M. Pierre Hérisson, rapporteur. C’est faux !

M. Jean-Claude Danglot. Chaque année, c’est une ardoise de 1 milliard d’euros que l’État laisse à La Poste ! Sans compter le fait que l’État a également ponctionné une soulte de 2 milliards d’euros en 2006 au titre du financement des retraites et un dividende important depuis deux ans. Le passage en société anonyme légitimera d’ailleurs la perception d’un dividende encore plus important.

La seule disposition prise en termes d’aménagement du territoire réside en une augmentation de l’exonération de taxe professionnelle dont bénéficie La Poste afin de financer le fonds de péréquation. Connaissant le manque à gagner que va générer la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités locales, nous sommes inquiets quant aux sommes qui seront réellement versées au fonds de péréquation. De plus, instrumentaliser l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, pour évaluer ce coût, outre le fait que cela renforce les pouvoirs déjà exorbitants confiés à cette Autorité, n’est pas de bon augure quand on sait que sa mission première est de faire de la place pour les nouveaux entrants.

En tant qu’élu d’un département touché par la disparition progressive des services publics, la question de la présence postale me touche particulièrement. Certes, le texte prévoit le maintien de 17 000 points de contact, mais les services rendus par un point poste, par un bureau de poste de plein exercice ou par une agence postale communale sont fondamentalement différents, vous le savez bien.

Les élus que nous sommes ne peuvent ignorer que la présence postale dans les territoires ruraux n’est pas qu’une simple question de distribution du courrier ou d’accès aux services bancaires, même si ces services constituent le socle de droit minimum auquel les usagers doivent pouvoir prétendre. Le postier est également un maillon essentiel de la cohésion sociale permettant de lutter contre l’isolement des personnes les plus fragiles.

Mais cette dimension sociale s’étiole depuis bien longtemps. En effet, la direction de La Poste est d’ores et déjà tournée vers la recherche d’une rentabilité accrue : suppression de guichets, de bureaux non rentables, allongement des circuits des facteurs, suppression massive d’emplois de fonctionnaires, externalisation continue de l’ensemble des activités. Le groupe La Poste compte ainsi aujourd'hui trois cents filiales.

Ce chemin est celui qu’a déjà emprunté France Télécom, avec la triste actualité que nous connaissons. Les conditions de travail des salariés de La Poste sont déplorables et vont encore se dégrader. Pourtant, vous avez fait le choix de précariser un peu plus ceux-ci, en les alléchant avec la possibilité d’un actionnariat salarié. Or l’urgence pour les agents du service public postal n’est pas de rentrer dans le jeu de Monopoly géant de la finance mondialisée : elle est de bénéficier d’une hausse de salaire, les salaires des postiers étant ridiculement bas.

L’extension des horaires d’ouverture des bureaux de poste pourrait être une idée intéressante si elle ne venait pas détériorer encore les conditions de travail des salariés. Déréglementer le temps de travail ne peut conduire qu’à des amplitudes horaires infernales pour s’adapter à tous les rythmes.

L’Assemblée nationale a supprimé la disposition interdisant au PDG de La Poste d’exercer des responsabilités dans d’autres entreprises. Nous considérons qu’il s’agit là d’une erreur. Si le simple objectif de ce correctif était de permettre à M. Bailly de présider les filiales de La Poste, une autre rédaction était possible. On voit donc bien que c’est une autre logique que vous poursuivez !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Claude Danglot. Pour finir, nous continuons de penser que, pour La Poste, la modernité n’est pas d’ouvrir la voie à sa privatisation : la modernité, c’est de construire des synergies dans le secteur des télécommunications. Il y a peu, nous débattions ici de la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, qui a mis en lumière le besoin de disposer d’un maillage du territoire important et fiable, afin de garantir le droit de tous à l’information et à la communication. Alors que ce maillage numérique n’existe pas encore, faute d’investissements, sauf dans certaines zones particulièrement rentables, vous faites le choix de démanteler le réseau postal au nom de la rentabilité économique, transformant tout bureau de poste peu lucratif en un point postal de seconde zone.

Il faudrait, à l’inverse, organiser les complémentarités sur l’ensemble du territoire national. C’est là un défi pour la puissance publique. Or vous bottez en touche, en refusant de créer un grand pôle public des postes et télécommunications digne du XXIe siècle. Je vous le concède, il faudrait pour cela en finir avec la logique qui guide toutes les réformes entreprises par le Gouvernement, celle de l’incapacité de la puissance publique à répondre aux besoins, à offrir des services à tous : celle-ci se défausse de ses responsabilités sur le privé ou sur les collectivités locales.

