compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Jean-Noël Guérini.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 31 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-156 QPC et 2011-157 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

3

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française
Discussion générale (suite)

Fonctionnement des institutions de la Polynésie française

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française (projet n° 452, texte de la commission n° 531, rapport n° 530).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française
Article 1er

Mme Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux réformes statutaires qui se sont succédé depuis le début des années quatre-vingt, la Polynésie française a acquis une autonomie sans équivalence au sein de la République. C’était la réponse à une profonde aspiration des élus et de la population polynésienne, pour mener à bien un processus d’émancipation progressif vis-à-vis de la métropole et surtout assurer le développement économique, social et culturel du fenua.

Force est de constater que cet objectif n’est pas atteint. La collectivité polynésienne n’a cessé d’affronter depuis 2004 des crises politiques qui ont empêché d’ancrer toute action publique dans la durée. Onze gouvernements se sont succédé en l’espace de quelques années, sans que jamais l’un d’entre eux parvienne à disposer d’une continuité suffisante à l’exercice de ses responsabilités. Ni la loi organique du 27 février 2004 ni la réforme du 7 décembre 2007 n’ont permis de mettre un terme à l’instabilité politique locale.

De très nombreux Polynésiens et Polynésiennes pensent que cette situation ne peut plus durer.

Cette instabilité chronique mine la Polynésie française, la ronge et finit par distendre les liens du « vouloir vivre ensemble » qui sont au cœur de son projet de société et de sa tradition ancestrale.

Le Président de la République a donc souhaité la réforme institutionnelle que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd'hui, au nom du Gouvernement, afin de tenter de rétablir la stabilité politique et de redonner du sens, de la cohérence et de la durée à l’action politique.

Avec un tel objectif, vous comprendrez que l’état d’esprit qui m’a animée tout au long de l’élaboration de ce projet de loi organique a toujours été positif. Je sais que ce territoire, et surtout ses habitants ont en eux une véritable capacité à aller de l’avant. Je suis persuadée qu’un sursaut collectif est possible, à condition de rétablir la confiance dans les institutions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, autant le dire d’emblée, il n’y a pas de solution miracle, de formule magique capable, par l’alchimie de nouvelles dispositions électorales et institutionnelles, de ramener la sérénité et de pacifier dans l’instant le champ politique polynésien.

Chacun le sait, permettre de dégager une majorité dans les urnes ne sert à rien si celle-ci se délite au gré d’alliances opportunistes, qui servent des intérêts personnels et contredisent le vote des Polynésiens.

Sur ce point, j’ai bien conscience que, en 2004 comme en 2007, mes prédécesseurs poursuivaient le même but et que les aléas et les renversements d’alliances ont eu raison de leurs bonnes intentions.

Nous avons une obligation de résultat pour rétablir la stabilité politique.

Garant des institutions polynésiennes, l’État se doit d’agir en dehors de toute querelle partisane. C’est pour cette raison que je me suis imposé un strict devoir de neutralité pendant les mois qui ont conduit à l’élaboration du projet de loi organique du Gouvernement. Ce projet est, il faut le souligner, le fruit d’une large concertation avec les élus polynésiens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous présenter le contenu de ce projet de loi, permettez-moi de souligner les principes qui ont guidé ma démarche.

Le premier est le respect de l’autonomie de la Polynésie française. Il n’est pas question ici de remettre en cause le statut particulier qui est garanti par l’article 74 de la Constitution, mais l’autonomie ne peut servir de prétexte pour refuser l’intervention de l’État quand il s’agit de mettre un terme aux dérives !

Ce n’est un secret pour personne : la situation économique de la Polynésie française est mauvaise. Le produit intérieur brut a reculé, le tourisme a lui aussi régressé et la commande publique ne parvient plus à soutenir la croissance du territoire. En affectant la confiance des investisseurs, l’instabilité politique récurrente en Polynésie apparaît comme un facteur supplémentaire de dégradation de l’économie des archipels.

Dans ces conditions, comment ne pas comprendre les doléances de la société civile polynésienne, qui appelle de ses vœux un véritable effort de remise en ordre budgétaire ? La prise de conscience que la collectivité de Polynésie française et ses satellites ne peuvent continuer à vivre au-dessus de leurs moyens est en train de progresser dans les esprits, et je m’en félicite.

