sûr, dans le même temps, la place du secteur public : la commission des affaires culturelles considère cette démarche comme indispensable.

Le troisième thème que je veux aborder est celui de la reconnaissance des diplômes au plan européen.

La commission des affaires culturelles souhaite que la France s’approprie rapidement le cadre européen des certifications actuellement en cours de finalisation, en positionnant avec clarté ses différents diplômes par rapport aux repères fixés par le cadre.

Même si l’harmonisation des diplômes secondaires suppose à l’évidence encore un long travail, il est nécessaire que les outils d’ores et déjà disponibles soient pleinement utilisés.

Il en va ainsi du portfolio européen des langues, qui définit des niveaux de maîtrise des langues étrangères reconnus partout en Europe.

Nous souhaitons que le ministère de l’éducation nationale aille plus loin encore, en utilisant ce cadre comme référence pour l’évaluation des élèves au baccalauréat.

Enfin, j’évoquerai la question du sport, dont les problématiques sont de plus en plus internationales : dopage, violence dans les stades, organisation des compétitions professionnelles, régulation de l’activité des agents de joueurs et protection des mineurs sportifs sont autant de défis auxquels les États européens ne peuvent répondre qu’ensemble, sous peine d’être complètement débordés.

L’insertion d’une référence au sport dans le traité de Lisbonne est une excellente nouvelle : elle permettra que le sport ne soit pas considéré comme une simple activité économique par la Cour de justice des Communautés européennes.

Toutefois, il faut aussi profiter de la circonstance pour en tirer des bénéfices concrets, et la France doit se saisir de ces questions pour faire avancer ses points de vue.

Elle devrait notamment avoir pour objectif la mise en place d’un fichier européen des interdits de stade, l’ouverture de la négociation sur la question du « 6+5 », c’est-à-dire le rapport du nombre de joueurs français et étrangers dans les équipes de clubs, l’instauration d’une régulation européenne de l’activité d’agent de joueur et la mise en place d’un contrôle de gestion des clubs au plan communautaire.

Au moment où, dans une circonstance politique européenne difficile – M. le président de la commission des affaires étrangères a parlé tout à l’heure de « péripétie », il ne s’agit pas d’un drame –, notre pays va assumer la présidence de l’Union européenne, il me paraissait utile de rappeler ces quelques points d’actualité qui nous concernent.

Je demeure persuadé que nous aurions eu intérêt à rencontrer, sur l’initiative française, nos homologues européens. Cela n’a pas été possible et je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que vous vouliez bien relayer les préoccupations que je viens d’évoquer.

La presse nous apprend que le secrétariat général de la présidence française vient de décider de développer des actions de communication auprès des entreprises, des universités et des grandes écoles. Nous sommes parfaitement en situation ; dans ce domaine, notre contribution a toujours été et sera permanente. Je vous remercie par avance d’être notre porte-parole, aux côtés de vos collègues du Gouvernement concernés, des initiatives et de la volonté de la France dans nos domaines de responsabilité. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer, au nom de la commission des affaires économiques, ma satisfaction de pouvoir aborder, dans cet hémicycle, les questions européennes et la manière dont la France se prépare à une présidence charnière, ponctuée de grands rendez-vous.

Cette présidence intervient en effet à un moment particulier pour l’Union européenne : le traité de Lisbonne, porteur d’une réforme institutionnelle sans précédent, est en cours de ratification et le calendrier européen sera marqué par le renouvellement, en 2009, des institutions européennes.

Dans ce contexte, le « non » irlandais à la ratification du traité de Lisbonne ne doit pas remettre en cause le tempo imprimé à la construction européenne. Cependant, il relance indéniablement le débat sur l’Europe politique et le sens à donner à l’avenir de l’Union européenne.

Il nous rappelle de façon impérieuse que cette construction ne peut se réduire à des documents paraphés compris des seules élites, mais qu’elle doit s’incarner à travers un projet commun ambitieux dans lequel les citoyens européens se retrouvent et auquel ils peuvent adhérer.

Le résultat irlandais ne doit pas mettre un terme aux réformes institutionnelles qui permettront à l’Union européenne de mieux fonctionner avec vingt-sept membres.

Bien au contraire, il nous appartient, sous présidence française, de redoubler de pédagogie vis-à-vis de l’opinion publique afin de lui rappeler tout ce que la construction européenne nous a apporté en termes de paix, de stabilité et de croissance économique partagée.

Au-delà de la question institutionnelle, il nous faut impérativement définir et mettre en œuvre des politiques européennes visibles dans les secteurs qui intéressent le plus les citoyens européens.

Les 19 et 20 juin prochains se tiendra, à Bruxelles, le dernier Conseil européen de la présidence slovène. Les questions économiques à l’ordre du jour concerneront principalement l’énergie et le climat, ces dossiers constituant également des priorités pour la présidence française.

Le 1er juillet prochain, la France prendra donc la succession de la Slovénie, pour un semestre marquant effectivement son retour en Europe comme une force de proposition et d’entraînement, ainsi que l’avait souhaité le Président de la République. Les priorités que celui-ci et le Premier ministre ont fixées pour le second semestre de 2008 intéressent particulièrement notre commission.

À cet égard, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite aborder plus spécifiquement trois dossiers économiques majeurs figurant à l’ordre du jour de la présidence française.

Le premier concerne le paquet « énergie-climat » et la politique énergétique européenne.

La commission des affaires économiques s’est déjà très largement mobilisée à propos de ce dossier, et ce dès la publication des propositions de la Commission européenne le 23 janvier dernier, puisqu’elle a constitué un groupe de travail sur le paquet « énergie-climat », présidé par nos collègues Marcel Deneux et Daniel Raoul.

L’ambition de la présidence française est de parvenir cette année à un accord politique sur l’ensemble de ce paquet.

Des objectifs élevés ont été fixés dans plusieurs domaines : réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020, révision du système communautaire d’échange de quotas de CO2, recours aux biocarburants, répartition entre les États membres de l’effort pour développer les énergies renouvelables.

Ce paquet est un élément clé de l’exemplarité de l’Europe, devant permettre de conforter son rôle moteur dans les négociations internationales sur le climat, en vue de la conférence de Copenhague qui se tiendra en 2009. L’Union européenne devra donc diminuer sa consommation d’énergie et augmenter la part des énergies renouvelables.

Néanmoins, tout en nous inscrivant résolument dans le cadre de la politique européenne de lutte contre le changement climatique, mes collègues de la commission des affaires économiques et moi-même souhaitons attirer l’attention de la présidence française sur la nécessité de prendre en compte la compétitivité des entreprises européennes et de faire reconnaître à l’échelon européen la spécificité de la composition du bouquet énergétique français, particulièrement sobre en carbone en raison de la production d’électricité d’origine nucléaire.

La commission des affaires économiques sera donc particulièrement attentive aux propositions de la présidence française sur ce point, car elle est convaincue du rôle important que l’énergie d’origine nucléaire peut jouer dans la lutte contre le changement climatique. Cependant, je tiens à le dire ici, la France ne pourra pas rester le « château d’eau nucléaire » de l’Europe sans que ce rôle soit effectivement pris en compte, notamment dans l’allocation des quotas.

Au-delà du paquet « énergie-climat », la présidence française fera des propositions en matière de sécurité énergétique concernant à la fois l’Union européenne elle-même et ses relations avec ses partenaires majeurs, notamment la Russie.

Pour la commission des affaires économiques, il est absolument nécessaire d’assurer une meilleure interconnexion entre les pays européens, de rendre les infrastructures accessibles à différents opérateurs et de faire bénéficier le consommateur de meilleurs prix. Toutefois, la libéralisation ne doit pas aboutir à un affaiblissement de nos opérateurs.

Le troisième paquet « énergie », présenté par la Commission en septembre 2007 et qui a fait l’objet d’une résolution du Sénat le 27 mai dernier, a été largement discuté, s’agissant en particulier de la question de la séparation patrimoniale des réseaux de production et de distribution d’énergie. Je me félicite de ce qu’un accord sur les aspects clés de la libéralisation soit intervenu lors du conseil Énergie du 6 juin dernier. Les ministres sont ainsi parvenus à un compromis sur la « troisième voie », option préconisée par la France et moins radicale que la dissociation patrimoniale, ce qui permettra d’éviter le démantèlement de nos grands groupes énergétiques.

Assurer la sécurité des approvisionnements de l’Union européenne sera également l’un des grands axes de la présidence française.

Je me réjouis que la commission des affaires économiques se soit saisie, avec d’autres commissions, de ce sujet capital dès 2006, en l’évoquant dans le rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, présidée par notre collègue Bruno Sido.

Le transport durable fera également partie des dossiers prioritaires de la présidence française, l’objectif principal étant de faire avancer les débats sur l’internalisation des coûts externes du secteur. Notre commission suivra avec attention l’important paquet « greening transport », que doit présenter la Commission européenne le 2 juillet prochain et qui vise notamment la modification de la directive « Eurovignette ». La France tentera de parvenir à un texte de conclusions lors du conseil Transports d’octobre, après le conseil informel qui se tiendra les 1er et 2 septembre prochains à La Rochelle.

L’accord sur les émissions de CO2 des automobiles, intervenu le 9 juin dernier entre le Président de la République et la Chancelière allemande, constitue une avancée importante contribuant à la réalisation de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020.

Je me félicite à cet égard de ce que, dans le cadre des réunions interparlementaires prévues sous la présidence française, nous organisions le 10 juillet prochain, avec la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, une réunion sur le thème des transports et du développement durable. L’implication de ce secteur est en effet essentielle, compte tenu des émissions de gaz à effet de serre qu’il génère.

Le deuxième dossier majeur de la présidence française concerne la politique agricole commune, la PAC.

La commission des affaires économiques suit avec attention l’actualité particulière liée au « bilan de santé » de la PAC, depuis la publication des propositions de la Commission européenne le 20 mai dernier. Elle a ainsi décidé de constituer un groupe de travail sur ce thème, convaincue qu’il ne faut pas attendre 2013 pour discuter de la réforme de la PAC,…

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Bien sûr !

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. … comme l’a rappelé le Président de la République lors de son discours d’inauguration du salon de l’agriculture, le 23 février dernier.

Dans cette perspective, et conformément aux travaux issus du Grenelle de l'environnement, notre commission sera très attentive aux questions relatives à l’environnement, à l’équilibre des territoires ou encore à la qualité alimentaire.

Ces sujets seront également largement abordés les 3 et 4 novembre prochains à Bruxelles, lors de la réunion conjointe des commissions « Agriculture » du Parlement européen et des États membres sur la PAC et la sécurité alimentaire mondiale.

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C’est une chance qu’il faut saisir !

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Le débat ouvert sur la refondation de la PAC doit en effet intégrer une réflexion plus générale sur la question de la sécurité alimentaire mondiale. Il s’agit de tirer les conséquences du contexte actuel, marqué par l’aggravation des déséquilibres alimentaires et la hausse du prix des matières premières, afin de fixer des principes directeurs pour la PAC du futur.

En effet, cette hausse des prix des produits de base est une source d’inquiétudes, tant à l’échelon intérieur, notamment pour les ménages à faibles revenus, qu’à l’échelon international, nombre de pays pauvres étant confrontés de façon dramatique aux effets de la pénurie alimentaire mondiale.

Il faut remettre l’agriculture au cœur des politiques de développement mondial. N’oublions pas non plus l’importance du potentiel agricole européen, qui peut contribuer à résoudre en partie la pénurie alimentaire actuelle.

En toute logique, le Conseil européen des 19 et 20 juin prochains devrait en débattre de manière approfondie et y consacrer un volet spécifique dans ses conclusions.

En outre, la commission des affaires économiques sera très attentive à la situation du secteur des transports et du secteur agricole, et se trouvera également en première ligne sur les questions énergétiques. Elle apportera son total soutien aux actions en faveur de l’efficacité énergétique et plaidera pour le développement de biocarburants de deuxième génération, fabriqués à partir de sous-produits et n’entrant pas en concurrence avec la production alimentaire.

Le troisième dossier économique de la présidence française concerne le secteur des télécommunications.

La réforme du cadre réglementaire des communications électroniques de l’Union européenne sera l’un des dossiers majeurs pour la France, qui souhaite favoriser la conclusion d’un accord politique lors du conseil Télécommunications du 27 novembre prochain.

La Commission européenne a en effet proposé, le 13 novembre 2007, un nouveau paquet « télécoms », afin de réformer le cadre réglementaire actuellement applicable aux réseaux et services de communications électroniques. Ces propositions ont d’ailleurs fait l’objet d’une résolution du Sénat présentée par la commission des affaires économiques, ce dont je me félicite.

La présidence française sera l’occasion de dégager des solutions de compromis sur le projet de libéralisation de la gestion des radiofréquences, ainsi que sur la proposition de création d’un régulateur européen des télécommunications, que les États membres ont refusée lors du Conseil européen du 12 juin dernier.

Je tiens à saluer, à cet égard, le travail réalisé par notre collègue Pierre Hérisson, qui a déposé un rapport sur ces sujets le 21 mai dernier. Je considère, comme lui, que la séparation fonctionnelle du réseau de l’opérateur historique ne doit constituer qu’une mesure exceptionnelle de dernier ressort.

La commission des affaires économiques se mobilisera pour combler le fossé numérique entre les villes bien pourvues en haut débit et les parties de l’espace rural délaissées par les opérateurs. À cet égard, elle plaidera pour l’extension, à l’échelle de l’ensemble de l’Union européenne, du « service universel » à l’internet haut débit et à la téléphonie mobile.

Pour conclure, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaiterais simplement vous faire part de mon « euro-optimisme » concernant le retour de la France sur la scène européenne.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Il y a une attente importante, à l’égard de notre pays, pour promouvoir une Europe dynamique, porteuse de croissance et de création d’emplois, ainsi que d’un mieux-être environnemental. Je suis convaincu que le Sénat, représentant des collectivités territoriales, saura, par son expertise, apporter sa contribution. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, le « non » cinglant du peuple irlandais au traité de Lisbonne, qui rend ce texte caduc, constitue un cuisant revers pour le Président de la République, lequel se targuait d’être à l’origine de ce traité et de la prétendue relance européenne.

En ce sens, le résultat du référendum irlandais met fin à l’opération médiatico-politique orchestrée avec beaucoup d’emphase – on s’en souvient ! – par l’Élysée.

Il s’agit également d’une réponse cinglante à tous les tenants de la ratification par voie parlementaire d’un traité qui n’est que la copie de la défunte constitution européenne, fermement rejetée par les peuples français et néerlandais en 2005.

Rappelons-nous : après deux ans de cogitation, un avatar de l’ex-traité constitutionnel, nommé « mini-traité », « traité simplifié », puis « traité modificatif », avait été élaboré.

Cette élaboration, organisée par les États membres sans consulter ni informer les citoyens européens, avait été particulièrement rapide, puisqu’elle s’était échelonnée entre le mois de mai 2007et la mi-octobre de la même année.

Ensuite, la signature du traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007, avait marqué le « top » du départ de la course à la ratification. Les chefs d’État et de gouvernement s’étaient alors entendus pour contourner les peuples, en s’assurant que les ratifications parlementaires soient préférées aux consultations populaires.

Or, chacun doit bien comprendre que l’utilisation de la démocratie représentative pour échapper à l’expression directe du peuple dénature le rôle du Parlement, qui se trouve alors instrumentalisé par l’exécutif.

Toutefois, les dirigeants européens ne s’en sont pas souciés : le traité de Lisbonne devait passer coûte que coûte, et à n’importe quel prix… démocratique !

Aussi vingt-six États membres sur vingt-sept ont-ils décidé de ratifier le traité de Lisbonne par la voie parlementaire. Seul le gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, puisque la constitution de la République d’Irlande lui en faisait obligation. On en connaît le résultat : les Irlandais ont rejeté ce texte par 53,4 % des suffrages, avec un taux de participation qui s’est élevé à 53,1 %. C’est sûrement ce que M. de Rohan appelle une « péripétie » ; pour moi, c’est un résultat sans appel !

Depuis, la cacophonie règne au sein de l’Union européenne. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a estimé malgré tout que « les ratifications qui restent à faire devraient continuer à suivre leur cours ».

Or, mes chers collègues, le vote n’a pas une signification purement nationale. Les citoyens irlandais se sont aussi exprimés au nom des autres peuples européens, privés de leur droit à l’expression directe de leur volonté. (M. le président de la commission des affaires économiques fait un signe de dénégation.) En effet, contrairement à ce que nous avons pu entendre et lire ces derniers jours dans les médias nationaux, les Irlandais ne sont pas des ingrats, et encore moins des ignares. Ils ont, en toute connaissance de cause, repoussé une Europe dévouée aux lois du marché, au patronat et à la finance. (M. Aymeri de Montesquiou exprime son scepticisme.)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. À quoi faites-vous allusion ?

M. Robert Bret. En témoigne l’accord trouvé entre les dirigeants européens à la veille du référendum irlandais – faut-il y voir un lien ? – sur la durée maximale hebdomadaire de travail pour les salariés. Si la durée légale hebdomadaire restera de 48 heures au maximum, on pourra travailler jusqu’à 60 ou 65 heures par semaine. (M. le président de la délégation pour l'Union européenne s’exclame.)

La durée du travail pourra donc continuer à s’allonger partout en Europe, jusqu’à ce que l’on atteigne la limite de la résistance des travailleurs.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Non !

M. Robert Bret. L’argument du mépris, selon lequel 3 millions d’électeurs ne sauraient entraver la marche de 450 millions d’Européens, ne résiste pas non plus à l’analyse. La vérité, c’est que si des consultations populaires étaient organisées dans d’autres pays de l’Union européenne, le « non » l’emporterait quasiment partout.

En France, le déni de démocratie dont Nicolas Sarkozy s’est rendu coupable lui revient aujourd’hui en pleine face, comme un boomerang. Le ciel irlandais lui tombe sur la tête au moment où la France doit assurer la présidence tournante de l’Union, jusqu’à la fin de l’année 2008.

Si le « non » irlandais constitue un camouflet pour Nicolas Sarkozy, il est également un sérieux désaveu pour la direction du parti socialiste, qui, en prônant l’abstention au congrès de Versailles, le 4 février dernier, a facilité la tâche du Gouvernement (Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.), alors qu’il était possible à la gauche unie de contraindre le Président de la République à consulter notre peuple.

Aujourd’hui, force est de constater que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, escomptée au 1er janvier 2009, ne peut intervenir. En effet, il convient de rappeler que, sur le plan juridique, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est subordonnée à sa ratification unanime par les vingt-sept États membres de l’Union. Chacun d’entre eux détient un droit de veto ; en votant « non », les Irlandais ont clairement exprimé leur refus.

Le traité de Lisbonne est donc caduc. Alors que nous allons commencer à débattre, cet après-midi, de la réforme constitutionnelle, il convient dès à présent d’abroger l’article 88-1 de la Constitution et la loi constitutionnelle du 4 février 2008.

Par ailleurs, les dirigeants européens sont bien obligés d’admettre que la crise démocratique que traverse l’Union européenne n’est pas résolue. Au contraire, la crise de légitimité du modèle actuel de construction européenne ne cesse de s’étendre et de s’exacerber.

Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, mesurez-vous qu’il n’y aura pas d’avenir pour l’Union européenne si vous continuez de rester sourds aux exigences des peuples européens ? Vous persistez dans une voie que les citoyens européens ne veulent pas emprunter. C’est le moment d’en changer.

Aussi la présidence française qui s’ouvrira dans quelques jours ne peut-elle se limiter à « prendre acte de la décision démocratique des citoyens irlandais », et encore moins à « poursuivre le processus de ratification », comme Nicolas Sarkozy et la Chancelière allemande Angela Merkel l’ont déclaré dans un communiqué commun.

La juste réponse à apporter lors du prochain Conseil européen de Bruxelles ne consiste certainement pas à décider de faire revoter les Irlandais, comme ce fut le cas en octobre 2002 après qu’ils eurent rejeté, en juin 2001, le traité de Nice.

Non, l’Union européenne n’a surtout pas besoin d’un rafistolage juridique, et encore moins d’une Europe à plusieurs vitesses, comme le propose M. Hubert Haenel.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Je n’ai jamais dit ça !

M. Robert Bret. La prochaine présidence française a le devoir de proposer l’arrêt du processus de ratification et d’engager l’élaboration d’un nouveau traité fondateur de l’Union européenne sur de tout autres bases, rompant avec les logiques libérales qui la conduisent de crise en crise.

Nous suggérons très concrètement que le Président de la République fasse la proposition aux autres chefs d’État et de gouvernement de convoquer l’ensemble des parlements nationaux pour qu’ils organisent le débat en leur sein et avec les populations. Il faut que ce travail permette d’entendre enfin la voix des peuples, qu’il s’ouvre à la vie réelle, à la participation active des citoyens européens. Il faut que le « non » irlandais porte la promesse d’un nouvel avenir pour l’Europe.

Pour ce faire, la présidence française de l’Union doit travailler en étroite collaboration avec ses partenaires, sans arrogance et dans l’intérêt des peuples de l’Europe, qui ne veulent plus être exclus de la construction européenne.

Sur le fond, les thèmes qui seront abordés lors du Conseil européen recoupent les « priorités européennes » fixées par Nicolas Sarkozy : la politique de l’immigration, la politique en matière d’énergie et la lutte contre le changement climatique, l’évaluation de la politique agricole commune, la défense européenne. Chacun de ces thèmes correspond à des politiques mises en œuvre aujourd’hui par l’Union européenne, politiques qui négligent l’intérêt des peuples, suscitant des rejets et de fortes mobilisations des salariés européens : c’est précisément là tout le message du « non » irlandais.

J’évoquerai brièvement chacun de ces thèmes.

Tout d’abord, la France souhaite progresser vers une politique européenne commune en matière d’immigration, la question sensible de l’immigration clandestine constituant sa principale priorité.

Comme l’a souligné un diplomate, depuis le retour au pouvoir de M. Silvio Berlusconi en Italie, M. Sarkozy n’est plus considéré comme un extrémiste essayant de tenir à distance les immigrants. Dès lors, le couple Sarkozy-Berlusconi, qui prône la mise en place de systèmes sophistiqués de contrôle policier, ainsi que le recul de la politique d’asile et d’immigration, pour « protéger », affirme-t-il, l’Europe contre les immigrés, semble succéder au couple franco-allemand. Cela témoigne de l’état de la construction européenne et de la vision de celle-ci par le Président de la République !

À cet égard, nous souhaitons réaffirmer notre opposition à toute tentative visant à créer une « Europe forteresse » en mobilisant tout un arsenal juridique, policier, militaire et technologique contre les immigrés, au mépris des droits et libertés fondamentaux.

À ce titre, la proposition de directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, déposée le 1er septembre 2005 par la Commission européenne, nous paraît particulièrement préoccupante. Ce texte, fondé sur la volonté de mettre en place « une politique efficace d’éloignement », relègue au second plan les droits humains des personnes en instance d’éloignement. L’esprit répressif qui le sous-tend est très inquiétant, à l’heure où de graves atteintes aux droits de l’homme sont commises lors de la mise en œuvre de processus de rétention et d’expulsion. Comme pour de nombreux autres textes relatifs à l’harmonisation des politiques en matière d’immigration et d’asile, l’Union européenne opte, une fois de plus, pour une harmonisation « par le bas », qui ne retient que le plus petit dénominateur commun.

Notre groupe a déposé, le 11 juillet 2006, une proposition de résolution sur ce projet de directive, mais la procédure décisionnelle communautaire continue de se dérouler sans tenir compte des protestations qui s’élèvent contre le texte.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. C’est pour cela qu’il faut le traité de Lisbonne !

M. Robert Bret. Ce traité accentue encore ce travers !

La proposition de directive dite « retour » a été dernièrement modifiée et adoptée par le Comité des représentants permanents le jeudi 22 mai 2008. Cette dernière version, qui sera soumise au vote du Parlement européen le 18 juin prochain, est extrêmement alarmante.

En effet, alors que demeurent les trois points majeurs qui posaient problème, à savoir la durée de détention pouvant atteindre dix-huit mois, la détention des mineurs accompagnés et l’interdiction de revenir sur le territoire de l’Union européenne pendant cinq ans, des dispositions nouvelles apparaissent dans le texte, qui prévoit désormais la détention et l’éloignement des mineurs isolés, le renvoi des migrants illégaux dans leur pays d’origine, mais aussi vers un pays de transit, même s’ils n’ont aucun lien avec ce dernier, une réduction drastique des possibilités de départ volontaire, le délai précédant un départ volontaire pouvant être réduit à sept jours, ainsi que l’absence d’obligation, pour les États membres, de fournir une aide juridique gratuite.

S’agissant de la mise en œuvre d’un partenariat avec les pays du Sud, la présidence française souhaite mener un processus de rapprochement entre l’Union européenne et ses voisins méditerranéens avec le lancement, le 13 juillet prochain, d’une Union pour la Méditerranée.

Nicolas Sarkozy, initiateur de ce projet, a été contraint de réviser à la baisse son ambition initiale, à la suite de la fronde de certains de ses partenaires européens. Ce projet consistera essentiellement à redynamiser un processus de Barcelone amorphe. Les vingt-sept États membres seront parties prenantes de ce partenariat, que le budget communautaire ne financera pas et qui, sur le fond, ne semble pas à la mesure des enjeux régionaux.

Ainsi, le conflit israélo-palestinien est crucial en Méditerranée et fragilise toute la région. Comment mettre en œuvre des projets ambitieux dans une zone aussi profondément déstabilisée ? Mon sentiment est que la résolution du conflit israélo-palestinien est un préalable à la réalisation des projets de coopération envisagés, qu’il s’agisse de la dépollution de la Méditerranée, du plan solaire ou de l’accès à l’eau…

La question du positionnement de l’Union européenne par rapport au conflit israélo-palestinien est centrale. Sans un engagement européen résolu sur le terrain politique, rien ne se résoudra sur le fond. L’attitude européenne sur cette question est peut-être le critère décisif du succès ou de l’échec de toute tentative de relance du partenariat euro-méditerranéen.

Or le projet de renforcement des liens entre l’Union européenne et Israël, tendant à conférer à Israël un statut de quasi-membre de l’Union européenne, ne peut que susciter notre vive réprobation.

Lancé en mars 2007, à la demande de la ministre des affaires étrangères israélienne Tzipi Livni, ce projet vise à aboutir à une révision à la hausse de l’accord d’association signé en 2000 qui définit le cadre de la coopération entre les deux partenaires. Israël ne demande rien de moins qu’une intégration renforcée dans le marché unique et les institutions européennes, avec la présence des ministres israéliens lors des Conseils européens, la participation d’experts israéliens à l’ensemble des programmes et des groupes de travail européens, qu’ils portent sur des questions de sécurité et de dialogue stratégique ou sur des questions relatives à l’économie, aux finances, à la jeunesse. Cela équivaudrait bien, monsieur le secrétaire d’État, à conférer à Israël un statut de quasi-membre de l’Union européenne.

Pour faire aboutir ce projet, des négociations se déroulent dans le plus grand secret, depuis maintenant un an, sans consultation ni information du Parlement européen et des parlements nationaux. Si ce projet se concrétisait, alors même qu’Israël continue de mener sa politique en toute impunité, au mépris des droits de l’homme et du droit international, cela remettrait gravement en cause la crédibilité de l’Union européenne et sa capacité à jouer un rôle politique actif dans la région. Cette politique du « deux poids, deux mesures » à laquelle est en train de céder l’Union européenne est inacceptable !

Quant au lancement de l’Union pour la Méditerranée, prévu le 13 juillet à Paris, il s’annonce des plus incertains. Plusieurs dirigeants arabes sont encore indécis et demandent des clarifications s’agissant de l’entrée d’Israël dans la future instance.

En ce qui concerne maintenant la consommation d’énergie, on estime qu’elle devrait croître de près de 52 %, à l’horizon de 2030, par rapport à ce qu’elle était en 2003. Selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie, les importations devront couvrir près de 70 % des besoins en énergie de l’Europe en 2030, contre 50 % actuellement. Cela pose notamment la question du développement de la production énergétique, ainsi que celle de la sécurité d’approvisionnement.

En ce domaine, la priorité a été donnée à l’ouverture à la concurrence, ainsi qu’au démantèlement des opérateurs historiques. Où en est-on ? Jusqu’à présent, la libéralisation des secteurs du gaz et de l’électricité par les directives européennes successives a surtout accéléré leur concentration entre les mains de quelques grands groupes et favorisé le remplacement des monopoles publics par des monopoles privés.

S’agissant des tarifs, le recours accru au marché spot ainsi que l’interdiction faite aux États membres de garantir des tarifs réglementés, considérés comme des barrières inadmissibles à l’accès aux marchés, ont engagé le cycle d’une hausse généralisée du coût de ce bien de première nécessité.

Nous voyons donc bien que les vertus conférées au marché libre ne sont pas réelles. Bien au contraire, la sécurité d’approvisionnement est menacée et le droit d’accès pour tous à l’énergie n’est pas garanti. Les auteurs du rapport de la mission commune d’information sénatoriale sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver ont ainsi estimé que cette sécurité ne pouvait être obtenue sans maîtrise publique, notamment au regard de la situation géopolitique internationale et du contexte d’épuisement des ressources.

À cet égard, si nous sommes satisfaits de la décision de l’Union d’engager des négociations avec Moscou sur un nouvel accord de partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, nous pensons malgré tout qu’il ne s’agit pas d’une solution suffisante pour garantir la sécurité d’approvisionnement.

Sur le fond, nous souhaitons la mise en œuvre d’une politique européenne de l’énergie, fondée sur la coopération entre États membres et la reconnaissance d’un véritable service public assurant sécurité d’approvisionnement, égalité d’accès pour tous à l’énergie et respect des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’augmentation de la demande d’énergie, l’envol des prix pétroliers et le réchauffement planétaire confirment également l’urgence de développer les énergies renouvelables et de respecter les engagements que nous avons pris au travers du protocole de Kyoto.

Si nous approuvons les objectifs ambitieux inscrits dans le nouveau paquet « énergie-climat », à savoir une réduction de 20 % des émissions de CO2 d’ici à 2020 par rapport à leur niveau de 1990 et la production d’un minimum de 20 % de notre énergie à partir de sources renouvelables, les biocarburants devant représenter au moins 10 % du total, nous estimons que la question fondamentale est celle du système de production et de son organisation. Le développement du recours à des sources d’énergie propres permettant de répondre aux besoins et la reconnaissance de la place spécifique du nucléaire dans notre bouquet énergétique nous paraissent primordiaux.

Cela étant, le recours massif aux biocarburants, bien qu’il ait indéniablement des effets positifs, notamment au regard du réchauffement climatique, est de plus en plus fortement contesté. En effet, plus les surfaces cultivées sont réaffectées à des cultures vouées à la production de bioéthanol ou de carburant pour voitures propres, plus les récoltes de plantes nourricières se trouvent réduites et plus les prix des denrées augmentent, du fait de leur rareté.

Aussi me paraît-il opportun, comme l’a préconisé Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, d’imposer un moratoire, c’est-à-dire une suspension pendant cinq ans de toutes les opérations destinées à produire du biocarburant à partir de denrées alimentaires, afin d’évaluer les conséquences de cette production sur l’exercice du droit à l’alimentation ainsi que sur les autres droits sociaux et environnementaux.

En ce qui concerne la PAC, si nous reconnaissons l’importance de cette politique, nous savons également qu’elle engendre des effets pervers, comme en témoigne la situation française : les grandes exploitations sont favorisées, au détriment des petites et moyennes. Quant à l’agriculture des pays du tiers monde, elle est affectée par le maintien des aides à l’exportation.

L’actualité dramatique nous rappelle toutefois que l’alimentation reste un enjeu vital, un secteur que l’on ne peut abandonner aux lois du marché. Alors que le sommet mondial sur la sécurité alimentaire de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture s’est achevé le 5 juin dernier à Rome, aucun consensus n’a émergé à propos des mesures à prendre pour compenser l’effet de la flambée des prix du maïs, du riz et du blé, dont personne n’avait prévu la pénurie.

Ce fut, il est vrai, l’occasion de beaux discours. Les pays se sont entendus sur des promesses de dons pour plus de 6 milliards de dollars, mais n’ont pris aucune résolution sur le plan structurel. Rien n’a été décidé, monsieur le secrétaire d'État, car il n’y a aucune coordination à l’échelle mondiale. Seulement 4 % de l’aide publique mondiale et 1 % des prêts de la Banque mondiale sont affectés à la sécurité alimentaire !

Aussi sommes-nous favorables à la mise en place d’une organisation mondiale de l’agriculture. Il est, en effet, impérieux de répartir la production agricole et de lutter contre la pauvreté dans les pays en développement. Une organisation mondiale de l’agriculture pourrait réguler les prix agricoles, extrêmement volatils d’une année à l’autre, et éviter la spéculation qui affecte déjà les prix de l’énergie. L’agriculture doit réellement être gérée à l’échelon mondial. Les États doivent cesser de mener des politiques égoïstes dans ce domaine.

S’agissant de la défense européenne, à la veille de la présidence française de l’Union européenne, la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire de l’OTAN laisse peu de crédibilité à l’idée d’une Europe de la défense réellement autonome.

Cela éclaire les positions que nous avions déjà défendues lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous avions interpellés ici même, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l’OTAN. Nous l’avions dit alors, pour définir une politique de sécurité et de défense commune digne de ce nom, il serait grand temps de lever toute ambiguïté concernant la position de l’Union européenne à l’égard de l’OTAN.

Or le traité de Lisbonne, comme les textes précédents, dit une chose et son contraire au travers de formules alambiquées, met en avant la défense européenne tout en proclamant une nécessaire compatibilité avec l’OTAN. On ne peut que déplorer le manque d’ambition de l’Europe en matière d’autonomie politique et craindre la perte de notre image d’indépendance dans le monde.

Ces orientations sont malheureusement confirmées par les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui sont présentées aujourd’hui même par le Président de la République aux cadres militaires.

Il faudrait donc concevoir autrement la sécurité, en s’attaquant, par exemple, aux causes des tensions et des conflits.

Ainsi, le pillage des ressources naturelles, qui a pris une dimension systématique dans le cadre de la mondialisation, s’est fortement accéléré lors de cette dernière décennie. Les conflits pour leur appropriation s’exacerbent. Contrairement aux apparences, ils ne constituent pas des conflits locaux entre pays du Sud, mais sont souvent étroitement liés aux pays du Nord ou encore à des pays émergents, comme la Chine. L’Europe, directement concernée, se doit d’agir, monsieur le secrétaire d'État. Il y a urgence à mettre en place d’autres rapports avec les pays du Sud pour aller dans le sens d’un développement qui soit durable, renouvelable sur le plan écologique, générateur de progrès social et de développement humain.

En conclusion, le résultat du référendum irlandais atteste, une nouvelle fois, que lorsque les peuples en ont la possibilité, ils refusent l’actuelle construction européenne, celle que l’on veut leur imposer.

L’Europe, monsieur le secrétaire d'État, sera celle des peuples ou ne sera pas. Le message adressé par les Irlandais, après celui des Français et des Néerlandais en 2005, doit être pris en considération de manière urgente. C’est un appel pressant pour que l’Europe devienne enfin un espace de progrès social et de solidarité, un espace promoteur de paix et de sécurité.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on avait cru l’Europe sortie de l’impasse dans laquelle elle se trouvait depuis des années. Après s’être perdue dans un débat institutionnel sans fin, on l’avait sentie prête, enfin ! à avancer sur des projets concrets. La présidence française de l’Union européenne s’annonçait sous des auspices favorables et devait se dérouler sans accroc.

Le « non » de l’Irlande au traité de Lisbonne vient, hélas, de briser cet élan d’optimisme. On peut, certes, considérer que l’Europe, toute couturée de cicatrices et maintes fois raccommodée, peut avancer vaille que vaille. Néanmoins, ce « non » traduit une inquiétude qui n’est pas propre aux Irlandais. Gageons que si la ratification du traité de Lisbonne avait été, dans d’autres pays, soumise au vote des peuples, elle aurait peut-être reçu le même accueil. Les citoyens européens se méfient des conférences au sommet et préfèreraient qu’on les écoute. Ils se sentent, en effet, très étrangers à la manière dont on construit l’Europe.

Nous avons notre part de responsabilité dans cette situation. Depuis trop longtemps, nous, responsables politiques, sommes dans l’incapacité de faire adhérer les peuples aux finalités de l’Europe, de donner du sens à cette union difficile, compliquée.

En France, au lieu de dire à nos concitoyens : « voilà ce que nous pouvons faire ensemble de grand », on leur a répété inlassablement : « nous n’y pouvons rien ». Attention : il ne faut pas que le peuple devienne l’ennemi numéro un de l’Europe !

Cela dit, un espoir point : il y a aujourd’hui une volonté, partagée par la plupart des pays, de poursuivre le processus de ratification du traité de Lisbonne. La France et l’Allemagne se sont déjà exprimées en ce sens dans une déclaration commune et, cette fois-ci, le Royaume-Uni semble décider à aller jusqu’au bout. L’attitude de ce pays est évidemment capitale, car elle constitue l’une des principales hypothèques pesant sur le traité.

Faisons un point, monsieur le secrétaire d’État : quel est l’état d’esprit de nos partenaires à la veille du Conseil européen ? Après la visite du Président de la République en République tchèque, pensez-vous que la ratification du traité par ce pays, plutôt eurosceptique, soit acquise ?

Je crois pour ma part que, malgré cette très forte déconvenue, il faut conserver ce traité de Lisbonne, qui donne des moyens d’action renouvelés à l’Europe. Il faut, certes, prendre acte de la décision démocratique des citoyens irlandais avec tout le respect qui lui est dû, mais il sera plus facile, le moment venu, d’aménager quelques clauses d’opt-out pour l’Irlande que de renégocier demain un énième traité à vingt-sept.

Quoi qu’il en soit, cet incident risque de bouleverser le programme de la présidence française, qui devait, en effet, préparer la mise en œuvre du traité de Lisbonne, censé entrer en vigueur le 1er janvier 2009.

Sera-t-il toujours question de discuter des attributions et des modalités de désignation des deux nouvelles autorités prévues par le traité, à savoir le président stable du Conseil européen et le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ?

Même si cette question n’est plus à l’ordre du jour, je m’interroge sur leurs attributions respectives. On comprend bien la mission du Haut représentant, qui s’apparente à celle d’un ministre des affaires étrangères et s’appuiera sur le futur service européen d’action extérieure. Du fait de sa « double casquette », il bénéficiera, au travers de son appartenance à la Commission européenne, de l’onction du Parlement européen, source de légitimité qui le rapproche du président de cette institution et du président de la Commission.

La plus grande inconnue reste la place effective que tiendra le président du Conseil européen. Paradoxalement, s’il est censé être le « monsieur Europe » ou la « madame Europe », il n’aura ni la légitimité démocratique ni les moyens du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union.

De plus, le risque de chevauchement des responsabilités et de rivalités entre les quatre autorités futures de l’Union est grand : on peut craindre qu’il ne nuise à l’action commune.

Nous n’en sommes évidemment pas là. Si le vote irlandais ajoute une difficulté majeure à la mise en œuvre du traité de Lisbonne, gardons à l’esprit que ce traité est un cadre. L’Union peut, et surtout doit, acquérir une dimension politique et une présence plus volontaire dans la mondialisation, avec ses institutions actuelles.

Il appartiendra à la présidence française et aux suivantes de fortement élever le niveau d’ambition en proposant des politiques nouvelles. En effet, les défis qui attendent l’Union européenne à vingt-sept sont considérables.

Nous avons ainsi à faire face au défi des délocalisations de nos industries et de nos services, au défi généré par la fragilité du système financier international, comme nous venons de le voir avec la crise des subprimes, au défi de l’augmentation des flux migratoires, au défi de la sécurité énergétique, aux défis du développement durable et du réchauffement climatique.

Plus que jamais, pour répondre à ces questions, nous avons besoin de l’Europe. Plus que jamais, nous avons besoin de regrouper nos forces et d’unifier nos conceptions, à la fois pour protéger nos citoyens et pour participer à la construction d’une mondialisation qui soit plus équilibrée, qui soit plus éthique, qui respecte davantage les individus. En résumé, que pouvons-nous faire sans l’Europe ?

La présidence française s’est fixé quatre priorités : la lutte contre le réchauffement climatique, l’immigration, la sécurité énergétique, et enfin la politique de défense et de sécurité.

J’interviendrai sur les deux derniers aspects.

Bien que le secteur de l’énergie soit aux origines de la construction européenne, avec les traités instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la CECA, et Euratom, il n’existe pas aujourd’hui, à proprement parler, de politique énergétique commune.

Pourtant, les menaces sont là.

Il y a d’abord la menace environnementale, avec le réchauffement climatique. L’Union européenne a pris en compte la nécessité de réduire la production de gaz à effet de serre.

Il y a ensuite la menace sur les approvisionnements en énergie. L’Europe est aujourd’hui dépendante à 50 % de sources situées dans des zones instables, telles que le golfe Persique, le Caucase et la Russie, ou plus loin encore.

Il y a enfin la menace sur la compétitivité de l’Union européenne, faute d’une recherche suffisante qui permettrait de fabriquer les produits du futur, économes en énergie et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre.

Le paquet « énergie-climat » de 2007 traduit, certes, un certain consensus des États membres sur cette question, mais aussi leurs hésitations à mettre en place une véritable politique de l’énergie. Il n’existe pas de véritable solidarité sur laquelle chaque pays puisse compter. L’Europe doit absolument accroître son efficacité énergétique, diversifier et sécuriser ses sources d’énergie, ainsi que les itinéraires de transport.

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, les importations d’énergie de l’Union européenne sont assez bien réparties, même dans le cas du gaz naturel, souvent présenté comme une cause de grande inquiétude. L’Union importe, en réalité, le quart de sa consommation de la Russie. Comme le répètent à juste titre les responsables russes, l’approvisionnement en gaz de cette origine a toujours été garanti à l’Europe occidentale depuis trente ans, même dans des périodes particulièrement troublées pour Moscou. Pourtant, la dépendance européenne à l’égard du gaz russe est généralement présentée comme l’exemple même des risques qui pèsent sur la sécurité énergétique de l’Union.

Même si les événements récents en Ukraine et au Belarus ont donné à craindre que la Russie ne veuille utiliser les exportations de gaz comme un levier politique, même si ces craintes sont avivées par l’attitude du gouvernement russe, qui ne fait pas mystère de sa proximité avec l’équipe dirigeante de Gazprom et de son souci de renforcer le monopole de cette compagnie, les contrats ont toujours été respectés par la Russie.

Nous devons donc reconnaître la fiabilité de notre fournisseur et la chance qu’a l’Europe d’avoir un voisin aussi proche disposant de réserves aussi considérables. On ne peut se passer du gaz russe. Le rapport Mandil comporte d’excellentes propositions visant à rendre à l’Europe des marges de manœuvre à l’égard de ses fournisseurs, en particulier de son fournisseur russe. Quelles suites comptez-vous lui donner ? Je partage totalement l’analyse de son auteur lorsqu’il affirme que, trop souvent, l’attitude de l’Europe à l’égard de la Russie dans le domaine énergétique est celle du donneur de leçons. L’Union européenne oublie, d’une part, que la Russie est un pays souverain, et que, d’autre part, notre position obéit souvent au principe suivant : « faites ce que je vous dis, mais ne faites pas ce que je fais ».

Au-delà de bons rapports avec nos amis russes, il existe des solutions internes : d’abord et avant tout, consentir un effort en matière d’efficacité énergétique beaucoup plus intense que celui qui a été mis en œuvre jusqu’ici. L’Union s’est donné un objectif incertain de réduction de 20 % des émissions de CO2 d’ici à 2020. Il ne suffit pas de fixer un objectif pour qu’il soit atteint ! Il faut aujourd’hui arrêter concrètement les politiques et les mesures qui permettront à l’Union d’obtenir cette réduction de ses émissions de dioxyde de carbone le plus rapidement possible. Une politique énergétique d’une efficacité accrue est de nature à infléchir la demande globale d’énergie et à faire en sorte que celle-ci puisse être couverte par l’offre.

Comment ne pas rappeler aussi que l’énergie nucléaire est un substitut évident à l’utilisation du gaz pour produire de l’électricité ? La fermeture prématurée, donc absurde, de centrales nucléaires sûres et en bon état de fonctionnement va précisément à l’encontre du résultat visé.

Enfin, les énergies renouvelables jouent naturellement un rôle semblable, mais il ne paraît pas raisonnable de relever l’objectif déjà très ambitieux que l’Union s’est donné dans ce domaine.

Il est certain, en outre, que les faiblesses de la politique européenne de sécurité et de défense fragilisent la mise en œuvre d’actions stratégiques communes dans le secteur de l’énergie.

Cette politique est d’ailleurs une des autres priorités de la présidence française.

Nous sommes tous conscients de l’importance que revêt, pour l’Europe, l’existence d’une véritable politique étrangère et de défense qui soit à l’image de sa puissance démographique et économique. Or, soyons réalistes, cette politique n’existe pas aujourd’hui !

Toute avancée dans ce domaine suppose d’abord une rénovation de l’OTAN, dont les objectifs ne consistent plus à s’opposer à un Pacte de Varsovie qui a disparu, et une redéfinition du partage des tâches entre cette organisation et l’Union européenne.

Tant que nous n’aurons pas accompli cette démarche, l’OTAN restera, pour beaucoup, un substitut confortable et moins onéreux à une défense européenne.

En effet, la seconde condition, délicate à remplir, de la mise en place d’une telle défense est la suivante : les pays de l’Union européenne devront accepter une contribution plus équilibrée à l’effort de défense, ce qui se traduira nécessairement, pour certains d’entre eux, par un accroissement des crédits budgétaires à consentir.

Comment la France entend-elle aborder ce dossier durant sa présidence, alors que le problème de la neutralité de certains pays n’est pas réglé ? Ne risque-t-on pas, en prenant des initiatives en ce sens, de crisper un peu plus l’opinion publique irlandaise ? Je ne suis pas convaincu qu’il faille, à ce stade, faire porter nos efforts sur cette politique.

Aux priorités de la présidence française déjà définies, je voudrais en ajouter deux autres : l’Europe sociale et l’avenir de la PAC.

La campagne référendaire française avait dévoilé une attente forte quant à la dimension sociale de l’Europe. Celle-ci est essentielle si nous voulons que les peuples adhèrent à nouveau au projet européen, car, reconnaissons-le, le progrès économique n’est pas toujours synonyme de progrès social.

La Commission européenne vient d’annoncer un « paquet social ». Les thèmes évoqués sont nombreux. Certains, comme la flexisécurité, la lutte contre le travail illégal ou l’égalité des chances, sont abordés dans un climat assez harmonieux ; d’autres, en revanche, par exemple les services d’intérêt général ou la directive « temps de travail » font apparaître des différences vives et durables. Sur tous ces points, nous souhaiterions entendre le Gouvernement français.

L’adoption, d’ici à la fin de l’année, d’une ou plusieurs directives dans le domaine social aurait une portée symbolique très forte, notamment dans la perspective des prochaines élections européennes. La France doit tenter de convaincre les autres États membres de relever leur niveau de protection, en évitant une opposition entre l’Europe du Sud et un modèle anglo-saxon. Cela ne pourrait que contribuer à la cohésion de l’Union.

Un autre sujet de préoccupation tient à l’avenir de la PAC, qui doit, cette année, faire l’objet d’un « bilan de santé ».

Ce sujet revêt une acuité particulière, lorsqu’on sait qu’un sixième de la population de la planète a faim et que l’on voit des émeutes de la faim éclater un peu partout, notamment à Haïti, en Égypte, au Sénégal. Si la sécurité alimentaire est assurée en Europe, il reste que l’actualité nous contraint à nous poser la question du rôle de l’agriculture européenne pour l’alimentation de la planète.

En effet, qu’a-t-on observé au cours des derniers mois ? La hausse des prix agricoles s’est poursuivie. Dans certains pays, des pénuries alimentaires réapparaissent. Dans d’autres, les exportations ont été interdites pour empêcher l’apparition de telles pénuries. Or il s’agit là, indubitablement, d’une tendance qui n’est pas près de s’inverser.

À cela s’ajoute le développement des agrocarburants, auquel il est inexact d’imputer, comme le font certains, les hausses de prix actuelles ; il s’agit là, en effet, d’un facteur marginal, certes à prendre en compte dans une perspective de long terme.

En outre, ne cédons pas à un effet de mode ! Le bilan énergétique des agrocarburants demeure aujourd’hui médiocre, en attendant les produits de la « deuxième génération », qui restent d’ailleurs entourés d’incertitudes. Si nous devions poursuivre dans cette voie, il faudrait alors utiliser des plantes à vocation énergétique plutôt qu’alimentaire. Au Brésil, par exemple, pays de l’éthanol de canne à sucre, on subventionne l’essence pour la rendre compétitive.

Si l’on considère tous ces éléments, on ne peut manquer de conclure que l’agriculture est une activité dont l’importance sera demain stratégique. Voilà qui devrait discréditer, une fois pour toutes, le discours selon lequel nous pourrions nous contenter en Europe d’une politique rurale en guise de politique agricole, en faisant confiance au commerce international pour assurer notre approvisionnement.

Cette année est celle du bilan de santé de la politique agricole commune. Les propositions de la Commission, qui concernent, d’une part, le régime de paiement unique, et, d’autre part, l’organisation des marchés, doivent déboucher sur un accord en novembre.

Dans ce contexte, la France doit veiller à protéger ses agriculteurs, qui ont fourni un effort d’adaptation extraordinaire, mais il convient d’aller plus loin en posant, tant qu’il est encore temps, la question de l’avenir à long terme de cette politique, et pas seulement sous l’angle budgétaire.

C’est pourquoi je me réjouis que la présidence française donne lieu à un débat d’orientation sur l’après-2013, dont le temps fort sera le conseil informel des ministres de l’agriculture sur la PAC de l’après-2013, au mois de septembre prochain.

Avant de conclure, j’évoquerai brièvement la politique en faveur des PME.

Ces dernières représentent 99 % du total des entreprises et assurent 75 millions d’emplois dans l’Union européenne. Or la politique de l’Union européenne en faveur de leur développement est restée bien modeste jusqu’à présent, et ce alors même que les États-Unis, qui revendiquent leur libéralisme économique, n’ont pas hésité à mettre en place une politique d’inspiration beaucoup plus interventionniste, celle du small business act.

L’annonce par le président Barroso de la mise en place d’un projet de small business act européen apparaît donc positive. La concrétiser devra être une priorité de la présidence française. Celle-ci a là une occasion unique de donner une nouvelle dimension à la politique en faveur des PME, afin qu’elle ne soit plus ce simple catalogue de bonnes intentions qui a trop longtemps masqué l’absence de mesures concrètes.

La France a souvent été un moteur de la construction européenne. C’est aujourd’hui à elle de jouer, sans doléances, ni brutalité, ni arrogance. Durant sa présidence, elle devra faire preuve de beaucoup de diplomatie et de souplesse pour éviter les conflits, et d’une grande imagination pour les transcender.

Bien sûr, le résultat du référendum irlandais vient jeter le doute et rend cette tâche plus délicate encore. Mais l’Europe doit et peut continuer d’avancer.

En conclusion, je développerai la métaphore du Tour de France, qui lui aussi va entrer dans l’actualité. (Sourires.)

L’Europe doit, à la manière d’un cycliste, rester toujours en mouvement pour se maintenir en équilibre. Or force est de constater que l’histoire européenne s’apparente plus à la conquête des cols alpins qu’au Tour des Flandres !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Elle ressemble parfois à une mêlée de rugby !

M. Aymeri de Montesquiou. Je sais que vous connaissez le Mur de Grammont, monsieur le secrétaire d’État !

Il revient donc au Gouvernement de faire des propositions et d’agir de telle manière que, à l’occasion de sa présidence, la France endosse le maillot jaune de l’Union ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, assurer la présidence de l’Union européenne constitue une responsabilité passionnante et exigeante, en un temps où les Vingt-Sept ont de si nombreux et si lourds défis à relever !

Pour faire avancer l’Europe, cette présidence doit être mise au service de l’Union et de chacun de ses membres, qu’ils soient anciens ou nouveaux, grands ou petits, qu’ils y croient ou qu’ils donnent le sentiment de moins y croire. Elle doit, bien plus encore, être mise au service de tous les Européens. Aujourd'hui, les Européens nous attendent !

La présidence française qui va s’ouvrir a été, monsieur le secrétaire d’État, minutieusement préparée, à tel point d’ailleurs – mais c’est un peu la loi du genre – que le principal peut sembler aujourd’hui acquis. Le principal sans doute, mais pas ce « plus », qui réside dans le fait que la construction européenne doit devenir réellement notre affaire à tous : celle des dirigeants de l’Union et de nos États, bien sûr, celle des parlementaires européens et nationaux, certainement, celle, surtout, de tous les Européens.

Les succès comme les échecs de cette présidence nous concerneront tous. Il est donc heureux que nous puissions avoir aujourd’hui ce temps de débat. Dans le même esprit, nous avons apprécié la rencontre proposée par le Premier ministre aux représentants des délégations pour l’Union européenne de nos deux assemblées. Les échanges que vous avez multipliés, monsieur le secrétaire d’État, avec tous vos homologues, en y associant souvent tel ou tel d’entre nous, ont également revêtu une importance essentielle, et je pense que ceux que nous avons pu nous-mêmes avoir avec nos collègues des autres parlements nationaux ou du Parlement européen n’ont pas été inutiles.

Ce « plus » qu’il va donc falloir maintenant apporter dépend d’abord de la « manière » que la France saura adopter et du « ton » qu’elle sera capable de donner à tous les débats au cours des prochaines semaines. Le succès sera en particulier fonction de notre capacité à inscrire les priorités proposées dans une démarche d’ensemble, cohérente et porteuse de sens.

Ainsi, ne pourrions-nous pas présenter les quatre priorités annoncées – climat et énergie, PAC, immigration et défense – non pas seulement comme une liste d’ambitions, mais bien comme quatre manières complémentaires de progresser vers une réponse à la seule vraie question du moment, à savoir celle de la paix dans le monde, et vers la réalisation de la condition nécessaire que constitue, pour obtenir cette paix, le développement ? « La paix, c’est le développement », disait déjà Paul VI…

L’Europe, qui a su reconstruire la paix sur son sol, doit aujourd'hui relever le défi du développement dans le monde. Elle seule sans doute peut le faire. C’est ce qui lui permettrait de redevenir un vrai projet, notamment aux yeux des jeunes.

Vos quatre priorités, monsieur le secrétaire d’État, servent cette ambition. Elles le feraient sans doute encore mieux si vous explicitiez aussi vos préoccupations économiques et sociales, et surtout si vous les rapprochiez afin de marquer leur complémentarité et de leur donner leur pleine signification politique.

Notre démarche doit en effet gagner en lisibilité, en clarté et en vérité.

Nos partenaires, tous les Européens attendent aujourd'hui de la France qu’elle redonne un élan à une construction européenne qui s’essouffle et bute, du coup, sur des obstacles qui restent souvent d’importance secondaire si on les compare aux vrais enjeux. S’agissant des conséquences du « non » irlandais, qui, lui, n’est pas secondaire, ce « plus », cette « manière », ce « ton » que j’évoquais et que j’appelle de mes vœux, se révéleront tout particulièrement nécessaires.

Avant d’en revenir au cas de l’Irlande, je livrerai trois réflexions générales concernant la communication sur l’Europe et l’attente des Européens, la responsabilité européenne des politiques, et enfin le couple franco-allemand.

Tout d’abord – on l’a souvent dit et répété, mais manifestement ce n’est pas encore suffisant –, il nous faut retrouver le sens de l’émerveillement devant le chemin parcouru et développer un réel effort de communication pour faire comprendre ce que représente vraiment l’Union, non seulement pour chaque Européen, mais aussi dans le monde.

M. Louis de Broissia. Très bien !

M. Denis Badré. On a beaucoup dit que nous n’avions pas su célébrer l’avènement de l’euro ou l’élargissement de 2004, événements pourtant formidables dans l’histoire du monde et qui relevaient encore, voilà seulement un quart de siècle, de la plus complète utopie.

Il ne sera jamais trop tard pour saluer de tels événements exceptionnels, mais admirons d’abord le fait que, en ce premier semestre de 2008, ce soit la Slovénie qui ait été appelée à présider l’Union et qu’elle ait parfaitement tenu son rôle. Ne banalisons pas de telles réalités, qui pourraient passer inaperçues alors qu’elles doivent nous ramener à l’essentiel : le Premier ministre slovène était en prison pour délit d’opinion en 1989 ! Dans le même ordre d’idées, le ministre de la défense de Lituanie, que j’ai rencontré la semaine dernière, est né à Krasnoïarsk, ville où ses parents étaient déportés. Voilà qui n’est pas du tout banal !

N’oublions jamais, mes chers collègues, que l’Europe, c’est avant tout les droits de l’homme, et que cette Europe-là n’a pas de prix. (M. Louis de Broissia applaudit.) C’est pour cette raison que nul n’a le droit de jouer avec l’Europe !

M. Denis Badré. Le XXe siècle fut, pour nous Européens, celui de tous les cauchemars. Nous revenons de très loin ! Le chemin parcouru, admirable, nous condamne à poursuivre dans la voie ouverte dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans la voie consacrée par la chute du mur de Berlin.

J’en viens à ma deuxième réflexion : les gouvernants et les parlementaires, tant de l’Union que des États, doivent désormais tous assumer une réelle responsabilité à l’égard de l’Europe.

N’instrumentalisons pas l’Europe au service de nos petits intérêts ! Ne rejetons pas sur l’Europe nos incapacités particulières ! Lorsqu’un chef d’État signe un traité européen, il s’engage à faire le maximum pour que ce dernier soit ratifié par son propre peuple et pour accompagner solidairement ses homologues dans les efforts qu’ils consentent dans leurs pays respectifs. S’il s’agit d’affaires intérieures des États, ce sont aussi des affaires intérieures de l’Union !

