M. Guy Fischer. On en est loin, maintenant !

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le projet de loi s’inscrit dans l’évolution que les psychiatres ont eux-mêmes donnée à leur pratique.

Il apporte des garanties supplémentaires au bénéfice de l’ensemble des acteurs concernés en mettant au cœur du dispositif le psychiatre et l’équipe soignante, avec pour seul but d’assurer l’accès aux soins, la continuité de ceux-ci, l’alliance thérapeutique, la protection des personnes et le respect des libertés. (Applaudissements sur les travées de lUMP ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guy Fischer. Par intérim !

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est particulièrement important, car il concerne la situation de personnes parmi les plus fragiles, celles qui souffrent de troubles mentaux.

Lorsqu’on aborde ce sujet, nous devons avoir à l’esprit trois impératifs essentiels qu’il nous faut concilier : la nécessité de donner au malade les meilleurs soins possibles afin de favoriser sa guérison ou, au moins, l’amélioration de son état de santé ; l’obligation de ne limiter la liberté des personnes que dans des proportions strictement nécessaires, pour éviter qu’elles ne nuisent à elles-mêmes ou qu’elles nuisent à autrui ; enfin, la préservation de la sécurité des personnes, parfois menacée par le comportement de certains malades.

Une réforme de la loi de 1990 est attendue depuis longtemps. Elle a été préconisée par de nombreux rapports depuis 1997, rapports dont le texte qui nous est soumis reprend de nombreuses propositions.

D’emblée, je souhaite saluer le travail accompli par Mme Dini en qualité de rapporteur. Ce travail important et approfondi a permis à chacun de nous de faire mûrir sa position, afin que nous puissions chercher tous ensemble les moyens de construire une réforme équilibrée.

Pour ma part, monsieur Fischer, j’ai le sentiment d’être un rapporteur à temps plein et pleinement responsable, et j’entends tenir complètement ce rôle dans un débat qui touche à un domaine auquel je suis amené à m’intéresser depuis une trentaine d’années, ne serait-ce qu’en tant qu’élu.

Dès à présent, il me faut souligner que cette loi serait vaine si elle n’était pas accompagnée des moyens nécessaires pour la mettre en œuvre et de mesures ambitieuses pour l’organisation de la psychiatrie et de la santé mentale dans notre pays.

Madame la secrétaire d'État, nous attendons avec impatience le plan de santé mentale que vous êtes en train de préparer. Nous espérons qu’il répondra aux attentes des malades et de leurs familles, ainsi qu’à celles de tous les intervenants en psychiatrie.

Ce plan est nécessaire et urgent : il est le complément indispensable du projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Quelles sont les principales dispositions de celui-ci ?

En premier lieu, le projet de loi se donne pour objectif de diversifier les formes de prise en charge des malades faisant l’objet de soins psychiatriques sans leur consentement.

Alors qu’actuellement une personne ne peut faire l’objet de soins psychiatriques sans son consentement que sous la forme d’une hospitalisation complète, le projet de loi tend à dissocier le principe de l’obligation de soins et les modalités de dispensation de ces soins. Un régime de « soins sans consentement » est ainsi substitué au régime de l’hospitalisation sans consentement.

Les modes de prise en charge alternatifs à l’hospitalisation complète incluraient obligatoirement des soins ambulatoires ; ils pourraient également prendre la forme de soins à domicile ou de « séjours » effectués dans un établissement psychiatrique.

En cas de soins psychiatriques sans consentement sous une autre forme que l’hospitalisation complète, un « protocole de soins » serait établi dans les 72 heures de l’admission du malade par un psychiatre de l’établissement. Ce protocole définirait le ou les types de soins imposés au malade, les lieux de leur réalisation, ainsi que leur périodicité.

Dans tous les cas, la prise en charge d’un malade sans son consentement débuterait par une période d’observation et de soins de 72 heures sous la forme d’une hospitalisation complète. Au cours de cette période, deux certificats médicaux devraient évaluer la nécessité de la mesure de soins sans consentement : le premier serait établi dans les 24 heures suivant l’admission, le second dans les 72 heures.

