M. Robert Badinter. Très bien !

M. Alain Anziani. La réinsertion devrait constituer une obsession du service public pénitentiaire, non pas dans les deux ou trois mois qui précèdent la sortie du détenu, mais à tous les moments du parcours du détenu, dès son entrée en prison.

Aussi bien manque-t-il, selon moi, à ce texte un titre supplémentaire, qui aurait pu s’intituler : « De la sortie de prison et de la réinsertion du condamné », et qui ne viserait d’ailleurs pas uniquement à prévenir la récidive. Ainsi que me l’a soufflé tout à l'heure dans le creux de l’oreille notre collègue Robert Badinter, si l’ancien détenu devient un SDF, c’est que quelque chose ne fonctionne pas ! Le but est aussi de permettre au détenu d’avoir une vie normale, de s’intégrer, d’avoir un travail, un foyer, une famille, un avenir, de l’espoir.

En conclusion, je tiens à dire que cette loi pénitentiaire comporte, nous ne le contestons pas, un certain nombre d’avancées. Toutefois, elle peut rester lettre morte si, dès le mois prochain, lors de l’examen du projet de loi de finances, vous ne donnez pas, madame le garde des sceaux, aux surveillants, aux services d’insertion et de probation, aux juges de l’application des peines, les moyens matériels d’exercer correctement leur mission. La vérité de cette loi réside aussi dans la volonté de dégager ces moyens budgétaires.

Tout en notant les améliorations qu’apporte ce texte, et que nous ne nions pas, nous relevons ses insuffisances. Voilà pourquoi le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, l’essentiel des principes fondamentaux que le Sénat avait initialement inspirés ont été conservés dans ce projet de loi pénitentiaire.

Disons-le clairement, M. le rapporteur, avec sa parfaite connaissance du dossier et son souci humaniste de préserver des valeurs telles que la dignité ou le respect de la personne, a permis d’endiguer en grande partie la vague sécuritaire qui a partiellement marqué les débats qui se sont tenus à l'Assemblée nationale, même s’il en subsiste un peu d’écume…

Nous nous devons également de saluer le travail réalisé depuis de nombreuses années, au sein du Sénat, par nombre de nos collègues, notamment le président de la commission des lois.

Cette loi, dont les objectifs fondamentaux sont largement partagés, n’aura de sens que si son application est effectivement assurée, dans l’intérêt des détenus, des personnels et des victimes. La situation que nous connaissons aujourd'hui dans nos prisons est inacceptable ; elle résulte non point de la responsabilité d’un seul gouvernement, mais de tous ceux qui se sont succédé depuis de nombreuses années, qu’ils soient de droite ou de gauche. En effet, ce problème fut souvent éludé, car il ne constituait pas, convenons-en, une priorité vis-à-vis de l’opinion publique.

Il faut avoir le courage de le dire, parce que c’est la réalité : la prison française favorise non pas la réinsertion, mais la récidive. M. le rapporteur a dit qu’il fallait faire du temps passé en prison un temps utile. Quel vaste programme par rapport à la situation actuelle ! Lorsqu’il évoque les centres de détention de Casabianda ou de Mauzac, on voit bien que des efforts considérables allant dans le bon sens pourraient être fournis.

Madame le ministre d’État, vous avez parlé tout à l'heure de l’« état lamentable » de nos prisons. Ce constat correspond bien à la réalité.

Ce texte sera-t-il un texte fondateur ? Oui, dans sa rédaction, mais il y a loin de la coupe aux lèvres, de la parole aux actes, de la loi à son application. Ce peut être une grande loi, mais il vous appartient de la faire vivre, en cohérence avec la politique pénale, et c’est là que réside toute la difficulté de l’exercice.

