M. Henri de Raincourt. Monsieur le ministre, vous avez également manifesté votre volonté de développer la production de protéines végétales. Il y a là, en effet, un enjeu stratégique en matière d’indépendance, puisque la France importe aujourd’hui jusqu’à 75 % de ses besoins.

Dans le même temps, la France ne peut être en déphasage complet avec les autres pays de l’Union européenne. Il faut donc une plus grande équité pour ne pas être pris en défaut en 2013.

Nous souscrivons à ces objectifs et soutenons les choix courageux que vous avez opérés.

M. Alain Vasselle. Il y a des limites !

M. Henri de Raincourt. J’y viendrai ultérieurement !

Ces choix n’ont pas été faciles à prendre, mais ils étaient absolument essentiels à la préservation et à la légitimation de notre politique agricole. Nous le savons, et nous voulons vous assurer de notre soutien.

Néanmoins,…

M. Alain Vasselle. Ah ! merci ! (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. …si la profession sait qu’il est indispensable d’adapter la politique agricole commune dans la perspective de 2013, l’effort demandé aux céréaliers est très important. Sur les 700 millions d’euros réorientés vers la politique de l’herbe, les exploitations spécialisées en grande culture participeront pour moitié, le solde étant payé soit par des exploitations mixtes, soit par des élevages laitiers ou spécialisés dans la viande bovine.

Même si de nombreuses exploitations, quel que soit leur mode de culture, bénéficieront d’un retour de ces prélèvements, l’impact de ces décisions dans ce que l’on appelle les « zones intermédiaires » ne doit pas être sous-estimé.

On s’aperçoit, en effet, que les prélèvements de solidarité, en particulier sur les cultures végétales, risquent de créer des difficultés dans ces zones qui ont des rendements moyens sur des sols relativement médiocres et sur lesquelles sont le plus souvent implantées des exploitations elles-mêmes de taille moyenne. La situation de ces exploitations, aux revenus plus faibles que dans les zones à fort potentiel, doit impérativement être prise en compte dans le rééquilibrage des aides.

Ainsi, monsieur le ministre, comment faire évoluer le système pour qu’il tienne compte de la diversité de nos régions et assure à nos producteurs de végétaux, quelle que soit la région dans laquelle ils se trouvent, la juste rétribution de leur travail ?

Vous le savez, cette question me tient à cœur, notamment parce que le département de l’Yonne, dont je suis l’un des élus, fait partie des départements dits « intermédiaires », c’est-à-dire avec un potentiel céréalier moyen.

Aussi, je me réjouis aujourd’hui d’avoir été entendu, car vous avez bien voulu vous pencher sur la situation de ces territoires intermédiaires dans le grand rééquilibrage des aides européennes entre les filières.

Vous avez annoncé une enveloppe supplémentaire de 170 millions d’euros pour accompagner les exploitations spécialisées qui pourraient être fragilisées par la mise en œuvre des nouveaux dispositifs en 2010. Ce plan d’accompagnement permettra de soutenir les jeunes agriculteurs, dont le projet d’installation pourrait être fragilisé, et doit aussi encourager la diversification et la rotation des cultures.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué, le 1er avril dernier, lors du congrès de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, que vous resterez très vigilant sur la situation des zones intermédiaires, sachant qu’elles ont des potentiels agronomiques, mais des niveaux d’aides et de revenus plus faibles que d’autres. Nous savons que vous tiendrez vos engagements.

Pour atténuer la chute prévisible des revenus des exploitants concernés, le Gouvernement pourrait-il étudier la possibilité que soit ouverte à tous les agriculteurs des zones intermédiaires l’aide à la diversité des assolements de 25 euros par hectare, et que cette aide soit attribuée non seulement en 2010, mais également en 2011 et 2012 ? Peut-être le choix pourrait-il également être laissé aux agriculteurs entre cette aide à la diversité des assolements et la mesure agro-environnementale « rotationnelle » ?

En tout état de cause, les mesures d’accompagnement que vous avez annoncées ont, de notre point de vue, de quoi rassurer nombre de ceux qui, parmi les producteurs de végétaux implantés dans ces fameuses zones au potentiel moyen, étaient inquiets. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier d’avoir été sensible aux inquiétudes exprimées. C’est désormais dans un climat apaisé – je crois pouvoir le dire – que la France peut préparer l’avenir de son agriculture au sein de la politique agricole commune.

