M. Jean-Pierre Raffarin. C’est exact !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. … alors qu’ils sont bien diserts, aujourd’hui, dans notre Haute Assemblée.

Au demeurant, il est incohérent de préconiser la non-ingérence en Côte d’Ivoire et d’exiger l’inverse en Tunisie. (M. le ministre chargé de la coopération fait un signe d’assentiment.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Le président du Sénat, et c’est à son honneur, a su exprimer quand il le fallait notre condamnation des atteintes aux droits de l’homme. Nous devons tous souhaiter que la Tunisie connaisse le retour à la paix civile et puisse établir, dans le calme et l’ordre, un régime démocratique et pluraliste respectueux des libertés publiques, conformément aux vœux de sa population. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La France doit se tenir au côté du peuple tunisien pour l’aider dans sa marche vers le renouveau. Elle doit continuer à soutenir le développement de la Tunisie. Les liens puissants que nos deux pays ont tissés de part et d’autre de la Méditerranée doivent encore être renforcés à l’avenir.

M. Jean-Louis Carrère. Rohan au Gouvernement !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Un autre sujet de préoccupation tient à la situation au Soudan, pays d’Afrique qui va cristalliser tous les dangers dans les mois à venir. La partition du pays, même si elle est officiellement acceptée par le Nord, peut conduire à des affrontements indirects d’origine ethnique. Le partage des ressources pétrolières, qui n’a pas été réalisé, représente une source potentielle de conflit. L’embrasement de cette partie de l’Afrique pourrait se propager aux pays voisins, le Tchad, le Kenya et l’Ouganda. Nous aimerions connaître les moyens que le ministère des affaires étrangères envisage pour assurer la stabilité dans cette région, stabilité qui est indispensable au maintien de la paix sur le continent africain.

J’en viens à notre politique en Afghanistan. Sur diverses travées de cette assemblée, certains considèrent que le Parlement est mal informé sur les objectifs que nous poursuivons, sur la stratégie et sur la conduite des opérations. Je crois, pour ma part, que nous disposons de très nombreuses informations et que la stratégie est clairement affichée. Je voudrais néanmoins faire une suggestion : à l’instar de ce que font un certain nombre de gouvernements, en Allemagne ou au Canada par exemple, ne pourrait-on pas envisager la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur les progrès de notre stratégie et sur son application par la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, et par le gouvernement afghan ?

Ce rapport donnerait lieu à un débat parlementaire sur une question vitale pour notre sécurité, qui engage notre pays et la vie de nos soldats, lesquels paient un lourd tribut. Nous avons, sur ce sujet, besoin du soutien de nos opinions publiques, lequel passe par une information et par un débat régulier devant la représentation nationale.

Quels sont nos objectifs en Afghanistan ? J’en vois trois principaux.

En premier lieu, il faut éviter que ce pays ne redevienne une base pour le terrorisme international, c’est-à-dire mener à son terme l’éradication d’Al-Qaïda.

En deuxième lieu, il faut contribuer à l’établissement d’un Afghanistan durablement sécurisé et stable, c’est-à-dire continuer à lutter contre les réseaux talibans, en particulier la mouvance Haqqani.

En dernier lieu, il faut stabiliser le Pakistan.

Quels sont les moyens envisagés pour atteindre ces objectifs ? Depuis la réunion de l’OTAN à Bucarest, en 2008, la stratégie porte un nom : « l’afghanisation ». Cette stratégie globale, dont la formulation doit beaucoup à la France, consiste à aider les Afghans à prendre progressivement en charge leur propre sécurité et à construire un État.

D’un point de vue militaire, la méthode employée doit également beaucoup à notre pensée stratégique : c’est la stratégie de la contre-insurrection.

La récente réunion de l’OTAN à Lisbonne, les 19 et 20 novembre derniers, a fixé une date pour mener à bien le processus de transition ouvert par les engagements pris lors des conférences de Londres et de Kaboul, en 2010 : « À l’horizon fin 2014, les forces afghanes endosseront pleinement la responsabilité de la sécurité dans l’ensemble de l’Afghanistan. » La déclaration de l’OTAN indique de la manière la plus expresse que « la transition sera soumise au respect de conditions, pas d’un calendrier, et elle n’équivaudra pas à un retrait des troupes de la FIAS ».

