M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d'État, j’abrégerai mon intervention pour céder aux objurgations de M. le président.

Vous devriez nous parler du grand emprunt. Personnellement, je ne suis pas hostile à une telle initiative si le grand emprunt est bien ciblé et s’il privilégie les secteurs d’avenir…

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. … qui seront économiquement rentables.

Il y a la mauvaise dette, qui finance des dépenses de fonctionnement, et il y a la bonne dette, qui finance l’investissement économiquement rentable.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Pierre Chevènement. Vous allez vous heurter aux frileux, aux ratiocineurs, à la myopie des éternels tenants de l’orthodoxie. Avisez-vous, cependant, que ce sont eux, toutes obédiences confondues, qui nous ont mis dans cette situation.

Rappelons-nous que la dette publique de la France a bondi après la conclusion du traité de Maastricht, passant de 32 % en 1992 à 58 % en 1998. À l’époque nous avions en effet choisi de nous aligner sur le mark et sur des taux d’intérêts excessifs pratiqués par la Bundesbank.

Sachons mener une politique qui corresponde aux intérêts de notre pays. Halte au suivisme : nous n’avons pas la même démographie que l’Allemagne et notre besoin de croissance est supérieur. Il doit y avoir place pour une stratégie nationale au sein de l’Europe, n’en déplaise à M. Trichet.

Pour finir, monsieur le secrétaire d'État, je dois vous avouer que je m’inquiète de l’absence de vue à long terme, ainsi que de l’opportunisme déguisé en pragmatisme qui peut conduire à faire se succéder dans la précipitation des politiques contradictoires en Europe comme au sein du G 20. Nous sentons bien qu’il n’y a pas de réflexion stratégique, à l’échelon européen, sur un nouveau modèle de développement où la planification des investissements à long terme encadrerait la logique des marchés financiers.

Il appartient à la France de ne pas se laisser enfermer au Conseil européen dans des controverses biaisées et prématurées. Nous devons, au contraire, élever le débat au niveau des véritables enjeux, car la crise n’est certainement pas finie. Le temps d’un véritable volontarisme inscrit dans la durée n’est pas derrière nous, mais il est devant nous.

Avez-vous cette véritable volonté politique ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour parler du prochain Conseil européen.

Je vous rappelle que le Conseil européen a été introduit dans les institutions européennes au début des années soixante-dix sur l’initiative de Georges Pompidou, alors que la réunion d’une telle instance n’était prévue par aucun traité.

Georges Pompidou avait alors obtenu de ses collègues chefs d’État et de gouvernement qu’une structure, composée des leaders nationaux de l’Europe, s’ajoute à l’ensemble du dispositif.

Ce qui est important, c’est que, aujourd’hui, le Conseil européen figure en bonne place, voire à une place essentielle, dans les différents traités, à commencer par le traité de Lisbonne. Le Conseil européen est en effet le lieu d’impulsion et de conception politique de l’Union. C’est là que l’Union se pense et se construit : lorsque le Conseil européen fonctionne, l’Europe fonctionne ; lorsqu’il est paralysé, elle ne fonctionne pas.

J’insisterai essentiellement sur deux points.

Premier point, le groupe de l’UMP, totalement d’accord avec la politique menée par le Gouvernement, considère qu’il n’a pas à ergoter sur les différents points inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen. Approuvant la politique menée, qu’il s’agisse du plan climat, de la politique d’immigration que notre pays essaie d’imposer à l’Union européenne ou de la politique menée depuis un an en matière de lutte contre la crise financière mondiale, il fait confiance au Président de la République, qui représentera dans quelques jours la France au Conseil européen.

Le second point concerne la mise en œuvre du traité de Lisbonne.

Je n’interprète pas de la même façon que certains orateurs précédents les récentes positions de divers États par rapport au traité de Lisbonne.

Le changement de point de vue de l’Irlande est intéressant. Il n’est pas dû à l’exercice d’une terrible pression sur les Irlandais, qui sont des gens beaucoup trop fiers pour changer si vite d’avis ! Il s’explique tout simplement par le fait que le peuple irlandais, face à la crise mondiale, s’est aperçu que son salut viendrait de l’Europe, alors que, voilà un an, il pensait pouvoir s’en sortir seul !

