M. Jean-Pierre Chevènement. Depuis le traité de Maastricht, la France a renoncé à sa souveraineté monétaire. On en voit aujourd’hui le résultat : l’euro fort convient à l’Allemagne du fait de sa spécialisation économique ; il convient beaucoup moins à la France, dont la croissance s’en trouve ralentie, le chômage maintenu à un niveau proche de 10 % et le commerce extérieur en déficit structurel : plus de 50 milliards d’euros en 2010.

Au prétexte que la zone euro est fragile, rassemblant dix-sept pays économiquement et politiquement hétérogènes – il eût fallu s’aviser plus tôt de ce vice de conception initial ! – le Gouvernement propose aujourd’hui au Parlement de renoncer à la souveraineté budgétaire de la France, à travers un document intitulé Programme de stabilité de la France 2011-2014.

Ce document ne fait qu’anticiper les engagements du « Pacte de stabilité » dit Merkel-Sarkozy, adopté par le Conseil de l’euro du 11 mars et entériné par le Conseil européen des 24 et 25 mars 2011. On observe ainsi ce paradoxe : une crise financière, privée à l’origine, peut aboutir à une austérité publique généralisée, durable, et sans précédent ; à la constitutionnalisation ou, en France, à la semi-constitutionnalisation de l’interdiction des déficits publics, par voie de lois organiques ; à un nouveau décrochage des salaires ; au recul automatique de l’âge de la retraite.

C’est pour sauver l’euro - ses promoteurs nous assuraient depuis des années qu’il nous sauverait des périls extérieurs - que le Conseil européen nous invite à « une coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence ». Cette coordination s’intègre au projet de réforme constitutionnelle préparé par le Gouvernement et dont le Parlement doit débattre avant l’été. Il s’agit essentiellement de mettre le budget de l’État sous tutelle, en créant des « lois-cadres d’équilibre des finances publiques » dont les dispositions s’imposeront « de manière intangible » aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Le tout est assorti d’un dispositif coercitif qui, in fine, pourrait être adopté selon une règle de majorité inversée.

C’est sans doute par ironie que le Gouvernement propose également d’inscrire dans la Constitution le principe d’une transmission systématique à l’Assemblée nationale et au Sénat du « programme de stabilité de la France », avant qu’il ne soit adressé à la Commission européenne. En réalité, c’est un simulacre de consultation. Tout cela résulte du travail effectué en commun par vos fonctionnaires, madame la ministre, et par les fonctionnaires de la Commission européenne.

C’est un programme de rigueur budgétaire et sociale à perpétuité que vous nous demandez d’entériner, au terme d’une consultation de pure forme.

La double norme d’évolution des dépenses de l’État – zéro volume et zéro valeur, hors intérêts et pensions – aboutira à la poursuite de la révision générale des politiques publiques, à la baisse de 10 % des dépenses de fonctionnement de l’État, dont 5 % dès 2011, et de 10 % des dépenses d’intervention ; au gel enfin des dotations aux collectivités locales.

Par ailleurs, le ralentissement de la progression de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie de 3 % à 2,8 % par an se traduira par la hausse de 5 % du ticket modérateur sur les services médicaux et par la baisse du taux de remboursement des médicaments.

En réalité, comme l’a bien montré M. Marini, tout cet exercice repose sur une accumulation d’hypothèses optimistes. Vous avez légèrement réduit le taux de croissance de l’économie pour 2011-2012, mais vous le maintenez à 2, 5 % pour 2013-2014. Qu’est-ce qui justifie un pareil optimisme ? Essentiellement la reprise escomptée de la demande mondiale à hauteur de 6,5 % par an à compter de 2013, laquelle fait ressortir a contrario la très faible croissance de la zone euro. Comment mieux reconnaître la perte complète d’autonomie de celle-ci, incapable de programmer elle-même une stratégie de croissance et d’investissement pour favoriser, par exemple, la résorption du chômage ou la nécessaire transition énergétique ?

