M. le président. Il vous reste une minute de temps de parole, mon cher collègue !

M. Jean-Paul Emorine. Enfin, j’achèverai mon propos par des réflexions plus prospectives sur la PAC de l’après-2013. Vous avez très opportunément lancé cette discussion au niveau européen, et le moins que l’on puisse dire, c’est que tous nos partenaires au sein de l’Union européenne ne partagent pas notre vision des choses.

Souhaitons-nous conserver une véritable politique agricole intégrée, ou bien la fondre dans d’autres politiques, par exemple territoriale ou environnementale ? Cette seconde position est, nous le savons bien, celle des Britanniques qui ont depuis longtemps fusionné leurs ministères de l’agriculture et de l’environnement. Elle a été rappelée sans ambiguïté par nos voisins d’outre-Manche lors du conseil franco-britannique du 30 mars dernier. Selon eux, le libre commerce peut à lui seul pourvoir à l’alimentation de nos concitoyens, et les soutiens au monde agricole, diminués et découplés, doivent uniquement rémunérer la contribution de ce dernier à la préservation de l’environnement et à l’entretien des paysages.

Comment envisagez-vous, monsieur le ministre, l’évolution du rapport de forces entre une telle vision, qui dispose de relais dans les instances communautaires, et celle d’un modèle agricole équilibré, productif et durable que vous avez défendu avec constance durant votre mandat ministériel ?

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions et questions que m’a inspirées ce débat sur la PAC, le grand nombre d’orateurs inscrits prouvant une fois de plus l’importance que ce sujet revêt au sein de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – M. Jean Milhau applaudit également.)

(M. Roger Romani remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour six minutes.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les émeutes de la faim, déclenchées en 2008 par l’envolée des prix agricoles, ont frappé l’opinion et rappelé la fragilité de l’équilibre alimentaire mondial. Depuis, les prix sont repartis à la baisse. Mais ces événements démontrent l’extrême volatilité des marchés agricoles et, surtout, remettent en question une hypothèse que l’on croyait pourtant acquise, celle d’une situation d’abondance globale avec des prix accessibles et relativement stables.

Finalement, nous pouvons constater que l’exigence de régulation ne concerne pas seulement les marchés financiers, dont on parle beaucoup en ce moment. Le besoin de contrôle des marchés agricoles paraît plus que jamais nécessaire, contrairement à ce qu’aimeraient nous faire croire tous ceux qui prônent, à Bruxelles, et parfois à Paris, leur libéralisation.

Rappelons-le, l’agriculture fait vivre ! Je parle non seulement de sa fonction nourricière, mais aussi de sa forte dimension économique. En France, cette activité productive occupe encore près de 800 000 actifs, dont les revenus ne sont pas, hélas ! suffisamment garantis. C’est pourquoi les gouvernements ne doivent pas rester passifs face aux crises qui affectent régulièrement le monde agricole. Ils doivent au contraire prendre leurs responsabilités pour soutenir ceux qui travaillent et pour encourager les jeunes voulant s’installer.

Mes chers collègues, en Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes ! Dans ces conditions, quelle est la meilleure façon de réguler ? Comment protéger les agriculteurs des aléas des marchés, sans créer de distorsions de concurrence ? Comment soutenir leurs revenus sans créer des effets pervers sur le niveau ou le choix des productions ?

En 2003, des décisions malheureuses ont été prises dans le cadre de la PAC, l’accord de Luxembourg organisant le démantèlement progressif des outils d’intervention.

Pourtant, lors des négociations de novembre dernier, à l’occasion du bilan de santé de la PAC, vous sembliez satisfait, monsieur le ministre, et vous aviez alors rappelé que la France entendait défendre les outils de régulation des marchés tout en autorisant une plus grande flexibilité pour les États membres.

Qu’avons-nous obtenu ? Si certains outils de gestion ont été maintenus, beaucoup trop de concessions ont été faites, à commencer par le découplage des aides. Et que dire de la fin des quotas laitiers… L’élevage est en difficulté et il faudra anticiper un soutien à cette filière avant 2015, car, après, il sera trop tard !

