M. Jean-Luc Fichet. Jusqu’à ce que la droite casse le système !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent débat est un peu comme le mur des lamentations, l’espoir en moins.

Je remercie d’emblée le groupe CRC-SPG de l’avoir initié, parce qu’il est fondamental pour beaucoup d’entre nous.

En effet, d’une loi de financement de la sécurité sociale à l’autre, la situation ne s’améliore pas du tout ; on peut même dire que, de débats en débats, de rapports en rapports, elle empire. Nous sommes d’ailleurs presque à un anniversaire : le 26 janvier 2006, Xavier Bertrand présentait déjà devant le conseil des ministres un plan d’action pour endiguer les problèmes de démographie médicale. Nous voilà cinq ans après !

Alors que la moyenne nationale est de 320 praticiens pour 100 000 habitants, l’Orne a une densité de 70 médecins pour 100 000 habitants. Nous sommes pratiquement « lanterne rouge » ou « lanterne noire », l’Eure, que représente mon collègue Hervé Maurey, se situant juste après nous.

La situation est donc grave et le problème est non pas théorique mais extrêmement pratique. En outre, les densités médicales mentionnées n’expriment que des moyennes : la situation de certains territoires est très dégradée, quand elle n’est pas à proprement parler totalement alarmante.

Les travaux conduits par l’union régionale des médecins libéraux en lien avec l’ARS sur la médecine libérale mettent en exergue des zones étendues confrontées à une sous-médicalisation. Il en est ainsi de la totalité du département de l’Orne, de la moitié de celui de la Manche et d’un quart de celui du Calvados situés dans la région Basse-Normandie à laquelle j’appartiens.

À cela s’ajoute le départ en retraite des médecins. D’ici à quinze ans, la proportion de praticiens ayant cessé leur activité dépassera 60 % dans le département de l’Orne.

Au regard des sorties annuelles du cursus universitaire médical ces prochaines années, le solde demeurera négatif : il est à envisager que le nombre d’entrées dans la profession de médecin ne puisse égaler le nombre de sorties qu’en 2020.

Madame la secrétaire d’État, je vous fais part de faits concrets et non d’incantations.

Comme d’autres orateurs, je veux à mon tour souligner que les besoins de santé vont évoluer du fait du vieillissement de la population.

Il faut aussi prendre en considération les aspirations des nouveaux praticiens.

Par ailleurs, certaines spécialités se trouvent dans une situation délicate. Ainsi, dans mon département, il faut attendre plus de six mois pour obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste.

M. Jean-Luc Fichet. En Bretagne, c’est un an !

Mme Nathalie Goulet. Venez dans l’Orne, mon cher collègue ! (Sourires.)

Partageant le temps de parole accordé au groupe de l’Union centriste avec Hervé Maurey, je serai assez brève. Je veux cependant profiter de mon intervention pour rendre hommage aux élus locaux, auxquels sont imputables – et non au législateur – les premières solutions apportées en la matière.

Les premières maisons de santé ont été créées dans les années quatre-vingt-dix dans mon département. Il s’agit, selon moi, d’une réponse parmi d’autres à la désertification. Des maisons de santé peuvent être très bien organisées sans toutefois disposer de médecins. L’existence de telles structures peut fidéliser un certain nombre de jeunes praticiens, éventuellement les inciter à s’installer dans une région ; ceux-ci peuvent se sentir sécuriser au sein d’un groupe, je le conçois, monsieur Blanc. Ce n’est pas en tout cas la seule solution.

Je voudrais également rendre hommage à Pierre-Jean Lancry, directeur de l’Agence régionale de santé de Basse-Normandie qui gère la pénurie avec brio et intelligence ; il essaie de faire au mieux avec les moyens du bord. Son dialogue avec les élus est tout à fait essentiel.

J’estime qu’il faut absolument trouver des solutions pertinentes au problème existant. Celles qui sont applicables en Lozère ne sont pas forcément adéquates en Basse-Normandie ou dans les périphéries des grandes villes sous-dotées, même si les difficultés se posent dans les mêmes termes.

M. Jacques Blanc. C’est vrai !

Mme Nathalie Goulet. Développer les ARS et apporter des réponses adaptées aux territoires me semble être la bonne solution.