Cette prise de conscience progresse aussi, il faut le reconnaître, dans l’esprit de certains responsables politiques. Ainsi, c’est en accord avec deux gouvernements successifs qu’a pu se dérouler sur place, tout au long de l’année 2010, une mission lourde. Conduite par trois corps d’inspection, son rôle a été de diagnostiquer les causes de la crise et surtout de formuler des préconisations afin de limiter l’hémorragie des finances publiques.

Plusieurs de ces préconisations sont reprises dans le projet de loi du Gouvernement et ont une forte charge symbolique. Je pense notamment à la limitation à sept du nombre des ministres, hors président et vice-président. Je pense au nombre de collaborateurs de cabinet, qui est lui aussi contingenté. Je pense, enfin, à la réduction du nombre de membres du Conseil économique, social et culturel.

Or la commission des lois du Sénat a systématiquement rehaussé ces plafonds pour, indique-t-elle, offrir davantage de souplesse aux élus polynésiens.

Je dois pourtant vous préciser qu’aucune de nos propositions ne relevait du hasard. Je le répète, elles trouvaient directement leur source dans les conclusions du rapport Bolliet, puisque c’est de lui qu’il s’agit.

Par ailleurs, en ma qualité d’autorité de tutelle, j’ai obtenu que l’Agence française de développement, l’AFD, octroie à la collectivité un prêt de 42 millions d’euros, lequel sera débloqué en deux fois.

À cet égard, j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le versement de la seconde tranche de ce prêt est conditionné au respect d’un plan de redressement des finances locales particulièrement strict, dont le projet de loi que nous examinons ensemble doit faciliter la concrétisation, et non la contrarier en envoyant des signaux contradictoires.

J’en viens maintenant au deuxième principe qui a guidé mon action : le respect du vote des Polynésiens, et donc de l’expression démocratique.

Il n’est pas normal que, dans les heures qui suivent un scrutin, les adversaires d’hier deviennent des alliés de circonstance en détournant le résultat des urnes au profit non de l’intérêt général, mais d’ambitions personnelles. Les nombreux contacts que j’ai eus avec les élus polynésiens m’ont permis de mesurer la véritable prise de conscience sur la nécessité de mettre un terme à ces pratiques. Elle explique que les objectifs poursuivis par le projet de loi recueillent un large consensus.

Le dernier principe que j’ai veillé à observer tient en un mot : la concertation. Le scénario n’était pas écrit à l’avance et j’ai écouté toutes les propositions constructives, quelle que soit leur provenance.

En mai 2010, j’ai confié au conseiller d’État Barthélemy une mission, dont les conclusions ont servi de base à la réflexion commune. En septembre 2010, j’ai provoqué des rencontres à Paris avec les représentants des principales formations politiques polynésiennes. Enfin, je me suis déplacée en Polynésie au mois d’octobre dernier pour entendre et recevoir les personnalités de la société civile et, de nouveau, les responsables politiques.

Bref, le projet du Gouvernement a été débattu dans la durée, avec tous les acteurs locaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, venons-en maintenant au texte qui vous est aujourd'hui soumis.

C’est une exigence de stabilité politique, vous l’avez compris, qui est la ligne conductrice de ce projet de réforme. Or il me semble qu’assurer la stabilité des institutions passe de nouveau par un ajustement du régime électoral.

De ma phase de concertation, j’ai retenu deux enseignements.

En premier lieu, le nombre de circonscriptions, actuellement fixé à six, doit être revu en tenant compte du poids démographique très différent des archipels polynésiens.

Le projet du Gouvernement maintient les quatre circonscriptions actuelles des archipels éloignés, appelées à élire douze des cinquante-sept représentants à l’assemblée, mais procède à la fusion des circonscriptions actuelles des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent. Concentrant 87 % de la population, cette nouvelle circonscription, dite des « îles de la Société » élit quarante-cinq représentants à l’assemblée. Elle est divisée en quatre sections électorales : trois pour les îles du Vent et une pour les îles Sous-le-Vent.