La zone euro est la lanterne rouge de la croissance et le ruban bleu du chômage à l’échelle mondiale parce que ses gouvernements ont choisi de maintenir l’euro comme la monnaie la plus surévaluée au monde : c’est un choix de classe, comme on disait, à juste titre en l’occurrence ; c’est le choix des possédants, de ceux qui détiennent les actifs financiers. Mais ce n’est pas le choix des peuples – on l’a vu en 2005 – et encore moins le choix de la jeunesse, dont l’avenir est sacrifié sur l’autel de la rentabilité financière !

Le document qui nous est soumis est, au fond, un choix de résignation.

Les hypothèses macroéconomiques associées au programme sont dépassées. Qu’on en juge.

La parité de l’euro avec le dollar ? On table sur 1, 40 dollar, alors que nous en sommes déjà à 1,46 dollar. Je rappelle que l’euro était à 1, 16 dollar lors de son lancement et qu’il était à 0, 82 dollar en 2000 !

Le prix du baril de pétrole ? Il a dépassé les 100 dollars, et il est orienté à la hausse.

Ajoutons à cela l’augmentation des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne de 25 points de base – pour commencer ! –, à rebours de l’action menée par les autres banques centrales et de ce que serait une politique de change sensée, visant à freiner le renchérissement de l’euro.

Enfin et surtout, comment ne pas anticiper l’effet des politiques de rigueur partout mises en œuvre en Europe ? Comme l’a écrit M. Marini, aux pages 41 et 42 de son rapport d’information, la Grèce est, d'ores et déjà, « en situation de défaut virtuel », tandis que la situation de l’Irlande et du Portugal est « intenable ».

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Chevènement. La dette explosera de nouveau, et cela de deux façons : d'une part, par l’abondement inévitable du Fonds européen de stabilisation financière, d’ici à 2013, puis du mécanisme européen de stabilité qui s’y substituera – sauf à provoquer une nouvelle crise de liquidité bancaire, car nos établissements de crédit sont engagés dans ces pays –, et, d'autre part, par le biais des moins-values fiscales liées au ralentissement de la conjoncture.

Ainsi, le serpent se mord la queue : le contribuable français est doublement sollicité, pour réduire la dette de la France et pour financer celle des pays susceptibles de faire défaut.

Dans les hautes sphères, on s’interroge maintenant sur la réduction du ratio de la dette à 60 % du PIB. Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, que cet effort supposerait un excédent budgétaire de trois points de PIB pour l’Italie et de 1,3 point de PIB pour la France !

C’est vraiment une cure d’austérité à perpétuité que prévoit cette programmation, quintessence du pacte dit « de compétitivité ».

Un tel programme vide la démocratie de tout contenu. Quelle aurait été sa signification s’il avait été présenté en 2007, alors que vous exerciez déjà les mêmes fonctions, madame la ministre ? Il aurait interdit le sauvetage des banques, le plan de relance et le grand emprunt ! (Mme la ministre sourit.)

Mais je vous vois acquiescer : au fond, vous savez bien que j’ai raison.

Mme Christine Lagarde, ministre. Pas du tout !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le programme de stabilité de la France pour la période 2011-2014 interdira au parti socialiste, si son candidat est élu à la présidence de la République, de financer son programme, dont ses responsables évaluent eux-mêmes le coût à 25 milliards d’euros pour la législature 2012-2017, mais qu’un journal comme Les Échos, dans son édition du 20 avril dernier, chiffrait à une somme cinq fois supérieure.

M. Albéric de Montgolfier. Un article à lire ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Je ne me lancerai pas dans une querelle de chiffres, mes chers collègues.

Il faut changer de logique, madame la ministre,…

Mme Nicole Bricq. Il reste un an pour cela !

M. Jean-Pierre Chevènement. … pour répondre aux aléas économiques et politiques qui sont prévisibles dans les quatre ans qui viennent. Or, ce que vous nous proposez, c’est de mettre définitivement la démocratie en vacances.

Votre programme de stabilité débouchera sur une récession européenne qui rendra encore plus inaccessibles les objectifs de réduction des déficits et de la dette que vous nous assignez, comme on le voit déjà en Grèce et au Portugal.

Il est temps de concevoir pour l’Europe une sortie de crise par le haut, comme aux États-Unis : en effet, seule la croissance peut permettre de réduire les déficits et la dette.

