Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous comprenons bien la volonté des auteurs de cette proposition de loi de permettre aux assistants maternels de se regrouper pour assurer leur activité professionnelle.

Toutefois, nous ne perdons pas de vue que cette proposition de loi s’inscrit dans un vaste mouvement d’économie budgétaire, de rigueur, au niveau tant de l’État que des collectivités territoriales, à l’image des départements.

La création de ces maisons d’assistants maternels relève de l’initiative des assistants maternels eux-mêmes ; elle repose sur leurs capacités de financement, s’ils souhaitent acheter un terrain et un local pour installer leur regroupement, ou sur la participation financière des communes.

Par ailleurs, contrairement aux affirmations du Gouvernement et de la majorité, cette formule nous semble très instable d’un point de vue juridique, notamment au regard de la délégation qui nous semble être en contradiction avec le code du travail – bien que dépendant du code de l’action sociale et des familles, les assistants maternels dépendent également du code du travail –, ainsi que de différents principes constitutionnels, tel le principe « à travail égal salaire égal », et celui de l’égalité devant les charges publiques.

Vous avez avancé l’argument de l’intérêt pour les familles. Cet intérêt est certain, et nous appelons de nos vœux une réflexion d’ampleur avec les partenaires sociaux sur la création d’un grand service public national diversifié – j’ai bien dit « diversifié » ! – de la petite enfance.

Cependant, ces regroupements n’appliquent pas de tarifs proportionnels pour les parents, et les familles les plus modestes assument donc elles-mêmes le désengagement de l’État en matière de politique familiale. C’est un transfert supplémentaire que nous ne pouvons pas accepter.

Enfin, nous craignons que la généralisation de ces regroupements ne se fasse au détriment de l’offre publique de garde.

Pour toutes ces raisons, auxquelles nous pourrions ajouter le manque de formation des professionnels ou l’absence de projets pédagogiques, nous voterons contre cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Juilhard.

M. Jean-Marc Juilhard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au terme de la discussion de cette proposition de loi, je tiens à vous faire part de ma grande attente, pour ne pas dire prématurément, de ma grande satisfaction.

En tant qu’élu local dans une région rurale, je suis évidemment toujours très sensible aux efforts réalisés par les pouvoirs publics pour aider les territoires ruraux à conserver leur richesse et leur dynamisme. À ce titre, je me réjouis tout particulièrement de cette proposition de loi, qui respecte la sécurité, les compétences et les garanties bien sûr attendues en la matière.

En effet, les maisons d’assistants maternels apportent et apporteront une offre de garde à des territoires qui n’en avaient pas jusqu’à présent.

Dans des communes qui disposent d’un faible potentiel fiscal – comme c’est souvent le cas en milieu rural ! –, il est quasiment impossible de construire des crèches. Il fallait donc bien que nous trouvions, que nous inventions, des solutions pour répondre à ces besoins.

Par ailleurs, grâce à cette offre d’accueil, des parents souhaitant avoir des enfants, qui pensaient devoir quitter leur commune rurale, vont pouvoir rester ou, mieux encore, d’autres vont pouvoir venir s’y installer, contribuant ainsi à la socialisation de leurs enfants et à la vie du monde rural.

Au fond, ces maisons d’assistants maternels sont, tout simplement, un instrument d’aménagement du territoire et de lutte contre la désertification rurale.

Les élus locaux disposeront, avec ce texte, d’un outil essentiel de nature à revaloriser leur commune et leur territoire. La possibilité de faire garder un enfant est, en effet, devenue pour les jeunes couples l’un des premiers critères d’installation. Grâce aux regroupements d’assistants maternels, nous allons enfin, nous élus ruraux, avoir le moyen de les retenir ou même, espérons-le, de les attirer sur nos territoires.

Afin de promouvoir les services offerts aux habitants pour défendre l’équilibre et la nécessaire vitalité du monde rural, comme les emplois induits, vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que je vote avec grande conviction et allégresse cette proposition de loi.

M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, auteur de la proposition de loi.

M. Jean Arthuis. Co-auteur, monsieur le président, puisque celle-ci a été signée par seize sénateurs et sénatrices dont la plupart sont présents ce soir.

Je me réjouis du vote dans quelques instants de notre proposition de loi, qui donnera un cadre et un nom aux regroupements d’assistants maternels. Il s’agit en quelque sorte de l’aboutissement d’un processus de reconnaissance.

