M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Je n’ai nullement l’intention de réfuter les arguments des uns et des autres. Le ministre répondra aux questions qui lui ont été posées ; il ne m’appartient pas de le faire.

Je voudrais simplement faire une mise au point à la suite des interventions de MM. Daniel Reiner et Didier Boulaud.

Si je l’ai bien compris, M. Reiner a regretté que la réintégration de la France dans l’OTAN n’ait pas été discutée par le Parlement. Je dois lui rappeler qu’un débat a eu lieu dans les deux assemblées et que le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement sur cette question. Par conséquent, on ne peut pas dire que le débat a été escamoté.

Quant à M. Boulaud, il est beaucoup trop intelligent pour être vraiment de bonne foi ! (Sourires.) Il me concédera tout de même que si la demande par M. Bel d’un débat sur la défense anti-missile balistique était très opportune – il faut remercier nos collègues socialistes de l’avoir inscrit à l’ordre du jour –, un tel débat ne pouvait se tenir au moment souhaité, pour la simple raison que nous n’avions alors pas de gouvernement ! J’avais averti M. Bel du risque qu’il courait en demandant son organisation en une telle période. On ne peut pas faire grief à un gouvernement qui n’existait pas encore de ne pas avoir répondu à nos interrogations !

M. Daniel Reiner. Nous prenons des initiatives !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Certes, ce débat intervient après coup, mais les explications que nous donnera M. le ministre d’État nous permettront de mieux comprendre ce qui s’est décidé à Lisbonne. Comme cela a été dit tout à l’heure, il s’agit du début d’un processus. Nous avons émis un certain nombre de réserves sur son déroulement, nous ne savons pas du tout s’il sera mené jusqu’à son terme : peut-être faut-il laisser du temps au temps… (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je me réjouis de ce débat sur la défense anti-missile, sujet d’actualité, puisqu’il a été abordé, voilà quelques jours, au sommet de Lisbonne et doit faire l’objet d’études complémentaires au sein de l’OTAN au cours de l’année 2011. C’est un sujet dont l’importance, à mon sens, ne fera que s’accentuer dans les années à venir.

Nous devons ce débat à l’initiative du groupe socialiste, mais permettez-moi, mes chers collègues, de remercier avant tout le président de Rohan d’avoir inscrit l’examen de la question de la défense anti-missile balistique à l’ordre du jour de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées voilà déjà plusieurs mois. Cela nous permet aujourd’hui d’être beaucoup mieux informés sur un sujet parfois complexe, dans ses dimensions tant techniques que stratégiques.

Nous avons entendu et questionné, en commission, des personnalités comptant parmi les plus qualifiées, notamment le général Abrial, le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense, le directeur de la Fondation pour la recherche stratégique et les présidents des quatre sociétés industrielles françaises concernées.

Le rapport qu’a publié la commission fournit une base de réflexion très riche à tous ceux qui s’interrogent sur les enjeux de la défense anti-missile. Nous pouvons donc aborder la discussion avec un haut degré d’information, et je me félicite de ce que la commission ait décidé de poursuivre et d’approfondir ce travail dans les mois à venir.

Je souhaiterais formuler trois remarques.

Tout d’abord, pendant longtemps, en France, la question de la défense anti-missile balistique a suscité de vives réactions, ainsi que des prises de position très tranchées. Le débat s’en est souvent trouvé faussé. On peut même dire qu’il a longtemps été occulté. En revanche, j’ai pu constater, à l’occasion des échanges que nous avons avec des collègues étrangers, que l’approche de ce sujet est moins idéologique, beaucoup plus pragmatique et dépassionnée ailleurs dans le monde.

Nombreux sont ceux aujourd’hui – et pas seulement aux États-Unis – qui se préoccupent des conséquences de la possession par un plus grand nombre de pays de missiles balistiques toujours plus perfectionnés. Il ne s’agit plus que de quelques puissances majeures : les équilibres stratégiques de régions entières sont affectés par cette prolifération ! C’est dans ce contexte que l’idée d’une protection contre les missiles balistiques fait son chemin.

