M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Michelle Demessine. Nous devrions aller au-delà des annonces faites par le Président de la République en mars 2008 dont j’ai parlé tout à l’heure et commencer à proposer d’interrompre, totalement ou partiellement, certains de nos programmes de modernisation de nos armements nucléaires, comme le missile stratégique M51.

M. le président. Madame Demessine, vous avez épuisé votre temps de parole !

Mme Michelle Demessine. La France, qui figure parmi les cinq premières puissances militaires,…

M. le président. Conclusion !

Mme Michelle Demessine. … devrait se trouver en première ligne dans ce combat pour le désarmement multinational dont l’avenir planétaire dépend. Comment en effet ne pas entendre le secrétaire général des Nations unies…

M. le président. Je vous demande de conclure, madame Demessine !

Mme Michelle Demessine. … lorsqu’il appelle à un désarmement d’urgence, arguant du fait que les dépenses militaires engloutissent chaque année dans le monde 1 500 milliards de dollars alors qu’il suffirait de 100 milliards de dollars par an pour affronter efficacement le défi du réchauffement climatique !

Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, vous aurez compris que nos désaccords, en particulier sur l’armement nucléaire, portent sur des questions de fond et que le groupe CRC-SPG ne votera donc pas votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que le temps de parole dont dispose chaque groupe est de dix minutes.

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la place de la défense dans l’État et dans le budget de celui-ci est à la hauteur de la place éminente qu’occupe la France dans la communauté internationale.

Ce statut particulier et privilégié nous confère des droits mais aussi des devoirs, tout spécialement au sein des Nations unies. C’est bien dans ce sens qu’il faut comprendre l’engagement français, en Afghanistan bien sûr, mais également ailleurs dans le monde.

Lors du débat sur l’Afghanistan au Sénat, le 16 novembre dernier, nous avons constaté que la France était embarquée dans une opération longue, coûteuse et très complexe.

Acceptons le fait que notre intervention aux côtés de la coalition prendra du temps avant de porter tous ses fruits.

Acceptons également que l’on ne parviendra à rien tant que les choses ne seront pas mieux tenues au Pakistan, ce pays, fragile face au développement de l’islam extrême, qui dispose de l’arme nucléaire.

Acceptons enfin que la solution dans la région sera politique ou ne sera pas, et que nos efforts militaires doivent aller de pair avec la mise en place des conditions d’une vie stable pour les Afghans, si cela est possible.

Cette place prépondérante dans le concert des nations, la France la doit aussi à ses départements et territoires d’outre-mer et à sa présence militaire dans le monde. Cela exige que nous assurions le maintien de notre présence et de notre souveraineté sur tout notre territoire.

Monsieur le ministre, pour cette raison précise, vous avez pris la décision de maintenir notre présence dans les Iles Éparses. Je salue ce choix, dans lequel j’espère que tous verront un signal quant à l’attachement de la France au respect de sa souveraineté sur son territoire national, y compris dans les pans les plus éloignés de l’hexagone.

Par ailleurs, la base militaire permanente française créée à Abu Dhabi et inaugurée par le Président de la République le 26 mai dernier renforce notre présence dans la zone stratégique du golfe Persique.

Dans un monde multipolaire, notre présence sur tous les continents et sur tous les océans est un atout qu’il faut absolument préserver. Je dis bien « multipolaire », car, nous le savons, la puissance militaire chinoise augmente à un rythme et dans des proportions qui donnent le tournis.

Cette évolution majeure bouscule les relations internationales telles que nous les avons connues depuis un demi-siècle. Elle doit faire l’objet d’une vraie prise de conscience dans le cadre atlantique et dans le cadre européen.

Dans le cadre européen, évidemment, parce que la place de la France ne pourra être préservée et consolidée qu’au sein d’une véritable Europe de la défense : vous le savez, monsieur le ministre, les centristes en sont convaincus depuis de nombreuses années, la construction d’une vraie défense européenne est le corollaire indispensable de l’Alliance atlantique.

Je profite donc de cette occasion pour saluer à nouveau les avancées concrètes qu’ont permis d’enregistrer la présidence française de l’Union européenne et votre contribution personnelle à ces avancées.

M. Hervé Morin, ministre. Je vous remercie.

M. Yves Pozzo di Borgo. Comme l’a observé le général Bentégeat, l’Europe a récemment progressé dans la conduite des opérations. Aujourd’hui, nous disposons de cinq quartiers généraux opérationnels.