Le texte prévoit que, lorsque les certificats concluent à la nécessité de prolonger les soins, un psychiatre de l’établissement propose, dans un avis motivé, la forme de prise en charge du malade et, s’il envisage une forme de prise en charge alternative à l’hospitalisation complète, le protocole de soins applicable.

En cas d’admission à la demande d’un tiers, le directeur de l’établissement aurait compétence pour retenir la forme de prise en charge proposée par le psychiatre ainsi que le protocole de soins établi par celui-ci. En cas d’admission sur décision du représentant de l’État, le préfet aurait compétence pour décider de la forme de prise en charge en tenant compte de la proposition établie par le psychiatre et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public.

En deuxième lieu, pour tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le projet de loi modifie les conditions dans lesquelles le juge des libertés et de la détention contrôlera les mesures de soins sans consentement.

La saisine du juge est prévue dans deux cas : d’abord, comme cela se pratique déjà actuellement, sur l’initiative de la personne faisant l’objet d’une mesure de soins sans consentement ou d’autres personnes intéressées, aux fins d’ordonner la levée de cette mesure ; ensuite, et cela de façon obligatoire, sur l’initiative du directeur de l’établissement ou du préfet, aux fins de contrôler de plein droit la nécessité du maintien de toute mesure de soins sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète.

Le juge devrait obligatoirement statuer sur l’hospitalisation sans consentement d’une personne, avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de son admission en soins sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète, puis tous les six mois lorsque le patient est maintenu en hospitalisation complète.

Le texte prévoit que le juge statue après débat contradictoire et que l’audience peut avoir lieu en utilisant la technique de la visioconférence.

Les ordonnances du juge pourraient faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué et cet appel pourrait revêtir un caractère suspensif si le juge ordonnait la mainlevée de l’hospitalisation.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a prévu une saisine obligatoire du juge des libertés lorsque le préfet refuse de faire droit à une demande de levée de soins psychiatriques émanant du psychiatre.

En troisième lieu, le projet de loi met en place des procédures particulières pour la sortie des soins sans consentement des personnes ayant été déclarées pénalement irresponsables ou ayant fait un séjour en UMD.

L’article 1er prévoit la création d’un collège de soignants composé de trois membres appartenant au personnel de l’établissement : un psychiatre participant à la prise en charge du patient, un psychiatre n’y participant pas et un membre de l’équipe pluridisciplinaire. Ce collège devrait se prononcer avant la levée des soins sans consentement des personnes concernées.

En outre, deux expertises devraient obligatoirement être réalisées par des psychiatres extérieurs à l’établissement d’accueil.

L’Assemblée nationale a complété ce dispositif pour prévoir la fin de l’application de celui-ci cesse après une certaine durée, durée dont la fixation est renvoyée à un décret en Conseil d’État.

Enfin, le projet de loi contient plusieurs autres mesures d’importance.

Il crée une nouvelle procédure d’hospitalisation en cas de péril imminent, qui pourrait être mise en œuvre sans la demande d’un tiers. Cette nouvelle voie d’accès aux soins pourrait notamment concerner les personnes isolées ; elle pourrait également être utilisée dans des situations où la demande d’hospitalisation est particulièrement difficile à formuler pour les membres de la famille.

Le projet de loi renforce le droit à l’information des personnes recevant des soins sans leur consentement.

Il procède à une réécriture des dispositions du code de la santé publique relatives à l’hospitalisation sans consentement des détenus, sans toutefois en modifier le contenu.

Les autres dispositions du projet de loi sont de moindre importance et visent à opérer des coordinations ou à prévoir son application outre-mer.

Mes chers collègues, ce projet de loi n’est certainement pas parfait, mais il me semble que notre tâche consiste précisément à rechercher les moyens de l’améliorer et de renforcer sa cohérence : c’est cet exercice que nous devons essayer d’accomplir ensemble.