Cette transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n’intervient pas. Il me paraît évident qu’il n’y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme le soulignent nos amis Allemands, et qu’il n’y aura pas non plus de réintégration réussie sans réconciliation véritable. Lors de la conférence de Kaboul, nous avons fixé trois conditions à cette réintégration : la renonciation à la violence, le rejet du terrorisme et la reconnaissance du cadre constitutionnel.

La France, comme les autres pays membres de la coalition, s’inscrit dans ce contexte de transition qui aboutira, nous l’espérons, à la transformation de notre engagement, au-delà de 2014, vers des missions d’assistance civile. Mais ne nous faisons pas d’illusions : même si la transition est une réussite, notre engagement est un engagement de long terme, qui supposera une présence résiduelle de la coalition au-delà de 2014 et la poursuite du soutien économique et financier du pays. Cela a été, du reste, très clairement énoncé par le Président de la République quand il a indiqué que la France restera en Afghanistan, aux côtés de ses alliés, aussi longtemps qu’il le faudra. Fixer des échéances de retrait proches et contraignantes ne peut qu’encourager l’adversaire à gagner du temps en attendant notre départ.

Pour les années à venir, la priorité doit donc être de faire porter l’effort sur la formation et la montée en puissance des forces de sécurité afghanes – armée nationale, police et gendarmerie – afin qu’elles soient, avec la justice, en mesure de prendre en charge la sécurité du peuple afghan.

La qualité opérationnelle des forces de sécurité est évidemment la condition d’un transfert durable et irréversible. Ce transfert devra se faire sur la base de critères sécuritaires, mais aussi de gouvernance et, bien sûr, en tenant compte des conditions sur le terrain. Le président Karzaï devrait annoncer, en mars 2011, la liste des districts et des provinces qui feront l’objet d’une prise en charge par les forces de sécurité afghanes. Le même mois, la Ministérielle de l’OTAN devrait valider cette liste tandis que la conférence prévue en Allemagne en novembre 2011 entérinerait les premiers transferts.

La gouvernance est un aspect particulièrement important pour s’assurer du caractère durable des transferts, donc de la pérennité des efforts que nous consentons. La construction d’un État en Afghanistan est un véritable défi puisque, historiquement parlant, ce pays n’a jamais connu d’autorité centrale. La première perception de l’autorité par les Afghans, la plus importante, dirai-je, est à l’échelle locale, d’où l’importance de la coopération aux niveaux décentralisés.

Nous ne pouvons que déplorer vivement le manque de volonté politique du gouvernement afghan et du président Karzaï lui-même pour lutter contre la corruption. Ce mal endémique s’inscrit dans l’histoire et dans les mœurs, mais lorsque l’on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani s’est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du gouvernement central considérée, à juste titre, comme prédatrice, l’on comprend l’importance de la lutte contre la corruption. Nos alliés et nous-mêmes devons faire pression sur le président Karzaï pour que des progrès significatifs interviennent dans ce domaine.

Un Afghanistan pacifié ne peut exister sans un Pakistan stable. La solution de la question afghane passe par un indiscutable renforcement du dialogue régional. Nous ne pouvons qu’être préoccupés par la fragilité du gouvernement pakistanais, par la montée en puissance de l’extrémisme islamiste, comme on l’a vu récemment avec l’assassinat du gouverneur du Pendjab, et par l’ambiguïté – tout le monde aura compris que c’est un euphémisme – de l’armée pakistanaise et de ses services de renseignement envers les talibans, en particulier le réseau Haqqani.

Il me paraît évident que l’on doive faire porter plus d’efforts sur la lutte contre ce mouvement, qui a connu depuis quelques années une radicalisation idéologique très préoccupante l’ayant beaucoup rapproché d’Al-Qaïda. C’est notre adversaire le plus résilient, la force la mieux entraînée et le réseau le plus sophistiqué que nous ayons à combattre. Sa radicalisation lui assure à la fois de très importants financements provenant des milieux arabes extrémistes et un apport de combattants étrangers, qui lui permettent une régénération rapide de ses forces, en dépit des coups sévères que nous lui portons.