M. Jacques Blanc, vice-président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait ! Bravo !

M. Hugues Portelli. L’Irlande voulait les subventions de l’Europe sans les politiques communes. Aujourd’hui, tout a changé ! L’Irlande a pris conscience d’une vérité, qui l’a fait changer d’avis : le développement résulte non pas simplement des subventions que l’Europe distribue, mais surtout de la solidarité entre les Européens.

Quant au point de vue du président de la République tchèque, permettez-moi d’émettre un avis de constitutionnaliste.

Il me semble assez étonnant qu’un président de la République, élu par le parlement tchèque et n’ayant aucune légitimité en tant que tel, soit capable de contrer des décisions prises par ce même parlement, seul organe légitime sur le plan constitutionnel pour approuver ou non un traité !

Le président de la République tchèque essaie de retarder une ratification dont il a la responsabilité technique, mais dont il n’a aucunement la responsabilité politique ou constitutionnelle. Le traité de Lisbonne sera donc ratifié tôt ou tard – le plus tôt sera le mieux – par M. Klaus, qu’il le veuille ou non, car il n’a le choix ni sur le plan constitutionnel ni sur le plan politique !

Permettez que je m’arrête quelques minutes sur le traité de Lisbonne.

Ce traité a surtout pour objet d’être efficace après dix années de semi-paralysie imputable au malheureux traité de Nice et au rejet du traité constitutionnel. Le traité de Nice, que nous appliquons depuis 2000, ne nous a pas permis de prendre des décisions efficaces, du fait de règles de majorité trop peu nombreuses et d’une représentation des principaux États qui n’était pas à la hauteur de leur poids démographique et économique réel.

Dans l’actuel traité, les règles de majorité et la représentation des États seront différentes, ce qui est important.

Autre point important – et je ne suis pas d’accord avec ceux qui affirment qu’il s’agit d’un simple copier-coller du traité constitutionnel –, nous avons retiré du traité antérieur, rejeté par plusieurs États, tout ce qui relevait de la théologie et qui ne dépendait ni du droit ni de la politique.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Nous l’avons dégraissé !

M. Hugues Portelli. Nous n’aurons pas à nous poser la question de savoir quelle est la nature juridique de l’Union européenne. L’essentiel, pour nous, est que l’Union européenne existe et qu’elle fonctionne.

Pour nous, le traité de Lisbonne, ce doit être tout le traité, mais que le traité !

Rappelons-nous que ce traité éclaircit les compétences des uns et des autres : celles de l’Union européenne, celles des États, mais aussi les compétences partagées. Cela signifie que l’Union européenne n’aura pas à intervenir dans le domaine qui relève des États et que les États devront laisser l’Union européenne agir dans les domaines qui sont les siens. C’est ainsi que doit être appliqué le traité de Lisbonne.

Ce traité devrait nous permettre d’avancer dans les domaines où l’Europe ne progresse pas suffisamment vite depuis dix ans. Il s’agit ainsi de débloquer toute une série de sujets sur lesquels nous sommes paralysés actuellement. Par exemple, la commission des affaires européennes du Sénat travaille sur l’application du programme de Stockholm, ce qui inclut également le programme antérieur, lequel n’a été mis en œuvre qu’à hauteur de 50 % !

Il s’agit également de sélectionner les priorités, c'est-à-dire de ne pas s’occuper de tout. L’Union européenne ne doit pas traiter de ce qui ne relève pas de ses attributions, mais, en revanche, elle doit explorer intégralement tout ce qui ressortit à son domaine de compétence.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Hugues Portelli. Enfin, il s’agit de donner à l’Europe les moyens de ses politiques publiques. N’oublions pas que l’Europe a pour particularité de reposer sur des bases budgétaires extrêmement étroites.

Si les crises des politiques publiques, comme celle de la politique agricole commune, sont aussi fortes, c’est qu’il n’y a aucune marge de manœuvre financière. Les États se sont mis d’accord pour disposer d’un budget reposant sur des bases si étroites qu’il est impossible à l’Union européenne de travailler correctement.

Appliquer le traité de Lisbonne, c’est aussi être réaliste.