Ce matin, la commission a donné de nombreux avis sur divers amendements et ces avis ne sont pas tous compatibles entre eux.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Sur le point le plus délicat de ce texte, à savoir les soins psychiatriques sans consentement hors de l’hôpital, je comprends parfaitement toutes les objections qui peuvent être soulevées. L’expression même de « soins psychiatrique sans consentement hors de l’hôpital » paraît d’ailleurs contradictoire dans les termes. Il me semble cependant que nous pouvons rechercher les voies et moyens d’une amélioration plutôt que de renvoyer à plus tard l’introduction de ce concept.

Vous le savez, mes chers collègues, sans l’intervention du Conseil constitutionnel, nous n’aurions probablement pas été saisis de ce texte : il faut profiter de l’occasion qui nous est donnée pour accomplir un travail de modernisation de la psychiatrie attendu depuis longtemps. En ce début du XXIe siècle, il est normal que les modes de prise en charge des patients évoluent et il est souhaitable que, lorsque l’hospitalisation est évitable, ces derniers puissent être accompagnés dans leur milieu habituel. C’est pourquoi nous ne pouvons renvoyer ce travail à plus tard, sauf à risquer de ne jamais l’accomplir.

Notre collègue Alain Milon a présenté un amendement tout à fait utile qui clarifie des points importants.

Cet amendement précise tout d’abord qu’une personne faisant l’objet de soins sans son consentement est prise en charge par tous les outils thérapeutiques de la psychiatrie adaptés à son état ; je souscris à cette proposition.

Il fait référence – proposition à laquelle je souscris également – non plus à des formes de soins mais à des lieux de soins, en distinguant les unités d’hospitalisation à temps plein des autres lieux de soins que sont les unités alternatives, les lieux de consultation, les lieux d’activités thérapeutiques et le lieu de vie habituel du patient, liste à laquelle j’ajouterai même : la rue.

Enfin, il remplace la notion de « protocole de soins » par celle de « programme de soins », qui me paraît beaucoup plus adapté, car la notion de protocole semble un peu trop rigide.

À titre personnel, je vous proposerai, mes chers collègues, de sous-amender l’amendement de M. Milon pour le compléter et apporter de nouvelles précisions.

D’abord, je suis profondément convaincu qu’il ne faut plus parler de « soins sans consentement » mais de « soins psychiatriques auxquels une personne n’est pas à même de consentir du fait de ses troubles mentaux ». Cela revêt à mes yeux une très grande importance. Le soin, c’est le dialogue,…

M. Guy Fischer. Tout ça, c’est de l’enfumage !

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. … et la confusion se fait entre la nécessité de l’obligation et des modalités de sa mise en œuvre. Ce changement marque mieux qu’il faut distinguer entre l’obligation qui est faite au patient de se soigner et les modalités des soins qui seront, bien sûr, discutées entre le psychiatre et le malade.

En outre, je vous proposerai de mieux préciser les conditions de modification du programme de soins et de prévoir un entretien entre le psychiatre et le malade, entretien au cours duquel le médecin recueillera l’avis du patient.

Enfin, le sous-amendement que j’ai préparé prévoit aussi que le détail des traitements médicamenteux ne figurera pas sur le programme de soins.

J’espère que cette nouvelle rédaction apaisera les inquiétudes et qu’elle permettra d’avancer dans la recherche d’un vrai consensus sur cette réforme.

Sur les autres dispositions du projet de loi, des améliorations sont également possibles. Ainsi, la commission a donné un avis favorable sur un amendement qui modifie la composition du collège chargé de donner un avis avant la levée de l’hospitalisation des patients ayant séjourné en UMD ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale. Il paraît préférable que l’ensemble de l’équipe pluriprofessionnelle soit dans ce collège, et non un seul de ses membres, afin d’assurer une véritable collégialité. Ce point fera certainement l’objet d’une discussion.