En revanche, la défense européenne n’a pas été dotée des moyens de progresser en matière de capacité, et il reste beaucoup à faire dans ce domaine. L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est une opportunité historique pour faire avancer cette Europe de la défense.

Quelles seront les prérogatives du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune en matière de défense ? Le 27 octobre dernier, j’ai interrogé à ce sujet M. Lellouche, qui a indiqué au Sénat que le Haut représentant serait compétent sur les sujets relatifs à la défense. Pouvez-vous donc, monsieur le ministre, nous en dire plus quant aux prérogatives de Mme Ashton ?

Comment son action sera-t-elle coordonnée avec celle du COPS, le comité politique et de sécurité, et celle du comité militaire de l’Union européenne ?

À cette question, j’en ajouterai une autre, monsieur le ministre. Nous savons que l’UEO n’est plus l’enceinte de débat privilégiée des États européens. Malgré son intérêt, cette instance s’est considérablement affaiblie ces dernières années, tandis qu’au sein du Parlement la sous-commission « sécurité et défense », qui fait plus de bruit qu’elle n’a de pouvoir, souhaite disposer de beaucoup plus de compétences, alors que le traité de Lisbonne précise bien qu’il n’y a ni compétences supplémentaires pour les commissions ni accentuation du rôle du Parlement européen.

Les Parlements nationaux - et je rejoins ce que disait M. Josselin de Rohan tout à l’heure - ont eux aussi besoin de dialoguer et de débattre des questions de défense.

Quel sera ce lieu de débat et de concertation ? Sera-ce l’Assemblée parlementaire de l’OTAN ?

Monsieur le ministre, cette évolution institutionnelle permettra-t-elle de bâtir l’architecture de sécurité européenne qui fera de l’Europe une Europe puissante ?

Je profite de ces questions pour déplorer sincèrement les remarques très désagréables qui ont entouré les nominations des nouveaux visages de l’Union. Les commentaires qui ont suivi la nomination de M. Van Rompuy, notamment concernant son manque de charisme, seraient à mettre en parallèle avec la discrétion et l’humilité qui caractérisèrent Robert Schumann à l’époque. Pensons-y un instant avant de céder à des jugements à l’emporte-pièce !

Pour en venir aux enjeux budgétaires du projet de budget de la mission « Défense », je souhaite commencer en saluant le respect des orientations que le Sénat a votées il y a moins de quatre ou cinq mois dans la loi de programmation militaire 2009-2014 ; c’est suffisamment rare pour être souligné ! Ce budget est également conforme aux grandes orientations arrêtées dans le Livre blanc sur la défense, en particulier en matière de maintien des ressources annuelles en volume, hors charges de pension, mais aussi concernant la capacité de projection et d’entraînement de nos forces.

Je salue également l’octroi des 770 millions d’euros dont bénéficieront les armées et leurs fournisseurs dans le cadre du plan de relance. Cela contribuera à moderniser nos équipements mais aussi, ne l’oublions pas, à préserver et à créer des emplois sur nos territoires. Au total, ce sont 1,7 milliard d’euros de crédits d’équipements supplémentaires qui ont été octroyés par rapport aux budgets initiaux en 2009 et 2010. Ces crédits sont à la hauteur de l’importance stratégique de ce poste de dépense.

L’équipement des armées reste donc une priorité de la mission « Défense », dont le budget demeure élevé, avec plus de 17 milliards d’euros.

Parmi les recettes exceptionnelles, 1,26 milliard d’euros sont issus des cessions d’actifs immobiliers et de fréquences hertziennes prévues l’an prochain. Ces cessions ont été réalisées de façon raisonnée, et elles fournissent des recettes bienvenues. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, comment le ministère ajustera son budget pour que ces crédits exceptionnels ne manquent pas dans les années suivantes ?

L’année 2010 sera une année de livraisons importantes pour la défense, avec notamment l’entrée en service de 5 000 équipements Félin, de sept hélicoptères de combat Tigre, d’une centaine de véhicules blindés VBCI, du premier hélicoptère NH90 naval ou encore de onze avions de combat Rafale. Ce sera également l’année de la première dotation de missiles M51.