On attendrait de la France qu’elle mette l’accent sur une initiative européenne de croissance fondée sur la relance salariale dans les pays les plus importants de la zone euro et sur la réforme des statuts de la Banque centrale européenne, et cela pour, premièrement, introduire la croissance et l’emploi au rang des missions de la BCE et lui permettre de racheter les titres de dette sur les marchés autant que de besoin ; deuxièmement, modifier les textes européens qui s’opposent, par exemple, au lancement d’un grand emprunt ou à une politique industrielle, au nom du dogme fondateur de la concurrence ; troisièmement, enfin, rééchelonner les dettes publiques autant qu’il le faudra, en mobilisant, notamment, l’épargne des résidents, à l’exemple de ce que fait le Japon.

Toutefois, ne rêvons pas : ce changement de logique n’est pas à l’ordre du jour avec vous, madame la ministre.

Le choix de la monnaie unique a été une monumentale erreur – il serait temps de le reconnaître ! – qu’ont commise solidairement la plupart des dirigeants de la droite ainsi que, hélas, la quasi-totalité des responsables socialistes. J’adjure ceux-ci de chercher une solution autre qu’une intégration politique toujours plus poussée de la France à une Europe qui, dans l’état actuel des textes et des rapports de force, ne peut signifier que l’engloutissement de la République dans un nouvel empire, celui des marchés financier.

Il est temps que la France propose pour l’Europe une autre orientation, fondamentalement différente. Il est temps de changer les règles du jeu de la zone euro, si l’on ne veut pas voir s’ouvrir la crise de cette expérimentation passablement hasardeuse.

Une chaîne de récifs, sociaux, économiques et politiques, se laisse voir à l’horizon. Des élections générales auront lieu en France, en Allemagne et en Italie en 2012-2013. Plutôt que de programmer un avenir qui n’aura pas lieu, madame la ministre, il serait temps que vous vous prépariez à d’autres hypothèses et que vous fassiez preuve d’imagination – vous n’en manquez pas, j’en suis sûr. Aude sapere, disaient les hommes de la Renaissance : « Osez penser », madame la ministre !

Demain, il faudra faire face. Votre « plan A » ne marchera pas,…

Mme Nicole Bricq. Quant au plan B…

M. Jean-Pierre Chevènement. … même si on lui ajoute les mesures de super-rigueur que le rapporteur général de notre commission des finances appelle de ses vœux.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Chevènement. Pour conclure, madame la ministre, puisque votre plan A ne marchera pas, il serait utile d’avoir préparé quelques solutions de rechange, dans l’intérêt de la France, mais aussi dans celui de l’Europe tout entière, car vous ne réconcilierez pas les citoyens avec cette dernière si elle ne redevient pas elle-même synonyme de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes en train de vivre un renforcement sans précédent de la gouvernance économique de la zone euro.

Souvenons-nous : lorsque l’euro a été lancé, un grand scepticisme régnait chez les économistes de l’autre côté de l’Atlantique. On nous disait : « L’Europe n’est pas une zone monétaire optimale. Lorsqu’une crise vraiment grave se produira, le résultat sera l’éclatement de la zone euro. »

Ce discours a resurgi voilà deux ans. Aujourd’hui, on l’entend beaucoup moins. En effet, face à la crise, l’Europe est finalement parvenue à une riposte commune. Une nouvelle gouvernance économique a commencé à se mettre en place.

Certes, le processus n’est pas achevé : il ne le sera qu’en 2013, avec l’entrée en vigueur du nouveau mécanisme européen de stabilité. Toutefois, la réforme est déjà bien engagée. Les deux organismes européens de supervision financière, chargés de renforcer la surveillance bancaire, sont déjà en place. Le Fonds européen de stabilisation financière apporte un soutien à trois pays.

Le premier « semestre européen » a commencé en janvier dernier. Désormais, la coordination des politiques s’effectuera durant les six premiers mois de l’année, donc avant que les décisions budgétaires pour l’année à venir ne soient prises par les États membres. Et cette coordination porte à la fois sur les politiques qui visent à assurer la discipline budgétaire – je parle des « programmes de stabilité et de convergence » – et sur celles qui tendent à lever les obstacles à la croissance et à l’emploi – les « programmes nationaux de réforme ». La coordination sera donc autrement plus efficace.

