M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous en conviendrez avec moi, l’examen de la proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet s’inscrit dans un contexte particulier.

D’abord, un contexte législatif, car ce ne sont pas moins de cinq textes qui ont modifié, depuis 2007, le droit touchant à l’immigration et à l’asile, dont la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. Par ce texte, la Commission des recours des réfugiés a été transformée en Cour nationale du droit d’asile, la fameuse CNDA, et une autonomie institutionnelle a été conférée à cette juridiction.

Par ailleurs, la proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures, qui vient d’être adoptée définitivement par l'Assemblée nationale, tend, elle aussi, à renforcer la professionnalisation des juges de la CNDA.

Enfin, vous avez récemment annoncé à Nantes, monsieur le ministre, une nouvelle procédure de naturalisation donnant plus de pouvoirs aux préfets. Cette procédure risque d’entraîner une rupture de l’égalité devant la loi, puisqu’il pourra y avoir autant d’appréciations que de préfets !

Ce morcellement législatif est d’autant plus incompréhensible que devrait se mettre en place une « Europe de l’asile », avec l’instauration d’un statut uniforme de réfugié, l’institution d’une procédure et de critères communs d’examen des demandes d’asile et de reconnaissance du statut de réfugié.

Mais l’examen de la proposition de loi s’inscrit aussi dans un contexte politique particulier. L’inauguration de la médiathèque de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, le 30 mars dernier, a été perturbée par des incidents qui illustrent bien la détérioration des relations entre le ministre de l’immigration et le monde associatif.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cela a toujours été !

M. Charles Gautier. Les manifestations du 8 avril 2009 organisées dans plusieurs villes de France contre la pénalisation de la solidarité à l’égard des étrangers ont été un succès et ont fait l’objet d’une large couverture par les médias.

Le débat d’aujourd’hui ne saurait avoir lieu sans que l’on évoque le film de Philippe Lioret, Welcome, son histoire et les personnes ou les associations venant en aide aux étrangers en situation irrégulière dont on sait qu’ils vivent dans des conditions qui font la honte de notre République.

Les parlementaires des groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat ont déposé une proposition de loi visant à supprimer cette incrimination.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle n’a jamais existé !

M. Charles Gautier. Le groupe du RDSE a également déposé une proposition de loi dans ce sens.

M. Yvon Collin. Tout à fait !

M. Charles Gautier. Monsieur le ministre, nos concitoyens et les parlementaires siégeant sur tous les bancs des deux assemblées sont bouleversés par les situations de ces étrangers qui, poussés par la misère, viennent chercher ici un eldorado, mais ne trouvent souvent que la misère, la violence et la faim.

Vous avez fermé le centre de Sangatte sans fournir de solution de remplacement. Les étrangers se retrouvent donc à errer dans la zone portuaire de Calais. Ils sont traités comme des délinquants, privés de leurs libertés les plus élémentaires.

Est-il concevable que notre République poursuive ceux qui, émus de ces situations, viennent en aide à ces étrangers ? Non, monsieur le ministre !

Est-il concevable que la législation en vigueur permette d’inquiéter pénalement nos concitoyens qui donnent une couverture ou une assiette de riz,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh, arrêtez !

M. Charles Gautier. ... parce que votre politique du résultat en matière d’immigration et d’asile a déjà programmé le nombre d’arrestations d’aidants ? Non, monsieur le ministre !

Mais revenons à la proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet. Elle appelle quelques observations.

La procédure dite de « l’asile à la frontière » concerne les étrangers qui, dépourvus des titres requis pour séjourner en France, souhaitent néanmoins entrer dans notre pays pour déposer une demande d’asile.

La proposition de loi vise le recours offert à l’étranger dont l’entrée en France au titre de l’asile a été refusée dès la frontière. Au regard de la demande d’asile dans son ensemble – vous avez rappelé les chiffres : 42 513 demandes d’asile en 2008 –, les procédures d’asile à la frontière demeurent, il est vrai, marginales. Elles n’en concernent pas moins plusieurs milliers d’étrangers chaque année et tendent à se développer : près de 3 800 avis ont été rendus entre le 1er janvier et le 31 octobre 2008, et la hausse des demandes concerne plus particulièrement les mineurs isolés.