Cela étant, dans ma région, le plan Hôpital 2012 a connu un vrai succès, même si sa mise en œuvre a été un peu chahutée. Le résultat est excellent.

Il ne sera pas possible d’endiguer la pénurie médicale sans l’adoption de mesures coercitives tendant à faire venir les médecins en zone rurale ou en zone sous-équipée. Tous les PSLA, les pôles de santé libéraux ambulatoires, installés par les élus ne fonctionneront pas si les praticiens indispensables sont absents, malgré des équipements chers et lourds.

Comment évoquer la télémédecine ou la médecine à distance dans des régions dépourvues du haut débit, où les portables ne fonctionnent pas en raison de l’existence de zones blanches ?

C’est l’effet Matthieu : « À celui qui a, tu donneras et il aura tout en abondance ; à celui qui n’a pas, tu enlèveras même ce qu’il a. » Dans un territoire démuni de haut débit, de médecins, de sapeurs-pompiers volontaires, nos concitoyens se dirigent vers l’hôpital et les urgences sont indûment encombrées.

Je conclurai en disant, madame la secrétaire d’État, que le bonheur est dans le pré, à condition d’être en bonne santé ! (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.

M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en introduction, permettez-moi de profiter de cette tribune pour brièvement évoquer les difficultés d’accès aux soins. Comme cela a été indiqué, l’inéquitable répartition des médecins entre les régions de France participe à cette difficulté. La précarité, la pauvreté sont aussi des facteurs de retard en matière de soins, ainsi que le refus de certains professionnels d’ausculter des patients bénéficiant de la CMU.

Que dire des nouvelles dispositions sur l’aide médicale d’État ? Imposer aux malades sans papiers et sans ressource une contribution forfaitaire de 30 euros revient à les condamner à un retard de soins, si ce n’est à une absence totale de soins. C’est une atteinte à la dignité humaine et une faute de santé publique.

Le Gouvernement fait peu de publicité au récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances pour lesquelles ce dispositif est « financièrement inadapté » et « porteur de risque sanitaire ». Il serait bon, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement entende les nombreuses voix qui demandent la suspension de cette mesure inique et discriminatoire.

Le débat qui nous réunit cet après-midi, sur l’initiative de nos collègues du groupe CRC-SPG, doit nous permettre d’apporter des solutions concrètes et immédiates à la disparition lente et inéluctable de la présence des professionnels médicaux non seulement dans nos communes rurales, mais aussi dans certaines de nos villes.

Je rappellerai rapidement le constat qui vient d’être dressé.

Les médecins qui sont présents dans nos territoires vieillissent. Dans certains cantons du Finistère, leur moyenne d’âge est de cinquante-six ans. Le tiers des médecins a plus de soixante ans. Ils ont de plus en plus de difficultés à trouver un professionnel qui veuille bien les remplacer. Les jeunes praticiens ne veulent plus être corvéables à merci. Ils ne veulent plus exercer leur métier de manière isolée. Ils expriment la volonté de profiter de leurs enfants et d’avoir des loisirs. Leur conjoint veut également exercer sa profession.

Les habitants, quant à eux, sont inquiets de la disparition de leurs médecins. Après la fermeture de nombreuses maternités et de certains hôpitaux de proximité, nos concitoyens voient les temps d’attente pour consulter un spécialiste s’allonger – je rappelle qu’en Bretagne il faut patienter un an pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste – et les distances pour se rendre chez un médecin généraliste augmenter. Il en résulte un encombrement des services des urgences par la « bobologie ».

À titre d’exemple, Morlaix, commune de 18 000 habitants, ne dispose plus de gynécologue.

Les élus, notamment les maires, sont les premiers interlocuteurs à qui l’on reproche ces carences, alors que – je veux le rappeler dans cet hémicycle de façon solennelle – l’accès aux soins est une prérogative de l’État. Des annonces sont faites régulièrement par les pouvoirs publics, jurant, la main sur le cœur, que cette situation sera prochainement enrayée.

