M. Hervé Morin, ministre. Ce n’est pas vrai !

M. André Vantomme. Tout nouvel engagement devra prendre en compte un désengagement effectif ailleurs. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, est aussi passée par là.

On ne peut plus continuer à faire semblant et à dire ou laisser dire que les opérations extérieures, surtout si elles sont à forte intensité militaire, peuvent se développer in extenso, sine die. Toutefois, afin de juger en connaissance de cause, nous aimerions connaître les analyses, sans doute fines et détaillées, qui justifient que l’on puisse dire aujourd’hui qu’il faut enlever des forces ici ou là.

Nous aimerions également savoir, monsieur le ministre, comment est appréhendé le cadre, très souvent multilatéral, de nos interventions en OPEX.

Nous avons parfaitement en mémoire les principes rappelés par le Président de la République concernant l’appréciation souveraine de l’autorité politique française, avec ses corollaires de liberté d’action et de capacité d’évaluation permanente, mais nous aurions aimé, pour les sujets qui nous concernent ce soir, être plus informés sur vos analyses par rapport à nos principaux partenaires que sont l’ONU, l’OTAN et l’Union européenne. Ce sont en effet plus de 60 % de nos OPEX qui ont un caractère multinational pour les 36 623 militaires français engagés.

Enfin, et surtout, nos interrogations portent sur le nerf de la guerre. Le financement des OPEX est un problème rémanent et préoccupant, qui a d’ailleurs déjà été abordé par nos collègues. Voilà des opérations graves pour lesquelles la France engage la vie de ses militaires, y risque l’image qu’elle veut donner d’une grande nation, mais, s’agissant du cadre budgétaire, celui-ci est traité avec une rigueur somme toute assez élastique.

Monsieur le ministre, le Gouvernement avait, dans un passé récent, pris l’engagement de ne plus financer les OPEX par prélèvement sur les crédits d’équipement des armées. Tout en ne niant pas les progrès accomplis, force est néanmoins de constater que vous n’avez pas encore atteint le niveau qui vous permettrait de bénéficier d’un brevet d’orthodoxie financière : les OPEX ont coûté 852 millions d’euros en 2008, pour une provision en loi de finances initiale de 510 millions d’euros en 2009.

Monsieur le ministre, la France a-t-elle réellement les moyens de sa politique ? Pourquoi laissez-vous planer chaque année de telles incertitudes sur les financements complémentaires que se doivent d’apporter les lois de finances rectificatives ? Cette situation contribue aussi aux incertitudes et alimente notre exigence d’information sur vos intentions.

En ne nous faisant pas part préalablement de vos intentions, vous n’avez pas permis au Parlement d’exercer sa mission. Sans connaître vos intentions futures, comment en apprécier la dimension financière ?

Avant de conclure sur ce qui sera la position du groupe socialiste, je voudrais rappeler toute la considération que nous portons à l’action de nos militaires engagés sur les différents théâtres d’opération, et exprimer bien sûr notre compassion et notre émotion vis-à-vis de ceux qui ont perdu la vie au service de notre pays et de leurs familles.

Il importe de le rappeler, nos militaires effectuent des missions difficiles au péril de leur vie. Ils le font aux côtés des militaires de pays alliés dont ils peuvent comparer les équipements, l’armement et la qualité de l’intendance. Nous savons le souci qu’ils ont de remplir leur mission avec professionnalisme et efficacité.

Monsieur le ministre, au-delà des divergences, légitimes et républicaines, que nous pouvons parfois avoir dans nos débats, le groupe socialiste entend s’associer à l’ensemble des groupes politiques de notre assemblée pour adresser un message de reconnaissance et de soutien aux forces armées engagées à l’extérieur de nos frontières.