La Cour nationale du droit d’asile « statue sur les recours formés contre les décisions » de l’OFPRA, « examine les requêtes qui lui sont adressées par les réfugiés » et « formule un avis quant au maintien ou à l’annulation de ces mesures ».

L’existence d’un premier « filtre » en amont des demandes d’asile, comme l’urgence liée au maintien des étrangers en zone d’attente, justifie l’octroi aux personnes concernées de garanties juridictionnelles.

La demande d’asile déposée à la frontière est particulière, car c’est une procédure qui est déjà dérogatoire. Elle exige en effet un examen supplémentaire de recevabilité par rapport aux demandeurs qui se déclarent, sur le territoire, dans une préfecture. En fait, le principe devrait être d’autoriser les demandeurs à accéder rapidement au territoire pour que leur demande de protection soit examinée au fond.

Ce n’est pas la voie choisie dans la proposition de loi, dont l’objectif premier est de tendre vers la réduction sensible des délais de procédure ; c’est ce que l’on nous répète en permanence.

De plus, la décision d’admissibilité sur le territoire relève du domaine de la police des étrangers. À ce stade, la décision du juge ne saurait reposer sur l’appréciation de la situation géopolitique du pays du demandeur d’asile. Dans le droit en vigueur, le juge administratif doit se concentrer sur le seul examen de l’usage, légal ou non, du caractère manifestement infondé de la demande, à l’exclusion de toute analyse au fond de la demande de protection.

Nous nous interrogeons : quelle sera la prochaine étape ? Une procédure d’asile à la frontière ?

Les organisations auditionnées par le groupe socialiste craignent que ne s’opère « naturellement » un glissement de la procédure au titre de l’asile vers une procédure d’asile à la frontière, avec la création d’une procédure rapide d’examen au fond de la demande. Cette proposition n’est pas nouvelle.

Une telle évolution vers une procédure d’asile à la frontière est source d’inquiétudes et fait s’interroger sur les garanties offertes aux demandeurs d’asile, une procédure trop rapide n’offrant pas à la personne un délai suffisant pour lui permettre d’exposer correctement et précisément ses craintes en cas de retour, dans un contexte de fuite récente et dans un lieu de privation de liberté.

De plus, une telle procédure ne permettrait pas à l’OFPRA d’examiner de façon approfondie la demande d’asile présentée. Par ailleurs, l’encadrement de cette procédure dans des délais stricts conduirait certainement l’OFPRA – on peut le penser – à « tenir » ces délais, au risque de ne pas poursuivre plus avant l’examen des demandes d’asile.

Au-delà de ces interrogations, transférer à la CNDA le contentieux du refus d’entrée au titre de l’asile étend la compétence de la Cour à un domaine de police administrative des étrangers. Nous passons subrepticement de la problématique de l’asile à celle de la lutte contre l’immigration clandestine, parce que l’on s’est aperçu que, parmi les personnes admises à la frontière au titre de l’asile, seule une minorité concrétisait leur démarche en présentant réellement une demande en préfecture.

Nous nous interrogeons également sur le risque de voir la CNDA refuser de se déjuger ; cela a été dit par le rapporteur.

Enfin, mes chers collègues, ce texte comporte un risque réel, et non des moindres, évoqué par notre rapporteur lui-même, compte tenu des moyens alloués à la CNDA.

Cette réforme comporte des contradictions.

Paradoxalement, après son passage en commission, la proposition de loi vient renforcer certaines garanties au bénéfice des demandeurs d’asile à la frontière. C’est le cas de l’allongement du délai de recours, qui passe de quarante-huit à soixante-douze heures, de la suppression de l’exigence de déposer une requête motivée, de l’interdiction de procéder à des investigations pour déterminer le caractère infondé d’une demande d’asile à la frontière, de l’usage de la visioconférence dans des conditions plus restrictives et de l’entrée en vigueur de ces dernières garanties dès la promulgation de la loi.

Mais, dans le même temps, on constate que la commission n’a pas saisi toutes les occasions pour améliorer la procédure des demandes d’asile à la frontière.

Elle n’a pas souhaité réaffirmer le droit d’être assisté d’un avocat et d’une interprète.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Elle ne peut pas le faire trente-six fois !