Cette dotation explique l’augmentation de plus de 10 % des crédits liés à la force de dissuasion. Elle contribuera à remplir l’un des objectifs majeurs du Livre blanc : le maintien de la dissuasion nucléaire comme un fondement primordial de notre stratégie de défense nationale. À ce propos, monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser comment le sauvetage du programme A400M que vous avez engagé se concrétisera en 2010 ? Pouvez-vous également nous exposer la façon dont le ministère entend maintenir, voire augmenter notre effort en faveur de la recherche ? Il est en effet impératif que celle-ci reste une priorité.

Parce qu’il est conforme aux orientations fixées par le législateur et à la hauteur de son importance stratégique, le budget de la mission « Défense » pour 2010 recueillera l’approbation du groupe Union Centriste.

Je souhaite conclure en saluant la mémoire de ceux de nos soldats qui ont perdu la vie aux côtés de nos alliés en Afghanistan, mais aussi sur d’autres théâtres d’opérations extérieures. Je leur rends hommage, et j’ai une pensée pour les blessés et leurs familles sur tous ces théâtres, ainsi que pour les morts de l’embuscade de la vallée d’Uzbin.

Dans le débat qui s’engage, les valeurs portées par la grande famille de l’armée sont un des éléments constitutifs de notre identité nationale. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail approfondi de nos commissions permet d’être assez bien informé de la réalité et de l’évolution des budgets de la défense. Nous avons ainsi une « vision déjà historique » de ces questions. C’est utile pour appréhender les mouvements financiers, les évolutions stratégiques et les programmes qui connaissent des cycles de vie très longs. C’est pourquoi je vais d’abord livrer une appréciation générale de ce budget et de la politique de défense avant d’en venir à quelques considérations plus particulières.

Depuis deux ans, vous avez entamé, monsieur le ministre, une réforme ambitieuse, hélas ! trop longtemps ajournée. Votre prédécesseur avait travaillé obstinément sur une lancée historique qui n’était plus d’actualité, refusant nos mises en garde, plombant ainsi durablement les finances du ministère. Cela a sérieusement compliqué votre tâche. Les avatars de votre loi de programmation militaire, votée avec retard, n’ont rien arrangé, et la révision générale des politiques publiques, la RGPP, vous contraint à des décisions douloureuses, dans une urgence qui conduit à l’improvisation.

Je me sens enclin à faire preuve d’une certaine indulgence, qui ne saurait être - je rassure mes collègues - de la complicité, car vous êtes pris entre le passif de l’héritage, les obligations de la RGPP et les préconisations idéologiques du Livre blanc.

La représentation nationale a les moyens de vous aider à consolider la défense nationale et la défense européenne, à condition que la majorité, celle d’aujourd’hui, qui est la même que celle d’hier, ose faire preuve d’audace, c’est-à-dire fasse le contraire de ce qu’elle a fait de 2002 à 2007 : ouvrir les yeux. Le doute m’envahit ; l’expérience, sans doute.

Nous n’avons pas voté votre LPM parce que les orientations qui la sous-tendaient nous paraissaient en décalage avec les besoins réels de la sécurité du pays. Nous avons voté contre car elle n’était que l’émanation du Livre blanc dicté par le Président Sarkozy, encore tout imbibé de la vision du monde de l’ineffable Georges Bush. Celui-ci n’a d’ailleurs guère changé, même si chacun mesure aujourd’hui les erreurs d’appréciation du cow-boy texan face à la réalité du monde et les problèmes qu’il a laissés pendants.

Mais il s’agit de la défense de la France, et nous ne souhaitons pas votre échec, qui serait lourd de conséquences pour la défense de notre pays et pour la sécurité de nos concitoyens. Car, dans un monde aussi incertain, aux menaces diffuses et changeantes, ce serait préjudiciable pour eux et nos voisins européens.

Je vous offre donc une attitude constructive, responsable mais exigeante en matière de résultats. Il convient d’analyser les modalités qui permettront ou non d’atteindre les objectifs de cette réforme.

Premier constat : l’annuité 2010 apparaît en accord avec la programmation. Les montants annoncés sont « dans les clous ». Les rapporteurs l’ont dit : le plafond d’emplois est conforme. Votre projet traduit une volonté d’efforts en faveur de l’équipement. Certes, les crédits de la mission « Défense » affichent une légère diminution de 800 millions d’euros, mais je ne saurais m’y arrêter. C’est un bon point... Mais alors que nous avons beaucoup travaillé en commission, écouté les rapporteurs, un malaise s’est subrepticement installé dans les esprits. Je vais avancer ici quelques explications possibles de cette situation.