De même, la commission a accepté des amendements qui visent à fixer à dix ans le délai du droit à l’oubli à l’issue duquel la procédure d’examen renforcée n’est plus applicable aux patients qui ont été déclarés irresponsables ou ont séjourné en UMD.

Monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je forme le souhait que nos débats permettent de faire progresser la réflexion et de dégager des solutions attendues, notamment par les malades et leurs familles. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est saisie du projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, déposé le 5 mai 2010 à l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi a été complété par une lettre rectificative du 26 janvier 2011, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010, prise à la suite du renvoi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a distingué les conditions d’admission à l’hospitalisation sans consentement et le maintien de cette hospitalisation.

Il a estimé conformes à la Constitution les conditions d’admission au motif que, si son article 66 exige que toute privation de liberté individuelle soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté.

Pour ce qui concerne le maintien de l’hospitalisation sans consentement, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la question suivante : le rôle de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, impose-t-il que, au-delà d’une certaine durée, la privation de liberté ne puisse être prolongée sans décision de l’autorité judiciaire ? Il y a répondu par l’affirmative, rappelant les exigences constitutionnelles selon lesquelles la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge judiciaire intervient dans le plus court délai possible et établissant la nécessité absolue d’un contrôle juridictionnel de plein droit des décisions de maintien en hospitalisation sans consentement.

Dès lors, deux questions se sont posées quant aux délais.

Sur le délai nécessitant l’intervention d’une autorité judiciaire, le Conseil constitutionnel a estimé que celui de 48 heures applicable en matière de garde à vue n’était pas transposable à l’hospitalisation sans consentement. Prenant en compte la spécificité de la problématique médicale, il a retenu en l’espèce un délai de quinze jours.

Sur le délai dans lequel le juge judiciaire doit statuer, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation pour imposer les plus brefs délais.

Enfin, considérant qu’une abrogation immédiate des dispositions du code de la santé publique jugées inconstitutionnelles emporterait des conséquences manifestement excessives au regard des exigences de la protection de la santé et de la prévention des atteintes à l’ordre public, il a reporté au 1er août 2011 la date de mise en conformité avec la Constitution.

Dans une certaine mesure, mes chers collègues, et sans chercher à faire un mauvais jeu de mots, je dirai que nous délibérons, nous aussi, sous la contrainte… (Sourires.)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !

M. Jean Desessard. Sous la contrainte des faits divers !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. Ce sont les décisions du Conseil constitutionnel ! Et les questions prioritaires de constitutionnalité sont tout de même un acquis considérable au regard des libertés.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’est l’article 62 de la Constitution !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. Devant l’étroite imbrication des questions de santé et des questions juridiques, et contrairement à la commission des lois de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a souhaité se saisir pour avis du volet judiciaire du présent projet de loi, c'est-à-dire essentiellement des articles 1er à 5.

Cette saisine lui est apparue nécessaire en raison des nombreux points qui intéressent directement son champ de compétence. Je citerai les libertés individuelles et les garanties juridictionnelles qui s’attachent à leur privation, les modalités de contrôle de l’autorité judiciaire – visioconférence, délais d’intervention, possibilités d’appel suspensif –, l’impact de la réforme sur l’organisation judiciaire, la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction ou la protection de l’ordre public.

Mes chers collègues, je profite de l’opportunité qui m’est offerte pour regretter que, à propos de nombreux textes récemment examinés par le Parlement, il n’y ait pas eu plus souvent une appréhension partagée entre justice et santé. Je pense, par exemple, à la loi pénitentiaire, dont la discussion n’a pas permis d’examiner à fond les problèmes relatifs à la santé, qu’elle soit somatique ou psychiatrique.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ni les relations entre les deux !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. Je pense aussi à la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, dont j’étais coauteur et dont le rapporteur était Jean-Pierre Michel, adoptée à l’unanimité par le Sénat et qui finira bien, un jour, par être examinée par l’Assemblée nationale.

