M. Robert Badinter. Très bien !

M. le président. L'amendement n° 121, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et Demessine, MM. Hue, Billout et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, puisqu’il est si urgent d’adopter ce texte dont l’examen a pris du retard, je pense que l’on pouvait se passer d’y inclure cet article 12, d’autant qu’il n’a rien à y faire.

« Naturellement, je lèverai le secret défense sur tout document que nous demandera la justice. Il n’y a pas d’autre façon de faire la vérité » : ainsi s’exprimait le Président de la République le 7 juillet dernier à propos de l’assassinat en 1996 des moines de Tibhirine, en Algérie.

Nous pourrions légitimement conclure de ces propos que le secret défense ne doit pas constituer une entrave au bon déroulement de la justice. Pourtant, aujourd'hui, ce projet de loi prévoit d’étendre le champ du secret défense de façon considérable et de restreindre ipso facto le pouvoir d’enquête de la justice et du juge d’instruction avant leur disparition.

Le projet de loi initial était très inquiétant. On nous dit que l’Assemblée nationale a arrangé tout cela. Il était tellement inquiétant que le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale s’en est ému, au point de déclarer qu’il était opposé à ces dispositions.

Si, aujourd’hui, un compromis a été trouvé, force est de constater que la nouvelle rédaction constitue toujours un danger puisqu’il s’agit de permettre à la justice de faire toute la lumière sur des faits ou des événements embarrassants pour le pouvoir.

Dans le cas d’une perquisition réalisée dans un lieu précisément identifié abritant des éléments couverts par le secret défense, plusieurs problèmes se posent.

Comme l’a dit ma collègue, le juge d’instruction devra être accompagné du président de la CCSDN. Il devra lui indiquer la nature de l’infraction, les raisons justifiant la perquisition, son objet et les lieux visés par cette perquisition.

Autrement dit, une autorité administrative aura connaissance d’informations relevant d’une instruction judiciaire, ce qui lui donne un pouvoir de contrôle a priori sur la pertinence de la perquisition.

Le déséquilibre reste entier entre les impératifs de protection des intérêts de la nation et de recherche des auteurs d’infractions pénales.

De plus, ces informations sont théoriquement protégées par le secret de l’instruction. Cette procédure augmente le risque de fuites, risque déjà élevé dans le cas d’affaires très sensibles.

Enfin, la liste de ces lieux est fixée par le Premier ministre, sans même que la Commission consultative puisse donner son avis : elle n’en sera que la destinataire.

C’est dans le cas d’une perquisition dans un lieu classé au titre du secret défense que les entraves à la justice sont les plus graves. Le projet de loi initial créait de véritables zones de non-droit, inaccessibles à la justice, mais la rédaction retenue par l’Assemblée nationale ne nous rassure guère. En effet, le régime de la perquisition est ici encore plus contraignant que dans le cas précédent. Le magistrat devra également transmettre au président de la Commission consultative les raisons justifiant la perquisition, son objet, etc.

De surcroît, la perquisition devra être précédée de l’avis de déclassification des lieux rendu par la Commission consultative. Elle ne pourra en outre être réalisée que dans les limites de la déclassification. Ainsi, la perquisition – finalement très restreinte – sera soumise à l’avis d’une autorité administrative, ce qui constitue une entrave au cours de la justice et une atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article, qui n’a pas, je le répète, sa place dans une loi de programmation militaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Défavorable.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, rapporteur pour avis.

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois. Permettez-moi en préambule de souligner que nul ne peut sérieusement contester notre volonté de débattre. Je vais d'ailleurs reprendre l’ensemble des arguments qui ont été développés hier lors de l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne nous avez pas convaincus !

M. François Pillet, rapporteur pour avis. Pour vous épargner une répétition fastidieuse de ma présentation, je vais en changer la forme.

Quelle est la situation sur le terrain ? Lorsqu’un juge d’instruction se rend dans un lieu particulièrement sensible et s’en voit refuser l’entrée, s’expose-t-il à des poursuites ? Je ne sais pas s’il encourt une quelconque sanction, car le droit est incertain sur ce point. S’il entre néanmoins, risque-t-il une condamnation ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !

M. François Pillet, rapporteur pour avis. Sans doute puisqu’il pénètre dans un lieu où le seul fait de voir un secret caractérisera le délit de compromission.

Ainsi, contrairement à ce que vous dites, c’est l’incertitude du droit qui crée des lieux sanctuarisés. Et l’incertitude du droit, c’est ce contre quoi nous voulons lutter dans cette hypothèse. Telle est la situation.

Vous dites que cette situation a complètement échappé à l’avis du Conseil d’État parce que celui-ci ne traite pas de cette question. Bien au contraire. Sans doute va-t-on me reprocher d’être un exégète excessif de ses avis, mais le Conseil d’État vise expressément cette situation puisqu’il précise, à propos du juge, qu’il lui incombe, lorsqu’il envisage de pénétrer dans une telle zone, de respecter la « nécessité impérieuse » d’éviter tout risque de compromission du secret de la défense nationale « qui pourrait résulter du seul fait de sa présence dans cette zone ».

Cela veut bien dire que c’est le fait d’entrer dans le lieu et d’appréhender le secret autrement que par la lecture d’un document qui pose problème.

L’article 13 reproduit, en négatif, l’avis du Conseil d’État. Il dispose en effet que « seuls peuvent faire l’objet d’une classification au titre du secret de la défense nationale les lieux auxquels il ne peut être accédé sans que, à raison des installations ou des activités qu’ils abritent, cet accès donne par lui-même connaissance d’un secret de la défense nationale ».

Voilà une définition qui est tout à fait claire et qui ne soulève pas de difficulté.

La protection de ces lieux est-elle contestée ? Durant les auditions auxquelles j’ai procédé, certains m’ont fait part de leurs nombreuses réserves sur ce sujet, au premier chef le Syndicat de la magistrature. Mais personne n’a contesté que ces lieux méritaient une protection particulière : ni l’Association française des magistrats instructeurs, ni l’Union syndicale des magistrats, ni le barreau, représenté par des avocats parisiens.

Comparons le secret défense au secret de la correspondance ou au secret professionnel. J’ai été séduit par la formule employée hier par le président Badinter : le secret défense, oui, mais pas au détriment du secret des affaires. Fort bien ! Mais le secret des correspondances, auquel fait expressément référence l’avis du Conseil d’État, ne constitue-t-il pas quelquefois un handicap ? N’arrive-t-il pas à un juge d’instruction perquisitionnant au cabinet d’un avocat d’entendre celui-ci lui opposer le secret professionnel pesant sur la correspondance, dans laquelle peut pourtant se trouver une preuve de corruption.

Faut-il donc moins protéger le secret défense, qui est l’image même de la protection des intérêts supérieurs de la nation, que le secret des correspondances ?

L’important est de trouver un équilibre et, oui, j’ai dit que celui qui était proposé était globalement satisfaisant. Je pense qu’aucun système ne peut servir de modèle universel.

Pour en revenir à la question qui a été soulevée hier, cet équilibre est-il constitutionnel ? En toute hypothèse, il représente, me semble-t-il, une avancée de l’état de droit, que d’aucuns qualifieront de modeste, mais qui n’est tout de même pas négligeable.

Si certains d’entre vous estiment qu’il porte atteinte à l’équilibre entre les deux plaques tectoniques de notre Constitution – j’ai déjà utilisé cette image hier –, ils pourront toujours saisir le Conseil constitutionnel. Mieux encore, depuis la révision constitutionnelle votée par le Parlement l’an dernier, cette faculté est ouverte à tout citoyen !

Attendez-vous à savoir – pour reprendre l’expression fétiche d’une ancienne chroniqueuse politique dont les moins jeunes d’entre nous se souviennent – que, dans les temps à venir, lorsque surviendra un problème à l’occasion d’une perquisition, l’avocat de la « victime » ne manquera pas de faire en sorte que le Conseil constitutionnel soit saisi par voie d’exception. Nous verrons bien alors quelle sera sa réponse.

