M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord une évidence : toute forme de recentralisation des fonctions collectives est préjudiciable aux intérêts de la ruralité, car elle appauvrit une relation de proximité, par exemple entre les services déconcentrés de l’État et les citoyens ou entre les élus et les citoyens, relation de proximité indispensable au « mieux vivre » collectif des personnes concernées.

Or, la récente réforme territoriale, tout comme la révision générale des politiques publiques, est génératrice de distanciation, de perte de sens du mandat électif pour les échelons régional et départemental, au bénéfice des représentants de l’État : transfert de diverses missions, méthode présidant au redécoupage des cantons et au schéma départemental de coopération intercommunale.

Prenons l’exemple du département. Cette année sera celle du cent quarantième anniversaire de la loi du 10 août 1871, principale loi organisant la vie de l’assemblée départementale avant les lois de décentralisation de 1982 et de 1983. Pour ce cent quarantième anniversaire, le conseil général, comme collectivité locale, ne méritait-il pas mieux que d’être soumis à une attente inquiète, à savoir sa probable disparition à l’issue d’une phase transitoire personnalisée par le conseiller territorial ?

Pour notre part, nous ne cesserons de vanter les mérites en milieu rural d’un échelon départemental de proximité et de solidarité pour nos concitoyens, mais également de repère et d’équilibre dans une mondialisation qui ne cesse de gagner du terrain.

Derrière la révision générale des politiques publiques, le démantèlement des services publics, la fragilisation des conseils généraux et régionaux, derrière la réforme territoriale, y a-t-il une vision historique de l’organisation territoriale de la République et du futur de la ruralité ?

Non ! Nous constatons simplement l’application d’une logique comptable entraînant la réduction brutale des effectifs et des dépenses, sans anticipation de l’avenir mais assortie d’une incompréhensible uniformisation des décisions. Ainsi se multiplient aveuglément les restructurations judiciaires, militaires, scolaires, hospitalières... Par exemple, dans mon département, la Creuse, l’unique service de radiothérapie vient de fermer, obligeant des patients souvent gravement malades à parcourir plus d’une heure de route pour trouver un service de cette nature, au moment où le cancer devient la première cause de mortalité en France !

Dans notre pays, c’est l’État qui a construit la nation. La déliquescence de l’accès pour tous à des services publics comme la santé, l’éducation ou la sécurité émiette le socle de notre République et les valeurs de protection et d’équité qu’elle représente.

Il en va de même avec la suppression de la taxe professionnelle et son corollaire, la coupure du lien entre l’entreprise et son territoire. Or toute politique nationale indifférente aux liens charnels entre l’homme, son territoire, sa production et sa culture s’avérera mortifère pour la dignité de nos terroirs et de leurs habitants, car elle est ignorante des réalités de la campagne et bêtement méprisante pour une prétendue « France profonde » qui ne se situe pas toujours là où on le croit.

Oui, le monde rural est bien plus vivant et plus complexe que ce qu’imaginent certaines administrations. Il est surtout capable de prendre en main son destin, dès lors qu’on ne crée pas les conditions de sa résignation. Demain – on en voit déjà certaines prémices –, les conséquences sociales, humaines, financières, sanitaires, psychologiques, sécuritaires et environnementales de l’hyper-concentration urbaine seront telles que la ruralité sera de plus en plus désirée et sollicitée. C’est cette appréhension de la société de demain que nous devons anticiper dès aujourd’hui.

La ruralité peut être une chance pour la France si certaines conditions sont remplies : une politique ambitieuse, globale, transversale, intégrant ses spécificités dans les schémas nationaux des infrastructures, un régime dérogatoire pour les services publics, une attention spécifique au réseau des PME-PMI, une reconnaissance majeure des zones d’élevage dans les déclinaisons budgétaires de la future politique agricole commune, une action plus forte face aux menaces de fracture numérique, le maintien de dispositifs analogues aux zones de revitalisation rurale, les ZRR, mais spatialement plus concentrés, une attention déterminée portée aux conditions d’accueil de nouvelles populations ou activités, ou bien encore la création d’une véritable cinquième branche de la sécurité sociale concernant le risque de dépendance en faveur des personnes âgées, nombreuses dans les espaces ruraux.