Je vous le disais lors de l’ouverture de la discussion sur ce texte, c’est aujourd’hui notre pacte social qui est remis en question par le démantèlement de l’entreprise publique et l’ouverture totale à la concurrence des activités postales.

Pour ces raisons, nous restons convaincus que La Poste a un bel avenir devant elle, à la condition de mettre en échec ce projet de loi organisant la privatisation rampante du service public postal. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer. (M. Jacques Gautier applaudit.)

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera différente de celles des autres orateurs, puisque je fais partie de ceux qui croient au service postal, qui le font travailler, et qui y ont même travaillé.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail important de la commission, en particulier de son rapporteur, Pierre Hérisson, ainsi que celui de son homologue à l’Assemblée nationale, Jean Proriol.

Le débat a été préparé de longue date, notamment par les échanges réguliers des parlementaires avec le président de La Poste, que nous avons rencontré à maintes reprises dans le cadre des commissions départementales de présence postale territoriale et, plus généralement, chaque fois que l’occasion nous en était donnée. Un maximum d’informations nous ont été données afin que nous puissions être prêts pour ce grand débat. Une telle initiative a permis une réelle transparence dans l’appréhension des problématiques posées par le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales.

En séance, la discussion, on s’en souvient, a été longue. Le texte a réveillé les craintes de certains sénateurs sur une hypothétique privatisation. Ces craintes ont suscité des interventions parfois peu rationnelles et non constructives, notamment sur les deux premiers articles du projet de loi. Et je ne parle pas des pétitions aménagées et orchestrées qui ont circulé, notamment dans nos campagnes, créant la confusion auprès de nos concitoyens. (MM. Jacques Gautier et Josselin de Rohan applaudissent.) Ainsi, des habitants de ma propre commune sont venus me trouver en groupe et m’ont interpellé : « Il paraît que le bureau de poste va fermer ?... »

Certains ont, me semble-t-il, une manière pour le moins étonnante d’apporter de bonnes réponses à de bonnes questions…

M. Josselin de Rohan. Très bien !

M. Claude Biwer. Face à cela, le groupe de l’Union centriste a choisi d’adopter une démarche rationnelle et ouverte.

Rappelons-le, La Poste doit évoluer. Elle doit pouvoir s’adapter continuellement non seulement à son environnement, comme elle l’a d’ailleurs toujours fait, mais également, demain, à la concurrence.

Face aux évolutions liées à l’arrivée sur le marché d’entreprises concurrentes et au changement des modes de communication induits par internet, La Poste a déjà apporté des réponses et a entrepris sa modernisation. Elle l’a fait au travers de la diversification de ses activités, avec, entre autres, la création de La Banque postale, mais également, et surtout, avec la modernisation de son activité courrier. Je pense notamment à l’ambitieux programme Cap Qualité Courrier, qui a été lancé en 2004.

Mais, pour résister à la concurrence qui s’annonce, cette entreprise publique de 300 000 employés doit achever son évolution industrielle et commerciale, afin de pouvoir se battre à armes égales avec les géants européens constitués depuis quelque temps déjà.

La Poste est, certes, une « entreprise », mais, et nous y sommes très attentifs, ce n’est pas n’importe quelle entreprise, puisqu’elle est investie de missions de service public. Nous ne pensons pas que le changement de statut de La Poste mette en péril ces missions. Au contraire, nous soutenons ce changement de statut, qui permet ainsi à l’État et à la Caisse des dépôts et consignations de lever les fonds nécessaires à la modernisation de l’entreprise, tout en posant des garde-fous.

D’abord, nous nous félicitons d’avoir inscrit dans la loi le fait que l’État reste un actionnaire majoritaire au capital. Nous maintenons en effet que c’est une garantie de bonne exécution de certaines missions de service public, par exemple l’aménagement du territoire, qui est l’apanage de l’État.

Ensuite, nous nous réjouissons de l’adoption de la garantie des 17 000 points de contact sur le territoire, qui confirme notre souci du maintien de la présence postale dans l’ensemble des territoires, notamment les territoires ruraux.