Parce que M. le Premier ministre n’a pas voulu créer, par une information préalable du Parlement, les conditions d’un vrai débat sur l’évolution que vous entendez réserver à ces OPEX, le groupe socialiste ne prendra pas part au vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en trois petites heures cet après-midi à l’Assemblée nationale, au cours du même laps de temps ce soir au Sénat, sera expédiée la formalité consistant pour le Gouvernement à obtenir du Parlement l’autorisation de prolonger l’intervention de nos forces armées en Côte d’Ivoire, au Kosovo, au Liban, au Tchad et en République centrafricaine (Exclamations sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.),…

MM. Yves Pozzo di Borgo Vous venez d’arriver : vous n’avez pas assisté au début du débat !

Mme Dominique Voynet. … en application de l’article 35 de la Constitution, dont chacun sait ici que, réduit pendant quarante ans à une phrase d’une terrible concision – « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement » –, il a été complété en juillet dernier. Cela fut présenté alors comme un témoignage indubitable de renforcement, selon la volonté présidentielle, des droits et pouvoirs du Parlement.

Mais de quoi s’agit-il en réalité ? La décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger est prise par le Gouvernement et par lui seul. Seule lui incombe l’obligation d’en informer sans tarder le Parlement, au cours d’un débat sans vote. Et ce sont quatre mois plus tard qu’il sera demandé à celui-ci d’autoriser la prolongation de l’intervention.

Est-il seulement imaginable qu’il refuse, au risque de miner la crédibilité internationale de l’exécutif, la légitimité de l’intervention et la sécurité des troupes fraîchement déployées ? Non, sans doute, surtout quand, au rythme des interventions des uns et des autres, se dessine l’idée qu’un questionnement trop vif, qu’une contestation trop frontale constitueraient un manquement au devoir de solidarité et de respect dû à ceux qui, déployés sur le théâtre des opérations, peuvent y perdre la vie. Soit ! Faut-il pour autant accepter de nous prononcer sans que soient exposés les arguments qui fondent cette demande ? Pas davantage !

On nous dit que les parlementaires sont parfaitement informés, qu’ils ont régulièrement l’occasion d’auditionner ministres et éminents responsables militaires. C’est exact, à cette réserve près que c’est de la loi de programmation militaire que le ministre de la défense est venu nous entretenir voilà quelques jours et du fardeau que représentent les opérations extérieures pour le budget de la défense.

En vérité, il a fallu se fâcher pour que des fiches techniques, succinctes, nous soient fournies. Quels sont les objectifs visés ? Y a-t-il adéquation entre ces objectifs et les moyens déployés ? Qu’en pensent nos partenaires européens ? Quelles sont les perspectives à court et moyen terme ? Quels sont les avantages et inconvénients d’une présence prolongée, d’un retrait rapide, d’une évolution des missions ?

À la lecture des interventions du ministre de la défense dans la presse, et si je les compare avec le peu d’éléments qui a jusqu’ici été officiellement délivré par le Gouvernement à la représentation nationale, les décisions sont déjà prises. Le ministre de la défense s’est d’ailleurs montré très clair ce matin, dans les colonnes d’un quotidien : chacun est dans son rôle, dit-il, on n’est pas dans la codécision. On ne saurait mieux dire combien l’avis du Parlement n’est ici sollicité que pour la forme.

M. Hervé Morin, ministre. C’est le principe de la séparation des pouvoirs !

Mme Dominique Voynet. J’attendais tout de même de votre intervention, monsieur le ministre, qu’elle nous permette d’en savoir un peu plus sur le sens, la portée et les ambitions que vous donnez à l’engagement des forces françaises sur quatre théâtres d’opérations extérieures, en application de l’article 35 de la Constitution.

Plusieurs sénateurs UMP. Il n’a pas encore parlé !

Mme Dominique Voynet. J’ai écouté dans mon bureau M. Kouchner, qui a exposé la situation !

MM. André Dulait et Christian Cambon. Il faut venir en séance !

Mme Dominique Voynet. Je ne vois pas ce que cela change, puisque j’ai écouté les interventions et que je suis en mesure de savoir ce qui a été dit ou pas. Étiez-vous présents en séance depuis le début ?

Plusieurs sénateurs UMP. Oui !

Mme Dominique Voynet. M. le ministre de la défense n’y était pas et cela ne l’empêchera pas de nous répondre et de faire comme s’il avait entendu tous les orateurs.