En période de crise, il est impératif d’apporter plus à ceux qui en ont le plus besoin ; cela vaut aussi pour les territoires.

L’urgence est telle que nous devons aller plus loin que les simples appels à candidatures pour les pôles d’excellence rurale, les PER. Par ailleurs, la baisse de 14 %, en 2011, des moyens d’intervention de la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, la DATAR, n’est pas de nature à rassurer les porteurs de projets.

L’aménagement du territoire mérite d’être une priorité nationale, la population étant d’ores et déjà hyperconcentrée sur 20 % de la superficie de notre pays, ce qui, selon moi, ne représente nullement un progrès de civilisation. Le face à face État-métropoles va laisser tous les « espaces interstitiels » abandonnés au « chacun pour soi ». Nous regrettons également que le dernier remaniement ministériel ait conduit à la dilution de la ruralité dans un grand ministère « fourre-tout », non complété par un ministère délégué ou un secrétariat d’État spécifique.

M. Bruno Le Maire, ministre. Cela peut encore changer !

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le ministre, il nous faut une grande loi sur le développement des territoires ruraux, portée par une idée légitime exprimée à travers l’expression « bouclier rural », comportant notamment le maintien ou le rétablissement de services publics indispensables à la cohésion sociale.

Oui, la ruralité est riche de virtualités, d’attentes et d’exigences ! Aussi, l’État mais également l’Europe doivent-ils l’aider à choisir le meilleur d’elle-même, en jouant toutes ses cartes avec détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ruralité a été longtemps associée à la seule activité agricole et perçue comme un espace périphérique, assimilé à un simple lieu de loisirs ou de vacances et à une vaste réserve foncière au service d’une urbanisation et d’un aménagement non réfléchis. Après un déclin certain, elle connaît un renouveau depuis une dizaine d’années, notamment avec l’arrivée de nouvelles populations. Par exemple, tous les mois, 1 500 habitants supplémentaires rejoignent le territoire de mon département de l’Hérault. Aujourd’hui, comment ne pas voir que cette ruralité est une chance pour la France ?

Au-delà des agriculteurs qui demeurent le « cœur battant » de nos campagnes, les artisans, les commerçants, les PME industrielles et de services forment un tissu économique dynamique. Le succès des pôles d’excellence rurale prouve bien à quel point les territoires ruraux fourmillent de talents et d’initiatives, dans le domaine des bio-ressources, du patrimoine, du tourisme, ou encore des nouvelles technologies. Les villes n’ont plus le monopole de l’excellence, de la compétence ou de l’innovation !

Terre de culture, de traditions, de valeurs de solidarité, de convivialité et de confiance, la ruralité est aussi source d’équilibre dans une société à la recherche d’un sens, d’un ancrage au territoire et d’une qualité de vie bien difficile à trouver en ces temps de crise. Enfin, occupant 80 % de la superficie de la France, elle est garante des équilibres environnementaux et constitue un atout pour relever les défis alimentaire et énergétique de demain.

C’est dire la responsabilité qui nous incombe – elle incombe en premier lieu à l’État – quant au soutien de ces territoires ruraux. En effet, si la campagne séduit, son attractivité est inégale suivant les régions ou les départements, que ce soit en termes d’accès aux technologies numériques, aux transports, aux soins, à la culture et au logement. Une telle inégalité est inadmissible dans notre République. Lorsque les services périscolaires manquent, lorsque les écoles ferment, lorsqu’il faut attendre six mois avant d’obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmologiste ou chez un autre spécialiste, lorsque la désertification médicale inquiète nos concitoyens, lorsqu’il faut parcourir des kilomètres pour étudier ou travailler, comment, dans ces conditions, fixer une population sur un territoire, attirer de nouvelles familles et ouvrir des perspectives de vie aux jeunes ?

Je relisais récemment le discours tenu par le Président de la République à Morée, en février 2010. Il y prend des engagements en faveur des territoires ruraux : maisons de santé, couverture en téléphonie mobile et très haut débit, développement de lignes TGV supplémentaires, désenclavement routier des territoires les moins bien desservis. On ne peut évidemment que souscrire à de tels objectifs, mais force est de constater, monsieur le ministre, que ces engagements sont quelque peu contredits par les décisions politiques et les arbitrages budgétaires.