Il faut accentuer nos pressions sur les pays arabes pour limiter, voire supprimer, ces sources de financement. Il faut également accentuer la pression sur le Pakistan afin qu’il cesse de soutenir des mouvements armés qui luttent contre les forces de la coalition. L’importance de l’aide qui est apportée à ce pays devrait permettre d’imposer un certain nombre de conditions.

Toutefois, cela n’exonère pas les autres puissances régionales de contribuer, elles aussi, à la stabilité de la zone et à la lutte contre l’islamisme radical. Les pays voisins de l’Afghanistan ont une responsabilité majeure et nous ne pouvons nous satisfaire de la non-implication, ou de l’implication insuffisante, de pays comme l’Inde, la Chine, les républiques d’Asie centrale et, bien sûr, l’Iran. Cela doit être clair : en 2014, ces pays devront s’impliquer dans le dossier et veiller à ce que l’Afghanistan ne soit pas un foyer de troubles permanents, et ce dans leur intérêt bien compris. Nous ne mènerons pas éternellement une guerre en Afghanistan par procuration pour le compte de pays qui refusent de prendre leurs responsabilités.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. La stratégie mise en œuvre est-elle un succès ? Militairement parlant, la coalition a enregistré des résultats importants, en particulier dans le sud du pays. Pourtant, l’insécurité a augmenté ailleurs et, surtout, l’appréhension par la population des progrès réalisés n’est pas suffisamment positive pour enclencher un cercle vertueux. Il n’y aura pas d’amélioration définitive de la situation sécuritaire sans des progrès majeurs du processus de réconciliation, sans une lutte efficace contre la corruption et sans une action déterminée du Pakistan contre ceux des talibans qui se battent contre la coalition et le gouvernement afghan.

Pour conclure sur ce point, la politique que nous menons en Afghanistan me paraît cohérente. Nous défendons dans ce pays des intérêts directs, car la menace est bien identifiée. Notre action s’appuie sur une stratégie clairement énoncée par nous-mêmes comme par nos alliés. Notre commission a pris l’initiative de proposer à nos partenaires britanniques la création d’un groupe parlementaire de suivi de la coopération entre nos deux pays. L’un des thèmes que nous avons retenus pour cette année est précisément le processus de transition. Nous nous rendrons une nouvelle fois en Afghanistan dans le cours de l’année 2011 pour mieux juger de la situation et de la mise en œuvre de notre stratégie sur le terrain, je l’espère avec nos amis Britanniques.

Le dernier point de mon intervention sera consacré à la politique européenne de sécurité et de défense, qui, depuis l’impulsion donnée par la présidence française, marque le pas. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, ne pas avancer, c’est reculer.

L’année 2010 a été une année d’effacement pour l’Europe. Je ne prendrai que deux exemples à cet égard.

Premier exemple, l’Union européenne est plus inexistante que jamais dans le cadre des négociations au Moyen-Orient. L’Europe paie, mais ne décide de rien. Son influence est presque nulle et sa crédibilité auprès des autorités palestiniennes est en chute libre. Nous ne sommes certes pas les seuls à ne pas avoir d’influence, puisque les États-Unis eux-mêmes ne sont pas entendus par le gouvernement israélien, qui, pour maintenir sa fragile coalition, donne de plus en plus de gages à ses extrémistes : exigence de la reconnaissance d’un État juif, poursuite de la colonisation, intégration dans l’armée des ultra-orthodoxes…

Or, il est évident pour chacun que cette radicalisation et l’absence de toute perspective d’avancées exacerbent les tensions, favorisent les manipulations et les stratégies du pire des extrémismes en Israël, mais aussi en Iran et parmi ses affidés du Hezbollah et du Hamas, et poussent les populations au désespoir. La persistance de ce conflit et du soutien explicite que constitue notre impuissance autorise toute les déformations et renvoie une image extrêmement négative de l’Occident aux masses musulmanes. Nous en subissons les conséquences au Pakistan, en Afghanistan et ailleurs. Et que fait l’Europe face à ce constat ? Elle s’en tient à des déclarations qui rappellent le caractère illégal de la situation au regard du droit international.