M. André Dulait. Il est là depuis le début !

M. Hervé Morin, ministre. Je n’ai pas bougé de ma place !

Mme Dominique Voynet. Permettez-moi au passage de formuler une remarque sémantique sur ce mot « théâtre » d’opérations, que je n’ai utilisé que pour pouvoir la faire. Je sais le poids des habitudes dans l’emploi des mots, et ne vous proposerai pas ici de les changer. Mais je reste persuadée que nous devons être attentifs à cette intrusion de la langue d’état-major dans les enceintes parlementaires et utiliser un terme traduisant mieux, au profit des citoyens que nous représentons, une réalité politique tout autant que géographique ou physique. Le réalisme de nos débats s’en trouverait, je le crois, mieux affirmé.

Monsieur le ministre, pour l’heure, ma religion n’est pas faite. Quelles sont exactement les motivations du Gouvernement ?

S’agit-il, au regard du coût croissant des opérations extérieures et des tensions qui pourraient résulter, demain, de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2009-2014, de prendre par avance les décisions qu’imposera un format des armées réduit de près de 50 000 hommes ?

S’agit-il de dégager les marges de manœuvre qui pourraient permettre au Président de la République française de répondre à une éventuelle sollicitation du président des États-Unis, soucieux d’intervenir d’une façon qu’il espère plus décisive en Afghanistan ? Vous nous avez dit que non, mais les choses restent ouvertes et seront rediscutées au fil du temps.

S’agit-il, sur la base d’une analyse fine de la situation locale, et en fonction des forces mobilisées par nos partenaires, de procéder à un ajustement des effectifs et des moyens, opération par opération, voire, si c’est nécessaire, à une redéfinition des mandats ? Si c’est cette dernière hypothèse qu’il faut retenir, quels sont les éléments, les faits, les points de situation objectifs sur lesquels le Président de la République et le Gouvernement se sont fondés pour aboutir à leur décision ?

Qu’est-ce qui permet, par exemple, de considérer qu’au Kosovo la situation se soit suffisamment stabilisée pour permettre de réduire une présence militaire qui était, jusqu’à peu, présentée comme indispensable ? Josselin de Rohan l’a rappelé, la situation reste tendue à Mitrovitsa. Rien ne permet de répondre aux questions qui subsistent sur la viabilité à long terme d’un Kosovo dont l’indépendance reste contestée par de puissants voisins.

Chacun mesure l’intérêt de l’engagement français au Liban, y compris dans sa composante navale, pour faciliter le déploiement, restaurer l’autorité de l’armée libanaise au sud du pays, et éviter la reprise des affrontements entre Israël et le Hezbollah, en l’absence d’un accord durable de cessez-le-feu.

Nous restons en revanche perplexes sur les modalités de cet engagement. À quoi servent, sur le plan militaire, les très coûteux chars Leclerc ? Je veux croire qu’il y a une sorte de rationalité dans leur déploiement dans ce pays, mais laquelle ?

En ce qui concerne le Tchad, je partage le souci exprimé par Michelle Demessine tout à l’heure, lorsqu’elle a souligné à la fois l’absence de mandat international fondant les opérations Épervier et Boali, auxquelles il convient de mettre un terme, et l’intérêt de prévoir un bon dispositif de « tuilage » entre l’EUFOR et la relève qu’opérera l’ONU avec la MINURCAT.

Je partage aussi le souci affiché sur l’ensemble des travées d’un retrait rapide de Côte d’Ivoire dès lors que les élections présidentielles et législatives se seront déroulées de façon acceptable.

Au-delà de ces cas concrets, je veux insister sur les conditions dans lesquelles la France peut être amenée à intervenir en Afrique.

S’agit-il des efforts déployés, dans l’indifférence générale, par des militants longtemps caricaturés – je pense à François-Xavier Verschave, de l’association Survie, décédé récemment et dont je veux saluer la mémoire –, ou encore de l’écho donné à quelques scandales retentissants mettant en cause d’éminents responsables politiques ?