La commission des lois du Sénat a substitué au projet du Gouvernement un système que je pense pouvoir résumer ainsi : la Polynésie devient une circonscription unique, divisée en huit sections, dont le contour géographique et le nombre d’élus sont, en réalité, identiques à ma proposition.

Seule nous différencie aujourd’hui la qualification des quatre archipels éloignés qui, dans le projet du Gouvernement, constituent des circonscriptions tandis qu’ils correspondent à des sections dans le texte de la commission des lois.

Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 février 2004, l’étendue de la Polynésie française, territoire vaste comme l’Europe, commande d’assurer une représentation correcte des archipels éloignés. En maintenant les quatre circonscriptions actuelles qui recouvrent ces archipels, le projet du Gouvernement permet de s’assurer que les candidats sont bien issus de ces territoires puisqu’ils sont inscrits sur les listes présentées localement.

En ne maintenant plus qu’une seule circonscription et en transformant les quatre circonscriptions des archipels en simples sections électorales, la commission des lois ne garantit plus la représentativité de la diversité géographique polynésienne et de ses populations.

Consciente de cet écueil, la commission des lois a introduit une condition de résidence afin de s’assurer que les candidats qui se présentent dans une section y résident.

Je ne peux me rallier à cette proposition pour deux raisons. D’une part, elle fragilise la loi en portant atteinte au principe de liberté de candidature ; d’autre part, elle va à l’encontre du pluralisme que le Gouvernement a entendu préserver puisqu’elle ne permet plus à des partis qui n’ont pas d’assise au niveau de l’ensemble de la Polynésie de présenter des candidats localement.

C’est pourquoi je considère que le projet du Gouvernement, élaboré en concertation avec les élus polynésiens, tant locaux que nationaux, toutes tendances confondues, concilie mieux que le texte de la commission objectif de stabilité, d’une part, et représentation adaptée des archipels, d’autre part. Plus équilibré, le texte du Gouvernement est aussi juridiquement plus fiable.

J’ai retenu un second enseignement de la phase de concertation que j’ai menée.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur le mode de scrutin proportionnel à la plus forte moyenne à deux tours, utile pour donner une image de la diversité des opinions et les représenter.

En revanche, j’ai acquis la conviction qu’il convient d’instaurer une prime forte attribuée à la liste qui obtient la majorité pour limiter l’effet d’éparpillement de la représentation proportionnelle.

Sur ce point, la commission des lois partage mon analyse puisqu’elle maintient cette prime à un tiers des sièges et qu’elle les répartit à l’avance au sein des sections.

Je veux juste souligner que le principe de la circonscription unique qu’a retenu votre commission peut entraîner là encore une conséquence qui me paraît contestable. En effet, en préaffectant dans chaque section des archipels éloignés un siège sur trois à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Polynésie, il existe un risque que l’élu qui bénéficie de cette prime n’ait recueilli aucune voix localement. Je ne pense pas concevable dans une démocratie que sur les trois représentants d’un archipel à l’assemblée de Polynésie, l’un d’entre eux ne représente aucune sensibilité politique locale.

Je voudrais maintenant évoquer les dispositions du projet de loi organique qui visent à améliorer le fonctionnement des institutions.

La Polynésie française mérite mieux que les blocages et les dérives actuels. Les mesures que propose le Gouvernement doivent permettre à la majorité issue des urnes d’inscrire son action dans la durée.

Ma priorité, vous l’avez compris, est de veiller au respect du verdict des urnes en mettant un terme aux comportements opportunistes.

Pour cela, j’ai proposé trois mesures principales.

Tout d’abord, limiter à deux mandats consécutifs la durée totale du mandat du président de la Polynésie française. Cette disposition peut aider au renouvellement de la classe politique polynésienne.

Ensuite, je propose de mettre fin à la possibilité de renouveler de façon anticipée ou annuelle le bureau de l’assemblée de la Polynésie française, qui a connu dix présidents en six ans, sauf en cas de démission de son président. Désormais, ce sera la démission du président qui entraînera celle du bureau et non l’inverse.

Enfin, j’entends rendre beaucoup plus efficace le dépôt et surtout le vote d’une motion de défiance.