M. Charles Gautier. Elle a rejeté la proposition tendant à faire siéger obligatoirement la Cour en formation collégiale, compte tenu de l’urgence, justement !

Enfin, la commission a aussi rejeté l’exigence de recueillir le consentement de l’étranger à la tenue d’une audience foraine et le droit pour lui de s’opposer à l’utilisation de la visioconférence.

Le groupe socialiste déplore également que la commission n’ait pas souhaité préciser suffisamment la notion de demande d’asile « manifestement infondée », ni instaurer de voie de recours contre les décisions de la CNDA. Mais peut-être, après les travaux de la commission des lois, qui s’est réunie ce matin, allons-nous poursuivre notre réflexion lors de la discussion des articles de la proposition de loi.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe socialiste a déposé un certain nombre d’amendements sur ce texte qui, en l’état, est bien loin de nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit d’asile et, plus généralement, l’immigration sont des questions sensibles. Notre Haute Assemblée a eu à en connaître en 2007, avec l’étude du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile. La semaine passée encore, un débat sur ce thème était organisé au sein de notre assemblée et une proposition de loi socialiste était âprement débattue à l’Assemblée nationale.

Dès 2007, dans le rapport qu’il remettait au nom de la commission des lois, notre collègue François-Noël Buffet souhaitait que la réforme de la Cour nationale du droit d’asile fût l’occasion d’engager une réflexion plus large sur le champ de compétence de cette juridiction.

La CNDA étant la juridiction spécialisée en matière d’asile, c’est avant tout dans un souci de cohérence qu’il convient de lui confier également les recours contre les décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. En effet, la loi de 2007 attribuait la compétence relative à ces recours aux tribunaux administratifs, mais leur expertise est naturellement moins assurée dans ce domaine que celle de la CNDA, qui est une juridiction spécialisée.

Par conséquent, selon moi, cette réforme introduit une simplification et une rationalisation nécessaires.

Elle constitue une avancée en faveur des droits des demandeurs d’asile, puisque ces derniers verront leurs recours examinés par des magistrats spécialisés. Dans la même optique, je tiens à saluer l’adoption en commission d’un amendement tendant à allonger le délai de recours pour le porter de quarante-huit à soixante-douze heures. Cela répond, me semble-t-il, à une critique récurrente des associations d’aide aux demandeurs d’asile.

Permettez-moi également de souligner l’apport de la commission pour encadrer l’appréciation du caractère manifestement infondé de la demande.

Le contentieux de l’asile a connu de fortes évolutions ces dernières années, principalement depuis la réforme de 2007.

Malgré la création du référé-liberté en 2000, le nombre des recours était resté très résiduel jusqu’en 2007. À la veille de la réforme, seulement quatre-vingt-douze de ces référés avaient été formés.

En 2008, après l’adoption du caractère suspensif du recours sous la pression de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, a eu lieu une explosion du nombre des recours, voire une systématisation de ceux-ci, avec l’aide d’avocats spécialisés ; c’était prévisible ! De fait, les recours ont décuplé. On est en effet passé de moins d’une centaine de requêtes à plus de mille requêtes par an et, depuis le début de l’année 2009, cette inflation semble perdurer, puisqu’une centaine de requêtes seraient formées chaque mois.

Ces chiffres démontrent les évolutions rapides de ce contentieux particulier et la nécessité d’un traitement par des magistrats spécialisés, afin de garantir une efficacité maximale dans l’examen des recours, que la réponse soit positive ou négative.

Cette proposition de loi m’apparaît donc justifiée.

Cela étant, le succès d’un transfert du contentieux de l’asile à la frontière à la CNDA ne sera bénéfique que si certaines conditions sont réunies.

Il faut que la réforme de la CNDA prévue par la loi de 2007 soit suffisamment rapide et approfondie. Or, même si la loi de finances initiale pour 2009 prévoit les crédits nécessaires à l’augmentation du nombre de magistrats permanents au sein de la Cour, ce nouveau recrutement a été « calibré » sans tenir compte d’un transfert du contentieux de l’asile prévu dans la présente proposition de loi.

À mon tour, je rappelle que l’obligation de statuer dans un délai de soixante-douze heures – il est vrai que c’est une demande de la commission – imposera d’organiser des permanences.