Il semblait que les leçons avaient été tirées de l’impact désastreux, pour l’image de notre pays comme pour les conditions de vie des populations, de la politique africaine de la France. Une véritable rupture avait été opérée par rapport à la politique qui avait si longtemps consisté à soutenir des oligarchies avides et des dictateurs brutaux, à vendre des armes et souvent, via des accords de coopération militaire aux secrets jalousement gardés, les moyens de s’en servir, à défendre des « intérêts français », trop souvent limités à la mise en coupe réglée des ressources naturelles et minières, à l’exportation de déchets dangereux, à la vente d’« éléphants blancs » tels que des véhicules de prestige, des flottes aériennes, des armes sophistiquées, des usines « clés en main », etc., et aussi – ce n’est pas du folklore – à la circulation de valises de billets alimentant les caisses noires des partis politiques.

Je ne veux faire ici aucun procès d’intention, même si, comme beaucoup, je pressens que, si rupture il y eut, elle n’est pas achevée, comme en témoigne le sort réservé à Jean-Marie Bockel, qui prétendait « signer l’acte de décès de la Françafrique ». Mais le serait-elle qu’il faudrait que la France, pour ne pas être suspectée de vouloir garder une ombre portée sur ce qui fut si longtemps son pré carré, se garde d’intervenir militairement, sur la base de sa connaissance ancienne du continent africain, dans des pays où elle serait suspectée d’en revenir à des pratiques du passé.

Nous sommes tout à fait hostiles à des interventions qui ne seraient pas fondées sur un mandat international clair ; je mets de côté les opérations ayant un objet précis, bien limitées dans le temps et destinées, par exemple, à évacuer des ressortissants français dans une zone de conflit.

Cela est encore plus vrai en Afrique, où il paraît décidément impossible que la France intervienne sur des bases ambiguës. Le passé colonial de notre pays et ses intérêts nourrissent, dans l’esprit de populations instruites par l’expérience, une méfiance que certains jugeront excessive. Cette méfiance existe et nous devons évidemment en tenir compte. Il s’agit de la condition préalable à la reconstruction de la confiance.

Telles sont, monsieur le ministre, mes premiers sujets d’interrogation.

Je suis évidemment satisfaite que ce débat au Parlement puisse avoir lieu : il introduit – enfin ! – un peu plus de transparence dans le processus de décision visant à engager des troupes françaises en dehors du territoire national. C’est un tout premier pas, très éloigné de cette participation active à la construction de la décision qui vous révulse et que la Constitution, en effet, ne prévoit pas.

Comme mes collègues du groupe socialiste, auquel je suis apparentée, je ne prendrai pas part au vote que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l’heure tardive, vous me pardonnerez si je ne réponds pas à la totalité des observations qui ont été faites et des questions qui ont été posées.

Je commencerai par formuler une remarque à l’intention de Mme Demessine, de Mme Voynet et de M. Vantomme.

Notre pays présentait tout de même une bizarrerie juridique, une curieuse spécificité : son Parlement était le seul, ou presque, de l’Union européenne à n’avoir pas son mot à dire sur l’envoi ou le maintien de forces armées en opérations extérieures.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est vrai !

M. Hervé Morin, ministre. Ainsi, jusqu’à la révision constitutionnelle, j’ai pu constater que l’ensemble des ministres de la défense de l’Union européenne considéraient qu’un dialogue devait s’instaurer avec le Parlement chaque fois que l’exécutif était amené à prendre une décision de cette nature.

Cette curiosité juridique était d’autant plus fascinante que la démocratie est née de deux impôts : l’impôt monétaire, d’une part, l’« impôt du sang », d’autre part.

Pays de Montesquieu, de la Révolution, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France estimait, au travers de sa Constitution, que le Parlement n’avait pas son mot à dire sur une intervention militaire française, c’est-à-dire sur l’envoi de citoyens français sur un théâtre d’opérations extérieures !

Donc, participer aujourd’hui la bouche pincée à un débat concernant nos opérations extérieures c’est, me semble-t-il, faire un mauvais procès.