Monsieur le ministre, vous le savez, la France est un pays viscéralement attaché à la politique agricole commune. C’est pourquoi, avec l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, je voudrais vous rendre un hommage tout particulier…

MM. Jean-Paul Emorine, André Dulait et Jean-Patrick Courtois. Très bien !

M. Henri de Raincourt. … pour avoir su ces dernières années, par vos convictions, votre travail, votre écoute, votre implication personnelle, votre engagement et votre détermination, dessiner un nouveau chemin pour notre agriculture, un nouvel avenir pour nos jeunes agriculteurs, pour avoir su redonner la légitimité nécessaire à notre politique agricole et remettre ainsi cette dernière au cœur des défis de notre société. Dans cette belle action, vous aurez été un acteur absolument déterminant ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean Milhau applaudit également.)

M. le président. J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 71 minutes ;

Groupe socialiste, 55 minutes ;

Groupe Union centriste, 18 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, 16 minutes ;

Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.

Mes chers collègues, j’insiste à nouveau sur le respect absolu de ces temps de parole. M. Roger Romani, qui me succédera au fauteuil de la présidence, préviendra d’ailleurs les orateurs une minute avant l’expiration du temps imparti à chacun.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Le Cam, pour seize minutes.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité d’un débat sur la politique agricole commune, la PAC, à quelques encablures des élections européennes du 7 juin prochain.

Ce débat sur l’initiative de l’UMP vise-t-il à l’autosatisfaction ou, au contraire, à la promotion d’un florilège de correctifs à l’issue du bilan de santé de la PAC, afin de se donner bonne conscience ? S’agit-il d’un débat à 514 millions d’euros, somme à répartir au sein des filières d’ici au 1er août 2009 ? Ce débat prépare-t-il la loi de modernisation de l’agriculture prévue à l’automne ? Allons-nous nous inquiéter du poids de l’agriculture française au sein des décisions des Vingt-Sept et de l’avenir de l’agriculture européenne sur le plan mondial ? Enfin, que sera la PAC après 2013 et quels effets aura-t-elle sur notre agriculture ? Le débat est inquiétant à un moment où nos « experts » ont d’énormes difficultés à anticiper ce qui va se passer dans les six mois à venir.

L’intervention préliminaire de notre collègue Henri de Raincourt montre que mes interrogations ne sont pas éloignées de la vérité ; la suite du débat devrait le confirmer.

Pour le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, je m’efforcerai de donner notre conception d’une politique agricole commune qui prendrait le contre-pied de celle de Mme Fischer Boel, des libéraux et des lobbies de Bruxelles.

Au moment où l’on parle beaucoup de bilan de santé, il nous semble indispensable de dresser un réel bilan de la PAC depuis 1962 et surtout depuis 1992, tournant libéral de la PAC.

Pour comprendre la PAC, il faut en connaître l’histoire et les grandes lignes directrices.

Pour contrer les pénuries alimentaires de l’après-guerre, l’Europe naissante a, en 1962, institué la politique agricole commune autour de trois principes fondamentaux.

Le premier principe est un marché unifié impliquant la libre circulation des produits agricoles sur le territoire des États membres. Ce principe a malheureusement trop souvent servi à mettre en concurrence, donc en péril, des productions régionales au profit des spéculateurs, des intermédiaires et de la grande distribution.

Le deuxième principe est la préférence communautaire. Ce principe de solidarité et de protection n’a jamais fonctionné correctement. Il est contraire aux orientations de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, qui, en abaissant les tarifs douaniers, favorise la pénétration des produits étrangers en Europe, le dumping et la concurrence déloyale.

Le troisième principe est la solidarité financière qui mettait à la charge du budget communautaire la totalité des dépenses de la PAC. Ce principe a connu un premier accroc avec la Grande-Bretagne, Mme Thatcher ayant réclamé son chèque.

Aujourd’hui, la renationalisation de la PAC est en route et les aides directes sont en déroute !

Les cinq objectifs initiaux de la PAC étaient les suivants : accroître la productivité, assurer un niveau de vie équitable aux producteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables.

S’agissant de la productivité, il faut reconnaître que l’objectif a été atteint, puisqu’elle a été multipliée environ par quatre depuis quarante ans.

La sécurité des approvisionnements est plutôt satisfaisante en Europe, d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif. Toutefois, il faut souligner une forte dépendance protéique et une balance défavorable entre les exportations de produits agricoles pour 108,86 milliards en 2007, contre 149,46 milliards d’importations. Ce grand marché attise les convoitises de grands pays exportateurs, comme les États-Unis, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Argentine et la Thaïlande, convoitises qui pèsent sur les négociations au sein de l’OMC.