Second exemple, à l’ONU, l’Union européenne, et à travers elle chacun des États membres, a connu un grave échec politique le 14 septembre dernier. Cet échec va rendre encore plus difficile l’obtention d’un statut spécifique pour l’Union européenne dans l’ensemble du système des Nations unies. Il a une claire signification : l’Union européenne, premier contributeur au budget de l’ONU – à hauteur de 40 % –, premier donateur d’aide au développement, n’est pas perçue comme une puissance et ne suscite pas le respect. Si la faiblesse du poids politique de l’Europe et de ses principaux représentants n’est pas une nouveauté, le vote de l’assemblée générale la révèle de manière particulièrement crue.

L’Europe est-elle seulement une impuissance, le « petit cap du continent asiatique » dont parlait Paul Valéry, ou pouvons-nous ambitionner pour elle un autre destin ? Nous avons un impératif : instaurer une politique extérieure européenne plus affirmée. Or nous nous débattons dans de difficiles négociations pour mettre en place le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE, et aboutir à un minimum de coordination des politiques des différents États membres.

En ce qui concerne la défense européenne, nous saluons la détermination de la présidence polonaise, qui a fait de cette question l’une de ses priorités. La défense de l’Europe ne semble plus intéresser l’opinion, ni les parlements des États membres. La disparition de l’Assemblée parlementaire de l’Union de l’Europe occidentale, l’UEO, dans l’indifférence générale, est significative à cet égard.

Pendant ce temps, crise économique aidant, l’Europe continue de désarmer. La plupart de nos partenaires, hormis la Grande-Bretagne, semblent démissionner et se réfugient sous le parapluie de l’OTAN. Jusqu’à quand cette situation pourra-t-elle durer ? Devons-nous attendre un retrait des États-Unis et le refus du peuple américain de porter à lui seul le fardeau de la défense pour qu’une réaction se produise ? Ne sera-t-il pas alors trop tard ?

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’accord conclu entre la France et le Royaume-Uni pour développer leur coopération de défense. Le texte des traités devra être soumis au Parlement, et cela nous donnera l’occasion d’évoquer les questions de défense européenne.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si cette coopération doit montrer l’exemple, si elle est l’un des seuls événements positifs pour la défense européenne, nous espérons qu’elle pourra avoir aussi un effet d’entraînement sur les autres pays européens. C’est en tout cas, me semble-t-il, la volonté de la France.

Dans son excellent livre au titre qui interpelle, Jean-Pierre Chevènement pose la question de savoir si la France est finie. Il nous propose « d’organiser la résilience de l’Europe », qu’il définit comme un espace de civilisation, et préconise la convergence inévitable des projets nationaux et la défense du modèle démocratique comme un objectif pour l’Europe.

Je suis d’accord avec lui. La France ne disparaîtra pas au xxie siècle. Elle doit continuer à être, dans tous les domaines, innovatrice, audacieuse, résolue à faire entendre sa voix pour défendre non seulement les valeurs auxquelles elle est attachée, mais aussi ses intérêts légitimes. Loyale à ses alliés, elle ne doit se laisser dicter aucune politique qu’elle n’ait approuvée, aucun engagement auquel elle n’aurait souscrit. La France n’est pas finie. Elle reste dans l’histoire, bien décidée à la faire et non à la subir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)

MM. Jean-Pierre Plancade et Jean-Louis Carrère. Très bien !

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « l’histoire va le plus souvent lentement », disait François Mitterrand, s’adressant au corps diplomatique en 1984. Le Président de la République d’alors faisait le constat de la course aux armements, des guerres qui durent, de celles qui éclatent et du sous-développement persistant.

Aujourd’hui, nous pourrions, hélas ! dresser le même tableau. Peu de continents sont épargnés par les conflits, les guerres civiles ou les violences politiques, que subissent notamment l’Afghanistan, comme vient de le rappeler M. le président de la commission, l’Irak, la Côte d’Ivoire, Israël, la Palestine, la Corée du Nord. J’évoquerai également le Maghreb tout à l’heure.

D’un bout à l’autre de la planète, on ne peut que déplorer les drames, les tensions et surtout les victimes. Quant aux pays en paix, ils se voient tragiquement rappeler, par les actes terroristes qui les frappent, que l’ordre du monde demeure une utopie.

Cependant, quelles que soient les difficultés, la politique étrangère doit ignorer la résignation. C’est le sens de l’engagement de notre pays sur la scène internationale. La France participe à de nombreuses opérations de maintien de la paix : plus de 12 000 militaires français sont déployés actuellement sur des théâtres extérieurs. Un tiers d’entre eux sont stationnés en Afghanistan.