Nous devons tout d’abord nous interroger afin de voir si ce budget 2010 nous rapproche des objectifs fixés par et pour la réforme du ministère. La commission des finances du Sénat s’est penchée sur « les aléas à long terme pour la programmation militaire » qu’elle évalue à « environ 10 milliards d’euros d’ici à 2014 ».

La deuxième interrogation porte sur la sincérité de l’équilibre budgétaire proposé par le ministère. Les rapporteurs donnent des réponses : « En 2009, faute de ressources exceptionnelles, l’équilibre financier de la mission « Défense » a donc dépendu de facteurs eux-mêmes exceptionnels : l’autorisation de consommer 400 millions d’euros de crédits reportés, et environ 300 millions d’euros d’économies du fait d’une inflation inférieure aux prévisions ».

Pourquoi s’arrêterait-on en si bon chemin ? En 2010, comme en 2009, vous nous proposez à nouveau de compléter le budget avec des recettes exceptionnelles, à hauteur de 1,26 milliard d’euros.

Pour finir, la mission « Défense » bénéficiera encore une fois du concours des crédits du plan de relance, à hauteur de 770 millions d’euros.

Tout le monde l’aura compris, sans ces crédits, l’édifice vacillerait et s’écroulerait d’un coup. Car, non seulement ces recettes sont aléatoires, mais elles n’ont aucune perspective de pérennité, d’autant que, si les crédits issus du plan de relance sont aujourd’hui effectivement au rendez-vous, il convient de bien s’imprégner du fait qu’il ne s’agit que d’avances et non d’un surplus budgétaire.

La voilà, monsieur le ministre, la cause du malaise. On saisit qu’en réalité le budget n’est pas tout à fait en équilibre. Saupoudrées d’une fine couche d’improvisation et de recettes aléatoires, les dépenses apparaissent d’un seul coup en pleine lumière comme imparfaitement maîtrisées.

Jetons un œil sur les fumeuses recettes exceptionnelles. Tout a été dit. Les rapporteurs ont fait du bon travail. La gestion des cessions d’actifs immobiliers et de fréquences hertziennes est dans un épais brouillard. Si ces financements exceptionnels venaient à faire défaut ou à ne pas être entièrement réalisés, quelle serait alors votre capacité à leur substituer des crédits ordinaires ? Ce serait ainsi tout l’effort en faveur des équipements - tant vanté dans cet hémicycle - qui serait mis à bas.

Arrêtons-nous sur le cœur de la réforme : les ressources humaines et les territoires. En 2010, les armées vont poursuivre leur effort de restructuration et de réduction des effectifs, de fermetures et de transferts de bases, chamboulant de fond en comble la carte militaire. Les personnels civils et militaires qui vont supporter cet effort gigantesque sont insatisfaits et inquiets. Je sais que vous rechignez à prendre en compte les remarques qui vous sont faites sur ce sujet. Pourtant, sans l’adhésion des personnels, votre réforme prendra l’eau. Sans leur implication réelle, elle patinera et fragilisera l’outil de défense du pays.

Monsieur le ministre, il vous faut faire un véritable effort vers plus de concertation.

M. Hervé Morin, ministre. Je ne fais que ça !

M. Didier Boulaud. Des instances existent pour cela. Servez-vous en ! N’oubliez pas de dialoguer avec les syndicats - même si je n’ignore pas que la droite y rechigne par nature - ils ont leur mot à dire au nom des personnels civils, ces grands oubliés de la réforme.

M. Hervé Morin, ministre. Je les rencontre tout le temps !

M. Didier Boulaud. Mes collègues et moi-même, qui sommes à leur écoute dans les départements et les régions, pouvons témoigner de ce grave manquement de la part des hiérarchies placées sous votre autorité. Sans cette impulsion de votre part, cette réforme aura de graves conséquences.