Le débat que nous avons eu a été riche, et je tiens à remercier le Gouvernement de son attention bienveillante et de son soutien à l’égard de nos propositions.

Dans ce débat, deux lignes de pensée se sont exprimées, même si l’objectif est le même, à savoir accueillir de jeunes enfants dans les meilleures conditions possibles.

La première option, la voie réglementaire, centralisatrice, consiste à demander au ministre chargé du travail et à la Caisse nationale des allocations familiales de dire par le menu, par voie de circulaire, ou par voie législative en tant que de besoin, ce qui doit être fait. Toutefois, je ne suis pas sûr que cette manière de procéder constitue nécessairement une garantie et nous prémunisse contre certaines pratiques qui sont quelquefois totalement en marge de la légalité, ainsi que l’a souligné tout à l’heure notre collègue Guy Fischer.

La seconde option est fondée sur la responsabilité, la liberté et la confiance accordée aux assistantes maternelles, aux services de la PMI et aux présidents de conseils généraux, qui assumeront, sur le terrain, leurs responsabilités. À mes yeux, c’est la voie d’avenir.

Je veux dire à mes collègues qui ne partagent pas cette option que j’ai la conviction, en votant ce texte, d’assumer pleinement mes responsabilités de législateur et de ne pas mettre en difficulté le président du conseil général de la Mayenne ! (Sourires.) Bien au contraire, je vais lui permettre d’assumer la plénitude de ses responsabilités, car il lui revient de savoir ce qu’il doit faire, de définir les modalités et de rendre possible, dans des conditions financières supportables, l’accueil du plus grand nombre d’enfants de familles dans lesquelles, pour des raisons économiques, la mère et le père sont bien souvent obligés de travailler. Je n’ai pas le sentiment de brader en quelque sorte les conditions d’accueil des enfants, car nous avons les mêmes exigences en termes de qualité et de sécurité. Nous répondons ainsi tout autant à l’attente des parents, des assistantes et assistants maternels qu’à celle des collectivités territoriales.

On a beaucoup dit que ce mode d’accueil pourrait se développer en milieu rural – il constitue en effet une très bonne réponse pour les territoires ruraux (M. Jean-Marc Juilhard opine.)  –, mais je gage qu’il pourra également se développer en milieu urbain.

M. Jean-Marc Juilhard. Tout à fait !

M. Jean Arthuis. Monsieur le secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme, il faudra sans doute imaginer aménager, dans certains quartiers, des appartements dans des immeubles collectifs, afin de faciliter le regroupement d’assistantes maternelles et, donc, l’installation de maisons d’assistants maternels.

Certes, avec ce texte, nous répondons à l’attente des parents, des assistantes maternelles et des collectivités locales, mais nous voulons d’abord, et avant tout, assurer le bien-être des enfants.

Permettez-moi de remercier l’ensemble des membres de la commission, et tout particulièrement vous-mêmes, madame la présidente, monsieur le rapporteur. C’était un vrai bonheur de vous entendre. J’avais imaginé prendre part au débat, mais tout a été si bien exprimé que mon propos eût été superfétatoire.

Je remercie également les services de la commission qui nous ont été d’une aide précieuse pour la préparation et la mise en forme de cette proposition de loi.

Enfin, je tiens à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, de nous avoir accompagnés.

Je pense que le Sénat va adopter dans quelques instants cette proposition de loi, qui sert, au surplus, de session de rattrapage pour quelques dispositions que le Conseil constitutionnel a censurées pour des motifs non pas de fond, mais de forme. Vous l’imaginez bien, monsieur le secrétaire d’État, nous attendons avec impatience que cette proposition de loi soit examinée par nos collègues de l’Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Lardeux, rapporteur. Je tiens tout d’abord à remercier mes collègues Jean Arthuis et Joseph Kergueris d’avoir élaboré cette proposition de loi et d’avoir mis toute leur énergie pour la faire inscrire à l’ordre du jour de nos travaux. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour demander à Jean Arthuis de transmettre mes remerciements et ceux des personnes qui m’ont accompagné aux services du conseil général de la Mayenne, notamment à la vice-présidente Mme Doineau, qui nous a accueillis, et surtout aux assistantes maternelles que nous avons rencontrées à Laval, à Soulge-sur-Ouette et à Évron, lesquelles nous ont expliqué le fonctionnement de ces maisons d’assistants maternels.