M. Guy Fischer. Nous sommes d’accord !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour avis. Vous le savez, l’hospitalisation sous contrainte est régie par un droit ancien et stable : c’est la loi Esquirol de 1838 qui a distingué le régime du placement volontaire, à la demande de la famille, et celui du placement d’office, confié au préfet. Elle n’a été modifiée qu’en 1981 par la loi Sécurité et liberté, puis surtout en 1990 par la loi Évin. Celle-ci a certes consacré le droit des personnes hospitalisées contre leur gré, mais elle a conservé les deux modes d’hospitalisation sans consentement prévus par la loi de 1838 : le placement d’office est remplacé par l’hospitalisation d’office et le placement volontaire cède la place à l’hospitalisation à la demande d’un tiers.

Actuellement, sur les 80 000 hospitalisations contraintes – la moitié est prononcée pour schizophrénie – que l’on dénombre chaque année dans notre pays, 63 000 ont lieu à la demande d’un tiers et 17 000 sont décidées d’office.

Le projet de loi réforme le droit de l’hospitalisation sous contrainte, en cherchant à concilier trois principes de même valeur, mais qui sont parfois largement antagonistes : le droit à la protection de la santé, la sécurité des personnes, les libertés individuelles.

Il ouvre une solution alternative à l’hospitalisation complète en faisant de l’enfermement une modalité de soins parmi d’autres. L’objectif est d’adapter la loi à l’évolution des soins psychiatriques et des thérapeutiques désormais disponibles, qui permettent à de nombreux patients d’être pris en charge par des soins ambulatoires, c'est-à-dire extrahospitaliers, encadrés.

Comme de nombreux collègues de la commission des lois, je suis plutôt favorable à l’extension des soins obligatoires sous contrainte, tout en rappelant qu’ils exigeront des moyens adaptés.

Le dispositif, si fréquemment critiqué, de la sortie d’essai est supprimé. Les personnes internées sous contrainte seront placées en observation pour un délai maximal de 72 heures en hospitalisation complète ; deux certificats médicaux de psychiatres devront alors établir s’il faut poursuivre les soins et déterminer la nature de ces derniers.

Dans le présent projet de loi a été retenu le choix de ne pas recourir systématiquement au juge judiciaire pour les soins ambulatoires sous contrainte : l’intervention du juge est donc obligatoire pour l’hospitalisation complète, mais facultative pour les soins ambulatoires.

Le texte qui nous est soumis prévoit un dispositif spécifique applicable à certaines personnes susceptibles de commettre des actes graves de violences : celles qui ont été reconnues pénalement irresponsables et qui font ou ont fait l’objet d’une hospitalisation d’office judiciaire ; celles qui font ou ont fait l’objet d’une hospitalisation en UMD. Dans ces cas, les sorties seront plus encadrées ; le juge des libertés et de la détention devra recueillir l’avis d’un collège de soignants et, s’il envisage la mainlevée de l’hospitalisation complète, ordonner une expertise judiciaire supplémentaire. Le préfet ne pourra mettre fin à l’hospitalisation d’office judiciaire qu’après avis d’un collège de soignants et deux avis concordants sur l’état médical du patient émis par deux psychiatres étrangers à l’établissement d’hospitalisation.

Par ailleurs, ce texte encadre la notion de tiers susceptible de solliciter une hospitalisation contrainte. En contrepartie, il crée une nouvelle procédure : l’admission sans tiers, en cas de péril imminent.

S’agissant des conséquences sur l’organisation judiciaire, l’étude d’impact évalue le nombre de saisines nouvelles à 61 000 pour les juges des libertés et de la détention ; les besoins en termes d’emploi seraient de 77 à 80 magistrats, de 59 à 61 fonctionnaires de catégorie B et de 7 à 8 fonctionnaires de catégorie C.

Enfin, le texte prévoit que l’audience du JLD – juge des libertés et de la détention - pourra s’effectuer par visioconférence, dans des locaux adaptés de l’hôpital.

Les députés ont apporté plusieurs modifications au projet de loi.

