M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, mes chers collègues, modifier le règlement de notre assemblée est à l’évidence un acte politique.

C’est une nouvelle étape du chemin que nous avons commencé à tracer en juillet 2008, en adoptant la plus importante réforme constitutionnelle depuis 1958, dont l’objectif était d’accorder une place plus grande au Parlement dans l’élaboration de la loi et dans sa capacité à contrôler et évaluer l’action gouvernementale.

M. Serge Lagauche. C’est mal parti !

M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas si sûr !

Ces premiers changements sont entrés en vigueur le 1er mars dernier, avec le partage de l’ordre du jour ou la discussion en séance du texte adopté par la commission.

L’étape d’aujourd’hui est une occasion de moderniser notre loi intérieure. Il ne faut pas la manquer sans pour autant la figer.

Le règlement du Sénat est la référence indispensable pour l’organisation pratique de nos travaux, sur laquelle chacun d’entre nous doit pouvoir s’appuyer. De sa teneur dépend, en partie, la qualité de notre travail.

Le règlement, c’est l’instrument d’équilibre des pouvoirs, c’est le premier outil politique donné au législateur pour lui permettre de s’exprimer dans le cadre du mandat qu’il a reçu du peuple.

Réviser ce règlement constitue, pour le Sénat, une chance de consolider sa spécificité, sa légitimité et l’exigence qui est la sienne dans l’exercice de ses missions constitutionnelles.

C’est dire l’importance de cette proposition de résolution pour la vie du Sénat : son contenu conditionnera, pour les années à venir, nos méthodes de travail au service de la démocratie et de l’intérêt général.

Modifier notre règlement nécessitait, conformément à notre tradition, de rechercher un accord global des différents groupes sur les grandes orientations qu’il convenait de prendre.

C’était d’autant plus nécessaire – cela a été dit, mais je le répète – qu’aucun groupe, depuis 1958, n’a détenu à lui seul la majorité absolue au sein de notre assemblée, à l’exception de l’UMP entre 2002 et 2008.

Dans ce domaine, il aurait été déraisonnable, et sans doute irréalisable, de vouloir passer en force. La modernisation du Sénat est, en effet, l’affaire de tous.

Ainsi, la décision que vous avez prise, monsieur le président, de constituer, dès le mois d’octobre, un groupe de travail très large et pluraliste s’est avérée judicieuse et déterminante. Pendant six mois, sous votre autorité, une réflexion approfondie et ouverte a été menée, dans un climat où la confrontation des idées s’est toujours révélée constructive et respectueuse des opinions d’autrui. Je veux vous rendre hommage, monsieur le président, pour cette initiative qui a rendu ce travail possible.

Je veux également féliciter les deux rapporteurs de ce groupe de réflexion, Bernard Frimat et Jean-Jacques Hyest, qui ont su écouter les préoccupations exprimées par l’ensemble des participants et les traduire dans les mesures proposées. C’est du moins ce que j’ai ressenti.

La démarche poursuivie a été fructueuse, puisque les orientations de cette proposition de résolution recueillaient, me semblait-il, lors des réunions de ce groupe de travail, l’assentiment global des groupes constituant notre assemblée.

Elle s’articule autour de quatre axes : l’approfondissement du pluralisme sénatorial ; la recherche d’une organisation plus efficace de notre travail ; la modernisation des procédures de contrôle en séance publique ; enfin, le renforcement de l’action du Sénat en matière européenne.

Il s’agit, comme le soulignait très justement notre rapporteur, Patrice Gélard, d’un texte à la fois consensuel et équilibré, même si j’ai entendu, depuis le début de l’après-midi, des variations sur ce thème que je n’avais pas pressenties auparavant.

Notre groupe souscrit aux grandes orientations de cette réforme.

La nouvelle organisation de l’agenda du Sénat va transformer nos habitudes de travail.

Avec un temps clairement défini pour les groupes politiques, pour les commissions et pour la séance publique, chaque sénateur pourra s’investir dans les différents travaux de notre assemblée.

Conformément à l’esprit général qui a animé les débats du groupe de travail, la proposition de résolution conforte et approfondit le pluralisme sénatorial.

Il faut le reconnaître, les groupes politiques sont les moteurs essentiels de la vie parlementaire. C’est d’eux que tout procède. Il était important de garantir une meilleure représentation de chacun d’entre eux au bureau du Sénat ou aux bureaux des commissions et de leur accorder de nouveaux droits, comme le droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête et d’une mission commune d’information. Nous n’avons pas à éprouver de réticence pour améliorer la situation.

