compte rendu intégral

Présidence de M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Création d'une commission spéciale

M. le président. J’ai reçu hier, transmis par M. le Premier ministre, le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence,…

M. Bernard Frimat. L’urgence !

Mme Nicole Bricq. Cela va trop vite !

M. le président. …de modernisation de l’économie.

Je vous rappelle que nous avons constitué, au mois de février dernier, un groupe de travail intercommissions préfigurant une commission spéciale sur ce projet de loi.

En application de l’article 16, alinéa 2, du règlement, la conférence des présidents m’a donné mandat de proposer au Sénat, le moment venu, la création de cette commission spéciale et nous avons décidé hier de soumettre aujourd’hui cette proposition au Sénat.

Je soumets donc cette proposition au Sénat.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

3

Candidatures à une commission spéciale

M. le président. Le Sénat venant de créer une commission spéciale pour l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, l’ordre du jour appelle donc la nomination des membres de cette commission.

Il va être procédé à cette nomination conformément à l’article 10 du règlement.

La liste des candidats établie par les présidents de groupe va être affichée.

Cette liste sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration d’un délai d’une heure.

4

Demande de renvoi à la commission (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels avant l'article 1er A (début)

Modernisation des institutions de la Ve République

Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale avec modifications, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 365, 387, 388).

Nous en sommes parvenus à la discussion des articles.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République
Articles additionnels avant l'article 1er A (interruption de la discussion)

Articles additionnels avant l'article 1er A

M. le président. L'amendement n° 159, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le premier alinéa du préambule de la Constitution est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les droits fondamentaux sont indivisibles et sont des droits opposables. Tout résident sur le territoire français peut demander et obtenir de la puissance publique le respect de ces droits. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’inscription des droits fondamentaux de la personne, individuels et collectifs – politiques, économiques et sociaux –, dans le préambule de la Constitution en 1946 était une avancée considérable. Elle correspondait à des conquêtes démocratiques, historiques, génératrices de grands services publics.

Ce sont ces conquêtes que le Gouvernement et sa majorité remettent en cause loi après loi, tentant de faire croire qu’il s’agirait d’« avantages », voire de privilèges et, en tout état de cause, d’acquis archaïques. Ces prétendus « privilèges », ce sont notamment l’accès à l’éducation, à la culture, au travail, à la santé, à la retraite, au logement, à la protection sociale.

On le constate pourtant, la reconnaissance de l’égalité des citoyens par l’effectivité de leurs droits fondamentaux est un puissant facteur de luttes et de revendications populaires.

Évidemment, leur satisfaction passe pour beaucoup par le développement de services publics adéquats, accessibles à tous, à l’inverse d’une politique de remise en cause des missions et des emplois publics ; elle passe aussi par une responsabilité sociale des entreprises, et non par une gestion fondée sur la seule rentabilité financière.

Madame le garde des sceaux, lors du débat à l’Assemblée nationale, vous avez insisté sur l’idée que, par définition, les droits fondamentaux sont opposables et qu’il n’y a donc pas lieu d’inscrire leur opposabilité dans la Constitution. L’exemple du droit au logement, dont vous avez concédé l’opposabilité, montre à l’évidence que tel n’est pas le cas. On peut le constater tous les jours !

Je le rappelle, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a ôté toute valeur juridique contraignante aux droits économiques et sociaux proclamés par le préambule de 1946. Ils sont de simples « objectifs à valeur constitutionnelle ». Il est donc important que la Constitution leur reconnaisse cette valeur juridique contraignante qui leur fait défaut. Le droit au logement le montre bien.

Vous avez également souligné qu’un comité présidé par Mme Veil – nous l’avons également lu dans la presse – était chargé d’étudier le contenu des droits fondamentaux et la possibilité d’inscrire de nouveaux principes dans le préambule. Mais les droits fondamentaux sont d’autant moins séparables des pouvoirs institutionnels que la Constitution est le texte fondateur du vivre ensemble. Dès lors, pourquoi y réfléchir de manière parallèle ? D’ailleurs, de notre point de vue, la Constitution devrait même être fondée sur les droits.