Nous devons avoir en permanence à l’esprit le fait que l’Union est une fédération d’États, qui fonctionne à rebours de tout ce que l’histoire nous a appris. Toutes les fédérations d’États qui se sont construites ont commencé par mettre en commun la monnaie, la diplomatie, la défense. A contrario, depuis cinquante ans, nous mettons en commun ce qui relève de la compétence des États partout ailleurs, et nous n’avons pas encore réussi à obtenir un minimum de diplomatie et de défense communes ! Quant à la monnaie commune, elle n’intéresse que la moitié des États membres, ce qui tout de même paradoxal !

C’est sur ces points que nous devons progresser. C’est ce que la France essaie de faire en avançant sur la voie de la diplomatie, de la défense, de la monnaie. Nous œuvrons pour que la part des États européens relevant de fait de la zone dollar soit toujours moins importante, et que nous nous retrouvions tous dans la zone euro.

Je terminerai mon intervention en évoquant l’importance que le traité de Lisbonne accorde aux parlements nationaux,…

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Ah oui !

M. Hugues Portelli. … et donc à notre assemblée.

Nous devons nous emparer des compétences que le traité de Lisbonne nous donne. (M. Yves Pozzo di Borgo acquiesce.) Cela veut dire que nous devrons assurer un suivi beaucoup plus efficace des politiques menées par l’Union européenne que celui que nous avons mis en place jusqu’à présent, faute de moyens et de droits.

Nous devrons exercer également un contrôle plus efficace des compétences de l’Union grâce aux instruments que le traité de Lisbonne nous accorde : suivi des projets de directive ou de règlement, contrôle de la subsidiarité, etc. Cela va jusqu’à la possibilité offerte aux parlements nationaux et à leurs assemblées, ensemble ou séparément, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes sur ces domaines.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles nous n’avons aucun problème à faire confiance au Président de la République pour nous représenter au Conseil européen ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je m’efforcerai de répondre aussi complètement que possible aux nombreuses interrogations qui ont été soulevées fort utilement par tous les orateurs.

Je veux dire au président de la commission des affaires européennes, M. Hubert Haenel, que je comprends son inquiétude à la lecture du rapport d’Elmar Brok sur la sujétion du futur service européen pour l’action extérieure au contrôle du Parlement européen. Ce point a été soulevé également excellemment par M. Jean-Pierre Chevènement.

Les gouvernements sont très vigilants, car il ne s’agit évidemment pas de placer ce futur service diplomatique sous le contrôle du Parlement européen.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Nous sommes tous d’accord avec la lettre et l’esprit des institutions, que je rappelle : le Haut représentant sera membre du Conseil – il représentera donc les États – et vice-président de la Commission ; à ce titre, il sera donc en contact avec le Parlement européen.

Il devra coordonner l’action extérieure de l’Union, jusque-là dispersée entre les différents commissaires et les représentants de l’Union suivant les domaines – cela va des négociations commerciales à l’aide au développement, en passant par la PESC –, et mener cette action en synergie avec les États.

C’est là une réponse préventive – mais j’y reviendrai  à l’argument de l’usine à gaz développé tout à l’heure par M. Chevènement. J’ai trouvé l’image légèrement excessive, car elle correspond mieux, de fait, à la situation actuelle. En effet, c’est aujourd’hui que l’Union européenne souffre de la dispersion de ses compétences. L’Union est incapable, aujourd’hui, de développer une action extérieure cohérente, chaque commissaire menant sa petite politique étrangère dans son coin. Or, le Haut représentant sera chargé de coordonner ces actions, en liaison avec la Commission européenne puisqu’il en est vice-président et, en même temps, pour le compte des États membres. Il garantira donc doublement la cohérence, en coordonnant l’action extérieure de l’Union en synergie avec les États.

Ce travail sera évidemment difficile, mais passionnant, le Haut représentant étant à la jonction des politiques étrangères des États et de l’action de l’Union européenne. Or nous souhaitons précisément que celle-ci soit en phase avec notre action sur le plan national.

