Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, cela a été dit à de multiples reprises, la modernisation des professions juridiques et judiciaires est une nécessité. Si j’ose dire, nous vivons dans le droit comme M. Jourdain vivait dans la prose : sans toujours le savoir. C’est d’ailleurs une source de litige puisque nous savons que, selon l’adage, « nul n’est censé ignorer la loi ».f

Il faut que les professions du droit s’adaptent au mouvement que nous vivons actuellement, et que je ne décrirai pas davantage.

Je crois que le texte apporte des solutions sur un certain nombre de points. Peut-être toutefois considère-t-il le droit comme un produit commercial, et non pas comme un service à rendre. Avant de développer ces deux points, je voudrais dire un mot sur la méthode.

Nous aurions pu envisager un autre texte, plus ambitieux. J’ai en mémoire les propos du Président de la République, qui, après sa prise de fonction, a demandé que lui soient remis un certain nombre de rapports sur la justice. Je pense notamment au rapport Attali, qui avait pour ambition de « libérer la croissance française ». Le rapport Darrois, quant à lui, envisageait une « grande profession du droit », comme cela a été dit tout à l’heure, et insistait sur la formation des juristes. En définitive, après toute cette agitation intellectuelle – qui a certes été positive, bien que je ne souscrive pas aux conclusions qui en sont ressorties –, nous aboutissons à la suppression de la profession d’avoué – nous avons déjà examiné cette question et y reviendrons bientôt – ni aux innovations qui figurent dans le projet de loi que nous examinons.

Comme je l’ai déjà dit, certaines dispositions me semblent utiles. Je suis notamment favorable à l’innovation que constitue l’acte contresigné par un avocat. En effet, hier, les avocats préparaient des actes qu’ils ne signaient pas toujours. Nous vivions par conséquent dans une sorte d’anonymat. Demain, les avocats devront signer ces actes et engageront par là leur responsabilité. La sécurité juridique sera dont améliorée, même si, comme cela a été souligné ce matin, il n’y aura pas d’obligation de contreseing pour l’avocat,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission de la commission des lois. Non !

M. Alain Anziani. … qui pourra demeurer dans une sorte de « clandestinité ». Cette dernière remarque constitue peut-être le pan sombre de ce texte. Toutefois, cette mesure me paraît être une bonne chose. Je sais toute la polémique qui s’est élevée à ce sujet, mais je ne vois pas qui d’autre qu’un avocat pourrait contresigner l’acte, pour une raison qui me paraît évidente. En effet, la personne la mieux placée pour rédiger un acte solide et sécurisé est celle qui a l’expérience du contentieux, et l’avocat dispose de cette expérience.

Néanmoins, certaines dispositions soulèvent des questions.

Je me suis déjà exprimé à ce sujet en commission : l’article 31 de la proposition de loi de Laurent Béteille institue une procédure participative de négociation assistée par un avocat. Cela me laisse perplexe, je ne comprends pas quelle sera l’utilité d’une telle mesure, notamment dans le droit de la famille. Notre procédure actuelle prévoit déjà l’existence d’une convention, annexée à une requête. La convention est préparée par un ou deux avocats.

Si la convention convient, elle est soumise au juge pour homologation et, si elle ne convient pas, elle est « laissée dans le tiroir ». Qu’apporte de plus la procédure participative ? Son intérêt m’échappe, mais je suppose que vous m’éclairerez sur ce point.

Une autre disposition m’interroge ; il s’agit de l’article 6 du projet de loi, qui prévoit que le PACS peut faire l’objet d’une convention passée devant un notaire.

M. Laurent Béteille, rapporteur. C’est déjà le cas !

M. Alain Anziani. Avec cette disposition, nous instaurons deux sortes de PACS : le PACS classique, qui passe par le tribunal d’instance, et le PACS conclu chez le notaire. Cette disposition est-elle une bonne chose ? À qui profitera-t-elle ? N’existait-il pas d’autres solutions ? Le rapport Guinchard, par exemple, proposait que le PACS soit conclu en mairie. De nombreux partis, dont le mien, le parti socialiste, préconisent cette solution. Je vois des Girondins dans l’hémicycle, et j’ai pu lire ce matin dans le journal Sud Ouest que des « jeunes UMP » de Gironde se demandaient pourquoi le PACS ne pouvait pas être conclu en mairie. Cette voie aurait effectivement mérité d’être explorée.