De plus, la seule inscription des droits fondamentaux ne garantit pas, on le sait bien, leur effectivité. C’est pourquoi nous souhaitons que cette effectivité soit inscrite dans le corps même de la Constitution.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. La Constitution de 1958 et le préambule de la Constitution de 1946, qui renvoie d’ailleurs à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, affirment de nombreux droits. Ceux-ci sont, me semble-t-il, mieux garantis dans notre pays que dans beaucoup d’autres, même si, dans le domaine des droits comme dans celui de la démocratie, il ne faut jamais relâcher ses efforts.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques et qu’elle détermine les principes fondamentaux de l’enseignement, du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.

Il a semblé à la commission que les modalités d’application de ces droits relèvent de la loi et que l’on ne peut inscrire dans la Constitution un tel principe d’opposabilité des droits. Le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration de 1789 énoncent d’ailleurs des droits que le Conseil constitutionnel et les juridictions peuvent ainsi faire respecter.

La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Par cet amendement, madame Borvo Cohen-Seat, vous souhaitez inscrire dans la Constitution la notion de droits opposables.

Le Gouvernement considère que cette insertion n’est pas utile, puisque les droits fondamentaux sont, par définition, opposables à tous, notamment aux pouvoirs publics. Il n’est donc pas nécessaire de le redire ou de le confirmer.

Comme je l’ai effectivement évoqué à l’Assemblée nationale, le Président de la République a confié à Mme Veil la présidence du comité de réflexion sur le préambule de la Constitution. La lettre de mission précise que ce comité est chargé d’étudier si et dans quelle mesure les droits fondamentaux reconnus par la Constitution doivent être complétés par des principes nouveaux tels que, par exemple, la reconnaissance du principe de dignité de la personne humaine ou le respect de la protection des données personnelles.

D’ici à la fin de l’année, le comité formulera des propositions qui permettront d’identifier les principes dont la réaffirmation peut être nécessaire ou ceux qui ont besoin d’être consacrés.

Dans ces conditions, le Gouvernement vous invite à bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai entendu votre réponse, madame la ministre. Nous verrons bien ce qui ressortira des travaux du comité Veil.

En attendant, quitte à réviser la Constitution, je pense qu’il aurait mieux valu le faire en une seule fois. Il aurait en effet été préférable que nous examinions une éventuelle modification du préambule en même temps que ce projet de loi.

Par ailleurs, j’ai du mal à comprendre que le Gouvernement ait inscrit dans la loi le droit opposable au logement, puisque, selon vous, les droits fondamentaux sont, par définition, opposables. En fait, je comprends très bien et je ne peux raccorder votre réponse qu’à ce que j’ai dit, à savoir que le Conseil constitutionnel a fait en quelque sorte des droits économiques et sociaux des sous-droits fondamentaux.

On voit donc bien que l’opposabilité des droits économiques et sociaux n’existe pas en réalité. Elle a été inscrite dans une loi sur le logement et on constate aujourd’hui que l’État n’est pas capable de la mettre en œuvre. Cet état de fait légitime donc totalement notre amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 159.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 160 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 354 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 419 est présenté par MM. Frimat, Bel, C. Gautier, Gillot, S. Larcher, Lise, Mauroy, Peyronnet, Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans la deuxième phrase de l'article 1er de la Constitution, les mots : «, de race » sont supprimés.

La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l’amendement n° 160.

M. Guy Fischer. Le Sénat serait pionnier en la matière s’il adoptait cet amendement particulièrement important, qui a pour objet de supprimer de notre Constitution le concept de « race », lequel apparaît dès l’article 1er.