Tous ces éléments illustrent la nécessité de prévoir un renforcement préalable des effectifs et des moyens de la CNDA. J’observe d’ailleurs que tout allongement des délais de jugement augmente les dépenses liées à la prise en charge des demandeurs d’asile telles que, entre autres, les frais d’hébergement et l’allocation temporaire d’attente. Par conséquent, limiter le nombre de magistrats pour des raisons budgétaires ne ferait qu’accroître les coûts par ailleurs.

Pour terminer, je souhaiterais m’adresser amicalement à mes collègues du groupe socialiste. Je le rappelle, cette proposition de loi a un objet technique précis : le transfert d’un contentieux des tribunaux administratifs vers une juridiction spécialisée.

M. François Zocchetto. Je m’interroge dès lors sur le lien avec les amendements relatifs à la suppression du supposé « délit de solidarité ».

M. Jean-Pierre Michel. C’est incroyable !

M. François Zocchetto. Prenons le temps d’examiner cette question spécifique.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. François Zocchetto. Le titre même de la proposition de loi, modifié par la commission, est sans ambiguïté et vise clairement à l’unification du contentieux de l’asile. Je ne vois donc pas, chers collègues de l’opposition, quel lien entretiennent vos amendements, au demeurant intéressants, avec le texte que nous allons examiner, d’autant que ces derniers ont déjà été rejetés par la commission des lois.

M. Jean-Pierre Michel. De quoi je me mêle ?

M. François Zocchetto. Monsieur Michel, vous introduisez dans le débat un sujet sur lequel vous avez le droit de connaître notre opinion ! (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.)

J’ajoute – et cela renforce ma position – qu’une proposition de loi reprenant les termes de ces amendements a d’ores et déjà été déposée au Sénat et à l’Assemblée nationale. Je souhaite – cela vous fera plaisir ! – que nous puissions en discuter dans les semaines ou les mois qui viennent. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue François-Noël Buffet a une histoire, qui a commencé le 8 janvier 2008 : M. Nicolas Sarkozy avait alors confirmé qu’il avait demandé au ministre de l’immigration de l’époque, M. Hortefeux, de supprimer la bizarrerie française consistant à avoir, en matière de droit des étrangers, deux ordres de juridiction, l’un public et l’autre judiciaire, assortis de deux jurisprudences contradictoires.

C’est dans ce contexte que, lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, avait été adopté à l’Assemblée nationale un amendement visant à insérer au sein de l’article 34 de la Constitution une disposition prévoyant que la loi fixe les règles relatives « à la répartition des contentieux entre les ordres juridictionnels, sous réserve de l’article 66 ». (M. le président de la commission des lois s’exclame.)

Cette disposition a heureusement été supprimée par le Sénat, même si, en juillet 2008, la commission présidée par Pierre Mazeaud sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration proposait d’« unifier le contentieux des demandeurs d’asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ».

Néanmoins, nous nous attendions à ce que, sous une forme ou sous une autre, la question de la répartition des contentieux, plus spécifiquement des étrangers et des demandeurs d’asile, réapparaisse à un moment donné. C’est chose faite !

Le groupe CRC-SPG est opposé à toute création d’une juridiction spéciale pour les étrangers. Extraire ce contentieux du droit commun tendra inévitablement vers un affaiblissement des droits des étrangers. En effet, cela instaure une justice à deux vitesses, avec, à terme, des garanties procédurales au rabais. La preuve en est que le Gouvernement envisage la suppression du rapporteur public dans le contentieux des étrangers. Son objectif essentiel, en unifiant le contentieux des étrangers, est de rendre toujours plus « efficace » la mise en œuvre de la politique d’expulsion et d’éloignement des étrangers. La justice doit donc être plus expéditive, aux dépens, bien évidemment, des garanties juridictionnelles qui entourent encore aujourd’hui l’éloignement des étrangers.

Par ailleurs, cette proposition de loi tend à assimiler le droit applicable aux demandeurs d’asile et le droit applicable aux autres étrangers, confusion délibérément entretenue par le Gouvernement, puisque les questions de l’asile et de l’immigration ressortissent indistinctement au ministère de l’immigration, alors que, auparavant, l’asile relevait du ministère des affaires étrangères.

