compte rendu intégral

Présidence de Mme Monique Papon

vice-présidente

Secrétaires :

M. Philippe Nachbar,

M. Bernard Saugey.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à la mission commune d'information sur les toxicomanies

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des quinze membres de la mission commune d’information sur les toxicomanies.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Les candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

3

Article 32 quater (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Article 27 sexies A (précédemment réservé)

Réforme des retraites

Suite de la discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites [projet n° 713 (2009-2010), texte de la commission n° 734 (2009-2010), rapports nos 721, 727 et 733 (2009-2010)].

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 27 sexies A, précédemment réservé.

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi portant réforme des retraites
Article 32 quinquies

Article 27 sexies A (précédemment réservé)

Après le I de l’article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis. – Le calcul de l’âge mentionné aux 2° du I s’effectue à compter de 2016 à partir de l’âge mentionné au premier alinéa de l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale. Cet âge est fixé par décret de manière croissante à raison de quatre mois par année pour les années 2011 à 2016. »

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l’article.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre de mes collègues, je suis très vigilant, dès que l’on aborde la question de l’amiante. Je le suis d’autant plus qu’à chaque fois qu’il a été question de l’amiante, au cours de ces dernières années, les droits des victimes de ce produit ont été rognés.

Souvenez-vous du décret, pris l’année dernière, réduisant l’assiette servant de base de calcul pour la préretraite amiante, et ce contrairement à ce qu’avait considéré la Cour de cassation, pour qui tous les éléments de rémunérations, y compris les indemnités correspondant à des jours de congés payés ou de RTT non pris, ou à des jours cumulés dans des comptes épargne temps, devaient être pris en compte dans l’assiette de calcul !

Je craignais qu’il n’en soit de même à l’occasion de l’examen de ce texte. J’avais raison de me méfier, puisque, monsieur le rapporteur, vous avez fait adopter par la commission des affaires sociales un article additionnel repoussant de deux années l’accès à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA.

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Jean-Pierre Godefroy. Certes, vous ne touchez pas à l’âge minimal de 50 ans, mais vous prévoyez que l’allocation sera calculée sur la base de 62 ans à partir de 2014, et que 4 mois supplémentaires seront ajoutés dès 2011.

Je suis d’autant plus étonné que cet amendement, dans sa première version, était identique à ceux que Gérard Dériot, Alain Milon et moi-même avions déposés. Quel n’a pas été notre étonnement de découvrir que ce texte avait entre-temps été réécrit dans un sens défavorable aux victimes de l’amiante !

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est plus possible d’ignorer aujourd’hui l’ampleur du drame de l’amiante : je vous rappelle que l’exposition à ce produit a déjà provoqué 35 000 décès, et que de 60 000 à 100 000 nouveaux décès sont attendus d’ici à 2030.

Depuis plusieurs années, les rapports et les propositions de réforme se succèdent, sans qu’aucune suite y soit jamais donnée. Le rapport d’information du Sénat, rédigé en 2005 par Gérard Dériot et moi-même, sous la présidence de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, et le rapport de l’Assemblée nationale, publié en 2006 ont ouvert la voie à une évolution des dispositifs de prise en charge des maladies liées à l’amiante, non sans considérer leur coût financier.

L’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, la Cour des comptes, le groupe de travail présidé par M. Jean Le Garrec et le Médiateur de la République ont également souligné les carences des dispositifs de préretraite du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, et d’indemnisation des victimes par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.

S’agissant de l’ACAATA, par exemple, la disparité des règles entre les différents régimes d’assurance maladie et leur manque de coordination aboutissent à traiter de manière très inéquitable les salariés victimes de l’amiante, voire à les priver de toute indemnisation, au motif qu’ils relèvent d’un régime ne prévoyant pas cette allocation ou qu’ils dépendent d’entreprises sous-traitantes, alors même qu’ils exercent leur activité dans une entreprise répertoriée. Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres.

Pourtant, chaque année, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement restreint le traitement de cette question à son aspect purement financier ; je crains fort que ce ne soit encore le cas aujourd’hui ! Par ailleurs, les règles en matière d’irrecevabilité financière empêchent les parlementaires de proposer par amendements les évolutions positives attendues par les milliers de salariés confrontés au problème de l’amiante.