Je tiens également à remercier Jean-Marc Juilhard de son précieux travail, ainsi que Mmes Campion et Pasquet qui nous ont accompagnés dans la Mayenne. Certes, je pensais les avoir presque convaincues, notamment Mme Pasquet. Mais, en dépit de nos divergences de vues, je les remercie du sérieux avec lequel elles ont présenté leur argumentation et approfondi cette question. Du reste, je regrette que Mme Campion pense que nous avons complètement fermé la porte à ses propositions. Si la commission ne les a pas acceptées, c’est pour des raisons non pas politiques, mais techniques. Ces solutions auraient abouti à empêcher que cette expérience ne se poursuive et ne se développe.

Je remercie également Mme la présidente Dini du soutien qu’elle m’a apporté, tous les membres de la commission, ainsi que les administrateurs qui m’ont apporté leur concours.

Malgré nos différences, nous avons fait, les uns et les autres, un bon travail.

Le texte que nous allons adopter est très attendu par les personnes qui travaillent déjà en maison d’assistants maternels. Toutes nous l’ont dit, sans cette loi, leur expérience se terminerait, car elles cesseraient probablement leur activité dans ce domaine.

Le texte est également attendu par les autres assistantes maternelles. Elles estiment en effet que cela donnera un coup de pouce à leur profession, qui rendra un grand service aux parents dont les enfants leur sont confiées.

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été dites que je ne vais pas répéter.

Je m’en tiendrai à mon avis sur ces maisons d’assistants maternels.

D’abord, j’ai bien compris qu’un tel regroupement ne pouvait fonctionner que sur la base du volontariat ; il ne saurait être imposé par les politiques. Il ne suffit pas de décider de son fonctionnement et de s’entendre à cette fin.

Cette expérience, et c’est ce qui résultera de la loi, repose aussi sur un contrat de confiance : confiance entre les assistantes maternelles, confiance en les services de PMI, en les élus des départements qui, eux-mêmes, font confiance à leurs services, et confiance entre les familles et les professionnels, comme c’est déjà le cas entre les salariés et leur employeur.

De plus, sans empiéter sur les projets d’accueil collectif, cette loi permettra un accroissement du nombre des assistants maternels. C’est un point qui n’a pas été souligné au cours de nos débats.

En effet, je connais de nombreuses femmes qui souhaiteraient exercer cette profession, mais qui ne le peuvent pas car leur logement n’est pas adapté à l’accueil d’enfants et elles n’ont pas les moyens de déménager pour trouver plus grand, même malgré les dispositions qui ont été prises grâce à notre ministre du logement.

Par ailleurs, l’acceptation de sa demande au sein d’un regroupement permettra à la candidate au métier d’assistant maternel de suivre une formation alternée et d’ajouter ainsi à sa formation théorique l’expérience acquise en maison d’assistants maternels, grâce au tutorat exercé par des assistantes maternelles expérimentées. Cet aspect très positif, qui n’a pas non plus été souligné, sera décisif pour certaines femmes souhaitant exercer ce métier.

Enfin, je me réjouis de la manière dont s’est déroulé ce débat qui a été extrêmement intéressant et enrichi grâce à l’apport des uns et des autres. C’est un bel exemple d’initiative parlementaire concrétisée dans une proposition discutée, élaborée, réfléchie, que, bien entendu, je souhaite voir adoptée.

J’espère maintenant que l’Assemblée nationale se saisira très vite de ce texte, afin qu’il puisse être appliqué. (Applaudissements au banc des commissions. – MM. Jean-Marc Juilhard et Jean Arthuis applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais à mon tour vous remercier, notamment M. le président Arthuis pour son expérimentation en Mayenne, sa traduction législative et sa généralisation qui va nous permettre de développer en France un nouveau mode de garde.

Nous répondons ainsi à l’attente de nos compatriotes, ce pour quoi, les uns et les autres, nous avons été élus, tout en nous souciant, fort légitimement, des finances locales, bien évidemment, mais, plus globalement, des finances publiques.