Les groupes de l’opposition et les groupes minoritaires bénéficient désormais de droits spécifiques, notamment dans le cadre de la journée mensuelle réservée. Ce sont là des avancées majeures et concrètes qui méritent d’être soulignées et constituent assurément un véritable tournant dans la Ve République.

La conférence des présidents va devenir le lieu d’arbitrage et d’organisation de la séance. Elle sera appelée à jouer un rôle essentiel dans le déroulement de nos débats. Nous nous félicitons que les groupes politiques en deviennent les acteurs centraux, puisqu’il sera désormais attribué à chaque président de groupe un nombre de voix égal au nombre des membres de son groupe, déduction faite, bien sûr, de ceux qui participent à la conférence des présidents.

Nous considérons également comme un progrès la possibilité pour la conférence des présidents de décider d’organiser un débat préalable d’orientation en séance plénière, peu de temps après le dépôt d’un projet de loi. Le président de la commission des lois le rappelait tout à l’heure, le groupe UMP du Sénat appelait de ses vœux un tel débat, car il permettra aux porte-parole des groupes, du moins est-ce là mon souhait, d’exprimer leur position en amont des travaux de la commission saisie au fond.

Les questions cribles, enfin, favoriseront la spontanéité de nos échanges avec les membres du Gouvernement, dans un esprit de réactivité par rapport à l’actualité. Cette nouvelle catégorie de questions donnera aux sénateurs la possibilité de s’exprimer sur un mode plus direct. C’est là une excellente manière de moderniser notre travail.

L’ensemble de ces dispositions donnera une nouvelle dynamique à notre vie parlementaire.

Permettez-moi cependant, à ce stade de mon propos, de formuler une crainte, un regret et un souhait qui rejoignent les positions que j’ai défendues avec constance, même si la plupart n’ont pas été retenues, lors des réunions de notre groupe de travail.

Une crainte tout d’abord : le risque de la répétition des débats en commission, puis en séance publique.

M. René Garrec. Très juste !

M. Jean-Pierre Sueur. L’examen du projet de loi sur l’hôpital le montre !

M. Henri de Raincourt. Absolument !

La question reste entière : comment mieux articuler les travaux de la commission et l’examen des textes en séance publique ?

Est-il souhaitable qu’un même amendement puisse être examiné trois fois : lorsque la commission établit son rapport, lorsqu’elle délibère sur les amendements extérieurs, enfin lorsque le texte est examiné en séance publique ?

Cette situation, si elle n’est pas maîtrisée, risque de provoquer la paralysie de l’ordre du jour.

M. Nicolas About. Adoptez mon amendement !

M. Henri de Raincourt. L’examen du projet de loi dit « hôpital, patients, santé, territoires », même s’il se déroule dans un climat sérieux et serein qu’il faut saluer, n’a pas véritablement apaisé ma crainte. Il met en évidence un certain nombre de difficultés qui s’expliquent par ce que nous sommes dans une période d’adaptation, mais auxquelles il nous faudra apporter des réponses.

Ces considérations, de bon sens me semble-t-il, m’incitent à formuler un regret que j’ai souvent exprimé lors des réunions de notre groupe de travail.

Le groupe UMP aurait en effet souhaité que nous tirions mieux les conclusions de cette nouvelle donne dans l’organisation de la séance publique, même si la tradition sénatoriale ne justifiait pas le recours au « temps législatif programmé ».

Nous pensons que cette question, pour des raisons pratiques, devra être revue à la lumière de l’expérience partagée.

L’article 24 de la proposition de résolution réduit le temps de présentation des amendements, qui sera désormais de trois minutes. Cela permettra-t-il réellement de raccourcir nos débats ? Nous avions, pour notre part, suggéré que les modalités de prise de parole sur les articles et les explications de vote soient réexaminées.

Les amendements de suppression d’un article seront désormais systématiquement disjoints de la discussion commune. C’est un progrès. Nous sommes nombreux à reconnaître que les « tunnels » d’amendements rendent nos débats confus et démobilisent les parlementaires. Cette question, à l’évidence, méritera aussi d’être à nouveau posée.

M. Guy Fischer. Il veut nous faire taire !

M. Henri de Raincourt. L’article 19 a permis de dégager un accord sur l’organisation de la clôture du débat. Ce mécanisme est bon dans son principe. Il fait partie des efforts que j’ai consentis pour obtenir un accord global.