Monsieur le ministre, je vous répète les propos que j’ai déjà tenus à vos prédécesseurs, MM Bertrand, Hortefeux et Darcos : j’espère qu’un jour nous pourrons enfin débattre de la mise en œuvre de la réforme souhaitée de façon unanime, en concertation avec les associations et l’ensemble des organisations syndicales, une réforme qui permette de rendre plus justes les conditions d’attribution des « allocations amiante », mais aussi de rendre plus pérennes les modalités de financement du fonds amiante. (Signes d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

J’ai lu ce matin avec beaucoup d’attention l’amendement que vous avez déposé. Je considère qu’il est positif sur un point, mais très négatif sur un autre. J’y reviendrai à l’occasion de l’examen des amendements.

Votre amendement, loin de régler le problème, le complexifie ! Si vous maintenez l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les victimes de l’amiante – c’est une très bonne disposition, conforme à ce que nous souhaitons –, vous prévoyez toutefois des conditions de temps de présence dans l’entreprise tout à fait impossibles à remplir !

Cet amendement ne reflète pas la réalité des choses. Les dispositions relatives au temps de présence dans l’entreprise correspondent à l’ancienne notion de temps d’exposition. Or nous avions indiqué, dans le rapport de la mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante, que le problème du temps d’exposition était impossible à régler. En effet, selon la nature de la maladie développée par les personnes exposées à l’amiante, le temps d’exposition peut être reconnu, ou non, comme un facteur de risque.

M. Jean-Pierre Godefroy. Il ne joue pas, par exemple, dans le cas du mésothéliome, le « cancer de l’amiante ».

Avec la référence au temps de présence dans l’entreprise, vous en revenez à un temps d’exposition !

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Jean-Pierre Godefroy. Le même reproche avait été adressé au comité permanent amiante, qui avait estimé, en 1997, qu’en deçà d’un certain temps d’exposition la santé des travailleurs n’était pas en danger. Cet avis avait été unanimement rejeté, à l’époque, par les médecins, les scientifiques et les spécialistes de la médecine du travail. (Mme Gisèle Printz applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, sur l’article.

Mme Annie David. À travers le sort réservé aux salariés exposés à l’amiante, on peut mesurer combien votre texte est source d’injustices et d’inégalités.

Le fait de ne pas exclure les travailleurs exposés à l’amiante du dispositif tendant à reporter de deux ans l’âge légal de départ en retraite équivaut à les priver du droit à bénéficier de leur retraite !

En effet, s’il faut désormais attendre que la « pathologie » amiante soit déclarée, le salarié concerné ne pourra profiter de sa retraite que pendant une durée de six à dix-huit mois, qui correspond au délai de vie suivant l’apparition de la maladie ! Vous créez de la sorte une inégalité de traitement entre, d’une part, les salariés dont la pénibilité a été actée selon vos critères, et qui pourront partir à la retraite à 60 ans, et, d’autre part, les personnes exposées à l’amiante, dont l’âge de départ à la retraite se situera entre 60 et 62 ans.

Or nous savons toutes et tous que l’exposition à l’amiante, comme à l’ensemble des substances cancérogènes, provoque des pathologies survenant longtemps après l’exposition, souvent même après le départ à la retraite.

Ainsi a-t-on recensé sur la plate-forme chimique de Pont-de-Claix, en Isère, 50 maladies professionnelles reconnues liées à l’amiante, qui ont déjà provoqué 10 décès. Sur le seul site Arkema de Jarrie, 80 salariés se sont vu reconnaître une maladie professionnelle ; 30 d’entre eux sont déjà morts. Or tous ces décès sont intervenus dans la tranche d’âge 45-65 ans !

Vous nous répétez que cette réforme est juste. Or vous décidez de faire travailler aussi longtemps que les autres salariés celles et ceux qui mourront plus tôt à cause de leur travail. Où est la justice ?

Compte tenu de la prise en compte d’un taux d’incapacité, et non d’exposition, il faudra attendre qu’une pathologie amiante se déclare chez un salarié avant de lui accorder le bénéfice de la préretraite amiante.

On ne le répétera jamais assez, pour les salariés qui ont été exposés à l’amiante, la cessation anticipée d’activité est un droit, créé pour compenser leur perte d’espérance de vie !