Certes, pour le moment, les technologies de l’interception ne sont pas totalement maîtrisées. Très peu de pays sont en mesure de relever ce défi. Les obstacles techniques et financiers sont évidents, et il ne faut surtout pas les sous-estimer…

Mais la conclusion qu’en tirent généralement nos partenaires, ce n’est pas qu’il faut renoncer à toute idée de protection ; c’est, au contraire, qu’il faut améliorer les technologies, avec l’objectif de rendre un jour accessibles des systèmes d’interception procurant un niveau de protection significatif. Je ne fais là que relever une opinion répandue dans de nombreux pays, mais dont le bien-fondé est encore contesté en France.

L’une des caractéristiques du débat français est aussi que l’on a longtemps voulu opposer défense anti-missile et dissuasion nucléaire. Envisager de se protéger des missiles balistiques serait, pour certains, contradictoire avec la stratégie de dissuasion. D’aucuns envisagent même la défense anti-missile comme un substitut à la dissuasion nucléaire. C’est là, à mon sens, une grave erreur.

En effet, je défends, en tant que rapporteur pour avis des crédits d’équipement, le rôle fondamental de la dissuasion dans notre stratégie de défense. Mais j’observe, ici encore, qu’en dehors de notre pays cet antagonisme entre défense anti-missile et dissuasion n’est pratiquement jamais mis en avant. Les États-Unis ne voient pas de contradiction particulière entre les deux. Des pays comme la Russie, la Chine ou l’Inde sont engagés à des degrés divers dans des programmes de défense anti-missile. Ce sont pourtant des puissances nucléaires, et qui entendent bien le rester. On pourrait peut-être également citer le cas d’Israël.

La défense anti-missile ne doit pas, bien entendu, se substituer à la dissuasion. La dissuasion n’est pas exclusive de la défense anti-missile.

En outre, comme l’a mis en exergue le rapport du président de Rohan, il y a certainement un lien entre la crédibilité de la dissuasion et la maîtrise des technologies anti-missiles. En d’autres termes, se désintéresser de la défense anti-missile, « décrocher » par rapport à d’autres puissances qui s’investissent dans ce domaine, ce serait sans doute prendre un risque quant au maintien du niveau de crédibilité de notre dissuasion.

En résumé, si la défense anti-missile soulève beaucoup de questions, il faut éviter, à mon sens, d’en faire un sujet de querelle « théologique » et l’aborder de manière objective et pragmatique.

Deuxième remarque, le débat est aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, devant nous.

Comme l’a indiqué devant la commission le commandant suprême allié de l’OTAN pour la transformation, le général Abrial : « Pour les États-Unis, la nécessité d’une défense contre les missiles balistiques ne se discute pas. Donc, la défense anti-missile se fera. »

L’administration Obama a profondément modifié les options qui avaient été arrêtées par l’administration Bush, mais on aurait tort d’y voir un repli ou un renoncement. Au contraire, la défense anti-missile, y compris dans son extension aux alliés d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient, apparaît avec plus de force encore dans tous les documents stratégiques publiés cette année par les Américains.

Les États-Unis privilégient une approche graduelle, progressive, fondée sur l’amélioration de technologies éprouvées – le missile SM 3 et les systèmes navals Aegis –, alors qu’il y avait quelques doutes sur les performances des intercepteurs GBI – ground-based interceptors –, que l’administration Bush voulait implanter en Pologne.

Parce qu’elle est plus réaliste, la démarche américaine est plus crédible aujourd’hui et elle a donc plus de chances de prospérer. Les États-Unis se sont désormais placés dans le cadre de l’OTAN. On ne peut à la fois dénoncer leur unilatéralisme et ne rien avoir à proposer lorsqu’ils s’engagent dans la voie multilatérale. Nous ne pouvons donc pas échapper à ce débat.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des enjeux, qui ont été soulignés par le président de Rohan.

S’agissant de l’intérêt militaire de la défense anti-missile, je crois moi aussi qu’il faut insister sur le rôle premier de notre dissuasion. Mais il me semble difficile de tenir, à l’égard des opinions publiques, une position selon laquelle, parce que nous avons la dissuasion et parce que nous riposterions si nous étions agressés, nous devrions renoncer, par principe, à toute idée de protection des territoires et des populations.

Il ne s’agit pas de prétendre à une protection absolue. Rien n’est plus inapproprié d’ailleurs que le terme de « bouclier », car il ne correspond pas au degré de performance recherché. En revanche, on ne peut pas écarter d’un revers de la main la contribution de la défense anti-missile à un volet « protection » complétant notre stratégie de défense.