Notre collègue Pierre Fauchon a posé le problème de l’incarcération en expliquant qu’elle était un échec et non pas un mal nécessaire. Comment faire de la prison un lieu d’espérance et non de désespérance, si ce n’est en ayant le sens de l’humain ? Lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture, j’ai rappelé cette phrase de Sénèque : « Quant aux mœurs publiques, on les corrige mieux en étant sobre de punitions. »

Le vrai débat, c’est celui qui porte sur la politique pénale de notre pays.

Cette politique ne saurait être un moyen de communication destiné à masquer la réalité, car la situation de nos prisons est catastrophique et la justice française, considérée en Europe comme l’un des mauvais exemples.

N’oublions pas la réalité de l’univers carcéral. Qui sont les détenus ? Quelles sont leurs origines ? De quels milieux sont-ils issus ? On compte 95 % d’hommes et 50 % d’illettrés ! Telle est la réalité.

La réalité, c’est encore, en juin 2009, la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et la nécessité, comme l’a rappelé notre collègue Alain Anziani, de respecter les règles pénitentiaires européennes.

La responsabilité est collective, mais le choix politique est fondamental. Mettre à la disposition de la justice les budgets nécessaires, telle est la condition préalable à toute amélioration de la situation et tel est le moyen de respecter les règles pénitentiaires européennes adoptées le 11 février 2006.

Je n’épiloguerai pas sur les constats dressés par les uns et les autres, qu’il s’agisse du bâtonnier de Paris ou du contrôleur général des lieux de privation de liberté : surpopulation carcérale, nombreux lieux de non-droit où toutes les violences se propagent, taux de suicide en progression, désarroi des personnels, dont la tâche devient impossible.

J’ai visité récemment la maison d’arrêt de ma ville. Pratiquement tous les jours, on jette de la drogue par-dessus les murs ! Alors, on finit par laisser faire parce qu’on n’a pas les moyens de faire autrement. La réalité, c’est aussi cela.

Concilier la protection de la société, l’application d’une sanction pour des actes délictueux ou criminels avec l’impératif d’un travail de réinsertion sociale et des conditions satisfaisantes d’exercice professionnel des personnels, tel est l’objectif de toute politique générale pénitentiaire équilibrée et raisonnable.

Pour nous, le déséquilibre intervient lorsque l’on privilégie le volet sécuritaire par volonté de communication médiatique : ce que je qualifierai, comme je l’ai déjà fait, de « populisme pénal ». (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)

Ce texte apporte des améliorations tant sur le plan des principes que sur celui des droits reconnus au détenu, droits inhérents à la personne humaine : dispositif de l’article 2 bis ; garantie donnée à tout détenu par l’administration pénitentiaire du respect de ses droits ; affirmation du caractère subsidiaire de l’emprisonnement ferme ; nécessité de prévoir son aménagement, mise en exergue dans le texte lui-même.

L’inscription dans la loi des principes du régime disciplinaire relève aussi du retour à la voie de droit, mais ne nous hisse pas au niveau européen.

Aujourd’hui, nous avons tous dans la tête les images de la réalité. Nous sommes en effet un certain nombre à savoir ce qu’est une prison, pour y être allés souvent et avoir vu les conditions de détention. Ce qui existe, c’est le droit, lorsque l’on est en cellule collective, d’être transféré, souvent après plusieurs mois de procédure, dans une cellule individuelle, n’importe où en France, comme cela vient d’être rappelé.

Conforter le principe du droit à l’encellulement individuel, c’est mettre l’État devant ses responsabilités, même si ce n’est pas facile, et c’est aussi nous mettre tous devant nos responsabilités.

Sans plan d’urgence pour en finir avec la surpopulation carcérale, cette future loi pénitentiaire ne sera qu’une déclaration d’intention. En effet, l’objectif n’est pas d’augmenter le nombre des détenus ; il est de faire en sorte que ces derniers puissent sortir de prison en bénéficiant d’une véritable réinsertion.