Pourtant, tout récemment encore, le Président de la République a semblé découvrir le problème. En effet, dans un discours prononcé le 1er décembre à Orbec qui succédait à un autre discours sur le même thème le 16 avril à Livry-Gargan, il a déclaré : « Vous n’aurez pas longtemps à attendre avant de voir la détermination du Gouvernement en la matière ».

Mme Nathalie Goulet. Mauvais signe !

M. Jean-Luc Fichet. Nous attendons toujours...

La loi HPST avait instauré le contrat santé solidarité. Ce dernier ne semblait déjà pas à l’époque aller assez loin ; certes, il avait le mérite d’exister. Des solutions plus radicales, plus coercitives devaient être trouvées. Lors de la discussion du projet de loi susvisé, j’avais déposé un amendement tendant à obliger les nouveaux médecins à exercer au moins deux ans dans des zones déficitaires, espérant qu’ils y trouvent intérêt. Je n’ai pas été suivi.

La majorité n’a rien trouvé de mieux que de vider de sa substance ce contrat santé solidarité dès l’été suivant l’adoption de la loi HPST. Les quelques mesures contraignantes – obligation de donner la date de ses absences, obligation de soutien dans les zones déficitaires – ont été tout simplement annulées.

Pourtant, et les associations de patients l’ont encore rappelé au mois de décembre, les déserts médicaux persistent, alors que l’assurance maladie verse annuellement à chaque médecin installé en zone déficitaire une prime de 25 000 à 28 000 euros !

Comme le pointe dans son rapport Élisabeth Hubert, l’une des pistes est de bien définir ce qu’est un désert médical. Elle renvoie cette définition au travail des nouvelles agences régionales de santé qui ont, avec la loi HPST, un rôle important en la matière.

Sur cette question, le Gouvernement fait, comme à son habitude, un pas en avant et trois pas en arrière. Nous ne percevons aucun projet construit, travaillé, qui permette de penser qu’il y ait une réelle volonté de structurer une offre de santé harmonieuse et efficace auprès de tous les Français.

Les maisons de santé, remède miracle dont se gaussent nos gouvernants, se développent, sur l’initiative de nos collectivités, qui s’endettent pour répondre à des obligations qui ne sont pas les leurs. L’État participe faiblement à leur financement. En effet, les maires des communes rurales ou des communes périurbaines, que le Gouvernement tend trop souvent à stigmatiser comme mauvais gestionnaires, font face à la pénurie en raison de l’urgence. Ils doivent séduire des professionnels de santé, dont le nombre est en augmentation – des orateurs précédents l’ont déjà indiqué –, mais qui n’ont aucune obligation, aucune contrainte, les réunir autour d’une table et les inviter à rédiger un projet médical. Les élus doivent aussi construire une maison de santé, tout cela sans aucune assurance de maintien d’une offre de santé pérenne sur leur territoire. À l’issue de ce processus, le résultat peut être négatif, d’autres orientations ayant été retenues ou les jeunes médecins espérés faisant défaut.

Aussi, je le répète, l’État doit prendre sa pleine part de responsabilité pour lutter contre la désertification médicale.

Dans sa convention sur l’égalité réelle, le parti socialiste propose la mise en place d’un bouclier rural. C’est ce vers quoi nous devons tendre. Il convient de faire en sorte que les services publics essentiels, dont fait bien évidemment partie la médecine généraliste, ne nécessitent pas un déplacement de plus de vingt minutes pour chaque citoyen. Les services des urgences et les maternités, quant à eux, ne doivent pas être situés respectivement à plus de trente minutes et de quarante-cinq minutes du domicile de nos concitoyens.

Plus qu’une politique de réconciliation avec les médecins, dont le métier est difficile et essentiel, c’est ce pacte républicain aujourd’hui urgent que nous devons engager avec nos concitoyens pour un égal accès aux soins pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert Tropeano applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de ces derniers mois, le Président de la République a rappelé que dans le domaine de la santé, après la réforme de l’hôpital, la priorité est la médecine libérale. Plusieurs déplacements ont été l’occasion pour lui de faire des annonces en faveur des médecins généralistes, mais le problème concerne tout autant les médecins spécialistes.

Débattre de la désertification médicale, c’est évoquer entre autres des problèmes géographiques, sociologiques. Deux défis majeurs doivent être relevés.