Malheureusement, l’un de nos amendements qui portait sur l’arrivée de tout courrier à j+2 n’a pas été adopté. Mais je ne doute pas que l’intention y est et que des améliorations de nature à dissiper nos inquiétudes seront apportées.

La Poste est libre de s’adapter aux contingences locales en donnant aux points de contact la forme d’agences postales communales, de relais-postes commerçants ou de bureaux de poste de « plein exercice », selon les besoins et les nécessités du service sur le territoire.

Notre principale préoccupation reste la bonne marche de la mission de service public, qui suppose le maintien de la présence postale de proximité dans tous nos territoires. D’ailleurs, peut-être des distributeurs de billets seront-ils demain multipliés dans nos territoires, y compris ruraux, sur des lieux de passage importants ou touristiques. C’est également une évolution à laquelle nous pouvons souscrire, car elle peut apporter un dynamisme local.

Bien entendu, le passage du statut d’établissement public à celui de société anonyme nécessite une vigilance accrue de l’ARCEP sur le financement des missions de service public du groupe. L’Autorité a donc désormais une compétence de contrôle sur le financement de l’aménagement du territoire, ainsi que sur le coût et les prix des prestations du service universel postal. En effet, ces aménagements permettent de garantir l’accessibilité économique des prestations relevant du service universel à l’ensemble des usagers de l’entreprise publique. C’est cela même que l’on attend d’un service public.

En résumé, qu’il s’agisse de la garantie de la transparence, du contrôle, de la présence postale sur le territoire, vous l’aurez remarqué, notre contribution au texte s’est voulue constructive, protectrice des missions de service public de La Poste et de ses usagers.

Il faut souhaiter que l’approche consistant à soulever les problèmes et, surtout, à envisager des perspectives de réponses puisse à l’avenir se pérenniser au sein des commissions départementales de présence postale territoriale, dont les missions pourraient s’étoffer.

Au-delà des apports de notre groupe sur ce texte, je tiens à souligner ceux de l’Assemblée nationale et de la commission mixte paritaire.

M. Claude Biwer. Ainsi, outre le report de quelques semaines de l’entrée en vigueur de la loi, on peut saluer l’accès au haut débit dans les bureaux de poste.

M. Jean Desessard. Ça, le Gouvernement ne pouvait pas faire autrement !

M. Claude Biwer. C’est un exemple concret, et de bon sens, qui permet à La Poste de s’adapter aux nouvelles formes de communication et de rendre ce service accessible à chacun.

En termes d’adaptation, on peut également se réjouir que le projet de loi prévoie désormais l’ouverture, à titre expérimental, d’un bureau de poste jusqu’à vingt et une heures un jour ouvrable par semaine dans les communes de plus de 50 000 habitants.

À l’avenir, d’autres évolutions seront nécessaires ou souhaitables, notamment dans l’exécution de la mission de service universel, en fonction des attentes des usagers et de l’organisation des territoires ruraux.

Nous nous efforcerons de soutenir ces évolutions dès lors qu’elles permettent une bonne adéquation entre les besoins et les attentes des publics, ruraux ou urbains, et l’économie du groupe La Poste.

Pour ces différentes raisons, nous nous réjouissons de pouvoir apporter les voix de la quasi-totalité des membres de l’Union centriste pour l’adoption de ce texte.

Je n’aurai pas utilisé tout le temps qui m’était imparti, mais il est quelquefois utile de s’exprimer en termes concis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de l'économie, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici parvenus à la dernière séance de l’année 2009, que nous concluons par ce débat !

M. Claude Biwer. Vous avez l’air bien fatigué ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Effectivement, nous sommes bien fatigués, mon cher collègue. Peut-être ne vous êtes-vous pas rendu compte du rythme infernal et de l’activité législative frénétique que le Gouvernement nous a imposés…

Je profite de l’occasion pour rappeler que 2,3 millions de personnes ont participé à la votation citoyenne sur l’avenir de La Poste. (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.).

Vous nous avez alors dit que nous avions mal organisé cette votation et que nous aurions dû formuler la question différemment et contrôler les participants avec plus de vigilance, certains ayant pu voter deux fois.

Précisément, alors que nos concitoyens avaient envie de discuter de l’avenir de la Poste, vous engagez un débat sur l’identité nationale, qui n’était demandé par personne. Il aurait tout de même été logique d’organiser un débat sur l’avenir de La Poste. D’autant que si, comme vous le prétendez, nous avons posé une mauvaise question, vous aviez ainsi tout loisir de poser la bonne !