S’agissant des services de l’État et des services publics, dont le maintien est essentiel, en particulier dans les territoires les plus isolés et à faible densité démographique, la politique menée par le Gouvernement semble répondre à une logique de concentration et de rentabilisation dictée par la révision générale des politiques publiques. Avec la réforme de la carte judiciaire, de la carte hospitalière, de la carte pénitentiaire et de la carte scolaire, tout un ensemble de services sont transférés vers les métropoles régionales ou économiques. Mais tous les départements ne sont pas irrigués par de telles métropoles ! Pour ceux qui ne le sont pas, les écarts se creusent avec les autres territoires.

Aujourd’hui, il faut se battre pour obtenir simplement le maintien des services, alors qu’il faudrait améliorer et moderniser ces derniers. Un accord de partenariat a certes été signé au mois de septembre 2010 entre l’État et onze acteurs nationaux, dont neuf opérateurs de service public. Toutes les régions sont concernées, mais seulement une partie des départements. Quoi qu’il en soit, la précédente charte signée en 2006 n’avait pas donné les résultats espérés.

S’agissant des transports, l’avant-projet de schéma national d’infrastructures de transport, le fameux SNIT, ne nous rassure guère sur le désenclavement des territoires les moins desservis. Les routes nationales, les voies ferrées de fret et les transports express régionaux, les TER, sont délaissés au profit de quelques grandes lignes à grande vitesse et autres axes autoroutiers.

Autre défi de taille : la fracture numérique. Il est clair qu’on ne fera jamais venir un jeune médecin, avec son conjoint, dans une commune dépourvue d’accès au numérique de nouvelle génération ! C’est donc une priorité absolue pour des communes rurales vivantes. Mais, avant de se lancer dans le « très haut débit », achevons déjà la couverture en « haut débit », car certains territoires n’y ont pas encore un accès effectif, bien que certains départements se soient lancés dans ces projets. On ne peut avoir, d’un côté, des populations qui bénéficieront d’accès au très haut débit et, de l’autre, des populations qui devront se contenter durablement d’une connexion à haut débit de mauvaise qualité, voire, dans certains cas, d’une connexion à bas débit pourtant commercialisée à des tarifs comparables, sinon plus élevés. Les pouvoirs publics se doivent de remédier à cette inégalité. Dans son rapport remis le 26 octobre 2010 au Premier ministre, notre collègue Hervé Maurey propose notamment d’inclure le haut débit dans le périmètre du service universel. Quelle est votre position sur cette question, monsieur le ministre ?

J’en viens à une autre contradiction : comment pouvez-vous appeler de vos vœux le développement des services à la personne quand, dans le même temps, vous supprimez dans le projet de loi de finances pour 2011 les allégements de charges dont bénéficiaient les prestataires, qui font pourtant un travail indispensable et remarquable en faveur des personnes fragilisées en milieu rural ?

Comme vous le constatez, monsieur le ministre, les inquiétudes sont réelles, d’autant que vous appartenez à un gouvernement qui a fait le choix de brider les marges de manœuvre des collectivités territoriales, acteurs économiques pourtant incontournables en matière d’aménagement du territoire. Celles-ci doivent de plus en plus suppléer aux défaillances de l’État, notamment en matière d’infrastructures ou de services au public. Comment pourront-elles continuer à le faire avec des hausses de dépenses liées à des transferts de compétences insuffisamment compensés, la mise à mal de leur autonomie financière ou le gel de leurs dotations pour les prochaines années, sans parler des financements croisés, dont personne ne sait ce qu’ils vont devenir ?

Il y aurait évidemment bien d’autres choses à dire, notamment sur le développement d’une offre de logements locatifs à prix raisonnable, sur l’accompagnement de l’emploi, sur le maintien d’une agriculture forte et diversifiée, nécessaires à la vitalité du monde rural.