J’ai dit tout à l’heure qu’il était nécessaire de renforcer et de moderniser les professions du droit. Elles doivent en outre devenir accessibles à tous les usagers. Malheureusement, comme beaucoup, je trouve, que ce texte ne dit rien sur cet aspect pourtant essentiel.

La France consacre à l’aide juridictionnelle un budget relativement faible en comparaison de ses pays voisins. Depuis 1991, les admissions à l’aide juridictionnelle ont augmenté de 160 %. Dans le même temps, les barèmes d’accès sont restés insuffisants, et aujourd’hui, pour bénéficier de l’aide juridictionnelle totale, il faut disposer de moins de 916 euros de revenus. Pour une aide juridictionnelle partielle, il faut percevoir moins de 1 367 euros. Ces plafonds laissent de côté une grande partie des justiciables, notamment des classes moyennes.

Monsieur le garde des sceaux, vous allez me répondre que le budget de l’accès au droit est en légère hausse dans le projet de loi de finances. Franchement, cette petite augmentation ne change rien, d’autant qu’elle intervient après plusieurs années de baisse. Elle n’est donc pas à la hauteur des besoins, et ce d’autant moins que la réforme de la garde à vue doit intervenir à partir du 1er juillet prochain.

Comment peut-on dans le budget pour 2011 ne pas anticiper les besoins en avocats que va engendrer la réforme de la garde à vue à partir du second semestre ? C’est l’un des mystères de notre manière de légiférer.

Pour terminer, je voudrais évoquer, monsieur le garde des sceaux, les propositions de la commission Darrois pour financer l’accès au droit. Elles ne nous conviennent pas toutes, mais elles avaient le mérite d’ouvrir un débat. Nous pourrions aussi prêter attention à une autre proposition qui consiste à faire participer les bénéficiaires des litiges, c’est-à-dire les sociétés d’assurance, qui réalisent 700 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le domaine de la protection juridique. L’idée n’est pas tout à fait incongrue.

Au lieu de cela, l’article 41 du projet de loi de finances réalise une misérable économie sur le dos du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle en le taxant du droit de plaidoirie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il est de 8,84 euros !

M. Alain Anziani. C’est bien pour cela que je dis « misérable » !

Monsieur le garde des sceaux, si nous voulons une société du droit, nous devons aussi favoriser le droit pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons aujourd’hui sont très importants, car ils touchent à l’organisation des procédures juridiques et concernent, de ce fait, la vie quotidienne de nos concitoyens. Nous devons donc être particulièrement vigilants sur ces questions.

Il est vrai que le droit ne peut plus être pratiqué comme il y a vingt ou trente ans. Notre société ne cesse d’évoluer, tout comme les pratiques juridiques. Notre système, comme tout système, est imparfait, et il est tout à fait souhaitable que nous le modernisions.

Pour autant, ces évolutions doivent, avant tout, poursuivre un objectif prioritaire : celui d’atteindre une justice efficace et égalitaire, garante de la paix sociale et de l’égal accès au droit pour tous. Ces valeurs sont le fondement de notre République et il est de notre devoir de les défendre et de les préserver.

Je pensais que ce projet de loi allait dans ce sens, qu’il pouvait améliorer notre système, en termes tant d’accès au droit que de sécurité juridique. Or, malgré certaines avancées, il apparaît bien timide et il n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. En effet, je reste très sceptique sur les réelles conséquences de cette réforme pour le justiciable et je m’interroge sur les réelles motivations qui ont poussé le Gouvernement à déposer ce projet de loi.

Madame Alliot-Marie, alors garde des sceaux, avait présenté ce projet de loi comme devant répondre à trois priorités : il s’agissait de renforcer la sécurité juridique, de simplifier les procédures et de moderniser l’exercice des professions du droit.

Or il semble bien que la réforme qui nous est aujourd’hui soumise se consacre quasi exclusivement à moderniser ces professions réglementées, au détriment de la satisfaction des besoins des justiciables. Nous pouvons légitimement nous interroger sur les raisons de ce choix.

Beaucoup ont dénoncé une réforme purement corporatiste. Je n’entrerai pas dans cette polémique qui consiste à montrer du doigt telle ou telle profession. Mais force est de constater que, dans l’élaboration de ce texte, ainsi que dans les débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale et en commission, l’intérêt du justiciable n’a pas toujours été la principale source de motivation du législateur.