Vous me rétorquerez sans doute que le débat parlementaire était intéressant. Mais, selon mes collègues députés Verts, le débat à l’Assemblée nationale a été déserté par les députés UMP, qui ont préféré se rendre au cocktail offert en même temps par leur président de groupe, M. Jean-François Copé. D’ailleurs, j’observe qu’aucun membre du groupe UMP ne figure sur la liste des orateurs inscrits aujourd'hui. Peut-être notre débat ne les intéresse-t-il guère…

M. André Trillard. Et nous alors ?

M. Jean Desessard. Vous n’êtes pas inscrit, mon cher collègue ! Si vous avez l’attention de prendre la parole, je vous écouterai.

Comme vous le savez, les Verts et la gauche se sont fermement opposés à la privatisation annoncée de La Poste.

M. André Trillard. Annoncée par eux !

M. Jean Desessard. En effet, malgré tous les garde-fous que vous prétendez avoir mis en place, monsieur le ministre, ce texte ouvre la voie à la privatisation, à la libéralisation du service public et à la mise en concurrence des services postaux au sein de l’Union européenne. Contrairement à ce que vous prétendez, il s’agit non pas d’une incompréhension de notre part, mais bien de la réalité. C’est pourquoi, aux côtés des postiers, des élus, des citoyens, nous avons fait savoir nos craintes pour l’avenir du service public postal.

En dépit de la mobilisation dans la rue et au Parlement, le texte aujourd’hui présenté maintient, à mon grand regret, le changement de statut de La Poste en société anonyme. Cette réforme est inutile. Elle s’effectuera au détriment des usagers et du personnel du groupe, et au seul profit des futurs actionnaires…

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Mais non !

M. Jean Desessard. … et des dirigeants !

Lors du débat au sein de notre assemblée, les sénatrices et sénateurs Verts ont abordé des points essentiels. La rémunération des dirigeants de La Poste, qui était déjà importante, sera multipliée par deux, voire par trois. Les postiers, qui avaient un statut de fonctionnaires, percevront des bas salaires ; on constate déjà une dégradation s’agissant de leurs conditions de travail et de leurs salaires, et cela va s’accentuer. Je pourrais également évoquer la détérioration du service dans les zones enclavées, le mal-être au travail et les questions écologiques.

Mais la majorité à l’Assemblée nationale a poursuivi avec brio son travail de « casse » du service public, auquel les Français sont pourtant attachés.

Les députés de la majorité ont également réduit à peau de chagrin l’amendement des Verts qui visait à imposer l’accès à internet dans les bureaux de poste de plein exercice.

Monsieur le rapporteur, vous avez été félicité par M. le ministre. Pourtant, vous étiez d’accord avec notre amendement, et vous l’aviez approuvé. Et qu’avez-vous fait lors de la réunion de la commission mixte paritaire ? Vous avez cédé !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ce sont les arbitrages !

M. Jean Desessard. Vous reconnaissez donc vous-même que vous avez cédé !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Mais non ! La démocratie, c’est aussi le fait de tenir compte de l’avis des uns et des autres !

M. Jean Desessard. Vous avez cédé ! Par conséquent, pour ma part, je ne vous félicite pas pour votre ténacité. Il serait d’ailleurs étonnant que vous soyez félicité à la fois par le Gouvernement et par l’opposition.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Pourtant, j’aurais aimé ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. J’apprécie la gentillesse de M. Hérisson. C’est donc en toute gentillesse que je le constate : il a mal défendu mon amendement, belle initiative pour limiter la fracture numérique et augmenter l’affluence dans les bureaux de poste.

En fin de compte, qu’avez-vous voulu faire ? Les dirigeants de La Poste vous ont dit que l’installation d’internet dans les bureaux de poste provoquerait l’arrivée massive de personnes uniquement désireuses de se connecter pendant des heures et que cela ne rapporterait rien à l’entreprise. Par conséquent, vous êtes bien entrés dans une logique de rentabilité.

D’ailleurs, et cela a été souligné tout à l’heure, la droite a également supprimé l’amendement « Proglio », qui prévoyait l’interdiction du cumul des fonctions de président du conseil d’administration de La Poste et d’autres responsabilités dans de grandes entreprises. Franchement, quand on s’occupe de La Poste, ce grand service public, a-t-on besoin d’aller dans d’autres entreprises ?