La commission des lois semble partager cette analyse puisqu’elle limite le recours à cette procédure de deux manières. D’une part, chaque membre de l’assemblée ne pourra plus désormais déposer plus d’une motion par an. D’autre part, elle rehausse, comme je l’avais proposé, le seuil de recevabilité de la motion en le faisant passer du quart au tiers des membres de l’assemblée.

Je ne comprends pas, en revanche, que la commission des lois ne soit pas allée plus loin en retenant, comme le prévoit le projet du Gouvernement, que l’adoption de la motion soit acquise non plus à la majorité absolue des membres de l’assemblée, mais à une majorité qualifiée des trois cinquièmes. C’est parfaitement conforme à l’objet même du texte.

Lorsque l’on est conscient des conséquences lourdes des renversements incessants de majorité provoqués par cette motion de défiance, que ce soit pour la mise en œuvre des politiques publiques en Polynésie française, le lien de confiance entre les Polynésiens et leurs élus ou l’image de la Polynésie à l’extérieur, il n’est pas possible de dissocier le renforcement de la stabilité politique d’une réforme de la motion de défiance.

Je comprends d’autant moins la position de la commission sur ce point qu’elle a accepté ce seuil des trois cinquièmes pour l’adoption de la motion de défiance dans le domaine budgétaire.

J’ai donc déposé un amendement qui propose de relever le seuil de recevabilité de la motion pour garder à la réforme sa parfaite cohérence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être au cœur de nos échanges aujourd’hui n’est ni plus ni moins que l’avenir d’un territoire de la République qui souhaite retrouver ses repères.

Alors je vous le demande : ne cédons pas à la facilité ! Choisissons ensemble les évolutions institutionnelles qui, au-delà des femmes et des hommes d’aujourd’hui, ouvrent des perspectives pour les Polynésiens de demain !

Pour cela, faisons ensemble le choix du courage et de la lucidité en tirant les leçons des dysfonctionnements récents !

Grâce à la contribution des uns et des autres et à celle de votre commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite fixer pour les années qui viennent une architecture institutionnelle qui permette à la démocratie locale de bien fonctionner et qui ramène la stabilité politique indispensable au renouveau du développement économique et social. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici quelques chiffres qui illustrent, certes de manière abrupte mais malheureusement significative, la situation actuelle de la Polynésie française. Ces trois chiffres sont les suivants : 11, 3 et 855.

« 11 » représente le nombre de gouvernements successifs que la Polynésie a connus depuis son nouveau statut lui consacrant une très large autonomie en 2004. Mme la ministre a d’ailleurs rappelé ce chiffre tout à l’heure.

« 3 » est le nombre de présidents différents qui ont eu à conduire ces gouvernements. On peut noter à ce sujet – non sans intérêt – que la valse des portefeuilles ministériels s’est toutefois déroulée dans le contexte d’une certaine stabilité au plus haut niveau ! Il n’y a eu que trois présidents différents pour onze gouvernements.

« 855 » est un chiffre encore plus préoccupant puisqu’il indique en millions d’euros le montant de la dette de la Polynésie française au 31 décembre 2010, dette qui ne cesse de s’accroître.

En effet, depuis mai 2004, les institutions de la Polynésie française connaissent une instabilité chronique malgré deux tentatives législatives tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique. Cette instabilité a conduit à une profonde dégradation de la situation générale de la collectivité.

Cette situation n’a fait que s’aggraver ces dernières années. L’assemblée de la Polynésie française n’a cessé de connaître des recompositions, à la faveur de jeux d’alliances qu’entretiennent la forte segmentation des partis politiques et la recherche par les élus du meilleur moyen pour servir leurs intérêts locaux.

L’instabilité ne peut donc continuer sans remettre gravement en cause l’avenir du « pays », le fenua selon la terminologie locale. Il est temps d’agir pour éviter que les effets délétères de l’instabilité sur l’image de la classe politique polynésienne et sur la conduite des affaires publiques n’entraînent une désespérance dont les conséquences pourraient être dramatiques.

Aussi le Gouvernement a-t-il déposé au Sénat le 20 avril 2011 un projet de loi organique relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française dont l’objet essentiel – je dis bien essentiel ! – est de permettre la constitution d’une majorité stable au sein de l’assemblée de cette collectivité. C’est cet objectif qui permet de mieux comprendre la position prise par la commission des lois.

