M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est vrai !

M. Michel Teston. J’ai déjà eu l’occasion de lui rappeler que, par parallélisme des formes, ce qu’une loi fait, une autre peut le défaire !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Nous vous faisons confiance !

M. Michel Teston. M. Guaino, conseiller de M. Sarkozy, ainsi que des constitutionnalistes, ont formulé la même remarque.

En outre, avec la disparition du monopole et l’élargissement du nombre d’opérateurs dans la distribution du courrier, rien n’empêchera le dépôt d’un autre projet de loi pour faire descendre, en dessous de 50 %, la part du capital public, et ce sans enfreindre le préambule de la Constitution de 1946.

La décision sera bien évidemment politique ! Mais elle pourra s’appuyer, notamment, sur la nécessité de renforcer de nouveau, à l’avenir, les fonds propres de La Poste.

Or l’ouverture totale à la concurrence risque bien de laminer les résultats de La Poste du fait que les opérateurs alternatifs ne manqueront pas de se positionner sur des niches rentables. La Poste risque d’en pâtir avec, à la clé, une dégradation de ses résultats. Dans ce cas, qui peut penser que l’État et la Caisse des dépôts et consignations pourront, ou voudront, souscrire à une augmentation de capital ?

On nous expliquera qu’une ouverture « limitée » du capital est nécessaire. Tout le monde connaît la suite – on nous a déjà fait le coup avec France Télécom et GDF ; on dira : L’EPIC La Poste n’était pas privatisable ; la SA La Poste le devient !

Quelle incidence a le changement du statut de La Poste sur les personnels ?

Avec le basculement de La Poste dans le droit commun, l’emploi de personnels contractuels devient la règle. Certes, les fonctionnaires conservent leur statut, mais, à l’avenir, il n’y aura plus de recrutement de fonctionnaires.

Les 160 000 contractuels sur les 287 000 agents que compte actuellement La Poste basculeront du régime de retraite complémentaire de l’IRCANTEC vers celui de l’AGIRC-ARRCO, a priori moins favorable.

Même si l’AGIRC-ARRCO apporte une soulte de plusieurs milliards d’euros à l’IRCANTEC, le départ d’un nombre aussi important de cotisants risque, à moyen terme, de remettre en cause l’équilibre financier de I’IRCANTEC.

En outre, en l’absence de convention collective des activités postales, les opérateurs concurrents risquent de pratiquer une politique de dumping social, dangereuse non seulement pour leurs salariés, mais aussi pour ceux de La Poste.

Les députés ont supprimé l’obligation de reconstitution de la carrière des fonctionnaires de La Poste ayant opté pour le maintien de leur grade de reclassement et qui sont privés, dès lors, de leur droit à promotion interne.

Lors de la réunion de la CMP, la majorité parlementaire n’a pas voulu rétablir les dispositions issues de l’adoption de deux amendements socialistes, ici même au Sénat, qui apportaient un début de solution à une situation que subissent, depuis des années, ces fonctionnaires.

Monsieur le ministre, nous voulons avoir la garantie que cette reconstitution de carrière aura, malgré tout, bien lieu.

Le changement de statut aura-t-il des conséquences sur la présence postale et, donc, pour les usagers ?

Le texte garantit la présence sur le territoire de 17 000 points de contact au moins. Cette précision…

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Est utile !

M. Michel Teston. … ajoutée par les sénateurs est effectivement utile.

Toutefois, elle n’apporte aucune garantie en termes de maintien de la répartition actuelle entre les 10 650 bureaux de plein exercice, les 4 600 agences postales communales, et les 1 750 relais chez les commerçants.

Le mouvement de transformation des bureaux en agences postales communales et points relais commerçants risque donc de s’accélérer sur fond de réduction du volume d’heures et d’abandon de certaines prestations complexes, bancaires et financières notamment.

Quelle est l’incidence sur le cadre contractuel avec les communes ?

Pour répondre à nos inquiétudes quant au risque découlant du changement de statut sur les partenariats publics et privés noués par La Poste, le rapporteur à l'Assemblée nationale a fait adopter un amendement précisant que celui-ci n’a aucune incidence sur les partenariats en cours et à venir.

Ces dispositions paraissent garantir le maintien des conventions d’une durée de neuf ans passées avec les communes pour le fonctionnement des agences postales communales. En revanche, elles semblent de nature purement déclarative pour ce qui concerne les partenariats à venir.