Je le répète, j’estime que nous avons trouvé un équilibre et que, dès lors, il n’y a pas lieu de voter l’amendement n° 121. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 121.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Chevènement, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Après le mot :

précédent

rédiger comme suit la fin du deuxième alinéa du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article 56-4 du code de la procédure pénale :

comporte la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction de la coopération et des relations internationales, la Direction du renseignement militaire, la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, les cabinets du Président de la République, du Premier ministre, des ministres de la défense et de l'intérieur.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Je ne suis pas certain de bien saisir le sens du texte proposé par le Gouvernement, et je ne suis d’ailleurs pas certain non plus que ce dernier le comprenne lui-même !

L’article 12 me paraît être une véritable usine à gaz, dont les dispositions ne relèvent en rien d’une loi de programmation militaire, car il s’agit en fait de procédure pénale.

Par ailleurs, je me demande si le Gouvernement ne confond pas documents classifiés et lieux secrets.

M. Hervé Morin, ministre. Non !

M. Jean-Pierre Chevènement. Ces deux concepts sont en effet assez différents.

J’admets que, lorsqu’un juge perquisitionne dans un lieu comme la DGSE ou la DCRI, la direction centrale du renseignement intérieur, il ne puisse se saisir de n’importe quel document, car je sais très bien quelles conséquences cela pourrait avoir. Je ne verrais donc pas d’inconvénient à ce qu’il soit escorté du président de la CCSDN, dès lors que toutes les précautions sont prises pour préserver le secret de la perquisition, qui est un réel problème, évoqué hier par M. Badinter.

Monsieur le ministre, ne serait-il pas plus simple de définir dès maintenant la liste des lieux qui font l’objet d’une protection spéciale au titre de la préservation du secret de la défense nationale ? Cette solution aurait le mérite d’être claire pour tous, au contraire de l’arrêté du Premier ministre, qui va déterminer une liste de lieux que nous ne connaissons pas. Nous avons entendu parler de dix-neuf sites, mais d’autres chiffres ont été avancés. Et pourquoi citer l’Île Longue quand on parle des documents pouvant compromettre le secret de la défense nationale ? En commission, avait même été évoqué je ne sais quel code d’une entreprise aéronautique.

Monsieur le ministre, la plus grande confusion règne !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un jour, tout sera privatisé et il n’y aura plus de problème !

M. Jean-Pierre Chevènement. J’ai donc déposé un amendement qui est un peu destiné à vous « titiller ». (Sourires.) Il tend à définir les lieux qui me paraissent mériter une protection spéciale, ce qui n’interdirait ni les perquisitions ni le secret de ces perquisitions. Avec le sous-amendement n° 136, M. Charasse a ajouté à ma liste la direction générale des douanes et droits indirects, la cellule Tracfin et le ministère de l’économie et des finances, ainsi que, pour faire bonne mesure, tous les services qui y sont rattachés. Sa conception est donc beaucoup plus extensive que la mienne !

Mme Nathalie Goulet. Charassienne ! (Sourires.)

M. le président. Le sous-amendement n° 136, présenté par M. Charasse, est ainsi libellé :

Après le mot :

comporte

rédiger comme suit la fin du second alinéa de l'amendement n° 12 :

notamment les cabinets du Président de la République, du Premier ministre, du ministre de la défense, du ministre de l'intérieur, du ministre de l'économie et des finances, ainsi que les services qui leurs sont attachés et exercent leurs activités ou des compétences dans les domaines de la défense et des relations internationales dont la Direction générale de la sécurité intérieure, la Direction de la coopération et des relations internationales, la Direction du renseignement militaire, la Direction de la protection et de la sécurité de la défense, la Direction générale des douanes et la Tracfin.

Cet amendement n'est pas soutenu.

M. le président. L'amendement n° 116, présenté par M. Badinter, Mme Klès, MM. Michel, Boulaud, Carrère, Vantomme, Berthou, Besson, Boutant, Reiner et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Voynet, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban, Godefroy, Cazeau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Compléter la première phrase du deuxième alinéa du I du texte proposé par cet article pour l'article 56-4 du code de procédure pénale par les mots :

sur avis conforme de la Commission consultative du secret de la défense nationale

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Mon collègue Jean-Pierre Chevènement a déjà fort bien présenté l’essentiel.