Le premier d’entre eux, que Jacques Blanc a largement évoqué tout à l’heure, consiste à enrayer la baisse du nombre de médecins.

M. Charles Revet. C’est indispensable !

M. Laurent Béteille. En 2009, on dénombrait 290 médecins pour 100 000 habitants. Or nous savons que la situation devrait se dégrader jusqu’en 2020, date à laquelle la densité de médecins aura retrouvé son niveau de 1980. Ce fait suppose une forte réaction.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Laurent Béteille. De surcroît, cette réduction touche plus fortement l’exercice libéral. Les départs en retraite non remplacés en sont l’illustration principale dans les départements. À cela s’ajoute la répartition inégale des effectifs sur le territoire, phénomène qui concerne non seulement la France profonde, mais également des départements proches de grandes villes. Ainsi, dans le sud de l’Essonne existent des zones non denses où ne restent plus que six médecins âgés de plus de cinquante-huit ans. D’ici à quelques années, la situation sera dramatique.

M. Charles Revet. Ce n’est pas un cas rare !

M. Laurent Béteille. Le second défi majeur est donc de rendre la médecine libérale plus attractive. L’exercice libéral a perdu de son attractivité en raison, notamment, de l’évolution de l’hôpital, qui offre le salariat et permet un travail en équipe sécurisant – Jacques Blanc l’a souligné à juste titre –, et de celle des attentes des médecins, qui aspirent dorénavant à travailler avec leurs confrères et de manière plus flexible.

Un médecin diplômé sur dix seulement fait aujourd’hui le choix de l’exercice libéral, chiffre qui doit retenir notre attention.

Certes, le numerus clausus des étudiants en médecine a augmenté –  insuffisamment, je n’y reviens pas –, mais nombre d’entre eux deviennent médecins conseils ou médecins du travail, et les femmes médecins choisissent de préférence des voies leur permettant d’avoir plus de temps pour élever leurs enfants, ce que personne ne songerait à leur reprocher.

De plus, les médecins font face à une bureaucratisation croissante – un généraliste consacrerait en moyenne 36 % de son temps de travail à des tâches administratives,…

M. Laurent Béteille. … ce qui est considérable –,…

M. Charles Revet. Et absurde !

M. Laurent Béteille. … à des contrôles permanents de la sécurité sociale, ainsi qu’à des horaires à rallonge.

À juste titre, les médecins ne veulent d’ailleurs plus assurer seuls des horaires de huit heures à vingt-deux heures, dans des endroits peu sûrs, avec parfois des cas lourds qui prennent plus de temps et les transforment en assistants sociaux.

Le médecin de famille tel qu’on le concevait autrefois n’existe quasiment plus.

Sur la base du rapport de Mme Élisabeth Hubert, ancienne ministre de la santé, le Président de la République a précisé, le 1er décembre dernier, son projet de réforme de la médecine de proximité et de la rémunération des généralistes libéraux.

L’idée n’est pas de revenir sur le paiement à l’acte, mais d’y ajouter des compléments en fonction de ce qu’il convient d’appeler « des contraintes ».

Le premier niveau de la rémunération resterait donc constitué par le paiement à l’acte, auquel s’ajouterait une part de rémunération forfaitaire qui financerait certaines activités, comme les permanences de garde dans les maisons médicales ou la « fonction de service public » que remplissent les médecins en s’installant dans les « déserts » médicaux.

Je crois sincèrement aux maisons de santé, notamment rurales, avec généralistes, infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, etc., pour remédier à la désertification médicale : avec leur potentiel de patients, elles pourraient constituer une amorce de nature à attirer d’autres médecins, tant généralistes que spécialistes.

L’institution d’un nouveau véhicule juridique adapté à la diversité des situations pour les pôles de santé regroupés me semble également un excellent objectif.

L’Essonne manque d’infirmiers – toute une zone dans le sud du département est même dépourvue de service de soins infirmiers à domicile – et, là également, il faut attendre six mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, ophtalmologiste ou gynécologue notamment. Ce n’est pas le record de la Bretagne, mais ce n’en est pas moins insupportable.

M. Charles Revet. Inacceptable !

M. Laurent Béteille. Le troisième niveau de la rémunération serait défini en fonction des objectifs de santé publique et de leur respect.