Or nous savons bien que la Commission européenne souhaite supprimer beaucoup de ces outils et imposer le « tout DPU à l’hectare ».

Monsieur le ministre, tandis que vous avez affiché dans vos discours un volontarisme certain sur le dossier de la PAC, au final, la résignation semble l’avoir emporté dans les faits.

Certes, la pression est forte, et nous savons tous, mes chers collègues, d’où elle vient. En effet, la PAC, alors qu’elle devrait imposer son propre modèle, a trop tendance à s’aligner sur les préconisations de l’OMC, à l’intérieur de laquelle règne la plus grande hypocrisie : tandis que l’Union européenne a considérablement réduit ses subventions depuis vingt ans, beaucoup de pays membres de l’OMC – parmi lesquels figurent souvent les plus critiques à l’encontre de l’Europe – ont mis en place des soutiens à l’exportation et de nombreux outils d’intervention. Aux États-Unis, le Risk Protection Act de 2000 et le Farm Bill de 2003 n’ont finalement rien à envier à la PAC !

Dans la perspective de 2013, il faudrait donc s’en tenir à quelques principes fondamentaux.

Dans toutes les négociations commerciales, au sein de l’OMC comme dans un cadre bilatéral, l’Europe doit rappeler que les exigences sanitaires, environnementales et sociales de son modèle agricole justifient une protection tarifaire.

Dans tous les cas, l’Europe doit conserver un budget à la hauteur des missions que porte notre agriculture. La PAC a redéfini ses objectifs pour en ajouter de nouveaux, très ambitieux. On demande en particulier au monde agricole de préserver les équilibres des territoires ruraux et de participer à la lutte contre le changement climatique ainsi qu’à l’amélioration de l’environnement.

C’est bien, mais l’agriculture est d’abord une activité productive que nous devons maintenir comme telle. Pour qu’elle fasse davantage, il faut lui donner des moyens. Or le budget de la PAC est de plus en plus contraint.

On a demandé aux agriculteurs de produire davantage : ils l’ont fait ! On leur a ensuite demandé de produire mieux : ils l’ont fait ! Aujourd’hui, on leur demande d’équilibrer le territoire : ils le comprennent ! Finalement, on leur demande beaucoup…

En retour, et c’est bien la moindre des choses, les agriculteurs comptent sur une solidarité leur permettant tout simplement de vivre de leur travail. Ce n’est pas un luxe pour la plupart d’entre eux ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour quinze minutes.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une période propice à l’évocation des politiques européennes, ce débat a au moins le mérite de montrer à ceux qui auraient pu l’oublier combien les problèmes agricoles et alimentaires sont de nouveau au cœur de toutes les préoccupations : celles de nos concitoyens, tout d’abord ; celles du monde politique, ensuite ; celles du microcosme gouvernemental, enfin, puisque votre portefeuille semble faire l’objet de nombreuses convoitises, monsieur le ministre…

Si je me réjouis très sincèrement de cette importance nouvelle accordée à un secteur cher à nombre de membres de cette assemblée, je dois avouer, monsieur le ministre, que je souhaite beaucoup de courage à votre successeur, la situation n’étant vraiment pas facile, notamment dans l’élevage, où tous les indicateurs sont au rouge.

Bien que je ne partage pas tous vos choix – j’aurai l’occasion de détailler mon argumentation tout à l’heure –, je tenais à vous dire, monsieur le ministre, que mes collègues et moi-même avons apprécié votre volonté d’écoute ainsi que la réactivité des réponses et des informations que vous nous avez communiquées. Cette démarche nous a permis de suivre, presque en temps réel, les négociations auxquelles vous avez participé, notamment sur la PAC.

Revenons à notre débat : quarante-cinq ans après sa création, et alors qu’elle reste l’un des succès majeurs de l’Union européenne, la PAC doit encore justifier sa raison d’être, malgré les nombreuses réformes dont elle a fait l’objet et qui ont été diversement appréciées, à juste titre d’ailleurs.

