Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, comme je l’ai dit tout à l’heure, nous sommes face à un objectif national partagé.

Il y a l’État, sa mobilisation, son engagement, et il y a les régions, avec lesquelles nous travaillons. Dans le cadre du tour de France des régions pour l’apprentissage que j’ai engagé, je sens s’exprimer la volonté, chez de nombreux élus, de dépasser les clivages idéologiques pour construire avec nous des contrats d’objectifs et de moyens ambitieux afin de créer un maximum de places d’apprentis et d’outils à disposition des jeunes.

Vous avez cité l’exemple de l’Allemagne, où l’apprentissage est une tradition ancrée depuis des décennies. Cela signifie que, si nous voulons aller vite et réussir ce défi, c’est tous ensemble qu’il nous faut nous mobiliser : les principaux acteurs que sont l’État et les régions doivent s’engager mais également les grandes entreprises, celles de plus de 250 salariés.

Ne nous faites pas de procès d’intention, ne rejetez pas d’emblée nos propositions en disant que le système du bonus-malus ou l’augmentation des quotas ne marcheront pas. Notre objectif, c’est de réussir. Je sens, pour rencontrer les artisans, les représentants des branches professionnelles, une mobilisation très forte et une prise de conscience, car cela nous concerne tous, de la nécessité d’insérer les jeunes dans le milieu économique.

Je voudrais apporter une précision, qui intéressera certainement votre assemblée, en réponse à une question qui m’avait été posée par M. Houel – je n’ai pas pu tout dire en deux minutes – sur les maîtres d’apprentissage. Nous devons également les valoriser et travailler sur leur statut. Nous menons actuellement avec Xavier Bertrand une réflexion, en termes de compensation, sur la valorisation des acquis de l’expérience, la VAE, de manière, là aussi, à améliorer leur statut.

C’est donc une politique globale qui doit être menée pour réussir l’alternance, comme nous en avons l’ambition. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, pour la réplique.

Mme Gisèle Printz. Madame la ministre, je déplore que les entreprises rechignent à embaucher des jeunes. Ceux-ci ont beaucoup de difficultés à être pris comme stagiaires.

Vous ne m’avez pas répondu sur le fait que l’apprentissage pourrait se faire dès l’âge de quatorze ans.

J’ai moi-même débuté ma carrière professionnelle comme apprentie, à quinze ans, et cela n’a pas été facile. Je ne voudrais pas que d’autres jeunes subissent les mêmes épreuves que moi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, ma question porte plus globalement sur l’alternance.

L’alternance permet en même temps de préparer un diplôme et de se former à un métier. Elle concerne désormais tous les niveaux d’enseignement, du certificat d’aptitude professionnelle aux grandes écoles en passant par l’université. L’enseignement supérieur rassemble d’ailleurs 20 % des apprentis, donnant ainsi en quelque sorte ses lettres de noblesse à une pratique qui existe depuis toujours.

Un cinquième des jeunes qui ont signé un contrat d’alternance trouvent un emploi par ce biais.

C’est précisément cette efficacité que le Gouvernement souhaite en fixant des objectifs ambitieux pour 2011.

Cependant, l’alternance se heurte à un obstacle : trouver suffisamment d’entreprises et de maîtres de stages impliqués. (M. Pierre Martin applaudit.) Et si, comme nous le souhaitons, les formations en alternance se multiplient, il sera d’autant plus difficile pour les élèves et les étudiants de trouver un point de chute.

Lors de la discussion de la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, nous avons introduit une disposition qui permet aux apprentis de commencer à suivre les cours tout en disposant d’un délai de deux mois pour trouver un stage.

Nous devons maintenant, me semble-t-il, aller plus loin afin que chaque élève, chaque étudiant ne soit pas seul dans la recherche de son alternance.

Certains centres de formation, certaines écoles, publiques ou privées, certaines universités délaissent totalement les jeunes, en ne leur donnant – et encore, pas toujours ! – que les noms de quelques d’entreprises qui n’ont pas forcément la capacité de les accueillir.