Le projet de loi comporte ainsi deux volets.

Le premier modifie les dispositions de la loi organique statutaire relatives à l’élection des représentants à l’assemblée.

Le second tend à encadrer certains aspects du fonctionnement institutionnel afin de réduire les dépenses publiques et de rationaliser les relations entre l’exécutif et l’assemblée délibérante.

La mise en place, par la loi organique du 27 février 2004, d’un statut consacrant la Polynésie française comme un « pays d’outre-mer au sein de la République » s’est accompagnée de la création d’un mode de scrutin original pour l’élection des représentants à l’assemblée polynésienne.

Dotée de cinquante-sept membres élus pour cinq ans dans six circonscriptions, contre cinq dans le système en vigueur entre 1946 et 2004, l’assemblée de la Polynésie française était ainsi régie par un mode de scrutin combinant un scrutin de liste à un tour – le législateur organique ayant d’ailleurs imposé que les listes soient composées de manière paritaire –, un seuil d’admission à la répartition des sièges très bas – 3 % des suffrages exprimés –, une répartition des sièges à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne et une prime majoritaire égale au tiers des sièges arrondi à l’entier supérieur, prime instaurée sur l’initiative du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement présenté par notre collègue Gaston Flosse.

Compte tenu des résultats peu compatibles avec une stabilité institutionnelle, ce dispositif électoral a déjà connu deux modifications. L’une par le biais de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, dite DSIOM, qui a supprimé la prime majoritaire, l’autre par la loi organique du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, qui a maintenu la suppression de la prime majoritaire mais introduit un scrutin à deux tours et prévu un renouvellement anticipé de l’assemblée. C’est le système actuel.

Les résultats obtenus à l’époque non seulement n’ont pas atteint l’objectif de stabilité recherché mais ont même aggravé les déséquilibres avec des conséquences dangereuses pour la situation financière, économique et sociale de la Polynésie française.

À ce sujet, il est utile de rappeler le diagnostic d’une mission d’audit, diligentée par le Premier ministre, selon lequel la situation des finances publiques est devenue critique, la Polynésie française manquant en outre d’une vision d’ensemble des investissements publics et des projets structurants.

Il était donc nécessaire et urgent de modifier les règles institutionnelles de la Polynésie française pour lui permettre de retrouver la stabilité et reprendre le chemin du développement économique dont elle a tant besoin.

Tel est le sens du projet de loi organique présenté par le Gouvernement et dont nous pouvons nous féliciter.

La présentation de ce projet ayant été faite, je ne m’y attarderai pas. Je me limiterai à souligner que le système électoral retenu par le projet du Gouvernement se rapproche beaucoup de celui de 2004. Le principal changement concerne la fusion de la circonscription des îles-du-Vent avec celle des îles Sous-le-Vent, ce qui ramène le nombre de circonscriptions à cinq, à savoir les quatre archipels les plus éloignés et les îles formant l’archipel de la Société, elles-mêmes divisées en quatre sections. Ce projet réintroduit également la prime majoritaire de un tiers des sièges et rend plus difficile le recours à la motion de défiance.

La commission des lois – je tiens à le souligner – souscrit pleinement à l’objectif d’une vie institutionnelle plus stable en Polynésie française, tel que le souhaite le Gouvernement. Il est absolument essentiel que cette collectivité puisse enfin réaliser les projets nécessaires pour améliorer les conditions de vie de sa population et préparer l’avenir de sa jeunesse.

Certes, aucun mode de scrutin respectueux des principes démocratiques ni aucune règle institutionnelle ne peuvent garantir absolument la stabilité, car les institutions restent ce qu’en font les hommes.

À cet égard, comme l’a indiqué à votre rapporteur notre excellent collègue Richard Tuheiava, sénateur de Polynésie française au même titre que Gaston Flosse – les deux sénateurs de la collectivité sont présents et je m’en réjouis –, « il ne faut pas sous-estimer le génie océanien », y compris en matière de pratique institutionnelle. Nous avons vu où cela nous a menés !