J’ai étudié votre amendement, monsieur le ministre. S’il permet de maintenir les conditions actuelles d’âge de cessation d’activité pour les bénéficiaires d’une ACAATA, il est cependant insuffisant, voire injuste, du fait des conditions qu’il prévoit : les salariés concernés doivent avoir travaillé dans un établissement répertorié pendant une durée minimale fixée par décret.

Comme l’a dit Jean-Pierre Godefroy, il sera impossible à des salariés ayant travaillé sur des sites qui n’existent plus de faire reconnaître qu’ils ont subi une exposition à l’amiante pendant la durée minimale exigée.

Même si ces salariés dont l’emploi a été supprimé et le lieu de travail détruit ont été mutés sur des sites similaires, classés quant à eux amiante, ils ne pourront être reconnus comme des victimes de l’amiante car ils n’auront pas travaillé pendant la durée minimale exigée sur ces derniers sites.

L’amiante est l’une des seules causes de pathologie que ce gouvernement avait accepté de prendre en compte. Bien d’autres produits cancérogènes devraient pourtant être reconnus. C’est le cas des produits chimiques cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, dits produits CMR.

Votre amendement, monsieur le ministre, ne répondra en rien à l’inquiétude et à la colère légitime des nombreux salariés exposés à l’amiante. Mais nous reviendrons sur ce point à l’occasion de l’examen des amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Navarro, sur l’article.

M. Robert Navarro. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, comme de nombreux sénateurs, que nous protégions les salariés qui ont été exposés à l’amiante au cours de leur vie professionnelle.

J’aurais aimé aussi qu’une concertation soit engagée avec l’ensemble des associations de défense de ces salariés, ce qui n’a pas été le cas.

L’application de la présente réforme à cette catégorie de salariés serait particulièrement injuste et coûteuse.

Ce serait tout d’abord injuste, car ce dispositif écarte les personnes qui ont été exposées à des produits cancérogènes au cours de leur vie professionnelle et qui ont, de ce fait, une espérance de vie réduite, même s’ils ne présentent pas de signes physiques de cette atteinte.

Voilà qui est particulièrement inique ! On se souvient, en effet, des scandales liés à l’amiante qui ont éclaté dans les années quatre-vingt-dix et qui ont révélé les effets désastreux de l’exposition à ce produit sur la santé de milliers de salariés.

Et ce n’est pas fini ! Un rapport sénatorial de 2005 indiquait que l’amiante pourrait encore causer jusqu’à 100 000 décès d’ici à 2025. N’est-ce pas une preuve tangible de pénibilité ?

Ce dispositif est ensuite coûteux, car il prolonge de deux ans la durée de versement de l’allocation par le FCAATA, avant que les salariés concernés ne puissent bénéficier d’une retraite à taux plein.

Je souhaite que nous maintenions les conditions actuelles d’âge de cessation d’activité et de perception d’une retraite à taux plein pour les salariés qui ont été exposés à l’amiante.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, sur l'article.

Mme Marie-Christine Blandin. Le Gouvernement recommande l’effort de tous, dans cette réforme – sauf des spéculateurs –, et la convergence des systèmes de retraite, mais il oublie les situations douloureuses !

Quand le Gouvernement envisage de complexifier ou de retarder l’accès à la retraite des salariés exposés à l’amiante, il franchit vraiment la ligne rouge !

L’amiante est un drame collectif. Des hommes et des femmes ont été contaminés sur leur lieu de travail, par l’air, par leurs gants, par leurs protections professionnelles, et cela avec l’impunité durable des employeurs.

Hier, monsieur le ministre, quatre cents veuves de l’amiante, réunies à l’Assemblée nationale de dix-sept heures à vingt heures, ont décrit toute leur souffrance et ont réclamé justice. Ce problème concerne donc votre collègue Mme Michèle Alliot-Marie.

Puisque le gouvernement auquel vous appartenez a recommandé que La Poste effectue des missions autres que le courrier, je vous confierai le courrier des veuves de l’amiante afin que vous le remettiez à M. Sarkozy.

Le drame individuel, c’est aussi les tuyaux dans le nez et la peur de mourir.