Plusieurs d’entre nous ont pu participer, voilà quelques jours, à un débat intéressant avec des collègues parlementaires suédois…

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Absolument !

M. Denis Badré. … qui, issus de différents partis politiques, nous ont tous affirmé successivement qu’ils souhaitaient que leur pays adopte l’euro mais que, l’opinion publique n’y étant pas prête, ils attendraient…

Sur la question européenne plus encore que sur toute autre, je pense que, pendant un certain temps encore, il appartiendra aux politiques de « tirer » les opinions, et non le contraire !

La réconciliation franco-allemande serait-elle intervenue aussi rapidement et profondément si l’on avait attendu que Français et Allemands la réclament ? Les Allemands étaient-ils spontanément disposés à abandonner leur mark au profit de l’euro ? Je n’ose imaginer l’issue de référendums qui auraient pu être organisés à l’époque sur de tels sujets !

Ce n’est pas en « attendant » les opinions que l’on construit le monde. Les responsables politiques nationaux doivent « monter en ligne », naturellement porteurs de l’intérêt national – c’est leur rôle –, mais aussi, et peut-être désormais surtout, chargés de défendre, même si cela est moins immédiatement populaire, l’intérêt supérieur commun, que minent au contraire, jour après jour, les ravages provoqués par les égoïsmes nationaux qui se cachent derrière les « retours nets » et les « j’en veux pour mon argent » !

Le jour où l’intérêt commun disparaît, l’idée européenne meurt. Avant de faire quelque procès que ce soit à nos partenaires, interrogeons-nous sur nos propres attitudes. Sommes-nous véritablement convaincus que le premier intérêt national à défendre est bien cet intérêt commun européen, et fondons-nous nos discours et nos choix sur cette idée ? En réalité, chez nous comme ailleurs, la tentation de la démagogie n’est jamais bien loin.

Ma troisième réflexion concerne le couple franco-allemand.

« Au moment où nous nous apprêtons à exercer la responsabilité de la présidence de l’Union, il est, pour nous Allemands, d’une importance décisive de lui redonner un élan durable. Seule une vigoureuse rénovation d’une relation franco-allemande qui a fait ses preuves peut permettre d’y parvenir. »

Ainsi s’exprimait le 27 novembre 2006, à la veille de la présidence allemande de l’Union européenne, Richard von Weiszäcker, alors président de la République fédérale d’Allemagne. Remplaçons « pour nous Allemands » par « pour nous Français », et nous pourrons reprendre cette citation mot pour mot ! Faisons-la donc nôtre !

L’Alsacien, le Rhénan que je suis se trouve intimement convaincu qu’il n’y a pas d’avenir pour l’Union si le couple franco-allemand n’assume pas solidairement sa responsabilité toute particulière à l’égard de l’Europe, si chacun des deux pays ne fait pas tout pour comprendre et respecter l’autre, pour s’en faire entendre et pour se placer, avec lui, au service de l’Union. Tout est là ! C’était déjà vrai dans l’Europe des Six ; ça l’est plus que jamais, même si c’est d’une façon différente, dans l’Union à vingt-sept !

Il nous faut adresser à notre partenaire allemand un discours univoque, direct, confiant et engagé. Il ne peut plus être question entre nous – jamais, ni ouvertement ni de façon subliminale ! – d’arrière-pensées, de zones d’influence ou de leadership. En ce sens, l’accord de Hanovre sur l’Union pour la Méditerranée est venu très heureusement clore une bien inutile querelle, et le climat qui régnait à Straubing, comme les engagements qui furent pris dans cette ville, sont de bon augure pour l’avenir.

Il est bon, enfin, que nous reprenions à notre compte, avec les Tchèques et les Suédois, la formule du « portage à trois » inaugurée par les Allemands avec leurs successeurs à la présidence, à savoir les Portugais et les Slovènes. La crise née du vote irlandais vient à point nommé souligner le bien-fondé de cette démarche. À tous égards, le Président de la République a bien fait de se rapprocher immédiatement de nos amis Tchèques.

Aujourd’hui, même si, sans les apports du traité de Lisbonne, nous devrions pouvoir progresser au moins sur les dossiers essentiels du climat et de l’énergie et de la PAC, bien des efforts déployés pour préparer notre présidence risquent d’être compromis par le vote irlandais. Je suis heureux que, sur ce point crucial, les plus hautes autorités allemandes et françaises aient choisi de réagir conjointement.

Le vote des Irlandais, auxquels l’Europe a pourtant offert un avenir qu’ils n’osaient imaginer voilà cinquante ans, pose de véritables questions, d’ordre général. Certaines d’entre elles étaient d'ailleurs apparues dès le mois de juin 2005, à la suite des votes français et néerlandais.

Le traité a été présenté comme « simplifié », ce qui fut sans doute une erreur, je n’hésite pas à l’affirmer : un texte appelé à prévoir de manière précise le fonctionnement d’une Union de vingt-sept États ne peut être ni très concis ni réellement simple. À la vérité, sa nature le qualifie plutôt, évidemment, pour un examen par voie parlementaire, c’est-à-dire par des responsables politiques auxquels les peuples ont précisément donné mandat de traiter de tels sujets. Nous devons au passage réaffirmer avec force que la voie parlementaire est parfaitement démocratique !

Il se trouve que l’Irlande, en l’état actuel de sa constitution, devait tout de même emprunter la voie du référendum. Or, avec une telle procédure, hélas, démocratie peut rapidement rimer avec démagogie ! S'agissant d’un texte complexe, le « oui » est naturellement plus difficile à défendre qu’un « non » dont les tenants vont « surfer » sur toutes les inquiétudes, que celles-ci aient ou non un lien avec le traité. C’est ainsi que l’on commence à jouer avec l’Europe… Il est tellement plus facile de détruire que de construire !

Bien sûr, ce n’est pas là une raison pour baisser les bras devant le fantastique besoin d’explications exprimé par tous les Européens. Cette attente, ce besoin, la présidence française doit les entendre et y répondre ! Pour l’Europe, nous sommes engagés dans un exercice de démocratie très exigeant.

Avec ce référendum, nous étions confrontés au cas de figure le plus difficile, celui où un « non » semblait sans conséquences pour le citoyen qui l’exprimait, où le défoulement était donc gratuit et n’impliquait certainement pas, en tout cas, une sortie de l’Union. Il est si agréable, et tellement plus facile, de prendre ce qui est bon sans avoir à en payer le prix !

Nous voyons se heurter ici deux principes démocratiques. Comme tous les Européens, les Irlandais doivent pouvoir s’exprimer et rester maîtres de leur avenir. Toutefois, leur vote entraîne des conséquences pour nous, qui aspirons également à maîtriser notre destin, lequel se trouve être commun avec le leur !

Il ne s'agit donc plus d’une affaire purement intérieure à l’Irlande. Si, en démocratie, chacun a le droit de voter, il est aussi un moment où, tous étant concernés, la majorité fait la décision. Comment, dès lors, concilier ces deux fondements de la démocratie ? Aujourd'hui, nous devons nous fixer comme objectif incontournable la ratification du traité, ne serait-ce que parce que celui-ci représente un progrès dans le sens de la démocratie – ce principe au nom duquel, précisément, certains le refusent ! On ne pourra aller bien loin à vingt-sept avec un Conseil européen sans existence juridique, à une époque où les peuples attendent légitimement de lui qu’il intervienne de manière transparente et forte sur des sujets aussi sensibles que les frontières, les nominations ou le budget.

Je rappelle au passage qu’à Philadelphie la Convention américaine avait prévu que la constitution des États-Unis serait adoptée si neuf des treize États fondateurs appelés à se fédérer l’acceptaient. Nos maux actuels viennent de ce que nous avons été beaucoup plus démocratiques dans nos exigences que ne l’étaient les Américains voilà deux siècles !

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, faudra-t-il que la présidence française appelle chacun des vingt-sept États membres à la fois au pragmatisme et à la responsabilité. Il ne peut être question de renoncer ou de repartir pour une énième tentative avec un nouveau texte « super-simplifié ».

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Il n’est pas question de cela !

M. Denis Badré. L’Europe y perdrait toute crédibilité, dans le monde comme aux yeux des Européens.

Il est heureux que trois nouveaux pays aient ratifié le texte au moment même où l’Irlande le rejetait. Il faut poursuivre ce processus et mettre les Irlandais en face de leurs responsabilités devant l’histoire et devant le continent, mais en restant à leurs côtés et à l’écoute de leurs questions, qui, au demeurant, sont bien souvent celles de tous les Européens.

La France se voit donc confier aujourd'hui une mission peu ordinaire. Il lui appartient de l’assumer. Dans cette perspective, monsieur le secrétaire d'État, elle devrait trouver les ressources d’imagination et de volonté politique nécessaires dans l’exemple que nous ont laissé Robert Schuman et Jean Monnet. Le problème que ceux-ci avaient à résoudre n’était-il pas bien plus difficile encore ? Pourtant, ils ont su surmonter l’insurmontable et construire, sur un champ de haines et de ruines, une Europe de la paix et des droits de l’homme.

Monsieur le secrétaire d'État, les sénateurs du groupe de l’UC-UDF vous soutiendront pour que la France se mette, tout au long des prochains mois, au service de cette Europe-là, qui constitue la véritable Europe, celle dont nous sommes le plus fiers. Nous sommes à vos côtés pour que la France se place au service de tous les Européens, dont l’attente est immense. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le report du débat sur les priorités de la présidence française avait finalement tout d’un acte prémonitoire !

La situation qui se présente à nous désormais est somme toute plutôt décevante, voire inquiétante. Que comprendre du nouveau message qui vient de nous parvenir de la part de nos amis Irlandais ? Celui-ci rappelle d’abord le manque de démocratie européenne, en exprimant le sentiment qu’à partir de 2009, avec la mise en œuvre de la réforme institutionnelle, l’Irlande n’aurait plus eu les moyens de peser sur les décisions de la même façon qu’auparavant.

Pourtant, ce traité comporte de nombreuses dispositions institutionnelles très positives, qui permettent de rapprocher l’Europe de ses citoyens, comme le renforcement des pouvoirs du Parlement européen en matière de codécision, l’affermissement du rôle des parlements nationaux, la consolidation du vote à la majorité qualifiée, qui pourra être étendu grâce à la « clause passerelle », le droit de pétition des citoyens européens et la désignation du président de la Commission européenne par le Parlement européen, si du moins cette nomination n’est pas « ficelée », pendant la présidence française, au cours de tractations diplomatiques qui contourneraient la concertation démocratique.

Toutefois, ce traité, dont le Président de la République revendique la paternité, n’est-il pas finalement trop institutionnel et pas assez mobilisateur pour les citoyens européens ? Il ne s’agit là que d’une question, parmi toutes celles qui se posent à nous désormais.

Pour l’heure, le contexte incite plutôt à la retenue, sinon à la prudence. Je ne voudrais pas, à la différence du Président de la République et du Gouvernement, dont la cacophonie a précédé et suivi le vote irlandais, céder à la tentation de minimiser la gravité de la situation.

Je m’interroge, en particulier, sur les déclarations du Président de la République, qui a affirmé, sans attendre le Conseil européen, qu’il n’était pas question de suspendre le processus de ratification du traité de Lisbonne, alors que l’Irlande a annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de consulter de nouveau ses citoyens.

Le Conseil européen de cette semaine aura la tâche de présenter un éventail de solutions face à des déclarations aussi divergentes. Je ne pense pas qu’une réponse ferme et définitive puisse être formulée à cette occasion : il faut se donner le temps de la réflexion, tant les conséquences de l’option qui sera retenue pourraient changer la nature de l’Union européenne.

Néanmoins, la situation exige aussi de savoir rebondir rapidement. La présidence française n’aura pas d’autre choix que de revoir ses priorités et de proposer des projets qui recueillent, enfin, l’adhésion des citoyens. Ce qui est évident, c’est qu’elle ne pourra plus se contenter de projets flous. Une certaine précipitation et improvisation a entouré le projet d’Union pour la méditerranée. Ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga vous en parlera de manière plus précise.

Les déclarations sur les priorités de la présidence française de l’Union européenne pour la politique européenne de sécurité et de défense constituent l’exemple même de cet effet « poudre aux yeux » qu’affectionne l’exécutif.

La réactualisation de la stratégie de sécurité européenne pour la prochaine décennie se trouve déjà lancée, par une décision prise en décembre 2007.

Le renforcement des capacités civiles et militaires est lui aussi envisagé depuis longtemps, mais il est temps de préciser quelles sont les propositions françaises et quels seraient les « nouveaux projets capacitaires structurants » mis en œuvre.

Nicolas Sarkozy estime que le budget consacré par l’Union européenne à la défense devra être revu à la hausse. On imagine bien, compte tenu de l’état des finances de notre pays et des dernières remontrances européennes à l’encontre de la gestion financière du Gouvernement, avec quel entrain nos partenaires accueilleront une telle proposition !

Il s'agit là, par ailleurs, d’un rendez-vous des occasions manquées d’entrée de jeu, s’agissant notamment de la réalisation d’un Livre blanc européen sur la défense et la sécurité !

Nicolas Sarkozy considère peut-être que l’édification d’une Europe de la défense indépendante n’est pas incompatible avec la consolidation et même l’extension de l’OTAN. C’est là un pari risqué : il nous place à la remorque d’un allié important, crucial même, qui surtout mène dans le monde des politiques que nous ne partageons pas, que nous contestons et que parfois, heureusement, nous avons condamnées.

La franchise du secrétaire national à l’Europe de l’UMP, Alain Lamassoure, est à ce titre tout à fait rafraichissante : « La mise en place de la défense européenne sera politiquement impossible tant que nous n’aurons pas le feu vert de Washington. Une négociation sera menée sur la réforme de l’OTAN, dans laquelle la France est disposée à reprendre toute sa place. Il faudra ensuite un accord sur le partage des rôles avec l’OTAN. Comme cette négociation ne pourra commencer que lorsqu’il y aura une nouvelle administration américaine, et comme il ne sera pas facile d’obtenir le soutien nécessaire d’un Gordon Brown fragilisé, il sera difficile de lancer de grandes initiatives lors de cette présidence. » Dont acte ! Il n’y a rien à espérer du second semestre de 2008.

Dans la situation qui prévaut désormais, le pacte pour l’immigration que vous vous apprêtez à proposer paraît incongru, tant l’objectif affiché ne parvient pas à masquer la volonté française de faire adopter par nos partenaires européens une politique d’immigration répressive. Nous regrettons vivement que cette présidence défende la vision d’une Europe qui se replie sur elle-même en définissant les moyens de se protéger des autres, d’exclure plutôt que d’inclure.

Pour la France, il s’agit en fait de résister à la tentation de transposer à l'échelle européenne des choix nationaux ou, pis encore, de proposer à nos partenaires européens des dispositions écartées à l’échelon national. Tel n’est pas le rôle de l’Europe ! Une politique, qui plus est en matière d’immigration, ne se définit pas par une moyenne établie entre des législations et des traditions différentes, voire divergentes.

La France et l’Allemagne se sont prononcées la semaine dernière pour une interdiction européenne des régularisations massives d’immigrés en situation illégale au sein de l’Union. Or l’efficacité d’une politique d’immigration ne peut se mesurer à l’aune du seul chiffre des expulsions, qu’il s’agirait seulement d’accroître. Elle ne peut être assurée que si elle combine normes communes en matière d’immigration légale, lutte contre la criminalité organisée et véritable politique de codéveloppement.

Nous aurions souhaité que la présidence française privilégie le renforcement d’une politique européenne d’immigration légale, qui se pencherait sur le droit des migrants et sur les moyens d’assurer leur intégration sereine et non condescendante. La perpétuation d’une tradition d’accueil constitue certes une autre manière, différente de celle que vous mettez en œuvre, de rassurer les citoyens qui ont besoin de l’être, mais elle est tout aussi efficace.

Le compromis qui s’est dégagé sur le projet de directive instaurant des règles communes pour l’expulsion des immigrés illégaux vers leur pays d’origine annonce bien le ton du pacte pour l’immigration que vous préparez, puisque cette directive en sera l’un des volets.

Comment peut-on ainsi utiliser l’Europe pour faire régresser notre droit ? Ne nous leurrons pas : si cette directive est « moins-disante » que notre droit, elle vous offrira le moyen de faire adopter par la suite une législation nationale moins protectrice, en invoquant les minima européens. Pensez-vous vraiment que c’est ce qu’attendent les citoyens français aujourd’hui ?

Pourtant, mon optimisme m’incite à dire que l’Europe peut tant faire pour apporter une réelle valeur ajoutée à la vie quotidienne de nos concitoyens ! S’est-elle trop éloignée, précisément, du quotidien de ses citoyens ? L’une des réponses à apporter à la situation actuelle, c’est le développement et le renforcement de l’Europe sociale. Toutefois, ce qui aurait dû constituer votre priorité essentielle se trouve totalement absent de votre programme, qui consiste essentiellement en un patronage de négociations en cours, en conférences ou en manifestations diverses.

Nous regrettons qu’il n’y ait pas, de la part de la France, de véritable initiative législative ; dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'État, on ne peut affirmer, comme l’a fait votre collègue Xavier Bertrand, que l’année 2008 sera celle du redémarrage de l’Europe sociale.

Vos intentions ne construisent en réalité aucune véritable stratégie d’impulsion.

Entend-on promouvoir l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ? Mais votre collègue Mme Dati vient de s’opposer à l’amendement demandant son inscription à l’article 11 de la Constitution lors de l’examen à l’Assemblée nationale de la réforme des institutions !

Une proposition de directive interdisant les discriminations fondées sur le handicap est-elle en cours d’élaboration ? Il s’agit d’une initiative de la Commission européenne, comme vous le reconnaissez vous-même !

Envisagez-vous de mettre en place un agenda social européen ? C’est un hasard de calendrier : il revenait de toute façon à la présidence de préparer son élaboration, pour qu’il soit mis en œuvre en mars 2010 !

S’agissant, sur ce dernier point, des orientations que vous défendrez, notre conception de l’Europe sociale n’est pas celle qui consiste à mettre l’accent sur la lutte contre le travail illégal et les fraudes sociales à l’échelon européen.

En quoi la généralisation de l’opt-out britannique en matière de durée légale du travail serait-elle un progrès pour les travailleurs, comme l’a clamé très sérieusement M. Xavier Bertrand à la sortie du conseil qui a adopté la semaine dernière la proposition de directive sur le temps de travail ? Comment l’expliquerez-vous aux citoyens ? Dire que cela ne s’appliquera pas en France est une manière de reconnaître que la législation française est, pour l’instant, plus protectrice… mais jusqu’à quand ?

Nous souhaitons que la présidence française soit porteuse, en matière sociale, de projets qui garantissent réellement les droits des citoyens européens.

Il faudrait notamment davantage qu’un simple forum, devant se tenir les 28 et 29 octobre prochains, pour traiter des services sociaux d’intérêt général, ou qu’un simple calendrier pour entamer une phase de réflexion, annoncée par M. Xavier Bertrand lors de son audition à l’Assemblée nationale.

D’une manière plus générale, rien n’est dit sur l’élaboration d’une législation-cadre sur les services d’intérêt général. À nos yeux, il ne peut y avoir d’agenda social ambitieux sans la programmation de l’adoption d’une directive-cadre.

La présidence française fournit au Gouvernement une occasion unique de donner une impulsion politique, seule à même de dépasser le refus de la Commission européenne de légiférer.

Nous demandons que la présidence française élabore sans tarder une feuille de route et un calendrier précis à faire entériner par le Conseil européen de décembre 2008, en vue de l’adoption d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général.

La France a également une occasion rare de donner une impulsion forte à de grands projets qui seront décisifs pour les années à venir.

Pourtant, on peut s’étonner aujourd’hui de son silence sur la préparation de la révision des perspectives financières dont elle devait être saisie. Nous regrettons que la présidence française n’envisage pas de lancer une grande réflexion en amont de cette révision, parce que c’est lors de ces nouvelles négociations que s’élaboreront les politiques européennes de demain. Pour pouvoir conduire des politiques plus volontaristes, l’Europe doit se doter d’un budget plus important, d’un véritable budget qui permette de mobiliser les capacités au bon moment, au bon endroit, et de répondre aux situations imprévues.

Je reste optimiste, parce que l’Europe ne s’arrête pas pour autant. De nombreux dossiers sont en cours de traitement et de nouveaux défis doivent être relevés.

Nous souhaitons qu’une impulsion forte soit donnée au paquet « énergie-climat ». Cela n’est pas synonyme, encore une fois, de précipitation : cet ensemble de dispositions devra avoir un contenu décisif en vue de lutter contre le réchauffement climatique.

On soutient qu’une volonté politique commune existe de parvenir à un accord, mais aujourd’hui, seule la date butoir de l’accord fait l’objet d’un consensus. Avec tout l’enjeu lié à une politique énergétique commune et des sujets tels que la sécurité de l’approvisionnement énergétique, la menace de délocalisation des industries, le développement des énergies renouvelables, le débat relancé sur le développement de l’énergie nucléaire ou la place des biocarburants, un accord obtenu à tout prix risquerait de se réduire à un catalogue d’intentions ou de renvoyer les vraies décisions à une date ultérieure, comme les Vingt-Sept ont trop souvent tendance à le faire, et pas toujours à bon escient.

Un bon accord privilégiera les mesures concrètes, d’autant plus indispensables dans la situation de crise énergétique que nous connaissons aujourd’hui.

Il reste une interrogation de poids : comment mettre en œuvre un accord d’apparence ambitieuse lorsqu’aucun financement n’a été prévu par le cadre financier d’ici à 2013 ? Le rôle d’impulsion de l’Union européenne ne pourra alors être assuré.

À l’évidence, la crise énergétique impose une solution européenne : nous ne cessons de prôner une diminution du taux de la TVA sur les produits de première nécessité. L’essence pourrait désormais entrer dans cette catégorie, tant nombre de citoyens en dépendent pour exercer tout simplement leur métier.

La modification du taux de la TVA à l’échelon européen est difficile ; nous le savons bien, puisque que cela exige un accord unanime. Peut-être pourrait-on réfléchir à d’autres solutions, telles que la taxation des profits pétroliers, idée que vous a soumise le ministre des finances italien. Toute décision en ce sens ne sera efficace qu’à l’échelle de l’Europe.

Dans tous les cas, la solution pour alléger le coût du pétrole pour les citoyens les plus vulnérables ne peut être qu’une solution européenne concertée, politique.

Je voudrais maintenant évoquer brièvement la Macédoine. (M. le président de la délégation pour l’Union européenne s’exclame.)

Il faudrait que l’Union européenne se départisse de son attitude ambiguë. La lenteur du processus conduisant à l’ouverture de négociations d’adhésion n’est pas étrangère aux difficultés que la Macédoine rencontre aujourd’hui. Il serait judicieux que la présidence française prenne en charge attentivement cette candidature, débloque la situation en mettant tout son poids dans la balance pour que l’on parvienne à un accord bilatéral entre la Grèce et la Macédoine sur le futile sujet du nom de ce pays et obtienne que le Conseil européen de décembre 2008 engage enfin les négociations d’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne.

La Grèce vient de faire connaître une nouvelle fois, hélas ! son opposition à l’ouverture de telles négociations. Cela suffit ! Peut-elle elle-même se prévaloir d’avoir été un nouveau membre exemplaire lors de son admission dans l’Union, voilà quelques années ? Le Conseil européen de cette semaine sera l’occasion d’une première concertation.

Je comprends, dans un sens, pourquoi le Gouvernement annonce le « retour de la France en Europe » par le biais de cette présidence, trois ans après le « non » des Français au traité constitutionnel.

Tout rejet des traités n’est finalement jamais vraiment positif pour ceux qui l’expriment et conduit souvent le pays concerné à être exclu du cercle de confiance des partenaires européens. Il me paraît inquiétant que les Irlandais n’aient vu comme seul chemin, pour peser sur les décisions européennes, que le « no » qu’ils ont prononcé lors de leur référendum. Ironie du sort, c’est la France qui doit désormais aider l’Europe à sortir de la crise qui s’ouvre aujourd’hui avec le « non » irlandais !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est ainsi !

M. Didier Boulaud. La France pourra marquer son retour en Europe si elle parvient à déployer une réelle capacité de mobilisation et de conciliation, en dosant savamment célérité et patience afin de trouver une solution appropriée pour l’Irlande et pour l’Europe.

Nous espérons que l’ampleur du défi que vous avez aujourd’hui la responsabilité de relever n’empêchera pas la concrétisation de projets qui répondent aux souhaits des citoyens européens dans leur ensemble et à leurs demandes immédiates. C’est eux qu’il faut convaincre du bien-fondé de l’Europe, pas nous. Faites en sorte que l’Europe s’intéresse et se consacre aussi à la vie quotidienne des citoyens.

Je considère que les efforts doivent se conjuguer. Des résultats concrets seront indispensables. Nous sommes prêts à soutenir toute initiative menant à une stratégie positive et constructive pour une relance. Ne laissons pas se déliter l’Europe !

Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons connaître vos pistes de relance et savoir quelles priorités vous assignerez désormais à la présidence française.

J’ose espérer que vous reviendrez devant notre assemblée non pas en décembre, au moment de la conclusion de la présidence française, mais à mi-parcours de son exercice,…

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Bien sûr !

M. Didier Boulaud. … afin de rendre compte à la représentation nationale des actions et démarches que vous aurez entreprises, au nom de l’Europe et pour le bien de l’Europe et de ses citoyens. N’oublions pas que ces derniers auront l’occasion d’un nouveau rendez-vous démocratique avec l’Europe, celui des élections européennes de juin 2009. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comment entamer ce débat sans évoquer le référendum irlandais ? Les Irlandais ont rejeté clairement le traité de Lisbonne, par un « non » sans appel : en cela, ils ont pris leurs responsabilités !

Je souhaite, au nom du groupe de l’UMP et à la suite de M. le président de la délégation pour l’Union européenne et de M. le président de la commission des affaires étrangères, que ce résultat ne remette pas en cause les priorités de la présidence française de l’Union. Nous devons au contraire nous concentrer sur les objectifs concrets que nous avions fixés et travailler à les atteindre.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes confrontés à un paradoxe, car le « non » irlandais est peut-être, en définitive, une véritable chance pour la future présidence française : c’est un appel à faire davantage, et peut-être mieux, que ce qui était prévu, même si cela demandera bien sûr un peu plus de travail.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Il y en a déjà beaucoup !

M. Robert del Picchia. Montrons aux citoyens que l’Union européenne peut répondre à leurs préoccupations quotidiennes, d’abord en les protégeant. C’est le souhait du Président de la République, que nous faisons nôtre.

En ce qui concerne les institutions, le problème reste entier. Le Conseil européen des 19 et 20 juin prochains devrait permettre de dégager les grandes lignes.

Pendant six mois, notre pays va porter une lourde responsabilité dans le processus de relance et d’approfondissement de la construction européenne. Cela doit être envisagé avec une certaine gravité.

La France devra proposer, prendre des initiatives et convaincre ses partenaires de la pertinence de ses priorités et de la justesse de ses choix. Faisons-le sans arrogance et avec le souci de concilier les avis des autres pays membres, notamment de l’Allemagne.

À cet égard, je soulignerai, comme plusieurs intervenants l’ont déjà fait, que depuis quelques mois le couple franco-allemand a retrouvé sa vitalité. Il faut s’en féliciter. Il s’agit d’un axe majeur de notre diplomatie, dont l’affaiblissement ne peut jamais être compensé. Soyons-en convaincus, mes chers collègues : le couple franco-allemand est une réalité incontournable, qu’il ne faut pas ignorer. Il est plus que jamais au cœur de l’Europe, et sans lui, rien n’est possible.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !

M. Robert del Picchia. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez rappelé les grandes lignes de la politique européenne que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre lors de la présidence française de l’Union. Nous les approuvons pleinement, au même titre que les deux lignes directrices qui ont été annoncées : promouvoir l’Europe en tant que protection et conduire une présidence « citoyenne ». Ce dernier point est lui aussi très important.

Les Français, nous le savons, semblent se méfier du monde, en avoir peur. C’est dans l’Europe qu’ils placent leurs espoirs de pouvoir maîtriser les évolutions globales qu’ils ont trop souvent l’impression de subir.

Parmi les sujets que nos concitoyens considèrent comme particulièrement prioritaires figure bien sûr l’énergie, le contexte actuel de hausse des prix représentant une préoccupation singulièrement aiguë.

L’approvisionnement en énergie est une priorité absolue pour l’Union européenne et pour la France. Notre pays doit soulever les questions touchant à la sécurité du continent en matière d’approvisionnement énergétique. Il doit aussi promouvoir le rôle du nucléaire dans la lutte contre le changement climatique.

La politique européenne de l’énergie est en effet étroitement liée à la lutte contre le changement climatique. L’objectif est de mettre en place une Europe du développement durable et de l’innovation. Dans l’élan de son Grenelle de l’environnement, la France peut faire de l’Union européenne un exemple mondial en matière de protection de l’environnement.

La maîtrise des flux migratoires constitue une autre priorité à laquelle nous souscrivons volontiers. L’Europe est soumise à des tensions démographiques et économiques importantes Tous les États membres sont concernés, même si les situations sont diverses, 80 % des flux ne concernant que cinq pays, dont la France.

Il est donc nécessaire de coordonner les actions des États membres et d’assurer leur cohérence avec les politiques communautaires. Il s’agit de voir dans quelle mesure nos politiques en matière de traitement des demandes d’asile d’une part, d’accueil et d’intégration d’autre part, ainsi que nos actions concrètes en termes de lutte contre l’immigration illégale et de développement solidaire, peuvent être mieux harmonisées et partagées.

Au-delà de la définition d’une politique d’immigration commune à l’échelon européen, qui est indispensable et dont l’élaboration a d’ailleurs déjà commencé, l’immigration clandestine doit être, selon nous, l’un des thèmes phares de la présidence française.

La mise en place d’une collaboration avec les pays du Sud pour élaborer une solution collective apparaît comme une priorité évidente. La création d’un « pacte européen sur l’immigration », dont l’idée est défendue brillamment par M. Brice Hortefeux dans toutes les capitales européennes, est un projet remarquable qui doit être mis en œuvre. Il n’impose aucun transfert de souveraineté à l’échelon européen, chaque État membre étant libre d’accueillir ou non des étrangers. Protéger les frontières extérieures de l’Union, organiser l’immigration légale et mettre en place une politique commune de l’asile nous semblent des objectifs de bon sens.

J’en viens à l’’Europe de la défense. Nous y travaillons depuis les années quatre-vingt-dix. Les Européens doivent avoir les moyens militaires de leurs ambitions politiques. La politique européenne de sécurité et de défense, qui est inscrite dans le traité de Lisbonne, devrait nous permettre, à terme, de répondre à cette exigence.

Nous considérons que l’édification d’une Europe de la défense n’est pas incompatible avec l’existence de l’OTAN : l’une et l’autre sont au contraire complémentaires, comme le montre le nombre croissant des crises dans lesquelles l’Union européenne et l’OTAN déploient ensemble leurs moyens sur le terrain. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement alors que vingt et un des vingt-six alliés de l’OTAN sont membres de l’Union européenne et que vingt et un des vingt-sept partenaires de l’Union sont membres de l’OTAN ?

Nous pensons que la défense européenne dépend de l’engagement de chaque État et que tous les pays membres de l’Union peuvent y prendre part.

Je voudrais maintenant évoquer brièvement l’Union pour la Méditerranée.

Les initiatives que vous nous avez annoncées, monsieur le secrétaire d’État, nous paraissent excellentes. L’élargissement prévu à vingt-sept pays du Nord et vingt-sept du Sud est une bonne chose. Les objectifs que vous envisagez me semblent réalisables.

Enfin, la France doit engager une réflexion sur le réexamen des politiques européennes et de leur financement après 2013, s’agissant en particulier de la politique agricole commune. Notre intérêt est de le faire dès maintenant, sans attendre l’échéance de 2013. Il faut en effet éviter que le débat agricole soit submergé par celui sur les perspectives financières pour la période 2013-2020.

Paradoxalement, la hausse des prix agricoles mondiaux constitue selon nous un atout pour préparer l’avenir de la PAC dans de bonnes conditions. Par conséquent, faisons-le sans attendre.

En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, malgré les difficultés, la présidence française de l’Union européenne apparaît comme une chance pour notre pays d’assurer son « retour en Europe », pour reprendre l’expression du Président de la République, et comme une occasion de mobiliser toute son énergie pour recréer une envie collective d’Europe. Après l’échec du référendum irlandais, nous devons montrer que nous pouvons rassembler et rassurer.

Le traité de Lisbonne n’est pas mort, le processus de ratification doit continuer. Cela demandera une forte volonté politique, conjuguée à une tout aussi forte adhésion des sociétés civiles et des opinions publiques.

Il est donc urgent de conférer un élan renouvelé à l’Union européenne. Comme l’a souligné M. Josselin de Rohan, les pays de l’est du continent qui ne sont pas encore membres de l’Union européenne rêvent de l’Europe. Les Irlandais, pour leur part, semblent ne plus rêver de l’Europe,…

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Les Français non plus, malheureusement !

M. Robert del Picchia. … mais leur réveil risque d’être difficile. À la présidence française de les aider à bien se réveiller ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est une disgrâce que de monter parmi les derniers à la tribune : on craint toujours que certains ne se soient assoupis, ou que d’autres au contraire ne se réveillent brutalement ! (Exclamations amusées.)

Qui plus est, les femmes ne sont pas très bien servies, puisque Alima Boumediene-Thiery et moi-même intervenons en fin de débat, après toute une série de messieurs, très respectables par ailleurs ! C’est ainsi !

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est votre groupe qui en a décidé ainsi !

M. Jean Bizet. Nous sommes tout ouïe !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Tout d’abord, le projet d’Union pour la Méditerranée sera-t-il l’un des points forts de la présidence française de l’Union européenne ?

Nous souhaitons avec vous, monsieur le secrétaire d’État, la réussite dans cette partie du monde de projets pragmatiques menés avec persévérance. Toutefois, notre inquiétude concerne la méthode suivie par la France ; nous craignons qu’elle ne soit pas la bonne.

Au départ, l’unilatéralisme de la France a en effet suscité une méfiance générale parmi les Européens et du scepticisme, voire un rejet violent, chez tels chefs d’État du Sud, dont les peuples sont bâillonnés, ce qui fait que nous ne savons rien de leur opinion.

Aujourd’hui, le projet d’Union pour la Méditerranée ne se réduit-il pas à une relance à grand spectacle du processus de Barcelone, alors qu’il pourrait être porteur d’espoir ? Mais pour cela, il faudrait que les causes de l’échec du processus de Barcelone aient été analysées et que l’on y ait remédié. C’est loin d’être le cas !

Les pays que nous prétendons rassembler autour d’un projet commun sont trop divisés, sur le plan interne et entre eux, leurs intérêts divergent trop d’avec les nôtres, nous sommes trop divisés nous-mêmes pour qu’une instance supplémentaire réussisse là où le processus de Barcelone a échoué, alors que les circonstances sont beaucoup moins favorables qu’au lendemain des accords d’Oslo.

J’évoquerai à cet égard quelques obstacles, quelques interrogations.

Comment inspirer confiance à la fois aux autocrates et aux peuples dont ils contrarient l’aspiration à une réelle citoyenneté ? Nos ambiguïtés diplomatiques ont un coût pour nous !

Comment persuader l’innombrable jeunesse de la rive sud que nous prétendons établir avec les pays où elle vit des relations d’égalité et de parité, pour reprendre vos propres termes, monsieur le secrétaire d’État, au moment même où l’Union européenne prépare des moyens juridiques communs pour lui fermer ses portes ?

Notre crédibilité est aussi atteinte par notre refus de regarder les réalités en face. Comment réunir dans le même projet l’Algérie et le Maroc, opposés à propos du Sahara occidental et incapables de s’entendre sur le tracé de leur frontière ? Comment faire travailler sur des projets communs Chypre et la Turquie, le Liban et la Syrie ? Comment faire accroire à la Turquie que ce projet n’est pas un moyen de dissoudre sa demande d’adhésion dans un vague ensemble ? Comment, surtout, réunir les Palestiniens et les Israéliens alors que la colonisation accélérée de la Cisjordanie et le siège de Gaza ruinent toute illusion de paix, même dans l’esprit de Condoleezza Rice ?

Nous sommes là au cœur de l’échec du processus de Barcelone, monsieur le secrétaire d’État, et voilà que l’Union européenne, à la veille de la présidence française, annonce ce qui se négociait sous la table depuis mars 2007 : l’approfondissement du partenariat entre l’Union européenne et Israël, c’est-à-dire l’octroi d’un statut de quasi-membre de l’Union à ce pays sans qu’aucune des conditions posées, qu’il s’agisse du respect des conventions internationales dans les territoires palestiniens militairement occupés, du respect des résolutions de l’ONU ou de la mise en œuvre de la feuille de route, soit remplie ! Avons-nous oublié les exigences, concernant tant leurs relations avec leurs voisins que le traitement de leurs minorités, auxquelles l’Union soumet les nations qui sollicitent l’adhésion ?

La France, qui s’apprête à présider l’Union, devra cesser de prendre des initiatives diplomatiques désordonnées et incompréhensibles pour ses partenaires, qui nous valent beaucoup d’inimitiés.

Un jour, tel dirigeant est placé au banc d’infamie ; le lendemain, il est invité à assister dans la tribune d’honneur au défilé du 14-Juillet : qui y comprend quelque chose ?

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est la diplomatie !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous réunissons à Paris la conférence des donateurs d’Annapolis, mais nous subissons en maugréant à peine toutes les entraves mises par Israël à la réalisation des projets à financer. Nous condamnons la colonisation de la Cisjordanie, mais nous laissons nos entreprises y prêter la main. Tout cela est incohérent et contre-productif.

Aussi souhaitons-nous que, pendant sa présidence, la France prenne elle-même et contribue à faire adopter à ses partenaires des positions claires, cohérentes et compréhensibles par tous, à commencer par les peuples de l’Union.

Pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, les solutions sont connues de tous et depuis longtemps. Il faut les mettre en œuvre pour libérer les Palestiniens de l’oppression et assurer la pérennité de l’État d’Israël, pour tarir la source du ressentiment des peuples arabes et des musulmans contre l’Occident, pour rendre possibles des progrès politiques dans le bassin méditerranéen, enfin pour éloigner une menace qui pèse directement sur notre propre sécurité.

Or, en renforçant ses liens avec Israël sans exiger de ce pays l’acceptation d’un véritable État palestinien dans les frontières de 1967, l’Union se prive volontairement de toute capacité d’influence. Ce n’est certainement pas ainsi qu’elle atteindra l’objectif fixé !

Monsieur le secrétaire d’État, ce que nous attendons de la présidence française, ce n’est pas une intervention miraculeuse de l’Union européenne contre tous les risques naturels, écologiques, économiques, politiques ou autres qui pèsent sur la Méditerranée, c’est une prise de position courageuse et assumée, de la part de notre pays, pour qu’une voix au moins s’élève au service de la paix au Proche-Orient.

Il faut clairement faire entendre à Israël que, après avoir gagné les guerres, il faut aujourd’hui gagner la paix : ce doit être le préalable à tout partenariat renforcé avec l’Union européenne, préalable sans lequel l’idée de l’Union pour la Méditerranée ne sera qu’un gracieux feu d’artifice, effroyablement suivi des véritables explosions meurtrières d’une série de violences abominables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. La chute est belle !

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.

M. Louis de Broissia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la délégation pour l’Union européenne, mes chers collègues, qu’il me soit d’abord permis de me réjouir que mon intervention ne soit qu’un interlude entre celles de deux collègues femmes, Mmes Monique Cerisier-ben Guiga et Alima Boumediene-Thiery ! (Sourires.)

Monsieur le secrétaire d’État, quelques jours après le « non » irlandais, il s’agit évidemment de rendre l’Europe non seulement plus proche et plus démocratique, mais surtout positive aux yeux de nos concitoyens.

Au demeurant, j’indiquerai à l’adresse de M. Bret, dont j’ai écouté l’intervention avec amitié et respect, que décrire la construction européenne comme un « croquemitaine », alors même qu’elle a permis de mettre un terme à l’arbitraire, à l’horreur, à la barbarie, à la guerre, est un contresens que nous ne pouvons pas commettre ici au Sénat.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !

M. Louis de Broissia. Puisque tout a déjà été dit par mon excellent collègue Robert del Picchia au nom du groupe de l’UMP, je me bornerai à évoquer les efforts entrepris à l’échelle européenne en vue de la libération du potentiel des petites et moyennes entreprises.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !

M. Louis de Broissia. Je m’intéresse depuis des années à l’élaboration d’une législation européenne en faveur de la petite entreprise, à l’instar du small business act américain. Cette idée a été défendue avec courage et audace par Christine Lagarde, alors ministre déléguée au commerce extérieur – je l’avais d’ailleurs accompagnée à Bruxelles –, et s’inscrivait dans la stratégie de Lisbonne.

Je rappelle qu’aux États-Unis le small business act, voté en 1953, en pleine guerre de Corée, a permis, à une époque où il fallait libérer les énergies créatrices, de mettre en place une agence fédérale indépendante dont le mandat est de conseiller les PME, de défendre leurs intérêts et de leur faciliter l’accès au capital privé. C’était le temps où des entreprises naissaient dans des garages de la Silicon Valley, tandis que Sophia-Antipolis n’existait pas encore…

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Eh oui !

M. Louis de Broissia. Nous avions, dans un premier temps, envisagé de nous inspirer purement et simplement du small business act. Cependant, notre projet a dû être élargi, car une clause réservataire sur le modèle américain imposait une renégociation à l’échelon européen de l’accord sur les marchés publics de l’OMC, voie dans laquelle la France n’a pas été suffisamment suivie par ses partenaires européens.

Le Gouvernement, s’il a continué de défendre sa proposition de réciprocité avec les États-Unis pour l’accès aux marchés publics des PME, n’en a pas oublié pour autant les autres mesures en faveur des PME qui constituent le fond de la méthode américaine et devraient permettre d’obtenir un accord à l’échelon européen. Je me félicite, à cet égard, de la persévérance française, les résultats déjà constatés montrant bien que lorsqu’il y a une volonté politique, il y a un chemin, comme l’affirmait le général de Gaulle. (M. le secrétaire d’État approuve.)

Depuis, une grande consultation a été lancée par la Commission, à laquelle ont été associés les gouvernements des États membres, ainsi que, j’en puis témoigner, les représentants des PME. Les premières conclusions, qui ont été publiées à la fin du mois d’avril, constitueront le socle de la proposition que formulera la Commission pour un small business act à l’européenne ; ce devrait être l’événement marquant de ces prochains jours.

S’inspirant des travaux du Sénat – cela soit dit en toute immodestie ! –, de ceux de Mme Lagarde, ainsi que du rapport établi par Lionel Stoléru à la demande du Président de la République, la France a fait parvenir ses conclusions dès l’annonce de la consultation. Nous souhaitons que la présidence française soit l’occasion d’encourager vivement cet engagement en faveur des entreprises petites et moyennes, facteur d’innovation, de prévention des délocalisations, de progrès et de dialogue social.

À titre personnel, je suis attaché à certaines mesures qui permettraient de répondre à des exigences précises de simplification et de clarification du statut des PME, de telle sorte que puisse être amélioré leur accès aux marchés privés et publics, ainsi qu’au financement. Nous y reviendrons prochainement, lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie.

Je souhaiterais par exemple qu’à l’occasion de la présidence française l’environnement des PME soit amélioré, car c’est d’elles que dépend la véritable croissance, que l’esprit d’entreprise soit promu et l’accès à la mobilité professionnelle simplifié, les créateurs de PME étant généralement d’anciens salariés ayant changé de cap.

Je souhaite en outre l’adoption du brevet communautaire, à laquelle nous avons beaucoup travaillé, le développement de l’aide aux entreprises dans leurs démarches, par l’amélioration de leur information et la sensibilisation des donneurs d’ordres, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et la création d’un fonds de garantie destiné aux PME.

En résumé, mes chers collègues, la priorité doit être donnée à la croissance des PME, les entreprises de taille intermédiaire, comptant de 250 à 2 000 salariés, manquant cruellement, alors que ce sont elles qui permettront à l’Europe, si nous supprimons les effets de seuil, de connaître une vraie croissance.

Je tiens à faire observer que, dans le cadre de la législation nationale, le projet de loi de modernisation de l’économie représente un premier pas audacieux, puisque son article 7 a pour objet d’instaurer, en matière de passation des marchés publics, un traitement préférentiel pour les PME innovantes, sur lesquelles l’effort doit porter.

Je conclurai, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en soulignant que la volonté française a permis qu’une nouvelle ère s’ouvre au regard de l’amélioration de la compétitivité des PME. Nous devons avoir pour ambition que celle-ci s’inscrive enfin au premier rang des objectifs européens : c’est un des vœux que je forme à la veille de la présidence française de l’Union. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le secrétaire d’État, alors que la France s’apprête à présider l’Union européenne – vaste chantier ! –, je souhaite vous interpeller sur un seul point, à savoir la directive, validée le 5 juin par les vingt-sept ministres de l’intérieur de l’Union, qui doit être discutée le 18 juin prochain au Parlement européen.

Ce texte, dit « directive “retour” », vise à instaurer des règles communes en matière de traitement des étrangers en situation irrégulière, quels que soient leur situation spécifique, leur temps de séjour, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté d’intégration ou leur succès dans ce processus.

Cette directive doit permettre, dans certains États de l’Union européenne, de garantir des droits à des personnes qui en étaient dépourvues. Vous m’autoriserez cependant à considérer que, au contraire, elle marque un durcissement supplémentaire des conditions de détention et d’expulsion des migrants sans papiers.

Non seulement ils seront tous « éloignés », selon les termes si politiquement corrects de ce texte qui masquent toute la violence que génère une expulsion, mais on prévoit de surcroît la possibilité de les enfermer pour une durée pouvant atteindre dix-huit mois, avant de les expulser vers leur pays d’origine.

En outre, ce texte met en place une systématisation de l’interdiction du territoire de l’Union pendant cinq ans pour les personnes expulsées, ce qui revient à les exclure et à les criminaliser, en créant, dans le champ juridique européen, une procédure de bannissement.

Cette directive « retour » prévoit également la détention et l’éloignement des personnes vulnérables – notamment les femmes enceintes, les personnes âgées, les victimes de tortures, les malades – et des mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ces étrangers en situation irrégulière se verront renvoyés vers des pays par lesquels ils n’ont fait que transiter, sans avoir de lien réel avec ceux-ci.

Plus grave encore, le texte permet la détention et l’expulsion forcée des mineurs isolés vers un pays tiers, où ils n’ont ni famille ni tuteur légal.

Enfin, le texte prévoit la suppression de l’obligation pour les États de fournir l’aide juridictionnelle gratuite, obligatoire au nom du droit à la défense.

Ainsi, les dispositions de cette directive « retour » placent les étrangers en situation irrégulière sous un régime d’exception. Elles violent un certain nombre de droits et principes posés par de grandes conventions internationales dont la France est signataire, notamment le droit pour tous de chercher asile et protection.

On nous dit que ce texte est le fruit d’un compromis, qui fut long à obtenir, entre les vingt-sept États membres de l’Union, offrant de nouvelles garanties et des droits à des personnes qui étaient l’objet de normes arbitraires dans certains États.

Cependant, est-ce une raison suffisante pour accepter la généralisation de procédures d’enfermement, de bannissement et d’expulsion des personnes sans papiers dans toute l’Union européenne ? Nous craignons que cette directive ne devienne la norme européenne sur laquelle vont être tentés de s’aligner tous les pays.

Nous savons tous que l’on ne se résout jamais à l’exil de bon cœur. Pour survivre et faire vivre leur famille, ces hommes et ces femmes ont souvent été obligés de quitter leur pays et leur famille pour fuir la misère, les déficits économiques qui vont souvent de pair avec les déficits démocratiques…

En Europe, nous sommes conscients que les migrants contribuent à la prospérité et la richesse de nos pays. Ils sont employés dans le bâtiment, dans les services aux personnes, dans les hôpitaux, dans les restaurants, acceptent des places que ne peuvent pas ou ne veulent pas occuper nos concitoyens. Ils paient des impôts et participent au financement des retraites et des caisses sociales, dont les prestations ne leur sont que très rarement accessibles, en raison de leur séjour irrégulier. Ils contribuent également au dynamisme démographique de notre société, qui connaît un vieillissement certain. Ils aident à maintenir la relation entre les actifs et les inactifs, garante de la cohésion sociale, et participent au dynamisme du marché interne européen par leur consommation.

Alors soyons honnêtes et reconnaissons que les migrants sont une chance pour l’avenir de l’Union face aux défis démographiques et financiers que celle-ci doit relever. Toutes les études nous le confirment.

Or, depuis plusieurs années, l’Union européenne adopte des politiques toujours plus fermes et plus répressives en matière d’immigration et d’asile. Pourquoi ? Pour susciter des peurs et trouver des boucs émissaires eu égard à notre incapacité à répondre aux problèmes de notre société ?

Ce projet de directive préfigure l’installation d’un modèle européen criminalisant les étrangers sans papiers et les demandeurs d’asile, et organisant leur enfermement généralisé, ce qui risque d’engendrer de nouveaux malheurs dont l’Europe portera la responsabilité.

Tout cela est à l’opposé de l’image que l’Union européenne tente d’exporter à l’étranger : celle d’un continent phare éclairant le monde de ses droits et de ses libertés fondamentales et accueillant les victimes.

Il y va donc non seulement de la vie de milliers de migrants, qui se trouvent humiliés et criminalisés, parfois persécutés à leur retour au pays, mais également de l’image de l’Union européenne à travers le monde. Alors qu’elle incarne un certain idéal, il est tout à fait regrettable que l’on se contente, en matière de politique d’immigration et d’asile, d’un dispositif répressif et rétrograde, en complète contradiction avec nos principes fondateurs.

Pour finir, je tiens à citer des propos tenus à Paris par M. Nicolas Sarkozy le 18 mars 2007, au cours de sa campagne électorale : « Je veux être le Président d’une France qui se sente solidaire de tous les proscrits, de tous les enfants qui souffrent, de toutes les femmes martyrisées, de tous ceux qui sont menacés de mort par les dictatures et par les fanatismes [...]. Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux droits de l’homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les droits de l’homme partout où ils sont méconnus ou menacés [...]. »

Je prends donc acte de ces mots, en espérant que M. le Président de la République s’en souviendra et qu’il s’opposera avec force et vigueur à cette directive « retour », surnommée à juste titre « directive de la honte ».

Permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler que les droits fondamentaux sont universels. Leur application ne peut donc pas s’arrêter aux frontières de l’Europe, ni ne concerner que les seuls citoyens européens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Je remercie d’abord tous les intervenants pour ce très riche débat. Les ambitions que nous nourrissions dans l’optique de la présidence française de l’Union européenne étaient déjà grandes, mais chacun de vous les a encore étendues en apportant sa pierre.

Je remercie en particulier le président de la commission des affaires étrangères, M. de Rohan, le président de la délégation pour l’Union européenne, M. Haenel, ainsi que MM. de Montesquiou, Badré, Boulaud, del Picchia et de Broissia de nous encourager à poursuivre le processus de ratification du traité de Lisbonne.

Je remercie en outre le président de la commission des affaires culturelles, M. Valade, le président de la commission des affaires économiques, M. Émorine, le président de la délégation pour l’Union européenne ainsi que MM. de Montesquiou, Badré et Bret d’avoir évoqué des questions politiques européennes concrètes, qu’il s’agisse de l’énergie, de la politique agricole commune, de l’immigration, des PME ou de la situation dans les Balkans. En effet, on attend de l’Europe et de la présidence française qu’elles abordent de telles questions, et je dirai, pour reprendre l’expression de M. de Broissia, que nous voulons faire en sorte que l’Europe soit « positive ».

J’indiquerai, en réponse à MM. Haenel et Badré, que nous ne souhaitons pas « forcer la main » à l’Irlande. D’ailleurs, nous ne serions pas les mieux placés pour le faire ! (Sourires.) Nous ne souhaitons pas non plus nous engager dans la rédaction d’un nouveau traité, ce qu’aucun dirigeant européen ne réclame.

Enfin, nous ne croyons pas que l’idée de créer aujourd’hui un « noyau dur » pour répondre au « non » irlandais soit bonne. L’Irlande ne souhaite pas être marginalisée, et elle nous aidera à apporter les bonnes réponses.

Pour l’heure, nous devons vérifier que tous les États sont d’accord pour que le processus de ratification du traité de Lisbonne se poursuive et étudier toutes les solutions ou pistes possibles. Ce n’est qu’ensuite que nous demanderons aux Irlandais de présenter leurs propres propositions, lorsqu’ils auront eu le temps de mener leurs consultations, d’évaluer le résultat du référendum et de nous indiquer les décisions politiques importantes à prendre pour ce qui les concerne.

Par conséquent, je ne vois pas en quoi il y aurait sur ces différents aspects une quelconque cacophonie gouvernementale, monsieur Boulaud !

Sur ce même point, j’objecterai à M. Bret que l’on ne peut pas prétendre que le Président de la République ait reçu une « réponse cinglante » au travers du résultat du référendum irlandais. Le processus de ratification du traité a surtout permis à la France de redevenir un acteur clé sur la scène européenne. Où en serions-nous aujourd’hui si, à la veille de la présidence française de l’Union, nous n’avions rien fait ?

Je note d’ailleurs, monsieur Bret, que trois des principaux candidats à la dernière élection présidentielle, s’ils divergeaient sur la question du mode de ratification, se sont toujours accordés sur le fait qu’il convenait d’agir et de prendre des initiatives en ce domaine.

Enfin, je veux affirmer très clairement que nous ne stigmatisons pas les Irlandais : ce ne sont ni des ingrats ni des ignares.

S’agissant de la République tchèque, monsieur de Montesquiou, elle a indiqué hier qu’elle ne s’opposerait pas à un consensus si l’on ne tentait pas d’influencer le débat qui se déroule dans le pays.

Quant au Premier ministre britannique, il s’est engagé le 12 juin à poursuivre le processus de ratification du traité de Lisbonne et a confirmé hier qu’il irait jusqu’au bout de cette démarche.

En ce qui concerne les débats sur la mise en œuvre du traité et sur les responsabilités respectives du président du Conseil et du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ils seront, à mon sens, renvoyés après les élections européennes.

M. Badré a souligné à juste titre, pour sa part, que nous devons faire en sorte d’assurer la complémentarité de nos priorités, qui doivent être mises au service du développement et constituer une réponse aux défis globaux que doit relever l’Union européenne.

Plusieurs intervenants, en particulier MM. de Rohan, Haenel, de Montesquiou et Bret, ont évoqué la politique européenne de sécurité et de défense, dans des termes bien sûr différents.

L’expérience des dix dernières années l’a montré : le progrès de la politique européenne de sécurité et de défense dépend davantage de la volonté politique que du cadre institutionnel, j’y insiste. Le cadre de décision existe et fonctionne. Le problème réside davantage dans les capacités.

Comme l’a souligné M. Haenel, cette politique est déjà une politique à géométrie variable. Paradoxalement, monsieur Bret, la plus importante opération relevant de la politique européenne de sécurité et de défense, qui est menée au Darfour, au Tchad et en République centrafricaine, est actuellement commandée par un général irlandais et l’Irlande en est le deuxième contributeur !

Le traité de Lisbonne permettait précisément de développer la politique européenne de sécurité et de défense à géométrie variable au travers de la « coopération structurée permanente », dont on devait préparer la mise en œuvre. Ce qui est clair, c’est qu’avec la suspension du processus de ratification du traité de Lisbonne cette démarche ne pourra pas être mise en place pour le moment, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres coopérations engagées dans ce cadre.

Cela ne doit pas nous empêcher de travailler à des projets structurants dans les domaines aérien et maritime, ce qui nous éviterait de connaître à nouveau les situations de pénurie que nous avons notamment rencontrées lors du lancement de l’opération au Darfour. Nous devons conduire ce travail avec nos principaux partenaires, en particulier le Royaume-Uni et l’Allemagne, et avec tous les pays qui souhaiteront participer à ces projets opérationnels.

Cette politique ne remet pas en cause les statuts de neutralité. L’Irlande et l’Autriche ont contribué à l’Eufor, je le rappelle, et la Suède, qui a également un statut de neutralité, est avec la France le seul État membre à avoir participé à toutes les opérations relevant de la politique européenne de sécurité et de défense. Nous devons donc continuer de débattre avec nos partenaires, qui savent bien que leur statut de neutralité n’est en aucun cas remis en question dans le cadre de cette politique.

J’en viens maintenant aux différentes questions qui ont été soulevées par M. Valade.

Le thème de la défense de la propriété intellectuelle, qui a également été évoqué par M. de Broissia au travers de la question du brevet communautaire, sera bien sûr à l’ordre du jour de la présidence française. Est notamment prévue l’élaboration d’un projet d’accord de lutte contre la contrefaçon avec les États-Unis et le Japon.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. En outre, des discussions sur les brevets auront lieu, en tenant compte des diverses susceptibilités et sensibilités concernant les questions linguistiques. Nous devrons débattre très franchement avec nos partenaires espagnols et allemands – les premiers étant plus susceptibles que les seconds, peut-être ! – et préparer un plan d’action en matière de lutte contre la contrefaçon, ciblé sur la coopération opérationnelle.

La « riposte graduée » ne peut être imposée, mais doit être négociée avec les fournisseurs d’accès à Internet, conformément aux préconisations du rapport de M. Denis Olivennes. Je remercie ceux qui ont mené des actions pédagogiques en ce sens au Parlement européen, notamment M. Jacques Toubon.

Le paquet « télécoms » sera, par ailleurs, traité lors d’une réunion informelle des ministres de la culture et une contribution de la Commission sur le droit d’auteur est attendue pour l’automne. Nous espérons notamment qu’elle permettra d’allonger la durée des droits voisins.

S’agissant toujours des télécommunications, monsieur Émorine, nous sommes très prudents sur la question du régulateur unique, telle qu’elle est présentée par la Commission.