En effet, les nouvelles conventions relatives à l’organisation et au fonctionnement des agences postales communales ne seront-elles pas soumises à l’obligation d’un appel d’offres, procédure utilisée normalement pour choisir un prestataire en cas de délégation de service public ?

Si tel devait être le cas, nous n’avons aucune garantie que les communes seront systématiquement retenues pour exercer ces délégations.

Comment ne pas faire aussi état de la lettre adressée par M. Hortefeux à M. Bailly, dans laquelle il précise que les conventions devront prévoir le remboursement, à la collectivité, des rémunérations versées par celle-ci aux agents mis à disposition.

Quel financement est prévu pour la présence postale et le transport de la presse ?

Même si un moratoire a été décidé au sujet de l’application de la convention État-Presse-Poste, celle-ci prévoit une diminution progressive de l’aide de l’État dans ce domaine, aide qui devrait d’ailleurs disparaître en 2015.

Or ce projet de loi n’apporte aucune solution en matière de financement, alors qu’il est pourtant essentiel d’assurer l’égalité d’accès des citoyens à la presse écrite.

Quant à la présence postale, elle est financée, en partie, par un abattement sur les bases d’imposition de La Poste, abattement supporté par les collectivités locales et non par l’État.

Le projet de loi porte cet abattement à 95 %, sans qu’il soit prévu une compensation par l’État au titre de la DGF, la dotation globale de fonctionnement.

Là encore, le texte n’apporte pas de réponse, l’État laissant à La Poste et aux collectivités locales le soin de financer la présence postale.

La suppression du secteur réservé ne va-t-elle pas fragiliser le service public postal ?

La suppression du monopole résiduel des postes nationales pour les plis de moins de 50 grammes oblige à mettre en place un autre mode de financement pour le service universel postal, qui était jusqu’à présent principalement couvert par les recettes du secteur réservé.

Le projet de loi prévoit ainsi d’activer le fonds de compensation prévu par la loi de mai 2005 relative à la régulation des activités postales. Mais rien ne prouve que ce dispositif assurera un financement suffisant.

L’expérience acquise en France, avec le fonds de compensation mis en place en matière de téléphonie fixe, n’incline pas forcément à l’optimisme.

En effet, France Télécom, chargée du service universel, assume la plus grande partie du financement. Quant aux autres opérateurs, il n’est pas rare – c’est le moins que l’on puisse dire ! – qu’ils contestent le montant de la quote-part qui leur est affectée.

Enfin, le texte élargit fortement les pouvoirs de l’ARCEP en matière de régulation, et ce au détriment du politique.

Cette analyse globale du texte nous conduit à la conclusion suivante.

Au cours des débats, aucun argument solide n’a été présenté par le Gouvernement pour justifier l’abandon du statut d’EPIC, qui n’a pourtant pas gêné le développement de La Poste, y compris à l’international.

Nous affirmons que ce statut est compatible avec l’ouverture totale à la concurrence du secteur postal.

En réalité, cette réforme est dogmatique. Le Gouvernement veut rapidement faire sauter le verrou que constitue le statut actuel pour pouvoir ouvrir le capital de La Poste lors de l’examen d’un projet de loi ultérieur. En n’assurant pas un financement pérenne des différentes missions du service public postal, il prépare, à terme, la privatisation de La Poste.

Ces données expliquent que le Gouvernement ait refusé d’organiser un référendum sur le statut de La Poste en se retranchant derrière l’absence d’une loi organique d’application de l’article 11 révisé de la Constitution.

Face à cette réforme, qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions, notre groupe, mais aussi l’ensemble de la gauche, propose une solution de remplacement : le maintien du statut actuel, accompagné d’une bonne identification des besoins des usagers et des territoires auxquels doit répondre le service public postal, la mise en place d’un financement enfin suffisant et pérenne, et une régulation efficace.

Cette solution de remplacement n’est pas seulement celle de la gauche parlementaire ; elle est aussi et avant tout celle des 2,2 millions de citoyens qui se sont exprimés contre la privatisation et dont tous les élus de gauche ont été les interprètes lors des débats.

Notre position s’inscrit dans un objectif de modernisation du service public postal, avec une organisation conforme aux besoins de nos concitoyens ; c’est d’ailleurs la définition du verbe « moderniser » qui figure dans Le Petit Robert.