Ce projet de loi concrétise certaines recommandations du rapport Darrois qui devaient contribuer à « renforcer les professions du droit et les inciter à travailler ensemble, pour mieux répondre aux besoins des usagers et relever les défis de la concurrence internationale dans le domaine du droit ». J’ai bien peur que seul ce dernier objectif ait des chances d’être atteint. En effet, la réforme de la formation des professionnels du droit n’a pas été abordée et les besoins des usagers ne seront certainement pas plus satisfaits après l’adoption de ce texte.

Que va-t-il réellement apporter pour la majorité des Français, et notamment les plus modestes ? Très peu de chose ! Renforcera-il réellement la sécurité juridique des justiciables, comme on nous le présente ? Rien n’est moins sûr.

Pour illustrer mon propos, j’envisagerai bien évidemment la mesure phare de ce texte : la création de l’acte contresigné par avocat.

Préconisé par le rapport Darrois, cet acte poursuit l’objectif de renforcer la sécurité juridique des accords entre particuliers. Cette proposition part notamment du constat que de plus en plus d’actes sous seing privé sont conclus par des particuliers sans que les parties aient reçu le conseil de professionnels du droit. La prolifération des modèles de contrats, notamment sur internet, participe à ce phénomène et fragilise les parties n’étant pas en mesure de juger, en toute connaissance de cause, de la portée de leur engagement.

Le contreseing de l’avocat était censé y apporter une réponse. Les critiques ont été nombreuses sur cet aspect de la réforme, notamment de la part des autres professions du droit comme les huissiers et les notaires, qui voyaient, dans ce nouvel acte, un moyen pour les avocats d’étendre leur champ d’activité sans réellement renforcer la sécurité des justiciables.

Le risque n’est-il pas de laisser s’installer une confusion pour les justiciables en leur donnant l’illusion d’une sécurité identique à celle d’un acte authentique ? En effet, ce contreseing fera « pleine foi » de l’écriture et de la signature des parties, mais ne sera pas assorti de la même sécurité que l’acte authentique. On expose ainsi certains justiciables à des risques qu’ils ne peuvent mesurer, puisqu’ils penseront être titulaires d’un acte authentique alors qu’il s’agira d’un simple acte sous seing privé.

De plus, cela sous-entendrait que, jusqu’à maintenant, les avocats ne remplissaient pas leur devoir de conseil éclairé auprès des particuliers. Ce n’est bien évidemment pas le cas ! L’acte sous seing privé a déjà une valeur et la responsabilité de l’avocat est d’ores et déjà bien établie par la jurisprudence. La preuve du conseil de l’avocat n’a donc pas besoin d’être donnée par une cosignature.

Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la réelle amélioration que cet acte apportera aux justiciables. Comme beaucoup l’ont souligné, la création de cet acte est avant tout une réponse à la demande des grands cabinets d’avocats cherchant un marché supplémentaire.

La tension semble néanmoins être retombée avec la nouvelle rédaction de l’article 4 du projet de loi, qui permet de maintenir la nécessité d’un acte authentique pour la publicité foncière.

Mais une fois de plus, dans tous ces débats, quid du justiciable ? La seule certitude que nous puissions avoir porte sur les conséquences de la création de cet acte en termes financiers. Il est évident que l’acte contresigné par avocat, dont le montant ne peut être fixé par la loi, entraînera un surcoût pour l’usager. En effet, les assurances risquent d’exiger une augmentation des primes pour les avocats qui dresseront de tels actes et, dans la pratique, les parties seront incitées à se faire représenter par leur propre avocat lors de la rédaction de l’acte contresigné.

Ce sont, une fois encore, les plus modestes qui en subiront les conséquences. À ce sujet, il aurait fallu prévoir, dès maintenant, la prise en charge de l’acte d’avocat par l’aide juridictionnelle. Il y va de l’égalité de tous devant le droit.

Je regrette profondément que ce débat ait été renvoyé à plus tard à l'Assemblée nationale. Si nous voulons moderniser notre droit, il faut qu’il soit accessible à tous : l’aide juridictionnelle est l’un des outils qui le permet. Elle devrait donc être au cœur de toute réforme de notre système judiciaire.

Par ailleurs, le rapport Guinchard avait suggéré de permettre aux mairies de conclure les PACS afin de soulager les greffiers des tribunaux d’instance. La présente réforme, qui se fixe pour objectif de moderniser notre système, aurait pu être l’occasion d’accéder aux requêtes de nombreuses associations qui réclament ce droit de longue date. Or le Gouvernement ne semble pas enclin à s’y résoudre.