Au nom du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, M. Xavier Darcos, je souhaitais rendre hommage aux membres de la Haute Assemblée pour la qualité du travail qui a été effectué aujourd’hui et, comme vous, j’espère que l’Assemblée nationale examinera très rapidement cette proposition de loi.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la création des maisons d'assistants maternels et portant diverses dispositions relatives aux assistants maternels
 

10

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre
Discussion générale (suite)

Délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre

Adoption définitive d’une proposition de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre
Article unique (Texte non modifié par la commission) (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre (proposition n° 125, rapport n° 165, texte de la commission n° 166).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, que la culture – les biens ou les services culturels – ne soit pas une marchandise comme les autres, qu’elle ne constitue pas un marché identique aux autres, où il y aurait simplement des vendeurs et des acheteurs, des producteurs et des consommateurs, nous en sommes tous – et je m’en réjouis, bien évidemment – intimement convaincus. Qu’elle soit porteuse de valeurs particulières, et d’intérêt général, qui échappent à la seule logique marchande et participe de la qualité de notre vivre-ensemble, c’est ce qui fonde le champ de cette « exception culturelle » qui fait la force et de notre culture et de notre économie.

Au sein de ce champ culturel, le livre occupe une place spéciale, une place centrale. Chacun voit pourquoi il est exceptionnel, c'est-à-dire en quoi il fait exception. Il est, depuis très longtemps, la propédeutique par excellence de la complexité et de la profondeur. Il implique aussi de prendre en compte une temporalité spécifique, qui est d’abord celle de la lecture : nous sommes non pas dans l’immédiateté du choc ou dans le zapping, mais dans la durée et la patience, et ce temps se reflète dans toute la chaîne du livre.

Vous connaissez ce récit de Borges, Le Livre de sable, emblématique de notre modernité : ce n’est pas un hasard si c’est le même élément qu’on trouve dans le livre et dans le sablier. C’est bien parce que le livre entretient un rapport très particulier au temps. Le livre est fait de l’étoffe du temps ; il est même, d’une certaine façon, le temps lui-même.

Bien sûr, ce régime d’exception culturelle ne signifie nullement, j’y insiste, que la culture soit séparée des logiques de l’économie, et que, retirée dans je ne sais quelle tour d’ivoire ou de Babel, elle fasse exception à la règle économique. Tout nous montre aujourd’hui exactement le contraire, à commencer par la capacité de résistance, face à la crise que nous traversons, des industries et services culturels, qui en apportent avec éloquence la confirmation. Cela signifie que, dans certains domaines, il est de notre responsabilité de recourir à la régulation. Cela signifie qu’il existe une économie propre au livre et à ses rythmes particuliers.

Pour protéger le livre, les valeurs dont il est porteur et le secteur économique qui les soutient, il est nécessaire que l’État intervienne par la régulation. La régulation est notre politique pour le livre, comme elle l’a été pour protéger le droit des auteurs sur internet avec HADOPI et ainsi que nous sommes en train de le faire en élaborant les conditions d’une meilleure offre légale pour les internautes.

Dans le domaine du livre, la politique de régulation n’est pas nouvelle. Elle remonte au moins à l’époque des Lumières, avec la lutte, déjà, pour fonder et défendre le droit des auteurs face aux contrefaçons. Plus récemment, vous le savez, la loi Lang de 1981 relative au prix du livre a été une grande loi de régulation, comme l’a montré le remarquable rapport de la commission présidée par Hervé Gaymard et à laquelle vous avez participé, madame le rapporteur Colette Mélot. Avec le « prix unique », me direz-vous, pas d’exception, c’est la même règle pour tous : soit, mais nous savons bien que c’est non pas pour uniformiser, mais au contraire pour donner libre cours à la diversité des ouvrages et des regards particuliers dont chacun d’eux est porteur.

Le paradoxe – nous en sommes tous d’accord, je crois – n’est bien sûr qu’apparent : cette unité de prix est la meilleure façon d’éviter que les « petits » éditeurs et les « petites » librairies ne soient victimes de la force de frappe des plus puissants : l’exception culturelle passe ici par la même règle pour tous et pour chacun. Dans ce cas, c’est la règle qui confirme l’exception… ou plutôt la régulation qui fonde l’exception culturelle.

Or la loi de modernisation de l’économie, ô combien pertinente – chacun en convient –, risque de mettre en péril, par un effet secondaire involontaire, le secteur du livre, au travers du plafonnement des paiements. De quoi s’agit-il ? Je ne m’étendrai pas longuement sur ce chapitre, mais je souhaite indiquer les grandes lignes du problème induit par la temporalité singulière du livre.