Or, aujourd’hui, c’est l’entassement des prévenus et des condamnés en cellule collective, dans des conditions que nous savons tous humiliantes, dégradantes : la promiscuité, la loi du plus fort, l’arbitraire qui découle de cette surpopulation, l’insuffisance des moyens d’une politique de réinsertion.

Dans ce texte, nous avons posé un cadre positif : l’affirmation du principe de l’encellulement individuel, le rapporteur et notre commission ayant fait preuve d’une grande ténacité pour aller dans ce sens.

Mais comment ne pas noter la contradiction existant entre la politique d’affichage sécuritaire, qui aboutit à l’augmentation du nombre des détenus – peines plancher, rétention de sûreté, « carcéralisation » du soin psychiatrique – et le projet de loi qui nous est soumis ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous oubliez le volet « aménagements des peines » ! C’est quand même extraordinaire !

M. Jacques Mézard. Je ne l’oublie pas, cher président, car je vous écoute toujours avec beaucoup d’intérêt !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ne soyez pas toujours négatif !

M. Jacques Mézard. Mais je ne suis pas négatif tout le temps ! Sinon, nous voterions contre ce projet de loi, alors que, majoritairement, dans notre groupe, nous allons nous abstenir de manière positive ! (Sourires. – M. Dominique Braye s’esclaffe.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’était pour vous le faire dire ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard. Vous voyez, monsieur le président, que nous sommes loin d’être négatifs !

Pour en revenir à l’essentiel, nous connaissons, comme vous, la situation dont nous n’attribuons pas la responsabilité à un seul gouvernement. Car cela aussi, c’est la réalité ! Nous savons équilibrer les responsabilités, nous savons que, comme tous les élus, nous en avons aussi notre part.

M. Alain Fouché. Plus large que chez nous !

M. Jacques Mézard. On se passerait de ce genre d’interruptions qui ne font guère avancer le débat...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais celle-ci est significative !

M. Dominique Braye. Et « s’abstenir positivement », c’est faire avancer le débat ?

M. le président. Poursuivez, mon cher collègue.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, je ne pensais pas mériter autant d’interruptions ! Mais j’en prends acte...

M. René-Pierre Signé. Cela prouve l’intérêt de vos propos ! (Sourires.)

M. Jacques Mézard. Merci, mon cher collègue !

Aujourd’hui, la justice est incompatible avec le suivisme de la médiatisation, avec le développement de la notion d’insécurité, insécurité que la recherche du chiffre, disons-le, accentue plus qu’elle ne la diminue.

Nous ne sommes pas montrés du doigt en raison du nombre de détenus rapporté à la population ; d’ailleurs, il suffit de voir ce qui se passe aux États-Unis pour comprendre que, parfois, nous ne sommes pas forcément les plus mauvais, monsieur le président de la commission !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh non !

M. Jacques Mézard. Nous sommes montrés du doigt en raison des déplorables conditions de détention, inacceptables pour le pays des droits de l’homme !

Nous le sommes aussi pour les inégalités dans l’exécution des peines. Sans aller jusqu’à dire que la non-exécution des peines devient un aménagement de peine, je constate néanmoins que l’inégalité qui existe à cet égard pose un problème considérable par rapport aux droits fondamentaux, madame le ministre d’État.

L’utilisation du populisme médiatique sur la récidive et les aménagements de peine est tout de même l’illustration d’un débat qui, malheureusement, n’est pas vraiment allé dans le bon sens. Tant que l’on n’affirmera pas, avec une traduction dans les faits, que la prison ne doit être qu’une sanction de privation de liberté et non une dégradation de l’être humain, tant que l’on considérera que l’entassement et la promiscuité peuvent cohabiter avec la réinsertion, au lieu de reconnaître qu’ils nourrissent la récidive, tant que l’on acceptera que la prison soit un lieu où la violence a libre cours, ce qui est aujourd’hui le cas, il nous restera, mes chers collègues, beaucoup de chemin à parcourir.