Le droit d’asile est un droit fondamental, reconnu depuis la Révolution française et aujourd’hui garanti par notre Constitution et par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il s’agit de la protection qu’un État peut offrir à un individu victime de persécutions ou d’une guerre civile ; il faut donc le distinguer des mouvements migratoires économiques ou familiaux.

Or l’amalgame entre demandeurs d’asile et étrangers économiques conduit à confondre, comme c’est le cas avec cette proposition de loi, le contentieux lié à la demande d’asile et celui qui est lié à l’entrée et au séjour des étrangers.

En reprenant la préconisation de la commission présidée par Pierre Mazeaud, cette proposition de loi constitue, à n’en pas douter, la première pierre d’un édifice bien plus vaste tendant à extraire l’ensemble du contentieux des étrangers de la compétence de la juridiction administrative. En effet, elle prévoit de transférer à la Cour nationale du droit d’asile le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile, au motif que le juge administratif serait moins qualifié que les magistrats de la CNDA pour statuer sur ce contentieux.

Actuellement, la CNDA est compétente pour statuer sur les décisions de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, accordant ou n’accordant pas le statut de réfugié. Elle est donc compétente pour se prononcer sur une question liée uniquement à l’asile. Si la CNDA devient compétente pour statuer sur l’entrée sur le territoire français, pourquoi ne le deviendrait-elle pas alors pour ce qui concerne la sortie du territoire et, enfin, le séjour ? Deviendra-t-elle une juridiction spécialisée pour l’ensemble du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ? La question mérite d’autant plus d’être posée qu’une réponse positive entraînerait une rupture sans précédent avec le principe de séparation de l’asile et du droit des étrangers.

Cette proposition de loi présente donc, selon nous, un risque réel de dénaturation du contentieux lié au refus de l’entrée sur le territoire français au titre de l’asile. Ce refus est une mesure de police administrative, qui se contente d’apprécier le caractère manifestement fondé ou infondé de la demande. Elle ne peut ni ne doit préjuger l’attribution du statut de réfugié.

Le recours exercé est un recours en excès de pouvoir et non un recours de plein contentieux. La CNDA n’est pas plus qualifiée que le juge administratif de droit commun pour statuer sur une mesure de police et, donc, sur un recours pour excès de pouvoir. Au contraire, si l’on se fie à l’« intime conviction » du magistrat chargé de statuer, comme nous y invite l’Union syndicale des magistrats administratifs, il y a fort à parier que la tendance naturelle de la CNDA sera de statuer a priori sur la demande d’asile et de préjuger le statut de réfugié du demandeur.

Ces observations confirment qu’il existe bel et bien un risque que, à terme, l’examen au fond de la demande d’asile se fasse à la frontière, en même temps que l’examen du caractère fondé ou non de la demande d’asile, par la seule Cour nationale du droit d’asile.

Cette situation appelle une autre remarque : actuellement, les étrangers qui se soumettent à la loi et se présentent à la frontière pour demander l’asile sont soumis à des règles plus sévères que les étrangers en situation irrégulière se rendant en préfecture après un mois, un an, voire plus, passé sur le territoire.

Les conditions restrictives de la procédure telles qu’un délai de recours bref et un maintien en zone d’attente pouvant être prolongé jusqu’à vingt-six jours, ainsi que la limitation de certaines garanties fondamentales – je pense aux audiences foraines et aux visioconférences –, s’appliquent en effet aux étrangers demandant l’asile à leur arrivée à la frontière, ce qui revient en quelque sorte à privilégier les étrangers en situation irrégulière qui se manifestent à l’autorité publique.

Enfin, ce transfert du contentieux du juge administratif de droit commun à la CNDA risque de déstabiliser fortement cette dernière. M. le rapporteur ne pourra qu’être d’accord avec moi sur ce point, puisqu’il le souligne dans son rapport. Au tribunal administratif de Paris, le contentieux lié au refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile n’est à l’origine d’aucune difficulté de gestion particulière, car il n’est pas massif. L’argument consistant à mettre en avant le désengorgement du tribunal administratif de Paris n’est donc pas valable.