S’agissant de la lutte contre le réchauffement climatique et de la compensation financière en faveur des États membres qui disposent de crédits d’émissions non consommés, la question se pose effectivement de savoir si, oui ou non, ces États pourront se prévaloir de ces crédits au-delà de 2012. Ce point fait actuellement l’objet de négociations, monsieur Haenel, et je ne saurais donc le trancher devant vous cet après-midi.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. On ne peut avoir réponse à tout !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Par ailleurs, le développement du marché des quotas d’émission de carbone correspond à nos objectifs, puisqu’il était prévu dans le paquet « énergie-climat ». Ce marché est l’un des instruments devant permettre à l’Union européenne de respecter l’objectif de diminution de 20 % des émissions globales de carbone. La France, vous le savez, est l’un des rares pays de l’Union européenne à avoir satisfait, et même dépassé, les objectifs de Kyoto : elle occupe donc une place avantageuse sur ce marché. Pour la suite, s’agissant de la clé de répartition entre les détenteurs de quotas, j’en reviens à la réponse précédente. Nous sommes très attentifs à ce marché, parce qu’il représente aussi l’une des ressources éventuelles pour financer la « décarbonation » de nos économies. Mais, comme je l’ai dit, je ne peux pas répondre aujourd’hui à une question qui porte sur une négociation en cours.

M. Jacques Blanc s’inquiète lui aussi de l’ambiguïté des nouvelles institutions de l’Union européenne. Comment le fonctionnement de la « présidence stable » sera-t-il compatible avec le maintien des présidences tournantes ? Vous avez en partie répondu à cette question en expliquant que la présidence tournante, qui va continuer, s’appliquera aux conseils des ministres techniques et non plus au conseil RELEX, relatif aux affaires internationales, qui relèvera de la compétence du président stable et du Haut représentant.

Vous vous êtes également demandé comment fonctionneraient les relations entre le « président stable », le président de la Commission et le Haut représentant. On peut soit user de l’ironie et parler d’un schéma très compliqué, de millefeuille institutionnel, pour employer les formules toujours très percutantes de M. Chevènement, soit penser, comme M. Portelli, que l’Union européenne est un exemple sans précédent de confédération d’États, dont les membres ont décidé de partager leur souveraineté, exercice par définition difficile. Beaucoup de choses dépendront en effet des décisions qui seront prises dans les semaines qui viennent. Le choix des personnes destinées à occuper les postes de « président stable » et de Haut représentant va colorer profondément les fonctions en question. Aurons-nous un président fort ou bien un simple coordinateur de l’action des chefs d’État ? Les deux options restent possibles, et les chefs d’État devront trancher entre eux ; ils vont d’ailleurs se voir cette semaine à cette fin.

Quant au Haut représentant, me fondant sur le travail interne mené avec Bernard Kouchner au Quai d’Orsay, je ne vous cache pas que le Gouvernement a une vision ambitieuse du futur service européen d’action extérieure. Il y voit un multiplicateur de puissance plutôt qu’un concurrent de notre diplomatie nationale, précisément parce que ce service diplomatique européen permettra de mieux coordonner l’action de l’Union et travaillera en synergie avec les États. De ce point de vue, nous ne fuyons pas nos responsabilités – je vois venir l’argument selon lequel ce serait un pari pascalien – : la réaction frileuse qui consisterait, face à l’apparition d’une nouvelle structure européenne, à conserver nos services diplomatiques tels qu’ils sont, et donc à limiter notre influence au sein de l’Union européenne, serait à mon avis contreproductive. Là encore, la personnalité du Haut représentant, la taille et l’expérience du pays dont il doit être le ressortissant sont des éléments absolument essentiels. Je ne vais pas jouer au jeu des nominations, car ce n’est pas de mon ressort, la décision étant prise par le Président de la République, mais, dans mon esprit, la mission du Haut représentant revêt une importance extrême pour les ambitions de l’Union européenne. J’y vois un démultiplicateur de l’action de notre pays et non pas un obstacle.