Les six propositions législatives tendant à renforcer le pacte de stabilité et de croissance, conformément aux conclusions du groupe présidé par Herman Van Rompuy, sont toujours en cours d’examen, mais un accord politique s’est d’ores et déjà dégagé au sein du Conseil. Ces propositions organisent non seulement une surveillance budgétaire plus étroite, mais aussi un contrôle des déséquilibres macro-économiques, avec un nouveau système de sanctions.

La discipline budgétaire devrait se trouver raffermie grâce aux changements exigeants apportés aux volets préventif et correctif du pacte. Nous ne devons pas sous-estimer l’ampleur du défi pour la France : il s'agit de réduire la part de notre dette supérieure à 60 % du PIB d’un vingtième par an, ce qui représentera un effort considérable.

Par ailleurs, les déséquilibres macroéconomiques devront être détectés en amont, grâce au suivi d’un tableau d’indicateurs. Il s'agit d’une nouveauté d’une grande importance. Si ce dispositif avait été en place, nous aurions su que, malgré les succès du gouvernement espagnol au regard des critères de Maastricht, l’économie outre-Pyrénées fonctionnait à crédit, ce qu’a révélé l’éclatement de la bulle immobilière. L’exemple de l’Espagne apporte bien la preuve de la nécessité d’une gouvernance économique européenne qui ne se limite pas à la discipline budgétaire.

Pour faire respecter ce nouveau « règlement de copropriété », pour reprendre l’expression qu’utilise Laurent Wauquiez, de nouvelles règles seront introduites pour les sanctions financières, ce qui permettra d’obtenir des États membres la correction de leurs déséquilibres budgétaires ou macroéconomiques.

La procédure retenue pour l’adoption des sanctions reposera sur la majorité inversée, c’est-à-dire qu’il faudra une majorité qualifiée au Conseil pour écarter les sanctions. Je sais que le rapporteur général de notre commission des finances n’aime pas cette automaticité, mais le dernier mot reste au Conseil, c'est-à-dire au politique.

Le droit de regard politique du Conseil sera préservé au moment d’apprécier la situation, mais, ensuite, il sera très difficile à un État de se soustraire aux sanctions, comme on l’a vu dans le passé.

Parallèlement, vingt-trois États ont adhéré au « Pacte pour l’euro plus ». Ce document doit nous permettre d’aller plus loin dans le sens de la convergence européenne, de renforcer la compétitivité, de favoriser l’emploi, d’améliorer la viabilité des finances publiques, d’affermir la stabilité financière et de réfléchir à la coordination des politiques fiscales : autant de moyens de faire converger les politiques économiques, et non pas seulement budgétaires, des États membres.

Il s'agit d’un progrès important, car il fonde le socle d’une croissance saine et durable. En effet, il nous faut des économies compétitives pour financer le modèle social européen et assurer sa pérennité.

Considéré globalement, ce train de réformes constitue un ensemble impressionnant. Or il touche directement les compétences centrales du Parlement, notamment le vote du budget national. Désormais, la procédure budgétaire se situera beaucoup plus clairement qu’autrefois dans un cadre européen.

Cette évolution pose évidemment la question de la place des deux assemblées dans ce nouveau cadre. C’est un enjeu de démocratie, un problème de légitimité de cette nouvelle gouvernance.

Comment insérer notre assemblée dans le semestre européen ? Celui-ci, je le rappelle, comprend quatre principales étapes : en janvier, la Commission européenne présente l’examen annuel de la croissance ; en mars, le Conseil européen de printemps adopte des orientations stratégiques sur les politiques à suivre ; à la fin du mois d’avril, les États membres présentent leurs programmes de stabilité et leurs programmes nationaux de réforme ; enfin, en juin ou en juillet, le Conseil européen d’été formule des orientations spécifiques pour chaque État membre.

Notre débat d’aujourd’hui donne une première réponse, tout à fait essentielle, quant à notre insertion dans ce processus.

La loi de programmation des finances publiques pour la période 2011-2014 prévoit en effet, à partir de 2011, un débat suivi d’un vote sur le programme de stabilité. Cette règle devra être consolidée le moment venu, lorsque nous examinerons le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques.