La commission juge cependant indispensable que le législateur, jouant cette fois l’une de ses dernières cartes – ce sera sa troisième tentative, madame la ministre ! –, définisse le mode de scrutin et les règles institutionnelles les plus propices à la stabilité dans l’unité de la collectivité. Pour ce faire, elle a substitué au système prévu par le projet de loi organique initial, un système de circonscription unique.

En effet, la commission des lois a observé que le dispositif proposé par le Gouvernement, qui conjugue la mise en place de circonscriptions multiples et l’attribution d’une prime majoritaire égale à un tiers des sièges – soit dix-neuf sièges – à la liste arrivée en tête dans chaque circonscription, était très similaire au système que le législateur organique avait mis en place en février 2004.

Or, comme je l’ai déjà souligné, le système électoral de 2004 a échoué puisqu’il n’a pas pu assurer à l’époque la constitution de majorités stables et pérennes au sein de l’assemblée de la Polynésie française.

Certes, le projet du Gouvernement est plus de nature à faire naître une majorité que le dispositif de 2004 mais il conserve, cependant, des facteurs de risque non négligeables, sur lesquels la commission des lois s’est penchée. Le projet de loi laisse en effet les douze sièges des quatre circonscriptions des archipels éloignés en dehors de la logique majoritaire d’ensemble. Laisser ainsi douze sièges non rattachés à une majorité d’ensemble ne permet pas de garantir la stabilité.

Au vu de ce précédent, la commission a estimé que l’approche retenue par le projet de loi organique, bien que nettement meilleure que les dispositions actuelles, n’était pas de nature à stabiliser durablement les institutions polynésiennes en dépit des efforts consentis.

La commission des lois a dès lors souhaité que l’élection des représentants à l’assemblée de la Polynésie française se déroule dans une circonscription unique, formée par l’ensemble de la collectivité polynésienne. Après tout, c’est le gouvernement de la Polynésie qui doit s’appuyer sur une majorité de la Polynésie ! De ce fait, l’unité dans le choix de la prime majoritaire paraît essentielle. Or cela n’était pas possible avec cinq circonscriptions.

Les auditions auxquelles j’ai procédé ont démontré qu’une très large partie des élus polynésiens, notamment MM. Oscar Temaru, Gaston Flosse et Gaston Tong Sang mais aussi Nicole Bouteau, Jean-Christophe Bouissou, c’est-à-dire les acteurs principaux de la vie politique polynésienne, soutenait cette approche de circonscription unique.

Il y a en effet trois avantages principaux à ce système. En permettant que l’intégralité de la prime majoritaire soit attribuée à la liste arrivée en tête dans toute la Polynésie, il garantira l’émergence d’une majorité solide au sein de l’assemblée.

Il interdira en outre la constitution de listes purement locales et mettra fin au particularisme politique qui semble, depuis plusieurs années, caractériser les archipels éloignés.

Il garantira enfin la présence d’un élu de la majorité dans chaque section. Il évitera ainsi le phénomène des zones oubliées, que Bernard Frimat et moi-même avons pu constater lorsque nous avons conduit une mission, au nom de la commission des lois, en Polynésie afin d’y étudier la situation des communes, phénomène qui oblige les maires et les élus de ces zones à se rallier à une majorité pour pouvoir faire bénéficier de quelques subventions leurs administrés.

Par définition, il y aura un représentant de la majorité dans les huit sections, puisque des sièges de prime majoritaire seront affectés dans chacune. Et cela ne remettra pas en cause la majorité dans chaque section : lorsque trois sièges seulement seront à pourvoir, la prime majoritaire concernera un siège, ce qui signifie que deux élus au moins représenteront la volonté des électeurs locaux.

Toutefois, afin d’éviter que la création d’une circonscription unique ne s’effectue au détriment des habitants des archipels éloignés, dont je rappelle qu’ils représentent tout de même 13 % de la population, les 87 % restants étant situés dans les îles de la Société, la commission a divisé la Polynésie en huit sections, chacune bénéficiant d’un minimum de trois sièges.

La délimitation de ces huit sections reprend le découpage initialement proposé par le Gouvernement pour les cinq circonscriptions – l’une était divisée en quatre sections – dont il envisageait la constitution. Nous avons tenu à nous rapprocher au maximum de ses choix.