C’est au contraire la CNDA qui risque de se trouver encore plus engorgée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Les délais de traitement des recours devant la CNDA sont déjà longs ; ils n’ont cessé d’augmenter depuis 2003, passant de huit mois environ à treize mois en 2008. Ajouter un nouveau champ de compétence à la CNDA aura sans aucun doute pour effet d’augmenter une pression contentieuse déjà forte, d’autant plus que le recours dont nous parlons aujourd’hui devra être examiné dans un délai très bref de soixante-douze heures. Cet examen sera donc prioritaire par rapport aux autres recours, ce qui se traduira inévitablement par un allongement des délais d’examen des recours contre les décisions de l’OFPRA.

Vous-même, monsieur le rapporteur, vous vous interrogez sur l’opportunité de transférer ce contentieux à la CNDA : « Alors que la CNDA est déjà sous tension et a un délai moyen de jugement de plus d’un an, comment pourrait-elle absorber sans dommage cette charge de travail supplémentaire ? », écrivez-vous en effet dans votre rapport.

Cette proposition de loi ne présente donc aucun avantage, qu’il s’agisse d’améliorer, pour les étrangers, l’effectivité du recours ou de décharger le tribunal administratif de Paris de ce contentieux. Les arguments présentés pour la justifier sont sans fondement au regard tant de la pratique actuelle que de la comparaison avec des systèmes juridictionnels étrangers. Si l’on excepte les cas du Royaume-Uni et de la Belgique, dans les grandes démocraties, le contentieux des étrangers n’est pas unifié et ne dépend pas de juridictions spécialisées. La situation du Royaume-Uni s’explique par le fait qu’il s’agit d’un pays de common law, celle de la Belgique par le fait qu’il n’existe pas, comme en France, de tribunaux administratifs et de cours administratives d’appel, le Conseil d’État de Bruxelles demeurant encore aujourd’hui le juge de droit commun du contentieux administratif en première instance. La comparaison entre la situation française et les pratiques étrangères n’est par conséquent pas possible.

Nous sommes donc opposés au transfert à la Cour nationale du droit d’asile du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. L’examen de nos amendements nous permettra de développer plus précisément nos arguments à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet a pour objet de corriger les dispositions de la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, qui se sont manifestement révélées difficilement applicables.

Je souhaite en premier lieu souligner tout à la fois cette initiative parlementaire et la qualité de l’expertise de M. le rapporteur de la commission des lois. La semaine dernière, lors du débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, j’avais été amenée à formuler le vœu d’une simplification et d’une clarification du droit des étrangers. Même modestement, ce texte y participe.

Je ne reviendrai pas sur le dispositif législatif, qui a été largement exposé, préférant évoquer les difficultés auxquelles ont été confrontés tant les praticiens du droit des étrangers que les étrangers susceptibles de bénéficier du dispositif spécifique d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile.

Ces difficultés me paraissent être principalement de trois ordres.

Il convient tout d’abord de rappeler le difficile équilibre entre les légitimes exigences du principe de souveraineté de l’État et le respect tout aussi fondamental du principe de non-refoulement et d’immunité pénale. La notion de demande d’entrée en France « manifestement infondée » a fait l’objet de nombreuses controverses qu’il convient de lever.

Ensuite, les délais de recours, jusqu’ici fixés à quarante-huit heures, contre les décisions du ministre chargé de l’immigration de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile sont trop courts, lorsqu’ils expirent en fin de semaine ou à l’occasion de « ponts » pour jours fériés, pour permettre à l’étranger de former une demande en annulation de la décision incriminée.

Enfin, l’exigence d’une requête « motivée » pour former une telle demande en annulation est, à l’évidence, incompatible avec la situation fragilisée de l’étranger, confronté, au-delà des traumatismes personnels, à la barrière de la langue.

Sur ces trois points particuliers, la commission a, me semble-t-il, opté pour un texte équilibré, prenant en compte tant les analyses de son rapporteur que des amendements opportuns.

S’appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1992, le nouvel article 6 de la proposition de loi limite le champ des investigations utiles pour déterminer si la demande d’entrée en France est fondée ou infondée. Elle conforte en cela fort opportunément la distinction entre deux procédures, la demande d’entrée sur le territoire français, d’une part, la demande du bénéfice du droit d’asile, d’autre part. La première a un caractère d’urgence, incompatible avec le principe d’enquête approfondie ; la seconde emporte, à l’inverse, vérification des déclarations de l’étranger et contrôles divers. Dans cette nouvelle forme, l’article L. 213-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile se veut respectueux de l’intégrité et de la dignité de la personne humaine.