Monsieur le rapporteur pour avis, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt vos propos, dans lesquels j’ai retrouvé le talent que je vous connais. Je crains de n’être pas d’accord avec vous sur l’interprétation à donner de l’avis du Conseil d’État. Je sais que l’imagination est le propre du vrai juriste, mais j’ai peur que, dans ce cas, elle ne vous ait emporté un peu loin. Je vous défie de trouver dans cet avis, que j’ai lu et relu, une invitation à sanctifier des lieux pour protéger les magistrats.

M. Robert Badinter. En réalité, le Conseil d’État était, à juste titre, essentiellement préoccupé par les dispositions du code pénal relatives à l’appréhension des secrets et leur communication à des tiers non habilités. Or ce problème est résolu par le régime des perquisitions.

En ce qui concerne les lieux, deux types de locaux protégés ont été créés. Le premier, que l’on peut qualifier de niveau inférieur, est celui dont nous parlons en ce moment : il comprend les lieux qui abritent des documents considérés comme relevant du secret de la défense nationale. Le second est constitué par les sanctuaires, qui sont les lieux classifiés.

Je ne me fais aucune illusion : le texte sera ce soir voté conforme ; nos propos relèvent donc des observations purement académiques ou juridiques.

Sachant cela, je voudrais faire remarquer que la première catégorie est très large. Y figurent notamment des services administratifs sensibles ou des locaux d’entreprises privées intervenant dans le domaine de la recherche ou de la défense. Autrement dit, cette catégorie recouvre un très large éventail de lieux, qui sont donc intégrés dans le champ d’application de ces dispositions.

On a beaucoup chanté, à juste titre, les louanges de la Commission consultative du secret de la défense nationale. J’estime qu’elle est l’innovation essentielle de la loi du 8 juillet 1998, mais nous ne devons pas nous contenter de l’état actuel des choses. On nous a dit que ses avis étaient suivis dans pratiquement tous les cas. Mais alors, pour éviter toute ambiguïté, prévoyons que cet avis doit être conforme ! Nous ne demandons rien d’autre que de régler les différences d’appréciation par la recherche du consensus.

Mon propos ne porte pas sur les modalités de la perquisition – prévoir que le juge d’instruction est escorté par le président de la Commission me paraît satisfaisant –, mais sur les pouvoirs de l’autorité administrative indépendante. Elle a été créée pour éviter l’arbitraire qui survient toujours, croit-on, lorsque la raison d’État est en jeu – c’est le cas avec le secret défense. On sait l’usage et souvent l’abus qui en a été fait par le passé. Il suffit simplement d’accroître les pouvoirs de la Commission en prévoyant qu’un consensus entre elle et le pouvoir exécutif doit être trouvé pour procéder à la classification comme lieu abritant des secrets de la défense nationale.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Robert Badinter. Je terminerai par une remarque de droit comparé.

Deux systèmes coexistent en Europe. Dans le premier, ce sont les magistrats ou les autorités indépendantes qui décident de ce qui doit être classé. Parmi les cinq grandes puissances européennes militaires, l’Allemagne, l’Angleterre et l’Espagne ont adopté ce système. Dans le second, le Premier ministre prend seul la décision. Seules la France et l’Italie ont choisi cette formule. Chez notre voisine latine, il revient au Président du Conseil, M. Berlusconi actuellement, de décider s’il y a lieu d’étendre, ou non, le bouclier du secret défense.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Judicieuse comparaison !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. La commission n’est pas favorable à l’amendement n° 12 rectifié, qui est beaucoup trop restrictif.

Le texte adopté par l’Assemblée nationale prévoit une liste précise et limitative, établie par arrêté du Premier ministre. Il vise les périmètres précis qui, au sein des services ou organismes concernés, ont réellement vocation à abriter des éléments classifiés.

Sur l'amendement n° 116, qui tend à proposer un avis conforme de la CCSDN sur la liste des lieux abritant ordinairement des éléments classifiés, la commission a soulevé deux objections.