Cette politique agricole commune – chacun de ces trois mots a son importance –, tant décriée, a pourtant permis à l’Europe, et plus particulièrement à la France, de devenir l’une des grandes puissances agricoles et alimentaires du monde. Certains ont alors cru à tort que le but poursuivi à l’origine – l’indépendance et la sécurité alimentaire – était devenu obsolète et ne justifiait plus une intervention publique forte. Les fluctuations des marchés l’année dernière et la crise actuelle battent en brèche ces certitudes et redonnent au contraire à cet objectif toute son importance.

Face à l’incertitude de ces marchés comme aux importantes variations quantitatives et qualitatives liées aux aléas environnementaux, climatiques, sanitaires, voire politiques, seule l’intervention de la puissance publique pourra atténuer ces variations à la hausse, pour protéger producteurs et consommateurs, mais surtout à la baisse, pour sauver nos producteurs.

Nous refusons toujours les objectifs affichés par la commissaire, Mme Fischer Boel, qui souhaitait « permettre avant tout à nos agriculteurs de s’adapter rapidement aux signaux du marché ». Voilà quelques jours, elle a elle-même reconnu que l’État où le revenu des agriculteurs avait connu la plus forte baisse, de l’ordre de 25 %, était le Danemark. Même si je ne suis pas certaine que Mme la commissaire ait sciemment déduit de ce constat une démonstration éclatante de l’échec de cette orientation politique, je crois que le modèle agricole prôné par les pays anglo-saxons et du nord de l’Europe ne saurait être ni le meilleur ni encore moins le seul vers lequel nous devons tendre.

Bien au contraire, il est de plus en plus pertinent de maintenir tant la diversité des structures et des produits que la régulation des productions agricoles, qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à des marchandises comme les autres.

C’est ce que disent aussi les organisations agricoles européennes et nationales, qui ont regretté que l’accord obtenu dans le cadre du bilan de santé de la PAC « détricote méthodiquement tous les outils de régulation ». Certains de ces outils ont été conservés, mais cet accord se traduit surtout par le découplage quasi total des aides, la suppression programmée des prix d’intervention et l’abandon des quotas laitiers.

Quelles en seront les conséquences sur la survie des petites productions, les volumes produits, les modes de production et, finalement, l’emploi ?

M. Roland Courteau. Voilà une bonne question !

Mme Odette Herviaux. Il semble en effet plus que contestable, par exemple, d’accepter la fin des quotas laitiers alors que le marché du lait s’est effondré et que certains pays, dont la France, n’arrivent même pas à produire autant que les quotas le leur permettent.

M. René-Pierre Signé. C’est bien pour cela que nous buvons du vin ! (Rires.)

Mme Odette Herviaux. Dans les zones géographiques difficiles, notamment en montagne, une telle mesure risque également d’être extrêmement pénalisante. À cet égard, tant les mesures que vous proposez pour accompagner ce secteur laitier par le mécanisme de l’article 68 que les fonds impartis pour la modulation pourraient bien s’avérer insuffisants. À quoi serviront les aides lorsque, malheureusement, une grande partie de ce secteur aura disparu de certaines régions ?

Décidément, la PAC ne peut pas se limiter à accompagner de façon marginale quelques secteurs et à abandonner les autres aux forces instables du marché.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Odette Herviaux. En effet, l’Europe a plus que jamais besoin d’une politique publique forte pour l’ensemble de ses productions agricoles et pour sa filière agro-alimentaire. Telle était déjà, monsieur le ministre, la conclusion du rapport que je vous avais transmis au nom de la région Bretagne au début de l’année 2008, comme contribution à cette réflexion sur le bilan de santé de la PAC et, surtout, sur l’avenir de la PAC après 2013.

Élue de cette région, je sais ce que notre dynamisme économique global doit au développement de ce secteur, qui a permis de nourrir la population française, mais aussi plus largement celle de l’Europe et d’autres pays, sans risque de pénurie, tout en maintenant des hommes sur nos territoires.