Nous prenons également en compte non seulement la tradition de service public ancrée dans la culture française, mais aussi l’analyse de nombreux concitoyens sur la profonde crise actuelle qui devrait conduire le Gouvernement à mettre pour le moins en veilleuse l’idéologie libérale qui inspire son action.

En nous prononçant contre ce texte, nous sommes fidèles à nos valeurs et nous défendons le plus ancien et le plus emblématique des services publics.

Dans leur ensemble, les services publics constituent le patrimoine de tous, particulièrement de celles et ceux qui n’en ont pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Josselin de Rohan. Vive la République, vive la France !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la crise financière imposait la solidarité de la puissance publique, le Président de la République a réussi le tour de force, dans un ordre du jour plus que chargé, d’introduire successivement la réforme de La Poste, la réforme de la taxe professionnelle et les prémices larvées de la réforme des collectivités territoriales.

Ces trois réformes menacent d’anesthésier la démocratie locale, affaiblissent le rôle des services publics et nous promettent, à l’évidence, une rentrée parlementaire sans doute quelque peu mouvementée et orageuse.

L’acheminement du courrier est le service public par excellence. Il est le plus ancien de tous, depuis la création des premiers relais de poste en 1477, sous le règne de Louis XI, jusqu’à devenir aujourd’hui emblématique de notre République.

La Poste est l’administration historique qui reste encore dans les esprits, comme les PTT – postes, télégraphes et téléphones –, alors que l’entreprise publique a débuté son adaptation au monde du numérique et communique par spots publicitaires.

La Poste est une administration ancrée dans le cœur des Français, une grande maison autrefois vecteur d’ascension sociale. Bien plus qu’une entreprise, La Poste fait partie, au même titre que l’école et la mairie, des piliers de la vie communale, de notre inconscient collectif.

Avant toute chose, ce long débat parvenu à son terme a démontré l’attachement du Sénat à La Poste et celui des parlementaires au dernier service public de proximité, le service public postal.

Avec le texte qui ressort de nos débats, il est évident que La Poste ne deviendra pas, au 1er janvier 2010, une société anonyme. Toutefois, malgré tous nos efforts, c’est reculer pour mieux sauter, car la société anonyme fleurira en mars 2010. Nous avons obtenu deux mois de délai, de répit, en quelque sorte !

M. Jean Desessard. On s’est battus pour cela ; on a passé un week-end entier ici !

M. François Fortassin. Dans ce débat, le RDSE a toujours souhaité adopter une logique constructive. Aussi a-t-il déposé des amendements en séance comme en commission, même si, dans sa majorité, il défend l’idée que ce choix relève du peuple.

La majorité gouvernementale, par manque de confiance, n’a pas souhaité que les citoyens se prononcent sur cette affaire. Si la réforme avait été excellente,...

M. Pierre Hérisson, rapporteur. On s’apercevra rapidement qu’elle l’est !

M. François Fortassin. ... étant donné le succès considérable qu’il aurait retiré de son issue favorable, le Gouvernement aurait organisé un référendum !

M. Josselin de Rohan. Il était truqué, votre référendum !

M. François Fortassin. Ce n’était pas « mon » référendum, ni le nôtre !

L’entreprise publique La Poste sera une société anonyme composée uniquement d’actionnaires de droit public. Le RDSE a souhaité confirmer le caractère de service public national de La Poste, conformément au préambule de la Constitution, même si nous sommes conscients que cet ajout ne sera peut-être pas suffisant pour que La Poste résiste à l’épreuve du temps.

La mission postale territoriale est en partie préservée, l’allégement de la fiscalité locale étant maintenu et adapté à la réforme en cours. À ce propos, d’ailleurs, le rôle du Parlement a été essentiel. Le maillage territorial paraissait être préservé par la version sortie de nos débats. Nous avons souhaité figer 17 000 points de contact dans le texte. Mais certains ne se sont pas trompés ; il est évident que ces points de contact n’offrent pas tous des services que l’on trouve dans les bureaux de plein exercice.

Nos collègues de l’Assemblée nationale ont voulu préciser les modalités des horaires d’ouverture de ces points de contact ; c’est bien ! Toutefois, cela relève du contrat pluriannuel. Par conséquent, en cas de baisse considérable de l’activité, un certain nombre de ces points de contact seront mis en difficulté, même si, de ce côté-là, on peut espérer que les choses ne se passeront pas trop mal.