Par ailleurs, notre commission des finances a d’ores et déjà fait savoir qu’elle prendrait les initiatives nécessaires pour que le Sénat s’exprime de nouveau, par le vote d’une résolution, lorsque la Commission européenne se sera officiellement prononcée sur le programme de stabilité.

J’ajouterai que les deux réunions du Conseil européen, décisives dans le calendrier, donneront lieu à des débats préalables, qui nous permettront de nous exprimer sur les orientations stratégiques.

Nous aurons donc, à l’échelon national, les outils nécessaires pour jouer notre rôle. Il faudra les compléter par un instrument à l’échelon européen.

Puisque, désormais, la préparation du budget national fait l’objet d’une coordination européenne, il est indispensable que les parlements nationaux se concertent. Le président de l’Assemblée nationale, appuyé par celui du Sénat, a proposé qu’une conférence budgétaire se tienne chaque année au mois de mai pour assurer cette concertation entre les commissions des finances des parlements nationaux, en y associant les commissions compétentes du Parlement européen.

Cette proposition a été évoquée lors de la dernière conférence européenne des présidents de parlements, et elle a été particulièrement bien reçue. Nous irons donc vraisemblablement dans ce sens, et, à titre personnel, je le souhaite fortement.

On le voit, la mise en place du semestre européen ne doit donc pas être perçue comme un recul du contrôle parlementaire. Au contraire, elle peut être une chance pour l’utilité et la pertinence du débat budgétaire, car, désormais, nous disposerons, avant d’examiner les projets de loi de finances, d’informations et d’évaluations provenant des institutions européennes.

Chacun continuera à prendre ses responsabilités, mais dans une clarté bien plus grande. Il sera de plus en plus difficile, pour un gouvernement, de présenter au parlement des estimations irréalistes lorsqu’elles auront été publiquement critiquées par les institutions européennes. Nous pourrons de moins en moins nous payer de mots.

Cela me conduit à formuler une remarque plus générale. Notre vie publique ne s’est pas encore pleinement adaptée à la construction européenne, plus exactement à l’ampleur de notre engagement européen. L’Union européenne gère notre monnaie et nos relations commerciales extérieures ; elle assure le bon fonctionnement du marché où évoluent nos entreprises ; elle inspire une grande partie de notre droit, oriente de nombreuses politiques nationales, encadre les politiques économique et budgétaire. Bref, la construction européenne est d’ores et déjà au cœur de la vie nationale au quotidien. Il faut la mettre aussi au cœur de notre vie politique et administrative si nous voulons que le débat politique ne soit pas faussé.

Quand on voit, à un an de l’élection présidentielle, refleurir les promesses les plus étonnantes – il est vrai que c’est le printemps ! –, manifestement totalement incompatibles avec la discipline qu’impose le partage d’une même monnaie, on mesure le chemin qui reste à parcourir.

Le projet de programme de stabilité européen qui nous est aujourd’hui présenté a le grand mérite de poser clairement le principe d’un déficit public ramené à moins de 3 % du PIB en 2013 « quelle que soit la conjoncture » et de mettre l’accent à la fois sur la réduction de la dépense publique et sur celle des dépenses fiscales et des « niches » sociales.

En même temps, le projet de programme de stabilité européen se situe clairement dans l’optique du « pacte pour l’euro plus », en annonçant un approfondissement des réformes structurelles, notamment dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de l’innovation et de la concurrence, c’est-à-dire dans les domaines qui peuvent influer sur notre potentiel de croissance.

Nous sommes bien là dans l’esprit de la nouvelle gouvernance économique de l’Union européenne. Celle-ci n’est pas et ne doit pas être seulement synonyme de gestion plus serrée des finances publiques. Elle doit être aussi, conformément à ce qui a été convenu entre les chefs d’État ou de gouvernement, un moyen d’améliorer ensemble la compétitivité et la situation de l’emploi et de corriger les déséquilibres économiques.

Pour éviter que les efforts consentis au même moment dans tous les pays de la zone euro en matière de discipline budgétaire ne pèsent sur la croissance, il faut que cette discipline commune s’accompagne de réformes structurelles coordonnées, ainsi que d’une réorientation concertée des dépenses vers les investissements d’avenir, qu’il s’agisse des dépenses publiques européennes ou des dépenses publiques nationales.