Je voudrais également souligner qu’à mon sens les enjeux technologiques et stratégiques sont étroitement liés.

Si nous ne sommes pas capables de développer un minimum de technologies et de capacités proprement européennes en la matière, l’Europe risque tout simplement le décrochage capacitaire ou l’effacement stratégique. De facto, avec ou sans nous, l’Europe sera couverte par un système exclusivement américain et assistera en spectatrice aux développements de la défense anti-missile dans les autres régions du monde.

Ce déclassement serait particulièrement grave pour l’industrie de la défense française, car, cela a été dit, la défense anti-missile sera un vecteur de développement et de diffusion des technologies, avec de nombreuses retombées, en particulier dans les domaines de l’aéronautique, du spatial, de l’électronique de défense. L’industrie européenne des missiles est concernée au premier chef. Elle est aujourd’hui performante ; le sera-t-elle toujours demain si, faute d’investissements, elle reste à l’écart des développements les plus innovants ?

Pourtant, dans ce domaine, la France n’est pas démunie, tant s’en faut. Nous avons décidé d’être présents dans l’alerte avancée, avec Spirale puis un satellite opérationnel, ainsi qu’avec un radar à très longue portée dont le démonstrateur doit être lancé l’an prochain. Nous sommes les seuls en Europe à disposer d’une industrie balistique. Nous sommes engagés dans la défense anti-missile de théâtre, avec l’Aster. Nous pouvons participer à la construction du futur système de commandement et de contrôle d’une défense anti-missile balistique des territoires, puisque celle-ci se grefferait sur le système en cours de réalisation pour la défense de théâtre par l’un de nos industriels.

Je voudrais également mentionner le centre d’essais de Biscarrosse, en Aquitaine. (M. le ministre d’État sourit.) Il s’agit d’une zone d’essais unique en Europe. Il pourrait accueillir un certain nombre d’activités liées à cette défense anti-missile balistique de l’OTAN.

Il n’y a donc pas de fatalité du déclassement technologique et stratégique, à condition que nous sachions valoriser nos atouts, bien cibler nos objectifs et réaliser un effort supplémentaire qui ne me paraît pas totalement hors de portée pour un pays comme le nôtre, s’il en a réellement la volonté.

Enfin, dernière remarque, je souhaiterais plaider, au nom du groupe UMP, en faveur d’une approche objective, mesurée et pragmatique. C’est celle qui est préconisée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Quelles sont véritablement les options qui s’offrent à nous ?

D’abord, je constate qu’il aurait été politiquement très difficile de vouloir faire obstacle à une décision au sein de l’OTAN. Cela aurait également remis en question l’approche multilatérale des États-Unis. Pour mener à bien leur démarche, ceux-ci n’auraient eu alors d’autre solution que de contourner l’OTAN en cas de refus et de traiter bilatéralement avec certains pays. Ce ne serait pas une bonne chose pour l’Europe dans son ensemble, une partie de sa défense lui échappant.

Il y a aussi l’option du « soutien sans participation ». Dans ce cas, nous devrions tout de même contribuer aux coûts communs, tout en renonçant à un quelconque droit de regard sur la décision, ainsi qu’à une présence dans les technologies de la défense anti-missile.

Je crois que la seule option raisonnable est de viser deux objectifs.

Le premier consiste à continuer de travailler, dans le cadre de l’OTAN, pour préciser, clarifier et encadrer ce que pourraient être l’architecture et le fonctionnement d’une future défense anti-missile des territoires de l’Alliance. À cet égard, deux échéances importantes ont été fixées au sommet de Lisbonne : la clarification, d’ici au mois de mars 2011, des questions liées au commandement et au contrôle, et l’élaboration, d’ici au mois de juin 2011, d’un plan d’action sur les étapes de la mise en œuvre de la défense anti-missile.

Le second objectif est de se mettre en position d’apporter, à partir de nos compétences existantes, des « briques » qui nous permettront de participer au système autrement qu’en simple financeur. Autrement dit, il s’agit d’être un acteur de cette défense anti-missile qui va influer sur le paysage stratégique international dans les décennies à venir.

Comme l’indique le rapport de la commission, il faut que nous posions très clairement les conditions de notre engagement.