Certains jeunes passent parfois même par des officines privées et payent pour obtenir ce fameux contrat afin de suivre la formation choisie. Je ne trouve pas cela normal : cela devrait être l’inverse !

Madame la ministre, serait-il possible, pour favoriser et valoriser la formation en alternance, d’obliger tous les établissements à présenter des listes d’entreprises avec lesquelles ils auraient, au préalable, passé des conventions ou négocié l’accueil effectif d’élèves ou d’étudiants en nombre au moins égal à celui des jeunes inscrits dans leur établissement ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nadine Morano, ministre. Madame la sénatrice, vous soulevez le problème récurrent – il faut bien le dire – de la recherche, par les jeunes, d’une entreprise ou d’un maître d’apprentissage.

La diminution de cinq ans à trois ans du nombre d’années d’expérience professionnelle requis, mesure que j’ai annoncée tout à l’heure, devrait permettre d’élargir le vivier de maîtres d’apprentissage et, donc, d’offrir de plus grandes potentialités.

Je me suis beaucoup interrogée à propos du problème que vous soulevez : les familles et les jeunes n’ont pas suffisamment d’outils à leur disposition pour trouver une entreprise. Tous les parlementaires, moi la première, ont été un jour sollicités par des parents qui souhaitaient qu’on les aide à trouver une entreprise.

Mme Catherine Procaccia. Effectivement, nous l’avons tous été !

Mme Nadine Morano, ministre. Je suis bien consciente du problème. C'est la raison pour laquelle nous avons créé, il y a quelques semaines, sur le réseau social professionnel Viadeo, un groupe dédié à l’apprentissage, ce qui n’existait pas auparavant. Voilà un nouvel outil à la disposition des familles.

Quant à obliger les CFA à tenir à la disposition des jeunes une liste d’entreprises… Je crois l’incitation préférable grâce à la mobilisation des chambres de commerce et d’industrie et de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat. Nous avons d’ailleurs évoqué le sujet avec M. Griset.

Je m’apprête à signer un accord extrêmement important portant sur 50 000 places supplémentaires en alternance d’ici à 2015.

Nous devons mobiliser localement l’ensemble des chambres consulaires, car il s’agit de faire « dans la dentelle », d’être proche et présent. De nombreux parents ne connaissent pas l’existence des CFA ou leur lieu d’implantation : l’information doit donc descendre au plus près du terrain.

Tel est l’objectif du service public de l’orientation tout au long de la vie que nous sommes en train de mettre en place, avec un portail dédié qui sera accessible aussi bien aux collégiens qu’aux lycéens, autant pour la formation initiale que pour la formation continue. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour la réplique.

Mme Catherine Procaccia. Madame la ministre, je suis heureuse que vous soyez consciente des difficultés rencontrées par les jeunes, mais je n’en doutais pas !

Le portail est une bonne chose, mais, au-delà des CFA et des chambres de métiers et de l’artisanat, qui connaissent ces difficultés, il faut s’intéresser à ces écoles privées qui proposent des formations, mais on s’inscrit, on paye et, au bout du compte, on n’a rien !

M. le président. Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur l’apprentissage.

Je vous remercie, madame la ministre, mes chers collègues, d’avoir participé à cette séance, qui vient clore une journée consacrée à l’apprentissage, organisée en lien avec l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat, présidée par M. Alain Griset. Avec les sénateurs du Val-d’Oise, nous avons visité ce matin l’Institut des métiers de l’artisanat de Villiers-le-Bel.

Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 17 mai 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-151 QPC).

Le texte de décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
Discussion générale (suite)

Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs

Suite de la discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs
Exception d'irrecevabilité

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui contient des dispositions innovantes axées autour de deux thèmes principaux : l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, une réforme du droit pénal des mineurs.