La dernière mesure que je citerai dans cette énumération non exhaustive est la création d’un guichet unique destiné à faciliter la création de ces pôles de santé avant le 1er juillet 2011 pour tous les professionnels de santé qui voudraient créer un pôle de santé avec les élus me paraît une excellente réponse à la demande forte de nos départements ou de nos cantons où persiste la désertification médicale.

Madame la secrétaire d'État, nous comptons sur vous pour apporter des solutions à nos concitoyens, qui attendent du Gouvernement une réaction à la hauteur de cette situation préoccupante. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, qui, grâce à Mme Nathalie Goulet, bénéficie de quelques minutes supplémentaires de temps de parole.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux d’abord remercier le groupe CRC-SPG d’avoir pris l’initiative de ce débat, et remercier ensuite ma collègue Nathalie Goulet d’avoir bien voulu me laisser une partie de son temps de parole.

Madame la secrétaire d'État, si j’ai souhaité disposer de quelques minutes supplémentaires, ce n’est pas pour parler du département de l’Eure, qui a le triste privilège d’être au dernier rang en matière de démographie médicale, mais pour dire avec toute ma conviction que nous ne réglerons pas le problème de la démographie médicale en restant dans l’incitatif.

Je suis – vous m’en voyez navré – en désaccord profond avec mon collègue et ami Jacques Blanc. Je ne suis pas, pour reprendre son expression, un « idéologue de gauche » (Sourires sur les travées du groupe socialiste), mais je ne crois pas du tout au succès de l’incitatif.

En cela, je partage l’avis du Président de la République, qui, en septembre 2007, disait : « En matière de démographie médicale, il faut s’inspirer au minimum des négociations entre l’assurance maladie et les infirmières, ces dernières ayant accepté de ne pas s’installer dans les zones où elles sont trop nombreuses. »

M. Hervé Maurey. Je ne partage pas, en revanche, l’avis du Président de la République, lorsque, voilà quelques semaines, il disait : « La coercition, ça ne marche jamais. »

M. Hervé Maurey. Ce qui ne « marche » pas, ce sont les mesures purement incitatives, comme des personnalités bien plus compétentes que moi l’ont constaté dans divers rapports. Il y a ainsi eu, voilà quelques années, le rapport de notre collègue Jean-Marc Juilhard, le rapport de Marc Bernier, député de l’UMP, à la suite de la mission présidée par Christian Paul, député socialiste, le rapport du Haut Conseil de l’assurance maladie, le rapport du Conseil national de l’Ordre…

M. Charles Revet. Cela fait beaucoup de rapports !

M. Hervé Maurey. Lors de l’examen, en 2009, du projet de loi HPST, j’avais déposé deux amendements que je tiens à rappeler, car je suis convaincu que, un jour, on viendra aux dispositions que j’avais alors proposées.

Le premier de ces amendements visait à prévoir que les médecins s’installant dans une zone où l’offre de soins est élevée ne bénéficieraient pas du remboursement de leurs honoraires, selon le modèle qui s’applique pour les infirmières.

Le second amendement, quant à lui, prévoyait que les jeunes diplômés s’installent, au minimum, trois ans dans une zone où l’offre de soins est déficitaire, disposition que je proposais de n’appliquer qu’à partir de 2017 pour laisser le temps aux mesures incitatives de faire, éventuellement, leurs preuves, cas dans lequel, naturellement, elle aurait perdu son objet.

Il est intéressant que ces deux amendements aient suscité des réactions caricaturales d’une incroyable violence, le rapporteur n’hésitant pas à dire que je voulais rétablir le STO et forcer les médecins à s’installer dans des « trous » !

M. Jacky Le Menn. Des « trous perdus »…

Mme Nathalie Goulet. Voilà qui est sympathique pour nos territoires…

M. Hervé Maurey. Il est également intéressant de rappeler par qui ces amendements, que j’avais souhaité maintenir  – ils ont recueilli très peu de voix –, ont été votés. Sur l’un d’eux, j’avais d'ailleurs demandé un scrutin public : le groupe CRC-SPG l’a voté en totalité ; quelques membres du RDSE et de l’Union centriste l’ont également voté ; en revanche, aucun sénateur de l’UMP, aucun sénateur socialiste n’a voté ces amendements qui étaient, semble-t-il, politiquement incorrects.