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Dans les filiales !

M. Jean Desessard. C’est le système du « copain-cousin » : le président d’une grande entreprise siège dans le conseil d’administration d’une autre et les dirigeants s’augmentent mutuellement. Voilà ce que signifie le rejet de notre amendement !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Non ! Cela signifie la possibilité d’aller dans les filiales !

M. Jean Desessard. Quel meilleur exemple, monsieur le rapporteur, de la volonté de faire de La Poste une pure entreprise privée ? Car c’est bien ce qui est prévu à terme ! Sans doute pas demain, peut-être pas dans six mois, mais après l’élection présidentielle, c’est certain ! En effet, on assiste bien au désengagement progressif de l’État.

C’est le cas, premièrement, s’agissant du financement des missions de service public postal. Je passe outre le fait que la Caisse des dépôts et consignations n’a pas encore budgété son investissement de 1,2 milliard d’euros. On aurait pu lui demander son avis avant. Mais la décision a été prise !

Comment expliquer que l’État n’a pas les moyens d’apporter à La Poste la totalité du financement dont elle dit avoir besoin, alors qu’il vient d’offrir 3 milliards d’euros aux restaurateurs ? Évidemment, pour vous, il est nettement plus compliqué de financer le service public postal que d’offrir une ristourne aux restaurateurs… Faute d’un mode de financement pérenne, c’est l’accessibilité du service qui est compromise !

Deuxièmement, ce texte consacre le retrait du politique au profit de l’autorité de régulation. Désormais, l’État n’assure plus la gestion du service public, il la délègue à des autorités de régulation. Malgré l’entrée de l’État dans le capital de La Poste, le Gouvernement ne pourra pas intervenir dans la fixation du niveau des prix, ce qui laissera les mains libres à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. L’État est exclu des décisions clefs : drôle de conception du service public ! À terme, nous en arriverons à un modèle semblable à celui d’EDF, où les prix varient en fonction du marché. À l’avenir, monsieur le ministre, vous aurez encore plus de mal qu’aujourd’hui à répondre quand on vous interrogera à la radio sur le prix du timbre, puisque l’État ne le fixera plus.

Troisièmement, je voudrais évoquer la responsabilité sociale de l’État dans l’entreprise La Poste.

M. Denis Badré. Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. Jacques Gautier. C’est fini !

M. Jean Desessard. C’est vrai : avec ce texte, La Poste, c’est fini, le service public postal, c’est fini !

L’actionnaire majoritaire doit s’assurer du bien-être au travail des salariés de l’entreprise. Il revient aux représentants du Gouvernement au sein du conseil d’administration d’éviter les mesures drastiques de réduction des effectifs, de faire en sorte que le travail ne devienne pas une souffrance. Cela n’a pas été le cas à France Télécom, où trente-deux agents se sont suicidés en deux ans…

Je ne vois pas comment le désengagement de l’État pourrait entraîner des effets bénéfiques pour les usagers. Les revendications exprimées au travers de la votation citoyenne d’octobre dernier ont été passées sous silence par le Gouvernement. Certains maires ayant facilité cette initiative ont été intimidés par leurs préfets : ainsi, dans le Gard, six maires ont été déférés au tribunal administratif la semaine dernière.

Quant à la garantie des missions de service public de La Poste, elle ne sera bientôt qu’un lointain souvenir. Déjà, dans le Morbihan, la distribution du courrier six jours sur sept est remise en cause.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean Desessard. Les samedis 26 décembre et 2 janvier, le courrier simple ne sera pas acheminé dans ce département.

M. Denis Badré. C’est Noël !

M. Jean Desessard. La réforme de La Poste n’est pas une question d’étiquette politique ; c’est l’intérêt des usagers qui est en jeu ! Le service public est un vecteur irremplaçable pour assurer la protection de nos concitoyens. Il garantit le principe d’égalité et de solidarité nationale. Affaiblir le service public comme vous êtes en train de le faire, c’est affaiblir la République !

Pour conclure,…

M. André Trillard. Ah non, monsieur le président !

M. Denis Badré. Monsieur le président, c’est fini !

M. Jean Desessard. … je vous rappellerai les termes du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »

Ce projet de loi vend la propriété de la collectivité aux intérêts privés, au mépris de l’intérêt général. C’est la grandeur du service public à la française que vous mettez en pièces ! C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs Verts s’opposeront fermement à ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Jacques Gautier. Quel talent !