Par ailleurs, afin de garantir la bonne représentation des populations des archipels éloignés, votre commission a prévu que seules les personnes inscrites sur la liste électorale d’une commune d’une section pourraient s’y porter candidates.

Sur ce point, je voudrais apporter une petite précision. Voilà seulement quelques semaines, la commission avait refusé une demande similaire pour les sections de Guyane. Mais il n’y a aucune incohérence dans notre approche : la collectivité unique de Guyane relève de l’article 73 de la Constitution, donc du droit commun, alors que la Polynésie relève de l’article 74, qui dote les collectivités d’outre-mer d’un statut tenant compte de leurs « intérêts propres ».

De plus, la jurisprudence du Conseil constitutionnel impose au législateur organique de garantir la « représentation effective » des archipels éloignés. Or comment assurer cette représentation effective alors que la Polynésie s’étend sur 2 500 kilomètres du nord au sud et sur 3 000 kilomètres d’est en ouest si les élus n’ont aucun lien avec ces archipels ? Rien n’interdit des mesures spécifiques. C’est d’ailleurs le cas, par exemple, pour les élections législatives, où, contrairement au droit commun, deux semaines au lieu d’une séparent les deux tours de scrutin.

L’obligation d’inscription sur les listes électorales permettra d’éviter que la création d’une circonscription unique ne débouche sur des « parachutages » dans les sections les moins peuplées et ne détourne de son sens la notion de représentation effective.

En outre, la commission a estimé que le mode de scrutin figurant dans le projet de loi organique initial, à savoir un scrutin de liste à deux tours, avec un seuil de passage au second tour fixé à 10 % des électeurs inscrits et une prime majoritaire de dix-neuf sièges, était susceptible, s’il était cumulé avec un système de circonscription unique, de mener à la constitution d’un groupe politique doté de la majorité absolue des sièges au sein de l’assemblée de la Polynésie française et correspondait donc à l’objectif visé. Elle a donc souhaité n’y apporter aucun changement de fond.

Ainsi que je l’ai indiqué précédemment, dans son projet, le Gouvernement rend plus sévères les conditions de vote d’une motion de défiance, reprenant ce qu’il avait proposé en la matière pour la Martinique.

Pour les mêmes raisons, la commission a maintenu les conditions actuelles d’adoption d’une motion de défiance, qui s’appliquent d’ailleurs en Corse. En effet, porter aux trois cinquièmes des représentants la majorité requise pour son adoption pourrait conduire à des blocages institutionnels. Un président dépourvu de majorité pourrait rester en fonctions face à un adversaire malheureux, ayant recueilli quelques voix de moins que lui, mais ayant désormais plus de la majorité absolue des membres de l’assemblée derrière lui !

Il semble préférable de conserver l’exigence de la simple majorité absolue des représentants pour l’adoption d’une telle motion dès lors que le nombre de signatures requis est porté du quart au tiers des membres de l’assemblée.

En outre, la commission a réduit à une seule motion de défiance le nombre de motions que chaque élu de l’assemblée de la Polynésie française peut signer au cours d’une année civile, alors que la loi organique du mois de décembre 2007 en prévoyait deux. Cela va dans le sens souhaité par le Gouvernement.

En revanche, la commission, et il n’y a pas d’incohérence dans sa position, n’a pas jugé utile de modifier la majorité des trois cinquièmes prévue en cas de motion de renvoi budgétaire, car il paraît indispensable que l’exécutif de la collectivité ait les moyens de faire adopter son budget. D’ailleurs, il y a des précédents : un dispositif similaire – une majorité absolue des membres composant l’assemblée pour une motion de défiance et des trois cinquièmes en cas de motion de renvoi du budget – s’applique déjà en Nouvelle-Calédonie.

Votre commission a également tenu à compléter les dispositions relatives à l’adoption d’un nouveau projet de budget en cas de rejet du budget initial, afin de rappeler que la volonté du législateur organique du mois de décembre 2007 était bien d’instaurer une procédure de vote bloqué dans cette hypothèse.