Le bilan est beaucoup moins flatteur pour les trois autres objectifs.

En ce qui concerne le niveau de vie équitable, les revenus révèlent de très fortes disparités selon les secteurs d’activités et les exploitations.

Le revenu agricole moyen par actif se situe entre 12 000 euros et 40 000 euros, selon que l’on est éleveur ovin, grand céréalier ou producteur de vins d’appellation d’origine. Ces moyennes cachent malheureusement des revenus bien plus bas et des situations familiales dramatiques.

Le système des aides a contribué à accentuer les disparités au lieu de les gommer. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet en évoquant le bilan de santé de la PAC.

La stabilisation des marchés est un échec au regard des crises cycliques qui frappent la quasi-totalité des filières : le porc, le lait, le vin, les fruits et légumes, les ovins, la viande bovine... Chaque crise emporte les exploitations en difficulté et accroît la concentration.

Depuis plusieurs décennies, les mêmes recettes sont appliquées en temps de crise, et cela sans efficacité réelle sur les plans humain et social, qu’il s’agisse des restitutions à l’exportation, des aides au stockage, des prêts bonifiés, des reports de cotisations, des aides exceptionnelles et autres plans d’urgence.

Jusqu’à présent, aucun gouvernement n’est parvenu à assurer des prix garantis et rémunérateurs. Sans doute faut-il chercher dans les fondements même des traités européens l’origine de ces échecs, dans la mesure où la teneur libérale de ces textes interdit toute possibilité de réelle régulation.

Le dernier objectif – les prix raisonnables à la consommation – pose tout le débat sur les marges de la grande distribution et l’échec des différents textes de loi visant à moraliser les pratiques inqualifiables, les pressions sur les fournisseurs et les producteurs.

Oui, la PAC est souvent montrée comme étant parée de toutes les vertus. La réalité est beaucoup moins élogieuse au regard de ses objectifs initiaux.

Après le Livre vert de 1985, dans lequel il était proposé de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, ce fut l’époque des quotas laitiers.

C’est en 1992, année de la réforme de Mac Sharry, que la PAC a connu un véritable tournant avec la diminution des prix agricoles en vue d’une plus grande compétitivité aux échelons local et mondial, la diminution des prix devant théoriquement être compensée par des aides.

L’Agenda 2000 a prolongé la réforme de 1992 par l’amélioration de la compétitivité des produits agricoles, la promotion d’un niveau de vie équitable, toujours sans succès, l’élaboration d’une nouvelle politique de développement rural par le deuxième pilier de la PAC et l’intégration de notions nouvelles à caractère environnemental, de notions de qualité et de sécurité alimentaire, de bien-être animal et, enfin, de simplification de la législation.

On sent bien, à ce moment, le poids de l’opinion publique en matières environnementale et sanitaire à la suite des grandes crises de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB, et de la listériose, et le souci des instances européennes de « verdir » ses politiques pour les rendre plus acceptables.

L’accord de Luxembourg, dont les négociations ont été menées par Franz Fischler, introduit la nouvelle PAC, avec le fameux découplage des aides et de la production, la diminution des restitutions à l’exportation et l’écoconditionnalité des aides. C’est alors que sont créées les conditions pour aller vers 2013, avec un bilan de santé de la PAC et la remise en cause de tout un système, certes très injuste. Mais le pire est à venir !

Venons-en au « bilan de santé » de la PAC, qui est d’ailleurs non pas un bilan, mais un projet d’adaptation n’apportant pas beaucoup d’espoir à la profession pour la santé à venir du monde agricole. Toutefois, il faut reconnaître qu’un certain nombre d’éléments vont dans le bon sens, monsieur le ministre.

Les syndicats agricoles, comme le MODEF et la Confédération paysanne, ont souligné la reconnaissance par « le bilan de santé » de l’élevage à l’herbe et un début d’équité en matière de répartition des aides. Selon votre ministère, en 2006, 56 % des aides étaient attribuées à 20 % des bénéficiaires. Le recul de 15 % des revenus en 2008 avait créé une situation explosive qu’il était urgent de contenir et de corriger. En 2010, 18 % des aides directes, soit 1,4 milliard d’euros, vont être réorientées. Dès 2009, 2 % vont passer du premier au deuxième pilier, au titre de la modulation.