Malheureusement, le 9 janvier dernier, nous avons perdu un sous-officier, ce qui porte à cinquante-trois le nombre de militaires tués depuis le début de l’intervention en 2001.

La France, avec ses alliés, a fait le choix d’aider l’Afghanistan à retrouver la paix. Il y a dix ans, l’ONU a confié une feuille de route à la coalition internationale. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

La zone reste meurtrière, l’actualité illustre trop souvent ce fait : 2 170 soldats étrangers ont été tués depuis 2001, et des milliers de civils assassinés lors d’attentats. Les institutions ne sont pas encore stabilisées : l’État a du mal à s’imposer dans une société foncièrement tribale, sans parler de la corruption et des autres maux.

Même si l’on observe des progrès, l’Afghanistan n’est à ce jour pas encore suffisamment sécurisé. Il faut espérer que, d’ici à 2014, échéance qu’a rappelée M. le président de la commission, les conditions soient réunies pour que les forces afghanes prennent leur destin en main.

Des signes d’espoir apparaissent néanmoins. Plusieurs d’entre nous, y compris moi-même voilà quelques mois, ont pu se rendre compte du travail réalisé sur le terrain par les officiers et cadres, notamment français, auprès des forces afghanes en cours de constitution. Ce travail porte ses fruits et mérite d’être souligné.

Sur le plan politique, il faudra que le dialogue entre Afghans soit renoué, mais aussi que certains pays revoient leur attitude – je pense en particulier au Pakistan. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit tout à l’heure.

En attendant, dans un contexte qui suscite souvent beaucoup d’émotion jusque sur notre propre territoire, il est important que la France rappelle régulièrement ce qui justifie son engagement dans la région.

En effet, les démocraties sont prêtes à payer le prix de la paix si l’emploi de la force s’accompagne d’une stratégie claire et responsable à l’égard non seulement de l’opinion publique, mais aussi du camp d’en face : il est important de ne pas laisser s’installer l’idée d’un enlisement du conflit.

Nous devons donc rappeler toutes les priorités que la coalition a définies pour ce pays, mais aussi réaffirmer notre stratégie plus globale, qui est celle de la lutte contre le terrorisme. Même s’il s’avère long et coûteux en vies humaines, ce combat est l’un de nos plus grands défis. Nous avons l’obligation, à l’égard des générations futures, de débarrasser le monde de ce fléau, dont les méthodes barbares ont fait deux nouvelles victimes au Niger, le 9 janvier dernier.

Hier, des familles françaises ont enterré leurs enfants, parce qu’à des milliers de kilomètres se répand dans la région sahélo-saharienne un terrorisme transfrontalier dirigé par AQMI, qu’il sera difficile d’éradiquer en raison de son caractère diffus et transnational.

C’est la raison pour laquelle nous devons avoir une attitude ferme et déterminée contre cette forme de terrorisme. C’est le choix qu’a fait la France en décidant, avec les autorités nigériennes, de ne pas laisser partir les terroristes avec deux nouveaux otages français. Le dénouement de cette opération a été tragique. Pour autant, quelle autre réponse pouvions-nous apporter ? Nous savons qu’il n’y a aucune discussion possible avec ces organisations criminelles, dont les exigences ne sont compatibles ni avec notre vision de la démocratie ni avec nos valeurs.

Il me semble donc souhaitable de continuer à afficher cette fermeté, qui finira un jour, nous l’espérons tous, par payer.

Nous devons également développer dans cette région la coopération avec les pays concernés contre cette forme de terrorisme, laquelle est distincte, nous le savons bien, de la réalité afghane que nous évoquions tout à l’heure.

Nous connaissons bien les implications de ce terrorisme, qui s’apparente à une forme de criminalité, de banditisme, avec des trafics massifs de stupéfiants provenant du continent sud-américain et à destination de nos contrées. Cet enjeu dépasse la situation tragique des pays concernés.

Parallèlement à la lutte contre cette forme de terrorisme, qui doit nous mobiliser entièrement, il convient de soutenir ces États et de développer des relations bilatérales avec eux. Il est vrai que certaines situations sont de véritables crève-cœurs. Nombre d’entre nous ont noué depuis longtemps, et à différents titres, des rapports avec les pays subsahariens, par exemple le Niger et le Mali. Or, après des décennies au cours desquelles ceux-ci ont accompli de réels progrès en termes de développement, notamment grâce à des coopérations décentralisées fructueuses entre États, ils sont aujourd’hui gravement déstabilisés par ces actions.