L’expérience des crises internationales nous apprend que les Irlandais ne sont pas les seuls à avoir besoin de l’Union européenne pour survivre dans la tourmente du monde. La France, avec ses 65 millions d’habitants, reste une grande puissance, mais elle a aussi besoin des 500 millions d’Européens pour peser dans les grands dossiers en cours de négociation. Ainsi, j’ai participé à la négociation relative à l’implantation du site de recherche sur la fusion thermonucléaire, installé aujourd’hui en France à Cadarache : si nous avions été seuls, nous n’aurions pas obtenu, face aux Japonais, aux Coréens et aux Américains, que cet accélérateur soit construit chez nous. Il n’en a été ainsi que parce que notre dossier pesait du poids de 500 millions d’Européens ; voilà la leçon que je tire de cette expérience. Faisons donc en sorte que notre action se trouve en synergie avec la masse critique que représentent ces 500 millions d’hommes et de femmes et le tiers du PNB de la planète !

Je suis aussi patriote que vous, monsieur Chevènement, mais je suis Européen par intérêt, précisément parce que l’Union européenne joue le rôle de démultiplicateur de la puissance française.

M. Jean-Pierre Chevènement. L’avenir tranchera !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Nous verrons, monsieur le sénateur ! Mais je vais vous répondre dans un instant.

Quant au périmètre de compétence du Haut représentant et du service européen d’action extérieure, vous avez compris que je défends une option ambitieuse : la politique de voisinage, monsieur Blanc, figure naturellement dans ce périmètre.

Quant à l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, un membre de mon cabinet est désormais en charge de ce dossier, en liaison avec les équipes de M. Henri Guaino, car l’enjeu est de taille. Telle est ma conviction depuis que j’ai entendu le discours tenu à Toulon, en février 2007, par celui qui, à l’époque, n’était que candidat à la présidence de la République. Cet enjeu est fondamental parce que l’Afrique va bientôt compter 2 milliards d’habitants. Il est donc impensable que l’Europe ne s’en préoccupe pas. Nous avons par conséquent besoin d’une sorte de « maison commune » rassemblant les Vingt-sept et le monde méditerranéen.

La mise en place de l’UPM est complexe et elle a été parasitée par la crise de Gaza ; mais l’UPM est loin d’être morte. Des projets extrêmement importants doivent être montés, gérés et pilotés, notamment dans le domaine de l’énergie, mais nous travaillons aussi activement sur d’autres sujets. J’espère donc que nous serons très rapidement en mesure de reparler de l’UPM, non pas en termes institutionnels ou de nominations – nous progressons à cet égard –, mais en termes de programmes concrets de développement pour toute la région.

M. Ries a soulevé beaucoup de questions, et je voudrais moi-même lui en poser trois.

Premièrement, monsieur Ries, vous avez critiqué la politique commune de contrôle de l’immigration que nous essayons de mettre en place au niveau européen, notamment par l’harmonisation de nos politiques de délivrance des visas et de protection des côtes. Allez-donc en Grèce : vous verrez comment ce pays est littéralement saturé de clandestins, au point que son équilibre interne est menacé ! La droite n’est pas la seule à le dire, car la Grèce a maintenant un gouvernement de gauche. J’aurais souhaité que vous entendiez les propos tenus hier par le nouveau ministre grec des affaires européennes, un socialiste, sur la situation extrêmement difficile de son pays. L’an dernier, la Grèce a arrêté – c’est bien le mot – 150 000 clandestins, qui proviennent de Turquie et arrivent sur les côtes de la Grèce – la façade maritime, compte tenu des nombreuses îles, est de quelque 13 000 kilomètres – à bord d’embarcations qui coulent à quelques centaines de mètres de la plage, permettant à leurs passagers de se déclarer réfugiés. Toutes ces personnes ne peuvent évidemment pas rester en Grèce et se retrouvent ensuite dans l’espace Schengen. Telle est la réalité !

On peut trouver cette situation normale et dire, comme vous le faites, que l’Europe doit « s’accepter comme une terre d’immigration et d’accueil pour tous les réfugiés ». Dans ce cas, nous sommes loin d’en avoir fini, car il y a des dizaines de millions de candidats. Chaque année, des dizaines, voire des centaines de milliers de clandestins entrent dans l’Union européenne ! La Turquie est malheureusement devenue la porte d’entrée principale pour ces clandestins : ils accèdent à l’espace Schengen soit par voie de terre, soit par voie de mer à partir des côtes turques. Sans parler des clandestins qui arrivent en ce moment à Malte ou sur les côtes italiennes, en provenance de Libye !

