M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la République décentralisée a aujourd’hui atteint l’âge de la maturité et celui d’un nouveau bilan.

Annoncée de longue date, la réforme qui nous est proposée constitue une véritable nécessité.

Depuis le lancement du processus de décentralisation avec les lois de 1982, les structures territoriales de notre pays ont connu de nombreuses adaptations et se sont considérablement développées. Or force est de constater que toutes les conséquences n’ont pas été tirées de ces bouleversements. La décentralisation a souffert tout à la fois de son application à un paysage territorial figé et des difficultés de l’État à accepter la nouvelle donne.

D’une part, ni l’empilement pyramidal des trois niveaux de collectivités territoriales ni le format de chacun d’eux n’ont été remis en cause. S’y sont en outre intercalés les regroupements communaux.

D’autre part, la logique de la décentralisation aurait dû conduire l’État à ne plus intervenir dans les secteurs transférés aux institutions territoriales et à renoncer au pouvoir de pilotage et de gestion dont il était le seul détenteur dans la tradition jacobine. Force est de constater qu’il a très tardivement réagi ; c’est le Gouvernement qui a lancé, en 2007, la refonte de ses services déconcentrés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Il conviendra cependant d’en évaluer la pertinence et l’adéquation.

En tout état de cause, l’architecture territoriale actuelle n’est plus lisible pour les citoyens ni satisfaisante pour les acteurs locaux. L’enchevêtrement des structures et des compétences, auquel répond celui des financements, en est la preuve la plus évidente. Il est donc indispensable, afin de garantir la bonne marche de la décentralisation dans les années à venir, de renforcer l’efficience et la clarté de l’action locale.

Conscient de cette nécessité, le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, a anticipé le processus législatif en conduisant sa propre réflexion. Pendant huit mois, la mission temporaire présidée par Claude Belot a ainsi élaboré, sur le rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Yves Krattinger, des propositions constructives, sur lesquelles l’ensemble du Sénat a eu l’occasion de prendre position lors de deux débats dédiés à l’organisation territoriale.

La Haute Assemblée a ensuite été saisie, le 21 octobre dernier, des quatre projets déposés par le Gouvernement visant à rationaliser les structures territoriales, à moderniser les conditions d’exercice de la démocratie locale, à clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités et à donner aux élus locaux des outils plus efficaces.

En tant que rapporteur, je me suis attaché à conduire de larges consultations afin de dépasser ma propre expérience d’élu local et d’avoir une vision globale de l’évolution de nos territoires et des problèmes qui leur sont spécifiques. Pour prendre toute la mesure des blocages, des préoccupations et des espoirs des acteurs locaux sur le terrain, j’ai ainsi effectué plus de trente déplacements sur l’ensemble du territoire, participant notamment à plusieurs assemblées générales de maires.

Parallèlement, la commission des lois a organisé deux débats réunissant les ministres et l’ensemble des sénateurs et une table ronde avec les trois principales associations d’élus locaux, à savoir l’Association des maires de France, l’Assemblée des départements de France et l’Association des régions de France.

La réforme des collectivités territoriales, sous peine d’être vouée à l’échec, doit s’élaborer en recueillant la plus large adhésion des acteurs qui la feront vivre. Elle doit offrir les simplifications, les ajustements nécessaires pour faciliter l’action des élus, trop souvent alourdie par la multiplication des normes et rendue plus difficile par les exigences accrues des usagers.

Fort de cette conviction, j’ai axé mon travail autour de quatre principes : le pragmatisme, le respect des libertés locales, la souplesse et la simplification.

La commission des lois a adhéré à ces principes pour modifier le projet du Gouvernement. Elle a globalement respecté sa logique, mais elle y a introduit de nombreuses modifications afin de mettre davantage l’accent sur la liberté des collectivités territoriales et d’accroître leur capacité à exercer leurs compétences.

Ses travaux ont également été enrichis par les amendements déposés par plusieurs de nos collègues.

La création des conseillers territoriaux est l’une des mesures les plus controversées de la réforme et suscite de nombreuses craintes : les élus départementaux y voient le prélude à une suppression des départements,…

Plusieurs sénateurs socialistes. Eh oui !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. … tandis que les élus régionaux craignent à l’inverse une « cantonalisation » de la région, sans vision stratégique et sans capacité à se projeter dans l’avenir.

En premier lieu, la mise en place des conseillers territoriaux, qui siégeront à la fois à la région et au département, est avant tout un moyen d’améliorer la coordination entre les départements et les régions, sans remettre en cause les spécificités de chacune de ces collectivités, qui resteront administrées par des assemblées délibérantes distinctes.