Contrairement à ce que soutiennent les tenants d’un keynésianisme sommaire, très éloigné d’ailleurs des vues nuancées du grand économiste anglais, la maîtrise de la dépense publique n’est pas en elle-même ennemie de la croissance. Toute la question est d’intégrer cette maîtrise nécessaire à une démarche d’ensemble qui prépare l’avenir.

C’est dans cet esprit que mon groupe apporte son soutien au projet de programme de stabilité européen qui nous est présenté. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, pour la première fois depuis que la France transmet son projet de programme de stabilité et de croissance à la Commission européenne, celui-ci est préalablement présenté au Parlement, aujourd'hui à la Haute Assemblée et, le 2 mai prochain, à l’Assemblée nationale.

En décembre dernier, à l’occasion de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, le Parlement s’était saisi de la question de l’articulation des lois de programmation pluriannuelle et des lois de finances avec les programmes de stabilité, mais aussi avec l’élément nouveau que constitue le « semestre européen ».

Adopté par les ministres des finances de l’Union européenne en septembre 2010, cet instrument de coordination des politiques budgétaires des États membres, dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, est opérationnel depuis cette année, à travers un cycle de surveillance annuel établi de mars à juillet.

Le groupe UMP tient à saluer le travail du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, à l’origine de cette nouvelle procédure visant à renforcer les dispositions européennes sur la gouvernance économique. Celle-ci constitue indéniablement une première étape dans l’assainissement des finances publiques des États membres.

Ce nouveau cycle a donc été amorcé avec les avis stratégiques rendus les 24 et 25 mars dernier par le Conseil européen sur les principaux défis économiques à venir. Dans le cycle du semestre européen, nous en sommes actuellement au stade de la prise en compte de ces avis par les États membres pour la révision de leurs politiques budgétaires au travers de l’élaboration de programmes nationaux de stabilité.

Le présent projet de programme de stabilité européen sera transmis à la Commission européenne au début du mois de mai, une fois le vote intervenu dans nos deux assemblées.

En juin ou en juillet prochain seront rendus les avis du Conseil européen et du Conseil ECOFIN sur les différents programmes de stabilité transmis par les États membres et, à l’automne, nous nous retrouverons pour le traditionnel examen du projet de loi de finances.

C’est dans le cadre de ce cycle que le Sénat, sous l’impulsion de sa commission des finances, avait inscrit dans la loi de programmation des finances publiques l’obligation de l’examen par le Parlement, sous la forme d’un débat suivi d’un vote, du projet de programme de stabilité que le Gouvernement transmet à Bruxelles chaque année.

Pour notre rapporteur général, Philippe Marini, dont je tiens à saluer la qualité et la pertinence du rapport d’information, il s’était agi d’une « question de principe » : depuis qu’il existait des programmes de stabilité, ces derniers avaient relevé du seul exécutif, alors qu’il s’agissait d’engagements sur les finances publiques, sous forme de programmation quadriennale, très importants d’un point de vue politique. Selon nous, c’était là une négation des pouvoirs du Parlement et de la souveraineté nationale. Nous nous félicitons de ce que la voix du Parlement ait été entendue.

Le Gouvernement nous a donc transmis son projet de programme de stabilité de la France pour 2011-2014, document de cadrage macro-économique qui définit la trajectoire des finances publiques pour la période indiquée, assorti d’un « programme national de réforme 2011-2014 » articulé selon dix lignes directrices.

Les objectifs définis par le Conseil européen en mars dernier sont la lutte contre le chômage et le renforcement des politiques de l’emploi, le développement de politiques favorables à la croissance et l’assainissement des finances publiques.

C’est au regard de ces objectifs que le projet de programme de stabilité dont nous débattons aujourd’hui a été établi.

Ainsi, le groupe UMP soutient et approuve la poursuite, par le Gouvernement, de l’effort de réduction du déficit public, réaffirmée dans le programme de stabilité. Est confirmé l’objectif d’une réduction du déficit public à 4,6 % du PIB en 2012 et à 3 % en 2013.