Ainsi, partant de la suggestion de ce rapport, il propose seulement que le transfert de cette compétence se fasse au profit des notaires, pour les seuls PACS faisant l’objet d’une convention par acte authentique. Même si cette mesure simplifie certaines formalités entourant la conclusion d’un PACS, elle ne répond pas à la demande principale des associations et d’une majorité des Français, de pouvoir conclure cet engagement en mairie. Il est donc regrettable que nous n’ayons pas, une fois de plus, saisi l’occasion d’avancer concrètement en faveur des personnes pacsées.

Je suis donc très sceptique également quant aux prétendues avancées apportées par cette réforme pour les justiciables. Comme beaucoup, j’ai bien peur que, s’inspirant très clairement du système anglo-saxon, cette réforme n’opère un glissement progressif vers une privatisation du système.

En effet, la création de l’acte d’avocat permettra, tout d’abord, aux grands cabinets spécialisés en droit des affaires de marquer la valeur des actes dont l’élaboration leur est confiée, s’alignant ainsi sur le mode de fonctionnement des cabinets anglo-saxons.

Ensuite, on peut craindre que, du fait de la concurrence entre acte authentique et acte d’avocat, les actes très rémunérateurs ne soient accaparés par ces grands cabinets qui pourront fixer librement leur prix en fonction de la concurrence, laissant aux autres professionnels du droit la prise en charge d’actes peu rémunérateurs, précipitant ainsi la fermeture des petites structures.

De plus, en ouvrant la voie au développement de l’interprofessionnalité capitalistique entre les professions du droit, l’article 21 de cette réforme facilitera l’émergence de grands cabinets d’envergure, capables de s’inscrire dans la concurrence mondiale.

Enfin, en introduisant la multipostulation, vous ouvrez la voix à sa généralisation, ce qui risque de faire disparaître les avocats installés dans les barreaux de plus faible importance, qui subsistent bien souvent grâce aux rétributions de leurs actes de postulation.

Toutes ces mesures montrent bien que nous allons nous diriger vers un système de plus en plus centralisé, calqué sur le modèle anglo-saxon, qui fera les beaux jours des grands cabinets d’avocats parisiens, au détriment, très certainement, des autres professionnels du droit, y compris des avocats des petits barreaux, mais surtout – je l’ai rappelé tout au long de mon propos – des justiciables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

modernisation des professions judiciaires et juridiques

 
 
 

Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées.

(Texte de la commission)

projet de loi de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et de certaines professions réglementées

Chapitre Ier

Dispositions relatives à la profession d’avocat

 
Dossier législatif : projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées
Articles additionnels après l'article 1er A

Article 1er A

L’article 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par des IV, V et VI ainsi rédigés :

« IV. – Les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Bordeaux et Libourne peuvent postuler devant chacune de ces juridictions.

« V. – Les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Nîmes et Alès peuvent postuler devant chacune de ces juridictions.

« VI. – Les dispositions des deuxième et troisième alinéas du III sont applicables aux avocats visés aux IV et V. »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par MM. Anziani et Michel, Mme Klès, MM. Sueur, Peyronnet et Yung, Mmes Bonnefoy, Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Le projet de loi dont nous discutons est un texte de portée générale portant sur la modernisation des professions judiciaires. Pourtant, l’article 1er A commence par régler un cas particulier, celui de la postulation devant les tribunaux de Bordeaux et de Libourne.

Pour quelle raison sommes-nous donc invités aujourd’hui à faire un sort spécifique au département de la Gironde ? Nous en connaissons l’explication : un amendement en ce sens a été déposé par une députée de Bordeaux et adopté à l'Assemblée nationale.

Si l’origine est connue, le motif reste confus. On nous a dit que, lors de la découpe de la carte judiciaire, un accord aurait été conclu entre les avocats du barreau de Bordeaux et les avocats du barreau de Libourne pour que les premiers puissent postuler à Libourne et inversement.

Permettez-moi de manifester mon étonnement : y-a t-il eu, lors de la négociation de la carte judiciaire, des accords secrets,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non, ce n’est pas secret du tout !

M. Alain Anziani. … qui n’auraient fait l’objet d’aucun procès-verbal ou trace écrite, et dont nous n’entendons parler que par la rumeur ?