Nous souhaitons une ouverture des réseaux des opérateurs historiques, parce qu’une certaine libéralisation est nécessaire dans ce domaine et qu’il faut tenir compte des évolutions technologiques, et nous sommes favorables à une extension du service public universel à l’accès à Internet et au haut débit.

S’agissant maintenant des très importantes questions relatives au sport posées par M. Valade, il est vrai que la suspension du processus de ratification du traité de Lisbonne nous prive d’une base juridique pour agir, mais nous souhaitons néanmoins aborder cette thématique sous la présidence française.

Ainsi, leur rivalité sportive actuelle n’a pas empêché la France et les Pays-Bas de rédiger conjointement un mémorandum ! (Sourires.)

Ce mémorandum traduit deux conceptions différentes, mais nous sommes d’accord sur le fait qu’une double formation est nécessaire, ainsi qu’un véritable encadrement de la profession d’agent de joueurs. En effet, c’est la seule profession qui ne soit pas du tout encadrée à l’échelon européen !

M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Exact !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Cela représente tout de même un problème.

Par ailleurs, nous devons réfléchir à la gestion des clubs. Nous avons d’ailleurs eu une réunion sur ce sujet à Nyon avec le président de l’Union européenne de football association, M. Michel Platini, et d’autres présidents de fédération. J’en parlerai avec mes collègues le 12 juillet prochain à Brest.

La question du « 6+5 » et d’une certaine réintroduction du critère de nationalité dans la composition des équipes est beaucoup plus délicate. Je le dis à l’adresse de M. Valade, qui est très attaché à un certain club… (Sourires.)

Au regard du droit communautaire, des arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes, des prises de position de la Commission européenne et du Parlement européen, les voies d’avancement sur ce sujet sont objectivement très restreintes, et ce quel que soit le jugement que l’on porte. Toutefois, sous la présidence française, nous nous efforcerons de répondre à vos préoccupations.

M. Emorine a raison de souligner que nous devons concilier les objectifs sous-tendus par le paquet « énergie-climat » et la nécessité de prendre en compte la compétitivité des entreprises européennes, en faisant en sorte d’inclure les importations dans le partage des quotas pour lutter contre les délocalisations. C’est un point important des accords franco-allemands que nous souhaitons développer sous la présidence française.

De même, nous voulons accroître les interconnexions est-ouest en matière énergétique en faisant davantage valoir la solidarité énergétique.

Comme M. de Montesquiou l’a indiqué, nous voulons mettre en œuvre les principales orientations du rapport Mandil en ce qui concerne la coopération avec la Russie – cela ne signifie pas que l’on soit d’accord sur tout ! –, pour parvenir à un équilibre entre l’énergie nucléaire et l’utilisation des énergies renouvelables, et pour garantir une efficacité énergétique.

MM. Emorine et de Montesquiou ont évoqué la politique agricole commune.

Lors du sommet de la FAO, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’est tenu à Rome, la France a proposé de développer un partenariat pour l’alimentation mondiale et l’agriculture, en mettant l’accent sur la qualité alimentaire, l’équilibre des territoires et la sécurité alimentaire mondiale.

Pour en revenir au domaine social, M. Bret a évoqué la question du temps de travail.

L’accord sur le temps de travail auquel est parvenu le conseil des ministres européens de l’emploi n’est en rien un recul en matière de protection des travailleurs. Au contraire ! Auparavant, on pouvait travailler jusqu’à 78 heures par semaine, notamment en Grande-Bretagne. Or ce nouveau texte baisse ce plafond, bien que de manière insuffisante pour certains. Ainsi, le recours à la clause de l’opt-out au-delà de 48 heures est maintenant strictement encadré et soumis à des conditions.

En outre, ce texte, qui est enfin lié à un accord important sur la protection des travailleurs intérimaires, s’inscrit dans une perspective de progrès de l’Europe sociale. C’est le premier texte sur ce sujet issu des travaux des ministres européens de l’emploi qui sera débattu au Parlement européen. Il faut l’apprécier en dépit de ses insuffisances et en tenant compte du fait qu’il ne concerne absolument pas la durée légale du travail en France.

MM. Bret et Boulaud ont évoqué le pacte européen pour l’immigration.

La priorité de ce pacte n’est pas la lutte contre l’immigration illégale. Au demeurant, réguler les flux migratoires en Europe est même une nécessité.

D’ailleurs, l’Europe, quelles que soient les sensibilités des différents gouvernements, qu’ils soient socio-démocrates, libéraux ou conservateurs, n’a pas abordé de manière globale les questions migratoires.

En adoptant une approche globale, nous souhaitons élargir les perspectives et traiter tous les volets relatifs à l’immigration en y incluant les migrations économiques, l’asile – le point le plus difficile – et le développement.

La directive « retour », sujet grave évoqué notamment par Mme Boumediene-Thiery, ne fixe que des standards minimaux et n’oblige en aucun cas les États membres à diminuer leurs garanties.

M. Robert Bret. Encore heureux !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. On peut évidemment regretter, madame Boumediene-Thiery, que ces standards ne soient pas assez élevés. Mais il appartient au Parlement européen de se prononcer sur ce point. C’est ce qu’il fera demain. Toutefois je considère qu’il vaut mieux avancer un peu que pas du tout !

Auparavant, certains pays n’avaient pas mis en place une réglementation en la matière, n’avaient pas fixé de plafond et ne prenaient donc pas en compte le respect de la dignité.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas une raison !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Il faut pourtant le redire !

Il est donc préférable que tous les pays privilégient le retour volontaire au retour forcé. Je dois préciser que sept pays prévoyaient une durée de rétention illimitée. Celle-ci sera désormais plafonnée, et rien n’empêche la France de maintenir son délai de trente-deux jours, le plus court d’Europe.

Enfin, cette directive « retour » n’est pas incluse dans le pacte proposé par la présidence française à ses partenaires, qui, lui, insiste sur les aspects de l’intégration et contribue à organiser l’immigration au sein de l’Union européenne. Car, comme je l’ai souligné dans mon intervention liminaire, nous sommes dans une situation de déficit démographique.

Sur la base des propositions que j’ai énumérées tout à l'heure, j’indique à MM. de Montesquiou et Boulaud que je ne reviendrai pas sur le fait que la politique sociale sera l’une des composantes très fortes de la présidence française. Nous chercherons à obtenir le maximum d’accords possibles en soulevant les thèmes les plus importants que sont le retour à l’emploi, l’inclusion sur le marché du travail, ainsi que la lutte contre les différentes formes de pauvreté, qui nous paraissent devoir être également mises en exergue.

MM. de Broissia et de Montesquiou ont parfaitement raison, il faut aussi mettre l’accent sur les PME. Nous avons œuvré pendant un an – c’est l’une de nos victoires, et pas la moindre ! – pour que chacun s’accorde à vouloir mettre en place un Small Business Act à l’européenne, qui permettrait de faire bénéficier les PME d’un traitement préférentiel. Nous sommes d’ailleurs parvenus, lundi dernier, à un accord avec l’Allemagne pour agir en commun dans ce domaine.

Sur les questions relatives à l’élargissement, la présidence française accordera une attention toute particulière à l’ARYM, l’ancienne République yougoslave de Macédoine. Il est encore trop tôt pour dire si ce pays, qui a obtenu le statut de candidat en 2005, est apte à ouvrir des négociations, mais l’Union européenne doit continuer à l’aider et à assurer sa stabilité dans le contexte nouveau provoqué par l’indépendance du Kosovo. Nous appelons inlassablement la Grèce et l’ARYM à trouver un accord sur le choix du nom de ce pays. C’est la principale difficulté qui a encore été évoquée hier lors du conseil des ministres européens des affaires étrangères.

MM. Boulaud et Del Picchia ont évoqué la question de l’après-2013 en matière financière.

Je tiens à rappeler ici que le mandat des députés européens arrive à son terme, tout comme celui de la Commission. Il sera donc particulièrement difficile à la présidence française de se substituer à ces deux autorités. Dans ce contexte, et si j’en crois ce que j’ai entendu de la part tant du parti socialiste européen que du parti populaire européen ou du parti libéral européen, il sera difficile d’engager ce débat avec le Parlement européen avant la fin de l’année.

Au sujet des relations entre Israël et l’Union européenne, je précise à Mme  Cerisier-ben Guiga qu’elles ne peuvent être dissociées du contexte politique régional. À cet égard, l’Union européenne a rappelé sa position sur le processus de paix et elle a fait part de sa préoccupation constante sur la progression continue des colonies. Tant que cette situation perdure, je le dis clairement, l’Union ne pourra parvenir à un accord politique avec Israël.

Quant à l’Union pour la Méditerranée, le processus de Barcelone a été paralysé par un contexte politique qui existe toujours, et est même aggravé ; Mme Cerisier-ben Guiga n’a pas tort de le souligner. Il a été également paralysé par une bureaucratie trop forte, par la faible attention portée au Sud et par des financements limités.

Dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, nous souhaitons corriger cette situation en prévoyant une gouvernance à parité Nord-Sud, une coprésidence et un secrétariat Nord-Sud, en proposant des approches par projets qui favorisent la coopération, même si c’est difficile, ainsi que des financements variés – communautaires, avec des pays tiers et des partenariats public-privé –, qui n’existaient pas dans le processus de Barcelone.

Il est donc cohérent d’inviter à cette conférence l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée au Sud. Pour vous parler très franchement, si nous devions attendre, dans le cadre du rapprochement que vous souhaitez avec les pays arabes, avec le monde musulman, que ces pays aient des statuts démocratiques comparables aux nôtres, …

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. … cela prendrait malheureusement un certain temps, et le premier sommet de l’Union pour la Méditerranée ne se réunirait pas le 13 juillet prochain !

Contrairement à ce que vous avez dit à propos des initiatives diplomatiques contradictoires, nous profitons là d’une opportunité. Considérant qu’un dialogue s’est noué entre Israël et la Syrie à propos du Golan, que le Liban a un nouveau président de la République, il nous semble souhaitable d’associer ce pays riverain au sommet qui aura lieu les 12 et 13 juillet prochain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce pays sera invité à participer, comme les autres, au défilé du 14 juillet. L’invité d’honneur sera le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon et, à cette occasion, les troupes des Nations unies défileront. C’est un symbole de paix particulièrement fort que de réunir, le 14 juillet prochain, sous la présidence française, Israël, la Syrie et le Liban. Cette rencontre me paraît œuvrer davantage au service de la paix que toute autre considération.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Monsieur le président, je vous prie de m’excuser de prolonger mon propos, mais le débat a été très riche.

M. le président. Je vous en prie, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Plus que jamais, comme plusieurs orateurs l’ont souligné, un accord stratégique franco-allemand est nécessaire. Imaginez ce que serait aujourd’hui une division franco-allemande. Bien sûr, le couple franco-allemand doit être ouvert aux coopérations avec les autres partenaires. Je constate d’ailleurs, dans l’exercice de mes fonctions, que l’Europe reste un modèle d’attractivité.

L’Europe des Vingt-sept n’est pas en cause dans le « non » irlandais. Aucun des nouveaux États membres n’a refusé le processus de ratification jusqu’à aujourd'hui. L’Europe reste, pour ceux qui veulent la rejoindre, un gage de paix et de développement, comme M. de Rohan l’a indiqué.

J’attire votre attention sur le fait que nous avons demandé au Conseil européen qui s’est tenu en décembre – c’est peut-être passé inaperçu – qu’un groupe de réflexion soit lancé sur l’avenir de l’Union européenne. Présidé par M. Felipe Gonzalez, assisté de Mme Vaira Vike-Freiberga et M. Jorma Ollila, et composé de neuf à douze membres, ce groupe de réflexion retrouve toute son actualité dans le contexte du « non » irlandais au référendum et permettra de dessiner de nouvelles perspectives.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Oui !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État. Enfin, il est vrai qu’il existe une contradiction dans le projet européen entre la stratégie à moyen terme qui est mise en œuvre et les préoccupations à court terme des citoyens. Sur ce point, je rejoins plusieurs orateurs qui ont souligné que l’on ne pouvait continuer qu’en prenant mieux en compte ces attentes.

Ainsi que M. de Montesquiou l’a souligné, nous avons notre part de responsabilité dans cet éloignement par rapport aux institutions. C’est ainsi qu’il faut plus de politique, plus de démocratie, plus de réactivité, plus de politiques communes. Nous devons rester un espace de sécurité et de prospérité et répondre aux défis globaux.

Comme M. Badré l’a indiqué, nous ne devons pas avoir honte du chemin parcouru et nous devons être fiers d’avoir construit une union des peuples unique au monde, fondée sur le droit, la démocratie, le développement et les droits de l’homme. Rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai régulièrement devant vous pour réaffirmer ces valeurs. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Le débat est clos.

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée sous le n° 397 et distribuée.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est reprise.

3

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

Modernisation des institutions de la Ve République

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).

M. Robert Bret. Monsieur le président, je souhaite intervenir pour un rappel au règlement.

M. le président. Je vous donnerai la parole plus tard, monsieur Bret.

Mes chers collègues, au nom de tous, je tiens à remercier M. le Premier ministre d’être venu en personne présenter devant la Haute Assemblée ce texte extrêmement important. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Il s’agit de modifier notre Constitution. C’est un acte d’une particulière signification, chacun en a bien conscience. Nous veillerons donc à ce que le débat se déroule dans une grande dignité, comme il est de règle dans cet hémicycle.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUC-UDF et du RDSE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est une arène,...

M. Jean-Louis Carrère. Et qui est le torero ?

M. François Fillon, Premier ministre. ... une arène politique ; les rivalités y sont d’ordinaire légitimes.

Aujourd’hui, cependant, vous êtes invités à débattre d’une cause supérieure.

Au-delà des partis, au-delà des alternances, au-delà de toutes nos oppositions, la Constitution de la République constitue notre loi fondamentale. La réformer n’est donc pas affaire de majorité ou d’opposition : c’est une question de responsabilité à l’égard des Français et de cette démocratie dont nous avons tous la passion !

Réformer la Constitution est surtout une occasion rare ; c’est donc une occasion précieuse. Qui d’entre nous peut jurer qu’elle se représentera à lui ?

En 1973, Georges Pompidou avait tenté d’instaurer le quinquennat. Il portait son projet au nom des évolutions de la société. Il comprenait ses changements avec lucidité et il en tirait les conséquences avec courage.

Devant le Parlement, son projet fut adopté à une courte majorité, mais ne put réunir les trois cinquièmes du Congrès.

Entre les deux, un certain nombre de parlementaires s’était trouvé « d’excellents » arguments pour rester en retrait de cette réforme, les uns estimant qu’elle allait trop loin, les autres pas assez. L’occasion précieuse fut ainsi perdue.

Treize ans plus tard, le cycle des cohabitations s’enclenchait et se brisait sous le choc du 21 avril 2002.

Cet épisode doit nous instruire.

À ceux de mes amis qui craignent les évolutions proposées, je demande : « Êtes-vous bien sûrs que la situation actuelle soit si favorable au fonctionnement de notre démocratie pour ne rien y changer ? ». Et à ceux qui, dans l’opposition, rêvent d’une autre réforme, je pose la question : « Êtes-vous bien sûrs de vouloir refuser un progrès de notre démocratie au nom d’un autre projet, pour l’heure improbable ? ».

M. Jean-Louis Carrère. Oui !

M. François Fillon, Premier ministre. Aujourd’hui, chacun est invité à bien peser ses responsabilités.

Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà cinquante ans, après avoir sauvé l’honneur de la France, le général de Gaulle redressait celui de la République.

Comme nombre d’entre vous, je défends les atouts de la Ve République. Sa force s’est éprouvée au feu des crises, dont celles de la guerre d’Algérie et de la décolonisation. Sa stabilité a fait de la France une nation moderne et respectée dans le monde.

M. le président. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Le Gouvernement est attaché à la Ve République, mais, pour en prolonger l’esprit et l’efficacité, il vous demande aujourd’hui d’en recréer les équilibres.

Vous savez mieux que personne comment la pratique politique a altéré l’exercice de vos droits et ramené la question institutionnelle au premier plan de notre réflexion. Vous savez comment l’élection du président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont érodé les traits originels du parlementarisme rationalisé.

Vous savez, et moi qui ai été longtemps parlementaire je le sais aussi, quel carcan pèse sur les Chambres. Certains me demandent, hors de ces enceintes, si l’affaiblissement du Parlement n’a pas ses avantages. Je ne le crois pas. Un Parlement faible n’est pas le gage d’un gouvernement fort ! Un État est respecté précisément lorsqu’il rend des comptes à un Parlement renforcé.

Rien, mesdames, messieurs les sénateurs, n’obligeait le pouvoir exécutif, dans la position assez commode qui est la sienne, à proposer une révision institutionnelle dont les avancées bénéficieront d’abord au Parlement. Rien, sauf l’engagement pris par le Président de la République de rénover notre démocratie.

M. Jean-Louis Carrère. Façon de parler !

M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez apporter à ce projet, j’en suis convaincu, la hauteur de vues et l’esprit de responsabilité qu’il exige. Vous ferez, en conscience, un choix pour l’avenir.

À entendre les différents groupes, les différentes sensibilités, les voies de cet avenir sont naturellement nombreuses.

Certains prônent un régime exclusivement parlementaire. D’autres, dont je fus, défendent l’idée d’un régime présidentiel.

M. François Fillon, Premier ministre. Certains militent pour des changements de scrutin, d’autres pour la fin complète du cumul des mandats, d’autres encore pour le droit de vote des étrangers... Bref, les propositions sont nombreuses ; chaque conviction est sincère ; chaque thèse a ses arguments.

Aujourd’hui, le moment est venu d’aller à l’essentiel et de nous accorder sur un compromis innovant et réaliste. Innovant, parce que l’ampleur du projet qui vous est soumis le place au tout premier rang des révisions envisagées depuis 1962. Réaliste, parce que, pour vous permettre de saisir cette occasion historique, tout aventurisme, tout risque de dérive institutionnelle ont été écartés du projet.

Il n’était pas facile, et il ne l’est toujours pas, de trouver le bon chemin entre l’audace et le réalisme. Je crois que nous y sommes parvenus et, pour cela, nous avons privilégié la concertation.

Je veux exprimer une gratitude particulière au groupe d’experts de tous bords, présidé par l’ancien Premier ministre Édouard Balladur, qui a défini les premières lignes du projet, mais je veux aussi saluer la commission présidée par le sénateur Jean-Jacques Hyest, qui l’a examiné avec pragmatisme et ouverture, faisant preuve de clairvoyance et de responsabilité.

M. Jean-Louis Carrère. Ouverture, pas trop !

M. François Fillon, Premier ministre. J’ai moi-même voulu, dans un esprit d’écoute et de rassemblement, entendre tous les principaux responsables politiques pour examiner avec eux les propositions susceptibles de réunir le consensus. La revalorisation du rôle du Parlement formait le cœur de toutes leurs demandes : c’est elle qui est consacrée par ce projet de loi constitutionnelle.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Première nouvelle !

M. François Fillon, Premier ministre. Renforcer les prérogatives du Parlement, ce n’est pas renouer avec les errements d’un régime d’assemblée pour lequel je n’ai aucune complaisance.

Le texte de 1958 a été conçu pour tirer l’exécutif des ornières de ce régime impuissant. Nous n’y retomberons pas !

C’est un texte dominé par une logique d’efficacité gouvernementale. Nous n’en braderons pas les outils !

Le recours au vote bloqué, la maîtrise de la procédure pour les lois de finances, l’encadrement strict de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement demeureront intangibles.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous convaincre que la rénovation de notre pacte économique et social engagée depuis un an n’est pas dissociable de cette nécessaire revalorisation du Parlement.

M. François Fillon, Premier ministre. Pour qu’une société de confiance s’instaure, il faut que cette confiance renaisse d’abord entre élus et citoyens.

Pour qu’une culture de la responsabilité prenne racine dans le pays, il faut, au sommet, responsabiliser les pouvoirs eux-mêmes.

Pour raviver les couleurs de l’identité nationale, il faut que votre assemblée soit libre de les brandir.

Pour dégager des consensus face aux grands défis de notre temps, il faut pouvoir les bâtir ici !

Aujourd’hui, et vous le savez mieux que quiconque, la démocratie se réinvente à tous les niveaux. Les collectivités locales poursuivent leur essor. Les réseaux et les associations relaient à une échelle inédite les revendications et les propositions du terrain. L’Europe, quant à elle, déploie ses législations et ses règles communautaires.

Peu à peu, ces pouvoirs nouveaux serrent de près notre démocratie parlementaire ; ils la soumettent à un jeu de concurrence qui n’est pas sans incidences sur le fonctionnement de la République.

Si vous, vous n’incarnez pas la souveraineté nationale, si vous, vous ne relayez pas les débats qui agitent la société française, si vous, vous ne les arbitrez pas, qui le fera ?

Nous avons besoin d’un Parlement influent et écouté.

Nous avons besoin de l’instance de réflexion et d’expertise que seul un Parlement vivant peut réunir.

Nous avons besoin du bicaméralisme et de la pondération qu’il garantit.

Nous avons besoin d’une forte représentation des territoires et des collectivités, dans leur variété et dans leur richesse.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous avons besoin que les qualités propres du Sénat s’expriment plus librement.

M. Jean-Guy Branger. Alors n’y touchez pas !

M. François Fillon, Premier ministre. Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons besoin de cette réforme institutionnelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Allons, mes chers collègues !

M. François Fillon, Premier ministre. Les mesures proposées par le Gouvernement visent à étendre le champ de l’intervention parlementaire ; elles apportent des précisions importantes à la définition des prérogatives présidentielles ; elles défendent l’individu et le citoyen.

Elles vont, si vous les adoptez, profondément transformer vos modes de travail comme ceux du Gouvernement.

Elles reconnaissent au Parlement la liberté de fixer son ordre du jour, qui est arrêté par la conférence des présidents. Ce sera l’une des mesures emblématiques de son émancipation. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale conserveront naturellement le régime spécifique que leur originalité réclame. Je tiens à le souligner, la règle que nous proposons est en œuvre dans toutes les grandes démocraties du monde, où les Parlements maîtrisent leur ordre du jour.

L’autre mesure qui symbolise cette émancipation sera l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Si vous adoptez la proposition du Gouvernement, l’usage de cet article sera désormais restreint aux lois de finances et à un seul autre texte par session.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrête quelques instants sur les craintes relatives à l’encadrement du recours à l’article 49, alinéa 3, exprimées par certains d’entre vous, que je vais m’efforcer de rassurer.

Une telle disposition ne prive pas le Gouvernement de sa capacité de gouverner. Un retour sur l’histoire montre d’ailleurs que l’usage de l’article 49, alinéa 3, s’est progressivement dévoyé. Conçu au départ comme un instrument à usage exceptionnel pour encadrer une majorité réfractaire, il s’est progressivement imposé comme un outil de lutte contre l’obstruction parlementaire.

Aujourd’hui, il nous faut tirer toutes les conséquences de l’instauration du quinquennat, qui conforte le fait majoritaire et présidentiel.

Quant à l’obstruction parlementaire, c’est un problème dont doivent traiter les règlements de chacune des assemblées. Le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, a dessiné plusieurs pistes dans cette perspective, et je ne doute pas que le Sénat puisse en faire de même.

La qualité du travail législatif sera confortée par la pleine reconnaissance du rôle des commissions, dont le nombre pourra être porté à huit. Des champs de compétence mieux délimités et des effectifs plus réduits rendront leur travail plus efficace. Le texte débattu en séance publique sera désormais le leur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s'agit d’une innovation majeure qui étend votre responsabilité législative bien au-delà du droit d’amendement et contraint le Gouvernement à s’impliquer avec davantage de courage et de précision dans la défense de ses propres rédactions.

Un même souci de qualité justifie de prévoir un allongement du délai d’examen des textes. L’assurance d’un examen scrupuleux en garantira la rigueur et l’autorité.

Nous avons eu il y a quelques semaines, au sujet de l’Afghanistan, un débat dont nous devions tenir compte : le projet de révision constitutionnelle prévoit que le Gouvernement sera tenu d’informer dans les trois jours le Parlement de tout engagement des troupes françaises sur un théâtre d’opérations extérieur. Une autorisation parlementaire sera dorénavant nécessaire pour prolonger leur présence à l’étranger au-delà de quatre mois.

Le Gouvernement a accueilli avec intérêt une proposition qui l’oblige à assortir chaque projet de loi d’une étude d’impact poussée. J’y suis favorable, comme à toute mesure qui porte en elle un principe de maturité. L’évaluation fait déjà partie des pratiques que mon gouvernement défend : elle sera systématisée et approfondie. Votre propre rôle dans l’évaluation des politiques publiques, mesdames, messieurs les sénateurs, sera conforté, un quart de l’ordre du jour étant réservé à cette tâche.

Mesdames, messieurs les sénateurs, des points très significatifs ont émergé des travaux de l’Assemblée nationale, et je ne doute pas que le Sénat participera également à l’enrichissement de notre projet.

Ainsi ont été adoptés à l’Assemblée nationale cent sept amendements, dont une vingtaine provenait de l’opposition.

Parmi les accords importants figurent le référendum d’initiative populaire ou encore l’octroi aux commissions chargées des nominations d’un droit de veto à la majorité qualifiée. Une culture de la responsabilité publique se met en place en France ; ce texte la déploie. L’un des amendements adoptés à l’Assemblée nationale crée ainsi la possibilité spécifique de voter des lois de programmation pluriannuelles engageant les finances publiques sur des trajectoires budgétaires vertueuses.

L’origine parlementaire de cette disposition très importante doit encourager le Sénat. Quoi qu’il en soit, elle prouve l’ouverture réelle du Gouvernement aux acquis de vos débats.

Sur l’article 88-5, l’Assemblée nationale a marqué sa volonté d’inscrire dans la Constitution une consultation automatique du peuple français pour les élargissements les plus significatifs de l’Union européenne.

Cette volonté rejoint l’orientation profonde que le Président de la République a déjà exprimée. Faut-il pour autant inscrire cet engagement dans notre texte constitutionnel ? Je sais que, sur ce point, beaucoup d’entre vous ne partagent pas cet avis. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à titre personnel sur cette question et mon sentiment se rapproche du vôtre.

Je crois qu’il faut, au surplus, que nous intégrions dans notre réflexion l’outil nouveau que constitue le référendum d’initiative populaire, proposé par l’Assemblée nationale. Nous attendons des jours prochains une réflexion ouverte sur l’article 88-5. Sur ce point délicat, le Gouvernement sera à l’écoute de tous.

Parce que le succès du dialogue parlementaire dépend des garanties accordées à l’opposition, le Gouvernement se déclare prêt à lever les obstacles constitutionnels qui interdisaient jusqu’à présent l’octroi de droits particuliers aux partis non majoritaires. Il table ici sur votre confiance et sur votre sens de l’intérêt commun. La fixation de l’ordre du jour, une fois par mois, en sera le premier test.

Mais le rééquilibrage souhaité ne repose pas seulement sur cette redynamisation de la vie parlementaire. Le Président de la République a voulu que les prérogatives du chef de l’État soient plus étroitement définies.

Limiter l’exercice présidentiel à deux mandats consécutifs pour faire primer le souci d’agir sur le souci de durer ; soumettre une série de nominations que le Président de la République effectuait jusqu’ici de manière souveraine au droit de regard du Parlement ; encadrer le recours à l’article 16 de la Constitution et soumettre son application à un contrôle accru du Conseil constitutionnel et restreindre l’exercice du droit de grâce à des cas individuels, faire tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est aller plus loin que nous n’avons jamais été !C’est resserrer au plus juste les garde-fous de ce que M. Robert Badinter identifiait comme une tendance de la ve République à la monocratie.

M. Robert Badinter. Absolument !

M. François Fillon, Premier ministre. C’est aussi donner au Parlement les garanties les plus poussées de sincérité, de respect et de vigilance.

Au vu de ces garanties, il me semble tout à fait acceptable, et même d’autant plus légitime, que le Président de la République se voie reconnaître le droit d’intervenir devant le Congrès, sa déclaration ne faisant l’objet d’aucun vote.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’encadrement très strict du droit de message tire son origine de circonstances historiques anciennes et aujourd’hui dépassées.

Notre démocratie mérite aujourd’hui plus de confiance, plus de clarté dans l’échange. Par sa définition très restrictive, le texte qui vous est soumis conserve à cette intervention présidentielle un caractère exceptionnel.

Enfin, le projet de réforme vise à renforcer le pouvoir et la protection des citoyens.

L’initiative populaire est l’un des traits d’une démocratie vivante. Une proposition de la commission Balladur recommande l’instauration d’un référendum d’initiative populaire. Le Gouvernement est acquis à ce principe, dont les modalités restent soumises à votre réflexion.

Les risques de dérives d’une telle procédure ne nous ont pas échappé et nous serons attentifs aux propositions d’encadrement que vous formulerez. Elles auront vocation à figurer dans la future loi organique qui organisera la procédure.

La création d’un défenseur des droits des citoyens constitue, elle aussi, une avancée notable au profit de chaque Français. Dans le prolongement de l’excellent travail accompli par le Médiateur de la République et d’autres autorités indépendantes, ce défenseur des droits des citoyens tirera de son ancrage constitutionnel une autorité morale et une efficacité beaucoup plus grandes.

Prévoir la possibilité que chaque citoyen, s’il s’estime lésé par un service public, puisse être entendu est une disposition qui se passe d’argument. Un même pragmatisme suggère d’introduire dans la culture juridique française, comme c’est d’ores et déjà le cas dans la plupart des grands pays démocratiques, l’exception d’inconstitutionnalité.

Les juridictions françaises savent d’ores et déjà écarter l’application d’une loi qu’elles jugent non conforme à une convention internationale. Si vous en décidez ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, elles feront désormais preuve du même scrupule à l’égard de cette norme première qu’est notre Constitution. Franchement, il est difficile d’expliquer à nos concitoyens que, si, pour dire le droit, tous les textes internationaux peuvent être invoqués, tel n’est pas le cas pour la Constitution. J’en suis convaincu, cette réappropriation par les citoyens de notre loi fondamentale ne peut vous laisser insensible.

À ce propos, je veux dire à mon ami Adrien Gouteyron que les craintes d’un gouvernement des juges doivent être dissipées. En effet, le filtrage des requêtes prévues permet d’assurer que le Conseil constitutionnel ne sera saisi que des contestations les plus sérieuses, qu’il n’aura pas eu l’occasion d’examiner dans le cadre du recours parlementaire.

Cette réforme aura de surcroît des vertus pédagogiques, puisqu’elle incitera chacun d’entre nous à être encore plus attentif au respect de notre texte constitutionnel. La loi en sortira confortée dans son autorité et elle y gagnera en légitimité. Au final, ce sont notre État de droit et notre démocratie qui en sortiront renforcés.

En dernier lieu, le projet de loi constitutionnelle organise la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

L’évolution du rôle dévolu à l’autorité judiciaire dans une démocratie moderne commande que le Président de la République cesse d’assurer la présidence du CSM ; il la transmettra au Premier président de la Cour de cassation ou à son procureur général. Pour garantir l’indépendance et l’ouverture du Conseil, des personnalités qualifiées seront appelées à y siéger.

Beaucoup d’entre vous ont formulé le souhait que la parité soit maintenue en matière disciplinaire. Le Gouvernement se montrera ouvert à votre préoccupation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions que ce projet de loi constitutionnelle nous pose sont sans détours.

Serons-nous à la hauteur de l’occasion historique qui s’offre à nous ? Serons-nous capables de dépasser nos logiques d’affrontement pour faire aboutir un projet où prime l’intérêt général ? Refuserons-nous un texte qui renforce le poids du Parlement et les droits du citoyen ?

M. Jean-Louis Carrère. La ficelle est un peu grosse !

M. François Fillon, Premier ministre. Ceux qui le feront devront s’en expliquer clairement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Nul ne doit s’y tromper : un pouvoir que vous ne saisirez pas sera saisi par d’autres. Un pouvoir dont le Parlement hésiterait à s’investir sera la proie des démagogues, des prétendus experts et des slogans de la rue.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas possible !

M. David Assouline. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !

M. François Fillon, Premier ministre. La Constitution de la ve République est le cœur de notre patrimoine politique. Hésiter à la faire évoluer, c’est en réalité renoncer à la faire vivre.

Le projet qui vous est soumis porte la marque de la créativité que le peuple français attend de nous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Il porte aussi la marque de la raison. Les droits qu’il dépose devant vous sont nombreux et importants. À vous de les juger, de les adopter, puis de les utiliser.

À vous de saisir l’occasion historique de donner un nouveau souffle à notre République. La France mérite que des institutions rénovées l’animent. Vous avez aujourd’hui le pouvoir d’élargir les sources de sa démocratie.

Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, la haute et belle responsabilité qui est désormais la vôtre. (Applaudissements prolongés sur les travées de lUMP. - On applaudit également sur certaines travées de lUC-UDF et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si cela semble avoir moins d’intérêt pour certains médias que l’anniversaire de telle ou telle vedette du spectacle (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.),

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Carla Bruni, par exemple !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … il importe de noter que nous célébrons, cette année, le cinquantenaire de la Constitution de 1958. (Très bien ! sur les travées de lUMP.) Et cela mérite mieux que des colloques, même s’ils sont indispensables ! (Sourires.)

Pour ceux qui ont vécu cette période, ou qui s’intéressent tout simplement à l’histoire de nos institutions, cette Constitution, qui a résisté aux crises politiques et aux alternances électorales, s’est révélée étonnamment efficace, au regard de l’instabilité politique de la fin de la IVe République et de son incapacité à surmonter, notamment, la décolonisation.

M. Yannick Bodin. Alors, gardons-la !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais, loin d’être une réponse circonstancielle à la crise qui l’avait vu naître, notre Constitution, grâce à la prescience du général de Gaulle et des autres « pères fondateurs », a traversé cinq décennies et a fait de la France une démocratie moderne.

D’ailleurs, l’adhésion très profonde de nos concitoyens à nos institutions transcende très largement leurs options politiques, même si quelques-uns rêvent d’une VIe République, bien imaginaire. Mais, dans ce domaine, l’imagination constitutionnelle est inépuisable et permet à certains de se faire un peu de publicité.... C’est toujours bon à prendre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Faut-il rouvrir le « laboratoire constitutionnel » permanent qui a marqué notre histoire politique depuis 1789, suite de régimes à la pérennité fragile, si l’on excepte la IIIe République, qui a connu elle-même plusieurs phases ?

Certes non, mais deux réformes importantes ont certainement eu une influence sensible sur l’équilibre de nos institutions, et le moment est sans doute venu d’en tirer toutes les conséquences.

L’élection au suffrage universel direct du Président de la République, à la suite de la révision constitutionnelle de 1962, et le « fait majoritaire », lié au choix de 1958 du mode de scrutin pour les élections législatives, ont conduit à un renforcement du pouvoir exécutif, ce qui s’est traduit par ce que l’on a appelé le « parlementarisme rationalisé ».

Il a sans doute ouvert la voie à une « présidentialisation » du régime, mais elle a été pleinement assumée par les différents titulaires de la fonction, il convient de le souligner.

Depuis 1958, les impulsions politiques sont données pour l’essentiel par le chef de l’État, hors cohabitation, et cette situation est confortée par l’institution du quinquennat et l’élection des députés à la suite immédiate de l’élection présidentielle.

La tentation est grande, monsieur le Premier ministre, d’en tirer la conséquence d’une orientation vers un régime présidentiel, et vous n’êtes pas le seul ici à aller plutôt dans ce sens.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y est favorable !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais il est sans doute sage, pour préserver l’avenir, de ne pas toucher aux équilibres prévus par la Constitution au sein de l’exécutif et, à cet égard, l’on ne peut que suivre l’Assemblée nationale, qui a supprimé l’article 8 du projet de loi constitutionnelle, en maintenant les prérogatives du Premier ministre en matière de défense nationale.

Conformément aux engagements du candidat à l’élection présidentielle Nicolas Sarkozy, la réforme de la Constitution qui nous est proposée est la plus importante depuis 1958. Si elle est adoptée, elle constituera, j’en suis sûr, le meilleur gage de la pérennité du lien qui unit les Français à la Ve République.

Certes, mes chers collègues, cette révision constitutionnelle est loin d’être la première : c’est la vingt-quatrième depuis 1958 et – jugez de l’accélération – la dix-septième depuis 1992 ! Étant parlementaire depuis 1986, je participe donc à ma dix-septième révision constitutionnelle !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela commence à faire beaucoup ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Trois de ces révisions étaient nécessitées, il faut le rappeler, par l’adaptation de nos institutions à l’évolution des traités européens.

Par ailleurs, mais vous vous en souvenez, monsieur le Premier ministre, monsieur le président, la révision de 1995 visait déjà à moderniser le Parlement, avec la création des offices parlementaires,…

M. le président. La session unique !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …ainsi que, en effet, l’instauration de la session unique, notamment.

Honnêtement, on ne peut pas dire que cette réforme, sur laquelle les parlementaires fondaient des espoirs, a donné de grands résultats.

La réforme qui nous est proposée vise essentiellement à rééquilibrer les institutions en renforçant le Parlement et à mieux assurer et garantir les droits du citoyen.

Elle a été préparée de façon exemplaire par le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard Balladur et nourrie, de manière plus ancienne, par le comité Vedel. D’ailleurs, les débats de l’époque et les propositions d’alors témoignent d’une continuité heureuse entre les divers comités de réflexion qui se sont penchés sur nos institutions.

La présente révision suit aussi la voie tracée par les réflexions mûries au sein du Parlement. Ainsi, de nombreuses propositions font écho aux recommandations formulées en 2002 par le groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale présidé par notre ancien collègue Daniel Hoeffel et, plus récemment, par la mission d’information sur les Parlements de pays européens, dans le rapport cosigné par Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet.

Un certain nombre de propositions ont été reprises par le comité Balladur.

M. Robert Badinter. Pas beaucoup !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si, tout de même, mais nous y reviendrons.

Dans le cadre de cette discussion générale, il n’est pas indispensable de détailler les trente-cinq articles du projet de loi constitutionnelle, d’autant que vous avez largement développé, monsieur le Premier ministre, les aspects essentiels du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

En revanche, je veux souligner la cohérence de la démarche proposée.

Notre commission des lois vous proposera, tout d’abord, de préserver deux acquis essentiels de la Ve République : la plasticité du texte constitutionnel concernant les relations au sein de l’exécutif – nous n’y touchons pas – et son efficacité.

À cet égard, nous nous sommes interrogés longuement sur le degré d’encadrement de la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, concluant, à ce stade de notre réflexion, que le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution était un élément réel de stabilité institutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’occurrence d’une réforme majeure de nos institutions est tentante, mes chers collègues, pour reprendre des débats quelquefois animés sur des sujets, certes importants, comme celui du statut des langues régionales, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la décentralisation ou des retouches à apporter aux domaines de la loi et du règlement.

Cependant, si l’on peut adopter les dispositions votées par l’Assemblée nationale sur différents points, qui ont d’ailleurs donné lieu à de très longs débats, je ne puis que vous inviter tous, mes chers collègues, à la sobriété dans ce domaine, pour garder à la Constitution son caractère de texte régulateur de nos institutions, de leurs équilibres et du fonctionnement de la démocratie.

M. le président. Très bien !

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La Constitution n’est pas la loi organique ; cette dernière n’est pas la loi ordinaire, laquelle n’est pas le règlement ; et j’espère ne pas avoir à descendre, dans la hiérarchie des normes, jusqu’aux circulaires ! (Rires sur les travées de lUMP.)

Sans insister sur la limitation des prérogatives du Président de la République en matière de nomination ou d’exercice du droit de grâce, sur la limitation du nombre de mandats présidentiels, sur la prise de parole du Président de la République devant le Congrès, qui sont des éléments importants du projet de révision constitutionnelle, il me paraît nécessaire de mettre l’accent sur le cœur de la réforme, c'est-à-dire le renforcement effectif des droits du Parlement et, devrais-je ajouter, du respect du bicamérisme, ainsi qu’une meilleure garantie des droits et des libertés.

Sur le premier point, et dans la droite ligne des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois vous propose de conforter les droits du Parlement en matière de contrôle et d’évaluation de la loi et des politiques publiques, de veiller à l’amélioration des conditions de présentation des projets de loi et, surtout, d’organisation des travaux parlementaires.

Nous y reviendrons le moment venu, mais notre objectif est de garantir effectivement, et pas seulement en apparence, les conditions de l’exercice du droit d’initiative du Parlement, des droits de l’opposition en particulier, dans le respect du pluralisme.

L’examen en première lecture du texte des commissions est, sans doute, l’un des éléments de nature à bouleverser le plus profondément la « routine » parlementaire. Il ne sera probablement pas sans effet sur les relations entre l’exécutif et le législatif : nous devons en prendre conscience. C’est ce que nous avons souhaité, tout comme la mission d’information sur les Parlements de pays européens de Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet. Nous aurons, dans le règlement, à en tirer toutes les conséquences.

Parmi les droits du Parlement, celui de voter les résolutions, qui avait été proposé initialement par le Gouvernement et dont l’Assemblée nationale a craint qu’il ne nuise à l’équilibre de nos institutions – chacun a les craintes qu’il peut, ou qu’il veut ! –, nous a semblé souhaitable, à condition qu’il soit encadré et ne permette pas de mettre en cause l’action du Gouvernement.

Une telle disposition éviterait sans doute des lois mémorielles. Je rappelle au demeurant que nous pouvons déjà voter des résolutions dans le domaine européen. Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire sur d’autres sujets ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela, c’est sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous vous proposerons également la recherche du point d’équilibre dans l’exercice du droit d’amendement, tout en préservant l’autonomie des assemblées.

Un des volets essentiel de ce projet de loi constitutionnelle vise à assurer une meilleure garantie des droits et libertés.

Ce volet s’articule autour de quatre thèmes :

Il s’agit, d’abord, dans le respect du pluralisme, de garantir la participation des partis politiques à la vie démocratique.

Il s’agit, ensuite, de permettre, comme l’a fait l’Assemblée nationale, l’institution d’un référendum d’initiative populaire, ou plus exactement d’initiative parlementaire soutenue par une pétition de citoyens, à condition que soit prévu un contrôle de constitutionnalité a priori avant le référendum.

Il s’agit, également, de prévoir l’exception d’inconstitutionnalité sous forme de motion préjudicielle renvoyée au Conseil Constitutionnel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la troisième tentative, et j’espère que ce sera la bonne !

M. Robert Badinter. C’est à voir !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il s’agit, enfin, de prévoir la création d’un défenseur des droits – formule ayant la préférence de la commission des lois, qui s’en expliquera tout à l'heure –, dont nous aurons à préciser les compétences dans la perspective d’une réduction du nombre des autorités administratives indépendantes qui ont tendance, hélas ! à foisonner depuis quelques années, n’est-ce pas, monsieur Gélard ?

En ce qui concerne les autres chapitres de la révision constitutionnelle, outre l’extension du rôle du Conseil économique et social dans le domaine de l’environnement, la commission des lois propose de souscrire largement à la révision proposée concernant le volet européen, bien entendu dans la perspective – mais le sujet est toujours en suspens – de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

Quant à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour répondre sans doute au malaise créé par des affaires judiciaires récentes et lever tout soupçon sur la tentation, réelle ou supposée, de corporatisme de l’ordre judiciaire, la commission souscrit à la réforme proposée, à condition que la procédure disciplinaire soit aménagée pour respecter le principe paritaire des formations du Conseil supérieur dans ce domaine, principe qui existe dans tous les pays européens.

Ambitieuse réforme donc, de nature à revivifier nos institutions et à donner au Parlement, s’il s’y engage résolument, la possibilité d’assumer la plénitude de ses attributions.

Reste un point que nous avons eu l’occasion d’évoquer, voilà quelques jours, et qui ne concerne d’ailleurs pas a priori la révision constitutionnelle, pas plus d’ailleurs à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Si certains en font un préalable, c’est leur droit, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre !

Pour des raisons que j’ai quelque difficulté à comprendre, certains affirment avec constance, mais sans justification réelle, que le Sénat constitue, au mieux, « un défi à la démocratie », au pire, « un déni de démocratie ».

M. Jean-Pierre Bel. Pourtant, on a essayé de vous l’expliquer !

M. Charles Pasqua. C’est parce qu’ils n’y sont pas majoritaires, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Faire du Sénat un « clone » de l’Assemblée nationale, …

M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne le demande !

M. Bernard Frimat. Qui le demande ? Pas nous !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …en l’élisant sur les mêmes critères purement démographiques, ce serait nier ce qui fait sa spécificité, à savoir l’élection au suffrage universel indirect par les représentants des collectivités locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cela n’a jamais été dit !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le débat engagé sur l’avant-projet de loi constitutionnelle, sur son exposé des motifs, que ne manquerait pas de scruter avec attention le Conseil constitutionnel, a créé un doute sérieux sur le maintien de cette spécificité du Sénat.

À cet égard, permettez-moi de citer les excellents et rassurants propos qu’a tenus M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement lors de son audition par la commission des lois : « Le texte précise que le Sénat représente les collectivités locales “en tenant compte de la population” afin que le mode d’élection des sénateurs ne conduise pas à une disproportion excessive du poids de certaines collectivités territoriales au regard de leur population, sans aboutir pour autant à ce que les sénateurs ne soient plus élus essentiellement par les élus ».

C’est ce qu’avait tenu à préciser la commission des lois, en réaction à un tapage médiatique bien organisé et repris en chœur par le microcosme parisien, qui n’a jamais réellement compris la réalité des territoires. (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Louis Carrère. J’ignorais que j’appartenais à un « microcosme parisien » !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il était important de rappeler que ces territoires sont représentés au Sénat !

Rien n’interdit d’ailleurs de faire évoluer le corps électoral de la Haute Assemblée en tenant mieux compte de la population, ce que Josselin de Rohan, Henri de Raincourt, Jean Arthuis et moi-même avions proposé en 1999.

M. Éric Doligé. Un quarteron ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous n’y sommes pour rien si cette proposition de loi, votée au Sénat sur le rapport de Paul Girod, a fait l’objet d’une fin de non-recevoir de la part du gouvernement de l’époque !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Souvenons-nous en !

En définitive, surtout si cela a pu être compris, à tort, comme la volonté d’inscrire le mode de scrutin dans la Constitution, il vaut mieux ne pas modifier l’article 24, puisque l’ajout des mots « en tenant compte de la population » est une évidence, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il nous a été suffisamment reproché de vouloir inscrire dans la Constitution ce qui n’est que jurisprudence ! Aussi, je renvoie à leurs critiques ceux qui nous ont critiqués.

La commission des lois vous propose d’aller au terme de cette démarche et, par conséquent, de ne pas modifier l’article 24.

M. Henri de Raincourt. Elle a raison !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Incidemment, je suggère à tous ceux de nos collègues qui ont déposé des amendements relatifs au mode d’élection des députés de les retirer, afin qu’il ne leur soit pas reproché, pareillement, d’inscrire dans la Constitution le mode de scrutin. Ainsi, nous gagnerons du temps ! (Sourires.)

M. Alain Gournac. C’est direct !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette spécificité du Sénat donne à l’institution un degré d’autonomie, une liberté parfois utile pour la défense des libertés fondamentales, parfois aussi irritante pour le pouvoir en place, quel qu’il soit, mais toujours précieuse à une époque où la « pensée unique » est dominante. Nous devrions tous défendre cette spécificité du Sénat !

Quoi qu’il en soit, à la suite du travail approfondi accompli tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat sur cet important projet de loi constitutionnelle, travail auquel ont pris part nombre de nos collègues, souhaitons que la démarche qui nous est proposée par le Président de la République et le Gouvernement puisse aboutir, pour le plus grand bien de la « démocratie française », tout en préservant les grands équilibres.

Une occasion précieuse, voire historique, pour reprendre votre propos, monsieur le Premier ministre, se présente à nous. Ne passons pas à côté. Je suis sûr que la navette permettra d’aboutir à une réelle modernisation de nos institutions, sans rien renier des principes qui ont fait leur preuve depuis un demi-siècle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur pour avis. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les hasards du calendrier font que le Sénat entame la discussion de la révision constitutionnelle la veille du 18 juin.

À cette occasion, je voudrais rendre hommage à la mémoire du libérateur du territoire, qui nous a aussi légué cette Constitution à laquelle nous sommes fondamentalement attachés. (Vifs applaudissements sur les travées de lUMP.)

Par souci d’équité, et devant plusieurs de ses anciens ministres, vous me permettrez de rendre hommage également à la mémoire de François Mitterrand, qui, en observant scrupuleusement à la fois la lettre et l’esprit d’une Constitution qu’il avait, à l’origine, combattue,…

M. Henri de Raincourt. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. …a fait la preuve que celle-ci était une bonne Constitution. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Issue des propositions du comité pluraliste présidé par M. Balladur, la révision constitutionnelle qui nous est présentée s’annonce également comme une profonde réforme.

Son principal objectif est de rééquilibrer nos institutions en revalorisant le rôle du Parlement.

S’il est un domaine où la notion de rééquilibrage prend tout son sens, c’est bien celui de la politique des affaires étrangères et de défense.

À cet égard, je précise que le général de Gaulle n’a jamais employé l’expression « domaine réservé » ; nous la devons au président de l’Assemblée nationale de l’époque. Au surplus, la notion n’est en rien constitutionnelle. Néanmoins, force est d’admettre que ces questions ont été traditionnellement marquées par la prépondérance de l’exécutif, non que le Parlement soit dépourvu de moyens pour exercer un contrôle sur la politique étrangère et de défense – il dispose, dans ce domaine comme dans les autres, de prérogatives importantes –, mais la volonté, partagée par les parlementaires, de l’unité de la politique étrangère et le relatif consensus qui prévalait sur ces questions ont consacré pendant longtemps une retenue volontaire dans ces domaines et ont conduit à une certaine autonomie de l’exécutif.

Cet équilibre est remis aujourd’hui en question par les aspirations de l’opinion à une transparence accrue et à un débat public sur ces questions, débat dont il est légitime qu’il se tienne dans les assemblées. En outre, le temps n’est plus, pour l’exécutif, à la conquête de prérogatives qui lui seraient disputées par un Parlement ombrageux.

Je serai clair : c’est à l’exécutif, et, en particulier, au Président de la République, élu au suffrage universel direct, qu’il incombe de conduire la politique étrangère et de défense de la France ! Cependant, celle-ci sera d’autant mieux comprise et acceptée par nos concitoyens qu’elle aura été débattue au sein des assemblées.

À cet égard, le projet de loi constitutionnelle renforce sensiblement la place du Parlement. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi et qu’elle a adopté plusieurs amendements visant à conforter le rôle du Parlement. J’évoquerai donc successivement les dispositions du projet de loi constitutionnelle relatives aux questions suivantes : la défense, et, en particulier, le nouveau dispositif prévu en matière de contrôle parlementaire sur les opérations extérieures ; le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et européenne ; enfin, la procédure de ratification des projets de loi autorisant l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.

En matière de défense, l’une des nouveautés du projet de loi constitutionnelle tient à la création d’une procédure de contrôle parlementaire sur les interventions des forces armées à l’étranger. Il s’agit d’un mécanisme « à double détente » : dans le cas d’une intervention des forces armées à l’étranger, le Parlement devra être informé par le Gouvernement dans un délai de trois jours et il pourra éventuellement débattre de cette intervention, sans toutefois pouvoir se prononcer par un vote ; au-delà de quatre mois, la prolongation d’une intervention sera soumise à un vote d’autorisation du Parlement.

Tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, le dispositif proposé me paraît satisfaisant ; il préserve l’équilibre entre la nécessité d’associer le Parlement et celle de ne pas empiéter sur les prérogatives de l’exécutif, dans le souci de ne pas nuire à l’efficacité des interventions militaires. En particulier, la commission des affaires étrangères aurait refusé tout système d’autorisation préalable du Parlement pour les interventions militaires à l’étranger. Un tel système, qui, au demeurant, est très peu pratiqué par nos partenaires, à l’exception de l’Allemagne, pour des raisons liées à son histoire, risquerait, en effet, de paralyser l’action de nos forces armées.

Faudrait-il attendre de réunir le Parlement pour procéder à l’évacuation en urgence de nos ressortissants d’un pays confronté à une crise soudaine ? Une telle attitude serait irresponsable, vis-à-vis tant de nos compatriotes que de nos militaires, et elle risquerait de fragiliser l’exercice par notre pays de ses responsabilités internationales.

Il est vrai que le texte laisse une certaine marge d’appréciation au Gouvernement. Ainsi, la notion d’« interventions des forces armées à l’étranger » reste à préciser.

Je souhaite que le débat sur cet article offre l’occasion au Gouvernement de préciser les critères permettant de distinguer entre les interventions devant donner lieu à une information du Parlement et les autres.

De même, le texte ne précise pas le point de départ du délai de trois jours pour l’information du Parlement. Est-ce la date de la prise de décision par le pouvoir politique ou bien le jour à partir duquel les troupes sont déployées sur le terrain ?

Compte tenu de l’important décalage temporel souvent constaté entre la date de la décision politique et l’engagement effectif de nos forces, par exemple, dans le cadre de l’EUFOR, au Tchad et en République centrafricaine, cette question n’est pas sans importance.

Là encore, la discussion de cet article pourrait permettre de préciser ce point.

Cependant, je crains que cet éclairage ne reste insuffisant et je voudrais proposer à M. le ministre de la défense de réunir sur cette question un groupe de travail auxquels participeraient les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Si le dispositif me paraît équilibré, j’avoue cependant avoir été quelque peu heurté par la disposition selon laquelle, « en cas de refus du Sénat, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur la prolongation de l’intervention ». (Exclamations sur certaines travées de lUMP.)

La commission des affaires étrangères du Sénat a adopté un amendement prévoyant que « la prolongation de l’intervention au-delà de quatre mois est autorisée en vertu d’une loi ». Ainsi, notre propos est identique, mais nous nous abstenons de venir avec nos gros sabots…

Toutefois, contrairement à ce qui prévaut dans la procédure législative ordinaire, le droit d’amendement n’aurait pas vocation à s’appliquer. Comme le précise l’exposé des motifs, l’acte d’autorisation « ne saurait s’accompagner d’aucune condition concernant les modalités opérationnelles d’engagement des troupes ».

Le projet de loi constitutionnelle, et ce sera ma deuxième observation, renforce également le contrôle par le Parlement de la politique étrangère et européenne. Il prévoit en particulier d’étendre le champ des textes européens devant être transmis par le Gouvernement au Parlement au titre de l’article 88-4 de la Constitution, de reconnaître la faculté pour chacune des assemblées d’adopter des résolutions sur tout document émanant de l’Union européenne, de « constitutionnaliser » et de modifier la dénomination des délégations pour l’Union européenne.

Avec le mécanisme de contrôle du respect du principe de subsidiarité, le Parlement français sera encore mieux armé pour suivre les affaires européennes et exercer sur elles une réelle influence.

Le projet de loi constitutionnelle prévoyait également, dans sa version initiale, de reconnaître aux assemblées le droit de voter des résolutions. L’Assemblée nationale a toutefois supprimé cette faculté, au motif que cet instrument ne serait pas de nature à revaloriser le Parlement et qu’il pourrait même se révéler dangereux pour l’équilibre de nos institutions.

Au contraire, la commission des affaires étrangères a estimé, comme la commission des lois, que le vote de résolutions pourrait être utile à condition d’encadrer strictement sa mise en œuvre. Cela permettrait de revaloriser le rôle de la loi et, comme l’a dit fort justement le président de la commission des lois, d’éviter la multiplication de ces lois « mémorielles » qui inscrivent des normes là où elles n’ont pas lieu d’être.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Si le mécanisme des résolutions peut s’avérer utile, il convient cependant de l’encadrer strictement, afin de ne pas dévoyer cette procédure. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires étrangères du Sénat a proposé de rétablir le droit pour les assemblées de voter des résolutions, tout en considérant que les conditions et les limites de son exercice devraient être fixées par une loi organique.

De plus, toute proposition de résolution mettant en cause, directement ou indirectement, la responsabilité du Gouvernement ou de l’un de ses membres devrait être irrecevable.

Enfin, je voudrais évoquer la procédure d’autorisation de ratification des traités d’adhésion à l’Union européenne.

Depuis la révision constitutionnelle de 2005, toute nouvelle adhésion à l’Union européenne, à l’exception de celle de la Croatie, doit obligatoirement faire l’objet d’un référendum dans notre pays. Cette disposition visait surtout à éviter que le débat sur la Turquie n’interfère avec le référendum sur la Constitution européenne, avec le succès que l’on sait…

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il ne serait pas indispensable de consulter les Français par référendum sur l’adhésion d’un pays comme la Norvège, celle-ci n’étant pas de nature à susciter un véritable débat dans l’opinion publique.

En outre, dans l’hypothèse d’une adhésion échelonnée des pays des Balkans occidentaux – par exemple le Monténégro ou la Macédoine –, ce dispositif entraînerait une succession de référendums dont on peut présager qu’ils susciteraient une faible participation.

C’est pourquoi le comité Balladur avait proposé un autre mécanisme, qui, repris dans le texte initial du projet de loi constitutionnelle, prévoyait que tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité d’adhésion à l’Union européenne devrait être adopté en termes identiques par les deux assemblées avant d’être soumis, sur décision du Président de la République, soit au référendum, soit au Parlement réuni en Congrès. Dans ce dernier cas, le texte devrait être adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, comme pour une révision constitutionnelle.

Le recours au référendum resterait donc la procédure de droit commun mais, comme c’était le cas avant 2005, le Président de la République aurait la faculté d’en décider autrement. Toutefois, dans ce cas, la procédure serait plus contraignante que celle qui est applicable aux autres traités internationaux, puisque, je le répète, l’autorisation de ratification serait accordée non pas à la majorité simple, mais à la majorité des trois cinquièmes du Parlement réuni en Congrès.

Ce mécanisme a suscité de vives critiques à l’Assemblée nationale, au motif qu’il ne rend plus obligatoire l’organisation d’un référendum dans le cas d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne.