Toutefois, je reconnais aussi les effets néfastes qui ont pu accompagner les orientations de cette politique agricole commune : productivité trop intensive, pollution des sols et des nappes phréatiques, perte de la biodiversité, assèchement des réserves en eau, lessivage des sols, abus des produits phytosanitaires... Autant de maux environnementaux qui se sont accompagnés de la disparition d’un très grand nombre de petites et moyennes exploitations qui assuraient la vitalité de nos territoires ruraux, entraînant ainsi, dans certaines zones nationales, une véritable désertification.

Il apparaît de plus en plus essentiel que les aides soient conditionnées au respect des normes environnementales, sanitaires et de certains modes de production. Toutefois, au-delà du soutien à la production, celles-ci devraient également avoir pour objet la rémunération des services non marchands rendus à l’ensemble de la société par l’activité agricole. Nous pourrions ainsi maintenir une agriculture forte, préserver les emplois d’un maximum d’agriculteurs et de salariés agricoles et favoriser la transmission des exploitations dans les meilleures conditions.

L’autre reproche essentiel que l’on a adressé à la PAC concerne son opacité et surtout l’iniquité des aides versées. C’est ce qui reste le plus difficile à comprendre pour nos concitoyens. Il est de notoriété publique qu’un quart du budget bénéficie seulement à 5 % des exploitations, alors que 40 % des exploitations se partagent 5 % des crédits.

Mme Odette Herviaux. Cette inégalité se retrouve aussi au niveau des filières : par exemple, 50 % des fonds vont aux céréales, contre à peine 3 % aux fruits et légumes.

Ces inégalités touchent également les États membres. De fortes disparités existent dans les modes d’application des dernières réformes entre les pays de l’Union, et l’on ne peut pas dire que les décisions politiques françaises aient toujours été très pertinentes ces dernières années : le choix du critère historique – fondé sur la période comprise entre 2000 et 2002 – pour le calcul des droits à paiement unique, les DPU, a ainsi eu des conséquences que, pour ma part, je considère comme dramatiques.

M. René-Pierre Signé. Les DPU, c’était une erreur !

Mme Odette Herviaux. Ainsi, dans mon département, un certain nombre d’éleveurs, peut-être mieux informés ou plus malins que les autres, ont anticipé cette approche en transformant des prairies en champs de maïs, dès 2000, pour « gonfler » les « rentes » à venir en 2003. C’est difficile à comprendre dans une région qui se bat pour reconquérir la qualité de ses eaux de surface…

Le refus systématique de recourir à l’article 69 pour favoriser l’agriculture plus durable, notamment le « bio », a également constitué un choix regrettable qui nous contraint aujourd’hui à tenter de combler notre retard dans le cadre du Grenelle.

Que penser de cette mise en œuvre nationale du bilan de santé de la PAC ? Sans refaire tout l’historique – certains de mes collègues s’en sont déjà chargés –, je voudrais tout d’abord revenir sur ce nouvel article 68, qui permet de prélever jusqu’à 10 % des aides directes pour les orienter vers des territoires et des filières en difficulté. Le Parlement européen avait même proposé de porter ce taux à 15 % des plafonds nationaux des États membres. Vous avez décidé, monsieur le ministre, de le limiter à 5 % : s’agit-il d’une première étape, qui vous conduira, dans un second temps, à instaurer un taux plus élevé pour 2011 ou allez-vous, au contraire, laisser ce taux inchangé jusqu’en 2013 ?

Vous avez plusieurs fois affirmé, monsieur le ministre, vouloir une PAC « plus légitime, plus transparente, plus juste ». Nous sommes donc amenés, nous aussi, à nous poser un certain nombre de questions.

Peut-on parler d’une PAC plus légitime ? Le découplage des aides est-il vraiment compatible avec la poursuite des réformes de 2003 et le versement d’aides sans lien avec l’acte de production et sans obligation de continuer à produire ? Comment justifier ces aides auprès de nos concitoyens ?

Peut-on parler d’une PAC plus transparente, alors que l’on inclut des mesures de gestion de crise dans le deuxième pilier et des mesures de développement rural et d’aménagement du territoire dans le premier pilier, via l’article 68 ?