D’une part, la CCSDN ne serait plus un organisme consultatif si son avis s’imposait. Or nous estimons, contrairement au président Badinter, qu’il importe de conserver la nature consultative de cette autorité.

D’autre part, la liste des lieux résulte d’éléments objectifs : il s’agit des sites dans lesquels sont entreposés des documents ou éléments classifiés. On voit mal comment la CCSDN pourrait s’opposer à ce que le ministère de la défense ou les administrations disposent d’éléments classifiés sur tel ou tel site ou de quelle manière elle pourrait émettre un avis à ce sujet.

La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 116.

M. le président. La parole est à M. François Pillet, rapporteur pour avis.

M. François Pillet, rapporteur pour avis. Je voudrais répondre au président Badinter sur la CCSDN. Étendre sa mission en lui confiant le pouvoir de rendre un avis conforme reviendrait, en quelque sorte, à empiéter sur les compétences de l’État.

Surtout, une telle orientation modifierait l’équilibre du texte. En effet, pourquoi, alors, ne pas obliger le juge à informer la CCSDN des raisons de son instruction avant toute visite de lieux ?

Chemin faisant, on transformerait la CCSDN en cogérant de l’instruction. Or certains auteurs pensent déjà que la Commission consultative participe à la procédure d’instruction. Nous aboutirions alors à un autre système, qui bouleverserait tout l’équilibre du texte. Nous ne sommes peut-être pas encore mûrs pour cette évolution.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Même avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 116.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 40 rectifié, présenté par MM. Chevènement, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Supprimer les quatrième et cinquième alinéas du I du texte proposé par le I de cet article pour l'article 56-4 du code de procédure pénale.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Cet amendement vise à supprimer deux alinéas afin de simplifier la rédaction de ce projet de loi. Il est en effet évident que la procédure n’a pas besoin d’être définie plus avant dès lors que les lieux sont délimités par la loi.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Hervé Morin, ministre. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 40 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 41 rectifié, présenté par MM. Chevènement, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

 I. - Supprimer les III et IV du texte proposé par le I de cet article pour l'article 56-4 du code de procédure pénale.

II. - Supprimer les I bis et II de cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Cet amendement vise également à vous simplifier la tâche, monsieur le ministre, en supprimant plusieurs paragraphes de cet article. En effet, encore une fois, les procédures prévues ici n’ont plus lieu d’être.

M. le président. L'amendement n° 115, présenté par M. Badinter, Mme Klès, MM. Michel, Boulaud, Carrère, Vantomme, Berthou, Besson, Boutant, Reiner et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Voynet, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban, Godefroy, Cazeau et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer le III du texte proposé par le I de cet article pour l'article 56-4 du code de procédure pénale.

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Nous abordons là le cœur du système dans ce qu’il a de plus choquant, comme je l’ai longuement expliqué dans mon intervention liminaire.

Je le répète, l’avis du Conseil d’État n’a jamais évoqué la création de lieux sanctuarisés où le magistrat ne pourrait pénétrer sans une décision préalable de déclassification, les choses se déroulant ensuite comme précédemment si cette déclassification est décidée. Mais l’essentiel est là : par qui cette décision sera-t-elle prise, puisque la commission n’a qu’un avis consultatif ? Elle le sera par le Premier ministre lui-même ! Par conséquent, c’est l’autorité administrative – ici le pouvoir politique – qui décidera de rendre des lieux inaccessibles à un magistrat en quête d’éléments de preuve d’une infraction.

Que faites-vous, alors, de ce qui est la mission première de la justice pénale et qui relève d’une obligation constitutionnelle ?

Nous sommes donc passés de la recherche de l’équilibre à un évident déséquilibre : le lieu est interdit à la justice, sauf si une déclassification est décidée. C’est le point le plus choquant. Le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale s’est d’ailleurs exprimé avec beaucoup de vigueur à ce sujet.

À ce stade du débat, je voudrais simplement vous poser deux questions, monsieur le ministre. Je suis en effet sans illusion sur l’importance des déclarations des parlementaires au regard de l’analyse des travaux préparatoires quand une juridiction, je pense en particulier au Conseil d’État, est à la recherche de la pensée du législateur. En revanche, je sais qu’il n’en va pas de même des propos du ministre.