Ils ont introduit un droit à l’oubli, c’est-à-dire le retour au droit commun pour les deux catégories de patients susceptibles de présenter un danger pour autrui, passé un délai de plusieurs années après la fin de leur hospitalisation.

L’Assemblée nationale a prévu une saisine automatique du JLD par le directeur de l’établissement d’accueil du patient lorsque le préfet n’ordonne pas la levée de l’hospitalisation complète alors que le psychiatre estime que cette hospitalisation n’est plus nécessaire.

Elle a également prévu que, lorsque le JLD ordonne la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète, sa décision prend effet dans un délai de 48 heures, afin que le psychiatre de l’établissement puisse, le cas échéant, établir un protocole de soins et que le patient puisse recevoir un traitement contraint sous forme de soins ambulatoires. La commission des lois s’interroge cependant sur la constitutionnalité d’une telle disposition puisqu’une personne demeurera contrainte pendant 48 heures alors que la décision de mainlevée aura été prononcée.

Au nom de la commission des lois, je vous proposerai d’étendre quelque peu la compétence du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles : en le dotant de la capacité de transformer une mesure d’hospitalisation complète en soins ambulatoires – je sais que M. le garde des sceaux ne partage pas mon point de vue, mais j’espère que nos échanges permettront d’aboutir à une solution consensuelle ; en prévoyant le contrôle de plein droit du JLD sur les mesures d’hospitalisation partielle sous contrainte ; enfin, en unifiant le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte, par la création d’un bloc de compétence judiciaire.

Je vous proposerai également de permettre au juge de statuer dans des conditions garantissant la sérénité des débats, en prévoyant qu’il pourra se prononcer en chambre du conseil et non publiquement, mais aussi en prévoyant que la visioconférence sera adaptée à la situation des personnes malades, et j’ai bien noté l’accord de M. le garde des sceaux sur ce point.

Enfin, je vous proposerai d’envisager l’évolution, à terme, du statut de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris.

Monsieur le président, mes chers collègues, le Contrôleur général des lieux de privation des libertés, dans son rapport d’activité 2010, qui vient d’être rendu public, fait observer que, dans les établissements de santé, se pose avec acuité la question de l’équilibre entre les droits des personnes, les exigences du soin et les indispensables mesures de sécurité. Il note : « Cet équilibre n’est pas souvent réalisé de manière satisfaisante. » J’espère que le présent projet de loi marquera un progrès significatif sur cette question particulièrement sensible. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur plusieurs travées de lUnion centriste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous le savons, la maladie mentale est, pour des centaines de milliers de familles, un drame du quotidien qui justifie pleinement de lever nombre de tabous et, surtout, de trouver des moyens.

Quel équilibre difficile à instaurer entre maladie, soins, contrainte et liberté ! Or le présent projet de loi complexifie les procédures à tel point que je me suis demandé s’il ne relevait pas d’une pathologie juridique, c’est-à-dire d’une coupure de l’esprit, au sens d’une perte de contact avec la réalité.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Jacques Mézard. Il suffit de se reporter au problème de la visioconférence ou à la multiplication des certificats médicaux, entre autres, pour s’en convaincre. Plus de règles, moins de droits !

Le projet de loi s’intitulant « Droits et protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et modalités de leur prise en charge », il devrait avoir pour finalité fondamentale les malades et ceux qui les soignent, sans être vicié par le volet sécuritaire et sa déclinaison médiatique. Notons de surcroît que, sans une décision du Conseil constitutionnel, il n’aurait jamais été examiné par le Sénat.

De ce choc de priorités antagonistes est né un texte qui a le triste privilège d’être rejeté tant par la majorité des psychiatres des hôpitaux que par les syndicats de magistrats. Son examen chaotique en commission des affaires sociales est d’ailleurs révélateur de ce rejet.

Alors que les troubles mentaux se classent aujourd’hui au troisième rang des maladies en termes de prévalence, la véritable urgence, nous le savons tous, est de lutter contre l’état catastrophique de ce secteur de santé et le manque dramatique de médecins psychiatres, en particulier dans les hôpitaux.