Monsieur le ministre, je ne peux m’empêcher de rappeler que, dès son arrivée, votre majorité s’était empressée de supprimer la modulation des aides et les contrats territoriaux d’exploitation, les CTE, deux éléments majeurs de la réforme Glavany qui auraient pu donner à l’agriculture un caractère plus juste et plus durable.

Nous ne saurons qu’au 1er août quelle sera l’exacte répartition des aides au regard des 514 millions d’euros – si ce chiffre est juste ! – qui restent à répartir entre les filières. Allez-vous donner raison à la bronca des céréaliers ou, au contraire, soutenir davantage les filières en difficulté ? Je pense, bien sûr, à la filière porcine et à la filière laitière qui sont en crise, en Bretagne tout particulièrement. De belles exploitations, apparemment solides, sont en règlement judiciaire en raison d’un endettement provoqué par les crises successives, la flambée des matières premières et la chute des cours.

Monsieur le ministre, j’entends souvent dire : « plutôt des prix que des primes ». Effectivement, la réduction des aides envisagée après 2013 ne sera supportable qu’avec la légalisation d’une politique de prix garantis et rémunérateurs. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, les aides auront une plus grande relativité et devront servir avant tout les disparités de productivité de nos régions et les filières les plus fragiles.

Monsieur le ministre, vous avez emprunté la bonne direction en ce qui concerne le rééquilibrage des aides, l’élevage à l’herbe, le plan protéines et la gestion des risques. Mais tout cela restera très fragile, voire illusoire, si nous n’allons pas plus loin. Les faiblesses sont là : demain, en 2015, la fin des quotas laitiers et celle des exploitations laitières traditionnelles ; demain, le découplage total, ce qui est une aberration !

L’après-2013 laisse présager une baisse très sensible des aides et un affaiblissement du budget européen.

Les mêmes règles de partage pour les nouveaux entrants – c’est d’ailleurs un principe juste – vont pénaliser les autres pays, que ce soit à budget égal ou inférieur.

Nous pouvons raisonnablement craindre une accélération du caractère libéral de l’agriculture par le jeu de la concurrence libre et non faussée, et le poids accru de l’OMC sur les marges de manœuvre de l’Union européenne. En effet, l’après-2013 relève de certitudes inquiétantes et d’incertitudes non moins inquiétantes. Comment s’effectueront les compensations face à la réduction des aides ?

La France va-t-elle demander encore plus de latitude en matière de répartition et aller progressivement vers une renationalisation des aides ?

Envisagez-vous de plafonner les aides par actif et par exploitation, et de supprimer la proportionnalité à la surface et les références historiques qui sont injustes ?

Quel va être l’avenir de la régionalisation des aides au sein du deuxième pilier ?

Allez-vous enfin légiférer en faveur d’une politique de régulation des prix de vente des producteurs et des prix d’achat des consommateurs ?

Pour rassurer, certains misent sur des cours élevés à la production au regard de la croissance mondiale. Cela n’est souhaitable pour personne, à l’exception des spéculateurs. On vient de constater les effets désastreux de la flambée des cours des céréales. Ce qu’il faut, ce sont des prix stables et rémunérateurs.

La crise financière et monétaire mondiale a révélé des comportements spéculatifs assassins, auxquels les denrées agricoles n’ont pas échappé, comportements qui se poursuivent aujourd’hui.

Bien que ses responsabilités soient immenses, la politique agricole commune peut relever le défi alimentaire local et mondial. Chaque pays européen doit tendre vers la souveraineté alimentaire et tout faire pour conserver, voire pour développer, sa puissance humaine et productive en matière agricole. Cela ne se fera pas sans des agriculteurs capables de vivre du produit de leur travail. N’oublions jamais le rôle essentiel et structurant que jouent ces derniers dans le milieu rural, les emplois induits par leurs activités et leur contribution à l’aménagement du territoire.

La préférence communautaire doit être réactivée par la taxation d’importations abusives et la mise en place de calendriers d’importations intracommunautaires.

La mission prioritaire de l’agriculture doit être l’alimentation humaine. Il faut dissuader la spéculation sur les produits alimentaires par tous les moyens fiscaux et juridiques.

Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire prévu l’automne prochain va-t-il acter la mort programmée de la PAC et de la régulation ? Il y a fort à craindre qu’il ne s’agisse d’un texte d’adaptation à une agriculture de rendement, destinée à être compétitive au niveau mondial et confiée aux mains des banques et des spéculateurs. Nous préférons une agriculture diversifiée de production et d’aménagement du territoire, à dimension humaine.