Atteindre cet objectif passe par la réduction des dépenses de l’État, qui seront gelées hors service de la dette et hors pensions, tandis que la hausse des dépenses d’assurance maladie sera limitée à 2,8 % par an. La réduction des niches fiscales demeure également une priorité, ce dont nous nous réjouissons, avec un objectif de 11 milliards d’euros en 2011, puis de 3 milliards d’euros par an.

Ces objectifs chiffrés en matière de mesures nouvelles portant sur les prélèvements obligatoires constituaient la principale innovation de la dernière loi de programmation des finances publiques. Nous sommes particulièrement satisfaits qu’ils soient réaffirmés dans le programme de stabilité. Le niveau des prélèvements obligatoires devrait ainsi revenir, en 2012, à ce qu’il était en 2007, à savoir 43,2 %.

L’augmentation des recettes fiscales liée à la sortie de crise devrait également contribuer à la réduction du déficit public.

En effet, moins de chômage – 125 000 emplois marchands ont été créés en 2010 et, d’après le programme de stabilité, 160 000 devraient l’être en 2011 –, c’est davantage de recettes au titre de l’impôt sur le revenu, une amélioration de la santé des entreprises, la reprise économique se confirmant, davantage de recettes provenant de l’impôt sur les sociétés, et plus de consommation, c’est davantage de recettes au titre de la TVA.

N’oublions pas que la crise fut essentiellement responsable de la chute, en 2009, des recettes issues de l’IRPP, de l’impôt sur les sociétés et de la TVA, à hauteur respectivement de plus de 4 milliards d’euros, de 20 milliards d’euros et de plus de 4 milliards d’euros.

Par ailleurs, notre groupe se félicite de ce que le programme de stabilité réaffirme la poursuite, en 2012, des efforts visant au non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, qui fera économiser au budget de l’État 30 000 équivalents temps plein. Nous saluons également l’extension de ces efforts aux opérateurs publics, qui devront réduire leurs effectifs de 1,5 % chaque année, ce qui représente un effort comparable à celui de l’État.

En outre, rappelons que les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, qui devraient être mises en place après l’adoption prochaine du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, garantiront l’équilibre des comptes publics à un horizon donné.

En conclusion, le groupe UMP tient à saluer les efforts du Gouvernement. La France doit apparaître exemplaire, car elle constitue, avec l’Allemagne, le moteur de l’Union européenne. Alors que certaines économies européennes vacillent, notre sens de la responsabilité revêt une importance essentielle pour la préservation de la zone euro.

Le maintien de notre note « triple A » récompense nos efforts, mais nous devons conserver ce niveau d’exigence et expliquer à nos compatriotes le sens de nos réformes. Celle des retraites fut exemplaire à cet égard.

Outre les efforts sur le fond réalisés par le Gouvernement pour préserver l’équilibre de nos finances publiques et, au-delà, celui de la zone euro, saluons également l’effort qu’il a fourni sur la forme, en l’occurrence en termes de sincérité. La révision à la baisse, dans le projet de programme de stabilité, de la prévision de croissance pour 2012 en est l’illustration. Ainsi, le taux prévisionnel a été abaissé de 2,5 % à 2,25 % du PIB. La croissance dans la zone euro pourrait, en effet, être plus modeste que prévu, du fait de la hausse du cours des matières premières, avec notamment le scénario d’un prix du baril de pétrole supérieur à 100 dollars, mais aussi de l’appréciation de l’euro par rapport au dollar et des efforts de rigueur budgétaire consentis dans un certain nombre de pays.

Toutefois, il existe aussi des éléments positifs, que met en lumière le projet de programme de stabilité.

Dans les toutes prochaines années, un surplus de croissance pourrait être apporté, en France, par les bénéfices résultant des investissements d’avenir prévus dans le cadre du grand emprunt et qui seront alors pour la plupart réalisés. Une amélioration – possible – du marché de l’emploi serait également bénéfique, ainsi que le maintien de la bonne tenue de la consommation des ménages.

Au regard des éclaircissements apportés, du maintien des efforts et du discours de vérité tenu par Mme et M. les ministres, dont je tiens à saluer la qualité de la présentation, le groupe UMP votera ce projet de programme de stabilité européen. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.