En 2008, déjà, la commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, avait déploré que la question de la maladie mentale ait été évoquée dans le débat public à propos de textes qui ont alimenté la confusion avec la délinquance, la violence et la dangerosité.

De mon côté, j’avais déjà eu l’occasion de souligner cet amalgame dangereux entre troubles psychiatriques et dangerosité lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’atténuation de responsabilité pénale en cas de trouble mental.

Dans le projet de loi présenté aujourd’hui, la possibilité d’une décision prise sans le consentement de l’intéressé consacre l’entrée dans un système d’obligation de soins dont l’hospitalisation ne sera désormais qu’une des modalités envisageables et qui pourra comporter des soins ambulatoires sans consentement.

La dérogation au droit qu’a tout malade de consentir aux soins dont il fait l’objet ouvre un champ inédit dans la mesure où la contrainte pourra être exercée non seulement entre les murs de l’établissement, mais également hors ces murs, sans accroche territoriale, ce qui rend plus difficile le contrôle de la nécessité ou de la proportionnalité des mesures prises, ainsi que la sortie de cette situation d’exception.

Si, tel qu’il découle de la décision du Conseil constitutionnel, ce contrôle par le juge des libertés et de la détention nous semble pleinement correspondre à la mission de garantie des libertés individuelles que la Constitution assigne au juge, il est toutefois impératif de mettre en place les moyens nécessaires en termes d’effectifs et de formation.

Nous avons entendu les inquiétudes et mises en garde des professionnels : il apparaît clairement que de nombreuses dispositions de ce texte sont inapplicables et dangereuses, notamment celles qui concernent le transfert de l’ensemble des contentieux vers l’autorité judiciaire dès le mois de septembre 2012. Or la décision du Conseil constitutionnel contraint le législateur à judiciariser les soins sans consentement dès le 1er août 2011. Par ailleurs, si le ministère a annoncé le recrutement d’effectifs supplémentaires, ceux-ci ne rejoindront leurs juridictions que, au mieux, un an après l’entrée en vigueur de la loi. Il y aura donc manifestement un engorgement des prétoires, une asphyxie des juridictions de l’ordre judiciaire.

D’autres dispositions du projet de loi nous apparaissent inopportunes. Les prescriptions médicales pour les soins ambulatoires doivent demeurer déontologiquement indépendantes. Il serait dangereux d’instaurer une discrimination par des procédures spécifiques supplémentaires.

J’ajoute, mes chers collègues, que ce texte complique considérablement les procédures par l’entretien et le développement d’une dualité juridictionnelle, avec une prépondérance laissée à l’administratif, aux préfets, aux directeurs d’hôpitaux... On se demande d’ailleurs pourquoi vous n’y avez pas ajouté le « citoyen assesseur » ; cela viendra sans doute ! (Sourires.)

De plus, les psychiatres hospitaliers doivent voir leur indépendance professionnelle garantie face à ce dispositif qui multiplie les certificats médicaux et les soumet aux instances administratives. Il faut en revenir à un système de nomination spécifique au niveau ministériel, indépendante des pouvoirs administratifs locaux, une indépendance qui leur a été sournoisement retirée par le décret statutaire d’octobre 2010, et qui est l’indispensable garant des libertés individuelles dans le domaine de l’hospitalisation sous contrainte.

En conclusion, nous souhaitons que ce texte se limite aux modifications de la législation actuelle découlant de la décision du Conseil constitutionnel, afin que nous prenions le temps d’élaborer, en concertation avec tous les acteurs, une réforme vraiment adaptée.

En effet, un tel dossier mériterait plus que d’autres un consensus profond, et nous attendons toujours un grand « plan santé mentale » équivalent au « plan cancer » ou au « plan Alzheimer », qui fasse enfin de la santé mentale un objectif prioritaire de santé publique. À nos yeux, ce texte ne répond pas à cet objectif et c'est pourquoi la majorité des membres du RDSE ne le votera pas. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

(M. Bernard Frimat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)