Cette loi de modernisation, adoptée le 23 juillet 2008, a plafonné à 45 jours fin de mois ou 60 jours calendaires le délai maximal de paiement entre les entreprises, ce qui a pris effet au 1er janvier 2009. D’ores et déjà, afin de repousser l’échéance, et conformément à la disposition de la loi prévoyant qu’un secteur d’activité peut échelonner jusqu’au 1er janvier 2012 cette réduction des délais de paiement, trois accords interprofessionnels ont été signés pour le livre entre les imprimeurs, les éditeurs, les libraires, les grandes enseignes de distribution et les sites de vente en ligne.

Un décret paru le 26 mai 2009 a validé ces accords et étendu cette mesure dérogatoire à l’ensemble des acteurs du secteur du livre. Toutefois, ces trois accords, indispensables dans un premier temps, ne font que repousser de quelques mois un plafonnement des délais de paiement, qui n’est pas adapté à la respiration du livre. Pour éviter cette sorte d’épée de Damoclès, il était donc nécessaire de modifier durablement la règle.

Le commerce de la librairie se caractérise en effet aujourd’hui par des délais de paiement d’une centaine de jours en moyenne, traduisant une rotation des stocks plus lente que dans les autres secteurs et une exposition plus longue aux yeux du public. Ce chiffre constitue naturellement une moyenne et les délais de paiement négociés entre éditeurs et détaillants peuvent être beaucoup plus importants, supérieurs à 150 jours, voire à 180 jours dans certains cas, qu’il s’agisse notamment de la création ou de la reprise d’une librairie, du développement de nouveaux rayons, de difficultés conjoncturelles de trésorerie ou d’opérations commerciales. L’industrie du livre s’inscrit dans un temps long, avec lequel le plafonnement des délais de paiement est en contradiction structurelle.

Ce temps long a pour corollaire une grande diversité éditoriale, qui constitue une véritable chance. Il faut rappeler que plus de 60 000 nouveautés paraissent chaque année et que près de 600 000 titres différents sont aujourd’hui disponibles. Cette diversité témoigne bien sûr du talent de nos auteurs et du dynamisme des éditeurs, mais elle est également le fruit de l’action constante des pouvoirs publics en matière de régulation de l’économie du livre et de l’édition.

Quels seraient, en effet, les inconvénients de l’application, au secteur du livre, des dispositions relatives aux délais de paiement prévues par la loi de modernisation de l'économie ? Ils seraient, indissociablement, d’ordre économique et culturel.

La réduction des délais de paiement, appliquée au secteur du livre, aurait pour conséquence d’amplifier les difficultés rencontrées par trop de librairies, et de limiter le nombre de créations et de transmissions de ces commerces. Elle conduirait également à réduire la durée de vie des livres en librairie et, par conséquent, à favoriser les titres de grande diffusion au détriment des ouvrages de création. L’exception culturelle est ici, comme souvent, au service de l’excellence.

De plus, cette fragilisation du secteur de la distribution de livres risquerait, par contrecoup, d’introduire un cercle vicieux dans la chaîne du livre et d’affaiblir aussi le secteur de l’édition, et donc d’engendrer un appauvrissement de l’offre éditoriale adressée aux lecteurs.

Toujours d’un point de vue économique, et, par extension, également social, l’application de la loi de modernisation au secteur du livre risquerait également d’entraîner une délocalisation des marchés français de l’impression de livres, puisque les imprimeurs français consentent actuellement aux éditeurs des délais importants, de l’ordre de 125 jours. Les relations commerciales en amont des imprimeurs doivent aussi être prises en compte. À défaut, ceux-ci se trouveraient tiraillés entre les délais très longs qu’ils devraient continuer à consentir à leurs clients, et les délais bien plus courts qui leur seraient imposés par leurs fournisseurs, du fait même de la loi de modernisation de l’économie.

Cette interdépendance des maillons de la chaîne doit donner lieu à une réponse globale et coordonnée, et c’est l’objet de la loi soumise à notre examen. Car la régulation n’est pas une décision autoritaire, elle est au contraire ce qui permet à ces différents maillons de s’entendre et de s’articuler, et consiste bien à offrir les conditions de la liberté, dans la plus pure tradition républicaine. C’est la souplesse de ce mécanisme qui, me semble-t-il, fait sa force et garantit son efficacité.