M. André Dulait. Très bien !

M. Henri de Raincourt. Je pense néanmoins qu’il s’appliquera, en pratique, dans peu de cas.

M. Jean-Pierre Sueur. Tant mieux !

M. Henri de Raincourt. Absolument ! Car, pour rallonger les débats, il n’y a pas mieux !

Conçu pour sortir nos débats de l’enlisement, ce mécanisme risque de se retourner toujours contre son utilisateur, qui se verra instantanément accusé – on connaît la chanson ! – de vouloir empêcher le débat et bâillonner la représentation nationale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

À cet égard, monsieur le président, il serait utile, à un moment ou à un autre du déroulement d’un débat, de publier les statistiques qui feraient le point sur les prises de parole et sur la part qui en revient au Gouvernement, à la commission, aux sénateurs s’exprimant à titre individuel ou aux représentants des groupes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme Isabelle Debré. Excellente idée !

M. Henri de Raincourt. On sera certainement surpris de connaître ces chiffres : ils montreront que ceux qui accusent le plus souvent leurs collègues de vouloir bâillonner la discussion en séance publique ou de sacrifier les droits de l’opposition sont aussi ceux qui utilisent le plus largement toutes les possibilités dont ils disposent. Je crois que, sur ce sujet, nous faire un procès d’intention serait véritablement malvenu.

M. Guy Fischer. Vous ne voulez pas déplaire au Gouvernement ! Il faut voter les textes conformes !

M. Henri de Raincourt. Je vous donnerai les chiffres sur le projet de loi sur l’hôpital, mon cher ami, et vous verrez que vous êtes en la matière le champion toutes catégories – ce pour quoi je suis très admiratif ! (Sourires.)

M. Henri de Raincourt. Mes chers collègues, nous sommes tous pleinement attachés à la séance publique et au respect du droit d’expression de chacun. Mais conduire une nouvelle réflexion sur des solutions plus audacieuses pour le déroulement de nos débats est un exercice auquel nous serons un jour contraints de nous livrer, et ce pour deux raisons pratiques.

En premier lieu, l’ordre du jour est désormais partagé entre le Parlement et le Gouvernement. Cela nous conduit, en règle générale, à devoir examiner en deux semaines ce que nous examinions auparavant en quatre semaines. Je fais partie de ceux qui militaient pour que cette répartition ne se fasse pas en deux parts égales, mais que trois semaines soient réservées à l’initiative gouvernementale et une semaine à l’initiative parlementaire, sénatoriale en l’occurrence.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ce qu’avait voté le Sénat !

M. Henri de Raincourt. Dans la pratique, nous le constaterons, c’est vers cette réalité que nous tendrons.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-Pierre Sueur. On le voit déjà !

M. Henri de Raincourt. Oui, on le voit déjà, mais ce n’est pas au détriment de vos groupes, mes chers collègues : c’est au détriment du groupe UMP ! Pour autant, nous faisons ce sacrifice de bon cœur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est bien normal !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous n’y êtes pas obligés !

M. Henri de Raincourt. Non seulement c’est normal, madame, mais nous le faisons de bon cœur, je viens de le dire, parce que nous voulons absolument favoriser la réussite de la politique gouvernementale !

En second lieu, la discussion en séance publique porte sur le texte de la commission : lorsqu’elle intervient, un débat important s’est donc déjà tenu au sein de la commission, et en présence, s’il le décide, du Gouvernement. La volonté du constituant était de permettre que la séance soit le lieu où nous nous concentrions en priorité sur les points les plus sensibles et les dispositions les plus politiques. Or, en réalité, nous constatons que nous entrons de plus ne plus avant dans le détail des mesures.

M. Josselin de Rohan. Exactement !

M. Henri de Raincourt. Il nous faudra donc étudier comment mieux coordonner le moment de la commission et celui de la séance, une grande partie du travail parlementaire se jouant dorénavant en commission.

Je me permettrai simplement de rappeler, sous votre regard bienveillant, monsieur le président, que voilà vingt ans, en 1989, nous étions trois – vous-même, notre collègue Guy Allouche et moi-même – à déjà appeler à l’évolution de l’organisation de nos travaux en séance publique, parce que nous souhaitions que celle-ci soit véritablement le lieu du débat politique.