Monsieur Vantomme, je suis venu devant la commission des affaires étrangères du Sénat pas moins de trois fois au cours des quatre derniers mois et une séance entière a été consacrée à l’évocation de nos théâtres d’opérations extérieures ? (M. le président de la commission des affaires étrangères approuve.)

Le rôle du Parlement, madame Voynet, si l’on croit à la séparation des pouvoirs, ce n’est ni la codécision ni la « coproduction législative », pour faire référence à une expression chère au président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. (Sourires.)

La coproduction législative ou la codécision, c’est le contraire même de ce à quoi, vous et moi, nous croyons, à savoir que l’exécutif exerce certaines fonctions, tandis que le législatif en remplit d’autres : le législatif est chargé de délibérer, de voter la loi et d’en contrôler l’exécution ; l’exécutif prend au préalable les décisions et les soumet ensuite au Parlement.

Tel est le sens d’une démocratie et le débat de ce soir est sain. En effet, il oblige l’exécutif à mener un travail de réflexion et à bousculer les pesanteurs. Car, vous le savez bien, notamment M. Chevènement, à chaque fois que l’on envoie des forces armées à l’étranger, on trouve de bonnes raisons pour les y maintenir : il y aura toujours un rapport pour expliquer que, certes la situation s’améliore, mais peut-être pas suffisamment pour que nous puissions commencer à réduire le niveau du contingent engagé.

J’en veux pour preuve, puisque la question de la Bosnie-Herzégovine a été évoquée, ce qui s’est passé lors du sommet informel des ministres de la défense de l’Union européenne à Deauville : j’avais presque obtenu la fin de l’intervention européenne dans ce pays, car nos militaires nous disaient que l’opération militaire, en tant que telle, était terminée. Seuls deux ou trois ministres souhaitaient que l’on réexamine la question un mois plus tard, lors du Conseil des ministres de la défense. C’est alors que, comme par hasard, en l’espace de quinze jours, nous avons vu fleurir des rapports émanant des services de tel ou tel pays européen et nous expliquant que la situation n’était peut-pas aussi stable qu’on voulait bien le dire.

C’est parce que nous avons ce débat au Parlement que l’exécutif se trouve dans l’obligation, puisqu’il est soumis au contrôle et qu’il est lié, comme le disait M. de Montesquiou, par le vote de ce soir, de s’interroger en permanence sur la pertinence, l’efficience et le niveau nécessaire du contingent dans chacune de nos opérations extérieures. Ce débat me semble bon, sain et démocratique, au sens le plus pur du terme.

Monsieur de Rohan, vous avez fait allusion à nos faiblesses capacitaires et aux crash programmes. À propos de ces derniers, je souhaite rappeler que la décision y afférente a été prise au mois de janvier dernier, c’est-à-dire bien avant le drame d’Uzbeen du 18 août 2008. Mais le temps que l’appel d’offres soit lancé, que ces crash programmes soient produits et qu’ils arrivent enfin sur le théâtre d’opérations, c’est seulement très récemment que nos forces ont obtenu un certain nombre d’améliorations, qu’il s’agisse des tourelleaux télé-opérés des VAB ou des drones.

Si vous vous rendez en Afghanistan, vous verrez à quel point les drones de type STDI sont très utiles. Nous enverrons bientôt les SIDM sur le même théâtre d’opérations, ainsi que, très probablement, des hélicoptères Tigre en remplacement des Gazelle, quand les essais opérationnels auront été effectués. Par ailleurs, nous avons envoyé un hélicoptère Caracal supplémentaire.

Vous avez évoqué la Bosnie-Herzégovine. De notre point de vue, sur le plan militaire, l’opération est terminée. Nous pouvons y conserver quelques éléments pour participer, le cas échéant, à la formation et à l’encadrement des forces de Bosnie-Herzégovine, mais nous nous acheminons tranquillement vers un retrait de ce théâtre d’opérations.