L’enjeu va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme : il s’agit également de permettre à ces pays, dont certains, je le répète, font de gros efforts depuis longtemps, de retrouver le chemin du développement dans une région aussi stratégique et chère à nos cœurs.

C’est dans cet esprit, notamment, que la France a toujours dialogué avec les pays du Maghreb, mais cette position ne doit pas nous aveugler. Les événements qui viennent de se dérouler en Tunisie démontrent que les Tunisiens avaient atteint une maturité démocratique en décalage avec le régime du président Ben Ali.

Il faut bien le dire, la France a manqué de clairvoyance, même s’il est assez facile de commenter a posteriori la diplomatie française à l’égard de ces pays, comme l’a d’ailleurs rappelé le président de la commission tout à l’heure.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi, je ne l’ai pas fait a posteriori !

M. Jean-Marie Bockel. Chacun peut balayer devant sa porte : dans la période actuelle, sachons faire preuve de lucidité et d’humilité. Certes, nous avons avec ces pays un passé commun qui peut souvent nous inciter à la prudence, mais, dans le même temps, nous ne devons pas rester à l’écart des événements qui sont en train de se produire.

Je pense évidemment aux espérances suscitées en Tunisie par la perspective d’élections dans quelques semaines ou dans quelques mois, et, il faut bien le dire, aux espoirs nés dans les pays alentour, au Maghreb et dans le monde arabe.

Cette réalité va au-delà des petits « ratés » de la période récente auxquels je viens de faire allusion et qui nous sont préjudiciables. Mais ne nous y arrêtons pas, et jouons le rôle qui doit être le nôtre dans le contexte actuel ! Je pense par exemple, dans cette nouvelle donne, à la possibilité de réactualiser le concept d’Union pour la Méditerranée, qui tarde à trouver sa place.

Voilà les réflexions que je tenais à formuler : elles s’articulent autour de la démocratie, de la sécurité et du développement, valeurs à partager autour de la Mare nostrum.

Pour conclure, nous devons, au cours de cette période, même si des risques et des dangers existent, considérer la situation avec espoir et engagement, sans sombrer dans l’angélisme. Quand on voit la mobilisation de la jeunesse africaine et maghrébine, notamment dans les rues d’Alger, du Caire ou d’Amman, il apparaît clairement que nous devons relever ensemble ces défis, bien évidemment dans le respect de ces pays.

Mes chers collègues, après ce tour d’horizon, je pourrais évoquer beaucoup d’autres sujets, comme la situation en Côte d’Ivoire, l’Afrique noire, la Françafrique.

M. Jean-Louis Carrère. Cela ne nous porte pas chance !

M. Jean-Marie Bockel. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je dirai juste que je suis naturellement en phase, comme, je le crois, la plupart d’entre nous, avec la position de la communauté internationale en faveur d’Alassane Ouattara.

Il faut continuer à faire pression pour que le vote des Ivoiriens soit respecté. Ce n’est pas parce que l’apparition d’autres tensions a mis pendant quelques semaines ce problème au second plan – c’est la loi de l’actualité – que nous ne devons pas maintenir la pression afin que ce pays ne sombre pas au mieux dans la léthargie, au pire dans le chaos ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de politique étrangère intervient à un moment où l’actualité est marquée par une série d’événements dramatiques qui concernent directement notre pays et nous touchent profondément.

En Tunisie, tout d’abord, face à la répression meurtrière d’un mouvement pour la justice sociale et la démocratie, le Gouvernement a été, jusqu’à la chute de Ben Ali, silencieux et complaisant, Mme le ministre des affaires étrangères allant même – honteusement, il faut le dire – jusqu’à proposer notre savoir-faire en matière de maintien de l’ordre, ce dont, comme le souhaite notre groupe, elle devrait aujourd’hui tirer toutes les conséquences.

Au nom du pragmatisme sans principes de votre realpolitik, et au prétexte que ce pouvoir policier corrompu protégeait, paraît-il, le pays de l’islamisme, vous avez cyniquement refusé de voir la véritable nature de ce régime.