M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous passons la ligne d’arrivée d’un marathon parlementaire qui débouchera dans quelques semaines, ne nous berçons pas d’illusions, sur l’ouverture effective du capital de La Poste et la transformation du statut de celle-ci.

Je constate à regret que cette discussion intervient un 23 décembre, devant un hémicycle presque vide, après que le projet de loi eut été examiné en deux jours à l’Assemblée nationale. Pourquoi ne pas avoir attendu la rentrée parlementaire de janvier pour organiser un authentique débat ? La Poste, que nous aimons tous – cela a été dit sur tous les tons –, méritait mieux que cela !

Votre projet de loi, monsieur le ministre, n’a pas soulevé l’enthousiasme de la majorité. Beaucoup d’élus de toutes tendances politiques, y compris la vôtre, se plaignent de la fermeture de bureaux de poste ou de leur transformation en agences. Une votation assez exceptionnelle a été organisée concernant La Poste : plus de 2,3 millions de personnes se sont exprimées, à une très large majorité, en faveur de son maintien dans le secteur public. Au cours des débats, on nous a dit qu’elle n’était pas représentative. Nous avons proposé d’organiser un référendum, comme la loi nous le permettra dans quelques mois. Vous ne l’avez pas voulu, ce que je peux comprendre, puisque la majorité des Français est attachée à La Poste et au maintien de son caractère public.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martial Bourquin. Si un tel référendum était organisé, le résultat serait couru d’avance : le statut de La Poste ne serait pas modifié !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Martial Bourquin. Votre volonté d’aller vite, parfois en brassant du vent, est sous-tendue par le souci de court-circuiter l’opinion des Français afin de leur imposer une réforme dont ils ne veulent pas. Je comprends le malaise de certains parlementaires de la majorité : ils savent bien, comme nous, que ce projet de loi n’est qu’une étape vers la privatisation de La Poste. Vous avez beau clamer le contraire sur tous les tons, vous avez beau affirmer, monsieur le ministre, que son capital restera à 100 % public, nous savons parfaitement qu’une autre loi peut défaire ce que cette loi aura fait. Le scénario est déjà écrit : après le changement de statut de La Poste, il y aura ouverture de son capital au secteur privé.

À travers l’Europe, nous avons pu constater à quel point la mise en œuvre d’une telle politique a réduit la présence postale. Après une crise aussi importante que celle que nous avons connue, nous aurions pu espérer que le Gouvernement et le Président de la République tirent les enseignements d’un tel tsunami financier.

On sait parfaitement que le néolibéralisme est en échec partout et que les sociétés les mieux régulées sont celles qui ont le mieux traversé la crise. Il aurait été préférable d’aborder la question du financement pérenne de La Poste, sujet dont ne traite pas le projet de loi qui nous est soumis. En effet, le Gouvernement propose uniquement un changement de statut et une ouverture du capital.

Nous nous trouvons devant un problème de société. Je peux comprendre qu’il soit nécessaire de moderniser La Poste en prévision de l’ouverture à la concurrence. Cependant, cette modernisation, comme l’a expliqué Michel Teston, aurait pu intervenir dans le cadre de l’EPIC et de la mise en œuvre d’une politique publique de haut niveau, répondant aux attentes des Français et guidée avant tout par le souci de préserver ce grand service public et sa présence territoriale.

Deux difficultés se dressent devant nous.

La première a trait à la proximité. Les 17 000 points de contact prévus dans le projet de loi ne sont pas tous des bureaux de poste. En outre, la tendance actuelle est de réduire considérablement l’amplitude des horaires d’ouverture des bureaux de poste, qui seront transformés en agences communales, puis en points de contact. Cela s’est traduit par la suppression d’environ 70 000 emplois au cours des deux dernières années et par une dégradation continue des conditions de travail des facteurs. Le service public a déjà commencé à s’éroder ; inévitablement, avec le changement de statut, cette détérioration connaîtra une accélération considérable.

La proximité est essentielle sur le plan humain, eu égard au vieillissement de la population. Cela est valable pour le monde rural, évidemment, mais également pour les quartiers de nos villes. Ainsi, j’ai appris que, par un oukase, il avait été décidé que le bureau de poste d’un quartier sensible de la ville dont je suis le maire réduirait ses horaires d’ouverture et fermerait le lundi.