Au plan stratégique, tout d’abord, la défense anti-missile balistique n’est pas une protection absolue ; elle ne peut pas être non plus un substitut à la dissuasion, dont elle est seulement un complément.

Notre excellent collègue Jean-Pierre Chevènement vient une nouvelle fois de nous rappeler que, dans l’histoire du monde et des guerres, le glaive a toujours vaincu le bouclier. Je crois, mes chers collègues, qu’il nous faut aujourd'hui disposer à la fois du glaive et du bouclier. À mon sens, dissuasion et défense anti-missile sont complémentaires.

Toutefois, il nous faudra impérativement trouver un terrain d’entente avec la Russie, en d’autres termes éviter que le dossier de la défense anti-missile n’altère la relation entre l’OTAN et la Russie. Pour cela, dès maintenant, il est nécessaire d’engager des échanges concrets entre les deux parties.

La France dispose aussi, me semble-t-il, d’une expertise lui permettant de discuter activement du niveau d’ambition du système, du partage de l’information et des règles d’engagement, qui sont des points cruciaux.

Enfin, il faudra veiller à la maîtrise financière de ce projet. Ces dernières années, l’OTAN a accumulé un déficit colossal au titre de ses programmes d’investissement. Nos partenaires doivent être bien conscients de ce risque.

Sur tous ces sujets, la France doit bien définir ses objectifs et les faire valoir, non pas dans l’idée d’entraver la réalisation du projet, mais dans celle de clarifier celui-ci, de le rendre plus compatible avec les moyens de l’Alliance et plus utile au regard de ses priorités.

Je pense qu’il faudrait aussi discuter de manière très approfondie avec nos partenaires européens. Il serait tout de même souhaitable qu’émerge une vision européenne commune, ou du moins un certain nombre d’objectifs communs aux principaux pays européens, puisqu’il s’agira de la défense du continent. Au même titre que la France, je crois que nos partenaires doivent bien mesurer tous les enjeux de ce débat.

Pour conclure, je voudrais soutenir les propositions faites par le président de Rohan pour donner de la substance à ce qui pourrait être une contribution française à la défense anti-missile de l’OTAN.

Nous savons bien que la situation budgétaire est difficile : c’est une contrainte très forte. Cependant, nous ne parlons pas de milliards d’euros ; nous parlons d’investissements très ciblés, beaucoup plus accessibles.

Je pense par exemple au radar de poursuite M3R de Thales, qui permettrait à l’Aster 30 de fonctionner de manière autonome en anti-missile. Son acquisition pourrait être accélérée sans bouleverser les équilibres de notre programmation financière. Nous serions alors pleinement au rendez-vous du programme de défense de théâtre de l’OTAN.

Je pense à la constitution d’une véritable capacité d’alerte avancée. C’est l’une des pièces les plus essentielles du dispositif, puisqu’elle fournit le renseignement. Le démonstrateur spatial Spirale donne des résultats excellents et le démonstrateur de radar à très longue portée doit être lancé l’an prochain. Il faudra faire au plus vite pour que ces réalisations expérimentales débouchent sur des capacités opérationnelles, c’est-à-dire le satellite et le radar d’alerte qui sont prévus par le Livre blanc.

Enfin, l’acquisition de compétences dans le domaine de l’interception nécessiterait un budget d’études amont approprié.

Des chiffres ont été cités par les différents experts devant la commission : il s’agit de quelques dizaines de millions d’euros par an, alors que l’enveloppe annuelle, pour les études amont, est de l’ordre de 700 millions d’euros. Certes, cela n’est pas négligeable, mais, étant donné l’importance de l’enjeu, ne faudrait-il pas envisager de majorer quelque peu cette enveloppe ? À défaut, nous renoncerions définitivement à participer aux développements liés aux technologies de l’interception.

En résumé, je crois, monsieur le ministre d’État, qu’il faut être présents sur quelques créneaux et pleinement valoriser des investissements qui sont déjà en cours ou déjà programmés, afin d’avoir voix au chapitre. Cet objectif ne paraît pas hors de portée pour la France.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer à ce stade de la réflexion. Le dossier de la défense anti-missile n’est pas facile, car, on le sait, nos moyens financiers sont limités, mais il me semble que nous sommes les seuls, en Europe, à avoir autant d’atouts à valoriser. Il dépend de notre volonté de ne pas entièrement laisser à d’autres ce nouveau champ de la défense et des relations stratégiques. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, à ce stade du débat, mon intervention recoupera forcément celles de mes prédécesseurs, dont je partage de nombreuses analyses, notamment celles de MM. Josselin de Rohan et Xavier Pintat. Je vous prie donc d’excuser le caractère redondant de certains de mes propos.