Ce texte ne résout pas le déséquilibre des territoires et ne comble pas le perpétuel fossé entre zones rurales et zones denses. Une fois de plus, le maintien des services publics est conditionné à leur transfert au bloc communal, celui-là même que vous souhaitez réformer et que vous sollicitez chaque jour un peu plus à l’échelon gouvernemental et au fil des réformes, sans pour autant vous poser la question des moyens de ce bloc communal.

Au-delà du maintien des missions de service public et de la survie de La Poste elle-même, il y a, derrière la structure, des salariés, des hommes et des femmes. Avec des collègues de mon groupe, nous avons souhaité que le personnel de La Poste constitue une priorité dans cette mutation. Au départ, ce n’était pas acquis, même si quelques avancées ont été constatées à cet égard. Toutefois, ces personnels sont inaptes à faire face à un système désormais intégralement concurrentiel. Ce point-là n’a pas tellement été évoqué. La question est renvoyée à des dispositions réglementaires. Nous veillerons à faire sorte que soit réalisé cet accompagnement, qui est incontournable.

Les agents et les fonctionnaires qui évoluent depuis des années au sein d’une administration d’État seront confrontés à la dualité d’une entreprise devenue à 100 % concurrentielle. Les exemples récents d’entreprises publiques soumises à ce régime ne sont pas forcément très concluants...

Au nom du principe d’équité, le RDSE a défendu les différentes catégories de personnel de La Poste. La Haute Assemblée se devait de soutenir cette mesure sociale et j’observe qu’elle a été à la hauteur de son devoir envers le personnel.

Enfin, en ce qui concerne les agents contractuels, ils étaient les grands oubliés de ce dispositif. Nous avons défendu le maintien des droits acquis, notamment pour ce qui est du régime de l’IRCANTEC.

Ce texte est insuffisant, mais nous notons que les avancées chèrement acquises au Sénat ont été maintenues par nos collègues de l’Assemblée nationale.

Avant l’examen de la réforme des collectivités territoriales, les sénateurs du groupe du RDSE, dans leur très grande majorité, s’opposeront à nouveau à l’adoption de ce projet de loi. Cette opposition n’est ni dogmatique ni idéologique. Elle est fondée sur un certain nombre d’insuffisances que je vais essayer de lister.

D’abord, les responsables de La Poste ne nous disent pas la vérité ; mais peut-être ne le peuvent-ils pas ! Lorsqu’on nous dit que le courrier arrivera à j+1, c’est une farce !

M. Jean Desessard. Dont nous sommes les dindons ! (Sourires.)

M. François Fortassin. J’ai fait l’expérience d’envoyer des lettres à mon domicile six jours d’affilée et à la même heure. Deux d’entre elles sont arrivées à j+1 ; les quatre autres sont arrivées entre j+2 et j+4. Pourtant, j’habite Tarbes, une ville qui n’est pas forcément mal desservie en matière postale.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. C’est l’adresse qui n’était pas bonne ! (Nouveaux sourires.)

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean Desessard. En cas de changement d’adresse, c’est pire !

M. François Fortassin. Ensuite, la formation nécessaire pour faire face à la concurrence a été renvoyée à plus tard et rien n’a même été décidé s’agissant des contours de cette formation, qui est pourtant indispensable.

De plus, je n’ai pas vu l’ombre d’une offensive en direction des collectivités territoriales, des services de l’État ou des ministères pour leur expliquer que sauver La Poste n’a de sens que si on la fait travailler. Or, aujourd’hui, on assiste à un amenuisement considérable du courrier en provenance des différentes administrations : les administrations territoriales, gouvernementales, l’administration d’État, etc. C’est, selon moi, extrêmement important.

Enfin, une grande campagne aurait également été utile en direction des particuliers, afin de leur demander de faire travailler La Poste pour la sauver.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien ! C’est le vrai message à envoyer !

M. François Fortassin. Cela n’a jamais été dit, dans aucun débat, ni même écrit. Cela viendra, nous affirme-t-on ; nous attendons ! Avec mon groupe, sachez que nous serons extrêmement vigilants dans les mois qui viennent.

Dès lors, vous comprendrez que, dans sa majorité, notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.