Aujourd’hui, ma conviction est intacte. Je reste convaincu que les mesures incitatives ne « marchent » pas et je donne rendez-vous à tous ceux qui le souhaitent dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans !

M. Jacques Blanc. D’accord !

M. Hervé Maurey. Je suis navrée que Mme Bachelot-Narquin ait mis entre parenthèses le dispositif « contrat santé solidarité ». C’était le seul élément un tant soit peu contraignant – très peu d’ailleurs – de la loi HPST, qui, je le dis avec beaucoup de gravité et de tristesse, n’aura aucun effet sur la démographie médicale.

Je suis convaincu, je le répète, qu’un gouvernement peut-être plus courageux que les autres – j’espère qu’il sera de droite plutôt que de gauche, mais peu importe en l’espèce – aura, un jour, le courage de prendre des mesures fortes en la matière.

M. Laurent Béteille. La contrainte ne marche pas non plus !

M. Hervé Maurey. Je trouve qu’il n’y a rien de choquant à demander à de jeunes diplômés, dont les études ont été financées par l’État, de rendre service à celui-ci en s’installant là où l’on a besoin d’eux pendant quelques années ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

M. Hervé Maurey. Il y a quantité de professions où cela se pratique déjà…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Professions honorables !

M. Hervé Maurey. … sans que cela choque qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi il en irait différemment pour les médecins.

Ce matin a eu lieu dans cet hémicycle un débat très intéressant sur la ruralité ; nous restons en plein dans ce sujet puisque Bruno Le Maire a considéré, en conclusion, que le problème numéro un de la ruralité était la démographie médicale.

M. Hervé Maurey. Je partage naturellement son avis et, parce que je le partage, j’espère que le Gouvernement ne jouera pas indéfiniment l’autruche en refusant de voir les choses telles qu’elles sont et qu’il prendra les mesures courageuses qui s’imposent. Il en va de la vitalité et, même, de la vie tout court de nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat tombe à point nommé puisqu’il me permet d’aborder le problème criant du secteur de la santé dans mon département, la Guyane. Je tiens donc à remercier le groupe CRC-SPG, qui est à l’origine de cette initiative.

Il est ici question de désertification médicale. En Guyane, malheureusement, nous avons dépassé ce stade : nous ne sommes pas dans un processus de déficit ou d’exode de médecins tout simplement parce que nous sommes déjà un désert médical !

Le diagnostic est sévère, et d’autant plus implacable que le département est confronté à une croissance démographique exceptionnelle, avec un taux de 3,9 %, soit le plus important de France et l’un des plus importants au monde, et qu’il détient des indicateurs de santé parmi les plus mauvais de France, pour ne pas dire les plus mauvais.

En effet, en Guyane, l’espérance de vie – soixante-dix-neuf ans pour les femmes, soixante-douze pour les hommes – est inférieure de quatre ans à celle de la métropole. Le taux de mortalité infantile est de 10,5 pour 1 000 naissances, au lieu de 4 pour 1 000 dans le reste de la France. Plusieurs pathologies – diabète, hypertension artérielle, sans oublier le virus de l’immunodéficience humaine, le VIH – y ont des prévalences plus élevées que dans le reste de la France. Le taux des maladies entériques, est important, surtout dans les communes de l’intérieur, ces maladies, telles que typhoïdes, gastro-entérites, diarrhées infectieuses, entraînant des retards de développement et des retards scolaires chez les enfants.

Cette situation sanitaire plus que dégradée nécessiterait une couverture sanitaire adaptée à des besoins croissants. Pourtant, force est de remarquer qu’en matière de démographie médicale la Guyane souffre toujours d’un déséquilibre important par rapport à la métropole. Le département est entièrement classé comme zone déficitaire en médecins libéraux, et la directrice de la caisse générale de sécurité sociale de Guyane n’a pas hésité à déclarer que le nombre de médecins était trois fois inférieur aux besoins.

La densité moyenne en médecins généralistes, médecins spécialistes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes et dentistes est plus qu’alarmante.