La défense anti-missile balistique, ou DAMB, vise à se protéger des attaques par missiles balistiques, que ces attaques menacent des troupes déployées sur des théâtres d’opérations ou des populations à l’échelle d’un territoire.

Depuis des mois, partisans et opposants d’un tel système de défense placent le débat sur un plan théorique, dans le droit fil de l’éternel débat entre l’épée et le bouclier.

En France, les opposants à la DAMB font, en outre, valoir deux arguments : d’une part, sa mise en place coûterait extrêmement cher et induirait donc l’éviction des autres programmes ; d’autre part, la DAMB affaiblirait la dissuasion nucléaire.

Or, aujourd’hui, je pourrais dire, presque de façon provocatrice, que la question n’est que marginalement budgétaire.

En effet, le développement et le déploiement d’un système complet seraient totalement hors de portée de nos moyens financiers.

Nos collègues députés Patricia Adam et Yves Fromion rappelaient que « le Japon, pour disposer en 2011 d’une architecture anti-missile à couches multiples, pourtant limitée et reliée au système américain, a investi en cinq ans 10 milliards de dollars ». Il ne s’agit donc pas de choisir cette voie, d’autant qu’il est hautement improbable que le territoire national soit à court terme menacé par une attaque saturante de missiles.

En revanche, dès à présent, nos forces positionnées hors de nos frontières et nos points d’appui, notamment au Moyen-Orient, pourraient, comme le rappelait le président de Rohan, être pris dans l’engrenage d’une attaque de missiles de type SCUD ou dérivés. L’acquisition d’une capacité de défense anti-missile de théâtre est donc une nécessité.

La France l’a compris, comme le montre le développement du programme « sol-air moyenne portée terrestre », qui se poursuit, notamment avec une interception réussie par un missile Aster 30 de MBDA.

Mais, pour les États-Unis, la DAMB de territoire, avant d’être un instrument militaire, est un formidable atout en termes de puissance diplomatique, ainsi qu’un puissant sujet de recherche, permettant potentiellement de nombreuses retombées technologiques et économiques. Nous Français et Européens devrions partager cette vision. Je m’en explique.

La DAMB constitue, par son principe même, un parapluie non nucléaire, donc plus facilement acceptable, permettant d’offrir une protection à des alliés qui s’estiment menacés, et ce en échange de retours industriels ou politiques.

Dans le Golfe persique, les États-Unis sont en train d’étendre leur projet de parapluie DAMB, y compris à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, dans l’espoir de contrats importants. Dans les pays de l’Est, comme la Pologne, l’alignement systématique sur les États-Unis et l’achat de matériels militaires américains ne sont sans doute pas étrangers au déploiement d’un bouclier anti-missile promis par l’administration de George Bush.

La DAMB fait donc bien désormais partie des instruments de puissance, au même titre que la dissuasion nucléaire.

De plus, la recherche aéronautique et spatiale concentre nombre de technologies stratégiques essentielles. Les Américains considèrent qu’elle regroupe dix-sept des vingt-trois filières leur permettant de maintenir leur avance technologique sur le reste du monde.

De fait, nous le savons, un très grand nombre d’avancées technologiques sont des retombées de la course à l’espace et de la « guerre des étoiles ». Aux États-Unis, près des deux tiers de la recherche et technologie et de la recherche et développement dans le domaine des missiles sont consacrés à la DAMB, qui tire donc vers le haut toute l’industrie, en creusant l’écart avec l’industrie européenne.

Ne pas participer à cette course, alors que nous avons relevé les principaux défis technologiques de la puissance – la dissuasion nucléaire, les lanceurs spatiaux, les sous-marins nucléaires, les satellites de communication et de renseignement, l’aviation de combat –, réduirait encore notre rang par rapport aux États-Unis et surtout nous conduirait à être rapidement dépendants de leur politique et de leur industrie.