Je vous rappelle, monsieur le ministre, que les employeurs entendus voilà quelques années par la mission du Sénat à Dunkerque ont reconnu officiellement refuser de signer les attestations d’exposition, et, au passage, ils ont aussi reconnu continuer à utiliser l’amiante en sidérurgie, au Brésil, comme hier en France.

Aujourd’hui, vouloir faire le tri entre handicapés reconnus et exposés, aux années de vie hypothéquées, au travers d’une retraite différée aux dépens du Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA, est une véritable indécence !

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Marie-Christine Blandin. La réserve de cet article a semé un espoir chez les victimes de l’amiante : sans doute le ministre avait-il mesuré l’inhumanité d’une application strictement comptable et allait-il rectifier la rédaction.

Eh bien non ! Avec le sang-froid – au sens propre comme au sens figuré – qui vous caractérise, vous restez inflexible, même devant le scandale des contaminations et l’angoisse des contaminés ! (Protestations sur les travées de lUMP.)

Si le Gouvernement ne reste pas inflexible et s’il accepte le dialogue, comme il l’affirme à la télévision, la situation pourra très rapidement évoluer.

Pour l’instant, mécaniquement au service de votre projet libéral, vous persistez à ne rien céder à ceux qui sont en difficulté, tout cela pour protéger les plus riches. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Claude Gaudin. Un peu de respect !

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l'article.

Mme Nathalie Goulet. Certains de mes collègues se sont déjà exprimés sur ce sujet, puisque l’Orne partage avec le Calvados et la Manche la « vallée de l’amiante ».

J’évoquerai les difficultés rencontrées par les salariés de Tréfimétaux et de Moulinex, en revenant sur le problème de l’inversion de la charge de la preuve dont nous avons parlé il y a quelques jours.

Dans certaines situations juridiques, l’inversion de la charge de la preuve ou le fait que la charge de la preuve repose sur le salarié rend la démonstration totalement impossible.

Cette situation doit être examinée de près.

Par ailleurs, la non-application de la directive 83/477/CEE du 19 septembre 1983 pose aussi, en cette matière, des difficultés sérieuses. Elle soulève l’incompatibilité de cette directive avec le taux d’incapacité permanente partielle de 25 %.Les demandes d’indemnisation ne sont prises en compte qu’au-delà de ce seuil, au détriment des nombreuses victimes et de leurs familles, comme nous l’avons déjà dit.

Peu de dispositions, dans notre droit et dans les situations rencontrées, ont entraîné autant de questions écrites ou orales, autant d’interventions et de rapports que le problème de l’amiante.

De nombreux parlementaires de l’Orne, du Calvados et de la Manche, tels nos collègues MM. Garrec et Dupont, sont intervenus sur cette question.

Il existe des différences d’appréciation entre les caisses régionales d’assurance maladie, les CRAM. La CRAM de l’Orne interprétera le texte d’une façon, celle du Calvados, d’une autre. Les salariés victimes et leurs familles méritent des éclaircissements à cet égard.

On observe également des ruptures d’égalité entre les salariés, selon qu’ils ont ou non été reclassés. C’est le cas des salariés de l’entreprise Moulinex, qui sont pénalisés parce que, au lieu d’avoir été mis au chômage, ils ont été reclassés dans un autre site Moulinex.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, je vous demande d’examiner la question de l’amiante de façon réaliste et juridiquement applicable.

En outre, bien que le problème des retraites en soit éloigné, nous baignons, avec cette question, dans l’atmosphère du Grenelle de l’environnement. En effet, nous devons aborder non seulement la question des victimes, mais aussi celle des sites amiantés, qui, de toute façon, n’est pas réglée.

Inversion de la charge de la preuve, méconnaissance de dispositions européennes et irrégularités, voire inéquitable traitement entre les différentes caisses régionales : voilà autant de points juridiques que vous avez objectivement – en dehors de toute polémique – à régler, monsieur le ministre, s’agissant de la question de l’amiante.

Voilà pourquoi je tenais à m’exprimer avant l’examen de cet article.

Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Demessine, sur l'article.