Sur l’initiative de sa commission des lois, l’Assemblée nationale a adopté par amendement un autre dispositif. Ainsi, les futures adhésions à l’Union européenne relèveraient de la procédure de droit commun applicable à la ratification des traités et accords internationaux. La seule exception concernerait les États dont la population représente plus de 5 % de celle de l’Union européenne : l’adhésion resterait alors soumise à la procédure du référendum.

Le dispositif proposé par l’Assemblée nationale ne me paraît pas satisfaisant, et ce pour quatre raisons.

Tout d’abord, la rédaction retenue, qui réserve un traitement particulier à la Turquie sans toutefois la nommer, est susceptible de porter un grave préjudice aux relations diplomatiques entre la France et un pays ami, et allié. (Très bien ! sur certaines travées de lUMP.)

L’essence même des dispositions de nature constitutionnelle est de poser des principes à caractère général. Or, telle qu’elle est rédigée, cette disposition est à l’évidence directement dirigée à l’encontre d’un seul pays, en l’occurrence la Turquie. En effet, parmi tous les pays actuellement candidats, seule la Turquie répond au critère des 5 %. Inscrire dans la Constitution, c’est-à-dire dans la plus haute norme juridique, une disposition allant directement à l’encontre d’un pays ami et allié, c’est assurément porter un grave préjudice aux relations avec ce pays.

M. Gérard Delfau. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Les autorités et l’opinion publique de ce pays ne manqueraient pas d’être extrêmement sensibles à l’adoption d’une disposition qui serait perçue comme discriminatoire à leur endroit.

Au moment où la France va assurer la présidence de l’Union européenne et où elle a fait du projet d’Union pour la Méditerranée l’une de ses priorités, ce serait un mauvais signal adressé non seulement à la Turquie, mais aussi à nos partenaires européens et, plus largement, à l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen.

Ensuite, cette disposition me paraît anachronique.

Depuis le 3 octobre 2005, des négociations d’adhésion ont été engagées entre l’Union européenne et la Turquie. Je rappelle que cette décision a été prise à l’unanimité par le Conseil des ministres, ce qui signifie que la France l’a pleinement acceptée.

Depuis cette date, les négociations avancent lentement. Sur trente-cinq chapitres, seuls six ont été ouverts et un seul est provisoirement clos, trois ont été « gelés », à la demande de la France. En outre, ces discussions sont conduites à partir d’un « cadre de négociations » dans lequel est précisé que « ces négociations sont un processus ouvert dont l’issue ne peut être garantie à l’avance ».

Ainsi, l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union européenne est une question qui se posera au mieux dans une dizaine d’années et nul ne peut prétendre aujourd’hui connaître l’issue des négociations.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On savait déjà tout cela à l’époque !

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Il est clair, d’ailleurs, que la Turquie ne remplit pas aujourd’hui les conditions pour devenir membre de l’Union européenne.

Toutefois, il ne s’agit pas aujourd'hui de se prononcer pour ou contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et ce n’est pas la question que soulève ce projet de loi constitutionnelle. Ce qui importe aujourd'hui est de savoir si nous maintenons dans la Constitution l’obligation de procéder à un référendum pour un seul pays.

La disposition introduite par les députés est également inutile.

Avec le dispositif proposé par le comité Balladur, le Président de la République conserverait la faculté de consulter les Français par référendum sur toute nouvelle adhésion à l’Union européenne. Compte tenu de tous les préalables qui ont été posés, quel Président de la République pourrait se dispenser de consulter le peuple sur une telle question ? (Marques d’approbation sur les travées de lUMP.)

En outre, comme l’a rappelé M. le Premier ministre, avec le référendum d’initiative populaire introduit par l’Assemblée nationale, les citoyens disposeront d’un moyen de pression important pour demander l’organisation d’un référendum.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis. Enfin, le dispositif proposé par l’Assemblée nationale porte atteinte à la fois aux prérogatives du Parlement et à celles du Président de la République.

Alors que le principal objectif de la révision constitutionnelle est précisément de revaloriser le rôle du Parlement, le dispositif proposé revient à reconnaître une sorte de supériorité de la voie référendaire sur la voie parlementaire. Il aboutirait surtout à diminuer les prérogatives du Président de la République, élu au suffrage universel direct, en restreignant la liberté offerte au chef de l’État de choisir entre la voie référendaire et la voie parlementaire.

Pour ces raisons, la commission des affaires étrangères du Sénat a adopté à l’unanimité un amendement visant à rétablir le texte initial du projet de loi constitutionnelle, tel qu’il avait été proposé par le comité constitutionnel.

En définitive, le projet de loi constitutionnelle préserve un équilibre entre le renforcement du rôle du Parlement et le respect des prérogatives de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle notre commission a émis un avis favorable à son adoption. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour un rappel au règlement.

M. Robert Bret. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole pour ce rappel au règlement, une heure après que je l’ai demandée…

Monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention est relative à l’organisation de nos travaux et au travail des commissions.

« Si le peuple irlandais décide de rejeter le traité de Lisbonne, naturellement il n’y a plus de traité de Lisbonne », affirmiez-vous jeudi soir sur un plateau de télévision, monsieur le Premier ministre.

Le peuple irlandais a voté non. Il a rejoint les peuples français et néerlandais dans le refus d’une Europe qui, fondamentalement, paraît antidémocratique, éloignée des préoccupations des populations. Quel pouvoir d’achat ? Quelles conditions de travail ? Quelle retraite ? Quels soins ? Quelle éducation ? Autant de sujets d’inquiétude pour les citoyens européens !

Aujourd’hui, le Sénat entame l’examen d’une révision constitutionnelle importante politiquement et quantitativement.

Plusieurs dispositions ont trait à l’intégration du traité de Lisbonne dans notre Constitution. Je pense en particulier à l’article 35 du projet de loi constitutionnelle. Par ailleurs, le texte soumis au débat n’évoque pas ce que devient l’article 88-1 de la Constitution, qui permet l’intégration du traité après la ratification par l’ensemble des États membres.

Est-il possible de légiférer constitutionnellement comme si de rien n’était ?

Est-il possible de nier plus longtemps la réalité ? Le traité de Lisbonne est mort, il faut en tirer les conséquences en droit interne.

De deux choses l’une, monsieur le Premier ministre : ou bien le Gouvernement propose des amendements d’abrogation, ou bien le Sénat suspend ses travaux pour analyser les conséquences du vote irlandais sur notre droit. (M. le secrétaire d'État s’exclame.)

Chacun connaît aujourd’hui l’étroite imbrication entre normes de droit interne et norme européenne, sauf vous, peut-être, monsieur le secrétaire d'État ! (Sourires.) Si nous révisons la Constitution sans écarter les dispositions relatives au traité de Lisbonne, nous ouvrons la porte à une confusion extrême sur le plan tant juridique que politique.

Monsieur le président, messieurs les présidents de la commission des lois et de la commission des affaires étrangères, le droit des traités prévoit que l’entrée en vigueur d’un traité nécessite le consentement de tous les États ayant participé à sa négociation. La convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 pose ce principe à l’article 24 de la section 3 : un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité a été établi par tous les États ayant participé à la négociation.

M. Alain Vasselle. Cela n’a rien à voir avec la révision constitutionnelle ! C’est hors sujet !

Mme Bernadette Dupont. C’est vrai !

M. Robert Bret. En d’autres termes, mes chers collègues, juridiquement, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est conditionnée à la ratification des vingt-sept États membres de l’Union européenne.

Cessons de tourner autour du pot, cessons de mépriser la parole du peuple en la réduisant à un incident ou, comme ce matin, à une simple péripétie, cessons de fouler au pied cette essence de la démocratie qu’est le suffrage universel !

Au nom de mon groupe, mais aussi, j’en suis certain, au nom de nombreux parlementaires, je demande à la commission des lois d’examiner, avant d’aller plus avant dans la discussion générale du projet de loi constitutionnelle, les conséquences du référendum irlandais sur notre loi fondamentale.

Vous comprendrez, monsieur le président, que j’attends, avec mes collègues, une réponse à cette question essentielle, qui ne peut être balayée d’un revers de la main. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Robert Bret. C’est tout ?

M. Alain Gournac. Cela a fait plouf !

M. Robert Bret. Quelle considération pour le Parlement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la preuve par l’exemple de la revalorisation du Parlement !

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Bel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, vous le savez, nous l’avons dit et nous en avons rapporté à plusieurs reprises la preuve : nous étions disponibles pour une réforme de notre Constitution qui a aujourd’hui cinquante ans.

Lorsque le processus de réflexion a débuté, nous n’avons pas hésité à participer, à vous communiquer nos travaux, nos rapports et même une proposition de loi qui jetait les fondements d’une nouvelle République.

Certes, pour nous, il s’agissait non pas d’une simple modification des textes et des institutions, mais bien de l’instauration d’une nouvelle pratique du pouvoir, plus respectueuse de la diversité, du pluralisme et de l’échange démocratique.

En effet, nous voyons tous les jours la Ve République s’épuiser dans la concentration des pouvoirs, la dévalorisation du Parlement et l’irresponsabilité présidentielle. La démocratie constitue, c’est une évidence, l’horizon de toute réforme politique d’envergure. C’est à l’aune des avancées démocratiques qu’il faut juger toute modernisation des institutions.

À ce stade, autant le dire tout de suite, monsieur le Premier ministre, grande est notre désillusion ! Mes collègues et moi-même avons essayé de comprendre comment, à partir d’un consensus existant, vous avez pu nous conduire dans une telle impasse.

Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, quels sont aujourd’hui les pesanteurs et les freins à la démocratie dans notre République ?

J’en citerai deux.

D’abord, le Parlement est contesté dans sa représentativité,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Par vous !

M. Jean-Pierre Bel.... abaissé par la présidentialisation, bridé par le Gouvernement, étiolé par la mise à l’écart de l’opposition, étouffé par une majorité souvent godillot, qui ne joue plus son rôle au sein de nos institutions, chacun en convient. (Protestations sur les travées de lUMP.)

Ensuite, véritable déni de démocratie dans un régime bicaméral, l’alternance n’est pas possible dans une des deux assemblées.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Bel. En effet, quel que soit le résultat des scrutins, municipaux, cantonaux, régionaux, il est inscrit en lettres d’or que la majorité ne bougera pas, que la droite sera à tout jamais inamovible et que le Sénat pourra, tel un monarque de droit divin, s’opposer aux réformes voulues par le peuple à l’occasion des élections présidentielle ou législatives qui ont lieu, elles, au suffrage universel direct. (M. le rapporteur s’exclame.)

Monsieur le Premier ministre, à ces anomalies les plus criantes de notre démocratie, qui justifient une réforme ambitieuse de nos institutions, quelles réponses avez-vous apportées ? Je suis au regret de devoir dire qu’elles sont décevantes et même inquiétantes et que, en tout cas, elles ne sont pas à la hauteur de la situation.

Qu’en est-il dans les faits du texte que vous nous proposez ? En réalité, il s’agit d’une réforme qui prétend toucher à tout, mais, au bout du compte, qui ne touche à rien, surtout pas aux déficits démocratiques dont je viens de faire le constat.

Plus encore, votre majorité sénatoriale a même eu la velléité de faire des pas en arrière, plutôt que des pas en avant, en gravant dans le marbre de la Constitution les privilèges inacceptables qu’elle s’accordait à elle-même.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais non !

M. Jean-Pierre Bel. Nous pourrions presque nous sentir soulagés d’avoir, en quelque sorte, échappé à l’ère de la glaciation, même si nous n’en sommes pas tout à fait sortis !

Là où nous espérions une véritable revalorisation des droits du Parlement et de la place de l’opposition, là où nous comptions sur vous pour remédier à l’anomalie des modes de scrutin qui empêchent l’alternance dans une assemblée et une véritable représentativité dans l’autre, vous répondez par une réforme en trompe-l’œil, qui pourrait s’apparenter à un marché de dupes.

Nous pourrions nous demander, monsieur le Premier ministre, pourquoi cette réforme ne passe pas aussi facilement que vous semblez le dire, c’est clair aujourd'hui.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce d’abord le rôle du Président de la République au détriment de celui du Premier ministre.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce la majorité au détriment de l’opposition.

Elle ne passe pas parce qu’elle renforce les pouvoirs d’obstruction du Sénat au détriment d’une Assemblée nationale élue au suffrage universel.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Sénat aussi !

M. Jean-Pierre Bel. Elle ne passe pas, enfin, parce que, au fond, quelles que soient vos déclarations, elle va consacrer, sur un sujet qui réclamerait la contribution de tous, la victoire d’un camp sur un autre.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez compris, les membres du groupe socialiste, même s’ils restent attentifs à la suite des travaux de nos assemblées, ne peuvent souscrire à un texte qui, en l’état, non seulement manque de lisibilité, mais également aggrave le déséquilibre démocratique.

M. Henri de Raincourt. Oh ! Là ! Là !

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le Premier ministre, si vous voulez réellement des institutions rénovées et démocratisées, comme vous nous l’indiquiez au début de votre propos, il vous reste beaucoup de chemin à parcourir. Il faut que vous vous en donniez les moyens. Il vous faut convaincre votre majorité et faire preuve d’audace. C’est là le prix à payer !

À vous d’apporter la démonstration que, parce que vous allez changer d’attitude, vous êtes prêt pour ce grand rendez-vous dans l’histoire de notre République.

Les socialistes, quant à eux, vous attendent. Vous les trouverez ouverts, mais sans complaisance, parce qu’il y va de l’idée que nous nous faisons de la démocratie et de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà quelques instants, Josselin de Rohan faisait référence à la commémoration du 18 juin, demain. Je voudrais, quant à moi, évoquer, en commençant mon propos, le 16 juin 1946, date à laquelle, à Bayeux, le général de Gaulle esquissa l’architecture des institutions qui sont devenues celles de la Ve République.

M. Jean-Louis Carrère. Et le 17 juin ?

M. Henri de Raincourt. Grâce au général de Gaulle, la France est dotée, depuis cinquante ans, d’une Constitution très efficace, qui a fait la preuve de son adaptabilité et qui a également permis à notre pays de recouvrer sa dignité.

Consultés à plusieurs reprises, les électrices et les électeurs ont approuvé cette organisation équilibrée, solide et souple.

Soutenue massivement par le peuple français, la Constitution de la Ve République, je veux tout de même le rappeler, a été vivement combattue, à l’origine, par certaines formations politiques…

M. Henri de Raincourt. … qui dénonçaient la tyrannie de l’exécutif et l’effacement du Parlement.

M. Jean-Louis Carrère. Cela me rappelle le débat sur la décentralisation !

M. Henri de Raincourt. Nous n’avons pas oublié, par exemple, ce qu’écrivait l’auteur du Coup d’État permanent. Heureusement, par la suite, il s’est glissé avec délice et efficacité dans les habits présidentiels.

M. Jean-Louis Carrère. Pour votre plus grand plaisir !

M. Henri de Raincourt. Depuis un an, ce sont souvent les mêmes qui s’émeuvent de la grande activité du Président de la République. Pourtant, il avait prévenu qu’il serait un président acteur, totalement engagé dans la réalisation de son programme.

M. Jean-Louis Carrère. Il ne nous avait pas prévenus de tout !

M. Charles Gautier. Il avait gardé quelques surprises !

M. Henri de Raincourt. Les membres du groupe UMP sont très attachés à la permanence de nos institutions, et ce depuis leur origine ; ils considèrent même qu’ils ont une légitimité certaine à donner leur point de vue lorsqu’il s’agit de les modifier.

Je souhaite seulement en cet instant vous faire part de l’état d’esprit dans lequel les membres du groupe UMP du Sénat abordent la discussion de cette réforme de grande ampleur.

M. Jean-Louis Carrère. On le connaît !

M. Henri de Raincourt. Par principe, nous considérons qu’il faut y regarder de près avant de modifier notre loi fondamentale.

Sa force, c’est son équilibre ; il faut veiller à ne pas le rompre.

Plus un texte de révision constitutionnelle serait dense, plus il chercherait alors à toucher, parfois dans le détail, aux règles du jeu actuelles, plus il fragiliserait ce bel édifice.

Une constitution, c’est un socle, admis par tous, sur lequel chacun peut s’appuyer et dans lequel chacun peut se reconnaître. C’est aussi un code qui définit les règles du « vivre ensemble ».

Certes, et cela a été rappelé, la Constitution a déjà été modifiée vingt-trois fois depuis 1958. C’est beaucoup. Trois modifications déterminantes ont jalonné son parcours. Il s’agit, en 1962, de l’élection du Président de la République au suffrage universel, en 1974, de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou soixante sénateurs, puis, en 2000, de l’instauration du quinquennat.

Aujourd’hui, les élections législatives suivent de peu l’élection présidentielle. C’est un changement considérable qui renforce l’influence du Président de la République. Était-ce l’objectif recherché par les auteurs de la réforme adoptée en son temps ?

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas sûr !

M. Henri de Raincourt. Effectivement, mon cher collègue !

En revanche, il est clair que l’on n’en a pas encore mesuré toutes les répercussions. Le temps politique de l’exécutif s’est notoirement accéléré. Il convient, par conséquent, de l’équilibrer en instaurant une revalorisation correspondante du rôle du Parlement.

Le Président de la République l’a bien compris en déclarant, dans son discours du 14 janvier 2007, qu’il voulait une « démocratie irréprochable ».

Il précisait : « La démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés, mais en fonction des compétences. C’est celle dans laquelle l’État est impartial. […]

« La démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où l’exécutif est tout et le Parlement rien. C’est une démocratie où le Parlement contrôle l’exécutif et a les moyens de le faire.

« La démocratie irréprochable, c’est un président qui s’explique devant le Parlement. »

M. Jean-Louis Carrère. Au Fouquet’s !

M. Henri de Raincourt. « Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. […] nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence. »

M. Henri de Raincourt. Il me semble que nous pourrions tous nous retrouver sur cette ligne raisonnable, sans que quiconque ait à se renier.

M. Jean-Louis Carrère. Au Fouquet’s !

M. Henri de Raincourt. Notre société a connu, depuis un demi-siècle, de profondes mutations.

L’Europe n’est plus seulement un horizon ; elle est un acteur puissant du quotidien.

Depuis vingt-cinq ans, la décentralisation a transformé notre vie locale.

Pour ces raisons, et pour bien d’autres encore, l’action politique s’est inversée : décidée par le haut, elle avait vocation à s’appliquer uniformément et sans discussion. Nos compatriotes veulent dorénavant être écoutés, associés et entendus.

Contrairement à une idée reçue, les Français ne se désintéressent pas de la manière dont s’exerce le pouvoir dans notre pays. Ils souhaitent davantage de transparence, de débat, et d’efficacité.

Ces évolutions doivent nécessairement se traduire dans le fonctionnement de nos institutions, afin de permettre à notre République de progresser.

C’est tout l’enjeu de cette réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République et entreprise par le Gouvernement.

Le groupe UMP souscrit aux grandes orientations de cette révision. En son nom, je veux dire à cet instant que nous apprécions tout particulièrement le travail de la commission des lois et de son président rapporteur, Jean-Jacques Hyest, qui n’a ménagé ni son talent ni sa disponibilité pour donner au Sénat toute la place qui lui revient dans ce débat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Nous approuvons également la volonté de réformer les modes de relation existant entre le chef de l’État et le Parlement.

Actuellement, et comme l’indique, à juste titre, le comité Balladur dans son rapport, ces relations sont placées sous le signe de l’interdit, puisque l’article 18 de la Constitution dispose que le chef de l’État « communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. » Comment justifier aujourd’hui le maintien d’une prohibition désuète, qui remonte à 1875, alors que le chef de l’État peut s’exprimer devant tous les parlements étrangers et qu’il peut parler directement aux Français par l’intermédiaire des médias ?

La possibilité, pour le chef de l’État, d’intervenir devant le Parlement réuni en Congrès nous semble opportune, dans la mesure où les conditions de solennité et de dignité sont respectées.

Le grand bénéficiaire de cette réforme sera incontestablement le Parlement, car elle crée les conditions d’un élargissement de son rôle et un renforcement de celui de l’opposition. (Exclamations sur certaines travées du groupe socialiste.)

Aucune autre réforme de cette ampleur n’a été proposée jusqu’à ce jour. Une place plus grande nous est accordée dans l’élaboration de la loi et dans la maîtrise de la procédure législative. La fonction de contrôle est reconnue dans sa plénitude.

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vrai !

M. Henri de Raincourt. Mais si, mon cher collègue !

L’évaluation des politiques publiques figure désormais parmi les missions du Parlement. C’est une avancée importante.

M. Jean-Louis Carrère. Il n’y a qu’à voir la façon dont vous avez traité le rappel au règlement de M. Bret !

M. Henri de Raincourt. Le Parlement aura également la possibilité de s’exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l’étranger, autrement que par le biais de débats généraux ou lors de la discussion budgétaire.

En outre, toutes les propositions d’actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l’objet de résolutions.

Ce sont des avancées incontestables.

Cette révision est également ambitieuse et novatrice, car elle sera une formidable occasion de repenser les relations et les méthodes de travail entre l’exécutif et le législatif.

Elle sera également pour nous l’occasion de réfléchir sur nos modes de fonctionnement, sur la place des groupes politiques au sein du Sénat et, par là même, sur notre règlement. Le débat politique doit retrouver le chemin de l’hémicycle parlementaire, sans être en permanence rongé par l’excitation médiatique.

L’article 9 du projet de loi constitutionnelle précise que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population. »

M. Jean-Louis Carrère. Cela serait bien !

M. Henri de Raincourt. Mais cette définition n’est pas pour nous pleinement satisfaisante.

Le Sénat, dont les pouvoirs ont été restaurés par la Constitution de la Ve République, a toujours veillé à représenter à la fois la population et les territoires.

Un pays comme la France puise aussi son équilibre et sa cohésion nationale dans la diversité de ses deux chambres.

C’est grâce à leur mode d’élection que les sénateurs peuvent effectivement refléter et exprimer toute la diversité des collectivités territoriales françaises. Le suffrage est, certes, indirect, mais il est universel : les sénateurs sont les élus des élus.

Si le projet de loi constitutionnelle venait à dénaturer la singularité du Sénat, il y aurait là, de notre point de vue, une véritable anomalie démocratique. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Nous avons la conviction qu’il faut préserver ce qui fait la force du bicamérisme, à savoir la spécificité du mode d’élection des sénateurs.

Un amendement déposé par la commission, et que soutiendra le rapporteur Jean-Jacques Hyest, permet, par le retour à la rédaction actuelle de l’article 24 de la Constitution, de préserver cette spécificité.

Pour autant, – je tiens à rappeler ce point que d’aucuns ont tendance à oublier – le Sénat n’est pas figé.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Non, en effet !

M. Henri de Raincourt. Il a même démontré, il y a peu, sa capacité d’autoréforme.

En 2003, la majorité sénatoriale a été à l’initiative d’une réforme audacieuse. (Marques d’approbation sur les travées de lUMP.) La loi organique et la loi ordinaire de juillet 2003 ont, en effet, apporté plusieurs modifications importantes, comme la réduction de la durée du mandat sénatorial à six ans, le renouvellement par moitié tous les trois ans, l’abaissement de l’âge d’éligibilité, le scrutin proportionnel à partir de quatre sièges à pourvoir…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Auparavant, il était à trois sièges !

M. Henri de Raincourt. …l’augmentation du nombre de sénateurs afin d’accompagner les évolutions démographiques du pays sans sacrifier la représentation des départements à faible population.

M. Robert Bret. Vous ne connaissez que la marche arrière !

M. Henri de Raincourt. Si le Sénat doit poursuivre son évolution, il doit veiller à sauvegarder nos équilibres institutionnels et à jouer pleinement son rôle de complémentarité et de modération. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il est vrai qu’à en juger par ce que j’entends, on pourrait se prendre à douter…

Le Sénat ne saurait être un enjeu politicien étranger à son rôle institutionnel. Par le sérieux de son travail et son sens aigu des responsabilités, il vaut mieux que cela. (Marques d’approbation sur certaines travées de l’UMP.)

La dernière dimension de ce projet de loi consiste à conférer de nouveaux droits à nos concitoyens.

M. Jean-Louis Carrère. C’est de la provocation !

M. Henri de Raincourt. La modernisation de nos institutions serait inachevée si elle ne favorisait pas une démocratie plus vivante, plus ouverte.

Comme l’affirmait le Président de la République, notre loi fondamentale n’a pas seulement pour vocation d’organiser le fonctionnement des institutions ; elle reconnaît également aux citoyens des droits qui doivent évoluer au rythme des sociétés.

Le projet de loi constitutionnelle répond, de notre point de vue, à cette attente, en conférant à nos compatriotes de nombreux droits nouveaux, dont l’exception d’inconstitutionnalité, qui existe dans toutes les grandes démocraties.

Nous partageons votre sentiment, monsieur le Premier ministre : la réforme des institutions est une chance historique pour la Ve République. Ne la ratons pas, saisissons-la ! Si, par malheur, cette réforme échouait, il n’est pas certain – c’est même improbable ! – que l’occasion se représenterait avant longtemps.

Le Président de la République le soulignait le 12 juillet 2007, à Épinal, vous vous en souvenez, monsieur le président : « Les institutions, ce sont les points fixes des sociétés humaines. Les institutions, c’est le pont entre le passé et l’avenir. Les institutions, c’est tout ce qui permet que les énergies, les volontés, les imaginations se complètent et s’additionnent au lieu de se disperser et de se contrarier ».

La Constitution, voilà notre guide. C’est dans cet esprit que notre assemblée doit mener ses travaux, animée par le seul souci de servir la République, la France et les Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur certaines travées de lUC-UDF et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions devrait être l’occasion de mener une réflexion en profondeur sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. Si nous ne l’avons pas encore fait, le rejet du traité de Lisbonne par le peuple irlandais devrait nous y inciter encore davantage.

La construction européenne actuelle est, en effet, tout un symbole. Elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu’elle tourne le dos à leurs aspirations.

Quand les peuples sont consultés, comme ce fut le cas dans trois pays, en 2005, sur le traité constitutionnel européen, deux votent contre, alors même que leurs parlementaires avaient voté majoritairement pour.

Les chefs d’État, en France comme dans les autres pays, n’en ont cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples, que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais, obligé de consulter, vient, quant à lui, d’être désavoué par les citoyens !

Mme Annie David. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt Président de l’Union européenne, va-t-il escamoter le « non » irlandais comme il l’a fait avec les « non » français et néerlandais ?

Comment s’étonner que la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ne cesse de se creuser ? En avril, moins d’un an après l’élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D’ailleurs, ils se sont de nouveau massivement abstenus aux élections municipales et cantonales lors desquelles, qui plus est, vous avez été sanctionnés.

Cette crise de la représentation politique est lourde de dangers pour la démocratie. Aussi, les deux questions à se poser, et les seules qui vaillent au moment de débattre d’une réforme de la Constitution, sont les suivantes : la réforme répond-elle à cette crise ? Est-elle une avancée démocratique pour le peuple ?

Le seul fait que le Président de la République n’ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme, dont M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement estime qu’elle est la plus importante depuis 1958, en dit long !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts désignés par le seul Président de la République et de la classe politique.

Vous affirmez que le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il n’y a donc pas besoin de consulter le peuple ! Mais ce candidat avait dit alors beaucoup de choses,...

Mme Annie David. Oui, beaucoup !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... par exemple sur le pouvoir d’achat : on voit ce qu’il en est !

Sur les institutions, il disait ainsi, le 14 janvier 2007, dans un discours prononcé lors du congrès de l’UMP et cité par M. de Raincourt : « Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. [....] Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence ».

Je vous laisse juges de son comportement. Ce qui est certain, c’est que celui-ci a quelque chose à voir avec l’hyperprésidence qu’il a souhaité constitutionnaliser une fois élu, comme l’atteste son discours d’Épinal du 12 juillet 2007.

S’agissant de la transparence, je vous laisse également juges : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, dans laquelle ne figure aucune indication sur les modes de scrutin, le Gouvernement « concocte » sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif ainsi qu’un redécoupage des circonscriptions, paraît-il encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme.

M. Guy Fischer. Du charcutage !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les soixante-dix-sept propositions en sont sorties « conformes », comme disent les parlementaires : un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française et agrémenté d’un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l’exécutif.

Autrement dit, un Président de la République seul véritable chef de l’exécutif, doté d’une majorité qui lui doit son élection – le comité Balladur prévoyait d’ailleurs qu’elle soit élue le même jour ! – et dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s’adressant directement au Parlement, disposant donc d’un pouvoir d’injonction à la représentation nationale, alors même qu’il est irresponsable et dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l’article 16, et je pourrais continuer l’énumération.

M. Ivan Renar. Oui, chef ! Bien, chef !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les qualificatifs abondent : « dérive bonapartiste » ou « monarchie présidentielle », comme le craignait déjà M. Mazeaud, en 1993, à propos du quinquennat.

Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l’avant-projet, notamment ceux qui tendaient de fait à supprimer la fonction de Premier ministre. Mais, soyons clairs, l’économie générale reste la même, si l’on excepte la disparition, au passage, des quelques propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser un tant soit peu l’élection sénatoriale ou à limiter le cumul des mandats.

Le résultat, après le passage à l’Assemblée nationale, c’est que la confusion des pouvoirs demeure, mais que le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.

Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait, selon vous, un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient coupables de refuser, et vous vous êtes même fait menaçant, monsieur le Premier ministre. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ».

Il y a des limites à la méthode Coué, et je constate que vous avez du mal à convaincre.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mon collègue Guy Fischer interviendra plus particulièrement sur ce point. Je dirai seulement quelques mots.

Qu’en est-il, ainsi, de l’ordre du jour des travaux parlementaires, dont vous avez inondé la presse ? En guise de partage, vous proposez deux semaines par mois pour le Gouvernement et une pour le Parlement, dont un jour pour l’opposition. Est-ce cela, le statut de l’opposition ?

Le travail en commission ? L’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause un droit élémentaire des parlementaires, celui d’amender.

Le projet instaure un véritable « 49-3 » de la majorité présidentielle. Je m’étonne donc que notre rapporteur propose de rejeter la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3 : le Gouvernement n’en aura plus besoin !

Le droit de résolution ? Il n’ajoute aucun pouvoir au Parlement. On voit ce qu’il en est en matière européenne !

Les débats thématiques n’apportent rien non plus. On peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement.

L’intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? La majorité des trois cinquièmes exigée pour les refuser la rend inopérante.

En réalité, le projet de loi constitutionnelle ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958, que nos prédécesseurs communistes n’avaient pas votée, déséquilibre accentué par l’élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l’inversion du calendrier, réformes que nous n’avons pas votées non plus.

Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de l’élection présidentielle, et rendant illusoire la séparation de pouvoirs.

En revanche, ce texte tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : le mode de scrutin proportionnel, la limitation du cumul des mandats, le vote des immigrés aux élections locales, l’initiative citoyenne....

Pourtant, le respect du pluralisme, et donc la représentativité du Parlement, sont constitutifs de cette « démocratie irréprochable » annoncée par le Président de la République, ce que Mme le garde des sceaux se plaît à relayer à chacun de ses propos.

Or le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société, avec une moyenne d’âge de soixante ans, 18 % de femmes, 1 % d’ouvriers, une surreprésentation des professions libérales et des hauts fonctionnaires, et l’absence de toute diversité d’origines. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables.

M. Éric Doligé. Qu’est-ce que vous faites là, alors ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial.

Vous avez renoncé à constitutionnaliser l’impossibilité d’élargir le corps électoral mais, également, à tenir compte de la population. C’est donc le retour à la case départ ! Il s’agit d’un cas unique en démocratie : une assemblée législative dotée de pouvoirs de veto et toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs.

Mais que représente le Sénat, sinon les populations des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

M. Éric Doligé. Il ne faut pas se fâcher, c’est mauvais pour la santé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce projet ignore l’aspiration à une démocratie plus citoyenne, qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales.

Les députés ont réintroduit le référendum d’initiative populaire proposé par le comité Balladur et censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en œuvre est si restrictive qu’elle est quasi impossible. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un référendum d’initiative parlementaire. Or, je le rappelle, des parlementaires, avec un moindre nombre, peuvent d’ores et déjà être à l’initiative d’un référendum. Il n’y a donc là rien de nouveau, hormis une annonce démagogique.

Vous répondez en évoquant la nouveauté que représente pour les citoyens l’exception d’inconstitutionnalité. Soit ! Mais à Conseil Constitutionnel inchangé, il ne s’agit pas d’une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement.

Le projet de loi constitutionnelle ignore le nécessaire respect des droits des citoyens, sans lequel il n’y a pas de droit. L’expérience du droit au logement opposable, que vous avez concédé et que l’État ne peut assurer, aurait dû vous alerter.

Vous répondez, cette fois, en invoquant la création du défenseur des droits des citoyens, tout en renvoyant à plus tard la détermination de ses compétences et de son champ d’intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s’engager à l’aveugle ? D’ailleurs, sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique. En revanche, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs. C’est un comble !

Ce projet de loi constitutionnelle ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, pourtant gage d’une démocratie « irréprochable », pour employer vos propres termes !

M. Jean-Pierre Sueur. Sujet d’actualité !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire encore, la majorité veut revenir sur l’obligation de référendum en matière d’évolution de la construction européenne.

Fort heureusement, la commission des lois n’a pas été convaincue par Mme Dati...

M. Robert Bret. Il faut dire qu’elle n’est pas très convaincante !

M. Jean-Pierre Sueur. Et elle n’est plus là !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... et a rejeté le dispositif de l’article 11, qui permettait la rétroactivité de la loi, y compris la loi pénale.

Nous prenons acte du fait que la commission a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination et de discipline, ainsi que l’insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs.

Mais, franchement, rien de tout cela ne change la nature du projet de loi constitutionnelle.

Vous l’avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait même dire « frontale », pour répondre à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Tant mieux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Karoutchi nous a dit, en effet, qu’il n’existait pas d’opposition frontale à ce projet de loi constitutionnelle : je tiens à le démentir.

Mes chers collègues, la seule réponse à la défiance envers les politiques dont nous sommes tous victimes, c’est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes, nous, résolument pour un régime parlementaire, régime reconnu, je le rappelle, comme étant le plus démocratique, avec des élections à la proportionnelle et avec un Parlement qui retrouve ses prérogatives non seulement en matière budgétaire, mais aussi en cas d’utilisation des forces armées – et pas quatre mois plus tard ! – et pour ce qui a trait à la politique européenne.

Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu’il existe dans la société, et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques.

Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d’initiative législative des citoyens et des collectivités locales.

Nous sommes pour des droits réels en faveur des salariés et de leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, une question jamais abordée et pourtant au cœur d’une démocratie moderne.

Chacun ici l’aura compris : les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, comme leurs homologues de l’Assemblée nationale, voteront contre ce projet de loi.

En effet, la réforme ici proposée va à l’encontre des exigences démocratiques de notre temps. La gauche a voté contre à l’Assemblée nationale. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement d’ici au Congrès du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous aviez dit, en décembre, que la réforme nécessiterait l’obtention d’un consensus pour être adoptée. De consensus, il n’y en a pas. Alors qu’il s’agit de réformer la loi fondamentale du pays, assistera-t-on au marchandage de quelques voix pour arriver aux trois cinquièmes requis ? Je n’ose pas le penser. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa promulgation, le 4 octobre 1958, la Constitution de la Ve République a fait l’objet de plusieurs révisions mais rarement, et même jamais, d’une réforme profonde.

Cinquante ans après, le moment est venu de redonner un nouveau souffle à nos institutions. Sans attendre, celles-ci doivent être rééquilibrées, afin que le droit soit mis en accord avec les faits.

L’accumulation de différents facteurs a rendu en effet de plus en plus inapte le « parlementarisme rationalisé », inspiré, à l’époque, par la recherche de la stabilité gouvernementale.

Au fil des décennies, le principe de séparation des pouvoirs, si cher à Montesquieu, est devenu un mythe. Dans la pratique, la Constitution de la Ve république a favorisé l’exécutif au détriment du législatif.

L’installation du fait majoritaire, l’élection du Président de la République par tous les Français, puis, plus récemment, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, ont achevé d’accentuer, sans contre-pouvoirs, la nature présidentielle de notre régime.

Lorsque ce régime présidentiel consiste à disposer d’un exécutif à deux têtes, dont l’une est élue par le peuple et dont l’autre est responsable politiquement devant le Parlement, nous sommes face à une anomalie conceptuelle à laquelle il convient de remédier.

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé est-il en mesure de répondre à l’urgence institutionnelle de notre pays ? Je crains, hélas ! que toutes les conditions ne soient pas réunies pour permettre à notre démocratie de s’épanouir davantage.

Votre réforme, monsieur le Premier ministre, semble trop timide aux yeux des radicaux de gauche, qui se sont investis sur cette question depuis près de vingt ans et qui auraient souhaité que vous fassiez preuve de plus de courage et de détermination.

Si le texte contient des avancées notables, que les radicaux de gauche apprécient, il ne va cependant pas au bout d’une certaine logique qui consisterait à restaurer véritablement le pouvoir parlementaire en supprimant les verrous judicieusement posés par les constituants de 1958 et qui ont conduit, in fine, au musellement des assemblées.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. En effet, il aurait été souhaitable d’aller plus loin et, disons-le, d’instaurer la VIe République, plus à même de répondre au défi de l’équilibre général de nos institutions.

Dans cet esprit, nous, radicaux de gauche, avions déposé, en 2000, au Sénat et à l’Assemblée nationale, une proposition de loi destinée à offrir aux Français une Constitution rénovée qui prenne en compte leurs aspirations et rationalise certaines de nos procédures parlementaires et juridiques, afin de rendre à nos concitoyens le pouvoir dont ils peuvent parfois s’estimer légitimement privés.

Notre vision, que j’ai eu l’occasion de défendre devant le comité Balladur, est il est vrai audacieuse, mes chers collègues.

En effet, nous proposons un régime présidentiel fondé sur une séparation stricte des pouvoirs. Dans cette perspective, nous avons déposé une série d’amendements qui permettent d’en finir avec cette dyarchie au sommet de l’État qui est, reconnaissons-le, une exception dans les démocraties occidentales.

Il va bien entendu de soi que cette instauration du régime présidentiel repose sur un renforcement net et sans faux-semblants des pouvoirs du Parlement.

Nous proposons donc de mettre un terme au droit de dissolution et à la motion de censure. Nous voulons également la maîtrise par le Parlement de son ordre du jour et de son fonctionnement, ce qui implique la suppression radicale de l’article 49, alinéa 3, et du recours à la procédure d’urgence pour le vote des lois.

Mes chers collègues, la revalorisation des droits du Parlement passe aussi par la possibilité, pour ce dernier, de donner son accord sur certaines nominations du Président de la République, et non pas seulement son avis. Nous proposerons donc une modification rédactionnelle à l’article 4.

Je me propose de citer quelques-uns, parmi d’autres, des dispositifs qui nous sembleraient opportuns.

Restauré dans ses droits, le Parlement doit aussi garantir l’expression du pluralisme. C’est un volet de la réforme auquel nous tenons. Je dois dire que les rédacteurs du projet de loi constitutionnelle sont insuffisamment volontaires sur ce thème. C’est pourquoi nous proposerons, nous, les radicaux de gauche, une autre rédaction de l’article 24 sur les droits des groupes, car le critère de distinction retenu de la majorité et de l’opposition ne recouvre pas l’exacte réalité de la vie parlementaire et encore moins sa diversité.

MM. Gérard Delfau et Michel Mercier. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. En outre, nous souhaitons l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés.

En effet, on ne peut pas à la fois proclamer vouloir renforcer les droits des citoyens et les priver du premier d’entre eux, celui d’être représentés au Parlement dans la diversité de leurs opinions.

Le texte est insuffisant sur ce thème et, monsieur le rapporteur, les amendements de la commission des lois destinés à bloquer une éventuelle alternance au Sénat en constitutionnalisant le mode de scrutin sont une provocation, à tel point, d’ailleurs, que vous avez préféré les retirer. Cependant, il n’empêche que le problème du mode d’élection des sénateurs et de l’alternance au sein de la Haute Assemblée reste posé : il ne suscite de votre part ni réponse, ni proposition. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)

Nous, radicaux de gauche, serons intransigeants sur ce point, tout comme nous le serons aussi s’agissant de l’article 33, affublé, en première lecture, d’un critère démographique qui vise clairement la Turquie. Nous mettrons tout en œuvre pour revenir sur ces petits calculs indignes de la loi fondamentale.

Enfin, mes chers collègues, la Constitution, c’est aussi un ensemble de principes fondamentaux qui doit rester à l’abri de toute transaction circonstancielle ou partisane.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. Je pense, en particulier, à la laïcité, de plus en plus fragilisée dans son essence.

M. Gérard Delfau. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet. Alors qu’elle devrait être un principe intangible, sa définition varie au gré des débats et des souhaits de chacun. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

Pour les radicaux, il n’y a pas de laïcité positive, pas plus qu’il n’y a de laïcité négative ou même plurielle. Notre République ne saurait se définir en fonction d’une laïcité à géométrie variable.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Jean-Michel Baylet. C’est pourquoi nous souhaitons que soient rappelées avant l’article 1er les sources de ce principe, défini dans la loi du 9 décembre 1905, dans la loi de la République. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Mes collègues députés radicaux se sont abstenus lors du vote de ce texte et leur président, M. Gérard Charasse, a parlé d’une abstention positive. C’est dire que, malgré les critiques, nous estimions que ce projet de loi offrait des avancées et permettait même beaucoup d’espoir.

La vérité nous oblige à vous dire aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, que les amendements de la commission des lois du Sénat, hors l’heureuse initiative concernant la Turquie, scandaleusement visée, et elle seule, par la règle des 5 %, ont beaucoup choqué. Malgré cela, nous voulons rester confiants et, comme l’ont fait nos collègues députés, nous nous abstiendrons, mais sachez que nous passons d’une abstention d’espoir à une abstention négative de prudence. (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Philippe Marini. Quelle subtilité !

M. Jean-Michel Baylet. J’espère que, d’ici au Congrès, vous saurez faire évoluer ce texte de manière satisfaisante – j’en ai dit certaines conditions – et que nous pourrons enfin doter la France d’une Constitution moderne et plus démocratique. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « notre démocratie a aujourd’hui besoin de voir ses institutions modernisées ». « Il convient […] de mettre un certain nombre de limites aux pouvoirs du Président de la République », « il est indispensable de rééquilibrer les pouvoirs du Parlement par rapport à ceux de l’exécutif. » Il convient également de proposer « les moyens de rendre la fonction parlementaire plus valorisante », de répondre aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent « une vie politique plus ouverte, […] plus représentative de la diversité de leurs opinions, et où les droits des citoyens seraient renforcés. »

C’est ce qu’écrivait le Président de la République à M. Édouard Balladur dans la lettre de mission qu’il lui adressa, lorsqu’il lui confia la charge de présider un comité chargé de préparer cette révision constitutionnelle.

D’ailleurs, Édouard Balladur avait fort bien compris, comme en témoignent ces recommandations formulées dans le rapport remis au Président de la République : « Pour autant, force est de constater que les institutions de la Ve République ne fonctionnent pas de manière pleinement satisfaisante. En dépit des nombreuses révisions constitutionnelles intervenues ces dernières années […] les institutions peinent à s’adapter aux exigences actuelles de la démocratie. » Il faut « encadrer davantage l’exercice des attributions que le Président de la République tient de la Constitution elle-même », « renforcer le Parlement ». « Améliorer la fonction législative, desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé, revaloriser la fonction parlementaire, doter l’opposition de droits garantis, renforcer le pouvoir et les moyens de contrôle du Parlement : telles sont, aux yeux du Comité, les grandes lignes du nécessaire rééquilibrage de nos institutions » qu’il convient d’entreprendre afin de donner un caractère plus démocratique à nos institutions.

Notre groupe partage pleinement l’avis de M. Balladur lorsqu’il constate que « la nécessité d’une démocratisation des institutions est pressante. »

C’est donc dire la confiance - voire l’enthousiasme - avec laquelle notre groupe s’est engagé dans ce débat, tant les annonces faites par le Président de la République ou contenues dans l’exposé des motifs du présent projet de loi nous semblaient conformes à ce que nous pouvions formuler nous-mêmes : ce combat était le nôtre !

Nous attendions donc avec une confiance totale cette réforme et nous espérions beaucoup de ce rééquilibrage, destiné à favoriser l’émergence d’une « République moderne », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Pierre Mendès France qui, pour beaucoup d’entre nous, alors étudiants, avait un vrai sens.

Les choses semblaient relativement simples pour notre groupe, d’ailleurs. En effet, nous connaissons tous les problèmes qui se posent et nous savons à peu près ce qu’il nous faut pour les résoudre : des institutions rééquilibrées pour une République plus démocratique.

Des institutions rééquilibrées supposent, bien sûr, un Président qui gouverne, mais qui est encadré. Le Président gouverne parce qu’il est élu au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens, et nous devons prendre en compte cette réalité, même si, formellement, de la lecture de la Constitution on peut tirer des conclusions légèrement différentes.

Nous avons souvent évoqué le passé : ainsi, le général de Gaulle, au cours de la conférence de presse du 31 janvier 1964 – je suis sûr que M. Adrien Gouteyron partagera au moins ce souvenir avec moi ! –…

M. Adrien Gouteyron. Mais d’autres aussi, monsieur Mercier ! (Sourires.)

M. Michel Mercier. … rappelait que le Président est la clé de voûte de nos institutions.

Nous sommes d’accord sur ce point, mais il faut encadrer ce pouvoir. Beaucoup des dispositions que contient le projet de loi constitutionnelle donnent satisfaction de ce point de vue.

Nous sommes ainsi d’accord pour limiter à deux le nombre de mandats présidentiels. Nous sommes d’accord pour que la procédure de nomination, qui est si importante, soit encadrée, organisée, et qu’il s’agisse là d’un premier pas vers l’instauration d’une véritable codécision. Nous sommes également d’accord sur les dispositions relatives aux pouvoirs spéciaux et aux opérations militaires.

Ce texte renferme donc, selon nous, un ensemble de mesures intéressantes et de nature à favoriser un meilleur équilibre des institutions, d’autant que d’autres dispositions tendent à libérer le Parlement du carcan dans lequel il a été placé en 1958.

Pour citer une fois encore l’ancien Premier ministre M. Balladur – comme vous le voyez, je fais très attention dans le choix de mes citations, en veillant à ne sélectionner que les meilleures, celles qui ne souffrent d’aucune contestation ! –, il faut « desserrer l’étau du parlementarisme rationalisé ».

Il y eut un temps où nous avions besoin d’un tel parlementarisme rationalisé pour sauver le régime parlementaire et, probablement, la République.

Il y a maintenant un temps pour ouvrir « les portes et les fenêtres », et c’est ainsi qu’il convient d’agir.

Parmi les dispositions du projet de loi constitutionnelle, tout ce qui concerne les pouvoirs du Parlement en matière de vote de la loi, d’évaluation des effets de la loi et des politiques publiques constitue des avancées satisfaisantes, qui recueillent notre assentiment. De la même façon, nous n’avons pas de critiques à formuler sur la fixation de l’ordre du jour : celui-ci sera désormais déterminé par le Parlement, avec des droits préservés pour le Gouvernement.

Par ailleurs, nous réitérons notre attachement au droit de résolution, qui a été supprimé par l’Assemblée nationale. Nous souhaitons donc qu’il soit rétabli par le Sénat. Je le rappelle, ce droit de résolution est essentiel dans un système parlementaire, et il ne faut pas le confondre avec le droit d’interpellation. D’ailleurs, dans sa lettre de mission à M. Balladur, le Président de la République, évoquant les droits du Parlement, soulignait « l’opportunité de permettre au Parlement d’adopter des résolutions susceptibles d’influencer le travail gouvernemental ».

Cette révision constitutionnelle peut donc aboutir à des institutions rééquilibrées. Mais nous souhaitons aussi qu’elle soit l’occasion de construire une République plus démocratique.

Pour nous, le suffrage et les citoyens sont la seule source du pouvoir.

MM. Jean-Pierre Bel et Bernard Frimat. Absolument !

M. Michel Mercier. C’est à partir de cette règle toute simple, basique même, qu’il nous faut organiser la révision constitutionnelle, pour pouvoir enregistrer de réels progrès sur le plan démocratique.

À cet égard, il importe à notre avis d’aller au moins dans deux grandes directions, en s’intéressant tout d’abord à la représentativité du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez écrit vous-même en toutes lettres dans l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle : « Un Parlement renforcé est […] un Parlement plus représentatif. »

Pour tout un chacun, un Parlement plus représentatif, c’est un Parlement qui obéit davantage aux citoyens, en s’efforçant de retracer le plus fidèlement possible dans les textes la volonté qu’ils ont exprimée par leur vote.

M. Jean-Pierre Bel. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Guy Fischer. Oui !

M. Michel Mercier. Sur ce point, le pluralisme doit être garanti par la Constitution, et ce dans les deux acceptions suivantes : pluralisme de l’expression et de la représentation.

M. Jean-Michel Baylet. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Nous souhaitons donc que les groupes parlementaires issus du suffrage universel disposent tous des mêmes droits. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Michel Mercier. C’est fondamental ! Nous ne pouvons pas accepter l’idée que, au détour d’une phrase alambiquée, on organise un bipartisme réducteur. (Mêmes mouvements. – M. Philippe Adnot applaudit également.)

MM. Jean-Louis Carrère et Guy Fischer. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Michel Baylet. Il a raison !

M. Michel Mercier. Notre groupe ne cédera pas sur ce point !

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas le bipartisme que le Gouvernement organise, c’est le parti unique !

M. le président. Monsieur Carrère, cessez d’interrompre systématiquement les orateurs !

M. Michel Mercier. Le respect de tous les votes et du pluralisme doit être total. Il en va de la considération que nous, parlementaires, devons à ceux qui nous ont élus.

La démocratie, ce n’est pas simplement l’affaire des élus entre eux ; c’est aussi et avant tout celle des citoyens.

M. Adrien Gouteyron. Quand ils votent, oui !

M. Michel Mercier. Bien entendu, nous nous félicitons de ce que nos concitoyens puissent avoir accès à la justice constitutionnelle, ce qui va dans le sens d’une justice plus indépendante. De la même façon, nous approuvons les dispositions relatives au droit européen ainsi qu’aux relations entre le Parlement national et les institutions européennes. S’agissant de l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, nous souhaitons néanmoins en revenir au texte du Gouvernement.

Mais l’essentiel n’est pas là : si, au départ, nous étions confiants, voire enthousiastes, nous sommes désormais quelque peu inquiets, ayant constaté que la commission des lois a rejeté tous nos amendements.

M. Bernard Frimat. Vous n’êtes pas les seuls à qui cela est arrivé !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Nos amendements ont subi le même sort !

M. Michel Mercier. Après une telle fermeture, nous espérons que le débat sera placé sous le signe de l’ouverture totale ! Mais, pour l’instant, je le répète, notre enthousiasme du départ est pour le moins retombé.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le secrétaire d’État, en ce qui concerne le pluralisme de la représentation, soyons clairs : s’agissant de l’Assemblée nationale, tout le monde sait ce que cela signifie ; s’agissant du Sénat, nous considérons que le texte proposé par le Gouvernement est satisfaisant et que, à tout le moins, il convient de le conserver en l’état.

En définitive, nous souhaitons que tous les groupes parlementaires disposent des mêmes droits et puissent avoir les mêmes responsabilités. (M. Jean Arthuis applaudit.)

M. Bernard Frimat. Très bien !

M. Michel Mercier. Monsieur le Premier ministre, on ouvre le recours en contrôle de constitutionnalité à tout le monde : non seulement aux présidents des assemblées, au Premier ministre, à soixante députés ou soixante sénateurs, mais aussi à tous les Français.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Michel Mercier. Que ce soit par la voie de l’exception ou par celle de l’action, finalement, cela revient au même.

Ne pensez-vous donc pas que tous les groupes parlementaires pourraient également se voir ouvrir le droit de saisir le Conseil constitutionnel ? Certes, nous pourrons agir en tant que simple citoyen, mais ce serait tellement plus démocratique et tellement plus équilibré de pouvoir le faire en tant que parlementaire.

Cela étant, mes collègues du groupe de l’Union centriste et moi-même accordons toujours une grande confiance au débat, car nous sommes d’abord et avant tout des parlementaires. Nous souhaitons que cette discussion soit l’occasion d’obtenir de bons résultats. Pour l’instant, tel n’est pas le cas.

Je vous ai précisé très clairement les points sur lesquels nous attendons du Gouvernement qu’il fasse plus que nous écouter. Il faut que les intentions affichées par le Premier ministre, par le Président de la République et par M.  Balladur au début du processus deviennent réalité ; n’en arrivons pas, de reculade en reculade, au statu quo ou à une simple réformette. Nous souhaitons véritablement faire de cette réforme une vraie réforme dans laquelle les institutions, le Parlement, l’exécutif et les citoyens trouveront leur compte ! (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Michel Houel et Jean-Pierre Raffarin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (M. le Premier ministre quitte l’hémicycle.)

M. Jean-Louis Carrère. Il fait fuir le Premier ministre ! (Sourires.)

M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui oserait prétendre que la modification de nos institutions fait partie des attentes prioritaires des Français ?

Assommés par la flambée des prix du pétrole et des produits alimentaires, inquiets de leur devenir immédiat et, pour les plus fragiles d’entre eux, forcés de choisir entre se loger, se nourrir ou se soigner, les Français ont, à juste titre, d’autres préoccupations. Ils sont néanmoins les premiers concernés, car un débat sur les institutions, c’est d’abord un débat sur le degré de démocratie de ces dernières.

C’est avec cet objectif prioritaire de faire progresser la démocratie que les parlementaires socialistes ont abordé la révision constitutionnelle.

À l’issue de la première lecture, les députés socialistes ont émis un vote négatif, compte tenu de la modestie des avancées effectuées en comparaison des nombreux refus opposés à leurs propositions. Il appartient donc au Gouvernement et à la majorité de manifester, au Sénat, une attitude de réelle ouverture, qui permettrait d’adopter des modifications significatives. Faute de cela, nous serions contraints d’émettre un vote négatif.

M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !

M. Bernard Frimat. Je reconnais volontiers qu’il faut une solide dose d’optimisme pour attendre de ce débat au Sénat un progrès démocratique. Mais ne ratons pas cette occasion de vérifier si, comme nous l’avons entendu lors de la campagne présidentielle, « ensemble tout devient possible ».

Laissons de côté le terme flou de « modernisation » ; il est trop souvent un simple habillage utilisé pour dissimuler, notamment dans le domaine économique, les régressions sociales les plus importantes. Attaquons-nous plutôt au déficit démocratique dont souffrent les institutions de la Ve République.

Le quinquennat a, de fait, renforcé les pouvoirs du Président. La version initiale du projet de loi constitutionnelle prévoyait la possibilité, pour le Président, de venir s’exprimer à sa convenance devant le Congrès, l’Assemblée nationale ou le Sénat.

Cette modification institutionnelle a été qualifiée par Mme Élisabeth Zoller, professeur à l’université Paris-II et directrice du centre de droit américain, de « changement de régime ». La Ve République basculerait alors, selon elle, dans un régime consulaire digne de l’An VIII, le Président cumulant ses pouvoirs actuels d’arbitrage, le droit de dissolution de l’Assemblée nationale et la capacité d’exprimer, en tant que législateur en chef, son programme de gouvernement devant le Parlement. Mme Zoller concluait à la nécessité de mettre en place, à l’instar du système américain, les poids et contrepoids pour « tempérer les effets d’une tyrannie toujours possible de la majorité ».

Les pouvoirs du Président sont suffisamment étendus pour refuser leur extension. En conséquence, mes chers collègues, déplacer plus de neuf cents parlementaires au Château de Versailles…

M. Bernard Frimat. …est sans doute une modernisation si les autobus remplacent les carrosses, mais ce n’est pas une avancée démocratique !

M. Jean-Louis Carrère. Nous n’irons pas tous l’écouter !

M. Bernard Frimat. En revanche, l’encadrement du pouvoir de nomination du Président peut en être une.

M. Bernard Frimat. Encore faudrait-il qu’il ne s’agisse pas d’un trompe-l’œil.

M. Jean-Pierre Bel. Exactement !

M. Bernard Frimat. Donner aux parlementaires un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes, c’est en réalité autoriser toutes les nominations qui recueilleraient 40 % d’avis favorable, ce qui n’a pas grand sens quand on dispose de la majorité. En remplacement de ce faux-semblant, il nous semble qu’une réelle avancée démocratique nécessiterait l’obligation de recueillir des parlementaires une approbation de la nomination à la majorité des trois cinquièmes. Au-delà de la reconnaissance majeure qui serait accordée à la personne nommée, cela contribuerait à favoriser la création d’une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion.

Ce respect du pluralisme d’opinion devrait conduire également à nous interroger sur la prise en compte du temps de parole du Président. La règle des trois tiers était acceptable quand les interventions du Président étaient un événement.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Bernard Frimat. Elle ne l’est plus quand celles-ci relèvent de notre quotidien.

M. Jean-Pierre Sueur. De notre « multi-quotidien » !

M. Bernard Frimat. Notre demande ne vise pas à contraindre d’une quelconque façon la liberté d’expression du Président ; nous n’avons pas cette cruauté. Notre objectif est simplement de faire disparaître le déni de démocratie dont sont victimes toutes les autres composantes du Parlement.

Le rapport Balladur avait fait une préconisation en ce sens. Il serait important que le Gouvernement évolue positivement sur ce sujet. Il nous revient de faire cesser le caractère grotesque d’un contrôle qui, pendant les semaines de campagne électorale, réglemente à la seconde près le temps de parole, mais ignore ensuite une inégalité audiovisuelle aussi flagrante que permanente.