La plupart des États membres de l’Union européenne riverains de la Méditerranée sont soumis à une pression qui devient très difficile à assumer. D’où l’idée émise par le Président de la République, en liaison avec M. Berlusconi – mais je peux vous assurer, monsieur Ries, que tous les gouvernements méditerranéens avec lesquels j’ai des discussions partagent ce sentiment d’urgence. Ce n’est pas faire preuve de racisme, d’ostracisme ou de xénophobie que de dire qu’un pays démocratique a le droit de gérer l’immigration au lieu de la subir. Tous les grands pays d’immigration qui sont aussi des démocraties, qu’il s’agisse du Canada, des États-Unis ou de l’Australie, mènent une politique de l’immigration, fondée sur des lois et des règles, et ne se contentent pas de subir la pression migratoire. Pensez-vous qu’il soit raisonnable de dire que l’accord de réadmission signé avec la Libye relève d’une mauvaise idée ? Est-il vraiment raisonnable de refuser l’accord de réadmission avec la Turquie ?

Votre deuxième question portait sur le soutien de l’Union européenne aux pays en voie de développement en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Nous y sommes évidemment favorables ! Vous verrez d’ailleurs, dans le document final qui sera publié à l’issue du Conseil européen, que les crédits prévus vont jusqu’à 100 milliards d’euros, ce qui est loin d’être négligeable ! Mais où trouver cet argent et à qui l’attribuer ? Ne faites-vous aucune différence entre les grands pays émergents qui se cachent derrière les pays en voie de développement et ces pays en voie de développement eux-mêmes qui sont dépourvus de tout ? Les mêmes règles doivent-elles s’appliquer à tous et doit-on transférer l’argent et les technologies de la même façon ? C’est là que la négociation est difficile et qu’il nous appartient d’opérer une distinction, à partir des critères que sont le niveau d’émissions et le PNB : la négociation les prend en compte. L’exercice est difficile, mais ne dites pas à l’avance que nous refusons d’aider les pays en voie de développement.

Enfin, s’agissant de la taxe carbone, vous avez émis le vœu que l’Union européenne adopte une méthode moins comminatoire : mais qu’avez-vous d’autre à proposer ? Vous êtes maire d’une grande ville, monsieur Ries, et vous êtes donc payé pour connaître les problèmes de l’immigration, dont j’ai parlé à l’instant, et ceux du développement. D’une part, nous tenons le discours de la générosité, en aidant au moyen des transferts de technologies et d’argent ; d’autre part, nous brandissons l’arme de dissuasion qui consiste à soumettre tout le monde aux mêmes règles, pour préserver nos entreprises. Sinon, nous risquons d’institutionnaliser le dumping écologique, et nous serons les dindons de cette farce : les émissions de gaz à effet de serre ne diminueront pas et de graves inégalités se développeront.

M. Chevènement, pour lequel j’éprouve une très grande estime, a évoqué dans son intervention le soupçon d’illégitimité qui entacherait le traité de Lisbonne. Monsieur le sénateur, ceux qui ont voté « non » au référendum de 2005 en France, vos anciens amis politiques ou ceux qui sont restés vos amis, représentaient une coalition improbable…

M. Jean-Pierre Chevènement. 55 % des Français !

M. Pierre Hérisson, vice-président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Cela fait beaucoup d’amis !

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Un soupçon d’incohérence ne planait-il pas sur un tel assemblage ?

Deuxièmement, vous vous moquez de MM. Zinedine Zidane et Umberto Eco, en demandant pourquoi l’Europe ne serait pas dirigée par des personnalités aussi éminentes. Mais, monsieur Chevènement, vous qui avez étudié l’histoire, pensez-vous vraiment que MM. Chamberlain et Laval, au moment où l’orage menaçait l’Europe, se sont mieux comportés que des amateurs ? Réfléchissez-y !

L’Union européenne nous offre un certain nombre de garde-fous. Je préfère un système collectif, où tout le monde s’assied autour de la table pour prendre des décisions en cas de crise. Regardez ce qui s’est passé pendant la crise de 2008 : heureusement qu’un cadre européen nous a permis de gérer ensemble la crise financière. Comparez avec la situation qui a prévalu en 1929… Regardez ce qui s’est passé lors de la crise géorgienne de l’été 2008 et comparez avec les crises précédentes. Il n’est pas si mal de disposer d’un cadre européen, et vos moqueries me paraissent déplacées car, dans notre histoire, il aurait mieux valu, dans l’intérêt même de la France, que certains individus soient footballeurs !