Mme Michelle Demessine. Nous sommes à un moment extrêmement dur du débat sur la réforme des retraites : cet article touche une catégorie de salariés qui vivent ou qui ont vécu – pour ceux qui ne sont plus là – un drame épouvantable. Ils méritent, de notre part, une attention particulière et, surtout, un grand respect.

Tout ce que nous dirons et tout ce que nous ferons aujourd’hui est très important pour eux. C’est pour eux que je prends la parole.

Voilà une semaine, je participais à Paris à une manifestation réunissant plus de 5 000 victimes de l’amiante. Chaque année, ces personnes rappellent quelle est leur vie et quelles sont leurs difficultés ; chaque année, de nouvelles victimes apparaissent ; chaque année, nous constatons la disparition de certains. Voilà la réalité de ce drame !

Hier, Mme Marie-Christine Blandin et moi-même étions à l’Assemblée nationale aux côtés de quatre cents veuves de victimes, venues majoritairement de Dunkerque. Ces femmes réclament que soit mené un véritable procès pénal – « plus jamais ça ! », disent-elles –…

M. Roland Courteau. Elles ont bien raison !

Mme Michelle Demessine. … pour elles, pour leurs enfants et pour les salariés de demain. (M. Guy Fischer applaudit.) Elles veulent que les véritables responsabilités soient établies.

Mme Michelle Demessine. Et c’est de la responsabilité de la représentation nationale de bien entendre ce message.

Il aura fallu des milliers de morts pour que le préjudice des victimes de l’amiante soit enfin reconnu et que des dispositions d’indemnisation et de préretraite soient mises en place.

Or la réforme que vous proposez, monsieur le ministre, vient percuter les dispositifs obtenus de haute lutte. Il serait criminel de revenir sur ces acquis, comme tend à le faire l’amendement que vous avez déposé.

Vous proposez en effet d’introduire une mesure à laquelle les salariés se sont toujours opposés. Il s’agirait en effet d’ajouter les mots « en cas de durée de travail dans un des établissements visés au 1° supérieure à un seuil fixé par décret […]».

Pour ces salariés, ces mots sonnent dur. Cela reviendrait à faire mourir une deuxième fois ceux qui ne sont plus là et à rendre plus menaçante encore l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de ceux qui sont encore là et avec laquelle ils sont obligés de vivre tous les jours, puisqu’on a laissé faire pendant des dizaines et des dizaines d’années au nom de la rentabilité et du profit. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors qu’on savait !

M. Alain Gournac. Et vous étiez au pouvoir ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Mme Michelle Demessine a été secrétaire d’État !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas en détail sur le régime de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA, car vous le connaissez.

J’insisterai néanmoins sur le fait que ce régime continue de remplir son rôle. Il concerne environ 32 000 personnes et son application est indispensable.

Des victimes de l’amiante, il en meurt chaque jour ! Il faut redire ici cette vérité, la clamer haut et fort. Voici la réalité du monde du travail : encore aujourd’hui, les expositions à l’amiante continuent. Bien sûr, elles diminuent, mais toutes les entreprises ne se sont pas mises en conformité. Le problème est plus que jamais d’actualité.

Les expositions professionnelles à l’amiante et aux autres produits cancérogènes représentent au total 2,5 millions de salariés.

M. Roland Courteau. C’est énorme !

M. Guy Fischer. En effet !

Pour beaucoup de travailleurs, il n’y aura pas de retraite. Ils mourront avant de pouvoir en bénéficier, victimes d’un cancer professionnel.

Pour d’autres, la retraite ne sera qu’un bref moment de répit. Ils tomberont malades quelques mois ou quelques années après l’ouverture de leurs droits.

L’âge moyen de survenue d’un cancer broncho-pulmonaire, chez les personnes qui sont indemnisées par le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, est de 63 ans.

Qui, mieux que les victimes de l’amiante, les accidentés du travail ou les personnes confrontées à l’explosion des maladies professionnelles, peut parler de ces réalités ?

Toutes les personnes rassemblées au sein de la Fédération nationale des accidentés du travail et handicapés, la FNATH, ou de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante, l’ANDEVA, en sont les témoins.

Comme cela a été dit longuement lors des débats sur votre vision de la pénibilité, monsieur le ministre, alors que nous parlons « pénibilité », le Gouvernement parle « invalidité ».