M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous faire voter ce projet de loi – ô combien ! symbolique, puisqu’il touche le plus ancien des services publics – le 23 décembre témoigne de votre volonté inébranlable d’avancer à marche forcée vers le passage en société anonyme de La Poste. En effet, alors qu’un amendement adopté à l’Assemblée nationale permet que le changement de statut n’intervienne qu’au 1er mars prochain, il n’y avait aucune urgence et rien ne vous empêchait de prévoir la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire en janvier, comme cela est organisé pour les députés.

Les conditions du travail parlementaire sont donc une nouvelle fois déplorables : la commission mixte paritaire s’est tenue hier dans la foulée du vote des députés et nous votons dès le lendemain sur ses conclusions, en plein milieu des vacances de Noël.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Non, les vacances, c’est demain !

M. Jean-Claude Danglot. Je souhaite également souligner ici que le texte de la commission mixte paritaire n’a été disponible que tard dans la matinée.

Je déplore donc une nouvelle fois le peu de cas que fait ce Gouvernement des parlementaires. Mais nous aurions pu nous y attendre, car l’examen de ce texte n’a été qu’une succession de coups de force de la majorité.

Le premier et le plus important a consisté dans la confiscation du débat public, alors que 2,3 millions de citoyens se sont prononcés le 3 octobre dernier pour la tenue d’un référendum sur cette question. Depuis, des millions de cartes postales ayant le même objet ont été reçues à l’Élysée.

Si vous n’avez pas eu de mots assez durs contre l’organisation de cette votation, pour notre part, nous n’avons pas de mots assez forts pour qualifier votre mépris de l’expression citoyenne. Pour les représentants du peuple que nous sommes, cette attitude est intolérable.

Certes, vous considérez que la question était tronquée, mais si des citoyens exigent de se prononcer sur l’avenir du service public postal, alors que le patrimoine de La Poste a été financé pendant plus de deux cents ans par les usagers citoyens, je reste convaincu que vous devez entendre ce message et organiser une consultation.

Ce référendum est d’ailleurs permis par la récente réforme constitutionnelle, à la condition que des dispositions d’application soient entérinées.

Concernant l’organisation même du débat, vous avez marqué votre volonté d’en resserrer la durée, premièrement, en déclarant l’urgence – c’est dorénavant monnaie courante – et, deuxièmement, par l’organisation même des débats au sein de notre hémicycle. Ainsi, si quatre jours de débats étaient initialement prévus, le nombre d’amendements déposés par l’opposition vous a contraints à poursuivre la discussion pendant huit jours et huit nuits. Cela n’a pas été de trop, puisque ces amendements ont permis qu’un débat de fond s’engage et que des avancées, certes minimes, soient entérinées.

La réforme constitutionnelle vous a facilité les choses à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, grâce au fameux « crédit-temps ». Les débats auront donc été beaucoup plus courts, puisqu’il aura fallu à nos collègues simplement trois jours pour sceller l’avenir de La Poste.

C’est donc bien à marche forcée que nous débattons de l’avenir de ce service public structurant.

Sur le fond, vous nous dites deux choses, monsieur le ministre : tout d’abord, ce texte n’est pas nocif, puisque les missions de service public de La Poste sont confortées par la loi et que des garanties ont été données non seulement sur l’« imprivatisabilité » de cette entreprise, mais aussi sur le maintien de la présence postale ; ensuite, si l’État souhaite soutenir financièrement les activités postales par un apport en capital, il faut tout simplement changer le statut de La Poste, sous peine de voir cette aide qualifiée d’aide d’État par la Cour de justice de l’Union européenne.

À vous écouter, monsieur le ministre, on se demande pourquoi ce projet de loi suscite tant d’émotion de la part non seulement de la population, mais également des élus. Le décalage entre vos déclarations et le contenu même de ce projet de loi est pourtant flagrant. Loin de conforter les missions de service public assumées par La Poste, ce texte met en péril l’existence même d’un service public postal. Le refrain est connu : vous commencez par changer le statut en arguant qu’il ne s’agit que d’une simple question de forme juridique, puis, une fois que ce verrou a sauté, vous ouvrez le capital au secteur privé comme une suite logique et naturelle permettant à la nouvelle société anonyme de faire appel aux fonds privés pour financer son développement à l’international.

Nous sommes désolés de vous rappeler que les faits sont têtus. En effet, nous avons tous en mémoire les débats sur France Télécom ou encore sur Gaz de France, ainsi que les promesses qui avaient été faites à cette époque.