L’exposé des motifs du projet de loi affirme la volonté du Gouvernement de revaloriser le Parlement. Cette revalorisation ne peut se limiter à des améliorations techniques des travaux parlementaires, et M. le Premier ministre en convient d’ailleurs dans l’exposé des motifs. À cette fin, le Gouvernement souhaite surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui « a eu pour effet d’interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».

Même si la proposition de modification de l’article 24 est en recul par rapport aux conclusions du comité Balladur, sa rédaction peut permettre une avancée démocratique dont vous fixez d’ailleurs la date d’application en 2011.

La simple perspective de cette avancée glace d’effroi les sénateurs UMP et assimilés ; l’idée même de perdre éventuellement un jour la majorité au Sénat leur est insupportable. Il est urgent pour eux de vider de son sens votre proposition pour que rien ne change au Sénat, et ce quels que soient les choix politiques exprimés par le peuple lors des élections locales. (MM. Jean-Louis Carrère, François Marc et Louis Mermaz applaudissent.)

Pour y parvenir, une première tentative de ces sénateurs serruriers a consisté à verrouiller de manière explicite la composition actuelle du collège électoral sénatorial en la constitutionnalisant, ce qui interdisait pour l’avenir toute évolution, même mineure. Ils y ont en apparence renoncé ce matin, mais cette modification n’est qu’une illusion puisque la nouvelle proposition n’est rien d’autre que le maintien de la situation actuelle, situation qui ne tient pas compte de la population et que M.  le Premier ministre disait vouloir corriger. Il appartient donc à ce dernier de dire s’il approuve ce mépris du suffrage universel, cette négation de la démocratie…

M. Josselin de Rohan. Oh là là !

M. Bernard Frimat. … qui s’inscrit à l’opposé de la volonté affichée d’améliorer la représentativité du Parlement.

Revaloriser le Parlement, c’est aussi accorder des garanties constitutionnelles à l’exercice du droit d’amendement. Le droit d’amendement, c’est la liberté d’expression individuelle de chaque parlementaire, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition. Nous ne pourrions accepter que l’exercice de ce droit soit régi par le seul règlement de chaque assemblée. Nous refusons de remettre dans les mains de la majorité UMP du Sénat le pouvoir de décider quelle liberté surveillée elle daignera nous concéder.

Il me reste un ultime point à évoquer, celui du droit de vote aux élections locales des étrangers résidant dans notre pays depuis plusieurs années. Ces femmes et ces hommes dont souvent les enfants deviennent français sont des acteurs de la vie locale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils peuvent en effet devenir français !

M. Bernard Frimat. Ils participent par leurs impôts au financement des collectivités territoriales, animent parfois des associations au sein de leur commune de résidence. La majorité des esprits a évolué. Le temps semble venu d’avoir le courage politique de proposer cette réforme et de rejoindre ainsi le camp des démocraties les moins frileuses.

En conclusion, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, c’est d’abord du Gouvernement que dépend le sort de la révision constitutionnelle. C’est à lui de donner des signes d’écoute, des signes qui permettront, sans recourir à des petits arrangements politiciens médiocres, de réunir au Congrès une majorité des trois cinquièmes.

La balle est dans votre camp. Il vous appartient que ce camp soit celui du progrès de la démocratie de nos institutions. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Boyer et Ivan Renar applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui le projet de loi de modernisation de nos institutions voulu par le Président Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007.

C’est un moment grave de notre vie démocratique. Le sujet est en effet d’une extrême sensibilité. La Constitution est le lien indestructible entre la France et les Français. C’est elle qui permet aux Françaises et aux Français de faire vivre la France. C’est la chance pour les Français d’être à la fois héritiers et bâtisseurs de la France.

Toucher au marbre de la Constitution n’est jamais un acte anodin.

Notre débat ne saurait être ramené à une suite d’améliorations d’articles de la Constitution. L’objet de notre débat, c’est la Constitution, mais le sujet de notre pensée, c’est la France.

Nous connaissons tous les mérites de notre Constitution.

La Constitution du 4 octobre 1958 a marqué une rupture salutaire dans notre histoire constitutionnelle. Elle a fait la synthèse entre un régime parlementaire, symbole de démocratie moderne, et l’existence d’un exécutif fort, gage d’efficacité et d’unité.

Si une très large majorité de Français est aujourd’hui attachée à la Ve République, c’est qu’ils ont pu apprécier ses mérites : elle a permis, pendant cinquante ans, de garantir la stabilité, de préserver la démocratie lors des grandes épreuves, de rendre possible l’alternance, d’accompagner la construction européenne et la décentralisation, de traverser les cohabitations.

Au fil des ans, les Françaises et les Français se sont approprié ces institutions, qui ne sont ni de droite ni de gauche. La Ve République est ainsi devenue le patrimoine commun de la nation. Voilà pourquoi nous sommes si nombreux à y être encore aujourd’hui très attachés.

En tant que Premier ministre, j’ai pu, trois ans durant, mesurer au plus près le caractère inestimable de ses règles fondatrices.

Quatre de ces règles me paraissent immuables.

Premièrement, la légitimité populaire du Président : c’est elle qui nous a permis, en 2002, grâce au sursaut républicain, d’écarter l’extrémisme.

M. Jean-Louis Carrère. Ce sont surtout les socialistes, par leur vote !

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est elle qui fait du Président « l’homme en charge de l’essentiel ».

Deuxièmement, la dualité de l’exécutif : uni dans l’action, mais double dans les institutions. Les deux rôles ne peuvent être confondus. Parce que le Premier ministre est nommé par le Président de la République, sa loyauté est l’essentiel de sa légitimité. Parce que son gouvernement peut être renversé par l’Assemblée nationale, il ne peut être privé de son rôle de chef de la majorité parlementaire.

L’un peut dissoudre, l’autre peut être censuré. L’unité politique ne peut masquer la différence des positions institutionnelles.

Avec Jacques Chirac, j’ai vécu cet équilibre institutionnel de manière apaisée parce que chacune des deux fonctions était respectée par l’autre. Peut-être, pour un Premier ministre, y a-t-il avantage à travailler avec un Président qui a été Premier ministre ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Troisièmement, l’efficacité de l’action publique : la Ve République a offert à l’exécutif les leviers de l’efficacité pour remédier à l’impuissance politique.

Pour améliorer les équilibres, on peut modifier ces leviers. Il faut cependant veiller à ce que, au total, dans notre pays si difficile à gouverner, l’impuissance politique ne soit renforcée.

On peut contester évidemment les choix politiques des uns et des autres : si j’ai pu réaliser l’essentiel du projet présidentiel de 2002, je le dois aussi à nos institutions et à notre Constitution.

Sur ce sujet, c’est pour moi l’occasion de dire merci à celle qui ne m’a jamais fait défaut, je veux parler de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF. –Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est normal !

M. Jean-Pierre Raffarin. Quatrièmement, la séparation des pouvoirs : ce principe fondateur doit être sans cesse protégé. Il est sans doute le plus fragile dans une société de globalisation, de centralisation et de médiatisation. La démocratie représentative est bousculée par certaines illusions de la démocratie participative. Pourtant, la complexité de la société, de ses problèmes et de ses solutions appelle à plus d’expertise, de confrontation et de régulation.

De toutes les institutions, c’est le Parlement qui peut, et doit, être renforcé pour mieux équilibrer l’exercice des pouvoirs.

En de multiples occasions – je pense, par exemple, aux lois bioéthiques ou au récent débat sur les addictions –, le Parlement a montré sa maîtrise de la complexité. Ceux qui ont écouté les interventions de Nicolas About et de Marie-Thérèse Hermange confirmeront mon opinion.

Au total, notre Constitution donne ainsi aux différents pouvoirs la force nécessaire à l’accomplissement de leurs missions pour opérer les réformes difficiles, pour trancher les débats fondamentaux et pour programmer dans le temps l’action publique.

Si une adaptation de notre gouvernance est devenue nécessaire, c’est que l’on ne gouverne plus aujourd’hui un pays comme la France de la même façon qu’il y a cinquante ans.

Voilà cinquante ans, le général de Gaulle expliquait aux Français que « c’était [...] pour le peuple que nous sommes, au siècle et dans le monde où nous sommes, qu’a été établi le projet de Constitution ».

Or force est de constater que les Français ont changé, que les temps ont changé et que le monde, lui-même, n’a rien à voir avec ce qu’il était dans les années soixante.

Au-delà des profonds mouvements nationaux et mondiaux, sociaux et sociétaux, liés à la confrontation des cultures et des technologies, un phénomène politique s’affirme en relation avec la globalisation : la personnalisation du pouvoir.

Même les pays qui ont un régime parlementaire et qui recherchent donc une majorité pour gouverner personnalisent leur campagne et transforment des élections législatives en élections quasi présidentielles. Le dernier débat entre Gerhard Schröder et Angela Merkel a été sur ce point significatif. Le parcours de Tony Blair est aussi démonstratif. Les systèmes médiatiques renforcent partout le phénomène de personnalisation du pouvoir.

M. Jean-Louis Carrère. Sans parler de Berlusconi !

M. Jean-Pierre Raffarin. En France, l’élection présidentielle au suffrage universel et le quinquennat ont accéléré cette évolution. Cela n’est évidemment pas étranger à ce que certains nomment « l’hyper présidence ».

Dans le monde, les opinions publiques sont en mesure d’identifier les grands pays en désignant nommément leurs leaders. Ce processus très anglo-saxon de leadership, qui grignote notre société, appelle de notre part une réflexion et une évolution sur l’équilibre des pouvoirs.

Comment oublier, en effet, que la Chambre des communes, le Bundestag et le Congrès des États-Unis sont parmi les assemblées parlementaires les plus puissantes ?

Dans une démocratie, un leadership fort de l’exécutif doit avoir pour contrepartie un pouvoir parlementaire renforcé, davantage écouté et mieux légitimé.

Mes chers collègues, c’est la raison fondamentale pour laquelle je me situe, en ce qui concerne ce texte, dans le camp des réformateurs. Il s’agit d’éviter toute dérive vers cette « monocratie » à propos de laquelle notre collègue Robert Badinter a exprimé fortement sa crainte.

Aujourd'hui, en France, on constate que, significativement, c’est celui qui se trouve accusé des excès de la personnalisation du pouvoir qui propose la réforme grâce à laquelle nous équilibrerons mieux nos institutions pour faire face aux évolutions du XXIe siècle ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

C’est pourquoi je salue la lucidité et l’initiative du Président de la République qui, à travers ce projet de réforme constitutionnelle, vise à la fois à encadrer les pouvoirs liés à sa propre fonction et à élargir ceux du Parlement. Mes chers collègues, ma conviction est qu’il est de notre devoir d’oser cette réforme.

Pour ma part –  je le dis avec amitié à tous nos collègues qui sont légitimement vigilants quant aux risques que pourrait causer un trop fort mouvement de rééquilibrage des pouvoirs –, les seules limites à ne pas franchir concernent la prééminence de l’institution présidentielle, la pérennité des principaux mécanismes du parlementarisme rationalisé et l’unité de la République face à toutes les tentations d’éclatement, à l’instar de la proposition visant à faire figurer les langues régionales dans la Constitution. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! nous y voilà !

M. Jean-Pierre Raffarin. Veillons aux principes essentiels ! Dans cet esprit, les défenseurs de la Ve République que nous sommes ne pourraient accepter qu’une éventuelle limitation de l’article 49-3 de la Constitution n’ait pas pour contrepartie un strict encadrement du pouvoir d’obstruction parlementaire.

Je comprends les réserves de Josselin de Rohan sur ce point : mes chers collègues, la dissuasion n’existe que si elle est imprévisible. Si elle est annoncée, ce n’est plus une dissuasion !

M. Michel Mercier. Et si l’on sait d’avance qui s’en servira ?

M. Jean-Pierre Raffarin. La conversion de notre pays au parlementarisme rationalisé a fait du Parlement un partenaire responsable et indispensable pour chaque gouvernement. L’enjeu actuel est de transformer cette relation de loyauté en un partenariat de liberté. Le Parlement doit pouvoir être à la fois loyal aux institutions et libre dans ses convictions.

À maints égards, la concordance des mandats des majorités présidentielle et législative a ouvert la voie à ce véritable « gouvernement de législature » qu’appelait déjà de ses vœux Pierre Mendès-France dans le cadre de son projet de « République moderne ».

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la réforme proposée par le chef de l’État est adoptée, nous devrons inventer, ensemble, un nouveau rôle pour le Parlement.

Nous avons besoin d’un régime parlementaire fondé sur des rapports plus équilibrés entre le Gouvernement et le Parlement. C’est pourquoi le partage de l’ordre du jour, le renforcement du rôle des commissions permanentes, l’augmentation du nombre de ces dernières et la création d’un comité chargé des affaires européennes, proposée par plusieurs de nos collègues – Josselin de Rohan, Jean-Jacques Hyest, Patrice Gélard, Hubert Haenel et Michel Mercier –, doivent constituer notre projet.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous êtes en campagne électorale !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous avons également besoin de mieux reconnaître le rôle de l’opposition. Notre pays doit pacifier son débat démocratique, afin de progresser sur la voie des réformes.

C’est pourquoi, au-delà des dispositions de ce texte, pour préserver l’harmonie de notre assemblée, nous devrions nous donner pour objectif d’adopter d’un commun accord les principales décisions concernant le fonctionnement du Sénat, notamment l’évolution de son règlement.

Nous avons aussi besoin d’un régime parlementaire qui reconnaisse au Parlement une véritable capacité d’initiative législative. Mes chers collègues, la session ne constitue plus notre horizon : il nous faut désormais passer à un rythme quinquennal. Nous devons penser à la loi de 2008, à celle de 2009, et même préparer celle de 2012. C’est en faisant vivre sa relation au peuple que le Parlement rassurera sur ses capacités.

M. Charles Revet. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Raffarin. Les Français n’acceptent plus que les réformes soient préparées dans l’ombre des cabinets ministériels ou sur la foi de rapports d’experts qui restent souvent des amateurs au regard des difficultés que rencontrent les citoyens dans leur vie quotidienne !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme le comité Balladur !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nos concitoyens n’admettent plus que des réformes importantes soient conduites sous l’emprise de convictions idéologiques ou sans égard pour le dialogue social. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les syndicats l’ont bien compris !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dernièrement, j’ai eu l’occasion de rappeler que nous avions besoin de la force positive des syndicats réformistes pour conduire les réformes.

M. Ivan Renar. Bernard Thibault, président du Sénat !

M. Jean-Pierre Raffarin. Le Parlement est là pour instiller de l’humanisme dans la réforme et, partant, la rendre acceptable.

M. Bernard Frimat. Voilà qui commence mal !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il est là aussi pour rappeler, quand cela est nécessaire, les lignes à ne pas franchir et les principes qui ne sauraient souffrir aucune exception, y compris lorsqu’il s’agit d’initiatives émanant d’un gouvernement issu de la majorité.

Selon Alain Finkielkraut, « être moderne c’est être mécontent ». Mes chers collègues, n’ayons pas peur de la modernité ! C’est la force du Sénat que de savoir qu’il a le devoir d’être libre et responsable.

M. Bernard Frimat. Sous les pavés du Sénat, la plage ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous l’avons montré quand nous avons examiné le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à l’asile : un Sénat indépendant et libre constitue une chance pour nos institutions et une garantie pour tous les gouvernements. Comme le disait Victor Hugo : « La France gouvernée par une assemblée unique, c’est l’océan gouverné par la tempête ».

Notre proposition relative aux conditions de l’élargissement de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne la Turquie, constitue la marque de la sagesse sénatoriale.

Nous avons besoin d’un bicamérisme renforcé, nous en sommes tous d'accord. Voilà pourquoi le renforcement du rôle du Parlement doit aussi être l’occasion de revaloriser le Sénat.

M. Jean-Louis Carrère. Le discours de campagne continue !

M. Jean-Pierre Raffarin. C’est pour nous, ne nous y trompons pas, l’occasion de donner plus de valeur à notre travail. En effet, je crois moins à la communication de l’institution qu’à la valorisation du travail des sénateurs !

Au-delà de tous ces textes, ce sont nos pratiques qui doivent évoluer. Par-delà les habitudes, c’est un état d’esprit qu’il faut changer.

Ce mouvement vers un Parlement plus audacieux et modernisé, c’est vous qui l’avez lancé en 2004, monsieur le président du Sénat, avec le soutien de mon gouvernement, en engageant l’auto-réforme de la Haute Assemblée.

Nous connaissons nos responsabilités. Nous mesurons le besoin de Sénat dans la République. Nous nous souvenons de Maurice Schumann, qui affirmait que « le Sénat est l’irrévocable édit de Nantes de la République ».

Toutefois, mes chers collègues, soyons clairs : le Sénat ne constitue pas une monnaie d’échange pour le Congrès, et les sénateurs de la majorité ne cèderont à aucune pression !

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Nous savons ce que nous pouvons changer, …

M. Bernard Frimat. C'est-à-dire rien du tout !

M. Jean-Pierre Raffarin. … mais nous connaissons aussi ce que nous devons préserver.

Mme Isabelle Debré. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Notre position est ferme, parce que nous voulons des institutions fortes, mais elle n’est pas fermée.

Le Président de la République veut répondre à toutes les critiques adressées à la Constitution. C’est pour cette raison qu’il a émis des propositions que nous approuvons.

Ce projet de loi constitutionnelle répond pour nous à une exigence. Il nous impose des responsabilités. Chaque conviction est respectable, mais serons-nous les seuls parlementaires au monde à refuser les libertés qui nous sont proposées ?

M. Bernard Frimat. Dans l’opposition, on ne voit pas beaucoup de libertés !

M. Jean-Pierre Raffarin. Refuserons-nous de tempérer le pouvoir présidentiel, d’évaluer plus et mieux l’action publique, comme nous le propose notre commission des finances, d’anticiper davantage les attentes de la société et d’injecter de la prospective dans le processus législatif ?

Évidemment, notre vote nous engage gravement. En soutenant cette réforme, après l’avoir légitimement amendée, nous nous fixons un objectif : inventer le Parlement et le Sénat du XXIe siècle !

M. Bernard Frimat. C’est mal parti !

M. Jean-Pierre Raffarin. Le défi n’est pas mince, mais je ne le crains pas. Parce que « la France vient du fond des âges » et que « les siècles l’appellent », seul l’immobilisme pourrait l’atteindre.

Je vous propose donc de relever ce défi. Depuis qu’à cette tribune Victor Hugo a dit : « Sénateurs, montrez que vous êtes nécessaires » (M. Robert Badinter applaudit.), …

M. Jean-Luc Mélenchon. Il était de gauche, Victor Hugo !

M. Bernard Frimat. C’est tout ce qu’ils ont lu de Victor Hugo !

M. Jean-Pierre Raffarin. … nous sommes toujours confrontés à la nécessité de gagner la confiance des Français, par et pour le service de la France ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, quatre petites heures de discussion générale sur un projet de loi constitutionnelle qui est jugé par ses auteurs et ses partisans comme le plus important depuis 1958, c’est bien peu !

Nous sommes loin d’un grand débat national, pourtant démocratiquement nécessaire dès lors que l’on touche à l’équilibre de nos institutions. Nous sommes bien loin, à l’heure où se déroulent des opérations contestables pour gagner quelques voix à Versailles, du référendum tout aussi démocratiquement nécessaire, comme en 1958, en 1962, en 1969 et en 2000, lors de réformes constitutionnelles importantes.

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai !

M. Guy Fischer. Mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat a montré tout à l'heure que le rééquilibrage annoncé était inexistant et que, bien au contraire, la dérive présidentialiste s’accentuait. Celle-ci, selon certains professeurs de droit constitutionnel, s’apparenterait même à une « dérive consulaire », en référence à la pratique institutionnelle de Bonaparte. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Un fait est certain : ce texte ne satisfait pas à l’attente démocratique de notre peuple, qui, à chaque consultation électorale, s’annonce plus forte et plus impatiente.

Rien n’est prévu pour répondre à une question essentielle : comment rapprocher le citoyen et ses représentants des centres de décision européens ? Pourtant, il s'agit tout de même de l’un des problèmes clefs de l’heure !

M. Michel Charasse. Le problème de l’Europe, c’est le peuple !

M. Guy Fischer. Or, le projet de loi constitutionnelle effleure le sujet. Pis, il impose un traité, celui de Lisbonne, qui, comme l’a rappelé Robert Bret, est aujourd’hui rendu caduc dans sa forme actuelle par le peuple irlandais.

Ainsi, les vestiges des défunts traités s’accumulent dans notre Constitution. Comment commencer ce débat sans tirer les leçons de la crise institutionnelle européenne actuelle, qui emporte de lourdes conséquences sur la hiérarchie des normes entre la nation et l’Europe ?

Ce texte ne répond pas non plus aux attentes démocratiques de notre peuple à l'échelle nationale. Rien n’est prévu, sauf une initiative parlementaire s’appuyant sur une démarche populaire extrêmement encadrée pour rétablir le lien entre les institutions et les citoyens. La démocratie participative, dont tout le monde ou presque se réclame, reste lettre morte.

Cette révision n’améliore pas la représentativité des assemblées. L’idée même d’une représentation proportionnelle, pourtant affichée, certes de manière très restreinte, par Nicolas Sarkozy durant sa campagne, lors de l’installation du comité Balladur et dans la lettre qui dictait à François Fillon le présent projet de loi constitutionnelle, se trouve écartée d’un revers de main. Pourtant, 81 % des Français y sont favorables, comme le révélait un sondage publié l’hiver dernier.

En outre, le droit de vote des étrangers se trouve exclu, ainsi que toute réforme réelle du Sénat.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, affirmait que cette réforme n’était ni de gauche ni de droite. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)

M. Bernard Frimat. Il s’est trompé !

M. Guy Fischer. En tout cas, les refus que j’évoque montrent qu’il ne s’agit pas d’une réforme de gauche, bien au contraire !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Mais puisque j’ai dit : « Ni de gauche ni de droite » !

M. Guy Fischer. Le combat de la gauche, des forces qui portent l’espérance des plus faibles, des exploités, des plus modestes, des plus démunis, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Allons donc !

M. Guy Fischer. … ne peut se retrouver dans un texte qui vise à concentrer les pouvoirs entre les mains d’un seul homme et à briser le débat démocratique au sein des assemblées parlementaires.

La conception, la construction puis la représentation de ce texte reposent sur une hypocrisie fondamentale : il restaurerait les droits du Parlement et permettrait de brider le pouvoir exécutif. Depuis un an, nous observons M. Nicolas Sarkozy, relayé par M. Édouard Balladur et par le Gouvernement, agiter ce leurre.

C’est une véritable campagne d’intoxication qui s’est déroulée, et qui continue. Cadrés par différentes lettres de mission invoquant la nécessité d’un « renforcement des pouvoirs du Parlement », les porte-parole du Président de la République se sont mis à l’ouvrage : la réforme aurait pour conséquence « un pouvoir législatif profondément renforcé », selon Mme Dati ; elle constituerait une « révolution », selon M. Karoutchi, …

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est expert en la matière !

M. Guy Fischer. … qui pense « faire aboutir des réformes souhaitées depuis des années, voire des décennies, par tous les groupes parlementaires ».

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Ah oui ! J’ai le droit de rêver !

M. Guy Fischer. M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, qui a sans doute décroché le prix du meilleur vendeur de cette révision constitutionnelle, indiquait même, le 23 avril dernier, que ce texte allait « rendre à chaque parlementaire un vrai rôle, une vraie identité et lui donner une vraie influence dans l’élaboration des lois ».

Comme le dit l’adage, « plus c’est gros, mieux ça passe » ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Louis Carrère applaudissent.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Et plus c’est vrai !

M. Guy Fischer. Mais quel aveu du réel mépris que vous portez à l’égard des assemblées, monsieur le secrétaire d’État !

Ainsi, M. Accoyer, président de l’Assemblée nationale,…

M. Jean-Claude Carle. Excellent président au demeurant !

M. Guy Fischer. …percevait-il dans ce texte, voulant sans doute ne pas être en reste, « une chance historique de renforcer les pouvoirs du Parlement ».

Avant de vous démontrer point par point que de telles affirmations relèvent de la plus pure propagande, permettez-moi une première remarque : pourquoi ne pas avoir fait confiance au Parlement pour élaborer cette révision qui, selon vous, le concerne en premier lieu ?

Comme l’indiquait un professeur de droit constitutionnel, « qu’une commission nommée par l’exécutif octroie des droits nouveaux au Parlement a quelque chose de paradoxal, presque d’indécent ». C’est ce même professeur, M. Serge Sur, qui a lancé cette formule particulièrement pertinente selon laquelle « ce prétendu renforcement du Parlement n’est que la salade qui entoure le rôti ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le « rôti », c’est le discours du Président de la République devant le Parlement, c’est la présidentialisation du régime, mise en place selon « la politique de l’artichaut », c’est-à-dire feuille après feuille. (M. Jean-Luc Mélenchon rit.)

Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, dénoncent la tromperie de ce projet de loi et mettent en lumière sa vraie nature, à savoir un pas vers la présidentialisation, je dirai même vers l’hyper-présidentialisation.

Or cette baudruche se dégonfle au fil des semaines, et nous pouvons être reconnaissants à M. Hyest de ne pas masquer grand-chose dans son rapport, en exposant sans sourciller comment les droits des parlementaires, celui d’amender, celui de débattre, seraient réduits à néant ou presque.

Une cohérence profonde apparaît après décryptage. La primauté conférée au débat en commission, la restriction évidente du droit d’amendement et les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour constituent une agression voilée, mais d’une rare violence, contre les acquis démocratiques du débat parlementaire.

Ces dispositions constituent un concentré des souhaits affichés depuis des décennies par les adversaires du pluralisme et de la transparence.

Le travail en commission nous est présenté comme la panacée. Or, s’il est nécessaire – et j’attache personnellement une grande importance à ce travail préparatoire, d’approfondissement –, il doit cependant demeurer le prélude de la séance publique, qui est le lieu naturel de la confrontation d’idées, de la présentation au grand jour des propositions des groupes politiques et de chaque parlementaire.

Limiter le travail législatif au travail en commission, c’est mettre à mal le pluralisme, car seuls les groupes importants disposent des moyens d’assumer une présence forte et régulière en leur sein ; c’est donc renforcer le fait majoritaire.

C’est également un coup porté à la transparence. Est-ce le modèle des commissions du Parlement européen qui vous inspire, commissions mises constamment sous pression par des milliers de lobbies qui se révèlent être un véritable fléau ?

Ainsi, le fait de discuter en séance publique sur la base du texte élaboré en commission et non plus du projet gouvernemental est-il présenté comme une avancée démocratique. Or, c’est un mensonge ! Il s’agit, en fait, d’un tour de passe-passe pour modifier profondément la nature du débat en séance publique.

Il convient de faire le lien avec cette nouvelle disposition qui précise, à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, que le droit d’amendement s’exerce « en séance ou en commission ».

Comme le confirme M. Hyest, c’est la conjonction « ou » qui est fondamentale. Il sera ainsi permis de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, depuis 1990, permettait à chaque parlementaire d’amender en séance publique.

Le but poursuivi est maintenant clair : vous voulez étendre la pratique des procédures simplifiées qui interdit aux parlementaires de déposer des amendements lors de la séance plénière.

Cette procédure est aujourd’hui limitée à des textes d’une portée politique secondaire, comme les conventions internationales. Fait important, tout groupe parlementaire peut aujourd’hui s’opposer à la mise en œuvre de la procédure simplifiée et demander un examen en séance publique.

Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est de généraliser le champ d’intervention de cette procédure et de retirer aux groupes la possibilité de s’y opposer, en renvoyant la décision à la conférence des présidents, donc à la majorité.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur, une loi organique censée préciser la portée de ce nouveau dispositif. Est-il possible d’envisager une telle restriction du droit d’amendement et de la séance publique en restant dans le flou d’un renvoi à une loi organique au contour hypothétique ? Celle-ci aurait déjà dû être élaborée et présentée aujourd’hui aux parlementaires.

Avec une franchise inquiétante, M. Hyest conclut sur ce point en évoquant la possibilité d’une adoption complète des textes de lois en commission, tout en affirmant que les Français ne sont pas encore prêts à cette évolution.

Le droit d’amendement est également attaqué par un autre biais, à savoir la mise en place d’un véritable 49-3 parlementaire. En effet, les motivations de l’article 18 du présent projet de loi, exposées dans le rapport du comité Balladur, sont claires : « La principale proposition du comité est de donner à la conférence des présidents de chaque assemblée la charge de fixer une durée programmée de discussion pour l’examen des projets et propositions de lois. Cela suppose que le temps de la discussion, y compris celui consacré aux motions de procédure, à la discussion générale et à celle des articles soit réparti entre les groupes politiques […] Une fois écoulé le temps de la discussion, celle-ci serait close et l’on en viendrait au vote. En cas de besoin, la conférence des présidents disposerait de la faculté de décider qu’il y a lieu de prolonger le débat, en accord avec le Gouvernement ».

Cette tentation de réduire le débat démocratique est grave. Je constate, monsieur le rapporteur, que, dans vos commentaires sur l’article 18 du projet de loi constitutionnelle, vous n’évoquez pas cette proposition de M. Balladur. C’est pourtant la logique profonde du projet de révision qui transparaît ici, ce qui est appelé « renforcement des droits du Parlement » n’étant autre que le renforcement du fait majoritaire.

Les droits de l’opposition, de la minorité, seront foulés au pied par une conférence des présidents totalement acquise au pouvoir exécutif en place. D’ailleurs, le rapport du comité Balladur ne s’y trompe pas : il évoque cette programmation concertée de la durée des débats comme « un élément essentiel de la rénovation du travail parlementaire ».

Ainsi, pour le Président de la République et l’UMP, rehausser les droits du Parlement, c’est étouffer le droit d’amendement et réduire autant que possible la séance publique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Le silence et l’obscurité deviendraient de ce fait les qualités nouvelles d’un Parlement modernisé, rénové ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Très bien ! Mais nos collègues de la majorité n’écoutent pas !

M. Guy Fischer. Enfin, comment ne pas faire le lien entre ces deux premiers points : d’une part, la limitation du débat au cadre des commissions et la restriction du droit d’amendement et, d’autre part, la nouvelle organisation de l’ordre du jour ? Cette dernière qui, selon M. Hyest, est d’ailleurs complexe, irréaliste, rigide et offre des garanties très insuffisantes pour le Parlement, met en place le recul programmé de la séance publique dédiée au travail législatif.

Faire la loi est pourtant la prérogative première de la représentation nationale depuis la Révolution française. C’est donc à la remise en cause fondamentale de ce principe républicain que nous assistons aujourd’hui.

Deux semaines seraient désormais consacrées à l’examen des textes du gouvernement et à des débats thématiques, une semaine le serait au contrôle, et une journée serait consentie aux groupes non majoritaires : telle serait la nouvelle organisation de l’ordre du jour.

Nous estimons, quant à nous, que le Parlement doit être totalement maître de son ordre du jour et que, s’il souhaite légiférer quatre semaines sur quatre pour répondre aux besoins du peuple, il en a le droit, il en a le pouvoir, il en a le devoir ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)

Comment ne pas constater, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, que vous imposez un véritable corset au Parlement (Protestations sur les travées de lUMP.),…

M. Éric Doligé. Quelle exagération !

M. Guy Fischer. … dont le Président de la République peut resserrer les liens selon son bon vouloir et les exigences de l’heure, avec la complicité du groupe majoritaire, qui détiendra un pouvoir absolu dans chaque assemblée ?

On comprend mieux, dans ce contexte, l’acharnement stupéfiant de l’UMP à conserver la maîtrise du Sénat contre vents et marées, contre la volonté populaire.

Mes chers collègues, en évoquant ces quelques points, j’ai tenu à vous alerter sur l’importance de votre vote. J’ai tenu à dévoiler la véritable ambition du pouvoir en place : changer le régime, porter un coup masqué à la démocratie.

L’évolution du fonctionnement de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, en 1962, devrait vous inciter à une réflexion en profondeur sur le mode d’élection du Président de la République.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, pour leur part, refusent cette rupture d’équilibre au profit du Président de la République et au détriment du pluralisme et du débat démocratique, et c’est sans hésitation qu’ils voteront contre le texte qui nous est soumis. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.

M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions dont nous entamons la discussion est d’une ampleur sans précédent, et il est de ce fait malaisé d’avoir une vue d’ensemble de la révision générale initiée par les propositions du comité de réflexion présidé par M. Balladur.

Il est clair cependant que, au-delà du terme commode de « modernisation » qui comporte toujours une part d’ambiguïté, ce texte prétend, pour l’essentiel, établir le rééquilibrage entre les pouvoirs publics, notamment en faveur du Parlement, ainsi qu’une meilleure protection des droits fondamentaux.

S’agissant de ces droits, nous souscrivons aux dispositions garantissant une meilleure effectivité des droits des citoyens : création par voie constitutionnelle d’un Défenseur des citoyens, assortie des réserves que nous devons exprimer s’agissant du champ de ses compétences et de la concurrence avec les autorités indépendantes existantes ; amélioration du fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, sous réserve de son caractère paritaire, notamment en matière disciplinaire ; enfin, contrôle de constitutionnalité des lois ouvert aux justiciables par voie d’exception suivant une procédure de renvoi préjudiciel au Conseil constitutionnel.

M. Michel Charasse. C’est ce que voulait François Mitterrand !

M. Nicolas Alfonsi. Il convient, en outre, d’approuver le principe d’égal accès aux fonctions publiques ou privées entre hommes et femmes, ainsi que l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la République, même si le fait d’inscrire ce principe dans un article 1er A de la Constitution est en chute libre par rapport à l’indivisibilité de la République et peut surprendre certains constitutionnalistes.

S’agissant du rééquilibrage entre pouvoirs publics, ce qui va dans le sens du renforcement réel des pouvoirs du Parlement mérite également d’être soutenu. Mais ce renforcement n’est-il pas en réalité illusoire ?

Certes, il est temps de desserrer certains mécanismes du parlementarisme rationalisé, notamment par une meilleure répartition de l’ordre du jour, par l’augmentation du nombre des commissions permanentes, par les assouplissements apportés au droit d’amendement, ou encore par l’allongement du délai d’examen des textes.

De la même façon, la faculté de consulter pour avis le Conseil d’État concernant les propositions de lois, l’amélioration du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques, y compris par des résolutions sur des actes communautaires, ou encore la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’article 16 de la Constitution, sont, à nos yeux, souhaitables.

Si les aspects positifs du projet de loi constitutionnelle doivent être soulignés, l’ajustement des responsabilités au sein du pouvoir exécutif peut, en revanche, susciter plus de perplexité au moins sur deux points.

D’une part, la modification du rôle du Premier ministre dans le domaine de la défense nationale ne s’impose pas d’évidence.

D’autre part, et surtout, les modalités de communication du Président de la République avec le Parlement appellent une appréciation nuancée.

D’un côté, le droit d’accès du Président de la République aux assemblées rompt avec une longue tradition parlementaire héritée des débuts de la IIIe République, pleinement justifiée par l’absence de responsabilité du Président devant l’Assemblée nationale.

M. Nicolas Alfonsi. D’un autre côté, la révision proposée n’a apparemment pas d’autre objet que de moderniser le droit de message, qui peut apparaître suranné.

Après tout, le Président est appelé à s’exprimer dans l’enceinte de parlements étrangers, et des chefs d’État étrangers sont déjà intervenus devant le Parlement français.

Mais pour autant, est-ce un argument suffisant pour rompre avec une tradition qui risque de conduire le Président de la République à sortir de son rôle d’arbitre et de porter éventuellement atteinte à son crédit ?

Sans doute l’inconvénient que présente l’intervention sans débat ni vote à l’Assemblée nationale, alors que seul le Gouvernement est responsable devant celle-ci, a-t-il été atténué en première lecture puisqu’il a été prévu que le Président de la République ne peut prendre la parole que devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Cela signifie néanmoins que le Congrès devrait être convoqué – une fois par an ? À tout moment ? – et que les parlementaires devraient s’habituer à se réunir à Versailles pour ne pas voter.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout un symbole !

M. Nicolas Alfonsi. Voilà une troublante innovation lorsque l’on sait que, jusqu’à présent, les congrès à Versailles se concluaient toujours par un vote.

M. Jean-Louis Carrère. À la lanterne !

M. Nicolas Alfonsi. En réalité, nul ne peut prévoir la pratique institutionnelle qui résulterait d’une telle disposition.

Sans s’alarmer a priori, on peut légitimement s’interroger, d’une manière plus générale, sur l’acclimatation aux institutions de la Ve République de dispositions inspirées du régime présidentiel américain, telles que l’adresse au Congrès, l’interdiction d’exercer plus de deux mandats présidentiels ou l’avis parlementaire sur les nominations considérées comme les plus importantes.

En définitive, ce sont plutôt des mesures inutiles ou incertaines qui entretiennent le doute et appellent des réserves.

Quelques dispositions du projet de loi constitutionnelle recouvrent des mesures de convenance dont la justification objective n’a pas jusqu’à présent été exposée avec une clarté suffisante.

Ainsi en est-il du droit de retour automatique au Parlement des ministres démissionnaires ; cette disposition déjà envisagée puis abandonnée en 1974 ne répond pas à l’esprit de la Ve République. Elle serait sans effet sur la stabilité gouvernementale, mais pas sans conséquence sur l’instabilité ministérielle au sein du Gouvernement.

D’autres dispositions sont des mesures en trompe-l’œil. Ainsi, la limitation des conditions dans lesquelles le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte devant l’Assemblée nationale est-elle un réel renforcement des droits du Parlement alors que cette responsabilité n’a été mise en jeu qu’à trois reprises depuis dix ans ?

Nous aurons l’occasion de revenir sur cette modification essentielle qui marque à nos yeux une rupture profonde avec la tradition de la Ve République et tente de faire croire à l’opinion que le crédit du Parlement se trouvera augmenté.

De même, le référendum d’initiative mixte, mi-parlementaire mi-populaire, selon nous difficilement praticable, n’apparaît pas comme un progrès réel pour l’institution parlementaire.

Enfin, la Constitution ne saurait comporter, nous semble-t-il, des mesures de circonstances. Une révision constitutionnelle ne doit pas être faite, défaite, refaite, au gré de l’évolution de nos réflexions sur l’élargissement, en particulier de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, car il est alors à craindre que les détenteurs du pouvoir constituant ne se déterminent uniquement en fonction de leurs convictions politiques du moment.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Nicolas Alfonsi. Nous avons apprécié les efforts du président de la commission des lois pour parfaire le texte adopté par l’Assemblée nationale, sous réserve du scrutin sénatorial sur lequel nous émettons les plus vives réserves.

Si la commission des lois a sensiblement amélioré ce projet fourre-tout – j’allais dire ce projet « baroque » –, bien des réserves demeurent.

Madame le garde des sceaux, vous connaissez les sensibilités différentes qui s’expriment au sein de notre groupe et qui se sont encore récemment enrichies. Ouvert à la discussion et ne nourrissant aucun préjugé sur ce texte, nous nous déterminerons, à l’issue du débat, en fonction des améliorations qui lui auront été apportées. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP, de l’UC-UDF et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la grande révision constitutionnelle qui nous est présentée afin de moderniser les institutions de la Ve République, le point central, celui qui nous concerne le plus directement, est la rénovation des méthodes de travail du Parlement.

J’interviens en qualité de président de la commission des affaires sociales, mais ne concluez pas du fait que je n’aborde pas l’ensemble des autres dispositions que je les tiens pour négligeables.

M. André Boyer. D’accord !

M. Nicolas About. Cette révision présente, pour nous, deux intérêts majeurs.

D’abord, elle vient affirmer solennellement que le rôle du Parlement consiste, parallèlement à sa mission la plus sacrée de législateur, à exercer sa puissance de contrôle de l’action du Gouvernement. Ce n’est certes pas une innovation. Nous effectuons depuis longtemps cette tâche difficile qui mobilise du temps, de l’énergie et des moyens, notamment humains, moyens qui demeurent encore réduits au vu de l’ampleur de l’ouvrage.

C’est dans cet objectif que nous avons créé, au sein de la commission des affaires sociales, la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, qui fait désormais figure d’expert dans le monde austère des finances sociales. Je le dis sans immodestie, sachant que c’est à son président, M. Alain Vasselle, qu’elle le doit.

Je suis très satisfait du choix que nous avons fait de mêler étroitement vote des lois, en l’occurrence la loi de financement de la sécurité sociale, et organe de contrôle. Cela nous permet de savoir comment et quoi contrôler avec pertinence, tout en préparant sur un mode prospectif les réformes à venir.

C’est pourquoi je ne doute pas que, après avoir obtenu la reconnaissance de la MECSS dans la loi organique, notre assemblée s’emploiera à en affirmer officiellement l’existence dans son règlement, lequel sera appelé à être profondément remanié à l’issue de la procédure de révision constitutionnelle.

Par ailleurs – et c’est le second point de mon propos –, la procédure pratique d’examen des textes de loi devra rompre avec des habitudes solidement ancrées, acquises depuis 1958.

La rupture qui sera, pour nous, la plus sensible tient au fait qu’il nous est proposé de débattre désormais en séance publique du texte issu des travaux de la commission saisie au fond.

C’est là une revendication ancienne qui répond à une logique de respect du travail des parlementaires. Il en découlera néanmoins certaines difficultés techniques, que nous saurons bien sûr résoudre dans notre règlement mais sur lesquelles nous avons encore besoin de renseignements supplémentaires de la part du Gouvernement. Je pense notamment aux modalités pratiques d’application de l’article 40 de la Constitution, à l’ardente nécessité d’une présence renforcée au stade du débat en commission afin d’être assuré de bien rendre compte de la diversité des opinions et de la majorité qui s’en dégagera, à la rigueur et à la sérénité qui doivent présider à l’adoption d’un texte dès lors qu’il fera foi, ensuite, à l’ouverture de la séance publique.

Des amendements ont été présentés sur ce point, y compris par moi-même. Monsieur le président de la commission des lois, je ne doute pas que nous en tirerons les éléments nécessaires à notre réflexion.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Comme toujours !

M. Nicolas About. Je l’espère !

Je souhaite aussi que les nouveaux délais d’examen qui, selon le texte du projet de loi, devraient être accordés aux parlementaires pour leur laisser le temps de travailler soient considérés comme une règle impérieuse et respectés.

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. Nicolas About. Mes chers collègues, je reviendrai plus précisément sur ces différents points à l’occasion de la discussion des amendements que j’ai déposés. Mon intention, croyez-le bien, est de faire en sorte que la norme supérieure, la norme constitutionnelle, reflète les préoccupations de la société actuelle dans la diversité de ses composantes, qu’elle se préoccupe notamment – et vous savez que je n’aime pas ce terme – …

M. Bernard Saugey. Vous avez été bien formé !

M. Nicolas About. …d’égalité des chances et de bonne gestion des finances publiques. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je me serais volontiers associé aux propos liminaires de M. de Rohan lorsqu’il a salué la mémoire du grand homme que fut le fondateur de la République dont nous avons aujourd’hui à nous entretenir.

Jamais on ne témoignera assez de reconnaissance pour celui qui a sauvé l’honneur de la France face à ce qu’il faut bien appeler « l’immonde régime de Vichy ».

J’ai été sensible aussi à l’attention qu’il a manifestée en rappelant que François Mitterrand, devenu Président de la République, avait scrupuleusement observé la Constitution. C’était son devoir de républicain. J’ajoute qu’il disait volontiers qu’avant lui la Constitution était dangereuse, et qu’après lui elle le redeviendrait ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

Lorsque le Président de la République a fait part de sa volonté de réformer les institutions, j’ai d’abord pensé aux brillantes perspectives que cette annonce ouvrait !

Selon la lettre de mission que M. Nicolas Sarkozy a adressée au comité Balladur, il ne s’agissait rien de moins que de « redéfinir les relations entre les différents membres de l’exécutif », c’est-à-dire entre le Président de la République et le Premier ministre, d’encadrer les pouvoirs du Président de la République par de réels contre-pouvoirs, de « rééquilibrer les rapports entre le Parlement et l’exécutif », de s’interroger sur « l’opportunité de reconnaître dans la Constitution l’existence d’un véritable pouvoir judiciaire ». Le Président de la République soulignait également la nécessité de s’interroger sur les modes de scrutin qui « ont à l’évidence un effet majeur sur l’équilibre des institutions ».

D’aucuns pensaient alors, moi le premier, qu’un grand souffle réformateur allait passer sur toute la Constitution de la Ve République. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Lorsqu’on aime l’histoire, surtout l’histoire constitutionnelle, on ne peut pas ne pas se rappeler que c’est exactement ce que Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, avait demandé à Benjamin Constant. On connaît le produit : ce fut le texte étriqué de l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire, que Chateaubriand se plaisait à dénommer, ironiquement, « la Benjamine ».

J’ignore le nom que la présente révision laissera à la postérité : peut-être « l’Édouardienne », qui exhale un certain parfum anglais qui conviendrait bien à son auteur ? Néanmoins, tant de propositions du comité Balladur ont disparu en cours de route ou ont été altérées qu’il vaudrait sans doute mieux chercher vers son premier inspirateur et appeler cette révision « la Nicolette ». (Sourires.) Ce serait en tout cas charmant.

Néanmoins, je crois plutôt, à mesurer le fossé si large entre les proclamations de départ et les dispositions qui nous seront soumises à l’arrivée, que ce qui s’imposera probablement sera l’expression chère au Président Chirac, que l’on connaît bien : ce sera une révision qui aura fait « pschitt » !

En effet, en matière constitutionnelle, mes chers collègues, la portée d’une réforme se mesure non pas au nombre, mais à l’importance des règles adoptées, et il suffit parfois de modifier un article pour changer la nature de nos institutions. Chacun pensera à cet égard à ce qui est advenu quand le général de Gaulle a fait voter la réforme essentielle de 1962.

Le texte que l’on nous propose compte bien des dispositions. Mais il n’est pas porté remède à ce qui constitue aujourd’hui le défaut majeur de nos institutions : l’hyperpuissance du Président de la République.

Depuis 1962, depuis l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel, disposition à laquelle les Français sont d’ailleurs si attachés aujourd’hui qu’il paraît démocratiquement impossible d’y porter atteinte, nous vivons sous un régime singulier : ce que j’appellerai l’« omnipouvoir » d’un homme – peut-être demain d’une femme –, élu démocratiquement par le peuple, certes, mais qui jouit pendant son mandat de pouvoirs supérieurs, quasiment sans comparaison avec ceux de tout chef d’État ou de gouvernement d’une autre démocratie occidentale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui ! C’est sûr !

M. Robert Badinter. Tout à l’heure, M. le Premier ministre a eu la gentillesse de rappeler que l’on doit, pour dénommer ce régime, utiliser le terme de « monocratie ». La monocratie, c’est le gouvernement d’un seul ; et c’est bien ce qu’est le régime sous lequel nous vivons.

Je citerai, parce que c’est à mon sens le meilleur commentaire que l’on puisse donner de nos institutions et leur meilleure interprétation, le propos célèbre du général de Gaulle lui-même, dans la célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964 : « L’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui. » C’est la parole du maître !

Le propos traduit bien la prédominance écrasante du Président de la République française dans nos institutions. Elle ne s’efface que dans un cas : celui de la cohabitation.

Depuis la réforme de 2000, cependant, qui a instauré le quinquennat et a fait se succéder élection présidentielle et élections législatives, toute hypothèse de cohabitation doit, en dehors de circonstances extraordinaires, être exclue.

C’est dans cette conjonction de l’élection directe par le peuple et de la maîtrise de la « majorité présidentielle » – c’est ainsi qu’elle se qualifie à l’Assemblée nationale – qu’il faut trouver la source de l’hyperpuissance du Président de la République française. Il n’y a pas, en effet, comme aux États-Unis, d’autonomie réelle du pouvoir législatif. Le Président américain, je le rappelle, ne peut dissoudre ni la Chambre des Représentants ni le Sénat ! La séparation des pouvoirs, de ce fait, n’est pas une formule, c’est une réalité. En France, au contraire, le Président de la République, tel que les institutions l’ont amené à être, est un véritable aigle à deux têtes : il est le maître souverain de l’exécutif, puisqu’il nomme et renvoie à sa guise tous les ministres, y compris le Premier, en même temps qu’il contrôle politiquement le pouvoir législatif via le principal parti de la majorité, dont il est le chef.

Le résultat est simple, et vous connaissez l’axiome de l’Ancien Régime : « Cy veut le Roi, cy veut la loi. » Je l’ai souvent évoqué, le Président de la République, via la majorité présidentielle, est en fait le principal législateur français.

Si l’on y ajoute le pouvoir de nomination aux grands emplois de l’État, on a la mesure de cette puissance présidentielle qui, je le répète encore, est sans équivalent. Elle est d’autant plus grande qu’elle s’exerce sans que jamais au cours du mandat la responsabilité politique du Président puisse être engagée par ses décisions : c’est tout le pouvoir, sans la responsabilité.

Ainsi, l’échec du référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen n’a eu aucune conséquence politique. Et c’est bien là le paradoxe constitutionnel singulier, unique : le Président peut tout et n’est responsable de rien. Je pense que l’on ne peut pas mieux définir la « monocratie » à la française.

La vraie question, s’agissant du projet de révision, est de savoir si celui-ci réduit effectivement ou non la prédominance excessive du pouvoir présidentiel. Or, lorsqu’on analyse ce projet dans le détail, lorsqu’on suit son évolution, on constate que la réponse, hélas ! est pour l’essentiel négative. Ce n’est pas à un rééquilibrage de la Constitution que l’on vous demande de procéder, mes chers collègues ; en vérité, il s’agit tout au plus d’un léger lifting !

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Alors, ce n’est pas la peine d’en parler !

M. Robert Badinter. Si l’on s’attache au cœur de notre sujet, le pouvoir même du Président de la République, force est de reconnaître que le projet le conserve pour l’essentiel.

Je laisse de côté l’accessoire : le renoncement aux grâces collectives. Rien ne contraint le Président à accorder des grâces collectives. En revanche, inscrire dans la Constitution que nul ne le pourra plus… Nous avons connu des moments où, entre la surpopulation des prisons françaises et des étés particulièrement chauds, seules les grâces collectives successives conduites par des présidents de la République, par humanisme, je le veux bien, par nécessité souvent, ont permis d’éviter une explosion carcérale.

Je laisse également de côté la légère modification de l’article 16 : la vérité est que celui-ci correspond à l’histoire. Je ne crois pas, au demeurant, que ce soit au Conseil constitutionnel d’intervenir pour en apprécier les conditions : cela ne relève à mon avis pas de sa mission. Mais nous sommes là dans l’extraordinaire.

Quant à la limitation à deux mandats successifs, cette question avait déjà été débattue en 2000 et avait été écartée, non par une sorte d’inspiration néo-poutinienne, mais pour une autre raison : faudrait-il véritablement se priver, dans des circonstances extraordinaires, exceptionnellement graves pour la nation – et l’on pense tout de suite à la guerre –, d’un bon Président, d’un Président qui aurait la confiance des citoyens ? Pourquoi ? Et en temps ordinaire, il est extrêmement douteux, mes chers collègues, qu’un même Président puisse obtenir du suffrage de nos concitoyens, tels qu’ils sont, trois renouvellements successifs. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)

Reste la véritable innovation : la prise de parole du Président devant le Parlement réuni en Congrès, suivie d’un débat hors sa présence.

Je me suis interrogé, comme nous tous. Je crois qu’à la vérité il y a là plus qu’une volonté de mettre en scène l’éloquence présidentielle, bien entendu retransmise à la télévision.

En s’exprimant devant le Parlement tout entier réuni en Congrès,…

M. Robert Badinter. … le Président – pensez-y, mes chers collègues – apparaîtra physiquement devant tous les Français comme le chef de la majorité parlementaire. C’est elle qui applaudira longuement les bons passages, c’est elle qui se lèvera pour l’ovation finale, c’est elle qui approuvera ainsi, spectaculairement, la feuille de route, le programme que le Président lui aura proposé, et ce comme aux États-Unis. Et le rôle constitutionnel traditionnel du Premier ministre comme chef de la majorité parlementaire s’en trouvera gommé aux yeux de tous : ce sera la « Présidence impériale » se montrant en majesté à Versailles.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chaise à porteurs !

M. Robert Badinter. J’en viens au pouvoir de nomination du Président de la République à certaines hautes fonctions. Le comité Balladur avait prévu, justement, qu’une commission parlementaire serait constituée qui donnerait son avis sur les projets de nomination, et je considère que c’est un plus. Mais entre-temps est survenu un admirable, un étonnant tour de passe-passe : la proposition qui nous vient de l’Assemblée nationale prescrit certes que le Président ne pourra passer outre un avis négatif de la commission, mais cela ne vaut que si celui-ci a été émis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Dès l’instant où une telle majorité est requise, exit toute possibilité de rechercher le consensus, et l’opposition se trouve, comme toujours, sans recours !

M. Patrice Gélard. Il a une façon de lire la Constitution qui m’effraie !

M. Robert Badinter. On a mieux que moi évoqué les questions touchant le Parlement. Je relèverai simplement, ne voulant pas à ce stade entrer dans les détails, les éléments suivants : la discussion des textes tels que les auront adoptés les commissions, elles-mêmes plus nombreuses ; la maîtrise partielle de l’ordre du jour partagée entre la majorité et l’opposition, même si, avec quinze jours pour le Gouvernement et une semaine pour la majorité, dont un jour réservé à l’opposition, cela ressemble à un cheval, une alouette ; un droit d’amendement plus libre ; tous ces éléments sont des avancées, de petites avancées, mais des avancées réelles.

Néanmoins, ce qui compte vraiment, c’est le pouvoir du Président s’exerçant au Parlement à travers la majorité dont il est le chef : dans nos institutions, les deux mains, celle de l’exécutif et celle du législatif, obéissent en vérité à un même cerveau, celui du Président.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous aussi nous avons un cerveau, tout de même !

M. Robert Badinter. La volonté réelle de rééquilibrage passe par les droits nouveaux qui seraient éventuellement reconnus à l’opposition : c’est à cela, et à cela seulement, qu’il faut la mesurer. Or, que constatons-nous ? On nous promet un statut de l’opposition. Or rien ne laisse penser que certaines commissions seraient présidées par des parlementaires de l’opposition – c’est une pratique inconnue au Sénat –….

M. Adrien Gouteyron. On l’a connue, dans le passé !

M. Robert Badinter. …ou qu’un partage plus avantageux prévaudrait quant à l’ordre du jour.

Quant à l’article 49, alinéa 3, dont on pensait qu’il allait enfin disparaître et qui, s’agissant des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, je le conçois, doit être conservé, on a constaté avec surprise qu’il faisait sa réapparition dans la version qui nous est proposée par la commission des lois sous réserve d’une formalité : le passage devant la conférence des présidents, qui n’est pas un organe constitutionnel.

Je n’ai point vu d’annonce précise s’agissant du changement de la loi électorale.

Quant au changement concernant le Sénat, Bernard Frimat a dit tout à l’heure comment les choses se présentaient : très simplement, par le maintien de la situation actuelle telle qu’elle a été interprétée par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire qu’au lieu de procéder à une constitutionnalisation explicite de la décision du Conseil constitutionnel, comme on a songé à le faire, on préfère plus habilement une constitutionnalisation implicite de cette interprétation, ce qui, en fait, interdit un changement de majorité à distance perceptible.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Robert Badinter. Rappelez-vous à ce sujet que le pouvoir de révision de notre Constitution passe en réalité par l’accord de la majorité du Sénat, et celle-ci, de ce fait, peut, une fois que ce texte aura été conservé, s’opposer ainsi à toute modification puisqu’une majorité de gauche à l’Assemblée nationale verrait censurer par le Conseil constitutionnel toute velléité de démocratiser le scrutin.

On ne saurait mieux dire : c’est condamner d’une certaine manière, non pas à perpétuité, mais pendant une très longue période,…

M. David Assouline. C’est une peine de sûreté !

M. Robert Badinter. … l’opposition à demeurer telle et la majorité à conserver son pouvoir au sein de la Haute Assemblée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Sénat a accepté des réformes constitutionnelles !

M. Robert Badinter. C’est une belle avancée démocratique !

Sur le troisième volet, c'est-à-dire les droits des citoyens, qui doivent avoir une importance particulière dans une telle monocratie car c’est l’un des rares moyens que l’on puisse encore utiliser pour préserver leurs droits fondamentaux, j’aperçois une avancée et je m’en réjouis : il s’agit de l’exception d’inconstitutionnalité.

Les anciens savent que j’ai été le promoteur, l’instigateur de cette exception d’inconstitutionnalité en 1989. J’en avais convaincu – difficilement, je dois le dire – le Président Mitterrand, qui était très attaché à la souveraineté parlementaire mais qui avait tout de même rallié cette conception, et des projets ont été présentés à deux reprises.

Avec le Premier président Pierre Drai et le président Marceau Long, nous avions mis au point le système de filtre qui est proposé aujourd'hui et qui figurait déjà dans ces projets, pour éviter la surcharge et en même temps faire en sorte que l’ensemble du corps judiciaire et du corps administratif puisse ainsi être pénétré de l’importance du respect des principes constitutionnels.

Voici que l’exception d’inconstitutionnalité fait maintenant sa réapparition, et j’espère qu’elle sera votée. Je crois me souvenir – M. le président de la commission des lois doit s’en rappeler – que c’est le Sénat qui avait à deux reprises opposé son veto à une telle proposition.

Regardant la réalité de cette révision, au-delà des proclamations et des annonces, et constatant le grand nombre d’articles de ce texte, je retrouve derrière tout cela le mot sublime de Lampedusa dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit de la vingt-troisième révision de la Constitution en cinquante ans, justifiée par la volonté de rééquilibrer les pouvoirs, nous dit-on, au profit du législatif.

Comme tous les parlementaires, je me réjouis de tout ce qui peut accroître notre influence, surtout lorsqu’il s’agit de mieux contrôler l’action du Gouvernement, de débattre davantage, d’avoir une plus grande marge d’initiative sur le plan législatif et peut-être de prendre davantage en compte, comme le fait le texte, les droits de l’opposition.