La cohérence de la structure de la PAC en deux piliers existe-t-elle encore vraiment ? Est-elle viable à long terme, surtout si l’on vide de sa substance, par une volonté de réduire globalement le budget de la PAC, un premier pilier qui devrait plus que jamais permettre la régulation des marchés et des filières ?

Quant au deuxième pilier, qui reste beaucoup plus faible, pourra-t-il à lui tout seul résoudre les nombreux problèmes liés à la lutte contre le changement climatique, à l’assurance récolte, au développement rural, lequel mériterait à lui seul une véritable politique commune ?

Je n’évoquerai pas ici la production d’énergie grâce aux productions agricoles, alors même que le problème numéro un que nous devons affronter est le défi alimentaire pour les années à venir.

Il vaudrait peut-être mieux chercher à valoriser au maximum les déchets sous toutes leurs formes, notamment les sous-produits du bois, surtout compte tenu des dégâts causés par la tempête Klaus, dont les conséquences sont catastrophiques pour toute la filière, même en dehors des zones touchées.

Enfin, peut-on parler d’une PAC plus juste ? Monsieur le ministre, vous n’abordez même pas la question du plafonnement des aides dans votre présentation des options nationales ! Les institutions européennes se sont pourtant mises d’accord sur une mesure a minima de plafonnement via un taux de modulation plus élevé de quatre points sur les montants dépassant 300 000 euros. Le Parlement européen, quant à lui, avait introduit une pondération de ce plafonnement en fonction du nombre d’actifs afin de ne pas pénaliser les exploitations des nouveaux pays entrants, dont certains emploient beaucoup de main-d’œuvre.

Peut-être cela est-il fondu dans le cadre de l’augmentation globale de la modulation ? Si tel est le cas, monsieur le ministre, quels montants sont concernés, surtout quand on sait que les prélèvements pour modulation se font au premier euro ? N’aurait-on pas pu prévoir aussi un plancher lié aux plus petits revenus ou aux plus petites surfaces ?

Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, que dire de la décision d’attribuer une enveloppe supplémentaire aux grandes cultures ? Ce n’était pas votre décision originelle, monsieur le ministre, mais force est de reconnaître que quelques centaines de producteurs de céréales sont mieux entendus par M. le Président de la République que des centaines de milliers de salariés manifestant pour leur emploi et leurs droits sociaux !

M. Didier Guillaume. Très bien !

Mme Odette Herviaux. Reprenons la chronologie des événements.

L’application d’un découplage total des aides aux grandes cultures et la réorientation partielle de ces dernières vers les surfaces en herbe, en application de l’article 68, ont permis de dégager un reliquat important de 11 %, soit environ 460 millions d’euros. Les professionnels devaient définir les critères de répartition et, monsieur le ministre, vous aviez annoncé le 23 février que ce solde pouvait servir au rééquilibrage au sein des filières, par exemple dans les zones intermédiaires dont les rendements sont moins élevés.

M. le président. Il vous reste une minute, ma chère collègue !

Mme Odette Herviaux. Après quelques manifestations de céréaliers, et juste avant le congrès de ce syndicat qui, selon la presse, s’annonçait explosif, le Gouvernement a annoncé sa décision de mobiliser 170 millions d’euros supplémentaires pour les exploitations spécialisées en grandes cultures.

Ces aides seraient d’origine communautaire, mais sur quelle enveloppe seront-elles ponctionnées et au détriment de quoi ? Que permettront-elles de financer ?

Telles sont, monsieur le ministre, les observations et les questions que nous souhaitions vous soumettre. Nous tenons également à vous redire combien les régions, à travers l’Association des régions de France, sont attachées à une réflexion sérieuse et approfondie sur les avantages et les inconvénients que représenterait une véritable régionalisation des aides.

Avant de conclure, je souhaiterais évoquer les craintes que nous avons quant à l’avenir de la PAC après 2013, et peut-être même avant.