S’agissant des délais de recours, l’expérience a montré les limites de la période de quarante-huit heures initialement fixée, contre laquelle se sont élevés aussi bien le Syndicat de la juridiction administrative, France Terre d’Asile ou l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, l’ANAFé, autant d’instances qui sont quotidiennement confrontées à cette problématique.

Il faut espérer que le fait de porter de quarante-huit heures à soixante-douze heures le délai permettra que les droits au recours des étrangers soient intégralement préservés, en particulier lors des périodes spécifiques de week-ends prolongés, que j’ai évoquées tout à l’heure.

Enfin, la commission a accepté de supprimer l’exigence d’une « requête motivée », qui devait accompagner la demande d’annulation. Cette nouvelle formule, outre la simplification qu’elle emporte, protège l’étranger contre le risque de voir sa demande rejetée pour défaut de motivation suffisante, appréciation qui peut être aléatoire. Une fois encore, je ne peux que souligner combien les étrangers entrant sur notre territoire pour demander le bénéfice du droit d’asile sont en situation de précarité et de particulière fragilité, ce qui rend improbable l’élaboration raisonnée d’une « requête motivée ».

Outre ces trois points, la proposition de loi fixe les conditions dans lesquelles peuvent être tenues les audiences foraines. En effet, dès lors que la juridiction chargée du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile a compétence nationale et qu’elle est implantée à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, il est indispensable de donner la possibilité aux étrangers de présenter sur d’autres points du territoire leurs recours dans les mêmes conditions de garantie de leurs droits.

Il m’aurait paru souhaitable que le texte même de la proposition de loi précisât les conditions matérielles du déroulement de l’audience, notamment s’agissant des visioconférences. Toutefois, je veux bien admettre qu’il s’agit là de dispositions réglementaires, et je ne saurais donc trop insister, monsieur le ministre, pour que le décret en Conseil d’État prévu à cet effet intervienne très rapidement après la promulgation de la loi.

Enfin – et c’est là le point essentiel de cette proposition de loi –, le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile est transféré du tribunal administratif de Paris à la Cour nationale du droit d’asile.

Dans le débat sur la politique de lutte contre l’immigration clandestine, organisé le 29 avril dernier sur l’initiative du groupe du RDSE, mon collègue Jacques Mézard et moi-même avons eu l’occasion de nous interroger sur l’intérêt de la multiplication des juridictions, administratives et judiciaires, pour régler des procédures à caractère administratif.

Nous voulons renouveler notre opposition de principe à un tel système.

Néanmoins, nous devons être pragmatiques et admettre l’existence de la toute récente Cour nationale du droit d’asile, dont M. Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, disait qu’elle pourrait permettre « d’unifier le contentieux des demandeurs d’asile sur un juge spécialisé, plus qualifié en la matière que le juge administratif de droit commun ».

Il me paraît donc raisonnable d’envisager un tel transfert, garant d’une meilleure prise en compte des demandes d’entrée sur notre territoire au titre de l’asile, sous la condition expresse que les moyens nécessaires à ce transfert soient effectivement mis en place. Je n’ignore pas que, lors de sa séance du 24 mars dernier, le Sénat a adopté un amendement afin que soit permis le recrutement de magistrats administratifs ou judiciaires au sein de la Cour nationale du droit d’asile pour assumer les fonctions de président de section, et que la loi de finances initiale pour 2009 a également prévu les crédits nécessaires au recrutement de dix magistrats permanents.

Monsieur le ministre, s’agissant des trois premiers points que j’ai évoqués, je ne doute pas que vous mettrez tout en œuvre pour que les dispositions de cette proposition de loi, qui, selon la quasi-unanimité du groupe du RDSE va dans le bon sens, puissent s’appliquer très concrètement dès le lendemain de la promulgation de la loi. S’agissant de la Cour nationale du droit d’asile, les conditions d’exercice de ses nouvelles compétences imposent un délai que, j’en suis persuadée, vous mettrez certainement un point d’honneur à réduire autant que possible.

Je veux rester confiante dans notre volonté commune, Sénat et Gouvernement, de trouver les outils législatifs les plus conformes aux principes essentiels de notre République qui, en l’occurrence, se nomment souveraineté de l’État et respect de la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)