M. Guy Fischer. Vous étiez des précurseurs !

M. Henri de Raincourt. Une des raisons de la désaffection des parlementaires à son égard, c’est justement que nous entrons beaucoup trop dans le détail. Nous devons profiter du renforcement du travail en commission pour repenser ce nouvel équilibre, sans, naturellement, nuire à la liberté d’expression de chacune et de chacun d’entre nous.

M. Henri de Raincourt. C’est pour les mêmes raisons que deux de mes collègues présidents de groupe et moi-même sommes très attachés à ce que la présence d’un de nos collaborateurs pendant les réunions des commissions devienne le plus rapidement possible une réalité ; nous aurons l’occasion d’y revenir.

Enfin, mes chers collègues, permettez-moi de formuler un souhait.

Cette proposition de résolution, que nous soutenons, constitue à l’évidence une première étape. Cependant, la modification de notre règlement ne sera pas à elle seule suffisante pour parachever la réforme amorcée par la révision constitutionnelle de juillet dernier. Notre pratique sera à cet égard décisive.

Un certain nombre d’évolutions proviendront de notre propre comportement comme de celui du Gouvernement.

La conviction de notre groupe est qu’il appartient à chacun d’entre nous de participer à cette nécessaire modernisation de nos méthodes de travail, la crainte du changement ne devant pas l’emporter sur la perspective d’un Sénat plus moderne et plus efficace. Car c’est bien l’objectif de votre proposition de résolution, monsieur le président : contribuer, par notre règlement, à la modernisation de notre institution tout entière.

Une phase d’expérimentation va maintenant s’ouvrir. Nous verrons au plus tard dans un an – mais rien ne nous interdit d’y procéder auparavant ! – si des ajustements ou des modifications sont nécessaires.

Les sénateurs de mon groupe, je le répète, ont fait beaucoup d’efforts et de concessions pour rechercher un accord global. Nous regretterions si, au moment de décider, l’ensemble des groupes politiques, comme j’ai cru en percevoir tout à l’heure la possibilité, ne manifestaient pas cet accord par leur vote et ne ratifiaient pas les conclusions auxquelles nous sommes parvenus dans un accord quasi global. Il serait sympathique que celui-ci puisse se traduire dans le résultat du scrutin qui interviendra sous peu !

Le groupe UMP votera votre proposition de résolution, monsieur le président, et je souhaite que l’application de ce nouveau règlement apporte un nouveau souffle à l’institution parlementaire, dans un esprit de fidélité à la Ve République, à laquelle nous sommes profondément attachés. (Bravo ! Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, mes chers collègues, la réforme du règlement de la Haute Assemblée que nous nous apprêtons à examiner doit constituer l’ultime étape du processus de transformation du travail parlementaire engagé au printemps 2008 et mettre un terme, définitif peut-être, à la subordination permanente du Parlement à l’exécutif, subordination voulue par le constituant de 1958. Elle s’inscrit également dans la suite du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 avril dernier.

« Chambre d’enregistrement », « Parlement croupion » : les qualificatifs désobligeants à l’égard de la représentation nationale ont malheureusement traduit dans l’esprit commun l’essence de la Ve République et, surtout, de sa pratique, qu’il s’agisse de la limitation du domaine de la loi, de l’impuissance du Parlement dans la maîtrise de la procédure législative ou de son ordre du jour, ou encore de l’interdiction qui lui est faite de proposer des dépenses nouvelles. Autant de critiques que les Radicaux, viscéralement attachés aux droits du Parlement, ne cessent de dénoncer depuis 1958, et plus encore depuis qu’ils militent pour la VIe République sous la forme d’un régime présidentiel, le seul à leurs yeux qui permette d’avoir un Parlement fort et puissant faisant jeu égal avec l’exécutif. Car c’est bien cela qui doit être l’objectif de toute réforme du travail parlementaire !

En fait de rationalisation du parlementarisme comme réponse au régime d’assemblée de la IVe République, la Ve République a institutionnalisé un déséquilibre entre les pouvoirs dont nous mesurons encore les conséquences désastreuses : inflation des textes, instabilité juridique, verbiage législatif, mélange du domaine législatif et du domaine réglementaire, quasi-immunité du Gouvernement, trop grande soumission de la majorité parlementaire au Gouvernement…

La dernière révision constitutionnelle fut certes le théâtre de vifs débats et de clivages parfois majeurs. Mais quelles que furent alors les positions de chacun, positions toujours responsables et donc respectables, le sens républicain nous impose aujourd’hui de prendre acte de l’applicabilité de ce texte et d’aller au bout de sa logique en mettant notre règlement en conformité avec ses dispositions.