Si l’on voulait s’assurer qu’il y avait bien un accord entre les barreaux, le minimum, c’était bien d’interroger les uns et les autres. Or je constate que le barreau de Libourne n’a été entendu ni par la Chancellerie – ce qui est normal, car elle n’est pas à l’origine de cet article –, ni par le rapporteur de notre commission, ni par les auteurs de l’amendement déposé à l’Assemblée nationale.

En matière de concertation, nous sommes dans le vide total ! On change les règles du jeu sans consulter personne et en prétendant que les intéressés auraient donné leur accord. Or je peux vous assurer, pour avoir reçu les uns et les autres, que le barreau de Libourne n’a jamais consenti à cette mesure.

Sur le fond, que veut-on faire ? Supprimer la postulation ? Dans ce cas, pourquoi ne pas prendre une telle décision pour toute la France ? La faire disparaître dans les départements où coexistent deux TGI ? Il aurait alors fallu étendre le champ de cet article aux cinquante départements qui sont dans ce cas.

La vérité n’a bien sûr rien à voir avec l’intérêt du justiciable, qui, de toute façon, paiera exactement la même somme dans un cas ou dans l’autre, puisque la postulation n’est pas supprimée. En fait, nous assistons à un combat entre, d’une part, les grands barreaux urbains et, d’autre part, ceux, plus petits, du monde rural. Nous connaissons déjà le sort qui sera réservé à ces derniers : ils seront évidemment amenés, demain, à devenir encore plus petits et à ne plus s’occuper que des aides juridictionnelles, puis, après-demain, à disparaître, car on affirmera qu’il est finalement inutile qu’il y ait deux barreaux, donc deux TGI, dans le département, et on reformera de nouveau la carte judiciaire.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez été ministre de la ruralité. À ce titre, vous ne pouvez pas accepter une telle mesure. (Mme Françoise Laborde et M. Jacques Mézard applaudissent.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je souhaite faire tout d'abord un rappel historique.

Voilà quelques années, des tribunaux ont été créés à Nanterre, à Créteil et à Bobigny. Dans cette perspective, le ressort du tribunal de Paris, ainsi que celui des TGI de Versailles, de Pontoise et de Corbeil, ont été amputés.

En contrepartie, la multipostulation a été instaurée, afin que les avocats du barreau de Paris puissent postuler à Nanterre, à Créteil et à Bobigny, ou ceux du barreau d’Évry à Créteil. En effet, le ressort du tribunal de Corbeil avait été privé du territoire de plusieurs communes, en particulier de celle de Villeneuve-Saint-Georges, où un certain nombre de confrères rattachés jusque-là à Corbeil, se trouvaient dans une situation difficile.

Je le répète, nous avions adopté à l’époque cette solution compte tenu de l’amputation du ressort du tribunal de Paris et d’autres tribunaux. En l’occurrence, nous agissons exactement de même en soustrayant au tribunal de Bordeaux une partie de son ressort.

Je crois qu’il est nécessaire que les avocats qui avaient l’habitude de postuler pour des clients habitant dans certaines communes, notamment celle de Blaye, me semble-t-il (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx approuve.), puissent continuer de le faire. Cette décision me paraît logique.

J’en viens à l’accord que vous avez évoqué, monsieur Anziani. Il y a eu, en effet, un certain nombre de discussions. Pour ma part, je n’ai pas reçu le bâtonnier de Libourne, mais j’ai reçu de lui plusieurs courriers. Dans l’un d’eux, en particulier, il m’indiquait qu’un accord avait été adopté mais, selon lui, pas totalement respecté.

En réalité, les discussions ont été très approfondies, même si un retour en arrière s’est produit par la suite, me semble-t-il. En toute hypothèse, qu’il y ait eu ou non un accord, les mesures qui ont été prises lors de la création des tribunaux de la région parisienne peuvent être rééditées, me semble-t-il, pour ce qui concerne les ressorts des tribunaux de Bordeaux et de Nîmes, car il n'y a aucune raison de ne pas appliquer la même règle partout.

Monsieur Anziani, vous évoquez la postulation généralisée. Je crois que nous ne sommes pas véritablement en mesure de permettre aux avocats de postuler très loin du lieu où ils sont installés, mais nous y viendrons – le rapport Darrois suggérait d'ailleurs pour cela la date de 2014. Pour ma part, je crois que la multipostulation généralisée s’imposera lorsque les techniques le permettront.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Les dispositions de l’amendement présenté par M. Anziani posent un certain nombre de problèmes. Comme vient de le rappeler M. le rapporteur, lors de la réforme de la carte judiciaire, des engagements ont été pris, qui sont non pas secrets, mais connus et publics.