Si cette dernière était annoncée depuis plusieurs années, l’introduction des jurés populaires est bien plus inattendue. Pourquoi cette proposition ? Beaucoup de monde se pose la question. L’introduction des jurés populaires en correctionnelle était-elle demandée par les praticiens du droit pénal ? Était-elle réclamée par les observateurs du monde judiciaire, ou par l’opinion publique elle-même ? Il me semble que non !

Va-t-on, avec cette mesure, simplifier la justice et accélérer son cours ? Je crains, hélas, que la formation préalable des citoyens assesseurs et la technicité de certaines affaires ne ralentissent ce dernier, au lieu de l’accélérer.

Je suis, depuis quelques années, rapporteur pour avis de certains programmes au sein de la mission « Justice », notamment concernant les services judiciaires. À ce titre, je m’interroge sur les moyens dont disposera la justice pour mettre en œuvre dans de bonnes conditions, c’est-à-dire sans que cela contribue à freiner son cours normal, les nouvelles dispositions prévues par ce texte.

Je crois profondément que notre justice a besoin de sérénité. Cela passe, d’abord, par une pause dans les réformes législatives et par l’expression, par les plus hautes autorités de l’État, de leur confiance dans cette institution, dans les femmes et les hommes qui la font vivre au quotidien.

Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie, à cet égard, d’avoir su, depuis votre prise de fonctions, exprimer cette confiance quand il le fallait.

François Zocchetto reviendra tout à l'heure sur le titre Ier de ce projet de loi. À défaut d’avoir réussi à en démontrer le caractère absolument indispensable, notre rapporteur, Jean-René Lecerf, a fait un excellent travail pour, au moins, le rendre applicable.

La réforme du droit pénal des mineurs qui nous est proposée est, elle aussi, inattendue, sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, d’abord, le projet de loi la lie de manière très artificielle à l’introduction de citoyens assesseurs en correctionnelle, alors que le seul point commun de ces deux mesures est de concerner le droit pénal. On aurait d’ailleurs pu intituler le texte « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre pénal », comme il en existait autrefois.

Force est de constater qu’il s’agit là d’une mauvaise manière de travailler. Elle est aggravée par l’urgence que le Gouvernement impose au Parlement en engageant la procédure accélérée.

La réforme du droit pénal des mineurs est également inattendue sur le fond, car, contrairement à l’introduction des jurés populaires en correctionnelle, le travail sur la justice pénale des mineurs remonte à plusieurs années. Mais, monsieur le garde des sceaux, les mesures que comporte le projet de loi sont bien loin de la création du code pénal des mineurs qui devait constituer la réforme d’ensemble de cette matière annoncée en 2008.

À l’époque, votre prédécesseur déclarait qu’une nouvelle réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 - en l’occurrence, la trente-deuxième ! - n’était plus envisageable. La complexité de ce texte fondateur était en effet devenue telle au fil des ans qu’elle nuisait à la clarté et à la compréhension de notre droit.

Comme beaucoup, je partage ce constat. Aussi, je ne comprends pas très bien la démarche retenue dans le texte dont nous débattons aujourd’hui : pourquoi avoir, de facto, enterré un projet de code pénal des mineurs dont le processus de conception était presque arrivé à son terme ?

Pourquoi avoir abandonné une vraie réforme d’ensemble sur un sujet de fond, au profit d’une énième « modification » de l’ordonnance de 1945 ?

Surtout, pourquoi avoir repris des mesures, comme l’institution d’un tribunal correctionnel des mineurs, qui avaient été écartées par les différents groupes d’experts s’étant penchés sur cette problématique ?

Sur le fond, je me limiterai à quelques observations sur deux mesures importantes du texte : la convocation par officier de police judiciaire pour les mineurs et le tribunal correctionnel des mineurs.

La justice des mineurs trouve sa spécificité dans l’existence du juge des enfants qui, grâce à sa double casquette – civile, lorsque l’enfant est en danger, et pénale, lorsqu’il se met en conflit avec la loi – réussit à avoir une vision globale et presque en temps réel du mineur qui va être jugé.