M. Guy Fischer. Le Gouvernement ne peut pas feindre d’ignorer que les deux tiers des cancers d’origine professionnelle se déclarent après l’âge de 60 ans. Sont évidemment concernées les personnes exposées à des produits cancérogènes, comme l’amiante, mais aussi à des produits largement présents en milieu de travail et à tous les produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, dits CMR.

Comme justificatif à tous ces reculs sociaux, le Gouvernement nous assène que les caisses de l’État sont vides, oubliant de dire que c’est lui, et non les victimes du travail, qui a vidé ces caisses par la multiplication des exonérations de charges fiscales et sociales ! Ce ne sont pas les victimes du travail, sous-indemnisées en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, qui sont responsables de la situation !

De plus, c’est non pas à l’État de financer la compensation de la pénibilité, mais bien aux employeurs, lesquels sont à l’origine de ces conditions de travail qui blessent, mutilent et tuent.

Lors de la manifestation commune des accidentés du travail et des victimes de l’amiante, le 9 octobre, de nombreux slogans faisaient référence à la demande d’un procès pénal. On pouvait lire, notamment : « Amiante, 10 morts par jour, ni responsable ni coupable ? »

Les premières plaintes de travailleurs exposés à l’amiante datent de 1996, mais les enquêtes se heurtent à la complexité du dossier, à un manque de volonté politique de voir établir les responsabilités, et, surtout, à un manque de volonté des entreprises qui se regroupent bien souvent derrière les restructurations ayant eu lieu pour s’y opposer.

Ce n’est pas la rédaction actuelle de l’article 27 sexies A ni celle de l’amendement du Gouvernement qui vont apaiser leurs craintes, bien au contraire ! Cet amendement gouvernemental est inacceptable.

M. Éric Woerth, ministre. Vous ne l’avez pas lu !

M. Guy Fischer. Aujourd’hui, le Gouvernement renie ses engagements !

Toute une série d’exemples peuvent illustrer ce fait. Je pense, à cet instant, aux employés de l’entreprise Tréfimétaux, située à Pont-de-Chéruy, dans l’Isère, ou encore à ceux de toute l’industrie de l’automobile du département du Rhône, en particulier Renault Trucks. Nous avons travaillé avec eux, et nous nous sommes heurtés à des barrières infranchissables. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch, sur l'article.

Mme Mireille Schurch. L’article 27 sexies A résulte de l’adoption d’un amendement déposé par M. le rapporteur.

Avec cet article, tout le monde avait cru comprendre que, après avoir été épargnées à l’Assemblée nationale, les victimes de l’amiante éligibles à l’ACAATA, l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, allaient finalement subir elles aussi le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite.

La réalité était tout autre, car les victimes de l’amiante, sans même l’avoir encore compris, avaient déjà été affectées par le relèvement de l’âge légal de la retraite.

En effet, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, il était prévu, même si ce point n’était mentionné nulle part, que, dès la promulgation du texte, les victimes de l’amiante subiraient le report à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite, cela sans aucun seuil. Elles seraient donc encore moins bien loties que le commun des mortels. Cet état de choses était un scandale : alors que, à de nombreuses reprises, le Gouvernement leur avait assuré que la réforme des retraites n’aggraverait pas leur régime, c’était pourtant bel et bien le cas.

M. le rapporteur a voulu sortir les victimes de l’amiante de cette situation. Il s’est heurté au refus catégorique du ministre et, finalement, il a déposé un amendement de transaction, qui est donc devenu l’actuel article 27 sexies A.

Cet article prévoit simplement que les victimes de l’amiante seront traitées de la même manière que tous les autres assurés, avec un relèvement progressif de l’âge de la retraite à 62 ans.

C’est là une très faible concession et, surtout, un recul important par rapport au dispositif existant. Comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement refuse aujourd’hui le maintien du droit actuel pour ces personnes, pourtant demandé, au travers d’amendements identiques, par de très nombreux sénateurs siégeant sur toutes les travées, fait rare qui mérite d’être souligné.

Monsieur le ministre, avant que ce nouveau coup de force ne trouve son issue, je souhaiterais à mon tour vous parler de l’amiante, de ses ravages et de ses victimes, même si mes collègues l’ont fait bien mieux que moi.