M. Jean-Pierre Sueur. Personne n’y croit !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. En second lieu, la mise en place des conseillers territoriaux doit être interprétée comme un acte de confiance dans la démocratie locale : les conseillers territoriaux bénéficieront de missions plus étendues et de responsabilités plus larges que leurs prédécesseurs.

Les conseillers territoriaux répondent à une véritable attente de nos concitoyens et de nos entreprises, qui verront leur démarche simplifiée en ayant désormais plus qu’un interlocuteur pour ces deux collectivités. Mes chers collègues, il s’agit là de la clef de voûte de cette réforme.

C’est en clarifiant les compétences et en simplifiant la gouvernance que nous pourrons faire des économies et améliorer l’efficacité des politiques publiques, tout en permettant aux régions et aux départements de mener plus d’initiatives communes et, surtout, de mutualiser leurs services.

Tel est le sens de la création des conseillers territoriaux.

Pour ces différentes raisons, la commission a adopté la mise en place des conseillers territoriaux.

La commission des lois s’est également attachée à préserver la liberté des communes et à améliorer le fonctionnement de l’intercommunalité.

Premièrement, elle a tout d’abord privilégié la négociation pour la fixation du nombre de sièges et leur répartition au sein des conseils communautaires.

Le système proposé par le Gouvernement, qui ne laissait aucune marge de manœuvre aux communes et qui leur imposait des règles de représentation contraignantes, nous a paru excessivement rigide. En effet, dans la mesure où l’intercommunalité reste une libre collaboration de communes ayant décidé de gérer certaines compétences collectivement, il semble essentiel de préserver cette liberté des communes membres en leur permettant de fixer le nombre de sièges et leur répartition au sein des organes délibérants des EPCI.

Il convient là aussi d’être pragmatique : le système en vigueur a fait ses preuves, en permettant d’aboutir à des équilibres subtils, parfois atteints par tâtonnement après plusieurs années de pratique. Il semble donc inutilement risqué de remettre en cause les règles consensuelles pour en imposer de plus autoritaires.

La commission des lois a donc réservé aux communes membres la possibilité de se dispenser d’appliquer le tableau de répartition des sièges, à condition de parvenir à un accord à la majorité qualifiée et de respecter certaines règles fondamentales telles que la répartition en fonction de la population, chaque commune devant se voir attribuer au moins un siège et aucune commune ne pouvant disposer de plus de 50 % des sièges.

La position ainsi adoptée par la commission n’avait cependant qu’une vocation conservatoire, dans l’attente d’un meilleur dispositif.

En effet, un certain nombre d’amendements ont proposé une formule alternative qui pouvait se révéler plus pertinente. Cependant, lorsqu’elle a examiné le projet du Gouvernement, la commission des lois n’a pu se prononcer sur ce point, faute de simulations fiables et concordantes, qui ne lui ont été communiquées qu’ensuite. C’est pourquoi, après les avoir étudiées, elle examinera demain les amendements déposés par nos collègues Pierre Hérisson et Gérard Collomb, qui visent à proposer des améliorations permettant de répondre aux inquiétudes s’étant manifestées ici et là, et qui ont recueilli l’accord des associations d’élus. Je formule le souhait que la commission adopte ces deux amendements.

La commission a également prévu, par pragmatisme, que ces dispositions n’entreraient en vigueur qu’en 2014, c’est-à-dire après le prochain renouvellement des conseils municipaux, sauf, naturellement, pour les établissements formés après la promulgation du présent texte.

Deuxièmement, la commission des lois a encadré davantage les pouvoirs du représentant de l’État pour modifier la carte intercommunale. Elle a notamment supprimé le pouvoir d’appréciation du préfet pour mettre en œuvre le schéma départemental de la coopération intercommunale dans le cadre des procédures d’achèvement et de rationalisation de la carte des EPCI à fiscalité propre et des syndicats. Elle a par ailleurs requis l’accord de l’organe délibérant pour le rattachement d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale par le préfet. Elle a prévu, enfin, que les modifications adoptées par la commission départementale de coopération intercommunale à la majorité des deux tiers s’imposent à lui.

Pour la commission des lois, la commune-centre doit consentir aux procédures de création, de modification du périmètre, de fusion et de dissolution des EPCI ou des syndicats mixtes.