Ce magistrat spécialisé joue donc un rôle central dans la gestion d’un contentieux assez particulier.

Le projet de loi prévoit de compléter les modes de poursuites susceptibles d’être engagées à l’encontre d’un mineur, en permettant au procureur de la République, de convoquer par OPJ, devant le tribunal pour enfants, un mineur qui n’aura pas été présenté préalablement à un juge des enfants pour une phase d’instruction préparatoire.

Cette disposition est conforme à l’objectif de réduction des délais de jugement, qui est fixé depuis plusieurs années. Sur le principe, j’y souscris : pour être comprise par le mineur, la sanction doit être rapide.

Toutefois, la rédaction prévue par le projet de loi permettrait également la mise en œuvre de cette procédure à l’encontre de mineurs primo-délinquants ou n’ayant pas fait l’objet d’investigations récentes. Or, dans ces dernières hypothèses, l’application d’une telle procédure ne me paraît pas pleinement appropriée. C’est pourquoi j’ai déposé plusieurs amendements visant à faire évoluer le texte sur ce point.

Au-delà, et malgré les aménagements introduits en commission, je reste sceptique sur la constitutionnalité de cette disposition, qui nous avait déjà été présentée dans le cadre de l’examen de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».

À l’époque, la commission des lois avait émis des doutes sur la constitutionnalité du dispositif, doutes justifiés puisque cette disposition avait finalement été censurée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011.

Or l’ensemble des personnes auditionnées par M. Jean-René Lecerf, et notamment le recteur André Varinard, qu’il a cité au début de la discussion générale, ont attiré son attention sur le fait que les dispositions de l’article 17 du projet de loi ne respectaient toujours pas entièrement les exigences formulées par le Conseil constitutionnel.

Le texte crée un tribunal correctionnel pour les mineurs âgés de plus de seize ans et poursuivis pour un ou plusieurs délits commis en état de récidive légale, lorsque la peine encourue est égale ou supérieure à trois ans. Dans l’exposé des motifs, le Gouvernement justifie la création de ce tribunal par le fait que « la réponse pénale sera plus solennelle », et « de nature à prévenir la répétition des infractions ».

À cet égard, il me semble nécessaire de procéder à quelques rappels.

Tout d’abord, le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants, qui préside, et de deux assesseurs représentant la société civile, spécialement compétents et au fait des problèmes de la jeunesse, par exemple des enseignants. Ensuite, tous les auxiliaires de justice sont en robe, à l’exception des deux assesseurs. Enfin, la salle d’audience est la même que celle du tribunal correctionnel pour majeurs.

Il est dès lors surprenant de considérer que la présence de deux nouveaux magistrats en robe suffirait à créer un tel surcroît de solennité qu’elle serait à elle seule de nature à limiter la récidive...

Plus généralement, je tiens à rappeler une nouvelle fois que cette idée du tribunal correctionnel des mineurs avait été examinée dès le début de la réflexion sur le code pénal des mineurs, pour finalement être abandonnée dans l’avant-projet de loi. Je suis donc étonné de la voir réapparaître dans le texte que nous examinons aujourd’hui, alors que de nombreux experts et professionnels l’avaient repoussée.

Monsieur le garde des sceaux, à travers ces quelques réflexions que m’inspire le projet de loi, vous l’aurez compris, je souhaite que le débat permette son amélioration. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées de lUMP.)

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très bien !

M. le président. La parole est à notre excellente collègue Mme Virginie Klès. (Sourires.)

Mme Virginie Klès. Peut-être excellente, monsieur le président, mais qui n’en pense pas moins beaucoup de mal de ce texte, comme d’autres ici qui se sont exprimés non seulement sur les travées de gauche, mais aussi sur certaines travées du centre.

Rapprocher le citoyen de la justice était pourtant une belle idée. On faisait déjà participer les citoyens à l’œuvre de justice, dans certaines juridictions spécialisées, avec des volontaires ayant des compétences particulières en matière d’application des peines et de justice des mineurs, et même s’agissant de la justice pénale, avec les jurés d’assises.