Toutefois, cette réforme du règlement du Sénat doit être bien davantage qu’une simple mise en œuvre de la révision constitutionnelle. Il nous faut aller bien au-delà et utiliser toutes les possibilités que nous confère la nouvelle Constitution et elles sont nombreuses, il faut le reconnaître. Il ne faut pas, mes chers collègues, nous contenter d’une réforme a minima de notre règlement. Il nous faut être ambitieux pour le Parlement, pour le Sénat et pour nous-mêmes. Notre règlement est non pas un simple « règlement intérieur », mais bien un texte qui peut nous amener à rénover en profondeur notre démocratie parlementaire. Encore faut-il s’en donner les moyens et aller au bout de la logique de revalorisation du Parlement !

Nous sommes aujourd’hui engagés dans un processus irréversible de transformation de nos méthodes de travail. De profondes modifications voulues par la révision constitutionnelle sont déjà à l’œuvre, elles doivent s’accompagner de nouveaux changements. Par exemple, l’examen en séance publique du texte issu des travaux de la commission est une exigence de la réforme, mais en l’état, force est de constater qu’elle ne donne pas entière satisfaction et pose, on le voit bien avec le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires ou encore avec le projet de loi portant engagement national pour l’environnement dit « Grenelle II », une série de problèmes aussi bien pour les commissions, pour les groupes que pour les sénateurs eux-mêmes.

Nous ne pourrons pas encore longtemps faire du neuf avec du vieux ! Il nous faut, mes chers collègues, dépoussiérer nos outils parlementaires, changer nos habitudes de travail et revoir nos modes de fonctionnement et nos équilibres internes – parfois un peu déséquilibrés, il faut bien le dire – entre groupes politiques, d’une part, et entre groupes politiques et commissions, d’autre part. Nous ne pourrons en faire l’économie encore longtemps ! Le train de la réforme du travail parlementaire – fût-il un train de sénateurs !  – est en marche, il s’accélère et la réforme finira par aboutir pleinement.

Mes chers collègues, la révision constitutionnelle a enfin acté l’existence du pluralisme parlementaire en reconnaissant, à travers l’article 51-1 de la Constitution, qu’à côté des groupes de la majorité existent des groupes de l’opposition et des groupes minoritaires qui disposent de « droits spécifiques ». Cette reconnaissance est un progrès ! Encore faut-il que les règlements des assemblées parlementaires donnent corps à ces « droits spécifiques » pour qu’ils deviennent réalité.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le cas !

M. Yvon Collin. Sur ce point, mon groupe, le RDSE, groupe minoritaire au sens constitutionnel, c’est-à-dire n’appartenant ni à la majorité ni à l’opposition ou plutôt appartenant aux deux car ayant un pied dans l’une et un pied dans l’autre, reste sur sa faim.

Une assemblée parlementaire, a fortiori le Sénat, ne peut pas fonctionner de façon binaire, bipolaire et duale dans un dialogue manichéen et artificiel entre une majorité et une opposition.

M. Yvon Collin. La vie parlementaire n’est certainement pas la vie politique et les groupes ne doivent plus se comporter comme le prolongement exclusif des partis politiques.

Faut-il rappeler ici que l’article 5 du règlement du Sénat, article qui restera inchangé, dispose que « les sénateurs peuvent s’organiser en groupes par affinités politiques »  et non pas par appartenance partisane ?

M. Yvon Collin. C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse de mon groupe puisqu’il est constitué de sénateurs appartenant à différentes familles politiques et à différents partis politiques, mais qui tous se rassemblent sur l’essentiel : des affinités politiques communes et des valeurs partagées. Voilà l’essence même de la vie parlementaire et du Parlement ! Loin d’être un groupe anachronique, nous sommes au contraire – je le crois vraiment – un groupe précurseur et plein d’avenir, surtout dans la période actuelle !

M. Yvon Collin. Dès lors, je donne acte à notre président, Gérard Larcher, à la lecture de l’intitulé de sa proposition de résolution, d’avoir voulu « conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est fait !

M. Yvon Collin. Je tiens également à saluer le travail du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement, dont nos collègues Bernard Frimat et Jean-Jacques Hyest étaient les rapporteurs. Je regrette néanmoins l’absence à leurs côtés d’un sénateur issu d’un groupe plus petit, voire minoritaire.