En ce qui concerne le surcoût des OPEX – vous avez été nombreux à m’interroger à ce sujet – j’ignore depuis combien de temps vous êtes sénateur, monsieur Vantomme, mais j’imagine que vous n’avez pas dû voter un seul des budgets présentés entre 1997 et 2002, car il n’y avait alors pas un centime pour financer les opérations extérieures.

M. André Vantomme. Je n’ai été élu qu’en 2001 !

M. Hervé Morin, ministre. Soit !

Aujourd’hui, nous en sommes à 510 millions d’euros ; nous passerons à 570 millions en 2010, auxquels s’ajouteront 60 millions d’euros à partir de 2011.

Surtout, nous avons inscrit dans la loi de programmation militaire, monsieur de Montesquiou, un dispositif qui va nous permettre, grâce à la réserve de précaution interministérielle, de financer le complément, sans qu’à aucun moment nous soyons amenés à annuler des programmes d’équipement.

En revanche, je souscris totalement à l’analyse qui a été présentée du caractère inapproprié du mécanisme de financement commun dénommé ATHENA. Je n’ai cessé, durant la présidence française, de me battre pour essayer de faire évoluer la situation, mais nous nous sommes heurtés au blocage de certains pays, notamment de nos partenaires britanniques.

Vous observerez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les règles de financement commun ont un champ extrêmement large au sein de l’OTAN et beaucoup plus restreint au sein de l’Union européenne. Ainsi, une partie du transport intra-théâtre est financée au titre de l’OTAN, mais ne l’est pas au titre de l’Union européenne.

C’est pourquoi – je ne cesse de le rappeler à chaque réunion de l’Alliance atlantique, à chaque réunion de l’Union européenne, et vous avez raison de le demander aussi –, je souhaite qu’au moins ces deux instances appliquent des règles identiques, de façon que, lorsque nous envoyons des forces sous mandat des Nations unies, parfois sous le drapeau de l’OTAN, parfois sous le drapeau de l’Union européenne, les règles de financement soient les mêmes. La raison en est simple : vingt et un pays membres de l’Union européenne appartiennent aussi à l’Alliance atlantique.

M. Pozzo di Borgo et Mme Voynet, en particulier, ont évoqué la question du Kosovo. La France restera engagée au Kosovo, mais nous tirons les conséquences des évolutions en cours.

Vous l’aurez remarqué, le Gouvernement a annoncé, voilà quelques jours, la constitution d’une force de sécurité au Kosovo. Jusqu’ici, deux forces étaient présentes : celle de l’OTAN, la KFOR, et celle de l’ONU, la MINUK. Comme vous le savez, par un système de « tuilage », la MINUK est remplacée par la mission de l’Union européenne EULEX. La mission de police et justice étant aujourd’hui la plus pertinente au Kosovo, nous souhaitons la réduction des forces militaires tout en maintenant, en quelque sorte, une force dissuasive en mesure de réagir et d’éviter le pire en cas de dégradation de la situation.

J’en viens à la République centrafricaine. Que ferait la France si la situation devait durer ? La France est présente en République centrafricaine pour maintenir la paix, pour soutenir les institutions, pour former, pour encadrer, pour donner à la République centrafricaine les moyens d’assurer par elle-même sa sécurité et sa souveraineté. Son rôle n’est absolument pas de régler les difficultés politiques des dirigeants centrafricains !

M. Idriss Deby est venu à Paris, mais ni Bernard Kouchner ni moi-même ne l’avons reçu, puisqu’il effectuait une visite privée.

Je pense avoir apaisé les inquiétudes que vous avez exprimées.

Madame Demessine, vous vous déclarez hostile par nature aux opérations de l’OTAN. Pourtant, ces opérations ne sont pas menées sur simple décision du Conseil de l’Atlantique Nord ! Elles sont engagées lorsque, par une résolution, les Nations unies décident de donner mandat à l’OTAN pour telle ou telle opération. Vous avez toujours l’Afghanistan en tête, mais je me permets de vous signaler que, au Kosovo aussi, c’est l’OTAN qui a assuré la sécurité et la stabilité du pays.