Cela fonctionnait très bien dans les juridictions spécialisées, un peu moins bien aux assises. On sait en effet que nombre de personnes tirées au sort tentaient, par tous les moyens, d’échapper à leur obligation et de ne pas aller siéger aux assises. Certaines, d’ailleurs, y parvenaient.

C’est, malgré tout, ce dernier modèle que l’on va copier, et mal copier, en introduisant le tirage au sort pour remplacer le volontariat. On va également démultiplier les jurés, mais on ne va surtout pas démultiplier les moyens mis en place pour leur permettre de se déplacer, pour les indemniser, les défrayer, ou pour compenser les pertes de salaires qu’ils auront subies.

Voilà ce que vous appelez « rapprocher le citoyen de sa justice », et tout cela avec en frontispice des formules sacrées : « au nom du peuple », « au nom du citoyen » !

Quels citoyens ? Tous ceux que vous avez fait descendre dans la rue depuis 2007 ? Les citoyens ne veulent pas de juges laxistes. On l’a entendu et réentendu. Cela a été dit et redit dans nombre d’interventions publiques. Nombre de critiques concernant les juges – et non pas la justice – ont été rapportées. Mais, sauf erreur de ma part, ces critiques émanaient non de citoyens quelconques, mais, pour la plupart, de certains ministres, et même du Président de la République.

Ce discours, qui nie que le premier responsable d’un acte de délinquance est son auteur, et non le juge, ne visait qu’à masquer votre impuissance à lutter efficacement contre la délinquance, et votre oubli du fait que la lutte contre la délinquance passe d’abord par la lutte contre les causes de cette délinquance.

Moi, ce que j’entends des citoyens, c’est qu’ils ne veulent pas d’une justice à deux vitesses, selon la nature du délit et le pouvoir d’influence du délinquant. Moi, ce que j’entends des citoyens, c’est qu’ils s’insurgent fortement contre toute la délinquance financière en col blanc ou contre la délinquance économique, qui les exaspèrent. Ce sont en effet ces procédures qui sont certainement les plus mal comprises et les plus suspectes d’interventions illégitimes.

Vous nous dites que ces procédures et ces actes de délinquance sont complexes, trop compliqués pour les citoyens, qu’ils ne vont pas les comprendre. En êtes-vous sûr, monsieur le ministre ? Peut-être pourrait-on les leur expliquer ?

Je pense, pour ma part, que les citoyens peuvent les comprendre. Vous nous dites qu’ils sont capables de comprendre les systèmes juridiques complexes, et que vous complexifiez de plus en plus. Vous nous dites qu’ils sont capables de comprendre les systèmes des peines planchers systématiques, aggravées, ainsi que la rétention de sûreté, les mesures alternatives et les aménagements de peine. Les citoyens seraient capables de comprendre tout cela en une journée de formation, mais pas le reste ?

Les citoyens sont capables aussi, nous dites-vous, de comprendre des subtilités dans la qualification des faits : préméditation, bande organisée, atteinte ou agression sexuelle, et même atteinte à l’intégrité physique ou morale, alors que, pour d’autres textes, vous soutenez qu’il est extrêmement difficile, y compris pour les experts, de prouver une atteinte à l’intégrité morale.

Mais les jurés, « au nom du citoyen », vont comprendre sans difficulté !

Au nom du citoyen…

Moi, j’entends que les citoyens veulent une justice capable de les protéger, de protéger la société et la démocratie. J’entends que les citoyens veulent une justice accessible à tous, quels que soient le lieu de résidence, les moyens financiers, le statut socioprofessionnel et le délit commis.

Moi, j’entends des citoyens exaspérés de voir les textes se chevaucher, se multiplier, avec des promesses d’efficacité toujours renouvelées et jamais tenues, mais en conséquence une désorganisation permanente, une surcharge des missions sans aucune concertation ni réflexion avec les professionnels des juridictions.