Cependant, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, je vais être amené à critiquer l’une des dispositions de ce projet qui me semble dangereuse, et je le regrette : il s’agit de la réforme proposée pour l’article 49, alinéa 3. Cela montre que nous pouvons nous succéder à la tribune et ne pas partager les mêmes analyses : c’est le privilège de la démocratie.

M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan. La mise en place de cet article, en 1958, visait à remédier aux errements des républiques antérieures. Le but recherché était de conforter la notion de majorité, fondement essentiel du régime parlementaire, et de lutter contre l’instabilité ministérielle.

La Constitution de 1946 disposait que la confiance ne pouvait être refusée au gouvernement qu’à la majorité absolue des députés.

Dans la pratique, les majorités se disloquaient parce que la mise en minorité du gouvernement sur un texte, due le plus souvent à la défection de ses amis ou prétendus tels ou d’une partie des membres de sa coalition, conduisait ce dernier à démissionner sans attendre que la confiance lui fût refusée. Ainsi privait-on l’exécutif des moyens de gouverner sans prendre pour autant directement la responsabilité de sa chute.

C’est sur l’initiative des ministres d’État, Pierre Pflimlin et Guy Mollet, tous deux anciens présidents du Conseil, que les dispositions actuelles de l’article 49, alinéa 3, ont été incluses dans notre Constitution. C’était le fruit de leur expérience parlementaire.

L’objet de l’article 49, alinéa 3, est double.

Il est en premier lieu de contraindre une majorité craintive ou rétive à adopter tout ou partie d’un texte à laquelle elle est opposée, mais que le gouvernement estime indispensable à la poursuite de sa politique.

Il répond, en second lieu, au souci de mettre un terme à une obstruction parlementaire continue, plus connue sous le nom de filibuster, qui retarde le vote de la loi de manière systématique et bloque l’action gouvernementale.

Le Premier ministre nous a dit tout à l’heure que c’est cette forme d’action qui s’était développée, mais le fait qu’elle se soit développée récemment n’enlève rien au problème auquel on doit faire face avec une majorité rétive.

Pour Michel Debré, l’arme de l’article 49, alinéa 3, est l’ultima ratio. Elle ne saurait être utilisée que pour les projets que le gouvernement juge essentiels, et son abus constitue une preuve de faiblesse, car il traduit le manque de confiance de la majorité à l’égard de l’exécutif et il contribue – c’est un fait – à caricaturer et à affaiblir la fonction parlementaire.

La motion de censure constitue, quant à elle, le pendant et la réplique à l’article 49, alinéa 3, car il est normal que l’opposition cherche, même si elle ne parvient pas à renverser le gouvernement, à dénoncer la politique du projet de loi qu’elle réprouve.

Ainsi, chacun est amené à prendre ses responsabilités, la majorité en se solidarisant avec le gouvernement lorsque sa confiance est sollicitée, et l’opposition en témoignant de manière solennelle sa méfiance à l’encontre de ce même gouvernement et en appelant très logiquement à sa démission.

L’utilisation parfois hors de propos de l’article 49, alinéa 3, par certains gouvernements a conduit à la mise en cause du dispositif. Faut-il rappeler, mes chers collègues, que cet article a été invoqué trente-neuf fois entre le 23 juin 1988 et le 3 avril 1993, dont vingt-huit fois par le gouvernement de Michel Rocard ?

Quelle innovation nous propose-t-on pour cet article ? Un encadrement, en limitant le recours à ce dernier pour les seuls projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale et en restreignant son usage pour un seul autre texte par session ou à un texte au cours d’une session extraordinaire.

Les restrictions apportées par la nouvelle rédaction de l’article 49, alinéa 3, sont dangereuses pour le Gouvernement. L’impact de cet article procède de sa capacité dissuasive.

M. David Assouline. C’est bien, alors !

M. Josselin de Rohan. Or, comme l’a dit tout à l’heure M. Jean-Pierre Raffarin, une arme qui ne peut servir qu’une fois est à l’avenir dépourvue de crédibilité.

De plus, nous travaillons avec le postulat que nous aurons toujours une majorité parlementaire. Or l’expérience nous montre que cette garantie n’existe pas pour la nuit des temps. En 1967, la majorité parlementaire n’a tenu qu’à une voix. En 1988, elle était très mince. Pour peu que soit un jour réintroduite, comme en 1986, la représentation proportionnelle rêvée par certains, on assistera inévitablement au retour des majorités improbables, des alliances douteuses et des coalitions instables.

Prises isolément, les mesures adoptées accordant aux assemblées une plus grande maîtrise de l’ordre du jour ainsi que la délibération en séance plénière du texte issu des travaux de la commission ne sont pas en elles-mêmes dangereuses ; mais conjuguées à la limitation de l’article 49, alinéa 3, elles peuvent conduire une majorité frileuse ou frondeuse à paralyser durablement l’exécutif.

Le gouvernement, placé dans une situation où il n’a pas la majorité, devra négocier l’inscription de ses projets à l’ordre du jour, l’adoption de ses amendements en séance plénière et compter, sinon avec l’obstruction, du moins avec un combat retardateur de sa majorité, d’autant plus soutenu que le recours à l’article 49, alinéa 3, aura été épuisé en une seule fois, au cours d’une session qui dure sept mois. L’issue de ce combat ne fait aucun doute : c’est l’inertie, l’attentisme et l’inaction qui guettent un gouvernement étrillé avec, en prime, le discrédit.

Les rédacteurs du projet de loi, en proposant que le recours à la motion de confiance ne puisse porter que sur un seul texte, non financier, ont tenté de désamorcer la critique, mais il ne s’agit que d’une demi-mesure. Le véritable débat, c’est de savoir s’il faut maintenir ou supprimer l’article 49, alinéa 3 ; ce n’est pas de le rafistoler.

L’amendement de la commission des lois rétablit l’article dans sa rédaction originelle, assorti d’une consultation de la conférence des présidents. Je le voterai en souhaitant que cette rédaction ne fasse pas les frais d’un compromis ultérieur, bien que je sois sans trop d’illusion sur ce sujet, monsieur le secrétaire d’État.

Il paraît que, dans d’autres enceintes, d’aucuns s’étonneraient que le Sénat puisse émettre une opinion sur cette question au motif qu’il n’est pas directement intéressé par cette disposition.

Ainsi, en tant que Français, j’ai le droit d’avoir une opinion sur l’article 49, alinéa 3, mais cela m’est dénié en tant que parlementaire et en tant que sénateur !

Je prétends que cette affaire intéresse le Parlement dans son ensemble, car il s’agit de l’équilibre des pouvoirs. Aucune des dispositions du projet de loi constitutionnelle ne doit nous être étrangère.

M. Josselin de Rohan. Nous sommes une assemblée constituante !

M. Josselin de Rohan. Mes chers collègues, avant de nous prononcer sur la réforme qui nous est présentée, je citerai le général de Gaulle évoquant le gouvernement dans la Constitution de 1946 : il disait n’y avoir vu figurer ni le mot ni la chose. Je souhaite, quant à moi, non seulement que l’on conserve le mot, mais encore que l’on n’altère pas la chose.

Au moment où j’approche de mon soir, je ne veux pas revoir les temps de ma jeunesse où la République était impuissante, absente et discréditée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Jean Arthuis et Michel Mercier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce n’est pas parce qu’il prend la forme de dispositions multiples, et apparemment disparates – M. Alfonsi a parlé tout à l'heure de projet « fourre-tout », voire « baroque », mais le baroque n’est-il pas un grand style architectural digne de respect et de considération ? –, que le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République manque de cohérence.

Il est en réalité, vous le savez bien, mes chers collègues, profondément cohérent dans sa démarche, qui tend, il faut le répéter, à rééquilibrer notre démocratie en faveur du Parlement, et sur certains points, plus exploratoires peut-être – mais il faut vivre avec son temps –, en faveur des citoyens eux-mêmes.

Ce n’est pas parce que ce texte fournit une fois de plus l’occasion d’engager des confrontations entre la droite et la gauche et de susciter des réactions contradictoires, qui unissent en réalité dans un même combat conservateur l’inquiétude quelque peu fétichiste des uns et la surenchère des autres, qu’il nous faut perdre de vue qu’il s’agit non pas d’une réforme parmi d’autres, mais d’une occasion unique et, disons-le, inespérée d’opérer une mutation profonde de notre régime politique, de réanimer ce dernier après une trop longue période d’enlisement ayant débouché, comme souvent dans notre histoire, sur l’impuissance des pouvoirs publics face aux manifestations de rues : rappelez-vous ces dernières, il n’y a pas si longtemps, remplaçant une opposition inexistante et élevées à la dignité de contre-pouvoirs, en dépit de leur caractère partiel et irresponsable. Jean Giraudoux déjà avait écrit De pleins pouvoirs à sans pouvoirs !

Saluons donc cette entreprise qui apportera peut-être – admettons-le et faisons confiance à l’avenir – aux institutions de la Ve République le tempérament qui leur manque depuis le profond bouleversement de l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Je n’ai pas besoin d’évoquer, à mon tour, les conséquences profondes que ce phénomène a eu sur notre vie politique, aboutissant, année après année, élection après élection, à un certain affaissement ou, en tout cas, à un découragement du pouvoir du Parlement, dont l’absentéisme est le signe le plus visible et, quelquefois, le plus affligeant. Nous en avons eu la preuve voilà quelques jours encore !

Tout en saluant la démarche entreprise et en nous efforçant de la rendre efficace, grâce notamment aux mesures évoquées tout à l'heure par M. Mercier et auxquelles le groupe de l’UC-UDF attache une grande importance, est-il permis de douter que cette réforme suffise à désenliser notre vie publique, …

M. Pierre Fauchon. … alors qu’elle n’ose s’attaquer à l’épineuse question du cumul des mandats, dont personne ne parle beaucoup ces temps-ci ?

M. Jean-Louis Carrère. Le suffrage universel la règle !

M. Pierre Fauchon. Je vous remercie, cher ami ! Je constate une fois de plus notre convergence de vues !

Non pas que ces mesures soient mineures et ne sauraient peser dans la balance, si je puis dire, mais il me semble que l’on a cédé tout à l'heure à la polémique en parlant de « pschitt », certes de manière peut-être oratoire. Le poids de nos habitudes et de nos routines risque en effet d’être plus grand encore. La vérité, disons-le, c’est que nul ne sait d’avance ce que donne telle ou telle réforme, car nul n’est prophète en ce domaine.

Je me souviens – j’étais alors au cabinet de Jean Lecanuet, alors garde des sceaux – de la réforme engagée par le Président Valéry Giscard d’Estaing permettant à soixante parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, réforme qui a suscité à l’époque le scepticisme général au sein des milieux politiques. Or voyez le chemin parcouru et la profonde transformation opérée !

Dans cette perspective, je m’interroge sur le point de savoir si une mesure plus radicale, plus clarificatrice et plus mobilisatrice ne serait pas la bienvenue. Vous l’aurez deviné, je pense, rejoignant M. Baylet, au régime présidentiel pur et simple – pourquoi ne pas appeler les choses par leur nom et revenir à un schéma qui porte en lui une si grande évidence ?

M. Pierre Fauchon. La présente réforme nous en rapproche sensiblement, mes chers collègues, sans oser franchir l’étape décisive, comme le montre le débat autour de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, une étape dont le Premier ministre ne nous a pas caché tout à l'heure qu’elle aurait eu sa préférence.

M. Pierre Fauchon. Est-il permis d’évoquer les avantages que présenterait une telle solution, qui supprimerait la pseudo-responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, qui n’est en réalité que la garantie de l’affaiblissement du Parlement, voire quelquefois d’une sorte de démission silencieuse de ce dernier ?

Une telle mesure ne changerait guère la vie publique de l’exécutif, telle qu’elle a été établie avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, le quinquennat et l’enchaînement des élections, car tout fonctionne efficacement.

En revanche, en affranchissant le Parlement, c’est-à-dire en lui faisant confiance – la confiance est beaucoup plus féconde que la simple loyauté, qui présente un caractère assez passif –, celui-ci retrouverait la capacité et le goût d’assurer d’une manière plus créative ses responsabilités. Cette mesure permettrait de rendre l’Assemblée nationale plus représentative du pluralisme français, puisque l’on n’aurait plus le souci de la voir se constituer en une majorité compacte. Plus profondément, en allégeant dans nos débats le poids des clivages partisans, on éviterait des affrontements souvent stériles, dont nous ne sommes pas particulièrement fiers, les remplacant par des majorités d’idées qui répondent, avouons-le, tellement mieux aux problèmes de notre temps.

De bons esprits s’inquiéteront des risques de blocage d’un tel système, car, compte tenu de notre tempérament, le goût de la confrontation l’emporte souvent, à tout le moins quelquefois, sur celui de la composition. Aussi nous faudrait-il envisager l’hypothèse d’un Président ne parvenant pas à faire voter des lois nécessaires ou devant subir de la part du Parlement des lois qui lui paraîtraient dangereuses. Au-delà du fameux principe des checks and balances américain, qui correspond à une situation totalement différente, à un modus vivendi et à des traditions, il nous faut imaginer une solution plus efficace qui nous permettrait de parler d’un régime présidentiel « à la française ». Mais je reviendrai sur ce sujet lors de l’examen des articles.

Dans cet esprit, mes chers collègues, avec quelques amis du groupe de l’UC-UDF, nous vous soumettrons des amendements dans l’espoir sinon de bousculer l’ordre des choses dans l’immédiat, du moins d’enrichir le débat et de l’élever au-dessus des questions particulières – ce ne sera peut-être pas un mal ! – dans lesquelles il pourrait s’enliser au fil des jours et des nuits, dans la perspective d’une étape ultime qui mettrait fin à la confusion paralysante que nous connaissons…

M. Pierre Fauchon. …et dont la présente réforme, si bienvenue soit-elle, aura quelque mal à nous faire sortir. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Gérard Delfau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.

M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le 4 octobre prochain, la Constitution de la Ve République aura cinquante ans. Certes, ce point a déjà été souligné mais, en ce jour, il faut le répéter.

Mis à part les lois constitutionnelles de la IIIe République, la Constitution de 1958 bat le record de longévité des quinze constitutions que la France a connues depuis 1789. Qu’on le veuille ou non, les institutions qu’elle a instaurées ont au moins eu le mérite de s’être adaptées sans heurt majeur aux contextes politiques et sociaux très différents qui se sont succédé au cours de ce demi-siècle. Elles auront survécu à vingt-trois modifications constitutionnelles et même permis, à trois reprises, la cohabitation d’un président et d’un Premier ministre de bords politiques opposés.

Je m’associe pleinement aux hommages rendus au général de Gaulle et à François Mitterrand, le premier pour avoir été le fondateur de cette Constitution, le second pour l’avoir maintenue.

Pourquoi réformer cette Constitution une nouvelle fois ?

À l’évidence, une réforme de la Constitution ne peut répondre à elle seule à la crise persistante du politique qui sévit depuis des années en France, ainsi qu’en Europe d’ailleurs. Elle peut toutefois y contribuer. C’est pourquoi les socialistes ne sont pas hostiles à cette démarche, loin de là. Ils la jugent même nécessaire aujourd’hui. Toutefois, ils ne veulent pas du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République dont nous débattons cet après-midi, et qui est loin de faire l’unanimité au sein même de la majorité !

Avant moi, Jean-Pierre Bel, Bernard Frimat et Robert Badinter ont déjà exposé les principales raisons de l’opposition des parlementaires socialistes au projet qui nous est soumis.

Pour ma part, j’insisterai plus particulièrement sur deux aspects essentiels à mes yeux, à savoir le renforcement, au détour de l’article 7 du texte, de la présidentialisation du régime institutionnel français et la question du Sénat, qui nous concerne.

La révision constitutionnelle de 1962, qui a instauré l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, a bien sûr conféré un tour présidentialiste à nos institutions, même si la caractéristique d’un régime parlementaire, à savoir la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, est maintenue.

L’émergence du fait majoritaire, puis, en 2000, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont encore accentué la prééminence du Président de la République, qui cumule les prérogatives d’un Premier ministre parlementaire et d’un président élu. De grâce, mes chers collègues, n’allons pas plus loin !

Or, l’article 7 du projet de loi constitutionnelle, tel qu’il a été adopté par la majorité de l’Assemblée nationale et qui modifie l’article 23 de la Constitution, sous un aspect que certains peuvent juger anodin, pose en fait la question de la nature même de notre régime institutionnel. Cet article prévoit que le Président de la République « peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote ».

Ne nous y trompons pas, cette disposition, nouvelle dans notre Constitution, symbolise une évolution vers un régime présidentiel, et donc une personnalisation du pouvoir que l’actuel Président de la République appelle sans doute de ses vœux et qu’il met d’ailleurs déjà en pratique. (Sourires.)

Je sais que, à droite comme à gauche, certains sont favorables à un « présidentialisme à la française ». Pour ma part, j’y suis opposé, comme la majorité des socialistes. C’est la raison pour laquelle nous défendrons tout à l’heure, comme l’ont fait les députés socialistes, un amendement de suppression de l’article 7 du projet.

En effet, le régime présidentiel ne correspond ni à l’histoire politique de notre pays, ni au souhait des Français qui se souviennent – en tout cas ceux qui aiment l’histoire – que la seule expérience de régime présidentiel que la France ait connue, de 1848 à 1851, sous la IIIe République, a abouti au coup d’État du 2 décembre 1851 et à l’instauration du second Empire. Et je ne parle pas des pleins pouvoirs accordés à Pétain qui ont mis fin au régime parlementaire car, là, nous sommes hors norme, hélas !

Enfin, la tradition républicaine française ne permet pas d’importer un système à l’américaine, dont les règles d’équilibre entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, comme l’organisation de la vie politique, sont très différentes des nôtres.

Dès lors, qu’apporterait la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en congrès ? Nicolas Sarkozy explique que, « puisque le Président gouverne, il doit être responsable ». Certes, mais devant qui ? Dans la mesure où le Gouvernement a renoncé à faire du chef de l’État le chef de l’exécutif en ne modifiant pas l’article 20 de la Constitution, cette venue n’a pas de sens. Il ne peut pas être responsable devant le Parlement, alors que lui-même est doté de la même légitimité que celle des parlementaires, celle du suffrage universel direct. Aucune des deux légitimités ne pouvant être supérieure à l’autre, le Président de la République ne peut être responsable que devant les seuls électeurs !

Cette prise de parole du Président devant le Congrès ne ferait qu’ajouter à la confusion entre les deux têtes de l’exécutif, dont les rapports sont parfois difficiles, voire signerait la fin de la fonction de Premier ministre telle qu’elle est conçue dans la Constitution. Cette dualité n’a finalement pas si mal marché depuis cinquante ans. Personnellement, je ne m’en plains pas pour la part que j’y ai prise, dans une harmonie que l’on a d’ailleurs souvent soulignée entre le Président et le Premier ministre. Ce qu’en pense le Premier ministre actuel, je ne le sais pas. Peut-être nous fera-t-il un jour des confidences ? Quoi qu’il en soit, nous devons conserver cette dualité.

La répartition des rôles entre le Premier ministre et le Président de la République a incontestablement permis une souplesse de fonctionnement, le plus souvent favorable au Président, qui tire sa force de la fonction d’arbitre que lui confie l’article 5 de la Constitution et qui le place au-dessus des contingences politiciennes. À lui de garder la force et la sagesse de cette fonction d’arbitre. Pourquoi aller plus loin ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris : je suis, avec beaucoup, un partisan convaincu du régime parlementaire. Dans ce cadre, je me suis prononcé à de nombreuses reprises, d’abord devant la commission Vedel voilà maintenant quelques années, en faveur d’un Président de la République élu pour un mandat de sept ans non renouvelable. Mais je suis réaliste ; le temps a passé et l’on ne reviendra pas sur le quinquennat.

Dès lors, il me semble qu’il faut prendre notre système tel qu’il est. Ne nous mettons pas tous à rêver !

M. Jean-Louis Carrère. C’est sûr !

M. Pierre Mauroy. Prenons notre système tel qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses, et, au contraire de ce que l’on nous propose, renforçons l’aspect parlementaire. Si réforme de la Constitution il doit y avoir, j’ai la conviction que l’urgence porte aujourd’hui sur le rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Tout le monde l’affirme, mais faisons-le et faisons-le vraiment ! Donnons au Parlement français une place comparable à celle dont disposent les parlements dans les grandes démocraties européennes de type parlementaire et, finalement, établissons un véritable équilibre !

J’en viens à une autre question qui nous touche et qui me touche particulièrement – combien de fois d’ailleurs l’ai-je abordée à cette tribune ! –, la question du Sénat.

La réforme proposée contient, certes, quelques avancées qui ont été évoquées au cours de ce débat, mais elles sont largement en deçà de ce que l’on pouvait attendre. En outre, certaines d’entre elles ne laissent pas d’être inquiétantes. L’article 18 du texte, par exemple, peut être interprété comme rendant possible une restriction du droit d’amendement des parlementaires.

M. Bernard Frimat. Absolument !

M. Pierre Mauroy. Dans cette volonté affichée du Gouvernement de renforcer les droits du Parlement et de l’opposition, la question de la démocratisation du Sénat est centrale. Elle l’est pour moi, elle l’est pour les socialistes. Je me suis déjà exprimé sur cette question ici même voilà deux semaines, lors de la discussion de la proposition de loi socialiste relative aux conditions de l’élection des sénateurs, texte dont vous avez refusé de débattre sur le fond et que vous avez rejeté.

Mais comment peut-on sérieusement vouloir renforcer le Parlement et s’opposer à ce que l’une des deux chambres qui le composent soit dans l’impossibilité de connaître jamais l’alternance ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une affirmation gratuite !

M. Pierre Mauroy. C’est une question qui paraît de bon sens ; pourtant, vous répondez toujours de la même manière !

Il ne peut pas exister deux types de sénateurs : les uns comblés – je me tourne vers la majorité ; les autres condamnés à perpétuité à rester dans l’opposition ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Patrice Gélard. C’est n’importe quoi !

M. le président. Allons, mes chers collègues !

M. Pierre Mauroy. Le rejet de notre proposition de loi nous a fait douter de la sincérité du Gouvernement et de sa majorité de vouloir réellement faire progresser notre démocratie !

Mais le coup de grâce semble avoir été donné par les sénateurs de droite qui, la semaine dernière en commission des lois, ont poussé la provocation jusqu’à prétendre sceller dans le marbre constitutionnel, contre tout usage, un mode d’élection des sénateurs empêchant à tout jamais l’alternance dans notre assemblée ! C’est un véritable déni de démocratie sur lequel M. Frimat s’est parfaitement exprimé. J’espère que l’examen en deuxième lecture permettra de revenir sur ce point, car cela est totalement inacceptable !

J’observe d’ailleurs que, plus vous perdez de représentativité auprès des collectivités territoriales, plus vous exprimez une volonté de garder un Sénat captif.

M. David Assouline. En captivité, madame la garde des sceaux !

M. Pierre Mauroy. On y est : c’est ce qui se passe actuellement !

M. Pierre Mauroy. Sur ce sujet, devenez moins intransigeants, car plus vous le serez et plus nous serons combatifs ! C’est un combat que nous essayerons de gagner et qu’un jour nous gagnerons. Il s’agit en effet d’un pied de nez à la démocratie, à notre Constitution et, finalement, à la République !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

M. Pierre Mauroy. Il est absolument indispensable de régler ce problème.

Dès lors, les sénateurs socialistes ne peuvent, en première lecture, qu’émettre un vote négatif sur ce projet de loi, qui risque fort d’être celui d’une occasion manquée et qui présage bien mal de son propre avenir !

Si, comme nous, vous souhaitez une Constitution modernisée qui soit digne de la République, à vous d’accepter une réforme démocratique du Sénat ! La suite des événements en dépend. Mais si vous ne le voulez pas, le débat sera porté devant le peuple, j’en suis persuadé, et j’espère bien que nous gagnerons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme institutionnelle qui nous est soumise aujourd’hui est importante. Elle l’est parce qu’un tiers des dispositions de notre Constitution sont modifiées. Elle l’est aussi car elle concerne au premier chef une institution de la République qui nous tient tous particulièrement à cœur : le Parlement. « Rationalisés » en 1958, selon le terme consacré, ses pouvoirs sont très sensiblement renforcés dans le projet qui nous est soumis.

Les principaux éléments de cette revalorisation – le partage de l’ordre du jour, les droits reconnus à l’opposition, l’examen en séance du texte de la commission, ce qui, n’en doutons pas, changera considérablement les conditions de l’élaboration de la loi, l’avis sur les nominations les plus importantes, etc. – nous ont été clairement exposés par le rapporteur et président de notre commission des lois, dont je tiens à saluer ici l’écoute et la très grande qualité du travail accompli.

Les nouvelles prérogatives attribuées au Parlement me paraissent répondre à une double exigence et me semblent nous lancer un double défi.

Je commencerai par la double exigence.

La réforme présentée répond d’abord à une exigence d’équilibre des institutions.

Cela a été souligné à plusieurs reprises, les institutions de la Ve République constituent l’un des legs majeurs du général de Gaulle à la France. Il les voulait solides. Depuis 1789, seules les institutions de la IIIe République auront duré plus longtemps ; le président Hyest l’a rappelé. Le général de Gaulle a voulu que les institutions garantissent la stabilité gouvernementale. La France n’est plus le pays qui avait le privilège peu glorieux de changer de Premier ministre tous les six ou huit mois sous la pression des assemblées.

On a trop tendance à oublier cette exigence d’équilibre à laquelle répondent ces institutions. Le président Henri de Raincourt rappelait le discours prononcé à Bayeux par le général de Gaulle : « Mais aussi tous les principes et toutes les expériences exigent que les pouvoirs publics : législatif, exécutif, judiciaire, soient nettement séparés et fortement équilibrés ».

Aujourd’hui, cette exigence d’équilibre, qui répond aussi à des préoccupations exprimées par des forces qui ne soutiennent pas le Gouvernement, a besoin d’être revisitée. Depuis 1958, l’élection du Président de la République au suffrage universel, le fait majoritaire et, dernièrement, le quinquennat, puis l’inversion de la succession des élections législatives et présidentielles ont transformé une Constitution faite pour protéger des majorités fragiles contre les minorités turbulentes en un instrument d’accentuation de la bipolarisation de notre vie politique.

Sous les IIIe et IVe Républiques, la faiblesse de l’exécutif et la toute-puissance parlementaire annihilaient l’efficacité gouvernementale. Il y avait là une source d’altération du fonctionnement démocratique de notre pays. La Constitution de 1958 a corrigé la situation.

Mais la donne a changé depuis ! Le fait majoritaire, c’est-à-dire la constitution de majorités stables à l’Assemblée nationale, est une constante depuis 1962. C’est lui, le fait majoritaire, qui fonde la prééminence du Président de la République quand les majorités présidentielles et parlementaires coïncident. C’est ce fait majoritaire qui assoit le pouvoir du Premier ministre en cas de cohabitation.

Or, avec le quinquennat et la tenue des élections législatives juste après l’élection du Président, les cas de cohabitation paraissent désormais voués à devenir la grande exception. Dans un tel contexte, qui pousse d’ailleurs à une évolution des fonctions de Premier ministre, les mécanismes constitutionnels mis en place à l’origine pour faire barrage à la toute-puissance parlementaire sont devenus surabondants. Ils tendent à constituer une gêne pour la vitalité du débat démocratique, dont le Parlement doit redevenir le lieu d’exercice.

Voilà pourquoi il me semble que la puissance de l’exécutif justifie désormais l’attribution aux assemblées d’instruments nouveaux leur permettant d’exercer pleinement leur rôle de contre-pouvoir, sans pour autant ouvrir la voie à un retour aux errements du « parlementarisme absolu ».

Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis répond également à une exigence de meilleure participation de l’opposition à la vie parlementaire.

Les articles1er, 22 et 24 du projet de loi constitutionnelle introduisent une novation dans notre Constitution : ils reconnaissent et organisent des droits particuliers pour l’opposition, intégrant dans notre droit ce que le Parlement anglais pratique depuis des siècles. Selon moi, une telle reconnaissance est légitime et inséparable de la revalorisation du rôle du Parlement.

Le rôle confié à l’opposition pourrait aussi favoriser un affermissement de l’autonomie du Parlement. Ne s’agit-il pas d’introduire un facteur qui permettra d’atténuer naturellement le poids du dialogue parfois trop singulier, voire à sens unique, qui se noue entre majorité parlementaire et Gouvernement, et ce quelles que soient les majorités ?

La voie ainsi tracée dans la Constitution peut et doit être approfondie par notre règlement et notre pratique. En définitive, qu’est-ce que le respect de l’autre, sa reconnaissance, l’acceptation d’un regard différent sur les réalités politiques et sociales ? Ce ne sont pas seulement des valeurs constitutionnelles ; ce sont également et surtout des valeurs républicaines, inséparables d’une conception dynamique du parlementarisme. À nous aussi d’imaginer la manière de mieux les inscrire dans la vie de nos assemblées, sans bien sûr entraver la logique démocratique qui légitime la décision des majorités élues.

C’est pourquoi je suis convaincu que la réforme de notre règlement, qui va inéluctablement suivre la révision constitutionnelle en cours, sera un moment particulier et fort de la vie de notre assemblée. Ce sera un acte essentiel pour lui donner un nouvel élan.

Paradoxalement, cette réforme favorable au Parlement lui lance un double défi.

Ce défi s’adresse tout d’abord à l’opposition parlementaire. M. Pierre Mauroy vient de l’évoquer, nos collègues du groupe socialiste se trouvent aujourd’hui confrontés, par le biais de cette réforme, à un choix.

M. Gérard Larcher. Ils appartiennent à une famille de pensée qui, depuis plus de quarante ans, réclame, comme d’autres sensibilités qui s’expriment aujourd’hui au sein de la majorité, une revalorisation du rôle du Parlement. Cette revendication n’est pas seulement intellectuelle. Elle s’appuie sur la fidélité à une expression démocratique que la tradition politique dont ils sont les héritiers a su illustrer sous les Républiques précédentes.

En 1967, André Chandernagor, qui fut par la suite ministre du gouvernement de Pierre Mauroy, a écrit un essai qui a nourri les réflexions de générations de juristes et forgé l’opinion de nombreux constitutionnalistes. Son titre Un Parlement, pour quoi faire ? est à lui seul un programme. Cet ouvrage n’a pas tellement vieilli, même si ses références marquées au Plan sont maintenant datées.

Ce qui me frappe, mes chers collègues, c’est que l’essentiel de ce que préconise André Chandernagor se trouve satisfait par le projet de loi constitutionnelle que nous examinons.

M. Jean-Louis Carrère. C’était il y a quarante ans !

M. Gérard Larcher. Il réclamait des « droits nouveaux pour le Parlement » ; il est proposé de les instituer. Il revendiquait « des droits à la minorité » ; la Constitution réaménagée qui nous est présentée instaure un statut de l’opposition.

L’une des idées défendues était d’augmenter de « deux à trois » le nombre de commissions permanentes. C’est justement le chiffre deux qui figure dans le projet de loi, alors même que le rapport de la commission Balladur retenait celui de quatre. Que dire de plus ?

Le Président de la République ayant confirmé la tenue du Congrès, l’opinion sera juge de la cohérence de chacun, à Versailles, au travers de son vote ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Il n’y aura pas de Congrès ! Vous le savez bien !

M. Gérard Larcher. Pour ma part, je voterai la réforme qui nous est présentée telle qu’amendée par la commission des lois, parce qu’elle nous donne les moyens d’une réelle modernisation de notre vie publique.

Parallèlement, l’évolution qui nous est proposée constitue aussi, me semble-t-il, un défi pour le Sénat.

Les neuf dixièmes des dispositions du projet de loi constitutionnelle concernant les assemblées confèrent au Sénat des pouvoirs égaux à ceux de l’Assemblée nationale, ce qui est cohérent ! Dès lors que, avec le quinquennat, la logique d’un gouvernement de législature repose sur le Président de la République et sa majorité au Palais-Bourbon, il me semble avisé d’assurer l’équilibre des nouvelles relations de pouvoir en confortant le rôle du Sénat.

Une telle situation conduit à un renforcement objectif de la place de notre assemblée au sein des institutions. En effet, il nous faut bien avoir conscience de cette nouvelle donnée : en fait et en droit, le Sénat devient le lieu central de l’altérité institutionnelle.

Le Sénat n’est-il pas le seul des quatre pôles du pouvoir d’État ne découlant pas des résultats du suffrage uninominal à deux tours, qui préside aux élections présidentielle et législatives et, par là même, à la désignation du Premier ministre ? Représentant les collectivités territoriales, le Sénat ne tire-t-il pas sa légitimité d’une autre source que la stricte loi du nombre, en combinant représentation des populations, des territoires et des Français de l’étranger ?

M. Gérard Larcher. Ne pouvant être dissous, le Sénat n’assure-t-il pas la continuité indispensable à la stabilité de la République, dès lors que les deux autres pouvoirs élus nationalement voient leur mandat s’achever dans le même temps ? Le mandat de sénateur, dont la durée est de six ans, n’est-il pas désormais le seul mandat national qui n’obéisse pas au rythme du quinquennat ?

Sans toutes ces différences, n’y aurait-il pas monovalence à la tête de notre République ?

Si j’osais une image,…

Mme Bariza Khiari. Osez, monsieur Larcher !

M. Gérard Larcher.… je dirais que le Sénat se révèle désormais celle de nos institutions qui, par la spécificité de son recrutement, de ses fonctions et de la durée du mandat, assure une vision binoculaire à l’action des pouvoirs publics. (Bravo ! sur les travées de lUMP. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je vous rappelle, mes chers collègues, que la vision binoculaire est celle qui permet de percevoir les reliefs !

Avec la Constitution révisée qui nous est proposée, cette fonction d’altérité sera, plus que ce ne fut le cas hier, impulsée par le droit. L’altérité affermie du Sénat augmentera le poids de ses responsabilités ; il ne s’y dérobera pas. C’est cela qui constitue, sans nul doute, un défi d’avenir pour notre assemblée et pour ses membres.

Je suis, pour ma part, confiant et persuadé que notre assemblée sera à la hauteur des enjeux.

Avec votre autorisation, monsieur le président, je me permettrai d’ajouter quelques remarques complémentaires pour préciser ma pensée, avec le plus grand respect, après l’intervention de M. Pierre Mauroy.

Le Sénat a déjà amplement démontré qu’il ne craignait pas la réforme, puisqu’il s’est déjà réformé. Un rendez-vous est d’ailleurs fixé en 2014.

M. Jean-Pierre Bel. Pourquoi pas maintenant ?

M. Gérard Larcher. Je ne pense pas que l’alternance soit impossible dans notre assemblée. Une telle possibilité sera d’ailleurs offerte dans ce cadre.

Quoi qu’il en soit, n’utilisons pas un débat constitutionnel qui revalorise le Parlement et refonde fondamentalement l’équilibre des pouvoirs pour évoquer des sujets qui ne relèvent pas de la Constitution. Si ces questions, comme toutes les questions, sont légitimes, elles ne doivent pas peser sur le choix qui interviendra à Versailles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt-deux heures trente, sous la présidence de M Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

6

Transmission d’un projet de loi et proposition de création d’une commission spéciale

M. le président. M. le président du Sénat a reçu, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie. Ce projet de loi sera imprimé sous le numéro 398 et distribué.

Je vous rappelle que nous avons constitué, au mois de février dernier, un groupe de travail intercommissions préfigurant une commission spéciale sur ce projet de loi.

M. le président du Sénat a reçu mandat de la conférence des présidents pour proposer au Sénat le moment venu, en application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la création de cette commission spéciale.

Nous pourrions donc inscrire â notre ordre du jour de demain après-midi, mercredi 18 juin, l’examen de la proposition du président du Sénat tendant à la création de la commission spéciale et la nomination des membres de cette commission.

Il n’y a pas d’opposition ?….

Il en est ainsi décidé.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale (suite)

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Motion d'ordre

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, les diverses réformes constitutionnelles, ainsi que la pratique, n’ont fait qu’accentuer la dérive présidentialiste de notre régime.

Peu à peu, les pouvoirs de l’exécutif se sont renforcés, aidés en cela par le fait majoritaire, l’inversion du calendrier électoral et l’introduction du quinquennat présidentiel.

Le parlementarisme rationalisé aura fait son temps. Il est devenu un présidentialisme irrationnel : le pouvoir du Parlement s’est progressivement affaibli et, avec lui, sa représentativité des citoyens. D’où l’enjeu de cette réforme : mieux encadrer le pouvoir exécutif et revaloriser les pouvoirs du Parlement, en d’autres termes, rééquilibrer les pouvoirs.

Lors de son discours à Épinal, le 12 juillet dernier, le Président de la République a ouvert, de manière généreuse, le débat de la réforme des institutions. Le souci de modernisation y côtoyait celui du rééquilibrage des institutions : c’était un projet ambitieux et honorable. Le Président de la République s’exprimait alors en ces termes : « Je souhaite que l’on examine concrètement tous les moyens qui permettront à notre République et à notre démocratie de progresser ».

Il nous semblait alors que toutes les questions allaient être débattues, même les plus audacieuses.

Depuis lors, le principe de réalité a prévalu sur le discours. Beaucoup de bruit pour rien, finalement !

Entre les soixante-dix-sept propositions du comité Balladur et le projet de loi constitutionnelle qui nous est présenté aujourd’hui, un fossé inexplicable apparaît. Déjà initialement incomplètes, nombre de ces propositions ont été écartées dans l’avant-projet de loi, pour se trouver littéralement bannies du projet de loi soumis à l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui, cette réforme ressemble à une peau de chagrin : sa substance rétrécit au fur et à mesure que le temps passe, et je crains qu’elle ne se voie administrer le coup de grâce lors de son examen par le Sénat.

Que de décalage entre la volonté exprimée voilà un an et la réalité du projet que vous nous proposez ! Notre déception est à la hauteur des espoirs que nous avions placés dans cette réforme. Il faut être sincère : du programme ambitieux, il ne reste plus que des avancées timides, pour la plupart insignifiantes, parfois impraticables et, souvent, cosmétiques ou apparentées à de simples affichages médiatiques. Les questions essentielles ont été écartées : la modernisation annoncée ne sera qu’un toilettage, un léger lifting, sans grande incidence sur la répartition des pouvoirs.

Plusieurs collègues s’étant déjà s’exprimé sur ce projet de loi constitutionnelle dans son ensemble, j’ai choisi d’intervenir sur les trois points qui me semblent fondamentaux.

Je commencerai par le premier champ de cette réforme : les nouveaux pouvoirs accordés au Parlement.

Le projet de loi tente l’impossible : rééquilibrer sans toucher aux équilibres ! En conséquence, ce souci contradictoire débouche sur des consensus mous, sans effet véritable sur la réalité de la pratique du pouvoir ni sur le partage des pouvoirs exécutif et législatif.

Vous le savez autant que moi, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, ce qui relève de la loi relève de votre majorité et procède donc de votre bonne volonté ! Une telle équation ne nous permet pas d’envisager avec sérénité l’issue de ce débat. L’opposition restera impuissante à peser dans le débat démocratique, à l’image du sort qui lui est réservé par ce projet de loi constitutionnelle.

Quel est l’intérêt de renforcer les pouvoirs du Parlement si ce dernier est « pieds et poings liés » à l’exécutif ?

Quel est l’intérêt de donner plus de pouvoirs aux parlementaires, si les droits de l’opposition sont soumis à des lois dont on sait que l’issue est à la discrétion de la majorité ?

Où est le réel contre-pouvoir à l’exécutif, appelé de ses vœux par le Président de la République dans son intervention du 12 juillet dernier ?

Où sont, en fin de compte, les nouveaux pouvoirs du Parlement, gage de ce rééquilibrage ?

On lui accorde, ici et là, quelques facultés d’émettre un avis, tout en lui rappelant que ce dernier n’a aucune valeur contraignante.

On lui permet de contrôler une prérogative de l’exécutif qui n’a été utilisée qu’une fois dans l’histoire de la Ve République : l’exercice des pouvoirs exceptionnels du Président de la République.

On lui concède des droits théoriques, qu’il ne sera peut-être jamais amené à exercer en raison du corsetage lié au fait majoritaire.

On le tient informé des interventions à l’étranger et on lui permet d’en voter la prolongation. Soit, mais qu’en est-il de l’opportunité de contrôler le maintien des soldats ?

J’espère obtenir des réponses étayées sur ces points.

J’en viens au deuxième champ de cette réforme : l’encadrement du pouvoir exécutif.

On ne peut parler de réelles avancées sur ce terrain, sauf à considérer qu’entériner une pratique représente, en soi, une avancée décisive.

La possibilité donnée au Président de la République de s’adresser directement au Parlement réuni en Congrès constitue-t-elle l’une de ces avancées ?

Comment parler de limitation du pouvoir exécutif, quand la limitation la plus symbolique, c’est-à-dire la séparation physique, symbole de la séparation théorique des pouvoirs, est balayée d’un revers de main ?

La présente réforme ne doit pas être l’occasion pour le Président de la République de se réconcilier avec les parlementaires de sa majorité ! Nous ne construisons pas un pacte de non-agression entre les membres de la majorité au Parlement et ceux au Gouvernement.

Nous construisons, aujourd’hui, un pacte pour l’avenir démocratique de notre pays. Ce pacte passe par des concessions, de la part tant de la majorité que du Gouvernement. C’est à ce seul prix que la réforme aboutira, sans être vidée de son effet utile.

Sous le prétexte de ne pas toucher aux grands équilibres de la Ve République, nous ne devons pas nous limiter à réformer pour réformer, pour le symbole du geste, sans apporter aucune réponse qui soit à la hauteur de la crise démocratique actuelle, à la crise de confiance politique constatée chez nos concitoyens. Nous ne devons pas laisser le principe de la réforme l’emporter sur son contenu. Il nous faut passer de l’incantation à l’action, mes chers collègues !

Alors que la nécessité d’une modernisation des institutions est proclamée avec force et vigueur, pourquoi nous proposer un semblant de réformes ? Pourquoi se contenter d’actualiser la dérive de notre régime vers le présidentialisme, alors même qu’il s’agit précisément de la contenir ?

Cette réforme porte en elle-même toutes les contradictions de l’action du Gouvernement : l’empressement, les vœux pieux, la longue réflexion, pour finalement n’être que de la poudre aux yeux…

« J’ai une conviction : il ne faut jamais fuir le débat ; il ne faut jamais en avoir peur ! ». Mes chers collègues, j’espère que vous ferez vôtres ces propos tenus par le Président de la République lors de son discours d’Épinal.

J’aborderai à présent le troisième champ de cette réforme : les droits des citoyens.

Chaque groupe politique, chaque sensibilité représentée dans cet hémicycle a ses propres doléances.

En cet instant, permettez-moi de vous livrer ce qui constitue à nos yeux l’objectif principal de cette réforme : une meilleure prise en compte des aspirations des citoyens et de leur représentativité, au sein d’assemblées rajeunies, féminisées et métissées, qui soient à l’image de notre société et où chacun pourra se reconnaître !

Je prends bonne note de la création d’une exception d’inconstitutionnalité, ainsi que d’un Défenseur des droits. Mais qu’en est-il d’une meilleure représentation de tous les courants politiques dans les assemblées par le biais de l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela ne relève pas de la Constitution !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Qu’en est-il du renouvellement de la classe politique par la voie de la limitation du cumul des mandats, y compris dans le temps ?

Qu’en est-il de la possibilité des citoyens de se saisir directement d’un projet touchant leur quotidien ou leur lieu de vie, grâce à un véritable référendum local d’initiative citoyenne ?

Sur ce volet de la réforme, notre principale revendication vise la reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales, afin de rendre justice à ces citoyens qui contribuent à la richesse et à la vitalité de notre pays depuis des années. La réponse qui sera donnée à cette revendication conditionnera le vote des parlementaires Verts sur cette réforme.

Certains d’entre vous objecteront que ce n’est pas le moment. Mais j’ai l’impression que ce n’est jamais le moment ! Nous avons trop attendu, je dirais même que nos parents ont trop attendu, que la société française dans son ensemble a trop attendu pour connaître ce nouvel élan démocratique, que nos voisins européens, eux, connaissent. Nous devons saisir l’occasion qui nous est offerte avec ce projet de loi constitutionnelle pour vaincre les peurs et donner à ces résidents permanents le droit fondamental de participer à la conduite de leur destin citoyen. Témoignons leur le respect, ainsi que le devoir de mémoire et de justice qu’ils méritent, au-delà des clivages et des appareils, au-delà des intérêts partisans et des luttes intestines.

Pour conclure, je me permettrai de vous dire en toute franchise : les libertés publiques reculent, la colère gronde, le discrédit plane ; j’en veux pour seule preuve les taux d’abstention aux élections…

L’histoire nous montre que, lorsque le peuple ne croit plus en ses dirigeants, la démocratie laisse place à l’autoritarisme et à la dictature.

Si nous voulons reconquérir la confiance de nos concitoyens, nous devons avoir le courage de mener de véritables réformes, nécessaires à la démocratisation de nos institutions, notamment du Sénat, dernier bastion du conservatisme. Il s’agit d’un enjeu démocratique pour l’avenir de notre société ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Puech.

M. Jean Puech. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République, que le Sénat examine aujourd’hui, est un événement, n’ayons pas peur des mots !

La Constitution de la France est solide et moderne, elle le prouve chaque jour. Mais elle date tout de même de 1958 ! Dès lors, il n’est pas scandaleux de procéder à un toilettage global, à une révision générale, à une sorte de check-up qui nous confirment qu’elle a su bien vieillir, mais qu’elle a besoin d’être adaptée à un monde qui bouge.

En effet, le monde a changé. Rappelons-nous la période de tensions politiques nées de la guerre froide entre les blocs, du choc des idéologies, de notre présence en Algérie, de l’instabilité politique de la IVe République, et j’en passe. Dans de telles conditions, le nouveau pouvoir exécutif de la Ve République ne pouvait qu’être fort !

Depuis, la France a vécu l’alternance et même la cohabitation. L’Europe s’est construite, les distances se sont effacées ; la planète se rétrécit !

Mais, reconnaissons-le, les instances de décision de notre pays ont eu parfois du mal à prendre rapidement la mesure de ces bouleversements. Et cela me conduit au cœur du sujet que je souhaite développer. Les élus locaux – c’est d’eux qu’il s’agit – n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter.

Vous comprendrez l’intérêt toujours très fort qu’en ma qualité de président de l’Observatoire de la décentralisation j’attache aux questions touchant aux collectivités territoriales sous la Ve République, à leurs élus et au devenir de ces derniers.

Ces élus sont confrontés très concrètement aux problèmes de nos concitoyens et sont désireux de répondre à leurs attentes. Ils sont en prise directe avec les réalités quotidiennes du troisième millénaire. Ils n’ont pas d’autre choix que d’enregistrer toutes ces évolutions afin d’y faire face, au quotidien, à leur échelon.

Et pourtant, dans les vagues déferlantes des réformes successives, la situation des élus locaux est ignorée, il faut le reconnaître, sauf lorsqu’il s’agit de leur taper un peu sur les doigts, parce qu’ils dépenseraient trop,…

M. Jean Puech. … sauf lorsqu’il s’agit de remettre en cause la commune, un jour, le département, le lendemain,…

M. Jean Puech. … alors même qu’ils ne sont pas associés aux réflexions donnant lieu aux multiples rapports – vous savez lesquels je vise, notamment le plus récent d’entre eux –, qui les concernent pourtant directement !

En fait, de leur passion pour le territoire qu’ils administrent et de leur engagement pour la chose publique, on parle très peu. Du statut de l’élu local qui devrait être le leur, on parle encore moins.

Mes chers collègues, je pense que le moment est venu de réparer cette injustice. Accordons aux élus locaux la reconnaissance nationale que les Français leur témoignent déjà ! Ces femmes et ces hommes de terrain sont les meilleurs ouvriers de la démocratie.

La France a trop tardé à prendre la mesure de ce que représentent les collectivités territoriales dans notre démocratie. Année après année, au fil des lois de décentralisation arrachant une à une ses compétences à l’État central, les collectivités territoriales ont enfin trouvé leur vraie place, celle d’un moteur de l’action de proximité. Mais, il faut le reconnaître, nous avions pris beaucoup de retard sur les autres pays de l’Union européenne.

J’ai plaisir à rappeler combien le Sénat a fortement contribué à l’adoption de la réforme constitutionnelle de 2003, avec le plein et dynamique soutien du gouvernement de notre collègue Jean-Pierre Raffarin.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Jean Puech. La décentralisation se trouvait enfin inscrite dans notre Constitution !

Aujourd’hui, les collectivités territoriales doivent gérer les transferts de compétences et de personnels et veiller à ce que les moyens budgétaires suivent, ce qui n’est pas toujours facile.

M. Jean-Louis Carrère. C’est vrai !

M. Jean Puech. Mais, au-delà, qu’attendent aujourd’hui de l’État les collectivités territoriales ? À mon sens, il existe trois priorités.

Premièrement, les collectivités territoriales et leurs élus ont besoin que l’État leur fasse confiance. Trop souvent, le pouvoir central ne se départit de son rôle de conseil que pour tomber dans la tentation de la tutelle ; il devient contrôleur, oubliant l’esprit de partenariat. Cette évolution, je l’ai vue et je l’ai moi-même vécue.

Deuxièmement, la contractualisation ne doit pas être séparée de la mise en œuvre de la décentralisation. Pour cela, les élus locaux souhaitent un État organisé, avec, sur le terrain, un interlocuteur unique, légitime et responsable, qui devrait être le préfet, mais bien souvent celui-ci est court-circuité.

Troisièmement, les collectivités territoriales et leurs élus ont besoin de sécurité juridique, c’est-à-dire de règles stables, résultant de la concertation, consensuelles, ayant donc été négociées.

Ces trois exigences nous ramènent à la réforme constitutionnelle. En effet, aujourd’hui, alors que s’ouvre le chantier de la révision constitutionnelle, nos collectivités locales ne peuvent être absentes, ne serait-ce que parce que le Sénat, grand conseil des collectivités territoriales de France est concerné au premier chef, mais aussi parce qu’un maire, un conseiller général ou un conseiller régional doit chaque jour traiter des questions dépassant le cadre géographique qui est de son ressort. La décentralisation les a placés au centre du dispositif d’administration de nos communes, de nos départements et de nos régions.

C’est cet ensemble qui fait aussi la France réelle, la vraie France !

Dès lors, il me semble tout à fait légitime que les collectivités et leurs élus, qualifiés par l’expression démocratique, aient voix au chapitre dans ce débat. Au Sénat, en tout cas, nous n’esquivons pas cet aspect et nous ne l’avons jamais esquivé.

Les questions que nous formulons, aujourd’hui comme hier, sont très simples : qui fait quoi sur le territoire ? Qui est responsable de quoi ? C’est toujours l’élu qui est au cœur de ce débat.

La clarification des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales est apparemment établie, mais elle n’est pas encore effective et, pour l’opinion publique, il ne suffit pas de la décréter : elle ne sera effective que lorsque les citoyens pourront identifier encore mieux, sans difficulté, celles et ceux qui décident en leur nom, qu’ils les approuvent ou les sanctionnent au terme du mandat qu’ils leur ont confié.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean Puech. Les élus locaux doivent être revêtus d’une légitimité plus forte. Aussi la Constitution doit-elle intégrer – comme c’est le cas pour la décentralisation – la reconnaissance de cette légitimité. Il faut un véritable statut de l’élu local.

M. Jean Puech. C’est le combat que nous devons mener.

Il s’agit de donner aux élus locaux les moyens de se consacrer à leur mandat comme l’exigent les nouvelles responsabilités qu’ils doivent assumer. Nous ne proposons pas une fonctionnarisation supplémentaire, mais il s’agit de leur permettre, par exemple, de retrouver plus facilement, et dans des conditions normales, au terme de leur mandat, une nouvelle activité professionnelle, il s’agit de leur accorder la protection sociale à laquelle a droit tout citoyen qui travaille, ni plus ni moins. Bref, il s’agit tout simplement de fixer les conditions d’exercice d’un mandat électif.

Cette ambition, je crois pouvoir le dire, est partagée par l’ensemble des membres de l’Observatoire de la décentralisation et par une très large majorité de notre assemblée, par-delà les différences politiques et la diversité des expériences.

Voilà pourquoi bon nombre de nos collègues ont souhaité cosigner l’amendement que j’ai déposé, qui vise à introduire une référence au statut de l’élu local dans notre Constitution en prévoyant qu’une loi déterminera les conditions d’exercice des mandats locaux et des fonctions électives.

Par cette disposition, nous reprenons des mesures qui, il est vrai, existent déjà,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ah ! quand même !

M. Jean Puech. … mais que nous souhaitons améliorer en les rationalisant.

L’inscription d’une référence au statut de l’élu local constituerait l’aboutissement de notre réflexion sur la mise en œuvre de la République décentralisée. Ce serait un signe puissant adressé aux Français et aux élus locaux. Ces derniers ne comptent pas leur temps, ne ménagent pas leur peine et prennent des risques. Pourtant, ils ne demandent rien d’autre que la reconnaissance de leur pays.

La République, mes chers collègues, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, s’honorerait en les accueillant dans ce sanctuaire de la démocratie qu’est la Constitution.

Bien entendu, le fait que cette inscription soit proposée par le Sénat est significatif. Le Président de la République a souhaité, en engageant cette réforme, redonner confiance dans nos institutions et renforcer la légitimité des représentants du peuple. En adoptant cette proposition, le Sénat s’inscrirait tout à fait dans l’esprit de cette réforme.

En conclusion, je souhaite que la revalorisation du Parlement permette au Sénat de renforcer encore son rôle de représentant des territoires, de représentant de leurs élus, de représentant de la décentralisation. Les membres de l’Observatoire de la décentralisation se sont en tout état de cause prononcés en faveur d’une évolution renforçant les moyens du Sénat en matière de suivi des collectivités territoriales.

Une telle évolution permettra, j’en suis convaincu, d’affirmer et de conforter la place irremplaçable du Sénat au sein de nos institutions républicaines. (Applaudissements sur les travées de lUMP, de lUC-UDF et sur quelques travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dispose de cinq minutes pour vous faire part – après d’autres – de ma déception devant le texte qui nous est proposé.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous avez tort !

M. Jean-Claude Peyronnet. Ainsi que beaucoup d’autres, j’avais trouvé très positive l’initiative du Président de la République telle qu’elle apparaissait à la fin de l’été dernier.

J’avais fondé de réels espoirs dans les conclusions du comité Balladur et j’espérais vraiment que nous pourrions aboutir à un large accord politique pour rénover la vie politique française par un meilleur encadrement des pouvoirs du Président de la République et un renforcement du rôle du Parlement.

Cette perspective me paraissait réjouissante, car la situation actuelle est celle d’une démocratie simulée. Sans rien changer à la lettre de la Constitution, le Président de la République en a profondément modifié la pratique. Le Premier ministre fait de la figuration, le Président décide concrètement de tout et, par ses conseillers, mais aussi par la presse, il exerce de fait la totalité du pouvoir, sans être responsable devant quiconque, sinon devant le peuple, mais au bout de cinq ans, sans que soit intervenu entretemps le moindre contrôle.

Le Parlement, quant à lui, fait semblant d’exister. Pus que par le passé, il donne, lui aussi, dans la figuration. L’opposition, quoi qu’elle dise ou fasse, n’est jamais écoutée, et la majorité, quoi que dise ou fasse le Gouvernement, obéit au doigt et à l’œil.

M. Henri de Richemont. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Peyronnet. Si ce n’est pas tout à fait votre cas, c’est vrai de la plupart de vos collègues !

Nous sommes bien dans un pouvoir personnel et dans un semblant de démocratie.

Deux solutions se présentaient pour corriger cette situation. La première n’est pas à l’ordre du jour et ne le sera sans doute pas de sitôt. Pourtant, c’eût été – je parle en mon nom personnel – la plus efficace, y compris, paradoxalement, pour redonner des couleurs à un Parlement actuellement largement inutile, tant il est devenu un théâtre d’ombres.

Il se serait agi de prendre acte de la situation actuelle et d’évoluer en direction d’un régime présidentiel au sein duquel le pouvoir du Président aurait été strictement encadré.

Pour le Parlement, cela aurait été le seul moyen de dépasser le blocage démocratique que constitue le fait majoritaire poussé à son extrême. Le Parlement se serait grandi en exerçant de façon rigoureuse un réel contrôle sur l’action de l’exécutif, ce qui n’est pas vraiment le cas actuellement.

Parallèlement, les pouvoirs du Président auraient été sérieusement rognés, ce qui supposait la fin du pouvoir de dissolution, de l’usage de l’article 49-3 et aussi, bien sûr, des nominations discrétionnaires aux postes stratégiques des grands corps de l’État.

Mais c’est l’autre solution qui a été choisie. Cette voie était possible, à condition que l’on joue réellement le jeu de la démocratie et que, en particulier, l’une des branches du bicamérisme soit plus en rapport avec la situation démographique et politique du pays.

Certes, la majorité de la commission des lois a renoncé à constitutionnaliser ce qui s’apparentera de plus en plus, vu la dépopulation en milieu rural, aux « bourgs pourris » de l’Angleterre du xviiie siècle, ce qu’elle se proposait de faire la semaine dernière.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela reste à prouver ! Ce ne sont que des affirmations !

M. Jean-Claude Peyronnet. Je sais parfaitement ce que je dis, monsieur le président de la commission des lois !

Mais c’est pour en rester à la situation présente, qui laisse au Conseil constitutionnel, dont on connaît la composition politique, le pouvoir de maintenir sa jurisprudence, qui interdit de fait toute alternance. Tel est le sens du refus d’intégrer dans le mode de désignation des sénateurs l’idée de représenter les collectivités territoriales « en fonction » de leur population, comme le proposait le comité Balladur. Cela, nous ne pouvons l’approuver.