Nous avons une loi, faites-en bon usage ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord, comme nous tous, saluer l’excellent travail mené par notre rapporteur, Jean-René Lecerf, et plus globalement par notre Haute Assemblée, travail que l’Assemblée nationale et la commission mixte paritaire ont respecté pour l’essentiel.

Le Sénat avait, en premier examen, considérablement enrichi et rééquilibré le texte du Gouvernement en renforçant les droits des détenus et le respect des principales recommandations du Conseil de l’Europe. Notre assemblée a ainsi imposé la reconnaissance de principes fondamentaux, à commencer par celui de l’encellulement individuel.

Il a toujours été très clair, pour notre groupe comme pour notre rapporteur, que l’on ne pouvait revenir sur ce droit. Cela aurait constitué un recul inacceptable, occultant tous les progrès inscrits par ailleurs dans ce texte. La réaffirmation de ce principe permet, de surcroît, de respecter la recommandation 18-5, qui figure dans les règles pénitentiaires européennes, RPE, adoptées à l’unanimité par le Conseil de l’Europe en 2006.

Ensuite, les sénateurs et députés ont consacré le droit à la dignité de la personne incarcérée. L’Assemblée nationale a d’ailleurs renforcé le dispositif de l’article 10 en prévoyant que l’administration pénitentiaire garantit ce droit inhérent à la personne humaine.

Le Parlement a également limité les fouilles en restreignant notamment la possibilité de recourir à des fouilles intégrales.

Les dispositions relatives à la santé des détenus ont été enrichies grâce aux amendements de la commission des affaires sociales du Sénat, de même que les règles relatives aux relations des personnes incarcérées avec le monde extérieur – accès à l’information amélioré, obligation de motiver les refus de droit de visite, consécration législative du caractère secret des correspondances échangées entre les détenus et le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, etc.

Les députés et les sénateurs ont également eu comme souci permanent la réinsertion du détenu, que ce soit à travers l’obligation d’activité, la participation à une activité professionnelle dans le respect de l’égalité de traitement avec les personnes handicapées, mais aussi en renforçant les dispositifs d’alternative à la détention provisoire et d’aménagement de peine, en excluant néanmoins de certaines dispositions les personnes en état de récidive légale, montrant ainsi une cohérence avec les lois votées antérieurement par notre majorité.

Avec nos collègues députés, nous avons su trouver un accord sur les conditions de sortie sous bracelet électronique, quatre mois avant la fin de leur peine, des personnes détenues.

On peut, enfin, saluer la mise en conformité de notre droit avec le droit européen en matière d’appel. Ainsi, l’article 39 du projet de loi modifie l’article 505 du code de procédure pénale pour réduire le délai d’appel dont dispose le procureur général à l’encontre d’un jugement de condamnation rendu en matière correctionnelle, ce délai passant ainsi de deux mois à vingt jours. En effet, le délai de deux mois avait été jugé contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Mes chers collègues, ce texte apporte donc de réelles améliorations aux conditions d’incarcération des détenus et à leur réinsertion. Toutefois, il restera encore beaucoup à faire pour permettre aux personnes recouvrant leur liberté de se réinsérer totalement dans la société.

Pour que ce texte devienne effectif, encore faut-il que les moyens matériels et humains soient à la hauteur de ses ambitions. La construction de nouvelles prisons et de centres adaptés aux jeunes délinquants va dans ce sens.

Mais cela ne suffit pas. Le recrutement de travailleurs sociaux pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation, la formation et le recrutement de médecins psychiatres pour traiter les psychopathologies qui ne relèvent pas d’une incarcération, la création d’emplois plus nombreux destinés aux détenus, la possibilité pour ceux-ci de disposer d’un logement décent à leur sortie de prison : autant d’objectifs concrets à atteindre pour éviter de faire de la prison l’école de la récidive ou de la marginalisation.