Ainsi, la mesure proposée aujourd’hui permettra de définir les délais de paiement conventionnellement et librement entre tous les acteurs de la chaîne du livre pour l’ensemble des opérations liées aux achats, aux ventes et aux livraisons, y compris pour celles qui sont rémunérées sous forme de commissions. Cette exception au plafonnement des délais de paiement s’appliquera aussi à l’ensemble des opérations de façon qui concourent à la fabrication de livres, notamment la composition, la photogravure, l’impression, le brochage ou encore la reliure, et concernera également les achats de biens consommables dédiés à une activité d'impression, de brochage, de reliure ou d’édition de livres.

C’est l’intérêt de tous : les auteurs et les éditeurs, qui verront leurs livres exposés plus longtemps ; les libraires, qui pourront accepter davantage de livres, et notamment des livres moins grand public, plus exigeants et de vente plus lente ; enfin, les lecteurs, qui auront un choix plus large et bénéficient de la compétence et des conseils des libraires.

Bien sûr, il n’y a pas seulement la régulation, les règles du jeu. Il y a aussi la mise de fond de l’État, par laquelle il soutient ce secteur clé. Cette volonté de soutien du secteur nous a conduits à mettre en place, en 2009, un label de « Librairie indépendante de référence ».

Dans le même esprit, le budget alloué par le Centre national du livre au secteur de la librairie a également été triplé, et le ministère a mis en place un fonds de soutien spécifique, doté de plusieurs millions d’euros, destiné à la transmission des entreprises de librairie. À travers le développement de structures régionales pour le livre, l’État, au côté des collectivités territoriales, a ainsi accentué son soutien à l’égard de la diffusion du livre.

L’éducation artistique et culturelle représente aussi, à ce titre, un enjeu considérable, et je souhaite que les actions réalisées avec le secteur du livre puissent encore être développées.

Ainsi, cette convergence des différentes actions publiques menées en faveur du livre s’explique par des enjeux considérables. Il y va à la fois de la viabilité économique du secteur, de la pluralité de l’offre et, réciproquement, de l’accès de chacun à cette offre culturelle.

Le secteur du livre constitue désormais la première industrie culturelle en France, avec un chiffre d’affaires de près de cinq milliards d’euros. Cette réussite, tout à fait exemplaire au vu des résultats des autres secteurs comparables, comme le disque ou le DVD, permet au secteur du livre de reposer aujourd’hui sur des bases économiques solides. J’insiste sur ce point, la politique de soutien et de régulation mise en œuvre par les pouvoirs publics a très largement contribué à cette situation favorable. De plus, l’équilibre a également pu être maintenu entre les différents acteurs de ce que l’on appelle communément, et avec raison, la « chaîne du livre ».

Or, à l’heure où ce secteur se trouve confronté à des mutations technologiques historiques et doit répondre, de la meilleure manière possible, à des enjeux majeurs pour son avenir, il serait tout à fait paradoxal qu’une disposition législative insuffisamment adaptée à sa spécificité vienne le fragiliser. Il est au contraire indispensable d’accompagner encore davantage ce secteur à l’aube de sa révolution numérique. Pour cette raison, il est important, comme le Président de la République l’a demandé lors de ses vœux au monde de la culture, d’étendre rapidement au livre numérique les dispositions de la loi de 1981, et d’augmenter les moyens mis en œuvre par le Centre national du livre pour soutenir les éditeurs dans le processus de numérisation des ouvrages de fonds. La mesure d’exemption du plafonnement des délais de paiement, examinée aujourd’hui, vient donc également favoriser le développement, pour le secteur du livre, d’une offre numérique légale.

Vous l’aurez donc compris, je suis absolument favorable à cette proposition de loi, parce qu’elle prend pleinement en compte la spécificité profonde du livre et de son secteur – celle, je le répète, de la longue durée, qui est le sceau de sa temporalité – et l’inscrit dans la logique d’une exception nécessaire et constructive, dans une politique résolue du livre et de la lecture, en parfaite cohérence avec la politique du ministère en la matière. Oui, le livre doit continuer à faire exception à la règle générale des autres échanges économiques dont traite la loi de modernisation.

Je me réjouis du consensus exceptionnel, et remarquable, qui a prévalu parmi vos collègues de l’Assemblée nationale lors du vote unanime du 1er décembre dernier. Cette unanimité a confirmé l’importance de cet enjeu partagé que constituent l’essor du livre, le maintien de sa pluralité et l’accès de chacun à cet extraordinaire sésame de la culture. J’espère que vous voudrez, vous aussi, faire droit à cette nécessaire exception culturelle du livre. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.