Le débat sur cette question n’est pas nouveau, mais il n’a malheureusement encore jamais abouti, ce qui est très regrettable. Les initiatives et les propositions n’ont pourtant pas manqué. Je pense, par exemple, à la proposition de loi de nos collègues députés communistes et républicains déposée sous la précédente législature et qui fut rejetée en séance publique en mars 2003 par le gouvernement de droite et sa majorité parlementaire. Je pense également aux amendements des parlementaires communistes déposés à l’Assemblée nationale comme au Sénat dès qu’un texte le permet. Encore récemment, en avril dernier, lors de l’examen ici même du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, nous avons déposé un amendement visant à supprimer le mot « race ».

Force est donc de constater que ce débat est devenu récurent – sans doute grâce à la pugnacité, entre autres, des élus communistes –, démontrant ainsi la nécessité de faire évoluer nos lois, d’autant que notre proposition de supprimer le mot « race » de notre texte fondateur, mais aussi de l’ensemble de notre législation, fait son chemin et que de plus en plus de parlementaires, y compris de droite, sont sensibles à cette idée.

Je considère que, à l’occasion de la présente révision constitutionnelle, nous devrions procéder à cette modification ; ce serait à l’honneur de notre Haute Assemblée. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, cette réforme constitutionnelle, déjà critiquable à plus d’un titre, sera un rendez-vous manqué.

Peut-être aurait-il fallu, en amont de la présente refonte constitutionnelle, mettre en place un groupe de travail parlementaire chargé de réfléchir à la suppression du mot « race » de l’article 1er de la Constitution, mais aussi de l’ensemble de notre législation, et aux conséquences engendrées par cette suppression.

Nous en sommes bien sûr conscients, notre proposition d’amendement ne va pas, à elle seule, faire disparaître le racisme – qui reste d’une cruelle actualité et donc un combat de tous les jours. Cependant, elle pourrait empêcher les mauvais esprits de continuer à se servir d’un tel vocable pour accréditer les thèses les plus ignobles, sans compter qu’elle contribuerait à changer les mentalités.

Car le mot « race », quand il ne s’applique pas à l’espèce animale, doit disparaître de notre vocabulaire et donc de nos lois, a fortiori de notre loi fondamentale.

Je rappelle que le mot « race » est placé dans l’article 1er de la Constitution après le mot « origine » qui suffit, me semble-t-il, à faire comprendre de quoi nous voulons parler et ce que nous voulons combattre, en l’occurrence le racisme.

Il n’y a pas plusieurs races au sein de l’espèce humaine, mais il existe des origines ou des ethnies différentes. Chacun s’accorde à dire que le mot « race » est un concept scientifiquement faux, politiquement et juridiquement dangereux.

Pour étayer mon argumentaire et tenter de vous convaincre, mes chers collègues, – cela a déjà été évoqué, mais il est utile de le répéter –…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela fait déjà cinq minutes que vous vous exprimez !

M. Guy Fischer. …je voudrais rappeler que le mot « race » est apparu pour la première fois dans la législation française en 1939…

M. André Lardeux. C’était en 1940, pas en 1939 !

M. Guy Fischer. …et que c’est sous la législation antisémite de Vichy que la « race » fut érigée en catégorie juridique explicite. Je vous renvoie ici aux lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941.

À partir de 1945, les textes qui ont été élaborés pour proscrire les discriminations fondées sur la « race » l’ont été en réaction contre le nazisme et le régime de Vichy. Ce faisant, le législateur a acté l’existence des « races ».

Je vous prie de m’excuser d’être un peu long, mais ce problème est important. Il faut le souligner, ce concept de « race » a servi – et sert malheureusement encore aujourd’hui – à étayer des thèses vantant la supériorité de certains par rapport à d’autres.

Les opposants à la suppression du mot « race » arguent du fait que c’est un outil nécessaire pour incriminer des infractions racistes et que ce terme figure également dans le préambule de la Constitution de 1946 ainsi que dans de nombreux textes européens et internationaux.