Il faut tout d’abord souligner le problème du financement de la PAC. Nous constatons avec regret que plus on en demande à nos agriculteurs – environnement, qualité, traçabilité, sécurité, abondance, bien-être animal, lutte contre le réchauffement climatique –, plus on rechigne à y mettre le prix !

Ce n’est pas en insistant sur un plafonnement du budget de l’Union européenne à 1 % du revenu national brut que l’on pourra sauver une véritable politique agricole commune, prête à affronter les futures négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce. En effet, il s’agit bien là du prochain défi de la PAC : faire accepter de nouveaux facteurs légitimes de régulation du commerce international des denrées alimentaires. Mais c’est un autre débat, monsieur le ministre.

Cependant, il faudra bien un véritable consensus des vingt-sept États membres sur des valeurs sociétales pour faire aboutir ce projet. Pour cela, nous comptons très fortement sur la volonté et l’efficacité du futur Parlement européen et sur l’application du principe de codécision. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. –M. François Fortassin applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage, pour dix-huit minutes.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis près de cinquante ans désormais, la PAC est la principale politique européenne. Elle a notamment permis de faire de l’Europe une grande puissance agricole. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, elle a prouvé sa capacité à se réformer en profondeur pour mieux répondre aux attentes de la société.

Désormais, la PAC n’a plus pour unique objectif d’encourager la production ; elle vise à garantir une agriculture européenne compétitive, capable de maintenir la vitalité du monde rural et de répondre aux exigences des consommateurs, aux exigences de qualité et de sécurité des denrées alimentaires, tout en respectant l’environnement et le bien-être animal.

La PAC a connu un processus de réforme quasi permanent qui a conduit peu à peu à l’émergence d’une double logique sous-tendant désormais l’ensemble des aides : un découplage, qui va de pair avec une modulation de plus en plus marquée.

Le bilan de santé, tel qu’il a été conclu, marque en quelque sorte l’achèvement de cette logique. Nous allons au bout du découplage, puisque seules quelques rares productions resteront couplées dans les années à venir. Parallèlement, la modulation des aides est accrue, même si vous avez réussi, monsieur le ministre, à minimiser le niveau du transfert du premier vers le deuxième pilier tel que l’avait initialement prévu la Commission.

Avant de revenir plus en détail sur le contenu de cet accord et, surtout, sur la façon dont la France va l’appliquer, je tenais à rappeler que les décisions prises par les ministres de l’agriculture, aussi douloureuses soient-elles pour tous les agriculteurs, n’en sont pas moins indispensables.

En effet, le cadre financier de la PAC, qui a été fixé en 2002 pour les dix années suivantes, sera automatiquement remis en cause après 2013, les nouveaux pays entrants, caractérisés par un fort secteur agricole, devant bénéficier d’une part beaucoup plus large des aides de la PAC, qui, rappelons-le, restent stables, malgré l’entrée de tous ces pays.

À l’heure actuelle, la France demeure la première bénéficiaire de cette politique : les aides de la PAC se montent au total, pour notre pays, à 10,5 milliards d’euros par an environ.

Dans cette perspective, et sans que soit remise en cause cette politique qui a fait ses preuves, un ajustement de la PAC était indispensable. C’est là tout l’enjeu du bilan de santé.

La Commission européenne avait publié, à la fin du mois de novembre 2007, un premier état des lieux, assorti de grandes lignes d’orientation. Puis, au mois de mai 2008, elle a formulé une série plus précise de propositions tendant à moderniser et à simplifier la PAC.

L’adoption de ce bilan de santé était l’une des priorités de la présidence française. Monsieur le ministre, vous avez réussi à mener à bien ces négociations et accompli un difficile travail de conciliation, malgré la situation que vous avez trouvée. Soyez-en remercié.

L’accord obtenu, comme je l’ai déjà souligné, est loin d’être satisfaisant. Vous avez dû faire face à une proposition initiale de la Commission à laquelle la France, à juste raison, n’était pas favorable. Le résultat obtenu, s’il a permis d’améliorer très sensiblement la proposition de la Commission, est loin de faire l’unanimité parmi les agriculteurs et leurs représentants. Il consacre un pas supplémentaire vers une dérégulation de la politique agricole commune européenne.