Au nom du citoyen…

Avez-vous pensé à informer ces citoyens des modalités du tirage au sort, des vérifications qui seront opérées sur leur personnalité et leur vie privée quand ils auront été désignés par le sort pour être jurés ? Quand leur direz-vous la vérité sur le coût de la réforme de la carte judiciaire, en immobilier, en moyens humains, en accessibilité de la justice ?

Monsieur le garde des sceaux, vous avez créé, nous dites-vous, les maisons de justice et du droit.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je n’ai rien dit, et j’ai l’intention de continuer !

Mme Virginie Klès. Vous l’avez écrit, en tout cas !

Mais vous avez oublié de préciser aux citoyens que ce sont les collectivités territoriales qui payent le fonctionnement.

M. Charles Gautier. Très bien dit !

Mme Virginie Klès. Autrement dit, seuls les centres urbains et les collectivités riches seront dotés de maisons de justice et du droit : voilà pour l’amélioration de l’accessibilité de la justice !

Quand donc direz-vous la vérité aux citoyens sur les insuffisances informatiques, les budgets de l’aide juridictionnelle, les conséquences de la réforme de la représentation devant les cours d’appel ? Vous créez toujours plus d’injustice et renouvelez l’ancrage de la justice à deux, voire à quatre vitesses, selon que l’on est pauvre ou riche, rural ou urbain. Ne soyez surtout pas pauvre et rural, car vous n’aurez plus aucun accès à la justice !

Au nom du citoyen…

Le Président de la République veut nous faire croire qu’un mineur âgé de seize ans, mesurant 1,90 mètre et pesant 90 kilos, n’est plus un mineur ! Est-ce à dire que la maturité, la responsabilité, le passage de l’enfance à l’âge adulte se mesurent en centimètres et en kilos ?

Est-ce à dire qu’une personne handicapée mentale de 1,90 mètre pesant 90 kilos doit être considérée comme adulte, et non comme une personne vulnérable, protégée par une mesure de tutelle ou de curatelle ? Remarquez, ce serait le moyen de réduire un peu la charge de travail des juges des tutelles ! Comme ils ont, eux aussi, été récemment complètement désorganisés, peut-être verraient-ils cela d’un bon œil !

Est-ce à dire, monsieur le garde des sceaux, que si l’on ne dépasse pas 1,60 mètre et 50 kilos, on n’est jamais un adulte responsable et mature ? C’est là toute la connaissance que vous avez, toute l’utilisation que vous faites de l’éducation et de la définition d’un enfant en devenir ?

Au nom du citoyen…

On oublie qu’un enfant est un enfant. C’est un aspect que ma collègue Catherine Tasca a développé et sur lequel Alima Boumediene-Thiery interviendra certainement.

Le titre II du projet de loi, autrement dit les dispositions relatives au jugement des mineurs, est une catastrophe pour le droit des enfants, une catastrophe pour l’éducation, qui plus est masquée par l’écran de fumée que constitue le juré populaire.

Pourtant, beaucoup d’entre nous peuvent être concernés et directement confrontés, demain, à la justice. J’aimerais donc poser la question aux citoyens : ce jour-là, quelle justice souhaitez-vous ?

Est-ce une justice expéditive, systématique, qui prenne en compte uniquement l’acte et non ses circonstances, ni l’histoire et la personnalité de son auteur, qui refuse toute deuxième chance à un enfant ou à un adulte, qui préfère la rapidité d’un jugement à l’écoute de l’accusation comme de la défense ?

C’est pourtant cette justice-là que le projet de loi nous annonce.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Virginie Klès. Ou bien souhaitez-vous, citoyens, une justice sereine, indépendante, qui a les moyens de siéger dans des conditions décentes autorisant la réflexion, loin de l’émotion et de toute pression médiatique ou politique, une justice qui prend le temps d’écouter toutes les parties pour rendre un jugement équilibré, accessible à tous, car rendu dans le calme, et explicable aux citoyens par des avocats correctement rémunérés, quels que soient les moyens de leurs clients ?