Les technologies de la DAMB sont les technologies génériques des futures générations de réseaux de commandement, de satellites et de radars à longue distance, de missiles d’interception.

En tout état de cause, que soient ou non développés des missiles antibalistiques haute altitude, maîtriser ces technologies est nécessaire pour garantir la pérennité d’une partie importante de l’industrie de défense en France et en Europe.

L’OTAN a lancé en 2005 un programme d’équipements communs, dont le coût est estimé à 800 millions d’euros et qui vise uniquement à intégrer les capacités européennes dans la boucle de commandement des opérations de défense aérienne.

Lors du sommet de Lisbonne, les États-Unis ont obtenu une avancée sur la DAMB et plaidé pour un « partage du fardeau » de la défense occidentale. Le secrétaire général de l’’OTAN a rappelé qu’il avait sa propre recette pour remédier au « blues » transatlantique : la mise en place d’une DAMB européenne.

Il est clair que l’éventuelle capacité de défense anti-missile européenne soulève des questions politiques, notamment à l’égard de la Russie, mais aussi opérationnelles, compte tenu de la diversité de nos moyens et du degré d’exposition de chacun à une menace balistique.

Mais si les pays Européens sont soumis de façon disparate à cette menace, ils subissent tous la rigueur budgétaire et la réduction de leur budget de défense. Ils doivent donc répondre, si possible de façon coordonnée, à la demande américaine via l’OTAN.

À partir du moment où nous devrons contribuer à la DAMB au titre de l’Alliance, mieux vaut le faire par des apports en nature sur des « briques » technologiques que nous aurons choisies – cela permettra à notre recherche et à nos entreprises de dégager de la valeur ajoutée –, et non par des concours financiers ou en sous-traitance. Les Américains nous referaient alors le « coup » de l’avion de combat JSF – Joint Strike Fighter –, qui a eu pour effet, sinon pour objet, d’assécher, par la sous-traitance et des coopérations limitées, les budgets militaires européens et de marginaliser l’industrie européenne d’avions de combat.

La France peut et doit animer une réflexion européenne, car elle possède un savoir-faire unique en matière balistique. Elle développe le démonstrateur Spirale, dont tous les spécialistes reconnaissent le potentiel. Elle participe déjà au système de commandement et de contrôle de l’espace aérien de l’OTAN, qui serait en fait élargi à la DAMB.

Mais comme l’indique M. le président de la commission dans son rapport, nos programmes ne sont pas financés à la hauteur suffisante, notamment pour respecter le calendrier de l’OTAN. Il faut donc, si nécessaire, dans un cadre bilatéral ou multilatéral – je pense aux Britanniques et aux Italiens, mais pas seulement à eux –, abonder les budgets de recherche et de développement correspondants, définir les « briques » prioritaires pour lesquelles nous pouvons apporter des plus-values et nous assurer de la compatibilité de nos systèmes avec ceux de l’OTAN.

Comme je le mentionnais en introduction, et contrairement à ce que certains affirment, le « ticket d’entrée », dans ces conditions, resterait financièrement supportable : le président de Rohan a évoqué la somme de 50 millions d’euros par an.

En outre, la DAMB n’affaiblit pas la dissuasion nucléaire. Elle ne se substitue pas à elle, mais la complète. En effet, la protection, même partielle, contre des missiles balistiques, notamment de théâtre, ouvre plus d’options au pouvoir politique et permet, en élevant le seuil nucléaire, de renforcer la dissuasion. Celle-ci reste en revanche essentielle et déterminante dans le cas d’une attaque massive contre le territoire national, car l’attaquant sait qu’il sera identifié, que la trajectoire de ses missiles sera suivie et donc que la réponse sera apocalyptique.

Enfin, pour conserver un effet de dissuasion nucléaire maximal, il faut travailler sur l’interception de missiles balistiques, ce qui permettra d’améliorer, et donc de rendre plus crédibles, nos propres missiles nucléaires, au fur et à mesure des progrès réalisés dans le domaine du bouclier.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre d’État, la question est non plus de savoir s’il faut s’engager avec l’OTAN dans la DAMB, mais de définir avec qui, avec quelles « briques » technologiques et dans quelles conditions nous devons le faire, afin d’assurer la préservation de nos capacités de recherche et d’innovation, ainsi que la survie de nos industries de défense, outils de notre souveraineté. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)