Alors que, près de quatre ans plus tôt, le Président de la République se voulait, dans son discours suivant l’annonce de son élection, le président des droits de l’homme, il est resté silencieux quand les Tunisiens criaient chaque jour leur révolte contre le chômage de masse, l’étouffement des libertés publiques, la corruption ou encore l’accaparement de l’économie tunisienne par la famille du président Ben Ali.

Aujourd’hui, surpris par la tournure inattendue des événements, le Gouvernement essaie de se racheter en déclarant qu’on aurait sous-estimé la gravité de la situation.

J’ose vous dire, monsieur le ministre, que si on avait davantage écouté les nombreux parlementaires, plutôt de gauche, il est vrai, qui entretiennent des contacts étroits avec les forces progressistes tunisiennes et qui n’ont pas manqué de vous alerter sur la situation – je pense en particulier à la présidente de notre groupe, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat –, nous n’en serions peut-être pas là !

J’espère, monsieur le ministre, que les toutes dernières déclarations de soutien au processus démocratique engagé en Tunisie n’arriveront pas trop tard pour corriger cette erreur politique et cette faute morale envers le peuple tunisien.

Plus largement, ce qui se passe en Tunisie, mais aussi, peut-être, la situation en Algérie, sont des révélateurs de l’échec de la politique d’association de l’Union européenne avec les pays du Sud.

Permettez-moi de rappeler que la Tunisie, avec sa stricte application des plans d’ajustement du FMI et la libéralisation de son économie à marche forcée, était présentée par Bruxelles comme un modèle en matière de développement. L’Union européenne doit désormais tirer toutes les leçons de son échec et engager une autre politique de coopération et d’association avec les pays du Sud.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est un mouvement puissant qui s’est levé et qui a, par la force populaire, chassé une dictature. La France doit soutenir sans réserve les aspirations sociales et démocratiques exprimées, à travers ces événements, par le peuple tunisien. Elle doit tout faire pour que le processus démocratique engagé aille jusqu’à son terme, avec la participation de l’ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes, y compris la jeunesse, qui – nous l’avons vu – a joué un très grand rôle.

L’actualité, c’est aussi la mort tragique de deux jeunes Français enlevés la semaine dernière au Niger. Ce drame éclaire d’un jour particulier notre débat de cet après-midi, et je voudrais, de nouveau, m’associer ici à la douleur des familles, comme j’ai pu le faire, hier encore, à l’occasion des funérailles d’Antoine et de Vincent, au cours d’une cérémonie empreinte d’une très grande dignité. Les causes et les conséquences de ce triste événement nous invitent aussi, monsieur le ministre, à nous interroger sur les grandes orientations de la politique que vous menez, sous la conduite du Président de la République. Car tout se tient, et votre politique possède sa propre cohérence.

Lorsque des bandits et un groupe terroriste s’en prennent à de jeunes Français innocents en Afrique subsaharienne, ce n’est probablement pas par hasard ; cet acte a une signification : il s’agit clairement d’un combat contre ce que représentent notre pays, son image, mais aussi ses intérêts.

À travers ces crimes, nous payons le prix de l’image dégradée qu’offre notre pays depuis quelques années. En effet, bien que la France soit membre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous devons admettre que, sur le plan économique, nous ne sommes plus une grande puissance. Dès lors, il ne nous reste que notre politique étrangère, ce qu’on peut appeler une politique d’influence, pour promouvoir nos valeurs et défendre les intérêts de notre pays et de notre peuple au niveau international.

Mais comment, et dans quel sens, peser pour exercer de nouveau efficacement cette politique d’influence que Mme la ministre d’État appelle de ses vœux, alors que l’action du Président de la République est principalement guidée par son alignement atlantiste ? La dégradation de l’image singulière qu’avait notre pays dans le monde est en grande partie due au renoncement à une réflexion autonome en matière de politique étrangère, mais aussi de défense et de stratégie.

Je crois, par exemple, que la façon dont nous prétendons mener la lutte contre diverses formes de terrorisme est une illustration concrète de notre suivisme à l’égard de certains aspects de la politique américaine. L’analyse que nous faisons de cette question a évidemment des conséquences sur notre politique étrangère. Celle-ci est fortement imprégnée des thèses américaines qui définissent un nouvel « arc de crise » mondial allant de la Mauritanie à l’Afghanistan, en passant par le milieu de l’Afrique. Cette vision se retrouve, d’ailleurs, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a fixé les grandes orientations stratégiques de notre pays.