Enfin, s’agissant du Conseil de sécurité, la France n’a nullement l’intention de partager sa place de membre permanent non plus que la décision en matière nucléaire. Pour autant, nous avons fait des propositions, que les Allemands ont d’ailleurs refusées. Depuis lors, cette question reste pendante.

Aujourd’hui, pour résumer les choses, le Conseil de sécurité intervient dans les affaires politico-militaires, cependant que le G 20, formé voilà quelques années, qui regroupe les grandes puissances développées et en développement, est compétent pour les affaires économiques et politiques. Pour le moment, il faut nous accommoder de cette répartition des rôles, qui n’est pas aussi négative qu’on veut bien l’indiquer.

Je voudrais dire maintenant un mot sur les suites du G 20 et sur les moyens pour notre économie d’éviter d’être prise en tenaille entre, d’une part, les économies à bas salaires et, d’autre part, les effets des dévaluations compétitives du dollar et du yuan.

Monsieur Chevènement, nous sommes aussi conscients que vous de cette situation, et certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont eu raison de dire qu’elle sera au centre de toutes les préoccupations au cours des mois et des années qui viennent.

Il est exclu que nous servions de monnaie de réserve gratuite et d’alibi à une dévaluation compétitive permanente des deux monnaies que j’ai citées. Constituons d’abord une union économique solide, qui nous permettra par la suite de gérer la compétition monétaire.

M. Yves Pozzo di Borgo a soulevé plusieurs questions ayant trait à la politique de défense européenne et à la politique spatiale.

S’agissant de la première, il a rendu hommage au travail de « volontarisme partagé » que j’essaie de mener auprès de nos partenaires, travail qui n’est guère aisé.

Quant à savoir si le futur Haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne sera compétent sur ces sujets, la réponse est positive : celui-ci étant le représentant du Conseil, il disposera d’autant de prérogatives que le Haut représentant actuel.

Bien entendu, il ne faut pas communautariser les mécanismes militaires. Une négociation est en cours sur ce dossier, mais ce point de vue est partagé.

En matière de politique spatiale, l’article 189 nouveau du traité de Lisbonne traite des mesures nécessaires à l’élaboration d’une politique spatiale européenne, qui peut prendre la forme d’un programme spatial européen.

Les dépenses européennes dans ce domaine représentent approximativement le quart de celles des États-Unis. C’est dire si nous avons du retard à rattraper. Pour autant, notre bilan est loin d’être médiocre puisque nous avons réussi à mener à bien des projets aussi réussis que Galileo et le GMES, ou Global monitoring for environment and security. Je me suis d’ailleurs rendu récemment en Italie, dans une usine du groupe Thales Alenia Space, qui œuvre notamment dans le système Galileo.

Citons aussi le système Musis, ou Multinational space-based imaging system, le futur système militaire d’imagerie spatiale destiné à des missions de surveillance, de reconnaissance et d’observation, actuellement en phase de développement, qui recourra à des satellites d’observation optique et des satellites radars.

Enfin, l’Europe est aussi très active en matière de lanceurs. M. Portelli, me semble-t-il, évoquait tout à l’heure les aspects budgétaires de cette question. Il convient d’être très attentif, mais l’Europe doit disposer des moyens nécessaires pour mener à bien une véritable politique spatiale, pour laquelle elle possède toutes les compétences requises.

M. Billout, quant à lui, critique et le traité de Lisbonne et la politique européenne des États de l’Union. C’est son droit, et je ne le lui dénie aucunement. Pour autant, monsieur le sénateur, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux vous laisser dire que le verdict des peuples a été « bafoué » et que « la ratification du traité de Lisbonne aura bien été une parodie de démocratie ».

Je trouve piquant que le parti communiste utilise les mêmes arguments que certains opposants irlandais au traité, qu’il s’agisse des partisans de l’avortement ou de la droite catholique la plus extrême, que les conservateurs britanniques de M. Cameron ou bien de l’extrême droite.