Selon les données de 2009, on compte, pour 100 000 habitants, 38 médecins généralistes en Guyane contre 112 en France métropolitaine et, respectivement, 83 et 82 en Martinique et en Guadeloupe ; 22 médecins spécialistes contre 88 en France métropolitaine et, respectivement, 48 et 60 en Martinique et en Guadeloupe ; 38 chirurgiens-dentistes contre 62 en France métropolitaine.

Encore faut-il préciser que les médecins généralistes et spécialistes ont, pour 30 % d’entre eux, entre 55 et 70 ans et qu’ils sont concentrés sur l’île de Cayenne et sur Kourou. Beaucoup de communes ayant déjà une densité inférieure à trois médecins généralistes par tranche de 5 000 habitants se trouvent ainsi très éloignées d’un service d’urgence.

La sonnette d’alarme a été maintes fois actionnée. Les propositions ne manquent pas. Elles ont largement été développées dans des rapports, avis et plans divers, tant locaux que nationaux – le rapport de Mme Hubert a été remis le 23 novembre 2010 au Président de la République – mais ce sont les mêmes mesures qui sont toujours avancées.

La Guyane doit être dotée d’une véritable politique volontariste d’incitation à l’installation de médecins libéraux. Certes, il y a eu des avancées, notamment en ce qui concerne le tarif de la consultation et l’installation de médecins étrangers, exception guyanaise en France, mais il est des demandes locales, telles que la zone franche médicale et la réduction de l’octroi de mer pour le matériel professionnel et technique afin de faciliter l’investissement des spécialistes, qui sont restées lettre morte.

L’accent doit être également mis sur la continuité territoriale, qui doit être renforcée. Dans un territoire aussi grand que le Portugal, avec de très fortes disparités territoriales et une fracture entre la bande littorale, assez bien équipée, et l’intérieur enclavé, c’est un point essentiel.

L’absence d’avion sanitaire dédié ou d’hélicoptère pour la sécurité civile pose, autant que l’isolement de certaines populations, un problème majeur en matière d’égalité d’accès aux soins.

Certaines communes sont particulièrement démunies en infrastructures. Les délais d’intervention sont extrêmement longs. Les systèmes de communication en cas d’alerte restent insuffisants.

Je rappelle que le dispositif d’aide aux transports aériens et la définition des critères d’octroi constituent l’un des objectifs du plan « santé outre-mer ». Or, à ce jour, aucune initiative n’a été communiquée. C’est pourtant un élément crucial au titre de la continuité territoriale afin de réduire les importantes charges de transport des établissements.

Par ailleurs, de réels moyens financiers doivent être garantis pour améliorer la couverture sanitaire en équipements technologiques de pointe. Il est navrant de constater que, dans le plan Hôpital 2012, seuls 2,2 % de l’enveloppe globale sont consacrés aux outre-mer.

Une autre mesure essentielle est le renforcement de la formation et son adaptation aux spécificités du département.

À ce sujet, la demande d’augmentation du numerus clausus par les outre-mer n’a été que partiellement entendue puisque, pour la rentrée universitaire 2010-2011, seulement trois places de plus ont été prévues pour l’université d’Antilles-Guyane.

La faculté de médecine d’Antilles-Guyane, créée en 1988, ne dispose, quant à elle, à l’heure actuelle que de vingt-trois personnels hospitalo-universitaires.

Sans une accélération du nombre de créations de postes, cette faculté ne parviendra au niveau du CHU de Limoges que dans soixante ans ! Pourtant, celui-ci est le moins pourvu de France après le CHU d’Antilles-Guyane !

Pour l’heure, nous sommes donc très loin des promesses du conseil interministériel de l’outre-mer, ou CIOM, du 6 novembre 2008, qui prévoyait la création d’un cursus complet des études médicales aux Antilles-Guyane et souhaitait, notamment pour la Guyane, faire de la santé une activité de pointe.

Une fois de plus, ces très bonnes intentions sont encore loin de la réalité.

Madame la secrétaire d’État, l’égalité devant les soins ne serait-elle qu’un vœu pieux ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG ainsi que sur plusieurs travées de l’UMP  – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)