Confrontés, dans cette région, à des actes terroristes qui nous visent directement, à travers nos compatriotes et nos intérêts économiques, nous risquons pourtant de tomber dans un piège. Il me semble donc légitime de vous demander quelle est désormais la stratégie du Gouvernement et du Président de la République pour assurer la sécurité de nos compatriotes à l’étranger et lutter contre les prises d’otages, car donner la priorité aux actions militaires, comme cela a été le cas ces derniers temps, ne me paraît pas être la bonne manière de répondre à ces menaces. L’échec de l’opération de libération des otages suscite des interrogations légitimes, nul doute que les enquêtes aideront à y répondre.

Mais, plus fondamentalement, je crois que le renforcement de notre implication militaire et de notre dispositif dans ces pays ne fait qu’aggraver la situation à notre détriment et contribue à accentuer le ressentiment des populations à notre encontre entretenu par AQMI, la branche d’Al-Qaïda dans cette partie du monde. Il faut donc soutenir les États faibles de cette région, en privilégiant l’aide à leur développement, et refuser l’engrenage militaire dans lequel nos ennemis souhaitent nous entraîner.

C’est la raison pour laquelle il convient d’accueillir favorablement l’annonce faite par Mme Ashton du lancement d’un programme spécifique d’aide aux pays du Sahel. Si la France est aujourd’hui particulièrement visée par de tels groupes, c’est moins à cause de la politique coloniale que nous avons menée dans cette région qu’en raison de l’image que nous donnons souvent à l’étranger, celle d’un pays dont la politique étrangère est alignée sur la conception américaine de défense des intérêts du monde occidental.

Au Sahel, nous payons aussi le prix de la guerre que nous menons en Afghanistan au sein d’une coalition dirigée par les États-Unis. Nous sommes aujourd’hui engagés dans un conflit qui, au bout de dix ans, a changé de nature, d’objectif et de stratégie, stratégie sur laquelle – il faut bien l’avouer – nous n’exerçons du reste qu’une influence marginale. Un ancien directeur du Collège interarmées de défense a même pu écrire qu’il s’agissait d’une guerre américaine.

Maintenir nos troupes dans un conflit qui n’est plus le nôtre, est-ce là aussi le prix de notre retour dans le commandement militaire de l’OTAN ? Quand bien même nous savons qu’il n’existe pas de solution militaire pour résoudre les problèmes de l’Afghanistan, que, dans le même temps, la situation sécuritaire se dégrade, qu’un État digne de ce nom n’existe toujours pas et que le développement du pays semble, dans ces conditions, être utopique, nous persistons à suivre la voie tracée par les États-Unis !

En effet, alors même que l’année 2010 a été la plus meurtrière pour la coalition, et que nos troupes, auxquelles je rends hommage, ont payé un très lourd tribut, avec vingt-deux soldats français morts cette seule année, le Président de la République, dans ses vœux aux armées, a annoncé qu’elles seraient de nouveau « très sollicitées » en 2011.

Décidément, comme nous vous le demandons depuis longtemps avec nos collègues socialistes, il est maintenant impératif que le Parlement se prononce enfin par un vote sur les raisons et l’opportunité de poursuivre notre engagement militaire en Afghanistan. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.)

La France devrait être à l’origine de prises de position et d’initiatives fortes. En concertation avec d’autres membres de la coalition, il faudrait, par exemple, avoir le courage de dire que cette stratégie n’est pas la bonne, et nous désengager militairement d’un conflit dont les raisons ne sont plus les mêmes qu’initialement. Prévoyons un retrait progressif, mais rapproché dans le temps, de nos forces, ce qui permettrait de faire pression sur le gouvernement Karzaï pour qu’il mette maintenant rapidement en place, s’il en a vraiment la volonté, les outils permettant le développement du pays.

Enfin, et cela concerne directement les affaires étrangères, la France devrait inciter les États de la région à prendre, ensemble, leurs responsabilités pour aider à résoudre ce conflit.

Je sais que j’ai dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais, avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais aborder un autre point important, la situation israélo-palestinienne.