Il y a encore bien d’autres points sur lesquels les espoirs issus des travaux du comité Balladur ne trouvent pas dans le présent texte de traduction démocratique. Je n’ignore pas les progrès que pourraient constituer le vote sur le texte issu des commissions ni les modifications du calendrier mensuel et du mode de fixation de l’ordre du jour. Mais, outre celui que je viens de développer, il existe pour nous d’autres empêchements qu’à une autre époque et sous un autre régime juridique on aurait pu qualifier de « dirimants ».

Pour aller vite, je n’évoquerai que trois exemples.

Le premier concerne l’institution du Défenseur des droits des citoyens, heureuse initiative dans son principe, madame la garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Merci !

M. Jean-Claude Peyronnet. Mais comment voulez-vous que nous votions cette disposition d’apparence sympathique sans connaître le périmètre des institutions qu’elle est appelée à regrouper ?

Interrogée avec insistance lors de votre audition par la commission des lois, vous n’avez pas répondu de façon claire, citant seulement à plusieurs reprises la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, au point que l’on est en droit de se demander si la création de ce Défenseur n’a pas pour but de faire disparaître les autres institutions de ce type, qui constituent un désagréable poil-à-gratter pour l’administration et le Gouvernement.

Le second exemple a trait au pouvoir de nomination, qui pose lui aussi problème. Dans un certain nombre de pays que nous avons visités, avec notre collègue Patrice Gélard, les nominations se font à la majorité qualifiée du Parlement ou de l’Assemblée, selon les cas. Au lieu de cela, vous nous proposez un veto des trois cinquièmes revenant en fait à une approbation par les deux cinquièmes ; c’est une mystification ! Ce point a déjà été longuement développé par notre collègue Bernard Frimat.

Nous dire, comme je l’ai entendu, qu’une nomination par le Parlement ou la seule Assemblée nationale à la majorité qualifiée revient à introduire la politique dans la haute administration, c’est une aimable plaisanterie. En vérité, c’est exactement l’inverse ! Si vous acceptiez ce que nous proposons – c’est-à-dire une réelle approbation à la majorité des trois cinquièmes –, vous créeriez au contraire l’obligation d’un large accord entre toutes les forces politiques, ce qui constituerait un gage de l’objectivité des choix.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait du marchandage !

M. Jean-Claude Peyronnet. Enfin, le droit d’amendement, qui est un droit fondamental des parlementaires, verrait ses modalités établies par les règlements des deux assemblées et vous ne semblez pas disposés à assouplir l’application de l’article 40. Or, il s’agit d’une lourde entrave au droit d’amendement. Je pense – même si tous mes amis ne partagent pas nécessairement mon sentiment sur ce point – que le droit d’amendement doit être mieux encadré.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous partageons complètement cet avis !

M. Jean-Claude Peyronnet. En effet, il faut trouver du temps pour que le Parlement contrôle. Mais, très honnêtement, l’encadrement ne doit pas être conçu comme vous le faites. Voudriez-vous nous pousser à voter contre ce texte que vous ne vous y prendriez pas autrement !

Voilà donc comment, dans une République de l’apparence, les effets d’annonce les plus séduisants masquent en réalité un conservatisme profond (M. le secrétaire d’État manifeste vivement son désaccord), voire une régression, et constituent, au mieux, un simple habillage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « une constitution n’est pas une tente dressée pour le sommeil », disait Napoléon Ier.

La Constitution française n’a pas été dressée pour le sommeil, puisque, en près de cinquante années, nous l’avons modifiée à vingt-trois reprises. Elle a ainsi démontré son adaptabilité aux bouleversements, aux crises, aux changements et sa capacité à se moderniser. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

La réforme qui nous est proposée aujourd’hui est mal comprise par certains d’entre nous. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah ! C’est sûr

M. Patrice Gélard. Contrairement à ce que certains voudraient, ou ont imaginé, il n’est pas envisagé une réforme globale de la Constitution, mais une réforme qui se limite à un certain nombre de points qui ont été énoncés cet après-midi par le Premier ministre. Cette révision ne crée pas un épouvantail de régime présidentiel, mais préserve l’équilibre de la ve République, reposant sur un régime parlementaire mâtiné de présidentialisme. Je le répète, nous ne nous dirigeons pas vers un régime présidentiel ; au contraire, cette révision tend à limiter les pouvoirs du Président. (Protestations sur les mêmes travées.)

Pour autant, il n’est pas envisagé d’en revenir aux vieilles lunes du régime d’assemblée…

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Non, en effet !

M. Patrice Gélard. … pour lequel certains éprouvent de la nostalgie, regrettant que n’ait pas été adopté le projet de Constitution élaboré en avril 1946, projet qui aurait conduit à l’impuissance et à la dictature parlementaire, c’est-à-dire à l’inefficacité totale. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce que vous appelez la dictature parlementaire est toujours préférable à la monarchie !

M. David Assouline. La dictature parlementaire ? Cela n’a jamais existé !

M. Patrice Gélard. Bien sûr que si ! Je pourrais vous citer une multitude d’exemples ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie d’écouter M. Gélard. Nous avons tous à apprendre de son expérience !

M. Patrice Gélard. En réalité, le présent projet de loi constitutionnelle est mesuré et a notamment pour but d’améliorer, de rationaliser et de développer le rôle du Parlement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Très bien !

M. Patrice Gélard. Il importe de rechercher un équilibre global, d’autant que, jusqu’à présent, il n’a pas été tenu compte de l’adoption du quinquennat, qui, avec la coïncidence des élections présidentielle et législatives, a considérablement transformé la nature de nos institutions. Celles-ci ne peuvent continuer à fonctionner selon les mêmes règles que celles qui étaient en vigueur au temps du septennat, voire du quinquennat de Jacques Chirac.

À la suite des propos que vient de tenir Jean-Claude Peyronnet, je me félicite de ce que ce projet de loi constitutionnelle reprenne certaines des propositions que nous avions formulées dans nos deux rapports d’information, en particulier la discussion des projets et des propositions de loi en séance publique à partir du texte adopté par la commission, proposition que nous avions faite voilà plus d’une dizaine d’années. Je me félicite également de la constitutionnalisation, méritée, d’un comité chargé des affaires européennes au sein de chaque assemblée.

Pour l’essentiel, ce texte donne assez largement satisfaction à ceux qui attendaient de cette modification constitutionnelle qu’elle mette notre Constitution en conformité avec les nouvelles exigences du quinquennat. Nous avons atteint ce but, me semble-t-il.

Pour autant, j’exprimerai un certain nombre de regrets.

Premièrement, le champ du référendum, que nous avons élargi, doit être corrigé, parce que nous ne savons pas utiliser cet instrument en France. (Rires sur les travées du groupe CRC.)

M. Patrice Gélard. Dans notre pays, il n’est jamais répondu à la question soumise à référendum, celui-ci n’étant utilisé que comme l’opportunité de se déclarer pour ou contre le gouvernement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Cessez donc de m’interrompre à tout-va ! Je ne vous ai pas interrompus lorsque vous aviez la parole !

Pour remédier à cette situation, je propose que tout référendum qui n’aurait recueilli qu’une participation inférieure à 50 % des inscrits soit nul et non avenu.

Dès lors, nous rationaliserons l’usage du référendum…

M. Robert Bret. Point trop n’en faut !

M. Patrice Gélard. … et nous ferons en sorte qu’il y soit recouru à bon escient et non pour exprimer tel ou tel point de vue sans rapport avec la question posée. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Deuxièmement, il faudra bien régler un jour la question du statut des anciens présidents de la République. (Applaudissements sur diverses travées.)

Leur qualité de membre de droit du Conseil constitutionnel n’est d’aucune utilité pour le fonctionnement de celui-ci. Or le Conseil constitutionnel va être conduit à examiner des recours dont il aura été saisi par voie d’exception ; par conséquent, les anciens présidents de la République pourraient être amenés à se prononcer sur des dispositions qui auraient été adoptées alors qu’ils étaient en fonction et dont ils auraient été les initiateurs. De fait, cela ne me paraît pas compatible avec le devoir de réserve auxquels sont tenus les membres du Conseil constitutionnel.

Cette situation est anormale. Pour autant, je ne reprendrai pas la proposition de loi constitutionnelle que j’avais déposée voilà trois ans visant à attribuer aux anciens présidents de la République le statut de sénateur à vie.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est démocratique cela !

M. Patrice Gélard. Je laisse au Parlement le soin de trancher cette question, mais, par souci de transparence, je répète que j’estime anormal que les anciens présidents soient membres de droit du Conseil constitutionnel. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir écouter l’orateur !

M. Bernard Frimat. On n’a rien dit !

M. Patrice Gélard. Je les énerve ! C’est normal, puisqu’ils ne comprennent rien au droit ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Patrice Gélard. Vous m’interrompez en permanence ; il est bien normal que je vous réponde !

M. Henri de Richemont. Ce sont de mauvais élèves ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Carrère. Si vous le souhaitez, nous pouvons sortir !

M. Patrice Gélard. Ce n’est pas ce que je vous demande ! Mais cessez donc cette cacophonie permanente !

Pas une seule fois je n’ai attaqué l’opposition !

M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Gélard !

M. Patrice Gélard. J’en reviens donc au statut des anciens présidents qui existe, mais qui n’est pas public alors qu’il faudrait qu’il le soit.

Troisièmement, le Conseil constitutionnel va devoir faire face à une surcharge de travail en raison des nouvelles possibilités de recours. C’est la raison pour laquelle je préconise que le nombre de ses membres passe de neuf à douze. Ces trois membres supplémentaires, s’ajoutant aux neuf autres membres désignés par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale, seraient systématiquement et respectivement choisis parmi le Conseil d’État, la Cour de cassation et la Cour des comptes.

M. David Assouline. Qu’ils soient aussi tous doyens d’université ! (Sourires.)

M. Patrice Gélard. Ces questions sont importantes et il fallait les soulever.

Je conclurai mon propos par la réflexion suivante.

De nombreux articles du projet de loi constitutionnelle prévoient pour leur application l’adoption de lois organiques. De même, le règlement des assemblées devra être modifié. Or j’attire votre attention sur le fait que l’ensemble des mesures contenues dans ce texte devront entrer en vigueur au mois de mars 2009. Aussi, il sera nécessaire de procéder rapidement à l’adoption de l’ensemble des lois organiques et à la modification de notre règlement afin de rendre opérationnelle cette révision.

Il s’agit là d’un véritable enjeu, qui démontrera notre capacité à nous adapter rapidement à ce changement constitutionnel, qui, quoi qu’on en dise, représente un véritable progrès par rapport à la situation actuelle. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Michel Debré, s’exprimant devant le Conseil d’État en août 1958, déclarait que le « parlementarisme rationalisé » organise la « collaboration des pouvoirs : un chef de l’État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ; entre eux, un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l’État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté. »

Ces propos expliquent cet ensemble de dispositions nombreuses, minutieuses et complexes que vous connaissez tous.

Plus clair et plus prosaïque, Alain Peyrefitte avouera plus tard : « Cette Constitution a été faite pour gouverner sans majorité. »

Conçue pour porter remède à un système parlementaire assis sur des majorités faibles et changeantes, la Constitution de la Ve République, du fait de la loi électorale puis de son calendrier, des réformes constitutionnelles successives, de l’évolution du système partisan et de la médiatisation de la vie politique, a fonctionné avec des majorités solides, sinon introuvables.

Or, aujourd’hui, les potentialités positives du « parlementarisme rationalisé » sont épuisées ; le « parlementarisme rationalisé » est devenu « parlementarisme lyophilisé ».

En règle générale, le pouvoir politique est tout entier à l’Élysée quand coïncident majorités parlementaire et présidentielle ; en cas de cohabitation, il est partagé entre le Président et le Premier ministre, sorte de maire du palais dont la puissance dépend de la discipline des troupes qui le soutiennent.

Le Parlement, lieu théorique de l’élaboration de la loi, du débat démocratique contradictoire et du contrôle de l’exécutif se satisfait de soutenir, de corriger les fautes de syntaxe et d’enregistrer. La manière dont la majorité aborde ici-même cette révision constitutionnelle, montre, s’il en était besoin, qu’il a pris goût à sa servitude.

Ce projet de loi constitutionnelle modifiera-t-il ces mœurs et rompra-t-il ce faux équilibre ? À l’évidence, non.

D’une part, contrairement à ce que préconisait le comité Balladur, le texte fait volontairement l’impasse sur la question de la loi électorale ; il n’est plus envisagé de proportionnelle à l’Assemblée nationale ni de permettre l’alternance au Sénat. Or, comme on l’a vu, le problème constitutionnel n’est pas séparable de celui du mode de scrutin. L’actuelle Constitution, associée à la proportionnelle d’arrondissement, par exemple, produirait des effets totalement différents.

D’autre part, abstraction faite de dispositions « décoratives », les pouvoirs du Président de la République ne sont en rien réduits par le projet, à peine le champ de ses caprices. Édouard Balladur lui-même en convient, qui déclarait au journal Le Monde : « On ne peut pas dire que, sauf sur quelques points – ce que j’appelle les dispositions « décoratives » –, il y ait une réduction des pouvoirs du Président. »

Vouloir un « rééquilibrage » au profit d’un acteur, le Parlement, sans affaiblir l’autre, le Président, est, par construction, contradictoire. Non seulement les pouvoirs du Président de la République ne seront pas réduits, mais ils seront renforcés. Ils le seront par la possibilité qui lui sera donnée, considérable en démocratie médiatique, de se présenter devant les parlementaires comme le véritable chef du Gouvernement et de la majorité.

Justifier cette mesure par l’exemple des États-Unis est une escroquerie intellectuelle. Je livre à ceux qui en douteraient cette analyse qu’a faite Élisabeth Zoller, professeur à l’université Paris II et directrice du Centre de droit américain, devant la commission des lois. Elle est intéressante : on ne peut être ni plus clair ni plus précis.

« Si le droit de message doit faire du Président français un législateur en chef, la France change de régime […]. Le Président n’est plus, comme son homologue américain, qu’un capitaine, c’est-à-dire un chef d’équipe, en l’occurrence un chef de parti politique, investi du pouvoir de mettre en forme législative le programme de gouvernement pour lequel il a été élu.

« Du coup, les fonctions d’arbitrage du Président n’ont plus de titulaire […]. En tout cas, elles ne sont plus entre les mains d’un arbitre. La phrase clé de la fonction présidentielle – "Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics" – ne trouve plus de raison d’être dans le jeu institutionnel.

« Le système américain échappe à ce dilemme parce que le Président n’exerce aucune fonction d’arbitrage et, en particulier, il n’a pas le droit de dissolution. Mais ce n’est pas le cas en France.

« Faire du Président un législateur en chef sans diminuer en aucune manière ses pouvoirs existants, c’est-à-dire en maintenant l’intégralité de ses pouvoirs d’arbitrage et sans toucher à ses pouvoirs de direction du travail des assemblées, par gouvernement et Premier ministre interposés, fait verser le régime dans un système consulaire. »

À l’évidence, dans une démocratie médiatique d’opinion, il n’est même pas besoin de baïonnettes pour faire des consuls. On a toujours besoin, cependant, de la complicité des parlementaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.

M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les révisions constitutionnelles ont cessé d’être une occasion rare et solennelle. M. le rapporteur en a rappelé le nombre exact. Depuis 1992, la Constitution aura été révisée dix-huit fois.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Hubert Haenel. Nous risquons de perdre de vue à quel point ces révisions sont une affaire grave. C’est aux fondements du fonctionnement de l’État que nous touchons. Ce sont donc des questions de principe que nous devons trancher, ce qui exclut, ou devrait exclure, le bricolage et le marchandage.

M. Hubert Haenel. En règle générale, les révisions ont porté jusqu’à présent sur des aspects précis de la Constitution. Nous sommes saisis, cette fois, d’un ensemble de modifications entre lesquelles le lien n’est pas toujours évident.

Une série de dispositions forment toutefois un ensemble cohérent : ce sont celles qui atténuent le parlementarisme rationalisé que la Ve République avait par réaction poussé très loin, sans doute trop loin. C’est une affaire dans laquelle il nous faut faire preuve d’un grand discernement. Laisser aux assemblées plus d’espace pour qu’elles remplissent leurs fonctions de législation et de contrôle est un rééquilibrage utile, voire indispensable. C’est d’ailleurs l’intérêt bien compris du Gouvernement que d’avoir face à lui un Parlement actif et vigilant, monsieur le secrétaire d’État.

Mais une Constitution ne doit pas être conçue seulement pour les temps ordinaires : elle doit aussi permettre de faire face aux circonstances extérieures et intérieures les plus difficiles et aux situations politiques les plus diverses.

Dans cette optique, il me paraît essentiel de ne pas trop encadrer l’usage de l’article 49-3, dans le sens que vous avez d’ailleurs indiqué, monsieur le rapporteur. Si vous m’autorisez une comparaison médicale – que les membres du corps médical ici présents me pardonnent ! (sourires) –, je dirai que cette disposition ressemble aux antibiotiques : il ne faut pas en abuser, mais on ne peut savoir par avance les cas où ils sont indispensables La position adoptée par la commission des lois me paraît donc empreinte de sagesse.

M. Hubert Haenel. Le projet de loi constitutionnelle contient par ailleurs diverses dispositions qui ne se rattachent pas directement au rôle du Parlement dans nos institutions. Ne pouvant les aborder toutes, je voudrais en évoquer deux, qui me paraissent poser des questions de principe importantes.

La première question de principe porte sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Vous le savez, madame le garde des sceaux, ce sujet a suscité à l’Assemblée nationale un vif débat, lequel se poursuit encore aujourd’hui, non pas dans l’hémicycle mais à travers la presse. Il s’agit d’un débat récurrent, très lié – peut-être trop – à des mouvements d’opinion suscités par telle ou telle affaire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très juste !

M. Hubert Haenel. Que la méfiance s’abatte sur le monde politique et rien n’est de trop pour rassurer le public sur l’indépendance des juges. Mais que la justice échoue spectaculairement dans sa mission et l’opinion s’indigne que les responsables ne semblent pas avoir à rendre de comptes.

Pour sortir de tels débats, il faut, me semble-t-il, revenir à quelques principes de base. J’interviendrai d’ailleurs le moment venu sur l’article du projet de loi constitutionnelle concerné.

Tout d’abord, l’indépendance du juge ne signifie pas que celui-ci appartienne à un ordre privilégié. Elle est non pas une fin en soi, mais un moyen pour que la justice soit rendue de manière impartiale. Tel est son véritable but.

C’est pourquoi l’indépendance du juge ne s’exerce pas seulement à l’égard du pouvoir politique ou des intérêts économiques. Elle existe également à l’égard de ses propres préjugés, de ses propres choix politiques ou syndicaux, voire de ses tentations médiatiques. Il ne suffit pas que le juge soit indépendant du pouvoir politique pour qu’il juge bien. Notre objectif doit être aussi de l’inciter à toujours se remettre en question. Nous n’y arriverons pas en enfermant la magistrature dans une tour d’ivoire.

M. Henri de Richemont. Il faut supprimer l’ENM !

M. Hubert Haenel. J’en viens aux magistrats du parquet, dont la fonction est de mettre l’action publique en mouvement. Dans leur cas, il serait contraire aux principes républicains de couper tout lien avec le pouvoir politique, car ce serait leur confier des choix de nature politique sans qu’ils soient ni élus ni responsables. Quelle serait leur légitimité ?

Évitons de faire de la magistrature une sorte de corps séparé de la société, ne rendant de comptes qu’à lui-même. Non seulement ce ne serait pas justifié, mais ce serait un mauvais service rendu aux magistrats.

Madame le garde des sceaux, sauf à minorer son rôle, le Conseil supérieur de la magistrature ne saurait être une sorte de comité technique paritaire. La composition retenue par la commission des lois reflète bien le rôle très particulier, spécifique et éminent donné à cet organe.

On ne peut accepter le procès en légitimité qui est fait par certains sur ce sujet. En quoi les non-magistrats, nommés par les plus hautes autorités de l’État républicain, seraient-ils moins légitimes que des magistrats élus sur des listes syndicales ? Que les formations proprement disciplinaires du Conseil supérieur de la magistrature soient composées à parité, soit ! Mais aller plus loin serait une erreur. Ce ne serait pas rehausser l’image de la magistrature que d’en donner l’image d’une corporation réglant elle-même ses affaires.

La seconde question de principe concerne le référendum obligatoire sur la Turquie. Je pourrais me contenter de reprendre à mon compte ce qu’a fort bien exposé le président Josselin de Rohan. Dans une Constitution républicaine, il ne peut y avoir de disposition ad hominem et pas plus de disposition ad nationem !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. Hubert Haenel. Viser un pays précis, sous une formulation qui ne trompe personne, c’est abandonner la généralité de la loi qui est au cœur même de l’idée républicaine.

Au demeurant, il faut être conscient de la manière dont est perçu ce débat en Turquie. Je m’y trouvais en mission avec Robert del Picchia lors du vote de l’Assemblée nationale. Alors qu’au cours de nos déplacements précédents nous avions discuté des relations entre la Turquie et l’Europe, cette fois, nos interlocuteurs en revenaient toujours aux relations entre la Turquie et la France. Ils ne pouvaient admettre qu’un pays ami et allié depuis des siècles introduise dans sa loi suprême une disposition qui les discrimine ; certains ont même ajouté, qui les humilient. (Mme Dominique Voynet applaudit.)

Imaginons un instant que ce procédé soit employé par tel ou tel pays à l’égard de la France.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Hubert Haenel. Quelle serait notre réaction ? Les hurlements viendraient de toutes parts : de gauche, de droite, du centre.

Je soutiens donc totalement la position de la commission saisie au fond et de la commission saisie pour avis, qui, avec beaucoup de discernement et de sagesse, proposent de revenir au texte initial du projet de loi constitutionnelle.

Il ne s’agit pas, je le précise, de savoir si nous sommes pour ou contre l’adhésion pleine et entière de la Turquie à l’Union européenne. C’est une décision qui, si elle est à prendre, ne le sera pas avant quinze ou vingt ans.

Nul ne sait où en seront l’Europe et la Turquie à ce moment-là. L’unique question qui se pose à nous aujourd’hui est de savoir si nous voulons faire figurer dans notre Constitution, dans le recueil de nos principes de base, une disposition qui stigmatise un pays précis, au demeurant partenaire et allié de la France.

Je ne peux conclure sans évoquer un instant les dispositions du projet de loi constitutionnelle qui concernent le traitement des affaires européennes. Sur ce sujet, je ne vois rien à changer au texte adopté par l’Assemblée nationale, mis à part la rédaction maladroite de l’article 88-6, laquelle n’a pas échappé à la sagacité de la commission des lois et de son rapporteur.

Une divergence terminologique risque toutefois d’opposer les deux assemblées. L’organe chargé des affaires européennes doit-il s’appeler « commission » ou « comité » ? À vrai dire, pour moi, le plus important est que disparaisse l’intitulé « délégation pour l’Union européenne », incompréhensible pour nos partenaires européens.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Hubert Haenel. Je ne prendrai qu’un exemple, qui vous fera certainement sourire. J’ai reçu voilà quelques jours un courrier du Parlement européen adressé à « M. Hubert Haenel, délégué du Sénat auprès de l’Union européenne ». La personne qui m’écrivait a dû se demander pourquoi mon adresse ne se situait pas à Bruxelles !

Quelle que soit la solution retenue, ce sera de toute façon un progrès. Pour lever toute ambiguïté, je tiens à souligner qu’il n’est nullement question que l’organe chargé des affaires européennes empiète sur les compétences législatives des commissions permanentes. Cette précision s’impose. Les traités européens, comme les autres traités, doivent rester de la compétence de la commission des affaires étrangères, et la transposition des directives doit rester du ressort de la commission compétente saisie au fond.

Ces principes posés, il restera, lors de la révision du règlement du Sénat et de la loi qui régit les délégations, à définir la bonne articulation entre l’organe européen et les commissions permanentes.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Hubert Haenel. Nous devrons le faire en nous efforçant d’avoir un dispositif efficace pour ancrer les questions européennes au Sénat et à l’Assemblée nationale et qui tienne compte de la spécificité des questions européennes.

Le Sénat a un rôle important à jouer en matière européenne et il doit se donner les moyens de le faire. J’ajoute que, si les parlements nationaux avaient été dans le passé mieux associés aux questions européennes, le vote irlandais aurait peut-être été autre.

Nous venons une fois de plus d’en avoir la preuve : un fossé s’est creusé entre les opinions publiques et l’Europe. Les parlements nationaux ont une responsabilité essentielle pour aider à le combler. Le Sénat ne doit pas se dérober devant la part qui lui incombe. Il s’agit là d’une exigence qui devrait l’emporter sur toute autre considération. Je fais confiance à la Haute Assemblée – j’espère ne pas être déçu ! –- pour aller dans ce sens. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous disant que, pendant les quelques minutes qui me sont imparties, je me concentrerai sur les dispositions de l’article 9 qui créent le principe de la représentation à l’Assemblée nationale des 2,5 millions de Français établis hors de France.

C’est peu de dire que cette modification de l’article 24 de la Constitution représente une avancée démocratique importante, comme l’a été, en 1982, l’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger au suffrage universel direct.

Elle vient en effet couronner un long chemin, qui a débuté voilà près de trente ans. Je rappelle à ceux qui l’auraient oublié que la proposition 48 des 110 propositions de François Mitterrand prévoyait que la représentation parlementaire des Français de l’étranger, comprenant non seulement des sénateurs mais aussi des députés, serait assurée.

C’est donc un grand progrès, qui était attendu.

Cette grande et belle idée a été portée par de nombreuses personnes, non seulement par les membres du parti socialiste, mais aussi par les candidats successifs à l’élection présidentielle. Pour ma part, en 2005, j’avais déposé, avec ma collègue Monique Cerisier-ben Guiga, une proposition de loi allant dans ce sens, mais elle n’a malheureusement jamais été examinée.

La situation actuelle soulève deux difficultés.

D’une part, les députés sont censés représenter la nation tout entière. Le fait que 2,5 millions de Français ne le soient pas rend cette représentation incomplète. De ce point de vue, le système proposé est boiteux.

D’autre part, la plupart de nos collègues de l’Assemblée nationale méconnaissent la situation dans laquelle se trouvent leurs concitoyens établis à l’étranger. Ils en ont souvent une image fausse, biaisée, ce qui les conduit assez souvent à tenir des propos qui ne correspondent pas à ceux que nous sommes en droit d’attendre de représentants de la nation. Et je ne parle pas des propos blessants, « évadés fiscaux » ou autres gentillesses du même genre.

Il est donc temps que les Français établis hors de France soient représentés au Palais-Bourbon.

Je rappelle également que, si ce texte est adopté, la France rejoindra l’Italie et le Portugal, les deux États membres de l’Union européenne dont les citoyens expatriés sont représentés à la chambre basse, respectivement par douze et quatre députés.

Ce projet suscite deux craintes.

La première est que la droite soit consubstantiellement majoritaire dans ce groupe de douze députés, puisque tel est le chiffre avancé. Or, selon moi, la démocratie n’est pas divisible et ne se monnaye pas. Nous sommes prêts à en assumer le risque, dans le cadre du combat démocratique normal : si les règles de l’élection sont justes et transparentes, chacun doit faire ses preuves dans ce cadre.

La seconde crainte exprimée est de voir le Sénat perdre sa priorité lors de l’examen des textes concernant les Français établis hors de France, c’est-à-dire l’une de ses spécificités. En effet, s’il conserve la priorité pour l’examen des textes relatifs aux collectivités territoriales, en parallèle, il doit réaliser une « primo-lecture » des textes concernant les Français de l’étranger ; aucune raison ne justifie un traitement différent de ces deux domaines.

Mais il n’est, en l’espèce, question que des projets de loi, c’est-à-dire, une partie seulement des textes qui concernent les Français établis hors de France. Or, vous le savez comme moi, la très grande majorité des textes relatifs à ce sujet émane en réalité des parlementaires puisque ce sont des propositions de loi. Le « mal » est, par conséquent, relativement limité.

Je veux maintenant vous faire part de deux inquiétudes qui ne relèvent pas directement du débat constitutionnel, mais qui n’en portent pas moins sur deux questions majeures : la définition du mode de scrutin et le choix du découpage électoral.

Concernant la définition du mode de scrutin, les membres de mon groupe ont été surpris par les propos du rapporteur du projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée nationale, qui a refusé que les députés représentant les Français établis hors de France soient élus selon un mode de scrutin différent de celui auquel sont soumis les autres députés.

Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous avez été encore plus précis en affirmant que ces parlementaires seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Voilà qui a le mérite d’être clair !

Or l’application d’un tel mode de scrutin supposerait la création de douze circonscriptions, si douze est bien le nombre retenu. Au vu de la répartition géographique des Français à travers le monde, six députés représenteront l’Europe et six députés représenteront les autres circonscriptions du monde, à savoir les États-Unis, le Canada, l’Amérique latine, le Maghreb et le Levant, l’Afrique et l’Asie-Pacifique.

Pour justifier le recours au scrutin uninominal, l’argument de proximité a été invoqué. Imaginez un député qui représentera toute la zone Asie-Pacifique, soit vingt-huit à trente pays et devra parcourir 5 000 kilomètres chaque fois qu’il voudra visiter une ville de sa circonscription ! Par conséquent, l’argument de la proximité ne vaut pas si l’on en tient pour le scrutin uninominal.

Nous pouvons également avoir des doutes sur la nature du découpage. Des exemples historiques nous ont appris à être prudents !

J’ajoute que le gel constitutionnalisé du nombre maximal de députés à 577 va sérieusement, et inutilement, compliquer les choses. Nous risquons de nous retrouver dans la même situation qu’en Italie, où la création d’une circonscription des Italiens de l’étranger avait entraîné une modification de la répartition des sièges à la Chambre des députés. Un scénario identique aurait pour fâcheuse conséquence de mettre les élus des circonscriptions nationales et les nouveaux élus de l’étranger dos à dos et de stigmatiser ceux qui représentent les Français de l’étranger. C’est là un argument supplémentaire contre le nombre de 577 figé dans le marbre de la Constitution.

Il n’en demeure pas moins que les membres du groupe socialiste sont sensibles à cette avancée importante, même si nombre de mes collègues ont signalé les difficultés importantes que soulève la réforme constitutionnelle qui nous est proposée et les doutes qu’elle suscite en nous. Il est évident que c’est un jugement global que nous serons amenés à porter sur les modifications qui nous sont soumises. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon temps étant limité, je vais aborder directement les deux observations que je tiens à formuler dans ce débat sur la réforme constitutionnelle.

Je veux en particulier insister sur le contrôle, aujourd’hui plus que jamais essentiel. À cet égard, deux aspects me paraissent devoir être soulignés.

Premièrement, il me semble impératif que tous les projets de loi qui nous sont soumis soient accompagnés d’une étude d’impact, qui devrait comporter, d’une part, un volet réglementaire, comprenant l’ensemble des décrets et mesures réglementaires prévus, d’autre part, un volet financier, pour les réformes qui ont besoin d’être chiffrées. J’avais d’ailleurs, avec mon collègue Hubert Haenel, déposé une proposition de loi sur ce sujet ; elle n’a jamais été examinée, mais j’ai noté avec satisfaction que l’Assemblée nationale avait repris l’esprit de cette proposition…

M. Philippe Marini. Vous avez été un précurseur !

M. Alain Vasselle. …en introduisant cette notion de contrôle, de telle manière que nous puissions y consacrer un temps suffisant.

Mes chers collègues, vous savez bien que nous examinons un certain nombre de lois ordinaires entre deux lois de finances et deux lois de financement de la sécurité sociale. Or, trop souvent, nous adoptons des mesures à caractère fiscal et social qui ont un impact sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale suivantes. Fréquemment, le Gouvernement lui-même éprouve des difficultés à trouver des solutions d’équilibre des comptes sociaux ou des finances parce qu’il a laissé adopter un certain nombre de mesures sans prendre en considération, au moment de l’examen du texte législatif, leur incidence au regard de l’équilibre des comptes publics ou des comptes sociaux.

M. Philippe Marini. C’est bien vrai !

M. Alain Vasselle. Je ne fais d’ailleurs que relayer une remarque exprimée par la Cour des comptes dans un rapport récent et selon laquelle il faut aujourd’hui dépasser le stade du chiffrage global et volontariste des réformes pour parvenir à une évaluation plus affinée de l’impact des dispositifs envisagés sur l’ensemble des acteurs concernés. Je pense, notamment, à la loi sur les retraites de 2003 ou à la réforme de l’assurance maladie de 2004, dont les effets ont été évalués de façon très grossière et… optimiste. Nous avons négligé l’évolution des comportements et les interactions avec d’autres mesures.

Il ne faut pas s’étonner des difficultés d’application des lois, de leur insuffisante mise en œuvre ou de l’impasse financière à laquelle elles mènent si on n’a pas, au préalable, réfléchi à leurs conséquences et mesuré leurs implications.

Deuxièmement, en matière de contrôle toujours, nous ne pouvons plus nous contenter de grandes incantations et soutenir que le Parlement va s’investir de plus en plus dans cette mission, sans pour autant lui en donner les moyens. J’ai encore le souvenir des propos tenus sur ce sujet par l’ancien président de l’Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré, lors de l’ouverture d’une session, ainsi que des propos identiques tenus par le président Poncelet, demandant que le Gouvernement laisse au Parlement un peu plus de temps pour procéder au contrôle. Au-delà de ces belles déclarations, nous n’avons malheureusement jamais pu constater l’expression d’une véritable volonté politique, tant au sein de la conférence des présidents que de la part du Gouvernement, pour que le Parlement exerce effectivement cette mission de contrôle.

C’est pourquoi je suis assez satisfait que l’Assemblée nationale ait proposé d’inscrire cette idée à l’article 48 de la Constitution.

Toutefois, je ne suis pas certain que les modalités retenues, à savoir réserver une semaine sur quatre à l’action de contrôle, soient les meilleures. Selon moi, cela sera difficile à respecter en fin de session et avant l’interruption des travaux de la fin du mois de décembre. C’est pourquoi il me semblerait plus judicieux et plus opérationnel d’inscrire dans la Constitution que le quart du temps de travail parlementaire, apprécié globalement, sera réservé au contrôle.

Dans le même esprit, je propose que le Sénat puisse consacrer une séance par semaine aux questions d’actualité au Gouvernement. Pourquoi se contenter d’une séance tous les quinze jours, alors qu’une telle séance a lieu au moins une fois par semaine à l’Assemblée nationale ?

Ma deuxième série d’observations concerne plus particulièrement les finances publiques et sociales.

Je comprends parfaitement le souci de nos collègues députés qui les a conduits à inscrire dans la Constitution la question du respect d’un objectif d’équilibre des finances publiques. Nous « traînons » en effet depuis trop longtemps des déficits publics et sociaux qui viennent invariablement accroître chaque année la dette publique de notre pays.

Cette situation détestable revient, en fait, à reporter sur nos enfants et petits-enfants la charge de nos dépenses d’aujourd’hui, même si, dans le cadre de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, nous avons adopté, pour la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, une disposition qui ne permet plus désormais au Gouvernement de transférer l’ensemble de la dette sans prévoir les recettes qui permettront d’en assurer le financement et de ne pas reporter la dépense sur les générations futures.

Je ne suis cependant pas persuadé que la disposition générale qui a été introduite par l’Assemblée nationale soit réellement efficace, car elle ne tient pas suffisamment compte, à mon avis, des aléas extérieurs de tous ordres, notamment économiques, auquel notre pays peut se trouver soumis.

Il n’en reste pas moins que l’objectif doit absolument être atteint et qu’il convient de se donner les moyens de faire en sorte qu’il le soit. C’est dans cet esprit que le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, le président et le rapporteur général de la commission des finances, respectivement Jean Arthuis et Philippe Marini, ici présent, et moi-même avons déposé un amendement visant à encadrer constitutionnellement le vote des « niches » fiscales et sociales. Si cette disposition est adoptée, l’entrée en vigueur d’une mesure de réduction ou d’exonération d’impôt, de cotisation ou de contribution sociale, sera conditionnée à son approbation par la prochaine loi de finances, en matière fiscale, ou par la prochaine loi de financement, en matière sociale.

Je vous rappelle que le Sénat a adopté, au mois de janvier dernier, une proposition de loi organique allant dans ce sens. Nicolas About et moi-même étions à l’origine de cette initiative. On nous avait alors opposé un risque d’inconstitutionnalité. Nous souhaitons lever ce risque et c’est pourquoi nous estimons indispensable de faire figurer cette mesure dans la Constitution.

À l’époque, M. Xavier Bertrand avait beau jeu de dire qu’une telle disposition avait un caractère inconstitutionnel, mais qu’il n’y était toutefois pas opposé sur le fond. Eh bien, nous mettons aujourd’hui le Gouvernement devant ses responsabilités : puisqu’il y était à l’époque favorable, il s’agit désormais de passer à l’acte et d’introduire cette disposition dans la Constitution afin que nous ne soyons plus confrontés à cette difficulté.

M. Philippe Marini. Très bien !

M. Alain Vasselle. Enfin, je dirai deux mots sur les propositions de certains de nos collègues qui visent à instaurer une loi financière unique, c’est-à-dire à rapprocher dans un même texte loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale.

Je ne suis pas favorable à cette idée. Un rapport de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, que j’ai l’honneur de présider, a permis de faire le point sur cette question au mois d’octobre dernier. Je vous y renvoie pour une analyse détaillée des raisons qui nous ont conduits à repousser cette formule.

Je me contenterai ici de vous rappeler la différence de nature des recettes inscrites dans ces deux textes : dans la loi de finances, les recettes sont globalisées et ne sont pas affectées ; dans la loi de financement de la sécurité sociale, les recettes sont affectées à chaque branche de la sécurité sociale.

Comment pourrait-on expliquer la nécessité d’une réforme des retraites si l’on ne peut pas afficher un déficit de cotisations face à un montant donné de prestations ? Serait-il vraiment plus vertueux de tout mettre dans un pot commun, ce qui reviendrait à renvoyer chaque difficulté financière à la générosité de la solidarité nationale ? Améliorerait-on vraiment ainsi le pilotage de ces dépenses ? Nous ne le croyons pas et ne sommes donc pas partisans de cette solution, qui irait, selon nous, à l’encontre du besoin de transparence et de plus grande lisibilité de l’action publique régulièrement exprimé par nos concitoyens.

Tels sont les deux points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention, mes chers collègues, ainsi que celle du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a un besoin profond de démocratie : démocratie politique, démocratie sociale, démocratie participative, démocratie médiatique.

La candidate socialiste à l’élection présidentielle l’avait bien compris en proposant une véritable démocratisation de notre République, de l’ampleur d’une refondation – la « VIe République » –, et non une prétendue modernisation qui masque mal la présidentialisation renforcée que vous nous proposez aujourd’hui.

Est-il moderne de continuer à fermer les yeux, comme vous le faites avec ce projet de loi constitutionnelle, sur le véritable déni de démocratie qui aboutit à exclure de toute participation à la vie démocratique des étrangers extra-communautaires installés régulièrement sur le sol de notre pays et y travaillant  ?

Est-il moderne d’ignorer le « quatrième pouvoir », oublié depuis toujours par nos lois constitutionnelles ?

À l’heure d’Internet et de la dématérialisation des supports de communication et d’information, toutes les dimensions de la vie sociale et de la vie privée sont modifiées par le développement des médias de masse, notamment audiovisuels.

Cette intrusion dans le quotidien de tout un chacun ne soulèverait pas de question au regard du fonctionnement et de l’équilibre de la vie démocratique si les médias, en France, étaient réellement indépendants. Mais, de ce point de vue, la situation est plus qu’inquiétante.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. David Assouline. Peut-on considérer comme anecdotique, dans notre République, que le chef de l’État affirme, devant des journalistes, rêver d’ « en finir avec le journalisme de dénigrement pour promouvoir un journalisme pédagogique de l’action gouvernementale » ?

Notre démocratie peut-elle encore accepter le fait du prince, qui met en danger la pérennité de la télévision publique pour permettre un accroissement des recettes publicitaires des chaînes privées, qui tend à autoriser les télévisions privées, sous leur pression, à diffuser une deuxième coupure publicitaire pendant les films, ou bien encore qui remet en cause le seuil anti-concentration dans l’actionnariat des chaînes numériques terrestres ?

Notre démocratie peut-elle fermer les yeux sur les amitiés « utiles » qu’entretient le chef de l’État avec les patrons de groupes détenant entreprises de presse et chaînes de radio et de télévision lorsque, plus grave encore, ces mêmes groupes tirent une part substantielle de leurs revenus de commandes publiques ?

Ainsi Arnaud Lagardère possède-t-il Europe 1, Paris Match, Le Journal du dimanche, tout en demeurant un actionnaire « stratégique » d’EADS au côté de l’État.

Le groupe Dassault, pour sa part, ne fabrique pas que le Rafale : il édite aussi Le Figaro et Le Journal des finances.

Quant à Martin Bouygues, actionnaire principal du groupe TF1, il est toujours à la tête du puissant groupe de BTP qui porte son nom, ce qui le conduit à être partie à de nombreux marchés publics.

Enfin, Vincent Bolloré a récemment diversifié ses activités dans les médias, avec Direct 8, Direct Soir, Matin Plus, mais aussi avec la Société française de production, achetée à l’État, il y a quelques années, à des conditions particulièrement avantageuses et qui consacre une partie significative de son activité à des commandes du groupe France Télévisions.

Pour terminer le tour d’horizon de ces « liaisons dangereuses », je citerai encore le groupe LVMH, dirigé par Bernard Arnault, qui est désormais propriétaire des Échos, au terme d’une longue bataille avec la rédaction du quotidien économique et avec l’appui direct du Président de la République.

Cette concentration de nombre de titres de la presse d’information ainsi que d’importantes chaînes de radio et de télévision entre les mains de puissants groupes industriels et de services – dont les patrons sont quasiment tous des « proches » du Président de la République et qui, pour la plupart, tirent une bonne part de leurs recettes des commandes publiques – est à la fois préoccupante et unique au monde.

Dans ce contexte, l’inquiétude de nombre de rédactions, aux Échos, à Europe 1, au Figaro ou à TF1, est proportionnelle à la gravité des pressions exercées sur elles, souvent en relation directe avec le pouvoir d’État, par les propriétaires de leur titre ou de leur station. Et je passe sur le récent remaniement intervenu à la tête de l’information et du journal télévisé du principal média audiovisuel de notre pays, ainsi que sur les interrogations qu’il soulève ...

M. Philippe Marini. On est loin de la Constitution !

M. Christian Cointat. Qu’est-ce que cela vient faire dans ce débat ?

M. David Assouline. Ces faits sont connus de tous : ils sont symptomatiques de pratiques fondamentalement antidémocratiques, mettant en cause l’indépendance et le pluralisme des médias.

Faut-il rappeler que le pluralisme est reconnu comme un objectif de valeur constitutionnelle, sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel ? (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Louis Carrère. Continue, tu les énerves !

M. David Assouline. On ne peut donc que s’étonner du silence assourdissant du projet de loi constitutionnelle sur ce sujet, et ce d’autant plus que le comité Balladur avait jugé nécessaire, dans sa proposition n° 77, de prévoir dans la Constitution une disposition créant un organisme chargé de veiller à la protection du pluralisme.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Et la proposition n° 78 ? (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. Cette protection est d’autant plus urgente que l’expression politique sur les antennes de radio et de télévision est, depuis l’élection présidentielle, littéralement envahie par la parole du chef de l’État, et ce en dehors de tout contrôle.

Là encore, le comité Balladur avait conclu que l’état actuel du droit, qui résulte d’une recommandation du Conseil supérieur de l’audiovisuel, n’était plus satisfaisant et exigeait une inflexion de l’application de la règle dite des trois tiers ou, à défaut, une modification de la loi du 30 septembre 1986. Pourtant, la majorité ne semble prête ni à l’une ni à l’autre. C’est pourquoi nous proposerons des amendements tendant à faire de la prise en compte du temps d’expression présidentielle sur les antennes de radio et de télévision une obligation constitutionnelle. (M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement sourit.)

Dans le même temps, nous espérons convaincre la majorité sénatoriale – sur la sagesse de laquelle nous comptons, tout en regrettant son inamovibilité – de la nécessité de graver dans le marbre de notre loi fondamentale le principe d’indépendance des médias, qui doit être garanti par l’interdiction faite aux groupes dont une part substantielle du chiffre d’affaires est assurée par des commandes publiques de participer au capital d’entreprises audiovisuelles ou de presse.

Mes chers collègues, les rédactions et les journalistes de France attendent de la représentation nationale la protection constitutionnelle à laquelle ils ont droit dans une République démocratique. Ne les abandonnons pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aurais pu vous dire : l’Assemblée nationale s’étant prononcée, pour sa part, sur ce texte, la courtoisie parlementaire et républicaine veut que nous ne touchions pas à la rédaction issue de ses travaux. Pourtant, en tant que défenseur du projet d’institution de députés des Français de l’étranger et ayant soutenu les propositions du Président de la République en ce domaine, je me devais de prendre la parole pour évoquer ce sujet, d’autant que l’un de mes collègues l’a fait déjà fait avant moi ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Carrère. C’est du marquage à la culotte ! (Nouveaux sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Robert del Picchia. Je dois prendre mes responsabilités, m’expliquer devant vous, mes chers collègues, et tenter de répondre aux questions que vous êtes en droit de vous poser.

Je siège au Sénat depuis 1998 et il me semble que, pour les Français de l’étranger, cette intervention est l’une des plus importantes de mon mandat.

« Les Français établis hors de France sont représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat » : le sixième alinéa de l’article 9 du projet de loi constitutionnelle résume, en quatre mots, soixante-deux ans d’attente ! Rendez-vous compte, mes chers collègues, de ce que cela signifie : des députés élus par les Français de l’étranger ! Un relais, dans l’autre chambre du Parlement, pour faire entendre une voix qui doit parcourir des centaines, voire des milliers de kilomètres ! Un Parlement plus représentatif, plus proche des préoccupations de ceux qui sont loin !

Je sais les réticences, voire le désaccord de certains d’entre vous : le deuxième « bonus constitutionnel » du Sénat, maison des Français de l’étranger, disparaîtrait avec ce texte. Pourtant, j’espère pouvoir vous convaincre de la nécessité d’une avancée réclamée par tous nos compatriotes, ou presque, et par leurs représentants à l’Assemblée des Français de l’étranger, cette assemblée d’élus locaux au suffrage universel direct qui représente 2,2 millions de Français expatriés et qui a adopté ce projet à l’unanimité, moins neuf abstentions.

Mais permettez-moi de passer en revue les principales objections que j’ai pu entendre depuis quelques mois, et de tenter d’y répondre.

Une première interrogation revient souvent : pourquoi les Français de l’étranger devraient-ils élire des députés ?

La véritable question est en fait celle-ci : pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ? Les Français de l’étranger sont les seuls citoyens à élire des représentants dans une seule chambre du Parlement. Pourquoi ce déni de représentation ?

Lorsque la proposition de représenter les Français établis hors de France s’impose, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en reconnaissance de leur rôle dans la Résistance, elle se heurte à l’impossibilité matérielle d’organiser des élections en territoire étranger. Les relations internationales sont en effet délicates au sortir du conflit mondial, notamment avec l’Est et les anciennes colonies.

Il faut bien comprendre que seules ces considérations matérielles empêchent la création de députés, aussi bien en 1946 qu’en 1958. Le scrutin au suffrage universel indirect s’impose alors comme la seule solution. Et c’est donc au Sénat, alors Conseil de la République, que les Français établis hors de France obtiennent huit représentants.

Mais le suffrage universel direct existe depuis 1976 pour nos compatriotes vivant à l’étranger. En effet, à cette date, la loi organique a autorisé l’organisation de l’élection du Président de la République et des scrutins référendaires dans les centres de vote ouverts à l’étranger. Les Français établis hors de France ont également pu voter dans les consulats pour élire les députés français au Parlement européen en 1979.

La dernière grande étape d’expansion du suffrage aura été la loi de 1982, qui institue l’élection des membres du Conseil supérieur des Français de l’étranger, le CSFE – devenu depuis l’Assemblée des Français de l’étranger, l’AFE –, au suffrage universel direct. La conséquence immédiate de ce nouveau mode de scrutin est que le CSFE devient, en 1983, le collège électoral à part entière des douze sénateurs des Français établis hors de France.

Aujourd’hui, les Français de l’étranger votent dans les 580 centres de vote ouverts à l’étranger. L’impossibilité matérielle d’organiser des scrutins au suffrage universel direct en territoire étranger a disparu.

L’obstacle étant levé, il nous faut franchir la dernière étape.

Accorder une représentation à l’Assemblée nationale aux Français établis hors de France, c’est énoncer une double affirmation : celle de l’appartenance des Français de l’étranger à la communauté nationale et celle du besoin que nous avons d’une présence française à l’étranger forte, mobile et attachée à son pays d’origine.

Deuxième objection fréquemment formulée : les Français établis hors de France sont déjà très bien représentés.

M. Christian Cointat. C’est vrai ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. C’est effectivement vrai, et la « représentation unijambiste » des Français établis hors de France, dont l’un de mes collègues parlait tout à l’heure, a permis d’avancer, souvent lentement, mais d’avancer quand même.

Est-ce à dire qu’il faut refuser la seconde jambe si l’on nous propose une greffe ? (Nouveaux sourires.)

Mes chers collègues, étant élus de territoires où les échelons électifs se superposent, vous n’imaginez pas combien il est difficile de n’être représenté que dans une seule assemblée. Être absent d’une chambre, c’est être souvent méconnu, parfois réduit à l’état de caricature, c’est entendre, impuissant et frustré, les approximations et contrevérités proférées par des orateurs insouciants à des tribunes auxquelles on n’a pas accès.

Bref, les Français établis hors de France ne veulent pas, si j’ose dire, rester bancals.

J’aborde à présent un troisième point : l’Assemblée des Français de l’étranger va disparaître.

L’actuel article 39 de la Constitution dispose, dans sa dernière phrase, que « les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat ».

L’Assemblée nationale a considéré que cette partie de l’article 39 devait, en tant que « dommage collatéral » de la création des députés représentant les Français de l’étranger, être supprimée. On peut y voir un risque de disparition de la fameuse « instance représentative », à savoir l’Assemblée des Français de l’étranger.

Ce serait peut-être aller un peu vite ! Voté en 2003, soit cinquante-cinq ans après la création du CSFE, l’alinéa constitutionnel qui avait été proposé par notre collègue Christian Cointat institue seulement une prévalence du Sénat pour les Français de l’étranger.

La prévalence du Sénat a été la consécration de son propre rôle de « maison des Français de l’étranger », pas de celui de l’Assemblée des Français de l’étranger. En aucun cas, celle-ci n’a attendu cette priorité de la Haute Assemblée pour exister. L’Assemblée des Français de l’étranger n’était pas inscrite dans la Constitution et ne le sera pas plus demain. Soit !

Dès lors, pour apaiser les inquiétudes, il suffirait d’ajouter, à l’article 34, par exemple, un alinéa aux termes duquel il serait indiqué que la représentation élective des Français de l’étranger est assurée au sein des assemblées parlementaires et de l’Assemblée des Français de l’étranger. C’est vraisemblablement ce que nous allons faire, si M. le rapporteur le veut bien et si mes collègues adoptent ces propositions.

Mes chers collègues, la défense du Sénat et de ses prérogatives préoccupe nombre d’entre vous. Pourtant, il ne tient qu’à nous, sénateurs des Français de l’étranger, de garder l’avantage.

La prévalence du Sénat ne concernait que les projets de loi, que nous pourrons toujours modifier. À nous l’initiative des propositions ! Chacun sait que, de toute façon, la grande majorité des propositions de loi adoptées en la matière sont d’origine sénatoriale, et c’est tout à notre honneur.

Notre prévalence sera, à l’avenir, le fait de notre expertise, héritée de notre histoire, et d’une intimité avec les problématiques propres à nos compatriotes résidant à l’étranger, non d’une ligne dans la Constitution.

On ne nous enlève rien, finalement, on ne fait qu’ajouter ailleurs.

Aurions-nous si peur de la concurrence ? Je ne le pense pas, non plus que mes collègues représentant les Français établis hors de France.

On nous dit aussi que le nombre de sénateurs représentant les Français établis hors de France va être réduit.

Je rappelle les propos du Président de la République, qui a été très clair sur ce sujet : il y aura des députés et toujours des sénateurs. De six, ces derniers sont passés à douze en 1983, pour compenser, certes, l’absence de représentation à l’Assemblée nationale. Toutefois, depuis 1983, le nombre de Français résidant à l’étranger a plus que doublé, pour devenir le septième « département » en ordre d’importance électorale. Le nombre de douze sénateurs semble donc tout à fait approprié.

Enfin, on objecte que les circonscriptions seront trop grandes et que cela coûtera trop cher de permettre à certains députés des Français de l’étranger d’aller voir leurs électeurs ; l’argument a souvent été avancé à l’Assemblée nationale. Je réponds que mes onze collègues et moi-même sommes élus dans le cadre d’une circonscription qui s’étend au monde entier. Celle des députés sera beaucoup plus petite.

Au demeurant, à notre époque, un élu ne se rend plus sous les préaux des écoles : nous dialoguons avec les Français de l’étranger sur Internet, et cela fonctionne beaucoup mieux ! Les députés feront comme nous !

Nos collègues députés s’interrogent : combien seront-ils à être élus ? On le sait : douze. Comment seront-ils élus ? C’est là une question que nous nous poserons plus tard. Pour l’instant, l’objectif est que le présent projet soit adopté. Nous étudierons plus tard les modalités du découpage et du vote. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Rien n’est décidé à cet égard. Il reviendra à chacun de voter pour ce texte s’il lui convient ou de voter contre s’il ne lui convient pas !

Nous avons aujourd’hui l’occasion de remédier au caractère bancal de la représentation des Français de l’étranger, c'est-à-dire de leur donner l’opportunité d’être pleinement Français, et pas seulement des Français à l’étranger. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Je pensais vous poser la question suivante, madame la garde des sceaux : quel pays a révisé vingt-trois fois le texte fondateur de sa République en cinquante ans ? Mais la réponse a été donnée au moins dix fois depuis l’ouverture de ce débat, soulignant un fait qui n’est pas anodin.

Dès lors, on est fondé à s’interroger : notre Constitution est-elle si peu adaptée à l’évolution de notre société qu’il faille en réécrire régulièrement des passages significatifs ?

Au travers des trente-cinq articles de ce projet de loi constitutionnelle, il nous est proposé de retoucher un nombre équivalent d’articles de notre Constitution. Ce n’est pas un simple ajustement, c’est une véritable réorientation, positive, de l’équilibre du texte sur trois points majeurs : l’exécutif, le législatif, le droit des citoyens.

Nous irons donc à Versailles le 21 juillet, afin que vous posiez votre sceau sur une nouvelle écriture d’une Constitution qui devrait probablement, si le rythme observé jusqu’à présent est respecté, être revue et corrigée dans moins de deux ans... Je ne le souhaite pas, et je sais que vous ne le souhaitez pas non plus.

Puis-je me permettre de proposer que nous glissions dans notre Constitution un article précisant que l’on ne peut la modifier au maximum qu’une seule fois par quinquennat ? (Sourires.) Cela doit être envisageable puisque nous allons décider de mettre des limites à l’utilisation de l’article 49-3.

L’une des volontés affichées par le Président de la République lors de sa campagne était d’avoir la possibilité de s’exprimer devant chacune des assemblées parlementaires. Ce droit me paraît légitime et conforme aux usages internationaux. Selon un sondage fait en novembre, à l’issue des travaux du comité Balladur, 81 % des Français sont favorables à ce droit d’expression. Les modifications proposées à cet égard par l’Assemblée nationale me paraissent justifiées.

Le Président de la République avait pris un autre engagement fort : renforcer le pouvoir législatif.

Certaines propositions sont fort positives : plus de liberté dans la maîtrise de l’ordre du jour, plus de possibilités de contrôle et d’évaluation, une information plus transparente sur les grands sujets de politique de défense ; bref, une véritable revalorisation des fonctions.

Enfin, un troisième grand axe concerne les droits nouveaux donnés aux citoyens.

Dans le pays des droits de l’homme, il serait mal venu d’être critique sur ce point, même s’il y a eu une tendance, à l’Assemblée nationale, à traiter des problèmes spécifiques par le biais d’un texte général. Je pense au référendum sur le projet d’adhésion à l’Union européenne. Il nous faut revenir sur ce seuil de 5 % de la population européenne introduit, de manière particulièrement inopportune, comme l’a démontré Josselin de Rohan, par l’Assemblée nationale.

Au-delà de ces trois grandes orientations, je m’interroge sur l’introduction dans la Constitution de certaines précisions quant à l’organisation des travaux du Parlement.

Cette organisation ne relève-t-elle pas en grande partie du règlement de nos assemblées ? Les gouvernements n’ont-ils pas, de tout temps, fait preuve d’un certain manque de coopération, pour la fixation, par exemple, de l’ordre du jour ?

J’ai la très nette impression qu’il nous faut passer par une contrainte constitutionnelle pour compenser un certain manque de courage politique. (Marques d’approbation sur les travées de lUMP.)

À ce jour, nous ne nous sommes octroyé que des « niches ». Pour en sortir, il nous faut aller à Versailles. Qu’est-ce qui nous empêchait de trouver un accord pour donner plus d’espace à la maîtrise de l’ordre du jour ?

Je constate qu’il est finalement plus aisé de modifier la Constitution que le règlement des assemblées ! (Même mouvement sur les mêmes travées.)

Quelques points précis méritent d’être soulignés.

L’Assemblée nationale a fixé un nombre de députés : 577. Elle a défini le nombre des membres du comité économique et social et de l’environnement. Il me paraît que nous nous devons de fixer le nombre des sénateurs.

Le référendum sur le projet d’adhésion à l’Union européenne ne doit pas être lié à un pourcentage de population.

L’ajout précisant que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population » ne présente aucun intérêt, sauf à ce qu’il ne cache une volonté de changer la représentation du Sénat. Dans ce cas, je compte sur vous pour nous éclairer.