J’entends ces arguments, mais je ne peux les suivre, car j’estime qu’on ne peut pas se retrancher derrière des textes pour refuser la modification que nous proposons ; sinon nous n’avancerons jamais en la matière !

J’ai, par ailleurs, la faiblesse de penser que, même en l’absence du mot « race » dans nos textes, les juges pourront toujours réprimer toutes les formes de racisme fondé sur les ethnies ou les origines. Et les victimes de racisme pourront toujours demander réparation sur ce même fondement.

Laisser ce mot dans nos textes, c’est entériner le fait qu’il pourrait y avoir plusieurs « races », et c’est tout simplement inadmissible.

Pour toutes ces raisons, je vous propose d’adopter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Luc Mélenchon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 354.

Mme Alima Boumediene-Thiery. L’esprit de cet amendement est identique à celui de l’amendement précédent.

Le débat suscité par la présence du mot « race » dans notre Constitution est tout à fait légitime. Aujourd’hui, nous savons tous que les races n’existent pas. Nous savons également que la lutte contre le racisme est en réalité une lutte contre toute forme de discrimination liée aux origines.

Le mot « race » n’a donc aucun fondement ni scientifique ni juridique. Il n’a qu’un fondement idéologique. La présence du mot « race » est justement une survivance de cette idéologie dans notre Constitution.

Je comprends les orateurs qui avancent que le mot « race » est le fondement juridique de toute lutte contre le racisme. Mais, je le répète, nous luttons contre les discriminations. Personne aujourd’hui ne peut prétendre que, lors de la création de la Haute autorité de lutte de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, nous ayons parlé de race.

Il est vrai que ce terme est présent dans de très nombreuses conventions internationales de protection des droits de l’homme. Permettez-moi de relativiser l’effet que peut avoir cette présence par rapport à la suppression de ce mot de la Constitution.

Le mot « race » est le seul mot que connaît la langue anglaise pour qualifier les différences d’origine. Par commodité linguistique, et pour les besoins d’une définition homogène dans les instruments internationaux, ce terme a été préféré à un autre, parce qu’il est reconnu dans le droit de common law, là où nous disposons, en France, du mot « origine ».

Ainsi, l’existence de ce mot dans les conventions internationales est en réalité un consensus politique, qui nous est défavorable en raison de sa connotation particulière en France.

Ce mot ne veut pas dire la même chose en anglais et en français. En France, il renvoie aux pages les plus sombres de notre histoire, alors que, dans ces conventions, il n’est qu’un simple outil de référence aux origines.

À mon sens, le mot « race » doit être supprimé de la Constitution. Certes, cela ne fera pas disparaître le racisme, mais le symbolisme attaché à ce mot lui donne une connotation qui n’a pas sa place aujourd’hui dans notre Constitution. C’est la raison pour laquelle, par cet amendement, je demande sa suppression.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l'amendement n° 419.

Mme Bariza Khiari. Avec ce projet de loi constitutionnelle, il nous est proposé de moderniser notre loi fondamentale pour qu’elle soit mieux adaptée à notre époque. Afin que cette modernisation soit réelle, nous devons aussi nous attaquer aux archaïsmes qui subsistent dans le texte.

C’est pourquoi, comme mes collègues l’ont dit, notre assemblée s’honorerait en adoptant cet amendement, qui vise à supprimer le mot « race » de l’article 1er de la Constitution.

Il est utile de rappeler que ce concept de « race » a servi de pierre angulaire à des idéologies qui sont à l’origine des pages les plus sombres de notre histoire. De plus, cela a également été dit, les scientifiques ont démontré l’invalidité totale de cette notion. Les caractères biologiques, le génome sont les mêmes pour tous les humains. Il n’existe pas plusieurs races ; il existe une seule espèce humaine. Notre Constitution ne peut continuer à laisser penser le contraire.