En matière de recrutement, reportons-nous au rapport du député Bernard, qui signale que, pour les militaires du rang, la situation est préoccupante : « Le besoin est certes satisfait mais la qualité baisse et la motivation des nouvelles recrues semble moins forte, le nombre important d’abandons au cours des premiers mois de vie militaire en témoignant […] ». Dites-nous quels sont les postes qui en sont d’ores et déjà affectés et quelles seront les conséquences sur les forces projetées.

Quant aux bases de défense, il serait apparemment trop tôt pour disposer de « retour d’expérience » à leur sujet. Alors à partir de quel bilan est-il décidé de mettre en œuvre plus ou moins de bases de défense ? Tout cela est bien flou.

Je vous mets en garde contre une idée souvent répandue : certaines innovations commencent toujours par coûter plus cher avant de générer des économies, dit-on. II faudra prendre en compte les gains issus de la déflation des effectifs et les dépenses nouvelles liées aux mesures d’accompagnement. Dans l’immédiat, les suppressions d’effectifs ne dégagent pas de marge de manœuvre, sans parler de dépenses sous-évaluées ou non prévues qui ne manquent pas d’apparaître au fur et à mesure des restructurations.

Nous connaissons le précédent de la professionnalisation. Il était prévu que celle-ci entraînerait de fortes économies. Nous avons pu en mesurer le résultat ! La réforme que vous portez aurait-elle été aussi bien planifiée que le passage à l’armée professionnelle ? J’en tremble d’avance ! La « grande manœuvre des ressources humaines » est un enjeu de taille. Avec une armée au format réduit, plus ramassée, avec des moyens financiers aléatoires et avec une croissance régulière des opérations militaires dures à l’extérieur, on ne saurait improviser une telle manœuvre sans risquer de désorganiser nos forces durablement.

Car c’est bien un étrange sentiment d’impréparation de l’avenir qui prévaut.

Le premier exemple que je souhaite vous citer à ce titre est celui du retour de la France au sein du commandement intégré de l’Otan. Le coût n’en aurait-il pas été anticipé alors qu’il s’agissait d’une mesure phare du Président Sarkozy ? II vous en avait parlé. Mais aurait-il oublié le ministre des finances ?

Si tel n’est pas le cas, ce dernier aura donc omis d’en prévoir le coût. II est vrai qu’en une période si faste pour les finances publiques, où chaque jour sont distribués des milliards d’euros que nous n’avons pas, ce ne sont pas quelques centaines de millions d’euros qui vont arrêter le pèlerin. Au diable l’avarice !

Combien en coûtera-t-il pour la période 2010-2014 : 700 millions, 900 millions d’euros ? Sur quelle ligne ces crédits seront-ils prévus, et comment entendez-vous financer cette opération ? À combien reviendra chaque étoile ?

Votre réponse sera importante car, dans le même temps, la réintégration de toutes les instances de l’OTAN a signé l’abandon d’une réelle politique de défense européenne autonome, et ce malgré vos dénégations.

Deuxième exemple : la Cour des comptes s’interroge sur le transfert du ministère à Balard. Le choix d’un partenariat public-privé pose la question de savoir dans quelle mesure ce choix préserve les intérêts de l’État à court terme et à long terme. Quel en sera le coût exact pour le budget de la défense ? Votre réponse, que j’espère précise, engage l’avenir.

Autre exemple d’impréparation : le premier vol de l’A400M aurait lieu en fin d’année. Or l’accord trouvé pour prolonger le programme aura un surcoût ; certains parlent de 2 milliards d’euros, dont 1 milliard d’ici à 2014. Qui va payer? Sur quelle ligne ces crédits seront prévus et comment comptez-vous financer ce surcoût ?

À partir de ces quelques exemples, nous sommes en droit et en devoir de nous poser des questions sur la sincérité de votre budget et sur les aléas qui conditionnent l’architecture budgétaire de la défense : aléas relatifs à la LPM, évalués par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat à environ 9,5 milliards d’euros, dont 1 sur 3,7 pour les ressources exceptionnelles.