La Justice avec un « J » majuscule, celle à laquelle je crois pour mon pays, c’est celle-là que je veux et pas celle que vous nous préparez ! Je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, associer les citoyens au fonctionnement de la justice n’est pas une idée nouvelle en France, puisque, dans les cours d’assises, les tribunaux pour enfants, les tribunaux de l’application des peines, nous trouvons déjà des citoyens aux côtés des magistrats professionnels.

Je vois trois avantages à renforcer ainsi les liens entre nos concitoyens et leur justice.

Tout d’abord, cette formule d’association permettra que soient mieux comprises les décisions rendues par les tribunaux.

Ensuite, je suis convaincu qu’elle renforcera l’autorité du magistrat professionnel et mettra celui-ci à l’abri des contestations. Que de fois n’avons-nous entendu des décisions de juges de l’application des peines contestées par nos concitoyens parce qu’elles n’étaient ni comprises ni, surtout, assumées par la société ?

Enfin, il s’agit selon moi d’une réelle avancée en matière de citoyenneté et de civisme. Le fait d’être tiré au sort dans son département, de participer pendant une semaine au fonctionnement du tribunal correctionnel est un acte fort qui marque une intégration à la société. Oui, c’est un acte fort que de participer au jugement et à la condamnation d’une personne, l’une des décisions les plus difficiles dans la République.

Ce texte aura en outre pour effet indirect, s’il est adopté, de lutter contre la pratique trop répandue de la correctionnalisation des crimes.

En tant que législateur, je suis très heurté par cette pratique. Le Parlement élabore et vote des lois. Comment accepter qu’en matière criminelle une large part des infractions ne reçoivent pas la qualification juridique qui s’impose ? Cette pratique remet de facto en cause le schéma de classification des infractions et l’échelle des peines que nous nous efforçons de définir.

Disons-le clairement : lutter contre la correctionnalisation des crimes est une bonne chose !

La solution proposée par le Gouvernement concernant les cours d’assises simplifiées était-elle la meilleure ? Le travail réalisé en commission a prouvé que non, la cour d’assises simplifiée risquant de créer une confusion avec la « véritable » cour d’assises. La composition du tribunal correctionnel citoyen et de la cour d’assises simplifiée aurait été identique, ce qui n’était pas souhaitable.

Par ailleurs, en matière criminelle, le principe selon lequel le jury prévaut sur les magistrats professionnels n’allait pas être respecté avec la formule imaginée par le Gouvernement.

Je salue donc la proposition du rapporteur d’exclure du texte cette « fausse bonne idée » des cours d’assises simplifiées.

Le rapporteur a également été bien inspiré d’élargir le périmètre des infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans. Le fait d’avoir ajouté les délits en matière d’environnement me paraît également pertinent.

Sur cette question du périmètre des infractions relevant du tribunal correctionnel citoyen, la rédaction à laquelle nous sommes parvenus me paraît bien plus cohérente que le texte d’origine.

Monsieur le garde des sceaux, il ne vous a pas échappé que des interrogations subsistent, notamment en ce qui concerne la formation des futurs citoyens assesseurs. L’amendement que notre groupe présentera à ce sujet sera, je l’espère, approuvé. Même si la formation des citoyens assesseurs relève du règlement, nous avons besoin de disposer d’un certain nombre d’informations pour nous déterminer.

Enfin, je ne doute pas des moyens qui ont été annoncés, mais certains, au sein de mon groupe, se demandent si ceux-ci n’auraient pas été plus utiles ailleurs - sous-entendu, utilisés d’une meilleure manière -, plutôt que pour une réforme menée par ailleurs à un rythme effréné.

C’est pourquoi je salue, à mon tour, le travail réalisé par la commission des lois et tout particulièrement par Jean-René Lecerf qui, dans ces circonstances quelque peu précipitées, n’a pas hésité à remanier profondément le texte lorsque cela était nécessaire. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur quelques travées de lUMP.)