Historiquement, la référence à la race est récente et conjoncturelle dans notre législation. Au sortir du régime de Vichy et de la Seconde Guerre mondiale, en 1946 puis en 1958, le constituant a voulu inscrire dans la loi fondamentale que la République française n’opérerait ou ne reconnaîtrait aucune distinction fondée sur l’appartenance à une race. Cet objectif était louable. Mais il existe un effet pervers de taille : en faisant de la race une catégorie juridique de valeur constitutionnelle, on valide implicitement un concept vide, et ô combien dangereux !

Le texte constitutionnel vise bien sûr à dénier toute portée au terme de « race ». Il n’en demeure pas moins que ce terme y figure dès l’article 1er, ce qui est moralement, politiquement et juridiquement dangereux.

De plus, l’article 1er mentionne la race entre l’origine et la religion. L’appartenance nationale, ethnique ou religieuse peuvent être des catégories objectives. Ce n’est pas le cas du concept de « race » : il n’a aucune portée scientifique ou philosophique.

Cet amalgame entre catégories objectives et subjectives dans notre Constitution peut créer des confusions dangereuses et valider l’idée fausse que les hommes appartiendraient à une race.

C’est pourquoi nous proposons de ne conserver dans l’article que le terme « origine », qui est le support de notre législation contre le racisme et contre les discriminations. En supprimant ce seul mot, nous ne ferons bien évidemment pas disparaître le racisme, mais nous éliminerons toute possibilité de le légitimer en faisant référence à la Constitution.

En outre, le fait de supprimer le terme de « race » n’éteindra pas le support juridique permettant de prononcer des condamnations contre les actes racistes ou les discriminations, puisqu’il figure dans notre bloc de constitutionalité, et notamment dans le préambule de la Constitution de 1946.

Cet amendement est bien sûr hautement symbolique. Mais je ne doute pas qu’il aura aussi une forte valeur pédagogique. En supprimant le mot « race » de notre loi fondamentale, nous affirmerons enfin que notre République n’accorde aucune portée à cette catégorie et qu’elle considère que la race humaine est une.

J’espère vraiment que notre assemblée fera ce pas symbolique, au-delà de tous les clivages, et adoptera cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On comprend l’inspiration humaniste de ces amendements.

M. Bernard Frimat. Donc avis favorable.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Attendez, monsieur Frimat !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Donc, avis défavorable.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela vous amuse peut-être, mais pas moi !

M. Guy Fischer. Si cela nous amusait, nous n’aurions pas déposé ces amendements !

M. Alain Gournac. Laissez M. le rapporteur s’exprimer !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je vais argumenter mon propos. Je vous ai écoutés avec la plus grande attention et je suis extrêmement sensible à ce qui a été dit par les uns et les autres.

En fait, le mot « race » est présent dans notre Constitution pour retirer tout fondement à une telle notion, contraire au principe d’égalité qui est à la source de notre République. Et, comme l’a dit un membre prestigieux de notre assemblée, la race n’existe pas, mais le racisme existe !

Ainsi, le mot « race » doit figurer dans notre Constitution pour permettre l’incrimination et la condamnation des infractions racistes, qui demeurent malheureusement une réalité. L’article 1er de la Constitution rejette par conséquent toute distinction qui serait fondée sur la prétendue race.

Par ailleurs, je vous rappelle que le terme « race » figure dans de nombreux textes de notre droit. Vous en avez évoqué plusieurs, comme le préambule de la Constitution de 1946. Vous dites qu’il est daté. Je n’en suis pas si sûr, parce que l’on peut toujours voir renaître les choses horribles qui se sont produites à cette époque. (M. Michel Charasse opine.)

Ce mot apparaît, à dix-sept reprises, dans notre code pénal, où il constitue un facteur d’aggravation des infractions.