M. Alain Anziani. Pas publiés, en tout cas !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce qui prouve que ces accords sont tout à fait publics, monsieur Anziani, c’est que nous en parlons ici !

Que s’est-il passé ? Une partie du ressort du tribunal de grande instance de Bordeaux, à savoir le canton de Blaye, a été distraite au profit du tribunal de Libourne. Or, naturellement, les avocats de Bordeaux venaient auparavant y travailler. Comme l’a souligné M. le rapporteur, on a donc appliqué la solution qui avait été mise en œuvre en région parisienne : pour ne pas réduire l’espace professionnel des avocats au barreau de Bordeaux, on leur a permis de continuer à travailler à Blaye. Et comme on ne pouvait pas prendre cette disposition pour ce seul canton, on l’a étendue à l’ensemble du ressort du tribunal de grande instance de Libourne.

En contrepartie, les avocats au barreau de Libourne peuvent postuler sur l’ensemble du ressort du tribunal de Bordeaux. Un équilibre a donc été trouvé.

Compte tenu des discussions qui ont été menées, de façon approfondie, me semble-t-il, un accord a probablement été conclu à un moment donné, peut-être dans un but bien précis. Ce dernier ayant été atteint, l’accord est apparu moins évident. En tout cas, il y a eu des discussions, et elles ont été approfondies.

Toutefois, il nous reste un peu de temps puisque la procédure accélérée n’a pas été déclarée sur ce texte, dont le Sénat aura donc l’occasion de discuter de nouveau. Il serait utile que nous profitions du temps qui nous est donné pour vérifier ce point et discuter avec l’ensemble des barreaux concernés.

Ainsi, s'agissant des tribunaux de Nîmes et d’Alès, l’accord est bien moins évident, me semble-t-il. Nous utiliserons le temps qui nous est donné pour travailler aussi sur cette question. En attendant, monsieur Anziani, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Anziani, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?

M. Alain Anziani. Oui, je le maintiens, madame la présidente, car je persiste à affirmer que le tribunal de Libourne n’a pas été consulté.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout d'abord, je veux souligner que la multipostulation en Gironde n’entraînera pas la disparition du barreau de Libourne, comme on veut nous le faire croire.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Au contraire, cette mesure permettra aux avocats libournais d’intervenir sur l’ensemble du territoire départemental, il faut le rappeler. Si l’on observe où sont situées les villes de Bordeaux et de Libourne sur la carte de la Gironde, on comprend que cette réforme n’est pas absurde.

Je voudrais aussi répéter très clairement que les engagements pris doivent être tenus. Je m’étonne d’entendre mon excellent collègue Alain Anziani tenir de tels propos, parce qu’il me semblait appartenir toujours au barreau de Bordeaux.

M. Alain Anziani. Je n’en ai que plus de mérite ! (Sourires.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’ai été moi aussi membre du barreau de Bordeaux, et je peux affirmer que des accords ont bien été conclus. Si certains bâtonniers n’ont pas fait suivre ces documents ou ne les ont pas livrés en totalité, c’est tout à fait regrettable.

Je le répète, cette multipostulation n’est en réalité que la contrepartie du maintien du tribunal de grande instance de Libourne. Il était fortement question de supprimer cette juridiction lors de la réforme de la carte judiciaire, mais on l’a maintenue, en étendant son ressort à la circonscription de Blaye.

Cette décision était d’ailleurs tout à fait spécieuse, j’en étais tout à fait persuadée à l’époque : si l’on observe la carte et la répartition des moyens de transport, on voit bien qu’il est très difficile pour un justiciable de Blaye d’aller plaider à Libourne.

Toutefois, il en a été décidé ainsi, à la condition, exprimée par le barreau de Bordeaux, d’instaurer la multipostulation. Il n'y a donc pour moi aucune confusion.

Enfin, les avantages pour les justiciables – il ne faut pas les oublier – sont incontestables. En effet, la règle actuelle revient à faire payer une sorte de droit de péage – pardonnez-moi cette métaphore – à ceux qui passent la Garonne. Il s'agit, me semble-t-il, d’une barrière territoriale coûteuse pour le justiciable et totalement obsolète au sein d’un département. Sa suppression pourrait d'ailleurs servir d’expérimentation pour la suite.

En tout cas, aujourd’hui, je le répète, les engagements qui ont été pris doivent être tenus.