Les outils de régulation voient leur portée réduite– c’est le cas pour les dépenses d’intervention – ou menacée à terme – c’est le cas pour les quotas laitiers –, tandis que le découplage de la quasi-totalité des aides est décidé. C’est donc bien la fin d’une certaine PAC.

Si je ne remets nullement en cause la nécessité d’adapter cette politique dans la perspective de l’après-2013, je regrette cependant la disparition d’outils de régulation économique, qui ont prouvé par le passé leur utilité et leur efficacité en matière de régulation des cours.

Alors que nous traversons une période d’extrême volatilité des cours des matières premières agricoles, notamment des céréales, je trouve dommage de se priver de ces outils.

J’en viens maintenant aux modalités que vous avez définies de mise en œuvre de ce bilan de santé.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 18 % des aides, soit 1,4 milliard d’euros, seront réattribuées dès 2010 sur d’autres bases que des références historiques individuelles. Il s’agit là d’une refonte complète des aides de la PAC.

Monsieur le ministre, vous avez déjà eu l’occasion de vous expliquer longuement sur ces modalités de mise en œuvre. Chaque fois, vous avez répété votre conviction que si nous voulions préserver l’essentiel, à savoir une politique agricole commune, il était nécessaire d’accepter ces mesures, dont vous n’avez pas nié le caractère douloureux. Je partage tout à fait votre sentiment. Nous n’avons pas encore mesuré à quel point 2013 risque d’être une année de fracture profonde pour l’agriculture française. Il est donc indispensable de s’y préparer dès à présent.

Le plan que vous nous proposez met l’accent essentiellement sur l’élevage à herbe et les cultures herbagères, ainsi que sur d’autres activités défavorisées, comme l’élevage caprin et ovin. Cette évolution nécessaire a le grand mérite de rétablir une plus grande justice dans la distribution des aides de la PAC.

En effet, à l’heure actuelle, les grandes cultures représentent, en volume, près de 69 % de ces aides, alors qu’elles ne correspondent qu’à 23 % des exploitations.

La mise en œuvre du bilan de santé, telle que vous l’avez décidée, devrait ainsi permettre de garantir une plus grande homogénéité du revenu des agriculteurs. Cela est indispensable, car leur revenu moyen varie énormément selon les secteurs d’activité et les modes de production.

Ce rééquilibrage des aides de la PAC va également se traduire par une réorganisation de leur répartition géographique. En effet, d’après une étude de l’INRA, la redistribution induit un transfert des régions localisées au nord d’une ligne Bordeaux-Metz vers celles qui sont situées au sud de cette ligne, où se trouvent la quasi-totalité des zones défavorisées simples et des zones de montagne. Au total, la redistribution des aides pénaliserait, selon l’INRA, 159 000 exploitations professionnelles sur les 322 000 qui ont été recensées en 2007.

L’impact du bilan de santé est donc considérable. Plus de la moitié des exploitations seront pénalisées. Dans ces conditions, peut-être aurait-on pu envisager d’échelonner sur plusieurs années les transferts d’aides. Certes, il y a urgence à faire évoluer les aides de la PAC, mais peut être aurait-il fallu mieux prendre en compte la conjoncture actuelle.

En effet, l’année 2008 a été marquée par la hausse générale des prix des moyens de production, à savoir l’énergie et les engrais. Par ailleurs, le prix des céréales a marqué un net repli, après la très forte hausse de 2007.

Ainsi, après avoir très fortement progressé au cours des deux années précédentes, le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a enregistré une baisse de 15 % en 2008.

Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le Gouvernement a prévu une aide ciblée de 170 millions d’euros pour accompagner les exploitations fragilisées par la réorientation des aides. Cette dotation sera-t-elle pérenne jusqu’en 2013 ?