Surtout, il apparaît également dans de nombreuses conventions internationales protégeant les droits fondamentaux : l’article 1er de la Charte des Nations unies ; l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; enfin, depuis 2001, l’article 21 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

On pourrait évidemment demander à tous les pays de réviser ces textes en supprimant le terme de « race », même si le sens qui lui est donné n’est pas le même selon qu’il s’agit du droit français ou de la common law, mais tout cela ne serait pas compris.

Je vous le dis franchement, nous avons déjà eu ce débat à de nombreuses reprises, pratiquement à chaque révision de la Constitution. J’y participe pour la seizième fois en tant que parlementaire ; cela ne me rajeunit pas… Monsieur Bel, vous êtes tout jeune, vous !

M. Jean-Pierre Bel. Merci, monsieur le rapporteur !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur ces amendements. Si on ne vise pas ce que l’on veut combattre, le racisme,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Robert Bret. Ce n’est pas pareil !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il faut bien se fonder sur une prétendue notion, autrement personne ne comprendra plus rien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a qu’à écrire « prétendue » !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait une erreur grave. Je comprends les motivations des uns et des autres. Pour pouvoir combattre les comportements, qui existent, il faut bien poser le terme et ne pas cacher les notions !

De plus, cette suppression ne serait pas conforme aux règles du droit international qui régit notre pays.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Tous ces amendements visent à modifier l’article 1er de la Constitution, qui affirme solennellement l’égalité de tous devant la loi.

Vous souhaitez qu’on retire le terme de race. L’utilisation de ce terme, comme vient de le souligner M. le rapporteur, n’est pas propre à notre Constitution puisque l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisent, eux aussi, toute discrimination fondée sur la race. L’article 3 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés utilise exactement la même expression, tout comme l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000. À cette époque, personne n’a souhaité retirer ce terme ; personne n’a même soulevé le sujet !

On peut comprendre cette démarche, comme vient de le dire M. le rapporteur. Utiliser l’expression serait laisser entendre que le concept de race existe. Mais le retirer, c’est aussi considérer qu’il existe !

M. René-Pierre Signé. C’est un peu alambiqué !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous savons aujourd'hui que la notion de race, vous l’avez dit, est dépourvue de tout fondement scientifique, mais le racisme existe. Malheureusement, la négation du mot « race » ne supprimera absolument pas le racisme.

La notion de race est utilisée à dix-sept reprises dans le code pénal. C’est un élément d’aggravation des infractions. Les sanctions sont aggravées quand une qualification est fondée sur la notion de race.

M. René-Pierre Signé. Il n’y a pas de race !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il ne faudrait pas laisser croire que le racisme ne serait plus combattu dans notre pays. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) On enverrait un mauvais message aux pays étrangers si on supprimait la notion de race des textes qui nous régissent, notamment du code pénal.

Dans de nombreux pays, ce serait un recul si la France venait à enlever le mot race, et du code pénal et de tous les textes fondamentaux !

Ce serait interprété comme un affaiblissement de la France en matière de lutte contre les discriminations, mais également contre le racisme.

Par ailleurs, je tiens à rappeler – cela aurait pu être dit plus tôt – que le Gouvernement ne faiblit pas face à la lutte contre les discriminations puisque nous avons créé dans tous les tribunaux de grande instance, depuis un an, un pôle de lutte contre le racisme et les discriminations, avec un délégué du procureur issu du milieu associatif, sensible à ces questions. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Cela a fait l’objet d’une demande pendant bien trop longtemps. Je l’ai entendu réclamer assez souvent. Aujourd'hui je puis vous assurer que le taux de réponses pénales, s’agissant de la lutte contre les discriminations et contre le racisme, est passé de 61 % à 87 % entre mai 2007 et mai 2008.

Nous luttons contre les discriminations et toutes les formes de racisme. Enlever le mot « race » de l’article 1er de la Constitution serait interprété comme un affaiblissement, voire comme une volonté de ne plus agir contre le racisme. (M. Bernard Frimat fait un signe de dénégation.)

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.