Nos collègues ont par ailleurs soulevé une question budgétaire relative à la décision de ne pas appliquer la loi de programmation des finances publiques 2009-2012 aux budgets de la défense. Ils écrivent : « Le choix de faire prévaloir la loi de programmation militaire sur la loi de programmation des finances publiques devrait, sur la période 2009-2014, réduire les crédits de paiement de la mission " Défense " d’environ 3,5 milliards d’euros, et son " pouvoir d’achat " de 1,5 milliard d’euros ». « Dans le cas de l’année 2010 », je cite toujours les rapporteurs spéciaux de la commission des finances, « ce choix réduit le " pouvoir d’achat " de la mission " Défense " de plus de 200 millions d’euros. Cet effort porte en totalité sur les crédits d’équipement, qui, selon les informations dont disposent les rapporteurs spéciaux, devraient être inférieurs, à périmètre constant, d’environ 200 millions d’euros aux montants prévus par la loi de programmation militaire ». Pourriez-vous nous fournir des explications quant à cette décision qui semble limiter les crédits dévolus à la défense ?

Je conclus : monsieur le ministre, si vos chiffres sont bons, alors ils seront en harmonie avec la loi de programmation militaire. Mais la charpente vacille déjà et son architecture déséquilibrée faite de rustines ne saurait inspirer au Parlement une grande confiance. Elle commence à ressembler à sa sœur aînée.

Monsieur le ministre, la problématique de la défense est un sujet complexe, car la garantie de posséder une bonne défense réside aussi dans des éléments qui n’ont - en apparence - rien à voir avec la question militaire.

Une bonne santé économique et une solide cohésion sociale sont, en effet, indispensables pour protéger notre outil de défense.

Il faut pouvoir compter sur une économie saine et dynamique. Or nous en sommes bien loin, et nous le déplorons ! La politique obstinée et dogmatique du Gouvernement met la santé économique du pays à rude épreuve. La dette publique atteint des fonds abyssaux. C’est cela qui met en danger l’effort économique pour la défense.

Pour réussir, il faut aussi pouvoir compter sur une forte cohésion sociale. Or nous nous en éloignons chaque jour un peu plus. Vos manœuvres autour de l’identité nationale, ainsi que l’action destructurante du chômage qui explose, ne contribuent pas à rendre notre société plus unie, plus solidaire, plus fraternelle. Bref, ces ingrédients indispensables ne sont plus réunis pour garantir l’avenir de notre défense. Celle-ci ne peut subsister, en République, qu’avec le soutien du peuple et de la nation. C’est, en tout cas, notre profonde conviction.

Je vous rends responsables, vous et l’ensemble du Gouvernement, mais aussi votre moutonnière majorité (protestations sur les travées de lUMP), de la situation du moment.

Le groupe socialiste, face à un tel constat, ne votera pas votre budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer, à mon tour, l’importance des crédits consacrés à la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2010.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 30,12 milliards d’euros de crédits budgétaires, hors pensions ; plus de 2 milliards d’euros issus du plan de relance et des recettes exceptionnelles ; surtout, 17 milliards d’euros de dépenses d’équipements pour les études, la dissuasion, les opérations d’armement, les infrastructures et l’entretien des programmes des personnels et des matériels.

M. Jean-Louis Carrère. Tout va bien ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jacques Gautier. Ces sommes s’inscrivent pleinement dans la trajectoire de la loi de programmation militaire 2009-2014, votée en juillet dernier. Elles représentent un nouvel effort significatif de notre pays pour moderniser son outil de défense et l’adapter aux nouveaux risques et vulnérabilités définis par le Livre blanc.

Les crédits pour 2009 battent un record qui risque de rester inégalé, mais je constate que les sommes engagées pour 2010 sont très supérieures à celles prévues dans les budgets précédents, y compris celui de 2008, avec une priorité donnée aux équipements.

Je voudrais insister un instant sur le courage, le pragmatisme et la lucidité de la réforme engagée.

À la suite des conclusions du long travail de réflexion conduit avec le Livre blanc, il a été possible de redéfinir un format opérationnel plus contraint, correspondant mieux à nos besoins et à nos capacités, d’intégrer la nécessaire réorganisation de nos soutiens et de l’administration, notamment en termes de mutualisation avec les bases de défense, et de sanctuariser les économies ainsi réalisées pour améliorer la condition militaire, mettre en œuvre les restructurations, engager des moyens supplémentaires pour les équipements de nos forces et le maintien en condition opérationnelle des matériels. Tout cela a été réalisé en réformant une carte militaire trop longtemps immuable, marquée par l’histoire et par un ennemi germanique ou soviétique qui ne pouvait venir que de l’Est.

Dans le peu de temps qui m’est imparti, il est impossible de décliner toutes les livraisons prévues en 2010.