Hier, vous nous avez indiqué que la liste établissant les lieux sanctuarisés pourrait faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. J’aimerais que vous précisiez votre pensée à cet égard. Pensez-vous sérieusement qu’un arrêté du Premier ministre établissant la liste des lieux classifiés – où un magistrat ne pourra donc plus accéder – pourra être soumis au contrôle a posteriori du Conseil d’État ? Si oui, par qui ? Par ceux auxquels cet arrêté ferait grief, le maire de la commune, par exemple ? Autrement dit, comment concevez-vous l’exercice de ce recours ?

Ma deuxième question est encore plus importante. Admettons que le juge d’instruction demande la déclassification d’un lieu et qu’on la lui refuse. Il ne peut donc agir. Dans ces conditions, le magistrat de l’ordre judiciaire pourra-t-il saisir le Conseil d’État pour faire annuler le refus de déclassification du Premier ministre ?

J’attends de savoir ce qu’il en sera. Pour l’heure, les choses étant ce qu’elles sont, là encore, je suis sans illusion. M. Warsmann a d’ailleurs rappelé que, dans ce domaine, le juge, qu’il soit judicaire ou administratif, ne va pas très loin. Vous me direz peut-être que ce ne sera désormais plus le cas, ou vous ne me le direz peut-être pas. En tout cas, vos réponses auront une importance particulière pour l’avenir, même si je pense que le plus simple serait de supprimer cette disposition, comme je le préconise, mais je ne crois pas que je parviendrai à obtenir ce résultat.

M. le président. L'amendement n° 117, présenté par M. Badinter, Mme Klès, MM. Michel, Boulaud, Carrère, Vantomme, Berthou, Besson, Boutant, Reiner et Guérini, Mmes Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Tasca et Voynet, MM. Madrelle, Mauroy, Mazuir, Mermaz, Piras, Auban et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Au début de la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa du III du texte proposé par le I de cet article pour l'article 56-4 du code de procédure pénale, après les mots :

À cette fin,

supprimer les mots :

le président de

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement de repli vise à ce que, s’agissant d’une demande de déclassification temporaire d’un lieu, la décision appartienne collégialement à la CCSDN et non à son seul président. Cette décision est en effet suffisamment importante pour que l’instance tout entière se prononce.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Josselin de Rohan, rapporteur. Les amendements nos 41 rectifié et 115 visent à supprimer les dispositions spécifiques aux lieux classifiés.

Contrairement à ce que l’on a pu dire ou écrire, il existe d’ores et déjà des lieux dans lesquels le simple fait de pénétrer donne accès, visuellement, à la connaissance d’éléments classifiés. C’est ce qu’a rappelé le Conseil d’État en soulignant que le juge n’était pas habilité à y pénétrer.

Le projet de loi vise donc à prévoir de dresser une liste de ces lieux, car elle n’existe pas aujourd’hui. Comme nous l’a indiqué M. le ministre, il s’agira d’une liste limitative puisque l’on a parlé de dix-neuf lieux. En outre, le texte vise à permettre au juge de perquisitionner dans ces lieux, en toute légalité, ce qui est hautement inenvisageable aujourd’hui ; il faudra simplement une autorisation, sous la forme d’une déclassification temporaire, et la présence du président de la CCSDN.

La commission a donc émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

Selon le présent texte, c’est le président de la CCSDN qui donne, sans délai, son avis sur la déclassification. L’amendement n° 117 vise à proposer que ce soit la Commission consultative au complet qui se prononce. Cette proposition est antinomique avec la rapidité qui avait été souhaitée pour préserver l’efficacité de la perquisition. On demande en effet au malheureux président de la CCSDN de se rendre sur les lieux sans délai et il faudrait ensuite que la Commission tout entière se réunisse pour se prononcer ! Il faut savoir ce que l’on veut ! Est-ce la rapidité, pour permettre au juge de mener promptement son instruction, ou la collégialité, qui aura évidemment pour effet de repousser le moment où le magistrat pourra conduire la perquisition ?

La commission a donc émis un avis défavorable.