S’agissant de l’agriculture, c’est toute la ruralité qui souffre lorsqu’elle est en crise ! Vous le savez d’ailleurs plus que tout autre, monsieur le ministre. De ce point de vue, vous n’êtes pas resté inactif, bien que nous ne souscrivions pas totalement à la vision développée dans la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Nous comptons sur vous pour défendre les principes de la politique agricole commune dans les négociations à venir et pour soutenir, en particulier, les petites exploitations.

Monsieur le ministre, dans un contexte difficile, avec des crédits en baisse, quelles perspectives la République est-elle en mesure d’offrir à la ruralité et à ceux qui la font vivre au quotidien ? Nous comptons sur votre détermination, à la fois comme ministre de la ruralité et de l’aménagement du territoire et comme élu d’un département rural, pour faire en sorte que tous nos concitoyens, sur l’ensemble des territoires ruraux, soient traités avec la même attention que les habitants des grandes agglomérations.

Ainsi que l’a souligné notre collègue Didier Guillaume, nous avons confiance en l’avenir de la ruralité, à condition que soient accordés à cette dernière les moyens de son développement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le peu d’efficacité de la loi relative au développement des territoires ruraux de 2005 nous amène à aborder les questions de la ruralité – des ruralités ! – et de la fracture territoriale qui continue de s’amplifier.

La question orale posée par notre collègue Didier Guillaume énumère très justement les conséquences de l’ensemble des réformes qui sont aujourd’hui mises en œuvre par la majorité gouvernementale et qui entravent le développement des territoires ruraux. Notre collègue appelle ainsi de ses vœux une prise de conscience des conséquences dramatiques de la réorientation des politiques publiques. Nous sommes en total accord avec cette exigence.

Didier Guillaume relève en particulier trois types de mutations qui affectent les territoires ruraux : la mutation institutionnelle, qui permet une centralisation des pouvoirs à une plus grande échelle, la mutation de l’intervention publique, qui se restreint à sa plus faible expression selon la logique de la révision générale des politiques publiques, et, enfin, le changement du statut et des missions des services publics, auxquels on demande non plus de répondre à l’intérêt général, mais simplement d’être rentables pour les investisseurs. Ces transformations conduisent à mettre de côté les exigences d’un aménagement équilibré du territoire, d’égal accès aux services publics et de cohésion sociale et territoriale.

Nous estimons que ce changement d’orientation est contraire au pacte républicain.

En effet, loin de penser que les 36 000 communes constituent un handicap pour le dynamisme de la France ou que le « mille-feuille territorial » serait source de confusion et de lenteur, nous considérons au contraire que cette diversité est l’expression de la grande richesse de notre pays. Mais les transformations en cours, notamment celles qui ont été introduites par la réforme des collectivités territoriales, visent à éloigner les lieux de décisions des citoyens en centralisant les pouvoirs.

Ainsi, le département est dévitalisé et les communes sont sommées de se regrouper au sein d’intercommunalités, des intercommunalités non de projet mais imposées par le pouvoir central. Ce phénomène est accentué par la mise en perspective des métropoles et des pôles métropolitains qui engendrent la construction d’intercommunalités gigantesques aux pouvoirs considérables. Il s’agit ainsi, de manière très habile, de couper le lien vital entre les élus et leurs administrés, à l’image de ce qui se prépare pour le Grand Paris.

Les pôles de compétitivité et les pôles d’excellence rurale, sans avoir la dimension d’une réelle politique d’aménagement et de revitalisation des territoires, ont certes apporté un peu d’oxygène ici et là. Leur incidence reste à mesurer.

Ces politiques menées par la droite ont pour conséquence la création d’une France à deux vitesses : d’un côté, des pôles économiques et urbains concentrant l’ensemble des pouvoirs, des savoirs et des moyens et, de l’autre, le reste de la France, dépourvu de tout, où l’accès aux services publics dépend des possibilités des collectivités de proximité et de la rentabilité qu’y trouvent les opérateurs. Or, notre conception de la solidarité et de la cohésion nationale doit permettre une péréquation effective des moyens entre tous les territoires placés sous l’égide de l’État.

À cela s’ajoute le fait que, désormais, les collectivités n’ont plus les moyens de répondre aux besoins des citoyens, notamment du fait de la réforme de la taxe professionnelle, qui les a privées d’une ressource essentielle.