Les semaines à venir seront l’occasion de confronter nos versions respectives de la PAC, à condition que les grands médias daignent y consacrer du temps. Jusqu’à présent, nous avons plutôt l’impression qu’il importe de ne pas parler des élections européennes, et encore moins du Front de Gauche, auquel nous participons et qui se veut un nouveau Front populaire en faveur de l’Europe des peuples et des solidarités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. –M. Jean Milhau applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Emorine, pour dix minutes.

M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le ministre, c’est avec plaisir que nous vous accueillons aujourd’hui, presque deux ans après votre prise de fonctions, pour discuter d’un sujet auquel vous avez consacré beaucoup de passion et d’énergie, à savoir la politique agricole commune et son « bilan de santé ».

J’articulerai mon propos autour de trois points. Je rappellerai tout d’abord les progrès que votre ténacité a permis d’obtenir sur un dossier qui nous était, à l’origine, tout à fait défavorable. J’évoquerai ensuite la contribution de la Haute Assemblée au débat et l’issue favorable qui en a résulté. Je me lancerai enfin dans une réflexion prospective concernant les grandes discussions qui animeront l’avenir, à court et à moyen termes.

Premièrement, l’issue globalement favorable du bilan de santé de la politique agricole commune n’aurait sans doute pas été acquise sans votre intervention, monsieur le ministre, et je tiens à vous rendre hommage pour votre action à cet égard.

En juillet dernier, au début de la présidence française de l’Union européenne, en dépit de votre ambition pour l’agriculture européenne, vous avez dû composer avec une Commission européenne et de nombreux États membres favorables à un modèle agricole différent de celui que nous défendons. Dans le cadre des premières propositions de la Commission pour le bilan de santé, la PAC était menacée par la suppression des outils d’intervention sur les marchés, la généralisation du découplage des aides, l’augmentation des quotas laitiers sans lien avec le marché et le renforcement du développement rural au détriment du soutien à la production.

Or l’accord du 20 novembre 2008, que vous avez obtenu à la quasi-unanimité, monsieur le ministre, à force de concertation et de pédagogie – vous avez en effet rendu visite à l’ensemble des ministres de l’agriculture de l’Union européenne –, s’éloigne notablement du projet initial et paraît de nature à préparer l’avenir. Il permet notamment de préserver l’efficacité des mécanismes d’intervention sur les marchés des céréales et des produits laitiers, de maintenir les aides couplées à des productions spécifiques jusqu’en 2012, d’encadrer l’évolution des quotas laitiers en fixant deux étapes – 2010 et 2012 –, ou encore de disposer d’outils propres à faire évoluer la politique agricole commune dans un sens plus juste et plus durable.

Au-delà de ce bilan de santé satisfaisant, c’est la PAC de l’après-2013 que vous avez eu à cœur de préparer. Ainsi, vingt-quatre États membres se sont ralliés aux conclusions de la présidence française sur ce thème, lors du conseil des ministres de l’agriculture du 28 novembre dernier, à la suite des échanges ayant eu lieu lors de la réunion informelle d’Annecy, en septembre. Comme vous le souhaitiez avec raison, le débat sur le contenu même de la politique agricole commune a été lancé avant l’examen crucial du périmètre financier de cette dernière pour la période 2013-2020, qui sera abordé l’année prochaine, après les élections européennes et le renouvellement de la Commission.

Deuxièmement, dans toutes ces démarches, la Haute Assemblée, et plus particulièrement la commission des affaires économiques que je préside, vous a constamment soutenu.

M. Gérard César. C’est vrai !

M. Jean-Paul Emorine. Je rappellerai quelques éléments à ce sujet.

La proposition de résolution élaborée par le groupe de travail sur le bilan de santé de la PAC, composé d’une douzaine de sénateurs de la commission des affaires économiques et présidé par notre collègue Jean Bizet, a été adoptée par le Sénat en octobre 2008. Se prononçant contre les propositions de la Commission et en faveur d’un « modèle d’agriculture équilibré, économiquement viable et écologiquement responsable », la Haute Assemblée a appuyé vos positions et contribué – du moins avons-nous la faiblesse de le croire – à leur succès.