Le projet de loi procède également à divers ajustements pragmatiques. La commission apprécie le désir de rationalisation du nombre de ministres du gouvernement polynésien exprimé par le Gouvernement, mais elle a quelque peu amendé le texte pour tenir compte de l’immensité du territoire de la Polynésie française. Elle propose donc un effectif gouvernemental compris entre sept et dix ministres, au lieu d’un chiffre fixe de sept ministres, comme le prévoyait le Gouvernement.

S’agissant de la limitation du nombre de membres de cabinet, la commission souhaite que l’on reste dans le cadre de l’autonomie. Elle propose ainsi de donner à l’assemblée de la Polynésie française, sur proposition de sa commission de contrôle budgétaire et financier, la compétence pour fixer le nombre maximum de collaborateurs de cabinet du président de la Polynésie française, du vice-président et des ministres.

En effet, le chiffre retenu pour les membres du Gouvernement nous est apparu quelque peu vexatoire pour les Polynésiens. En revanche, prévoir quinze collaborateurs par ministre a semblé particulièrement laxiste à la commission, qui a considéré que cela risquait d’aboutir à la constitution de cabinets pléthoriques. Avec le dispositif que nous envisageons, les institutions polynésiennes pourront, sur proposition de la commission de contrôle budgétaire et financier, décider d’inscrire au budget les sommes correspondantes aux dépenses, dans un souci de transparence.

La commission approuve l’inscription d’un principe garantissant la représentation des archipels au conseil économique, social et culturel dans le statut de la Polynésie française. Toutefois, il lui paraît difficile de concilier cet objectif avec le plafonnement à quarante-trois du nombre de membres de ce conseil. Aussi a-t-elle adopté un amendement fixant l’effectif maximal à cinquante et un, soit l’effectif actuel.

Au début, il était prévu de ramener le nombre de membres de l’assemblée de cinquante-sept à cinquante et un, et le nombre de membres du conseil économique, social et culturel de cinquante et un à quarante-trois. Le nombre de membres de l’assemblée restant à cinquante-sept, il semble logique de maintenir celui des membres du conseil économique, social et culturel à cinquante et un. Évitons de créer des difficultés supplémentaires aux acteurs concernés. Il faut que la réforme s’applique et que son esprit soit respecté !

Le rapport de la mission d’assistance à la Polynésie française des inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales, qui a été publié au mois de septembre 2010, relève que le droit de la concurrence est quasi inexistant en Polynésie française et souligne l’intérêt pour cette collectivité de mettre en place une autorité de régulation.

La création d’une telle autorité est possible dans un domaine relevant de sa compétence, comme la concurrence. Toutefois, afin de lui donner un pouvoir réglementaire et de sanction, il apparaît nécessaire de modifier la loi organique statutaire. Aussi, la commission a adopté un article additionnel permettant à la Polynésie française de créer des autorités administratives indépendantes par une loi du pays.

Le rapport d’information sur les communes polynésiennes, effectué au nom de la commission des lois par votre rapporteur et notre collègue Bernard Frimat, souligne en particulier la nécessité de renforcer les moyens des communes et de favoriser le développement de l’intercommunalité. En effet, la faiblesse des communes a des conséquences déterminantes sur la stabilité institutionnelle, tandis que le regroupement des communes, notamment dans les archipels éloignés – on l’a vu aux Marquises –, peut leur permettre d’assumer davantage de compétences, tout en diminuant leur dépendance à l’égard de Papeete.

En conséquence, la commission des lois a souhaité introduire dans le projet de loi organique quelques dispositions visant à faciliter l’affirmation des communes et la mise en place d’une intercommunalité efficace, en permettant à la Polynésie française d’instituer des impôts ou des taxes spécifiques aux établissements publics de coopération intercommunale, les fameux EPCI, afin, justement, de favoriser le développement de l’intercommunalité.

Sous le bénéfice de ces remarques, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à approuver le projet de loi qui vous est soumis. Le texte qui vous est présenté s’inscrit bien dans la perspective souhaitée par le Gouvernement. Il s’agit d’instaurer la stabilité en Polynésie française, de façon à permettre à ce magnifique territoire, que j’aime beaucoup, de se développer comme il le mérite ! (Applaudissements.)