Je me dois également de revenir sur le néologisme dont vous êtes l’auteur, monsieur le ministre : vous avez déclaré que La Poste était «  imprivatisable », ce qu’a tout de suite démenti Claude Guéant, qui a dit que cette notion n’était pas appropriée.

En effet, comment prédire l’avenir d’un service public ? Les dispositions d’une loi ne valent que tant qu’une autre loi ne vient pas les remettre en cause. Comme nous n’avons pas la capacité de prévoir dans le temps, nous sommes circonspects sur cette notion qui graverait dans le marbre l’avenir de La Poste. En tout cas, votre exposé ne m’a pas convaincu, monsieur le ministre. Notre collègue Michel Teston vient d’ailleurs de faire la démonstration que les choses pouvaient bouger dans le mauvais sens.

De plus, dans le dispositif que vous proposez, rien ne contraint la Caisse des dépôts et consignations à céder ses parts.

Par ailleurs, qualifier La Poste de service public national ne garantit pas son avenir. En effet, ce qui compte au regard du préambule de la Constitution de 1946, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de 2006, c’est la réalité des missions exercées par l’opérateur. Or rien aujourd'hui n’empêche les opérateurs privés de venir concurrencer La Poste sur l’ensemble de ses activités du fait de la suppression du secteur réservé imposée par l’Union européenne.

En revanche, et c’est là un argument contre lequel je m’inscris en faux, l’Union européenne n’impose en aucune manière le changement de statut de La Poste. En effet, selon les termes même du traité, l’Union européenne ne préjuge pas du régime de propriété des États membres. Forme publique ou forme privée, là n’est pas la question pour les traités ; la seule exigence posée, indépendamment du contexte économique et social, c’est la mise en concurrence de l’ensemble des services publics. Dans tous les États membres, des monopoles privés se sont substitués aux anciens monopoles publics, générant des profits exorbitants, notamment dans des secteurs-clés comme les transports ferroviaires ou l’énergie, et ce alors même que les services rendus aux usagers se dégradaient en termes tant d’accessibilité tarifaire que de qualité des prestations proposées.

Ce système connaît aujourd’hui une déroute sans précédent du fait de la crise que nous traversons, mais vous continuez d’appliquer ces mêmes recettes au nom d’une modernité qui, dans les faits, s’apparente à un recul des droits et des garanties des usagers.

Je reviens à mon propos initial concernant l’aide financière apportée à La Poste : quelle que soit la forme juridique de cette entreprise, l’État ne peut consentir une aide en sa faveur sans que cela soit considéré comme une aide d’État. À l’inverse, rien n’empêche les États membres de définir des missions d’intérêt général et de les financer au travers d’opérateurs choisis. Ainsi, vous devez bien admettre qu’aucune démarche contentieuse n’a été engagée par la Commission européenne sur le financement des missions d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire ou de distribution de la presse, missions qui ne relèvent pas du service universel et qui sont exclusivement assumées par La Poste grâce à un financement étatique.

Une autre voie était donc possible : il fallait renforcer les missions de service public assumées par La Poste en les finançant. Mais, de cela, il n’en a point été question !

Ainsi, si vous vous « gargarisez » du fait que les missions de service public de La Poste soient désormais inscrites dans la loi, vous n’apportez aucune réponse satisfaisante sur le financement des activités d’intérêt général assumées par La Poste en dehors du service universel. En effet, le service universel, en raison de la suppression du secteur réservé, serait aujourd’hui financé par un fonds de compensation. Ce fonds a beaucoup évolué depuis sa création, mais la question de son financement n’est pas pour autant réglée.

À cet égard, nous vous avions proposé des critères cumulatifs entre chiffre d’affaires et nombre d’envois, afin de définir la contribution des opérateurs, mais vous avez préféré ne retenir que l’un des deux paramètres, ce que nous regrettons.

Nous continuons également d’avoir des inquiétudes sur la possibilité de ce fonds de permettre un véritable financement du service universel. Des exemples européens, notamment en Italie, ont en effet montré que ce type de dispositif était défaillant.

Parallèlement, vous n’avez pris aucun engagement afin de rattraper les retards pris dans le financement des missions d’aménagement du territoire, notamment. En effet, depuis 1990, l’État n’a jamais compensé de manière suffisante les obligations assumées par La Poste en matière d’accessibilité bancaire, d’aménagement du territoire, de service universel ou encore de distribution de la presse.