Parmi les orientations fixées pour l’élaboration du schéma départemental, le seuil de 5 000 habitants pour la création d’une communauté de communes ne lui a pas paru pertinent, compte tenu de la diversité des territoires, et, en conséquence, elle l’a supprimé.

En revanche, sur l’initiative de notre collègue Jacqueline Gourault, elle a souhaité réactiver les pouvoirs spéciaux bénéficiant aux préfets, en 2012, en matière de fusion d’EPCI et d’extension de périmètre, et ce à chaque révision du schéma départemental de la coopération intercommunale.

Pour faciliter la recomposition des structures syndicales, la commission a retenu la faculté de recourir plus largement, pour les syndicats intercommunaux et les syndicats mixtes, ouverts ou fermés, aux mécanismes de fusion, de dissolution ou de substitution.

Enfin, la commission a créé un collège spécifique pour représenter les syndicats mixtes et les syndicats de communes au sein de la commission départementale de coopération intercommunale : il s’agit en fait de prendre en compte l’élargissement des interventions de la CDCI dans la vie des syndicats.

Troisièmement, la commission des lois a souhaité garantir le caractère consensuel du fonctionnement de l’intercommunalité. Elle a choisi de préserver les compétences de l’échelon communal tout en améliorant le fonctionnement du couple commune-EPCI, qui constitue l’axe de proximité de l’organisation territoriale.

La commission a donc rétabli la majorité qualifiée en vigueur pour les transferts de compétences après la création d’un EPCI et pour la détermination de l’intérêt communautaire, à la place des dispositions du projet de loi prévoyant des majorités simples.

La commission est également revenue sur le caractère obligatoire du transfert du pouvoir de police au président de l’EPCI dans certains domaines, ce pouvoir faisant, mes chers collègues, entièrement partie du noyau dur des compétences du maire.

Par ailleurs, la commission a préservé l’autonomie des communes au sein des nouvelles métropoles en supprimant, sur proposition de nos collègues Jacqueline Gourault et Gérard Collomb, le transfert de l’ensemble de la fiscalité des communes à la métropole et en rendant facultatif le transfert de la DGF communale à celle-ci.

La commission partage l’objectif de souplesse et d’économie de fonctionnement des EPCI promu par le texte du Gouvernement. C’est pourquoi elle a souhaité faciliter davantage les mises à disposition de services, notamment entre la métropole et le département ou la région, de manière à adapter le plus efficacement possible les moyens disponibles aux compétences transférées.

Quatrièmement, la commission des lois a précisé le régime des métropoles.

Les métropoles doivent se distinguer des autres formes de coopération intercommunale par une intégration supérieure et par une capacité à rayonner à l’échelon européen. Cependant, il faut également préserver la proximité, facteur clé de l’efficience de l’action locale. C’est pourquoi, sur l’initiative de Mme Jacqueline Gourault, de M. Gérard Collomb et de votre rapporteur, la commission a conservé aux maires leurs pouvoirs en matière d’autorisation d’utilisation du sol et elle a introduit la notion d’intérêt communautaire pour le transfert des équipements culturels et sportifs.

La commission a souhaité préciser que le périmètre d’une métropole peut être étendu à une commune appartenant à une communauté de communes à DGF bonifiée. Puis, pour conserver une cohérence à la déclinaison des EPCI au regard de leur degré d’intégration, la commission a abaissé le seuil démographique de création des communautés urbaines.

La commission des lois a approuvé le nouveau dispositif des pôles métropolitains, qu’elle a précisé : le pôle constitue une souplesse supplémentaire à la disposition des collectivités les plus dynamiques pour conduire leurs projets. Celles-ci disposeront désormais d’une structure « labellisée ».

Même si elle ne nourrit pas d’espoirs excessifs sur ses chances de succès, la commission des lois a retenu le système renouvelé des fusions de communes en l’assortissant toutefois de plusieurs garanties. Elle a notamment étendu la consultation des électeurs à la demande émanant de l’ensemble des communes concernées, sur l’initiative de notre collègue Jean-René Lecerf, et elle a prévu, dans tous les cas, l’appréciation des résultats au niveau de chaque commune. La commission a attribué les qualités d’officier d’état civil et d’officier de police judiciaire au maire délégué comme c’est actuellement le cas dans les communes associées. Ces prérogatives complètent logiquement leur statut puisque, d’une part, les actes d’état civil seront établis dans l’annexe de la mairie et, d’autre part, le maire délégué pourra se voir confier l’exécution des lois et règlements de police.

La commission a recherché les voies pour mieux garantir les procédures de regroupement des départements et des régions.

Elle a prévu l’accord de la population dans chacun des territoires concernés, de manière à éviter qu’un territoire plus peuplé ne puisse forcer un autre à se regrouper avec lui, en dépit de l’opposition commune de son conseil et de sa population.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Par ailleurs, elle a introduit une nouvelle procédure permettant aux conseils généraux et au conseil régional qui le souhaitent de solliciter du législateur, avec l’accord de la population, la création d’une collectivité se substituant à la région et aux départements qui la composent.

La commission souhaite également que soit mis un terme aux subventions conditionnelles. L’octroi d’une subvention est souvent conditionné, mes chers collègues, à l’adhésion par la collectivité qui souhaite en bénéficier à une structure de coopération ou d’organisation intercommunale, notamment un pays. La commission a souhaité ajouter aux exclusions prévues par le projet de loi pour mettre fin à ce phénomène le cas des associations de collectivités territoriales, derrière lesquelles pourraient se recréer les pays supprimés par l’article 25 du projet de loi.

La commission a également souhaité clarifier les principes devant encadrer la répartition des compétences.

Puisque la réforme vise à simplifier et à rendre plus lisibles les structures et l’action territoriales, la commission a précisé la nature de l’encadrement futur des cofinancements et elle a supprimé l’évocation de la « part significative » du financement par le maître d’ouvrage, qui était d’interprétation trop aléatoire. Elle a également ajouté, sur une suggestion de MM. Jean-Pierre Chevènement et Jacques Mézard, que les initiatives des départements et des régions dans les domaines non prévus par la législation devraient être motivées par des délibérations des assemblées locales concernées.

Mes chers collègues, notre responsabilité est immense.

M. Dominique Braye. C’est sûr !

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le succès de la réforme qui nous est soumise dépendra de notre capacité à faire face aux enjeux liés à l’avenir de la décentralisation, pour la relancer et la faire vivre pleinement. Notre vote doit permettre de dépasser les blocages et les dysfonctionnements – que, tous, nous pouvons constater ici et là sur le terrain – afin de conforter la vitalité de la démocratie locale, cheville ouvrière de la cohésion et de la solidité de notre société.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte qu’elle a établi. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur plusieurs travées de lUnion centriste.)

M. Bruno Sido. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. le rapporteur de la commission des lois vient de vous présenter dans sa globalité la réforme des collectivités territoriales, qui est l’objet du projet de loi dont nous entamons la discussion. Il a notamment replacé ce projet dans l’ensemble législatif proposé par le Gouvernement, qui porte à la fois sur l’architecture territoriale, la démocratie locale et la redéfinition des compétences des différents niveaux de collectivités.

En tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, je me limiterai à évoquer les éléments qui ont justifié la saisine de la commission, particulièrement le lien entre la réforme institutionnelle et la réforme des finances locales, laquelle a été engagée, du fait de la suppression de la taxe professionnelle, dans la loi de finances pour 2010, adoptée définitivement par le Sénat le 18 décembre 2009 et promulguée le 30 décembre 2009.

Le lien entre ces deux réformes est double.

Ce lien est d’abord technique. De ce point de vue, il convenait de rétablir une cohérence entre deux parcours législatifs. En effet, les deux textes ont été, par nécessité et par choix politique, élaborés par des administrations différentes : le ministère des finances et la direction de la législation fiscale pour la réforme de la taxe professionnelle incluse dans la loi de finances pour 2010, le ministère de l’intérieur et la direction générale des collectivités locales pour le projet de réforme dont nous débattons. Ils ont également connu des calendriers d’examen parallèles, par les deux commissions saisies et en séance publique.

Le présent projet de loi a donc été examiné par la commission des lois avant que le Parlement ait statué sur la réforme de la taxe professionnelle. En conséquence, il n’a pu prendre en compte les évolutions importantes apportées lors de l’examen de la loi de finances. À cet égard, il faut se réjouir que la discussion n’ait pas eu lieu le 15 décembre, comme elle était initialement programmée, mais bien après la publication au Journal officiel de la loi de finances pour 2010.

Le lien entre les deux réformes est aussi un lien de fond. Il convient de garantir la cohérence entre les regroupements institutionnels, les compétences des divers niveaux de collectivités et les moyens accordés pour assurer ces compétences. De ce point de vue, il est vrai que nous avons un peu commencé par la fin (Dénégations amusées sur les travées du groupe socialiste) en définissant d’abord les attributions fiscales des collectivités.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est bien de le reconnaître !