Cela passe également par une prise de conscience des chefs d’entreprise et des responsables des collectivités locales, qui peuvent proposer d’accompagner les détenus – je connais beaucoup de cas – par le biais de contrats d’apprentissage ou de contrats à durée déterminée, et, de manière plus globale, par un effort du monde du travail.

Par conséquent, madame le garde des sceaux, nous comptons sur vous pour poursuivre cet effort, car nous connaissons votre attachement aux valeurs que nous avons voulu défendre lors de nos travaux préparatoires en commission, puis en séance publique. C’est en tout cas avec la satisfaction d’avoir jeté les bases d’un véritable droit pénitentiaire que le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà huit mois, nous nous retrouvions ici même pour examiner en première lecture le projet de loi pénitentiaire. Tous, nous avions alors salué la qualité exceptionnelle du débat, au cours duquel tous les groupes politiques avaient pu apporter une contribution constructive et parfois décisive, à la hauteur de la mission qui nous était confiée : donner à la France cette grande loi pénitentiaire attendue depuis si longtemps.

Sous la responsabilité du rapporteur, M. Jean René Lecerf, à qui je renouvelle mes remerciements pour son écoute, son engagement et parfois même son audace, nous avions réussi à trouver de nombreux points d’entente dans l’élaboration de cette loi fondamentale.

Je vous rappelle que la paternité de cette loi, nous la devons au Parlement, avant sa reprise en main par le Gouvernement, et que le projet de loi initial n’est plus qu’une ombre portée sur le projet que nous examinons aujourd’hui. (M. Nicolas About s’exclame.) II faut donc se féliciter du rôle, rare, que le Parlement a joué dans l’élaboration de cette loi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. De la coproduction législative, en quelque sorte ! (Sourires.)

Mme Alima Boumediene-Thiery. Notre feuille de route était simple.

D’abord, il nous appartenait de codifier, dans notre droit interne, les règles pénitentiaires européennes, ainsi que la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux droits des personnes détenues et à leur protection.

Cet objectif va de pair avec un autre objectif que nous nous étions fixé : mettre un terme à une forme d’opacité des règles régissant la condition carcérale, domaine dans lequel l’administration pénitentiaire a pu jouir, à une époque pas si lointaine, d’une certaine latitude, voire d’une impunité s’agissant de quelques pratiques.

Je pense, par exemple, au recours abusif à la notion de « mesure d’ordre intérieur », qui permet à l’administration pénitentiaire de prononcer des mesures sans que celles-ci puissent être contrôlées par un juge, notamment pour ce qui concerne les régimes différenciés. Je pense également aux règles que l’administration pénitentiaire produisait elle-même, alors que celles-ci relevaient manifestement du domaine de la loi.

En élevant au rang législatif les dispositions applicables dans les établissements pénitentiaires en matière de droits des personnes détenues et, surtout, en fixant un cadre procédural à leur protection, nous leur avons donné une nouvelle dimension, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Je vous épargnerai un inventaire à la Prévert, me contentant de vous faire part d’un regret : nous aurions pu aller plus loin, notamment pour ce qui est de l’engagement des personnes détenues dans les associations de gestion de leur quotidien ou de leurs activités. C’est dans cette optique que nous avons défendu des positions concernant plusieurs droits dont la protection ne nous semble pas suffisante.

Certaines pratiques méritaient d’être, à tout le moins, mieux encadrées, voire carrément bannies. C’est le cas des fouilles intégrales et des investigations corporelles : je suis convaincue que rien ne peut justifier, dans un État de droit, de telles atteintes à la dignité des personnes détenues, ces pratiques étant, par nature, attentatoires à la dignité humaine. Dans la mesure où elles sont condamnées par la Cour européenne des droits de l’homme, nous aurions dû les proscrire purement et simplement.

Je songe également aux restrictions imposées à la jouissance ou à l’exercice des droits reconnus, dont le contour nous paraît flou : en laissant l’administration pénitentiaire interpréter souverainement des notions aussi imprécises que le « bon fonctionnement de l’établissement », on lui donne la possibilité de disposer des droits des détenus.