M. Jean-Pierre Plancade. Cela s’appelle un duopole !

M. Yvon Collin. Mes collègues du groupe du RDSE et moi-même ne pouvons nous satisfaire de la rédaction de cette proposition de résolution telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui. Comme je l’indiquais tout à l’heure, nous souhaitons aller encore plus loin pour donner corps à l’expression d’un pluralisme réel dans cet hémicycle et dans le Sénat plus largement.

Le groupe que j’ai l’honneur de présider, bien que modeste en nombre, entend bien prendre toute sa place dans le débat démocratique et peser politiquement plus que son poids réel. Et il le fera au travers de sa force de proposition et des principes intangibles qu’il défend !

Il incarne même à lui seul – si j’ose dire – le pluralisme qui doit être inhérent à l’expression des opinions dans notre assemblée. Notre tradition d’ouverture, de tolérance et de liberté, ainsi que notre composition plurielle, nous autorisent à considérer avec une acuité certaine l’impératif de garantir l’expression de la multiplicité des opinions parlementaires qu’impose désormais la Constitution.

Cependant, au-delà des dispositions accordées par la Constitution et plus encore par le règlement, il est un point qui joue en notre faveur dans le Sénat d’aujourd’hui : l’importance cruciale de l’avis des groupes minoritaires et des groupes charnières. Nombre de décisions majeures ne pourront désormais plus être prises sans tenir compte de l’opinion et des propositions d’un groupe comme le mien, au grand dam sans doute des partisans d’un bipartisme réducteur !

Nous nous en félicitons et entendons en faire le meilleur usage !

M. Yvon Collin. C’est pour nous comme une renaissance, d’autres diraient une « reconquête » !

C’est donc, vous l’aurez compris, avec un esprit de grande responsabilité que nous accueillons les prérogatives nouvellement accordées à des groupes minoritaires par l’article 51-1 de la Constitution. Il est donc regrettable, au titre du respect du pluralisme et de la transparence, que la présente proposition de résolution n’aille pas au bout de la logique sous-tendue par la révision constitutionnelle, la loi organique et la décision du Conseil constitutionnel.

C’est pourquoi nous proposerons, par nos amendements, que le règlement du Sénat prenne totalement la mesure de la place qui doit être accordée au pluralisme sénatorial. Nous proposerons d’augmenter les prérogatives des groupes minoritaires, pour l’heure trop peu nombreuses. Bref, pour nous, le compte n’y est pas !

Il convient ainsi d’atténuer les effets créés par l’application de la proportionnelle pour la répartition des postes au sein de notre Haute Assemblée, qui aboutit paradoxalement à une sous-représentation de certains groupes. Au contraire, il me paraît plus pertinent et surtout plus juste d’appliquer ce que je nommerai « la théorie du socle » et que j’ai si souvent défendue ces derniers mois devant vous, monsieur le président. Pourquoi ne pas la généraliser davantage dans le nouveau règlement ? Elle consiste à procéder dans un premier temps à une répartition égale entre l’ensemble des groupes d’une partie des postes et des temps de parole de manière à ce que nul ne soit lésé. Puis, dans un second temps, on peut alors procéder à une attribution proportionnelle des postes et des minutes restants. Ce mode de répartition a le mérite de combiner la représentation de l’ensemble des groupes avec la prise en compte de leur importance respective. Cette règle, qui sera bientôt applicable aux postes de vice-présidents de commissions, pourrait aisément être étendue à bien d’autres postes.

Le pluralisme sénatorial et l’esprit de la révision de juillet 2008 commandent également que la composition des commissions mixtes paritaires, dont on sait qu’elles jouent un rôle très important, comprenne au moins un membre de chaque groupe politique. Cette proposition correspond en tout point à la théorie du socle que je viens de développer. En outre, nous proposerons que chaque groupe dispose d’au moins deux questions s’agissant de la procédure dite des « questions cribles ». C’est, me semble-t-il, un minimum.

Par ailleurs, nous avons été interpellés par la rédaction de l’article 7, qui prévoit, avant la constitution de la commission, la consultation des présidents de groupes intéressés. Cette rédaction me semble un peu maladroite. Peut-on raisonnablement penser qu’un président de groupe ne soit pas intéressé par la composition d’une CMP ? Ce serait sous-entendre qu’une partie importante du travail législatif ne concernerait que quelques groupes,…