Je souhaitais également attirer votre attention sur la situation des régions intermédiaires, comme le Lot-et-Garonne. Ces zones sont caractérisées par des potentiels agronomiques, des niveaux d’aides et de revenus plus faibles. Or, d’après l’étude de l’INRA précitée, les agriculteurs des zones intermédiaires pourraient perdre jusqu’à 30 % de leur revenu.

Une étude de la chambre régionale d’agriculture d’Aquitaine confirme également ces données : pour mon département du Lot-et-Garonne, ce sont 15 millions d’euros, sur 83 millions d’euros, qui seraient supprimés. Heureusement pour nos agriculteurs, l’aide à la prune est préservée, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre, sachant la part que vous avez prise dans cette décision.

Vous avez déjà suggéré à plusieurs reprises la possibilité d’une aide « rotationnelle » pour limiter le poids des prélèvements programmés dans les zones intermédiaires. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?

Cette aide, pour être vraiment efficace, doit être allouée en fonction de critères simples, correspondant à la réalité concrète des exploitations. L’irrigation des parcelles ne doit pas être un obstacle et, surtout, il ne faut pas multiplier les contraintes administratives, contrairement à ce qui prévalait précédemment.

Quant aux aides à l’herbe, le détail des mesures est très important. Si la subvention était limitée aux cinquante premiers hectares, cela ne pénaliserait que peu d’élevages dans mon département ; en revanche, si on appliquait des critères de spécialisation en matière d’élevage, ainsi que cela a été évoqué, cela exclurait la quasi-totalité de mon département.

Enfin, vous connaissez mon engagement de longue date pour la mise en place d’une véritable assurance agricole. Je me félicite donc que la couverture des risques climatiques et sanitaires fasse explicitement partie des quatre objectifs prévalant dans la mise en œuvre du bilan de santé. Toutefois, je souhaiterais obtenir des précisions sur le dispositif envisagé. En effet, vous avez annoncé que 140 millions d’euros seront consacrés à cet objectif, soit 100 millions d’euros pour la généralisation de l’assurance récolte et 40 millions d’euros pour la création d’un fonds sanitaire destiné à indemniser les conséquences des incidents sanitaires sur les productions animales et végétales.

Ces dotations, mêmes si elles ne permettront pas de tout faire, sont déjà importantes. Nous savons tous que la mise en place d’une assurance récolte à grande échelle, même si elle n’est pas obligatoire, aura un impact financier très important pour l’État. Ainsi, l’Espagne dépensera cette année 280 millions d’euros au titre de l’assurance récolte, alors que seulement 50 % de ses exploitations sont assurées.

Surtout, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le dispositif prévoit la prise en compte par l’État de la garantie de réassurance. Il s’agit là d’une condition indispensable à un engagement massif des assureurs, et donc à la généralisation de l’assurance récolte à une majorité d’exploitations.

II en est de même pour le fonds sanitaire. Si l’on compare les 40 millions d’euros de dotation de ce fonds au coût global de la seule fièvre catarrhale ovine, ou FCO, on peut douter de l’efficacité de cet outil.

Depuis 2008, ce sont plus de 82 millions d’euros pour les aides à la vaccination, 130 millions d’euros pour les aides économiques en soutien aux filières d’élevage et 19 millions d’euros pour les autres mesures vétérinaires qui ont été mobilisés pour faire face à la crise que connaissent les éleveurs français.

On peut toujours discuter du montant des crédits proposés. Je considère pour ma part qu’il s’agit de sommes très importantes qui permettront la mise en place d’outils indispensables à notre agriculture. Je me réjouis de l’orientation choisie par le Gouvernement, qui marque une rupture dans la gestion des crises agricoles.

Monsieur le ministre, il me reste à vous féliciter pour ces deux ans passés à la tête de ce beau ministère, que vous avez su réformer et moderniser. De la FCO aux OGM, en passant par les blocages de ports ces dernières semaines, vous avez été confronté à de nombreuses difficultés. Vous y avez fait face en ayant toujours la volonté de sauvegarder les intérêts de l’agriculture et des agriculteurs français : soyez-en remercié. Je vous remercie également très sincèrement pour votre disponibilité et votre écoute. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)