Il y a quatre ans, le Sénat a su se réformer. Il n’a pas besoin de pressions pour cela.

Dans l’article 11 du projet de loi, qui vise à modifier l’article 34 de la Constitution, apparaît une notion nouvelle : la loi qui « favorise », en l’occurrence « l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales ». Or, aux termes des deux premiers alinéas de cet article 34, la loi « fixe », et, aux termes des quatre suivants, « détermine ». Nous sommes là dans l’action et non dans l’incantation. En ajoutant donc que la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales », l’Assemblée nationale a modifié l’esprit, très précis, de cet article

Si cette notion nouvelle est jugée majeure, encore faudrait-il la placer au mieux au niveau d’une intention dans le préambule. Pour ma part, je suis très réservé.

L’imprécision de cet ajout est telle que toutes les interprétations seront possibles.

De même, fallait-il inscrire dans l’article 1er  de la Constitution que « les langues régionales appartiennent à son patrimoine. » ? J’y suis opposé. De plus, cet ajout est placé avant l’affirmation selon laquelle la langue de la République est le français.

À juste titre, nous regrettons de ne pas pouvoir avoir communication d’évaluations préalables relatives aux projets de loi qui nous sont présentés.

Pour la Constitution, il en est de même : sur les deux sujets précités, nous allons avoir une profusion de demandes qui ouvriront un boulevard à l’interprétation par le Conseil constitutionnel.

Je suis également surpris de constater que ne soit pas reconnu dans la Constitution le statut de l’élu en ce qu’il concourt au fonctionnement de notre pays.

M. Éric Doligé. L’amendement de Jean Puech est à ce titre fort intéressant.

Comme vous le voyez, madame la garde des sceaux, je m’interroge sur quelques points, mais je suis certain que vous saurez répondre à mes interrogations, afin que je puisse ainsi émettre un vote éclairé et positif. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je me réjouis que le projet de loi constitutionnelle aujourd’hui soumis au Sénat nous offre l’occasion de mieux garantir l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions de responsabilité, conformément au souhait exprimé à plusieurs reprises par le Président de la République.

En effet, l’Assemblée nationale, en adoptant un amendement présenté par Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, a introduit dans ce texte la disposition suivante : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette modification de la Constitution est aujourd’hui indispensable pour permettre au législateur d’adopter des dispositions en faveur d’une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les diverses fonctions de responsabilité.

À l’heure actuelle, en France, les femmes ne sont que très faiblement représentées dans les instances de décision des entreprises, du secteur public, des organisations syndicales et des associations.

Je ne citerai que quelques chiffres, qui parlent d’eux-mêmes : 7 % de femmes dans les conseils d’administration et conseils de surveillance des grandes entreprises cotées en bourse, 11 % de femmes au sein des équipes dirigeantes des grandes entreprises publiques, 16 % de femmes occupant des emplois de direction dans la fonction publique de l’État, 24 % de femmes dans les conseils de prud’hommes, 35 % de femmes élues au sein des comités d’entreprise – alors que, souvent, le personnel est très majoritairement féminin dans le tertiaire et, notamment, dans les services –, 31 % de femmes parmi les présidents d’association, alors qu’elles s’investissent énormément dans la vie associative.

Face à cette situation, le Parlement avait adopté, lors de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité salariale, en 2005-2006, des dispositions imposant le respect de proportions minimales de représentants de chaque sexe dans diverses instances : au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public, au sein des comités d’entreprise parmi les délégués du personnel, dans les listes de candidats aux conseils de prud’hommes et aux organismes paritaires de la fonction publique. Par exemple, pour les conseils d’administration, il était prévu de parvenir, dans un délai de cinq ans, à un minimum de 20 % de femmes.

Cependant, le Conseil constitutionnel, se fondant sur le respect du principe d’égalité de tous devant la loi, avait alors censuré d’office ces dispositions, alors qu’elles n’avaient d’ailleurs pas été contestées par les parlementaires qui l’avaient saisi. Conformément à sa jurisprudence antérieure, il a en effet considéré que la disposition relative à la parité introduite dans la Constitution en 1999 ne s’appliquait qu’aux élections à des mandats et fonctions politiques. Inutile de vous rappeler, mes chères collègues, à quel point nous avions, à l’époque, été déçues !

La révision constitutionnelle de 1999 a rendu possible l’adoption des lois de 2001 et 2007 relatives à la parité en politique, qui ont permis – il faut bien l’avouer – de réelles avancées pour les femmes au sein des assemblées élues et de leurs exécutifs, même s’il reste encore beaucoup à faire, notamment s’agissant de l’intercommunalité.

Le moment est donc maintenant venu de compléter la révision constitutionnelle de 1999, en élargissant la portée de la disposition favorisant l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats politiques et fonctions électives.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je me félicite du dépôt par la commission des lois d’un amendement, sur l’initiative, notamment, de M. Hyest, que je salue, tendant à inscrire à l’article 1er de la Constitution, parmi les grands principes de notre République, un principe général d’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités, tant politiques que professionnelles ou sociales. Pour ma part, je ne partage pas les propos tenus par mon prédécesseur à cette tribune, M. Doligé : je préfère cent fois qu’un tel principe soit inscrit dans le marbre de la Constitution plutôt que dans son préambule.

Le Sénat s’honorerait bien sûr de voter cet amendement qui permettra, s’il est adopté, de franchir une nouvelle étape en faveur d’une égalité qui deviendra réalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier l’ensemble des orateurs. La majorité d’entre eux a manifesté la volonté d’être au rendez-vous de cette réforme, qui peut modifier en profondeur le fonctionnement de notre démocratie.

Beaucoup de choses ont été dites, et je tiens, avant tout, à saluer le travail effectué par la commission des lois, notamment par son président, M. Jean-Jacques Hyest.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Ce travail prolonge l’examen attentif auquel s’est livrée l’Assemblée nationale, qui a apporté des améliorations substantielles au texte du Gouvernement.

Je vois dans la qualité des travaux parlementaires, dans la richesse des débats qui sont les vôtres, une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la question constitutionnelle est posée depuis très longtemps, quasiment depuis les origines de notre Ve République puisque, plusieurs d’entre vous l’ont souligné, la réforme la plus importante de la Constitution, l’élection du Président de la République au suffrage universel, est intervenue seulement quatre ans après l’adoption de notre loi fondamentale.

Je voudrais, après nombre d’entre vous, notamment M. de Rohan, saluer la lucidité et même la prescience du général de Gaulle, car il a su concevoir une Constitution qui s’est révélée à la fois durable et forte.

Chacun a sa sensibilité propre. MM. Baylet et Fauchon ont défendu avec conviction leur préférence pour un régime présidentiel. Je comprends leur logique, mais notre intention est claire depuis l’origine : évoluer dans le sens de la revalorisation du Parlement, qui est également une condition du changement plus profond que vous préconisez, mais sans remettre en cause les fondements de nos institutions.

Le Gouvernement est prêt à entendre tous les arguments et à évoluer sur certaines dispositions. Cependant, j’invite chacun au bon sens et à la responsabilité : aller beaucoup plus loin, ce serait ruiner l’équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l’ambition.

Madame Borvo Cohen-Seat, il faut en avoir conscience, bien souvent, la surenchère est synonyme d’immobilisme. C’est une posture facile et confortable.

Permettez-moi, monsieur Bel, de vous retourner votre invitation à faire preuve d’audace !

Je constate que, sur plusieurs points du projet, nous approchons d’un compromis, même si des ajustements, des précisions sont toujours possibles ou nécessaires.

Cela est vrai des pouvoirs nouveaux conférés au Parlement. Il faut « sortir du carcan du parlementarisme rationalisé », a souligné M. Mercier. Le partage de l’ordre du jour, l’examen du texte de la commission en séance publique, innovation chère au doyen Gélard, l’accroissement des délais d’examen des textes sont autant de mesures qui modifieront en profondeur nos méthodes de travail ; du reste, le président About ne s’y est pas trompé. Le renforcement de la mission d’évaluation et de contrôle, souligné par le président de Raincourt, correspond également à une modernisation nécessaire du rôle du Parlement.

Ces réformes imposeront au Gouvernement d’associer le Parlement à ses projets encore plus en amont. Notre volonté réformatrice en sortira confortée.

Un Parlement aux pouvoirs renforcés est le gage d’un État qui rend des comptes et, donc, d’un État plus efficace, mieux géré, et d’une démocratie irréprochable.

Nous approchons également d’un compromis concernant l’encadrement du pouvoir de nomination du Président de la République, lequel sera assorti d’un contrôle parlementaire, au travers d’un droit de veto à la majorité des trois cinquièmes. Les modalités selon lesquelles cet avis sera rendu méritent sans doute d’être précisées ultérieurement, comme l’a souligné à juste titre le président Hyest.

L’encadrement des opérations extérieures est un autre élément majeur de la revalorisation du Parlement. L’examen attentif auquel s’est livrée la commission des affaires étrangères nous permettra d’ailleurs d’apporter des précisions utiles sur la façon dont s’exercera ce contrôle et, notamment, sur la manière dont les délais seront calculés. M. de Rohan a bien souligné les enjeux de cette mesure : il s’agit de concilier l’information indispensable du Parlement et la sécurité de nos forces armées.

Un consensus se dessine par ailleurs autour de plusieurs dispositions du projet renforçant les pouvoirs des citoyens, comme l’a rappelé M. Alfonsi. Je tiens d’ailleurs à remercier le président Hyest de sa contribution sur ces aspects du projet de loi constitutionnelle. Je pense plus particulièrement aux précisions apportées concernant le périmètre d’intervention et les pouvoirs du Défenseur des droits des citoyens, qui constitue l’une des innovations majeures de ce texte.

Je pense également à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Sur ce dernier point, le Gouvernement sera ouvert aux préoccupations que vous avez exprimées quant à la composition des formations siégeant en formation disciplinaire. Il conviendra aussi de veiller, comme nous y invite le président Haenel, à la légitimité de cet organisme aux yeux de nos concitoyens.

Enfin, Mme la présidente Gisèle Gautier a eu raison de relever le progrès que constitue la reconnaissance de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière professionnelle, même si nous avions souhaité que celle-ci soit plutôt inscrite dans le préambule.

Bien entendu, certains points suscitent encore des interrogations ou des inquiétudes.

Je comprends, tout d’abord, les interrogations exprimées avec beaucoup de conviction par le président de Rohan sur l’encadrement de l’article 49, alinéa 3. En en restreignant l’usage à un texte par session, les projets de loi relatifs aux finances publiques n’étant de toute façon pas concernés, nous avons recherché un équilibre. Je crois profondément que cet outil, s’il doit naturellement être préservé, ne peut devenir sans risque un instrument banalisé de gestion de l’agenda parlementaire : un gouvernement qui ne pourrait mettre en œuvre son programme législatif qu’au prix d’une contrainte permanente serait, dans la réalité, profondément affaibli. Un outil de dissuasion doit s’accommoder d’un usage parcimonieux.

MM. Frimat, Badinter et Mauroy me permettront de ne pas partager leur analyse : non, cette réforme ne renforce pas les pouvoirs du Président de la République. Vous contestez, messieurs, la faculté ouverte à ce dernier de s’exprimer devant le Parlement. Mais comment justifier la pratique désuète qu’a évoquée le président de Raincourt ? Le choix du Congrès permettra d’abandonner une formule inadaptée à notre temps, tout en marquant le caractère solennel et exceptionnel de cette intervention.

Je voudrais également apaiser la crainte qu’a pu susciter notre volonté de conférer des droits supplémentaires à l’opposition. Je suis persuadée qu’il s’agit d’un élément déterminant du rééquilibrage de nos institutions ; M. Badinter l’a d’ailleurs rappelé à juste titre. Il s’agit non pas de conforter un bipartisme imaginaire, mais d’aboutir à un meilleur partage des pouvoirs et prérogatives aujourd’hui concentrés entre les mains du parti majoritaire.

Notre projet s’efforce de lever les obstacles constitutionnels qui s’opposent actuellement à ce que des droits particuliers soient conférés à chacun des groupes parlementaires. Nous sommes également sensibles au souhait du président Mercier de voir figurer le terme de « pluralisme » dans le texte constitutionnel. (Murmures sur plusieurs travées de lUMP.) Nous nous efforcerons de répondre à cette préoccupation légitime, en ménageant nos équilibres institutionnels.

S’agissant de la question de l’élargissement de l’Union européenne, mesdames, messieurs les sénateurs, je comprends le souci, qui s’est largement exprimé dans votre assemblée, d’éviter la stigmatisation d’un pays, quel qu’il soit. Le Gouvernement sera donc ouvert à votre proposition sur ce point. Je vous demande néanmoins de comprendre aussi, de votre côté, la volonté de certains députés de veiller à ce que les élargissements à venir ne puissent intervenir contre la volonté populaire. De ce point de vue, il me semble d’ailleurs que la possibilité de référendum d’initiative populaire, introduite à l’Assemblée nationale, peut constituer une réponse. Je suis persuadée qu’il sera possible de trouver, selon ces lignes, une solution qui convienne aux deux assemblées.

Nombre d’entre vous, à commencer par l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, n’ont pas manqué de relever combien cette réforme représentait un défi pour le Sénat. Vous avez très justement insisté sur votre spécificité institutionnelle. Je crois que personne ici n’entend la remettre en cause, ni dans la constitution du Sénat ni dans son apport particulier au travail législatif.

À ce titre, je voudrais naturellement évoquer la question du collège électoral, même s’il ne revient pas au législateur constituant de choisir un mode de scrutin. Je souhaite rappeler deux évidences.

La première, c’est que le Sénat doit conserver un collège électoral spécifique, différent dans sa nature de celui de l’Assemblée nationale ; sinon, le bicamérisme n’aurait plus de sens.

Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La seconde, c’est que le mode électoral du Sénat n’est pas figé ; celui-ci s’est d’ailleurs récemment réformé de manière assez profonde, au travers, notamment, de la réduction de la durée du mandat sénatorial.

M. Gérard Larcher. Absolument !

M. Jacques Gautier. Très bien !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Sénat continuera à évoluer, mais il le fera dans le respect de sa spécificité, qui est de représenter les territoires, comme l’a rappelé M. Puech. Voilà la ligne qui nous est tracée : je fais confiance aux parlementaires pour trouver une solution qui la préserve.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un point sur lequel l’ensemble des orateurs se sont retrouvés.

Ce qui est en jeu, c’est l’essentiel : c’est la loi fondamentale ; ce sont les modalités de fonctionnement de nos institutions et, au-delà, la manière dont les citoyens sont associés à l’exercice du pouvoir.

Le texte qui vous est proposé est un texte d’équilibre.

À ceux qui craignent d’abandonner un régime qui a apporté, en cinquante ans, la preuve de son efficacité, je souhaite dire que nous ne changeons pas de République. Nous modernisons simplement nos institutions, à la fois pour tirer les conséquences des évolutions récentes, notamment l’institution du quinquennat, et pour donner au Parlement le rôle qu’il a dans toutes les grandes démocraties.

À ceux qui considèrent, au contraire, que notre projet ne va pas assez loin, je dis : songez qu’une révision constitutionnelle repose nécessairement sur un consensus. Exiger d’aller à un point où vous savez que la majorité ne peut pas vous suivre, c’est la certitude de n’obtenir aucun changement, de ne bénéficier d’aucun des progrès permis par ce texte et qui, souvent, constituent des évolutions que vous appelez de vos vœux depuis très longtemps.

Mesdames, messieurs les sénateurs, puisque vous incarnez, dans une certaine mesure, la permanence et la stabilité de nos institutions, j’en appelle à votre responsabilité : ne laissez pas passer cette chance, cette chance de revaloriser le Parlement, cette chance de donner à notre démocratie un souffle de renouveau. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

M. Jacques Gautier. Très bien !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Motion d’ordre

La parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Exception d'irrecevabilité

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, au cours de la discussion des articles, à l’article 11 du projet, qui porte sur l'article 34 de la Constitution, nous aurons à examiner quarante-trois amendements en discussion commune – le seul énoncé de ce nombre donne la mesure du caractère irréaliste d’une telle manière de débattre –, du simple fait du dépôt, par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, d’un amendement tendant à réécrire entièrement l’article 11, l’amendement n° 187 rectifié.

Dans la mesure où les quarante-deux autres amendements touchent à des sujets très divers, je souhaite que l’amendement n° 187 rectifié fasse l’objet d’un examen séparé, de manière que nous puissions étudier successivement les différents thèmes abordés. Je pense qu’il s’agit de la meilleure formule pour assurer la clarté de nos débats.

M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, nous avons régulièrement recours à cette manière d’organiser nos débats, et ce, me semble-t-il, à la satisfaction de l'ensemble des intervenants. Je pense que personne n’y verra d’objection.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en ainsi décidé.

Exception d’irrecevabilité

Motion d'ordre
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions, voulue par le Président de la République dès son arrivée à l’Élysée, nous a été présentée comme un rééquilibrage entre « un pouvoir exécutif mieux contrôlé, un Parlement profondément renforcé et des droits nouveaux pour les citoyens ».

En réalité, nous voici devant une proposition qui concentre encore plus le pouvoir exécutif entre les mains du Président de la République, qui réduit au strict minimum de nouveaux droits pour les citoyens, avec un Parlement qui ne serait plus que l’ombre de lui-même.

Cette réforme n’est pas bonne, car elle ne reflète pas les attentes et les besoins du peuple de France en matière de démocratie.

Nombreux sont celles et ceux qui, depuis longtemps, se penchent sur nos institutions. Cela fait ainsi plusieurs années que notre groupe porte une nouvelle vision de nos institutions et de notre République. Nous défendons l’idée d’une République démocratique, où le Parlement retrouverait sa légitimité et disposerait de pouvoirs renforcés ; une République sociale, où les salariés pourraient faire respecter leurs droits et leurs intérêts dans les entreprises ; une République participative, où les citoyens auraient des pouvoirs réels d’intervention directe.

Année après année, élection après élection, que constatons-nous, si ce n’est l’éloignement progressif du peuple par rapport a ses représentants et à ses dirigeants ?

Cette réforme répond-elle à ce constat, pourtant partagé à droite comme à gauche, au lendemain de scrutins électoraux ? Non : la réforme proposée n’est au service que d’un seul homme, le Président de la République ! Elle est l’alibi pour une seule chose, le discours devant le Parlement !

Or la satisfaction des désirs du Président pose un certain nombre de problèmes au regard du respect des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.

Mes chers collègues, au-delà de l’apparente incohérence à défendre une exception d’irrecevabilité sur un projet de loi constitutionnelle, il existe plusieurs raisons de rejeter ce texte.

Le premier motif d’inconstitutionnalité repose sur le fait qu’il ne respecte pas le principe de séparation des pouvoirs, principe essentiel de l’organisation des démocraties modernes, qui occupe une place particulière dans la hiérarchie des normes, au titre de l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

Plusieurs auteurs de la doctrine considèrent en effet que le principe de la séparation des pouvoirs est une exigence de nature supra-constitutionnelle. Sous la IIIe République déjà, Maurice Hauriou, dans son Précis de droit constitutionnel, concluait au caractère impératif pour le constituant de l’article 2 de la loi du 14 août 1884, relatif à la forme républicaine du gouvernement, tout en évoquant, en outre, une « légitimité constitutionnelle placée au dessus de la Constitution écrite ».

D’autres voient dans le principe de la séparation des pouvoirs l’une des composantes de la forme républicaine du gouvernement, à côté des principes comme le suffrage universel ou le régime représentatif. Or la forme républicaine du gouvernement, énoncée au cinquième alinéa de l’article 89 de la Constitution, ne pouvant faire l’objet d’une révision, constitue de facto une limite d’ordre matériel opposable au pouvoir constituant.

Enfin, certains ont 1a tentation de se dégager de tout rattachement à la forme républicaine du gouvernement et de donner une sorte de prééminence à la Déclaration de 1789. Je crois savoir qu’en 1989, lors du bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre collègue Robert Badinter s’était demandé s’il n’y avait pas « des libertés intangibles que le constituant même ne pourrait supprimer ». C’est pourquoi je crois pouvoir affirmer que cette motion d’irrecevabilité est parfaitement justifiée.

Après m’être expliquée sur la forme, j’en viens au fond.

Cette réforme accroît les déséquilibres déjà existants dans nos institutions entre le pouvoir exécutif, en particulier le Président de la République, et le Parlement.

Les parlementaires communistes n’ont eu de cesse, depuis les débuts de la Ve République, d’en dénoncer le caractère présidentialiste, caractère qui s’est petit à petit aggravé, notamment depuis 1962 avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Le quinquennat et, plus encore, l’inversion du calendrier électoral ont accentué la présidentialisation du régime, apparentant notre démocratie à une sorte de monarchie élective où la séparation des pouvoirs s’estompe au profit de l’exécutif.

Ainsi, aujourd’hui, le Parlement est réduit au rôle de chambre d’enregistrement, sommé d’entériner des projets de loi émanant parfois directement du Président de la République, à l’instar de la loi sur les peines planchers. Nous sommes loin de l’idée que l’on pourrait se faire d’un Parlement représentant du peuple et non du chef d’un parti, et soucieux d’élaborer la loi dans l’intérêt général.

Mais, au-delà, c’est toute la vie politique qui est menacée, au nom du bipartisme.

Nos institutions ne sont plus en phase aujourd’hui avec les attentes de nos concitoyens, qui demandent plus de justice sociale, de redistribution des richesses et des pouvoirs : pouvoir de co-élaboration des décisions qui les concernent, grâce notamment au développement de la démocratie participative ; pouvoir de contrôle de l’action des parlementaires, par la possibilité de saisir directement un Conseil constitutionnel modernisé.

Au lieu de cela, le projet de réforme prévoit de limiter l’action du Parlement en assurant une domination du Président de la République. Ce dernier conserve non seulement tous ses pouvoirs, d’arbitrage, de dissolution, et de superviseur du travail parlementaire, via le Gouvernement, mais, de surcroît, s’en voit octroyer de nouveaux, et notamment un à sa demande expresse : la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.

Même si les députés ont supprimé la possibilité pour le Président de venir devant « l’une ou l’autre des deux assemblées », le pouvoir présidentiel en sort considérablement renforcé. En effet, sa déclaration pourra donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fera l’objet d’aucun vote.

Par ailleurs, et cela démultiplie la force symbolique de cette disposition, le Président pourra s’exprimer autant de fois qu’il le souhaitera devant le Parlement, puisque le projet de loi ne prévoit aucune limitation à ce pouvoir. Les parlementaires se retrouvent ainsi soumis au bon vouloir du Prince.

Il est donc étrange d’affirmer vouloir renforcer les droits du Parlement en commençant par permettre au Président de la République de venir s’exprimer devant celui-ci, puis de prévoir un débat facultatif – « la déclaration du Président peut donner lieu à un débat » –, à l’issue duquel il n’y aura aucun vote, et donc aucune contrepartie à l’immixtion présidentielle dans les travaux législatifs.

Le Parlement n’aura aucun pouvoir supplémentaire face au Président.

Ainsi, le Président de la République, qui ne voit pas remis en cause son droit de dissolution de l’Assemblée nationale, conforte sa prééminence institutionnelle, tandis que son irresponsabilité politique est symboliquement réaffirmée. Cette nouvelle possibilité accroît donc la confusion des pouvoirs exécutif et législatif.

La possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement a une grande portée symbolique : le Président participe ainsi, physiquement, à la fonction législative. Jusqu’à présent, nul n’ignorait que, hors période de cohabitation, c’était lui qui déterminait l’organisation des travaux du Parlement. Mais c’était justement le principe de la séparation des pouvoirs qui interdisait sa présence dans l’hémicycle.

L’exemple du droit de message du Président des États-Unis est, en l’espèce, très intéressant, car si l’on comprend bien qu’il a inspiré le Président de la République lui-même, les membres du comité Balladur et, enfin, les rédacteurs de ce projet de loi, il est finalement bien éloigné de la nouvelle prérogative présidentielle prévue par l’article 7.

Lors de son audition par la commission des lois, Mme Elisabeth Zoller, professeur à l’Université de Paris II, directrice du centre de droit américain, a très bien expliqué comment le système américain parvenait à maintenir un certain équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Le message du Président se décompose en deux clauses, l’une portant sur l’état de l’Union et l’autre sur les recommandations. C’est évidemment cette deuxième qui nous intéresse plus particulièrement ici.

À l’instar de ce qui se passe en France, c’est le pouvoir exécutif qui rédige les projets loi. Mais Mme Zoller utilise les termes de « législateur en chef» pour parler du Président américain, en précisant toutefois que, « s’il participait de façon prépondérante à la préparation des textes législatifs, le Congrès en était totalement maître lors de leur examen », ce qui n’est même pas le cas en France.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est bien d’admirer les institutions américaines ! (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Par ailleurs, elle considère que la modification du droit de message opérée par le projet entraînerait un profond changement institutionnel, qu’elle a qualifié de changement de régime, par l’érection du Président français en législateur en chef et chef de parti, et la disparition, de ce fait, de sa fonction d’arbitrage. Elle constate que le système américain avait pu échapper à ce dilemme grâce, notamment, à l’absence de fonction d’arbitrage du Président et de droit de dissolution du Congrès.

Sa conclusion est sans appel : « La modification de l’institution présidentielle ainsi proposée par le projet de révision, sans diminuer ses pouvoirs actuels d’arbitrage et de direction du travail du Parlement, par gouvernement et Premier ministre interposés, basculerait le régime de la Ve République dans un système consulaire. »

Ce système qui, je le rappelle, se caractérise par une très forte concentration des pouvoirs au profit d’un seul homme, qui n’en est pas moins politiquement irresponsable, peut conduire à toutes les dérives autocratiques. En France, il a conduit à l’avènement de l’Empire. C’est certainement pour cette raison qu’Elisabeth Zoller a appelé à la mise en place, si le droit de message de l’article 7 était adopté, « des poids et contrepoids du système américain ».

Ce n’est pas exactement ce qu’a prévu le projet de loi, bien au contraire ! Le Président peut déjà s’exprimer comme il l’entend dans les médias –  ne l’a-t-il fait récemment sur une chaîne de radio, qui n’était même pas une radio du service public ? – sans que son temps de parole soit décompté. Il convoque les parlementaires – certes, seuls ceux de la majorité ! – à l’Élysée et n’hésite pas à les sermonner lorsqu’ils n’ont pas obtempéré aux ordres présidentiels.

Qu’a-t-il besoin de venir s’exprimer devant le Parlement, si ce n’est pour conforter sa prééminence institutionnelle ?

Le problème est qu’il est pour nous impensable de sacrifier le principe de séparation des pouvoirs sur l’autel des désirs du Président de la République.

Deuxième motif d’irrecevabilité de ce projet de loi : la remise en cause du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, opérée par les députés à l’article 11 du projet de loi. En effet, s’il est prévu d’inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité de la loi, il est également inscrit que ce principe peut souffrir des exceptions, en cas de « motif déterminant d’intérêt général ».

Cette exception, ouvrant la voie à toutes les interprétations, me semble directement inspirée des récents problèmes rencontrés par le Gouvernement en matière de rétroactivité de la loi relative la rétention de sûreté. Il n’est, en effet, pas simple de vouloir contourner un principe constitutionnel, énoncé à l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Lors de nos débats, madame la garde des sceaux, nous avons eu droit à des démonstrations hasardeuses dans le but de faire adopter la rétroactivité de cette loi, quitte à prendre quelques libertés avec notre droit. Il aura fallu une mise au point du président de notre commission des lois pour vous rappeler que la rétroactivité s’applique non pas à la condamnation – comme vous nous l’avez pourtant dit –, mais aux faits incriminés.

Cependant, le Président de la République ne reculant devant rien, il n’a pas hésité à demander au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de trouver les moyens de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui, entre-temps, avait considéré que « la rétention de sûreté [...] ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ».

Or M. Lamanda, dans son rapport intitulé « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux », qu’il vient de remettre au Président, ne vous offre toujours pas la possibilité d’appliquer la loi de façon rétroactive. L’occasion était donc toute trouvée pour qu’un amendement soit opportunément déposé lors de cette révision constitutionnelle afin de permettre qu’un « motif déterminant d’intérêt général », comme la lutte contre la récidive, par exemple, justifie qu’une loi soit rétroactive.

Si nous adoptions définitivement une telle disposition, notre Constitution abriterait finalement une disposition permettant l’adoption de lois contraires à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Enfin, dernier motif d’irrecevabilité, l’article 35 du projet de loi devait prévoir la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007.

Ce traité, aujourd’hui soumis aux États membres de l’Union, devait n’entrer en vigueur que lorsque ceux-ci l’auraient tous ratifié. Le « non » irlandais, dont je me félicite, mais que certains méprisent déjà comme ils ont méprisé le « non » du peuple français en 2005, devrait profondément remettre en cause non seulement le processus de ratification, mais également l’adoption de l’article 35 du projet, désormais dépourvu de fondement.

Toujours est-il que le projet de révision de la Constitution suspend le contenu de la Constitution révisée à la ratification du traité de Lisbonne par les autres États européens. Cette conditionnalité, qui renvoie à l’expression de la volonté d’autres États, est incompatible avec les fonctions des lois constitutionnelles régies par l’article 89 de la Constitution. En effet, le pouvoir constituant dérivé ne saurait subordonner le contenu des dispositions de la Constitution à la décision d’États étrangers.

Une telle technique revient à déléguer la fonction constitutionnelle dérivée – ou, en tout cas, à associer des États étrangers à son exercice –, ce qui est absolument incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution. Une telle délégation ne pourrait résulter, au mieux, que de la volonté du pouvoir constituant originaire.

Quant au pouvoir constituant dérivé exprimé par la voie des lois constitutionnelles de l’article 89 de la Constitution, il peut, certes, autoriser la ratification d’un traité contraire à la Constitution, mais il ne saurait subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité et, par là, à une décision d’autorités étrangères qui seraient ainsi associées à l’exercice du pouvoir constituant dérivé.

Une telle altération de la technique de révision constitutionnelle aboutit à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant. Elle constituerait un précédent extrêmement dangereux si le « non » irlandais ne remettait pas de facto en cause l’article 35.

La motion de renvoi en commission que mon collègue et ami Robert Bret défendra tout à l’heure sera l’occasion de revenir sur la question du traité de Lisbonne.

En tout état de cause, cette réforme constitutionnelle ne vise nullement à renforcer la démocratie, à rendre le pouvoir au peuple et à ses représentants, mais bel et bien à assouvir les désirs de prééminence institutionnelle d’un seul homme, au détriment des principes fondamentaux qui régissent notre démocratie.

Elle ne porte pas d’ambition moderne et progressiste, mais tend à faire survivre les archaïsmes de l’oligarchie conservatrice.

Mes chers collègues, nous vous proposons donc d’adopter cette motion tendant à déclarer irrecevable ce projet de loi de révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Assassi, vos efforts sont tout à fait méritoires, mais, comme vous en êtes d'ailleurs rendu compte, il est difficile d’opposer l’exception d’irrecevabilité à un texte qui vise, précisément, à réviser la Constitution !

Toutefois, vous avez évoqué plusieurs questions intéressantes.

S'agissant de la non-rétroactivité des lois, l’article VIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose un principe fondamental, même si, nous le savons, la rétroactivité peut s’appliquer dans certains cas en matière civile. Néanmoins, nous ne voulions pas introduire d’ambiguïtés en précisant ce point dans la Constitution. J’élimine donc cet argument !

En fait, la seule question qui pourrait être débattue est celle de la supra-constitutionnalité. Qu’y a-t-il au dessus du pouvoir constituant ? Personne ! Seul le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution limite notre faculté de réviser la Constitution. Il s’appliquerait si nous mettions en cause « la forme républicaine du Gouvernement ». Mais que se passerait-il alors ? Qui ferait respecter la Constitution ? Il s'agit là d’un débat tout à fait théorique. Laissons-le aux juristes et aux constitutionnalistes, qui en sont coutumiers !

Aujourd'hui, il s'agit de modifier la Constitution afin d’accorder des pouvoirs plus importants au Parlement. Et je vous renvoie à ce sujet au rapport de la commission des lois : au début de la IIIe République, l’intervention du Président de la République devant l’Assemblée nationale était encadrée par le « cérémonial chinois ». Cette procédure était tout à fait extraordinaire : le Président de la République informait l’Assemblée nationale de son intention de s’exprimer, puis intervenait devant elle, sauf si les députés en décidaient autrement.

Aujourd'hui, empêcher le Président de la République de venir s’exprimer devant les assemblées réunies en Congrès serait d’une incroyable chinoiserie ! Et d’un conservatisme proprement extraordinaire !

D'ailleurs, pourquoi les monarchistes s’opposaient-ils à la venue du président Adolphe Thiers devant l’Assemblée nationale ?

M. Michel Mercier. Parce qu’il était plus malin qu’eux !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Parce qu’ils redoutaient son verbe, qui lui permettait d’influencer l’Assemblée nationale et de faire basculer la majorité. Si vous craignez que le Président de la République n’en fasse autant, vous avez sans doute raison, car il possède une force de conviction sans commune mesure avec celle de beaucoup d’autres hommes politiques !

M. Robert Bret. On le voit dans les sondages !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Enfin, madame Assassi, vous affirmez que, depuis les débuts de la Ve République, vos amis ont combattu les institutions – c’était d'ailleurs leur droit –, et notamment l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Mais permettez-moi tout de même de vous rappeler, à vous qui, tout comme moi, êtes démocrate, que cette disposition constitutionnelle a été approuvée par référendum, en 1962, par quelque treize millions d’électeurs, alors que moins de huit millions de voix la rejetaient ! Si l’on n’admet pas ce principe, on peut tout affirmer ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Robert Bret. Et le référendum de 2005 ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le peuple s’est prononcé par référendum et l’élection du Président de la République au suffrage universel fait donc partie, désormais, de notre patrimoine institutionnel, que cela vous plaise ou non !

Pour tous ces motifs, et ne serait-ce que parce que l’exception d’irrecevabilité ne peut être opposée à une révision constitutionnelle, la commission émet donc, bien sûr, un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En vérité, monsieur le président, le Gouvernement partage totalement l’analyse de président Hyest sur cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 96 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 233
Majorité absolue des suffrages exprimés 117
Pour l’adoption 24
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 1 rectifiée.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai le sentiment que mes arguments sont si forts que je vais pouvoir résumer mon propos ! Je me contenterai donc de développer trois points.

Premièrement, ce projet de loi constitutionnelle contient nombre de leurres et de faux-semblants. On nous affirme qu’il est porteur de « réformes profondes », mais, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il n’en est rien.

Bernard Frimat a brillamment exposé tout à l'heure ce qu’il en était du droit de veto des parlementaires sur les nominations. Celui-ci sera conditionné au vote des trois cinquièmes des membres des deux commissions compétentes de chaque assemblée. À l’évidence, la portée de cette disposition aurait été tout autre si la même majorité avait été nécessaire pour valider – et non écarter – la nomination. Le dispositif qui nous est présenté n’emportera aucun effet concret.

En ce qui concerne la déclaration d’urgence, vous savez, mes chers collègues, que le Gouvernement y recourt beaucoup trop souvent, au point que celle-ci devient pratiquement la procédure de droit commun, ce qui est fâcheux pour les droits du Parlement. On nous affirme que cet abus cessera parce que les conférences des présidents des deux assemblées auront la faculté de refuser conjointement l’urgence. Mais ce cas de figure ne se produira pratiquement jamais, tout le monde le sait !

J’en viens au droit d’expression du Président de la République devant les assemblées, dont il a encore été question à l’instant.

Mes chers collègues, comme vous, j’écoute la radio et je regarde la télévision. Or, tous les jours, j’entends le Président de la République s’exprimer. En la matière, on ne peut pas dire qu’il y ait un manque… C’est plutôt le trop-plein !

Mme Michèle André. C’est l’overdose !

M. Jean-Pierre Sueur. J’imagine nos futurs déplacements vers le Congrès, que certains orateurs ont évoqués : dans l’autobus, en route pour Versailles, nous écouterons la radio, qui nous informera de la déclaration du Président de la République de la veille et commentera déjà ses propos du lendemain, cependant que quelques journalistes bien informés nous livreront en avant-première la teneur de la déclaration que nous apprêterons à entendre.

Nous ne pourrons rien lui répondre, et nous nous trouverons donc, au final, en situation d’infériorité par rapport aux nombreux citoyens qui peuvent rencontrer le Président de la République lors de ses déplacements.

Tout cela sera donc bien formel et quelque peu désuet. Ce n’est pas franchement une révolution !

Et qu’en est-il des droits de l’opposition ? Celle-ci disposerait librement de l’ordre du jour du Parlement pendant une journée par mois. On prétend que c’est extraordinaire, mais le changement n’est pas si considérable !

Quant au 49-3, il est maintenu, alors qu’on aurait pu le supprimer ou en réduire encore davantage l’usage.

Enfin, l’exercice du droit d’amendement serait réformé. Mais ce qui constitue un droit imprescriptible des parlementaires, et même l’une des conditions de leur existence, se trouverait soumis à des dispositions réglementaires.

Ces six exemples – j’aurais pu en mentionner d’autres – montrent que bien des changements proposés dans ce texte sont autant de trompe-l’œil.

Deuxièmement, j’évoquerai, après beaucoup d’autres, la question de la réforme du Sénat.

Chers collègues de la majorité, je persiste à ne pas vous comprendre : pourquoi refusez-vous de poser le problème, très simple, des conditions de l’alternance dans une assemblée démocratique, préférant développer une laborieuse casuistique ?

Comme j’ai décidé de ne pas abuser de votre patience, je n’évoquerai pas l’excellent discours de Jean-René Lecerf qui, il y a quelques semaines, a soutenu à cette tribune une motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Bel, qui visait à réformer le mode d’élection des sénateurs.

M. Lecerf a affirmé que le moment n’était pas venu de débattre de ce problème et qu’il fallait attendre l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle. Ce texte arrive au Sénat, le président de la commission des lois annonce que l’on va discuter du problème et… il présente un amendement qui bloque tout !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Sueur. Puis le président de l’Assemblée nationale s’exprime et il apparaît que tout cela fait désordre. Alors, l’amendement disparaît et l’on revient au statu quo ante, qui fait que notre assemblée, malheureusement, ne peut pas refléter la respiration démocratique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est faux !

M. Jean-Pierre Sueur. Or, dans tous les pays du monde, on considère que l’alternance est un bienfait pour une assemblée parlementaire.

Monsieur Raffarin, puisque vous avez parlé de Pierre Mendès France, je voudrais à mon tour citer plusieurs phrases de son livre La République moderne.

Ainsi peut-on lire, page 120 : « Les réserves qui ont pu être formulées contre le Sénat portent le plus souvent sur son mode de recrutement bien plutôt que sur son existence même. » Il s’agit là d’une affirmation très sage de Pierre Mendès France.

Quelques pages plus loin, il écrit : « Chacun connaît l’injustice choquante qui préside souvent à la répartition des sièges sénatoriaux. » Pierre Mendès France avait déjà le sentiment qu’il y avait là quelque chose d’anormal.

M. Jean-Pierre Raffarin. Ne faites pas de Mendès France un comptable !

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne fais pas de Pierre Mendès France un comptable. J’éprouve un grand respect pour lui, car il a bien voulu m’apporter un jour son soutien, ce que je n’oublierai jamais.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le nombre de sénateurs élus par département a évolué depuis !

M. Jean-Pierre Sueur. Le troisième et dernier point que je voudrais évoquer concerne le vote des étrangers aux élections locales. Pour nous, il s’agit d’une condition importante de la bonne intégration des étrangers qui vivent et travaillent depuis très longtemps dans notre pays.

Nous sommes persuadés que c’est une condition essentielle pour que s’atténue tout ce qui s’apparente encore aujourd’hui au refus, à la négation, parfois à la ségrégation, à la brimade, à la haine et pour que ces étrangers participent pleinement à la vie républicaine au niveau local.

Cette fois, permettez-moi de recourir à deux autres citations émanant de M. Nicolas Sarkozy. (M. le secrétaire d’État se réjouit.) Je vois que cela fait plaisir à M. Karoutchi !

M. Nicolas Sarkozy, dans un ouvrage, que j’ai lu avec beaucoup d’intérêt, publié en 2001, et intitulé Libre – c’est tout un programme ! – écrivait : « À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » C’est très clair !

M. Nicolas Sarkozy, devenu ministre de l’intérieur en 2005, déclarait : « À titre personnel, je considère qu’il ne serait pas anormal qu’un étranger en situation régulière qui travaille, paie ses impôts et réside depuis au moins dix ans en France puisse voter aux élections municipales. »

Enfin, le 24 octobre 2005, M. Nicolas Sarkozy ajoutait qu’il fallait renforcer la chance de l’intégration pour les étrangers en situation légale et que le droit de vote aux municipales en faisait partie.

Et là, puisqu’il a été fait allusion à François Mitterrand, je voudrais rappeler – chacun s’en souvient sans doute – l’attitude qui fut la sienne au sujet de la question de la peine de mort.

Pour le vote des étrangers aux élections locales, depuis des années et des années, on nous dit que ce serait une bonne chose, mais que l’opinion n’est pas prête, que ce n’est pas le moment, qu’il faut attendre !

Puisque M. le Président de la République le dit, nous aurions pu avoir aujourd’hui l’occasion de mettre les actes en accord avec les paroles. En tout cas, cela aurait été un signe très fort pour la République. Avec la démocratisation du mode d’élection des sénateurs, cela aurait pu être un argument qui aurait pesé lourd dans notre décision.

Pierre Mendès France a beaucoup réfléchi et écrit sur les méfaits de la IVe République. Il a également beaucoup critiqué les défauts de la Ve République. Notre collègue Robert Badinter, lorsqu’il parlait de monocratie, disait que les défauts existent toujours et que rien n’est plus urgent, dans une réforme constitutionnelle, que de les remettre en cause afin d’améliorer l’équilibre des pouvoirs.

En conclusion, je citerai, en l’honneur de Pierre Mendès France, une autre phrase de son livre La République moderne. Page 52, il écrit : « Tout homme qui a le pouvoir […] est porté à en abuser ; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Vous avez reconnu Montesquieu. C’est donc au nom de ses principes que j’ai l’honneur de vous présenter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Dominique Voynet. Parfait ! Bravo !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. J’aime que l’on cite Montesquieu, mais on pourrait aussi évoquer Montaigne sur un certain nombre de sujets qui nous préoccupent aujourd’hui.

Même s’il n’y a rien de plus dangereux que les citations, je reconnais le bien-fondé de celles qui viennent d’être faites. Il faut toujours s’en méfier, et cela vaut pour tout le monde, car souvent les affirmations qui sont contenues dans tel ou tel passage d’un texte sont tempérées dans le paragraphe suivant.

Je comprends l’admiration que Jean-Pierre Sueur, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, nourrit à l’égard de Pierre Mendès France, qui fut un homme politique éminent et qui n’a pas toujours été compris, surtout par ses propres amis.

Ce débat est très intéressant. En fait, depuis le début, vous posez des préalables à l’examen du projet de loi de modernisation des institutions de la Vè République. Je pense notamment à la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs. Aujourd’hui vous nous avez parlé du vote des étrangers aux élections locales ou encore de l’expression du Président de la République devant le Parlement.

Vous ne défendez pas une motion tendant à opposer la question préalable, monsieur Sueur, car cela signifierait que les conditions ne sont pas remplies pour examiner le projet de loi qui nous est soumis.

Franchement, si cela vous fait si peur que le Président de la République puisse venir devant le Parlement une fois de temps en temps, je vous rappelle que la Constitution de 1848 obligeait le Président de la République au moins une fois par an à exposer l’état général des affaires de la République devant l’Assemblée nationale !

Par conséquent, selon les régimes, on peut quelquefois obliger, quelquefois interdire. Tout cela est intéressant, mais assez secondaire.

Vous avez dit que le mode d’élection des sénateurs interdit l’alternance. Je ne vois pas au nom de quoi l’on se repaît de tels propos !

M. Jean-Pierre Bel. Regardez le résultat des dernières élections municipales !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Attendez de connaître les résultats des prochaines élections sénatoriales qui auront lieu au mois de septembre !

Bien sûr, le rythme n’est pas le même au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, puisque notre assemblée est renouvelée par moitié tous les trois ans. Patientez, messieurs, le pire n’est pas sûr pour nous !

Vous avez parlé de l’urgence en évoquant d’éventuels leurres.

En ce qui concerne l’avis du Parlement sur les nominations effectuées par le Président de la République, l’Assemblée nationale a estimé qu’il devait y avoir un veto des trois cinquièmes pour interdire la nomination. Honnêtement, même avec l’avis simple, …

M. Jean-Pierre Bel. Il n’y a pas d’avis simple !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si, il y a un avis simple, je suis désolé !

Franchement, si l’avis simple n’est pas favorable, je ne vois pas comment le Président de la République persisterait à nommer le candidat qu’il a proposé.

Enfin, concernant le vote des étrangers aux élections locales, certains, dont le Président de la République, ont dit qu’ils souhaitaient que ce droit leur soit accordé. À titre personnel, je considère que nous sommes dans un pays où l’acquisition de la nationalité est l’une des plus faciles. Cinq ans de résidence régulière suffisent. Je regrette, à titre personnel, les obstacles qui sont mis par de nombreux services ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les procédures ont été simplifiées afin que les dossiers ne passent plus par plusieurs ministères.

À propos de l’acquisition de la nationalité, je vous renvoie au rapport très intéressant qui avait été rédigé il y a quelques années sur le thème : « Devenir Français » et qui semble avoir été oublié.

Notre modèle d’intégration, à partir du moment où des personnes venant de l’extérieur s’installent durablement dans notre pays…

Mme Alima Boumediene-Thiery. Et les Européens !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la même chose. Car, s’il existe une citoyenneté européenne, il n’y a pas de citoyenneté pour les étrangers, sauf s’ils deviennent français !

Par conséquent, vous alléguez des prétextes. Nous devons continuer l’examen du projet de loi qui nous est soumis et qui peut fondamentalement changer, notamment, les relations entre le Gouvernement et le Parlement.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous avons entendu beaucoup de citations ce soir.

À mon tour, je voudrais citer un homme fort célèbre, souvent mentionné ici, le général de Gaulle, qui disait avec beaucoup de mépris en parlant du Sénat, ce « truc », ce « machin ».

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il parlait de l’ONU !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Il aurait également pu le dire du Sénat, vu le mépris qu’il nourrissait pour notre assemblée.

Notre collègue Jean-Pierre Sueur a évoqué la démocratisation des assemblées, notamment du Sénat, où l’alternance n’est pas possible. Il n’est que de rappeler la proposition de loi que nous avons nous-mêmes déposée sur les conditions de l’élection des sénateurs et qui n’a pas donné lieu à débat puisqu’elle a été repoussée d’un revers de main.

De la même façon, pour le vote des résidents non communautaires, nous avons, à plusieurs reprises, déposé une proposition de loi et l’avons réintroduite dans différents textes sous forme d’amendements. Or, là aussi, on nous a rétorqué que ce n’était pas le moment !

Par conséquent, monsieur Hyest, je ne comprends pas votre raisonnement, qui revient à dire qu’en France il y aurait des citoyens de « demi-zone » qui paient leurs impôts, participent à la vie économique et sociale, mais qui ne peuvent pas prendre part à la vie municipale.

Quant à nous, nous réitérerons nos propositions dans les textes à venir en faveur des résidents non communautaires.

M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.

M. Bernard Frimat. Nous aurons l’occasion de revenir sur les éléments de réponse que M. Hyest a apportés à M. Sueur puisque nous avons déposé des amendements sur ces sujets. Je me limiterai donc à deux observations.

Tout d’abord, M. Hyest considère que le droit de message du Président de la République est tellement secondaire qu’il est essentiel de le conserver.

Ensuite, atteignant le summum de son art intellectuel, il dit qu’il est favorable au vote des étrangers aux élections locales à condition qu’ils soient français ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Exactement !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 97 :

Nombre de votants 328
Nombre de suffrages exprimés 320
Majorité absolue des suffrages exprimés 161
Pour l’adoption 119
Contre 201

Le Sénat n'a pas adopté.

Demande de renvoi à la commission

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)

M. le président. Je suis saisi, par M. Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°505, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 365, 2007-2008).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Robert Bret, auteur de la motion.

M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, à cette heure matinale, mon propos sera bref. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Avant toute chose, je tiens à protester contre le refus de M. le président du Sénat de me donner, au début de la séance de cet après-midi, la parole pour un rappel au règlement sur l’organisation de nos travaux, comme l’autorisent expressément les textes.

J’estimais nécessaire, avec mes collègues du groupe CRC, d’éclairer le débat, avant l’intervention du Gouvernement et des rapporteurs, sur les conséquences constitutionnelles de la caducité du traité de Lisbonne. Or, cette question fondamentale fut éludée : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

Le dépôt de la présente motion tendant au renvoi à la commission n’est pas un acte de procédure, encore moins une manœuvre dilatoire pour refuser un débat que nous appelons de nos vœux. Il est la conséquence du résultat du référendum irlandais.

Les Irlandais, vous le savez, viennent de rejeter, à 53,4 %, le traité de Lisbonne, avec un taux de participation qui s’est élevé à 53,1 %. C’est un résultat sans appel dont il convient de tirer toutes les conséquences !

Chaque État membre détient, en principe, un droit de veto. Le défaut de ratification par un seul des États membres de l’Union européenne suffit à faire obstacle à l’entrée en vigueur du traité modificatif. Or, c’est précisément cette hypothèse qui vient de se réaliser !

En votant clairement « non », le 12 juin 2008, les Irlandais ont exprimé leur refus du traité de Lisbonne ! Ce « non » cinglant du peuple irlandais rend ce texte caduc !

Dans la mesure où le traité de Lisbonne a été rejeté par un État membre de l’Union européenne, il ne peut pas entrer en vigueur. En conséquence, l’article 88-1 de la Constitution française, faisant explicitement référence à un traité qui n’entrera pas dans l’ordre juridique interne, devient inopérant et non pertinent.

Ainsi, alors que nous débattons de la réforme constitutionnelle, il convient dès à présent d’abroger l’article 88-1 de la Constitution et la loi constitutionnelle du 4 février 2008, qui, dans son article 2, modifie le titre xv de la Constitution.

Je rappelle que l’article 88-1 de notre Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 4 février 2008, prévoit, dans son second alinéa, que la République « peut participer à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne, modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007. »

L’article 88-6 de la Constitution évoque les actes législatifs européens. Or, cette nouvelle catégorie de normes juridiques est créée par le traité de Lisbonne, aujourd’hui caduc. Il n’est donc pas possible d’en maintenir la référence dans notre Constitution. La commission des lois a-t-elle un avis sur ce point ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous verrez demain.

M. Robert Bret. Si c’est le cas, il serait temps de le donner.

Le droit des traités prévoit que l’entrée en vigueur d’un traité nécessite le consentement de tous les États ayant participé à sa négociation. La convention de Vienne de 1969 pose, dans l’article 24 de la section 3, le principe que « un traité entre en vigueur dès que le consentement à être lié par le traité a été établi par tous les États ayant participé à la négociation. »

D’un point de vue juridique, l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est donc conditionnée par la ratification unanime des 27 États membres de l’Union européenne.

C’est pourquoi, au nom de mon groupe, je demande à la commission des lois d’examiner, avant le début de la discussion des articles du projet de loi de révision constitutionnelle, les conséquences du rejet du traité de Lisbonne sur notre Constitution.

Monsieur le rapporteur et président de la commission des lois, mes collègues et moi-même attendons, vous le comprendrez, une réponse claire et précise. Vous ne pouvez vous y dérober, comme vous l’avez fait en début d’après-midi à l’issue de notre rappel au règlement.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que nous avions eu l’occasion de souligner en début d’année, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant le titre xv de la Constitution, que ces dispositions validaient par avance le traité de Lisbonne. Elles manifestaient de fait l’approbation du contenu du traité et méconnaissaient le pouvoir d’autorisation de ratification de la souveraineté nationale.

En 2008, pour le traité de Lisbonne, comme en 2005, pour le traité établissant une Constitution pour l’Europe, le même schéma a été retenu : valider par avance le traité en y faisant explicitement référence dans la Constitution française.

L’argument avancé pour justifier cette procédure est que la généralité de la formule a pour objet de lever l’ensemble des obstacles juridiques à la ratification du traité. En fait, il s’agit de forcer le destin, de prendre acte de l’entrée en vigueur d’un traité avant que tous les instruments de ratification n’aient été déposés.

Pourtant, faut-il le rappeler, en 2005, le peuple français, par le référendum du 29 mai 2005, avait clairement et massivement exprimé son refus à l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe.

Après la victoire du « non » au référendum, qu’est-il advenu de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle de 2005 ? Comme nous l’avions prévu, il est resté inscrit dans la Constitution française, devenant lettre morte.

Oui, cet article est resté inscrit dans notre Constitution jusqu’à l’adoption, en 2008, d’un nouveau projet de révision constitutionnelle dont l’article 1er prévoyait de remplacer les dispositions du second alinéa de l’article 88-1.

Aujourd’hui, la même erreur ayant été commise dans la loi constitutionnelle de 2008, avec la validation anticipée du traité de Lisbonne, nous sommes confrontés à la même difficulté.

Une disposition inopérante est inscrite dans notre Constitution. Il convient donc de la supprimer. Il est pour le moins regrettable que le Gouvernement n’ait tenu aucun compte de ce qui s’est passé en 2005, qu’il n’en ait tiré aucune leçon !

Que signifie cette procédure, qui aurait pu être évitée, en 2005 et en 2008, par la notification expresse de l’inapplicabilité de ces deux lois constitutionnelles en cas de rejet du traité modificatif ? Ne s’agit-il pas, sous couvert de cohérence juridique, de valider par avance une disposition non acceptée par le peuple et, en conséquence, de passer outre la souveraineté nationale ?

Pour le traité de Lisbonne, le Gouvernement pensait qu’il n’avait pris aucun risque, cette fois-ci. En effet, Nicolas Sarkozy avait décidé de passer outre à la décision du peuple français de mai 2005 en l’annulant par un vote du Parlement.

Plus généralement, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Union européenne s’étaient entendus pour contourner les peuples en s’assurant que les ratifications parlementaires seraient préférées aux consultations populaires. Seul le gouvernement irlandais a dû recourir au référendum, puisque la Constitution de la République irlandaise lui en faisait l’obligation. On connaît le résultat : il fait obstacle à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui était escomptée au 1er janvier 2009.

Aujourd’hui comme en 2005 – mêmes causes, mêmes effets ! –, le second alinéa de l’article 88-1 de la Constitution et la loi constitutionnelle du 4 février 2008 doivent être abrogés. Aussi, nous vous invitons, mes chers collègues à voter le renvoi en commission, afin que nous puissions analyser les conséquences du référendum irlandais. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, renvoyer un projet de loi en commission, c’est estimer que celle-ci n’a pas bien fait son travail.

Or la commission a siégé mercredi dernier toute la journée et, même si certains ont claqué la porte,…

M. Bernard Frimat. À juste titre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … elle a continué de travailler. Les absents ont toujours tort !

M. Bernard Frimat. Les présents aussi !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour ce qui est du débat sur l’article 88-1 de la Constitution, je rappelle, mon cher collègue, que la commission examinera demain les amendements que vous avez déposés sur ce sujet.

M. Guy Fischer. Il est temps !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’est donc pas nécessaire de lui renvoyer le texte, même si je peux comprendre que vous saisissiez l’occasion que vous fournit la discussion de cette motion pour faire écho à votre rappel au règlement.

Sur le fond, je ne me réjouis pas que l’Irlande n’ait pas suivi les autres pays.

M. Robert Bret. Ce n’est pas la question !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour autant, le processus n’est pas parvenu à son terme puisque de nombreux autres États doivent encore ratifier le traité.

L’Europe devra déterminer comment faire face à de telles situations ; mais il serait assez imprudent, si l’on croit un tant soit peu à la construction européenne, d’avoir aujourd’hui des propos définitifs sur le sujet.

Je rappelle de surcroît, puisque vous vous êtes référé à la convention de Vienne, qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les États et qu’il n’y a pas de hiérarchie des normes en matière de traités. Ce qui compte, dans les traités, c’est la souveraineté des États, c’est ce que nous faisons, c’est ce qui sera inscrit dans le texte que nous voterons.

Pour en revenir à la motion, vous aurez la réponse à vos questions demain matin, lorsque la commission examinera vos amendements. C’est pourquoi je pense que le renvoi en commission non seulement n’est pas indispensable, mais est inutile.

Je vous propose donc, mon cher collègue, de retirer votre motion. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix la motion no 505, tendant au renvoi à la commission.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Discussion générale

8

Transmission d'une proposition de loi

M. le président. J’ai reçu de M. le président de l’Assemblée nationale une proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à rendre obligatoire l’installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d’habitation.

La proposition de loi sera imprimée sous le no 399, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques.

9

Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

– Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1638/2006 arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat.

Ce texte sera imprimé sous le no E-3886 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

– Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux inscriptions réglementaires des véhicules à moteur à deux ou trois roues.

Ce texte sera imprimé sous le no E-3887 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

– Proposition de règlement du Conseil abrogeant le règlement (CE) no 243/2008 instituant certaines mesures restrictives à l’encontre des autorités illégales de l’île d’Anjouan dans l’Union des Comores.

Ce texte sera imprimé sous le no E-3888 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

– Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1234/2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole, en ce qui concerne les normes de commercialisation pour la viande de volaille.

Ce texte sera imprimé sous le no E-3889 et distribué.

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 18 juin 2008, à quinze heures et le soir :

1. Examen de la proposition du président du Sénat tendant à la création d’une commission spéciale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie (no 398, 2007-2008) et, éventuellement, nomination des membres de cette commission spéciale.

2. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (no 365, 2007-2008), modifié par l’Assemblée nationale, de modernisation des institutions de la Ve République.

Rapport (no 387, 2007-2008) de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

Avis (no 388, 2007-2008) de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 18 juin 2008, à une heure trente-cinq.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD