M. Alain Houpert. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les violences de bandes ne sont plus marginales. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, les forces de l’ordre ont dû faire face à 348 altercations avec des bandes violentes en 2009.

Ce phénomène est inégalement recensé sur le territoire. Il est essentiellement francilien, puisque 85 % des violences de groupes se produisent en région parisienne. Le phénomène de bandes est essentiellement urbain et ne concerne pas, pour l’instant, les territoires ruraux.

Sociologiquement, on ne peut donc pas imputer ce phénomène à la seule précarité, car cette dernière sévit tant à la campagne qu’en ville. Néanmoins, un milieu défavorisé est susceptible de voir prospérer la délinquance.

Les quartiers urbains de la région francilienne sont un creuset qui mêle de surcroît d’autres facteurs : l’anonymat et la concentration de la demande de stupéfiants.

Toute la nation est cependant concernée, même si ce phénomène, je le rappelle, touche principalement la région francilienne.

La violence de ces bandes engendre un double malaise.

Il s’agit, en premier lieu, d’un malaise de voisinage. Mes pensées vont d’abord aux familles qui vivent dans ces quartiers en proie à la violence. Si la petite délinquance détruit petit à petit le lien social, la violence de bandes fait régner l’omerta. Les familles sont impuissantes. Les institutions perdent leur fonction de repère et de tuteur.

Face à la remise en cause des institutions les plus essentielles à une vie républicaine, l’organisation en bandes apparaît comme une forme primitive de communautarisme, dans laquelle les jeunes forment leur propre identité. Contrairement à la majorité des formes de communautarisme, les bandes violentes se détachent de la République en s’y opposant frontalement, en la défiant. À ce jour, les premières victimes sont les personnels de la police, de l’enseignement et des transports.

De ce fait, la violence de bandes engendre, en second lieu, un malaise national.

La nation s’émeut à bon droit lorsque les fonctionnaires de la République sont pris pour cible. La violence s’est diffusée jusqu’à l’intérieur des établissements scolaires, où le port d’armes est récurrent. Que n’entendons-nous sur ce sujet ! Certains suggèrent que l’augmentation du nombre de surveillants est la solution miracle à l’insécurité dans les établissements scolaires

À force de transiger, ce sont les violents qui sont devenus intransigeants. Faut-il attendre qu’une nouvelle digue républicaine lâche pour s’émouvoir ? Non, ce n’est pas à la République de transiger ; elle doit être forte !

La présente proposition de loi va donc dans le bon sens. L’actualité très récente démontre de façon criante la pertinence de la démarche du Gouvernement.

Ainsi, l’insécurité aux abords des stades a encore fait la une de l’actualité. Que constate-t-on ? À la suite de l’apparition des violences dans les stades a été posé le principe des interdictions de stade. Aujourd’hui, les supporters ne rentrent plus dans ces enceintes, mais préfèrent semer l’agitation en ville. À défaut de moyens suffisamment énergiques, les clubs sportifs comme les préfets sont confrontés à des choix cornéliens. L’article 4 octies, adopté conforme par l'Assemblée nationale, comporte des dispositions tendant à remédier à cet état de fait.

De plus, le week-end dernier, des individus en burqa, qui se sont donc couvert le visage, ont « braqué » une agence bancaire. Nous avons par conséquent raison, à l’article 3, adopté également conforme, de poser le principe de l’aggravation des peines à l’égard de la personne délinquante qui dissimule « volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée ».

La majorité n’a pas attendu pour agir, et ces graves faits ne font que conforter son action.

Il ne faut donc pas laisser le phénomène des bandes violentes, dont les membres sont des bandits, se banaliser. À cet égard, nous ne devons pas faire preuve d’angélisme : sévérité et mesure sont nos maîtres mots.

Ainsi, l’article 2 bis permet le recrutement d’agents de sécurité habilités à porter une arme de sixième catégorie. Il faut certes apporter une réponse à la mesure des attentes, c’est-à-dire efficace, sévère, mais également juste. Nous avons donc introduit un contrôle de ce recrutement, afin que le préfet ait son mot à dire. La sévérité est ainsi mesurée.

Plus généralement, les dispositions de la présente proposition de loi sont fermes, mais aussi mesurées.

Sur le fond, nous parvenons à un résultat équilibré. Il convient à cet égard de saluer la qualité du travail de la commission des lois et de l’ensemble des parlementaires qui y ont contribué. À l’issue de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, nous pouvons nous féliciter de la progressivité de l’échelle des peines.

Sur la forme, l’équilibre est aussi le fruit de la méthode. Comment ne pas remarquer qu’une deuxième lecture permet toujours de parfaire un texte, alors que nous avons tendance à examiner les projets ou propositions de loi dans l’urgence ?

Pour conclure mon intervention, je dirai : stop aux arguments dilatoires !

L’article 4 ter A, supprimé par l'Assemblée nationale, me semblait tout à fait satisfaisant. Il permettait la transmission aux forces de l’ordre des enregistrements de vidéosurveillance privés. Bien entendu, tout système de vidéosurveillance emporte un risque d’atteinte à la vie privée. Si le droit à la vie privée doit être respecté, il ne faut pas oublier le droit à la sécurité, fondamental dans une société démocratique.

Nous devons assurer à nos concitoyens la protection qu’ils méritent. Nous avons trouvé un équilibre : la transmission d’une vidéosurveillance privée aux forces de l’ordre doit être autorisée par une majorité qualifiée des propriétaires. Cet équilibre serait rompu si l’on retenait les arguments dilatoires de ceux qui souhaitent une majorité absolue. Le dispositif deviendrait alors inefficace, le droit de blocage des uns réduisant à néant le droit à la sécurité des autres. L’argument dilatoire révèle une absence de proposition.

La majorité a fait, quant à elle, le choix d’initiatives amitieuses et pragmatiques. Je voterai donc cette proposition de loi avec l’ensemble des membres du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Martin.

M. Pierre Martin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la sécurité est un droit fondamental du citoyen et une impérieuse exigence de justice sociale.

Ces dernières années, les incivilités, surtout les violences, n’ont cessé d’augmenter.

Aujourd’hui, ce fléau concerne tous les lieux de la vie sociale – la rue, le quartier, les moyens de transport, les écoles, les stades –, traduisant le mal-être, le désespoir, une façon d’exister peut-être.

Compte tenu de mes implications, je concentrerai mon intervention sur les mesures relatives à la lutte contre les violences commises lors de manifestations sportives. Les articles 4 septies et 4 octies de la présente proposition de loi ont entériné deux des dispositions que je préconisais.

Les violences perpétrées lors de matchs de football, en augmentation en France, ont touché plus précocement nos voisins européens, qui ont mis en place, avec succès, des politiques adaptées. La Belgique et le Royaume-Uni, insistant respectivement sur la prévention et sur la répression, constituaient ainsi pour nous d’excellentes sources d’inspiration. Mon collègue Bernard Murat et moi-même imaginions que les interdictions administratives de stade pouvaient être applicables une année entière.

Dans l’historique des interdictions de stade, il est à noter que la loi du 6 décembre 1993 relative à la sécurité des manifestations sportives avait déjà instauré une peine complémentaire : l’interdiction de pénétrer dans une ou plusieurs enceintes sportives, pour une durée maximale de cinq ans. De plus, la personne condamnée pouvait être astreinte à répondre aux convocations du commissariat de police pendant la durée des matchs. Cette mesure est restée lettre morte, du fait de la difficulté à suivre véritablement les personnes condamnées à cette peine.

La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure avait, quant à elle, autorisé le fichage des personnes interdites de stade. Toutefois, le nombre de condamnations est resté extrêmement faible. Au 31 mai 2009, seules 130 mesures d’interdiction judiciaire de paraître dans une enceinte sportive étaient en cours, ce qui paraît très insuffisant eu égard au nombre d’actes recensés et d’auteurs interpellés.

La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers avait, elle, permis aux préfets de prononcer une interdiction administrative de stade de trois mois, et non de cinq ans comme peut le faire le juge pénal.

Sur les quelque 350 interdictions édictées chaque année, 94 étaient en cours d’exécution au 31 mai 2009. C’est peu comparé aux 500 personnes constituant en France le « noyau dur » des personnes violentes et des 3 500 interdictions administratives de stade prononcées en Grande-Bretagne.

Je me réjouis donc que la proposition que j’avais émise d’allonger cette interdiction administrative de stade à douze mois au maximum ait été retenue. Son adoption définitive est urgente ; les phénomènes de débordement auxquels nous avons encore assisté récemment l’ont à nouveau démontré. La possibilité de prononcer une interdiction administrative de stade dès qu’un seul fait grave est commis et de prévoir une peine d’un an d’emprisonnement en cas de non-respect de cette interdiction devrait renforcer l’efficacité de la mesure.

Toutefois, je considère que les interdictions judiciaires de stade restent insuffisantes et que les instructions données au parquet dans ce domaine devraient être suivies d’effets plus concrets.

J’ai proposé également qu’un fichier européen des interdits de stade soit mis en place, des supporters étrangers participant aussi aux violences lors de la coupe d’Europe et même au cours du championnat de France.

Monsieur le secrétaire d'État, où en êtes-vous de vos réflexions et quelles avancées envisagez-vous en la matière ?

La loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives a intégré dans le code du sport un article autorisant, sous conditions, la dissolution par décret de toute association ou groupement de fait ayant organisé ou participé à des violences.

Cette mesure visait à responsabiliser les associations de supporters qui ne doivent pas cautionner des comportements illégaux récurrents de la part de leurs membres.

Depuis son entrée en vigueur, elle a été utilisée à deux reprises à l’encontre de Faction Metz et de l’Association nouvelle des Boulogne Boys, qui incitaient à la haine raciale. Elle a été suivie des effets attendus.

Mais reconnaissons que cette sanction s’appliquera aux groupes les plus violents et non pas aux associations, qui, sans être violentes, comptent en leur sein des supporters violents. À cet égard, le choix de la secrétaire d’État chargée des sports de prévoir un interlocuteur représentant les supporters, via la fédération des associations de supporters, est une initiative très pertinente, que j’avais appelée de mes vœux.

Cependant, là encore, j’estime que la prévention est insuffisante. J’avais proposé qu’un policier référent soit mis en place dans les grands clubs français pour « déminer » les problèmes et pour repérer les violences perpétrées par les supporters, notamment au cours de déplacements. Ce système, particulièrement efficace en Grande-Bretagne, pourrait participer du projet du Gouvernement de constituer une police spéciale pour les violences sportives.

Monsieur le secrétaire d'État, votre opinion sur cette question d’ordre réglementaire m’intéresse.

Enfin, l’article 4 septies vise à étendre le délit d’introduction de fumigènes dans les enceintes sportives à la détention et à l’usage de ces artifices dans ces mêmes enceintes, afin de prévenir et de sanctionner plus efficacement leur utilisation.

Je suis favorable à cette disposition, mais cette dernière ne sera pleinement efficace, me semble-t-il, qu’après une discussion avec les associations de supporters, qui apprécient, malheureusement, le spectacle offert par certains fumigènes au début des matchs. Monsieur le secrétaire d'État, connaissez-vous l’état d’esprit de leurs représentants sur ce point, et considérez-vous qu’une telle mesure, à elle seule, sera efficace ?

Toutes ces questions relèvent principalement de l’application de la loi. J’espère que des réponses pourront leur être apportées, afin que nous puissions adopter en pleine connaissance de cause ce texte auquel je suis tout à fait favorable. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je serai bref, car une bonne partie des questions soulevées au cours de la discussion générale seront reprises lors de l’examen des amendements. Jean-Pierre Sueur l’a d'ailleurs reconnu dans son intervention au début de notre débat, et je lui répondrai donc quand j’émettrai l’avis du Gouvernement sur les amendements qu’il a déposés, de manière à ne pas être redondant. Puisse-t-il me pardonner de ne pas le faire dès à présent !

M. Jean-Pierre Sueur. Je pardonne toujours, monsieur le secrétaire d'État, mais j’ai parfois tort ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Monsieur Mézard, il s’agit non pas d’un texte sécuritaire d’affichage, comme vous l’avez affirmé – injustement, du moins de mon point de vue –, mais bien d’une proposition de loi d’adaptation, qui est attendue sur le terrain et qui doit apporter des solutions juridiques concrètes pour lutter contre une forme nouvelle de criminalité.

Je le répète, ce texte a pour caractéristique principale d’apporter des réponses à des problèmes réels que, aujourd'hui, il n’est pas possible de régler. Il n'y a donc aucune connotation idéologique, au mauvais sens du terme, dans cette démarche.

Madame Assassi, vous avez raison, ce texte a pour objet non pas de lutter contre les gangs, mais bien de renforcer la lutte contre des violences commises en groupe. Il ne s’agit nullement de remettre en cause les droits syndicaux.

Je l’ai rappelé dans mon intervention liminaire, tout comme d’ailleurs, systématiquement, lors des débats menés sur ce texte, que j’ai presque tous suivis, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, cette proposition de loi vise à protéger le caractère propre des manifestations sur la voie publique, qu’elles soient syndicales ou autres.

Vous le savez aussi bien que moi, même si vous ne pouvez peut-être pas le dire ici – en tout cas, les Français, eux, ne l’ignorent pas, parce qu’ils ont été choqués par les images qu’ils ont pu voir ou par les scènes auxquelles ils ont assisté dans la rue –, ces phénomènes ont souvent pour effet principal de dénaturer ces manifestations à la fois revendicatrices et démocratiques, en altérant leur sens. Nous devons garder à l’esprit cette idée si nous voulons être objectifs en ce qui concerne la question des droits syndicaux et, plus généralement, du droit de manifestation.

En effet, les dispositions de ce texte rejoignent les infractions dites « obstacles », telles que les menaces d’atteinte aux personnes et aux biens ou les associations de malfaiteurs. Il n’y a pas là de présomption de culpabilité : il faudra toujours démontrer une participation matérielle ainsi qu’une intention. Je ne reviendrai pas davantage sur cette question, que nous avons déjà longuement évoquée au cours de nos débats.

Monsieur Cambon, vous avez rappelé à juste titre l’importance des bandes violentes en région parisienne, et vous avez cité quelques chiffres qui sont exacts. Les dispositions de l’article 3 bis de la proposition de loi, adopté conforme en première lecture, répondent à votre préoccupation, en renforçant la compétence de la police d’agglomération dans certains départements de la périphérie de Paris.

Monsieur Houpert, comme vous l’avez indiqué, les violences commises sur les personnes chargées de missions de service public sont particulièrement intolérables, le citoyen se trouvant en quelque sorte doublement atteint.

Le présent texte, notamment son article 5, déjà voté, prévoit une circonstance aggravante, qui s’appliquera par exemple quand un enseignant est victime d’agression dans un établissement scolaire. Je crois qu’il fallait le rappeler, et vous avez eu raison de le faire.

Monsieur Martin, sur votre initiative, et afin d’améliorer les moyens de la lutte contre les violences sportives, les articles 4 septies et octies visent à doubler la durée des interdictions de stade, comme je l’ai rappelé dans mon intervention liminaire. J’avais souligné alors, et je le répète à présent en réponse à votre propos, qu’il s'agit là d’une réelle dissuasion.

En ce qui concerne la police de stade et l’expérience britannique, le débat doit rester ouvert. Le présent texte ne peut tout régler, mais ces questions méritent d’être prises en considération et intégrées dans notre réflexion à venir.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments de réponse que je voulais apporter avant l’examen des articles et des amendements.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Je rappelle que, aux termes de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.

Chapitre IER

Dispositions renforçant la lutte contre les bandes violentes

……………………………………………………………………………………………….

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public
Article 2 bis (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

I. – Après l’article 222-14-1 du code pénal, il est inséré un article 222-14-2 ainsi rédigé :

« Art. 222-14-2. – Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »

II. – Dans l’année suivant la publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation des dispositions de l’article 222-14-2 du code pénal.

……………………………………………………………………………

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 1 est présenté par MM. Sueur et C. Gautier, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 7 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 1.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er de la proposition de loi.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Rien que ça !

M. Jean-Pierre Sueur. En effet, cette disposition est superfétatoire : je pense avoir montré que l’arsenal législatif comportait déjà toutes les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif.

M. Pierre Fauchon. Si vous l’avez montré, n’y revenez pas ! Nous vous avons entendu !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Fauchon, puisque vous m’avez entendu et que vous êtes convaincu,…

M. Pierre Fauchon. Convaincu, c’est autre chose ! Si nous devions être convaincus chaque fois que vous vous exprimez, cela se saurait !

M. Jean-Pierre Sueur. … tout comme M. le secrétaire d'État, vous n’aurez aucune difficulté à soutenir cet amendement.

J'ajouterai que cet article pose bien des difficultés, car il ne respecte pas le principe de proportionnalité de la peine. Une peine unique est prévue pour des infractions différentes !

Monsieur le secrétaire d'État, comment pouvez-vous justifier, premièrement, l’élaboration d’une nouvelle loi, alors que l’arsenal législatif et répressif nécessaire existe déjà, deuxièmement, la contradiction manifeste qui existe entre ce texte et le principe de proportionnalité de la peine, troisièmement, enfin, la très grande imprécision de cette proposition de loi ?

Comme vous le savez, il suffira de se trouver en présence de personnes qui auraient des intentions malveillantes ou prépareraient des événements tombant sous le coup de la loi pour être incriminé. Franchement, comment pouvez-vous défendre une telle disposition ?

Monsieur le secrétaire d'État, puisque vous avez tout à l'heure sollicité mon pardon, ce qui me place dans une situation difficile, j'évoquerai un fait personnel : je me souviens très bien de l’époque – c’était en 1981 –, alors que nous siégions ensemble dans le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, où nous avons combattu la loi « anticasseurs » et obtenu qu’elle fût abolie.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Ce n’est pas la même chose !

M. Jean-Pierre Sueur. Si, monsieur le secrétaire d'État ! Je vous rappelle que la loi « anticasseurs » allait bien moins loin que le présent texte, puisqu’elle punissait les initiatives individuelles de personnes – j’y insiste – qui ne se dispersaient pas à la fin des manifestations, notamment.

Or, ici, il s'agit de mettre en cause des gens qui peuvent se trouver tout à fait par hasard…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas par hasard !

M. Jean-Pierre Sueur. … au sein de regroupements purement temporaires.

Monsieur le secrétaire d'État, puisque vous avez imploré mon pardon, ce qui me pose problème, je vous l’avoue, je me référerai au texte que nous avons voté ensemble voilà quelque temps pour vous demander de ne pas exacerber encore le prurit sécuritaire électoral qui est ici à l’œuvre, comme tout le monde le sait, et vous le premier !

M. Jacques Mahéas. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 7.

Mme Éliane Assassi. La disposition que nous souhaitons supprimer, bien qu’elle ait été améliorée par notre commission, institue tout de même une présomption d’infraction, puisqu’elle crée un délit de participation à un attroupement dont les membres ont l’intention de commettre des violences.

En résumé, il suffira qu’une personne se trouve dans un groupe qui semble se préparer à commettre des infractions pour qu’elle puisse être inquiétée par la justice !

Or l’absence de définition de la notion de « bande » laisse un grand pouvoir d’interprétation à ceux qui seront amenés à appliquer le présent texte. L’arbitraire que cette situation engendrera inévitablement risque donc d’aggraver les problèmes au lieu de les résoudre.

Les juridictions pénales qui seront saisies sur ce motif d’accusation éprouveront de grandes difficultés, me semble-t-il, à rendre cette mesure applicable, car elles devront se fonder non pas sur des faits commis, mais sur la volonté de la personne de passer à l’acte. En clair, il leur faudra constater ce que les membres de la bande auraient pu faire !

Monsieur le secrétaire d'État, il s'agit d’une grave atteinte portée à la présomption d’innocence dont jouit tout citoyen et qui, avec votre dispositif, devient plutôt une présomption de culpabilité.

Je le répète, les violences de groupe sont souvent spontanées et improvisées. Il sera très difficile d’affirmer la finalité clairement délictuelle de la personne mise en cause.

Comment définir le caractère « temporaire » du groupement ? Faut-il entendre par là cinq minutes, une heure, une journée ? En outre, il est rare que les forces de l’ordre soient présentes dès le début du passage à l’acte des violences. Pour cette incrimination, il est donc pratiquement impossible d’apporter la preuve de la responsabilité individuelle de la personne concernée.

Enfin, dans l’hypothèse où quelqu'un commet véritablement une infraction, d’autres textes permettent d’apporter une réponse plus efficace, comme celui qui est relatif aux violences commises en réunion.

Je le répète, il n'est pas besoin d’une loi supplémentaire pour réprimer les violences de groupe.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, rapporteur. Sans vouloir fuir le débat, je rappellerai que, si nous discutons de nouveau de cet article, c’est parce que la rédaction de son deuxième alinéa a été légèrement modifiée. Or toute la discussion qui vient d’avoir lieu a porté sur le premier alinéa de l’article, qui, lui, n’a aucunement été remis en cause par les députés. Je vous renverrai donc, mes chers collègues, aux débats que nous avons eus sur ce point lors de la première lecture du présent texte.

Pour vous rassurer, je résumerai néanmoins nos travaux : je vous rappelle que notre commission a modifié assez substantiellement le texte initial, en revoyant la définition de l’infraction afin de toucher des personnes qui, certes, participent à un groupement, mais dans le dessein de préparer des violences ou des dégradations. Nous avons donc écarté toute forme de responsabilité collective, pour que soit bien visée une responsabilité personnelle.

Par ailleurs, dans la nouvelle rédaction, la notion d’acte préparatoire, qui renvoie à des faits matériels extrêmement précis, a été substituée à celle « d’objectif » ou de « but poursuivi », qui, en effet, était plus large, et dont la conception était un peu plus difficile à cerner.

À cet égard, j’évoquerai un exemple très simple, qui a déjà été cité à de multiples reprises et que chacun peut vérifier : la fréquentation de certains blogs préparant de façon précise des violences qui, je le répète, sont physiques et personnelles. Il s'agit bien là d’incriminer un acte préparatoire qui, à ce titre, se distingue des autres délits.

Enfin, notre commission avait voulu abaisser les peines encourues, afin que la préparation de l’infraction ne soit pas réprimée plus fortement que l’infraction elle-même. Les députés ont souscrit à ce souhait.

Pour toutes ces raisons, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression identiques.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Qu’ajouter à l’excellente et très claire argumentation du rapporteur ?

Monsieur Sueur, vous avez évoqué des situations personnelles antérieures…

Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas là pour cela !

M. Jean-Pierre Sueur. Elles sont publiques !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Personnelles et publiques : l’un n’empêche pas l’autre.

Vous avez fait référence à la loi anticasseurs. Mais le Gouvernement a été très clair : il est important d’éviter, ici, la responsabilité collective.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est cela !

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Au reste, on ne peut mettre sur le même plan les phénomènes de délinquance d’aujourd'hui et la situation des années soixante-dix. Que vous vous prêtiez à une telle assimilation pourrait laisser penser que vous en êtes resté à cette époque. Pourtant, ce n’est pas votre cas, puisque, comme moi – c’est un autre point commun –, vous avez exercé des responsabilités de maire – je continue pour ma part de le faire et j’ai même présidé l’Association des maires des grandes villes de France – et vous avez pu voir la société évoluer sous vos yeux. C'est la raison pour laquelle les réponses du législateur doivent également évoluer.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Il ne s’agit pas de questions personnelles, monsieur le secrétaire d'État. Il s’agit de choix opérés publiquement sur des sujets importants.

Je veux revenir sur la loi du 8 juin 1970 tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance, dite « loi anticasseurs ».

M. René Beaumont. C’était il y a quarante ans !

M. Jean-Pierre Sueur. Oui, mais je peux parler du passé, mon cher collègue, j’en ai le droit ! Quelquefois, on parle bien de ce qui est arrivé en 1789, et avec raison… (Sourires.)

Cette loi a introduit dans le code pénal un article 314 qui réprimait « les instigateurs et les organisateurs » ainsi que les participants volontaires « d’une action concertée, menée à force ouverte par un groupe », ayant conduit à des « violences ou voies de fait » contre des personnes ou des biens. C’est la lettre de la loi.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui, mais il ne s’agit pas de cela !

M. Jean-Pierre Sueur. Or, selon François Luchaire, dont personne ne contestera l’autorité,…

M. Pierre Fauchon. Autorité, autorité... (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. ... cette loi « ne rendait pas [...] tous les participants à une manifestation responsables des violences qui peuvent s’y produire mais elle définissait des infractions très spécifiques : le fait pour un organisateur de ne pas donner l’ordre de dislocation dès qu’il a connaissance de ces violences, le fait pour un participant à la manifestation de continuer à y participer activement après avoir eu connaissance desdites violences ».

Monsieur le secrétaire d'État, vous vous en souvenez, nous nous sommes élevés contre cette loi, considérant que, sous cette forme, elle instaurait de facto une responsabilité collective ; nous avons eu raison de le faire. C’est précisément pour ce motif que les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat ont été favorables à son abrogation.

Cette loi est-elle plus ou moins préjudiciable aux libertés individuelles et au droit de chacun que le texte que nous examinons aujourd'hui ? Elle l’est moins, évidemment. En effet, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis instaure de fait la responsabilité collective, une responsabilité pénale du fait d’autrui et même met en œuvre une responsabilité de l’intention d’autrui !

Monsieur le secrétaire d’État, vous me permettrez de continuer à défendre les droits du citoyen Jean-Marie Bockel, qui, lorsqu’il manifestera, à Mulhouse ou ailleurs, en vertu d’un droit qui lui paraîtra essentiel risque de se trouver aux côtés de personnes qu’il ne connaît pas mais dont l’intention est malfaisante. Je veux lui éviter de se voir infliger un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende !

Mes chers collègues, il suffit de se pencher sur les textes, de comparer la loi anticasseurs et le projet de loi qui nous est présenté pour mesurer le danger qui nous guette.

En invitant à voter pour ces amendements identiques de suppression, je défends les droits du citoyen, y compris ceux du futur manifestant que vous serez peut-être, monsieur le secrétaire d'État. En adoptant ces amendements, mes chers collègues, nous empêcherons que des citoyennes et des citoyens ne se voient infliger arbitrairement les peines prévues par cet article alors qu’ils ne seront en rien responsables des faits reprochés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.