Cette démarche nous semble contraire non seulement à l’esprit même des objectifs que nous nous étions fixés, à savoir l’élévation au niveau législatif des dispositions relatives à la protection des droits des personnes détenues, mais aussi à l’article 34 de la Constitution, qui définit de manière stricte le domaine de compétence du pouvoir réglementaire.

Enfin, nous regrettons le maintien des régimes différenciés, dont la consécration législative nous fait craindre qu’ils ne soient utilisés par l’administration pénitentiaire comme un outil de gestion de la détention. Il nous paraît fondamental que les décisions de placement en régime différencié puissent être contrôlées par un juge de l’excès de pouvoir, et ce contre l’avis de l’administration pénitentiaire, laquelle les considère comme des mesures d’ordre intérieur ne faisant pas grief.

Sur ce point, nous avions obtenu satisfaction, et je souhaite que M. le rapporteur nous confirme cette interprétation de l’article 51 du projet de loi.

Sous toutes ces réserves, nous pouvons admettre que le volet relatif aux droits des détenus est satisfaisant. Il a d’ailleurs été largement étoffé par l’Assemblée nationale, ce dont nous devons nous réjouir.

Ainsi, le principe du respect de la dignité du détenu, sur lequel nous avons eu un débat vif dans cet hémicycle, a été consacré et la mise en œuvre de sa protection, renforcée.

Pour ce qui concerne le volet relatif aux aménagements de peine, il faut également se réjouir du maintien, dans le code de procédure pénale, du principe de l’encellulement individuel. Il s’agissait là d’un casus belli entre le Gouvernement et le Sénat ; ce dernier l’a finalement emporté, même si l’application de ce principe est rendue théorique par la mise en œuvre d’un moratoire.

En revanche, la restriction apportée aux aménagements de peine pour les récidivistes ne laisse de nous inquiéter. Cette proposition est arrivée « comme un cheveu sur la soupe » devant l’Assemblée nationale, sans avoir jamais été évoquée devant le Sénat.

Pourquoi ce retour en arrière ? Pourquoi le thème de la récidive surgit-il de nouveau au sein d’un projet de loi pourtant consensuel ? Pourquoi l’instrumentaliser encore davantage dans le cadre d’un projet de loi pénitentiaire supposé simplifier les procédures relatives aux aménagements de peine ?

La réponse à ces questions n’est pas seulement à chercher dans l’actualité, où des faits divers ont fourni une nouvelle occasion au Gouvernement de mettre en avant son absence de laxisme en matière de politique pénale.

Il faut savoir que, depuis quelques mois, des associations ont entrepris un lobbying intense auprès tant des services de la Chancellerie que des députés de la majorité. Ces associations, en apparence mues par la volonté d’aider les victimes, sont en réalité profondément hostiles à ce projet de loi, notamment aux dispositions relatives aux aménagements de peine.

L’une de ces associations dénonçait au mois d’août dernier la mise en conformité de la France avec les règles pénitentiaires européennes, qu’elle a qualifiées – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – d’« absurdes », les considérant comme autant de « menaces » pour la « sécurité de nos prisons ». Cette même association, qui tenait voilà quelques mois une conférence au Local, haut lieu de la jeunesse d’extrême droite à Paris, a organisé un colloque à l’Assemblée nationale, à la veille de la séance publique consacrée à l’examen du projet de loi pénitentiaire, colloque pour lequel elle a même obtenu le parrainage de plusieurs personnalités de la majorité.

Si le volet relatif aux aménagements des peines a été durci dans le projet de loi, c’est à la suite des pressions exercées par ces associations, qui « surfent » de manière dangereuse sur le populisme pénal.