D’une part, les pertes engendrées par cette réforme ont été chiffrées par le député Gilles Carrez, qui a évalué son coût pour l’État à 8,9 milliards d’euros en 2010 et à 7,5 milliards d’euros en 2011. Ce dernier chiffre est déjà comparable à l’ensemble des baisses d’impôts sur les sociétés consenties entre 2000 et 2009, ce qui fait dire à M. Carrez, député issu des rangs de la majorité, que « la réforme de la taxe professionnelle apparaît […] comme un allégement historique de la pression fiscale pesant sur les entreprises ». Cette analyse est partagée.

D’autre part, le Gouvernement a également porté un coup terrible à la capacité d’intervention des collectivités, notamment rurales, par le gel des dotations aux collectivités territoriales, alors que, en cette période de crise économique sans précédent, la demande de services de proximité est à son comble et les collectivités apparaissent souvent comme l’amortisseur social face à la précarité.

Pouvons-nous vraiment les asphyxier sans mettre en péril les services publics locaux ? Nous ne le pensons pas. Il est donc maintenant urgent de revenir sur cette réforme.

De plus, la refonte de la carte électorale pour les futurs conseillers territoriaux conduira à une révision du découpage des cantons et à la suppression de certains d’entre eux par fusion de cantons ruraux. Nous estimons là encore que ces territoires feront les frais, dans leur représentation, de la volonté du Gouvernement de rationaliser l’administration territoriale.

S’agissant de la deuxième mutation invoquée, celle de l’intervention de l’État dans les territoires, la politique de rigueur appliquée aux territoires est un non-sens, comme le symbolise la réforme de la révision générale des politiques publiques.

Ainsi, les services de l’État ne disposent plus de moyens suffisants, notamment pour instruire les demandes de permis de construire dans certains départements. À ce sujet, ma collègue Évelyne Didier me signalait que le préfet de sa région reconnaissait dans l’un de ses courriers son incapacité, faute de moyens humains.

Nous avons également vu les conséquences désastreuses de ces politiques lors des différents épisodes neigeux, pendant lesquels la restructuration des services de l’équipement et le désengagement de l’État se sont traduits par l’incapacité de faire face aux difficultés.

J’en viens enfin à la transformation de la présence des services publics sur le territoire.

Les Assises des territoires ruraux ont mis en évidence de fortes attentes de la part des habitants en matière de services publics. Mais la réponse apportée par le Gouvernement consiste à transformer le service public en services au public.

La nouveauté de l’accord que celui-ci a récemment passé avec un certain nombre d’entreprises et d’organismes publics réside effectivement dans la mise en place de structures de mutualisation des services publics. À cette occasion, le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire avait bien précisé qu’il s’agissait non pas de redéployer ces services, mais de « mettre des services là où ils ne sont plus et là où ils n’ont peut-être jamais été, à un coût abordable pour les opérateurs ».

Nous en revenons donc à cette sacro-sainte rentabilité, qui justifie le démantèlement de l’ensemble des grands services publics de réseau – énergie, transport, postes, télécommunications – et, maintenant, des services sociaux comme l’hôpital, grâce à la transposition de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, la fameuse directive Bolkestein.

La privatisation successive des services publics, notamment en matière de télécommunications, a conduit à une diminution de la présence des infrastructures correspondantes sur le territoire.

C’est particulièrement le cas de La Poste : la loi portant son changement de statut a permis de garantir la présence sur l’ensemble du territoire, non pas de bureaux de poste de plein exercice, mais simplement de points de contact, c’est-à-dire de services aux rabais rendus par les commerçants déjà implantés.

C’est également le cas du fret ferroviaire, cette activité étant laminée dans un objectif de rentabilité économique. Pourtant, les conséquences sur le terrain pour les petites et moyennes entreprises, les PME, sont particulièrement néfastes. Celles-ci sont dorénavant obligées de faire appel à la route, en contradiction avec les impératifs de rééquibrage modal affirmés au sein du Grenelle de l’environnement.

Le futur financement du schéma national des infrastructures de transport est lui aussi très inquiétant, eu égard aux délais envisagés et à l’appel conséquent au cofinancement des collectivités rurales.