M. Chevènement, Mme Voynet et vous-même voulez absolument que nous cachions nos cartes et préparions « sous la table » le redéploiement de notre dispositif en Afghanistan dans la perspective de son renforcement. Je ne sais plus comment vous convaincre ! Tous les trois jours, le Président de la République, le Premier ministre, Bernard Kouchner et moi-même réaffirmons qu’il n’est pas question de renforcer nos éléments en Afghanistan.

Mme Michelle Demessine. Pour l’instant !

M. Hervé Morin, ministre. Oui, parce que, par nature, la vie est un perpétuel mouvement, Dieu merci !

Nous n’avons aucun plan de renforcement en Afghanistan.

Mme Michelle Demessine. Oui, bien sûr !...

M. Hervé Morin, ministre. En 2007, nous avons consenti un effort très important au titre des OMLT afin de participer à l’émergence de l’armée nationale afghane. En 2008, nous avons décidé de prendre de nouvelles responsabilités dans l’est du pays, dans la vallée de Kapisa. Pour la France, et pour le Président de la République, chef des armées, il n’est absolument pas question de procéder au renforcement de nos moyens en Afghanistan.

La même question nous étant sans cesse posée en dépit de nos démentis, j’imagine que je devrai le répéter une nouvelle fois dans quelques jours : les états-majors ne préparent aucun plan de renforcement de nos forces en Afghanistan.

M. Chevènement, empruntant des chemins de traverse, a dressé une fresque qui dépassait largement le débat de ce soir. C’est vrai, le monde, les équilibres du monde sont en train de changer. L’hyperpuissance américaine n’est plus celle que nous connaissions il y a quelques dizaines d’années et, en ce début du XXIe siècle, on assiste à des transferts de puissance de l’Atlantique vers le Pacifique. Le monde est plus multipolaire qu’il ne l’était, ce qui nous impose de revoir et de repenser la totalité de nos stratégies. C’est ce que nous avons fait dans un document à l’élaboration duquel le Parlement a été associé : le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Sur les forces prépositionnées comme sur les accords de défense, nous organiserons au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les débats qui s’imposeront, si le président le veut bien ; nous sommes déjà en train de mener ce travail.

Madame Demessine, s’agissant des accords de défense, l’engagement pris par le Président de la République dans son discours du Cap est extrêmement clair : nous n’avons pas mission d’assurer des fonctions de sécurité intérieure ou de police, et les accords de défense seront revus ; des discussions sont en cours avec les capitales africaines.

Le Président de la République a par ailleurs indiqué que nous reverrions notre dispositif prépositionné en appliquant un principe simple : un dispositif sur la côte atlantique ; un autre, bien entendu, à Djibouti, endroit absolument stratégique ; notre nouvelle base permanente de défense d’Abu Dhabi – lieu majeur de l’équilibre du monde –, dont la création s’inscrit dans le prolongement d’un accord de défense signé à l’époque où François Mitterrand était Président de la République et Édouard Balladur Premier ministre ; enfin, le maintien probable au Gabon d’un certain nombre d’éléments dont on a pu constater encore en février dernier, au Tchad, à quel point ils pouvaient être utiles.

En toute hypothèse, les accords de défense conclus avec ces pays seront renégociés par la République française, comme le Président de la République s’y est engagé. Conformément à la décision prise voilà déjà plusieurs mois, ils seront présentés au Parlement.

Bien entendu, lors de la discussion du projet de loi de programmation militaire, nous aurons l’occasion de revenir sur un certain nombre de questions que vous avez posées concernant l’équipement et l’engagement des forces.

Vous m’autoriserez tout de même à rappeler que, depuis 1958, jamais probablement le budget d’équipement de la défense n’a connu d’aussi forte augmentation que cette année. En effet, entre la hausse de 10 % prévue en loi de finances initiale et le plan de relance qui nous permettra de consacrer 1,5 milliard d’euros supplémentaires à l’équipement des forces, le budget d’équipement des armées croîtra en 2009 de plus de 20 %. Je crois donc que je serai en mesure de vous rassurer le moment venu.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je pouvais apporter ce soir. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)