Comment interpréter autrement le nouvel article 47 bis, introduit à l’Assemblée nationale, qui permet à l’avocat de la partie civile de faire valoir ses observations en cas de demande de libération conditionnelle ? Est-ce son rôle ? Le juge de l’application des peines n’est-il pas maître de ses décisions ? Or cette mesure se trouve très précisément dans un document émanant de l’une de ces associations que j’ai reçu dernièrement.

Mes chers collègues, nous respectons profondément le droit des victimes d’obtenir, dans le cadre d’un procès digne, la condamnation de l’auteur d’un crime. Toutefois, nous refusons catégoriquement ce que ces associations revendiquent, à savoir des peines perpétuelles, la remise en cause systématique des décisions de non-lieu rendues par un tribunal ou l’abolition des remises de peine.

Le législateur devrait se tenir à l’écart de ces organisations, sous peine de se trouver associé à de telles revendications et de sombrer dans un populisme pénal indigne de notre pays.

J’aimerais enfin évoquer un point qui est totalement absent de ce projet de loi pénitentiaire et qui mériterait pourtant quelques mots : la place que le Gouvernement entend donner, à l’avenir, au Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire.

Ce conseil est visé par les articles D. 234 et suivants du code de procédure pénale et a vocation à se réunir une fois par an, en séance plénière, afin de délibérer sur les questions relevant de la compétence de la direction de l’administration pénitentiaire et qui sont soumises à son examen par le ministre de la justice.

Il est censé formuler des avis et établir des rapports à destination du ministre de la justice et du directeur de l’administration pénitentiaire sur tous les sujets touchant la question pénitentiaire : le suicide en prison, la surpopulation, les conditions de travail des personnels ou la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes.

Au cours de ces derniers mois, les occasions de réunir cette autorité n’ont pas manqué. Le Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire aurait ainsi pu contribuer à poser les bases d’une politique pénitentiaire digne de ce nom, afin que nous réfléchissions ensemble sur des questions sensibles comme l’augmentation démesurée et récente des suicides en prison.

En fait, ce conseil, dont M. Jean-René Lecerf, M. Roland du Luart et moi-même sommes membres, s’est réuni pour la dernière fois le 8 juillet 1999, sous la présidence, à l’époque, d’Élisabeth Guigou. Autant dire que, depuis dix ans, ce conseil sommeille, alors qu’il aurait pu jouer un rôle important, notamment dans l’élaboration de ce projet de loi pénitentiaire. Ne devrait-il pas, normalement, participer à la définition des politiques pénitentiaires et à la vérification de leur exécution ? Ne devrait-il pas, compte tenu des multiples expertises de ses membres, être reconnu comme compétent pour formuler des avis ?

Il pourrait aussi prendre toute sa place dans le processus de mise en œuvre de la future loi pénitentiaire. On pourrait lui confier la tâche d’émettre des avis sur différents rapports, notamment celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté, ou de contribuer à l’élaboration des décrets d’application, et d’abord ceux de la loi que nous examinons aujourd’hui, afin de trouver, dans un cadre consensuel, des solutions acceptables par tous les acteurs du monde pénitentiaire.

Ma dernière remarque prendra donc la forme d’une question, que je vous adresse, madame le garde des sceaux : avez-vous l’intention de convoquer le Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire, après dix ans d’un coma injustifié, afin qu’il puisse apporter sa pierre à la mise en œuvre de la loi pénitentiaire et participer aux décisions qui seront prises pour son exécution ?

Lors de la première lecture de ce texte devant le Sénat, les sénatrices et sénateurs Verts s’étaient abstenus, déplorant que le projet de loi, qui avait pris un excellent chemin, se soit arrêté en cours de route. Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire ne nous a pas convaincus : si la position du Sénat a été maintenue sur de nombreux points, l’Assemblée nationale a souhaité revenir au texte du Gouvernement sur d’autres aspects, ce que nous regrettons.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs Verts s’abstiendront lors du vote sur le texte issu des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)