Un autre moment important dans la phase préparatoire au bilan de santé de la PAC fut la réunion interparlementaire des 3 et 4 novembre 2008 à Bruxelles, au Parlement européen, que j’ai eu l’honneur d’ouvrir et de conclure, et à laquelle vous avez eu l’amabilité de participer, monsieur le ministre. Plusieurs centaines de parlementaires, tant du Parlement européen que des vingt-sept États membres, y ont échangé deux jours durant sur l’avenir de la politique agricole commune et le rôle de cette dernière en matière de sécurité alimentaire. Cette réunion a été très riche en intervenants, si l’on songe qu’étaient également présents la commissaire européenne à l’agriculture et au développement rural, Mariann Fischer Boel, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöterring, le président de la commission parlementaire de l’agriculture, Neil Parish, ou encore le directeur général de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, Jacques Diouf. Au-delà de divergences sur certains points, la quasi-totalité des intervenants des différents pays s’est accordée sur la nécessité d’une agriculture européenne productive, durable et territorialement ancrée, ce qui passe par une politique agricole forte et régulatrice des marchés.

Troisièmement, tous ces efforts n’ont pas été vains, puisque la version finale du bilan de santé préserve les intérêts de la France et, au-delà, de l’Europe agricole. Cependant, alors que la mise en œuvre de ce bilan de santé est discutée dans chaque État membre, des questions surgissent. Je voudrais vous en livrer trois, monsieur le ministre.

La première concerne le contenu de cette mise en œuvre. L’accord européen du 20 novembre dernier donne aux vingt-sept États membres jusqu’au 31 juillet 2009 pour décider des mesures d’application au niveau national, qui concerneront uniquement – c’est important de le préciser – des aides attribuées à l’automne 2010. Le 23 février dernier, vous avez présenté les modalités de mise en œuvre retenues par la France, monsieur le ministre. Je ne reviendrai pas sur leur contenu, que nous connaissons tous et qui a fait l’objet de nombreux commentaires, pour beaucoup positifs, pour certains plus critiques. Pour ma part, je m’en tiendrai à vous apporter mon soutien dans les décisions difficiles, mais courageuses, que vous avez prises, qui visent à rééquilibrer les aides aux différentes filières en fonction de leurs évolutions économiques respectives, tout en continuant d’orienter notre agriculture vers l’impératif de la durabilité.

Les trois groupes de travail que vous avez lancés ont été mis en place au mois de mars et devront rendre leurs conclusions entre l’été et novembre. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer plus précisément les sujets principaux sur lesquels travailleront ces groupes et la marge de manœuvre dont ils disposeront ? Aborderont-ils, notamment, le problème des zones intermédiaires, évoquées par M. de Raincourt, qui sont fragilisées par les prélèvements prévus sur les aides directes au titre du premier pilier ?

Une étude de l’INRA parue au mois de mars dernier montre en effet que ce sont ces territoires qui souffriront le plus de la réforme. Certains producteurs pourraient voir leurs soutiens diminuer de près de 10 000 euros par an. Il existe de réelles inquiétudes sur ce point, et toutes les informations que vous pourrez nous donner à ce sujet seront les bienvenues.

Ma deuxième question, très liée au bilan de santé, concerne l’assurance récolte.

Dans un contexte de réduction des soutiens publics, la gestion des risques climatiques par des mécanismes assurantiels doit constituer une priorité. Monsieur le ministre, vous soutenez financièrement le développement de l’assurance récolte dans les secteurs les plus exposés, et la commission des affaires économiques n’a eu de cesse de vous encourager en ce sens, que ce soit lors du vote de la dernière loi d’orientation agricole ou des lois de finances adoptées au cours de ces dernières années.

Or les accords obtenus dans le cadre du bilan de santé de la PAC offrent de nouvelles opportunités en permettant l’utilisation de crédits communautaires pour cofinancer l’incitation nationale. À partir de 2010, par le biais d’un prélèvement sur les paiements directs, la prise en charge publique pourra atteindre jusqu’à 65 % de la prime et sera constituée à 75 % de crédits communautaires, ce dont je tiens à vous remercier, monsieur le ministre. Dans ce cadre, vous avez annoncé la mobilisation d’une enveloppe de 100 millions d’euros pour l’assurance récolte via l’article 68 du nouveau règlement PAC.

Le règlement d’application du bilan de santé sera essentiel à cet égard, notamment la définition des critères selon lesquels les phénomènes climatiques pourront donner lieu à indemnisation. À cette occasion, il conviendra d’obtenir que la situation française soit prise en compte. Pouvez-vous d’ores et déjà nous dire, monsieur le ministre, à quel emploi vous destinez plus précisément ces 100 millions d’euros ? Comment analysez-vous le basculement progressif du dispositif porté par le Fonds national de garantie des calamités agricoles vers le système assurantiel ?