Dans ce contexte, comment encourager l’implantation de commerces de proximité, des PME et des artisans ? Chaque année, les parlementaires doivent se battre contre le Gouvernement, qui n’a de cesse de réduire les crédits du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC.

En déménageant les territoires, quelle France construisez-vous, monsieur le ministre ?

Nous voyons pourtant bien que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à faire le choix d’une installation en province afin de bénéficier d’une autre qualité de vie. Si toutes les infrastructures de service public ont disparu, si les écoles, les hôpitaux et les tribunaux ont fermé, comment accueillir ces populations ? C’est un paradoxe auquel il faut penser.

Je souhaiterais également dire un mot sur le réseau internet de haut débit, dont la présence sur l’ensemble du territoire est annoncée depuis de nombreuses années. Déjà en décembre 2005, le Gouvernement s’engageait à offrir à l’horizon de 2007 l’accès à ce réseau à toutes les communes de France, et ce à un prix acceptable. Nous sommes aujourd’hui encore loin du compte.

L’adoption du grand emprunt a offert à la majorité une nouvelle occasion d’affirmer le fibrage du territoire pour permettre l’accès de tous aux nouvelles technologies, par le déblocage de 2 milliards d’euros en faveur du très haut débit. La réalité est néanmoins tout autre : aujourd’hui encore, le réseau internet à haut débit n’a pas atteint toutes les campagnes françaises.

À ce titre, la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, que nous avons adoptée voilà maintenant une année, n’a fait qu’accentuer les inégalités d’accès au réseau entre les zones dites « denses », essentiellement urbaines, et les zones dites « peu denses », essentiellement rurales.

Selon cette loi, les collectivités doivent déterminer leur schéma directeur territorial d’aménagement numérique pour prétendre à une subvention de l’État, c’est-à-dire à un financement partiel. Mais seuls 34 projets sur 61 ont été retenus pour être financés. Nous estimons que cette question ne pourra pas se résoudre tant qu’un grand service public des télécommunications ne sera pas créé, financé par l’État et garantissant à tous ce droit du xxie siècle.

Nous considérons en outre qu’il est urgent de mettre un point d’arrêt à ces réformes, de réorienter les richesses vers les besoins, notamment par la création d’un pôle public financier permettant de réaliser les investissements d’avenir, et de placer les banques sous contrôle. Nous estimons également qu’il est nécessaire de refonder les services publics autour de la notion de l’intérêt général, et non de la rentabilité pour les actionnaires.

Nous exigeons le respect de l’autonomie des collectivités territoriales, notamment rurales, comme gage d’une démocratie vivante.

Monsieur le ministre, l’évolution structurelle et démographique des ruralités de très nombreuses régions françaises appelle des réponses adaptées à la hauteur des enjeux. Pour ce qui concerne ma région, la Bretagne, une progression de 24,1 % de la population est attendue sur la période allant de 2007 à 2040. Elle s’appuie essentiellement sur le solde migratoire.

Comment nos collectivités vont-elles pouvoir accueillir ces populations ? La loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, la réduction de la consommation des terres agricoles et le manque de moyens financiers des collectivités ne risquent-ils pas de créer un effet de ciseau, bridant ainsi toute évolution pour aller gonfler les métropoles quasi invivables ?

Le monde rural attire les retraités urbains, les pauvres et certains actifs pensant que la pauvreté est moins dure à la campagne et que la solidarité y est plus grande. C’est déjà un leurre aujourd’hui et, si nous n’y prêtons garde, ce sera un véritable piège à misère demain. Peu d’éléments invitent à l’optimisme, monsieur le ministre, qu’il s’agisse de l’évolution du revenu agricole, de la désertification médicale, du niveau des salaires et des retraites, de l’évolution des transports collectifs et industriels, du démantèlement des services publics…

La France rurale, qu’elle soit périurbaine, agricole ou paysagère, mérite mieux. Il n’est pas trop tard pour envisager des réponses adaptées. La ruralité n’est pas un handicap, c’est un véritable atout pour la France. Sachons l’utiliser au bon moment, c’est-à-dire dès maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)